Raymond Monné, Anthropologie juridique de la santé,fondement des politiques juridiques de la santé en Afrique 4
serait la production et les pratiques juridiques!2 relatives à la santé ainsi que les représentations qui
les sous-tendent. Dans une perspective véritablement anthropologique, elle ne s’intéresserait pas
seulement à l’activité juridique dans le champ sanitaire des sociétés traditionnelles du “Tiers
monde” mais elle prendrait en compte les expériences de ces sociétés, celles des sociétés
contemporaines du “Tiers monde” (sociétés en transition) et des sociétés modernes!; l’un de ses
objectifs pratiques étant d’aider les “pays en développement” à élaborer des législations
sanitaires adaptées à leurs exigences sociologiques et culturelles.
L’anthropologie juridique dont se nourrirait cette nouvelle discipline est celle qui “se donne
pour objet de comprendre les règles de comportement des sociétés mais en privilégiant l’aspect
juridique, tout en décrétant l’impossible insularité du droit!: ce dernier n’est qu’un des éléments
d’un système culturel et social global propre à chaque société et diversement interprété et réalisé
par chacun de ses sous-groupes” (N. Rouland, 1988, p.!13).
Pour repérer le phénomène juridique au sein des relations de l’homme à la santé dans les
sociétés étudiées, le chercheur en AJS sera amené à utiliser les deux modes complémentaires
d’approche du droit!: l’analyse institutionnelle qui «!s’attache aux formes manifestes, explicites
des rela-/p.!376/ tions sociales et juridiques!» (Rouland, 1988, p.!169)!; l’observation des
comportements qui «!exige une participation intense et de longue durée à toutes les manifestations
de la vie sociale où le droit de la société puisse être exprimé!» (E. Le Roy, 1972, p.!432). Sur le
plan méthodologique donc, l’AJS devrait allier le travail documentaire (étude des textes législatifs
et réglementaires, de la jurisprudence et de la doctrine) et la recherche historique avec le travail de
terrain auprès des professionnels de la santé, dans les institutions sanitaires et à l’occasion des
activités ayant une dimension sanitaire.
Quant à l’anthropologie de la santé, deuxième discipline nourricière de l’AJS, on rappellera
qu’elle s’intéresse!:
—!aux systèmes de représentations (ou significations culturelles) de la maladie et de la
santé!3!;
—!aux comportements relatifs à la santé, notamment les stratégies de protection contre la
maladie et le mal, ainsi que les itinéraires thérapeutiques!;
—!au fonctionnement des institutions de prise en charge des malades;
—!et beaucoup plus récemment aux politiques de santé publique (B.!Hours, l985)!4.
Quelles peuvent être alors les applications concrètes de cette approche juridico-
anthropologique!?
B.!Quelques domaines d’application de l’anthropologie juridique de la santé
Un des domaines d’application de l’AJS est sans doute l’exercice de la médecine
traditionnelle (MT). Précisons tout de suite que cette médecine ne saurait être réduite à une
“médecine des plantes” et les personnes qui l’exercent (appelées tradipraticiens) ne sont pas
seulement des “savants en plantes”.
Selon l’approche holistique suggérée par l’OMS, la MT serait «!l’ensemble de toutes les
connaissances et pratiques explicables ou non, pour diagnostiquer, prévenir ou éliminer un
déséquilibre physique, mental ou social, en s’appuyant exclusivement sur l’expérience vécue et
l’observation transmises de génération en génération, oralement ou par écrit!» (OMS, 1978,
p.!78). Quant aux institutions qui prennent en charge la maladie, elles sont “tout à la fois
religieuses, politiques et thérapeuti- /p.!377/ ques!; elles recouvrent un champ de compétences et
de fonctions (devin, clairvoyant, antisorcier, féticheur, prêtre de culte) qui subordonnent
l’efficacité thérapeutique à une efficacité plus large mettant en jeu des puissances tutélaires, des
structures normatives et symboliques, dès rapports de force et de pouvoir” (J.P. Dozon, 1987).
L’apport de l’AJS serait de repérer et d’analyser les rapports juridiques qui se créent dans le
cadre de cette activité essentielle pour la reproduction de la société. Il s’agirait de mettre en
2 Non réduites à leurs formes modernes d’expression que sont la loi, le code, le procès.
3 Pour un aperçu de cette thématique, voir par exemple: !L’ethnographie (1985), F. Loux (1983).
4 Voir aussi la Journée scientifique organisée par l’association AMADES (Anthropologie médicale appliquée au
développement sanitaire) sur le thème “Anthropologie des politiques de santé”, Aix-en-Provence, 27 janvier
1996.