Conférence idées pour le développement : « La transition écologique : comment l’initier (enfin) ? »
jeudi 19 juin 2014 à l’AFD
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Conférence idées pour le développement
« La transition écologique : comment l’initier
(enfin) ? »
jeudi 19 juin 2014
à l’Agence Française de Développement
Document de synthèse des débats
Conférence idées pour le développement : « La transition écologique : comment l’initier (enfin) ? »
jeudi 19 juin 2014 à l’AFD
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SYNTHÈSE
Conférence-débat animée par Anne-Cécile Bras, journaliste à RFI, avec :
- Andrew STEER, président-directeur général du World Resources Institute (WRI)
- Alain Grandjean, associé fondateur de Carbone 4
- Gilles Vermot Desroches, directeur Développement durable de Schneider Electric
- Pierre Forestier, responsable de la division Changement climatique à l’Agence Française de
Développement
- Gaël Giraud, directeur de recherche du CNRS
L’économie mondiale connaît une croissance continue : la consommation augmente en
permanence et, avec elle, la pression sur les ressources naturelles et les émissions de CO
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. Dans ce
contexte, il est généralement admis que la transition écologique sera un défi majeur du XXI
e
siècle
et de nombreuses solutions sont en cours d’émergence. Pourtant, le démarrage effectif de cette
transition écologique demeure balbutiant. Comment l’initier véritablement ?
Une cause commune, des enjeux économiques majeurs
La transition écologique recouvre des préoccupations universelles, dans le Nord comme dans le Sud :
les thématiques de l’énergie, du climat, de la biodiversité concernent tous les pays, dans un contexte
d’interconnexion : « la réussite ou l’échec de l’un a des répercussions sur la réussite ou l’échec des
autres » (Pierre Forestier). Les impacts de la transition écologique ne sont pas seulement
environnementaux, ils ont également des retombées économiques très positives. « Agir pour le climat
va nous sauver d’une baisse des taux de croissance et avoir un impact positif sur une partie de la
population » (Andrew Steer). C’est pourquoi il est « impératif de lier les préoccupations de
développement et les enjeux climatiques » (Gilbert Vermot Desroches).
Transformer les modèles de développement
Chaque année dans le monde, on dépense « 2 000 milliards de dollars (externalités comprises) pour
encourager la consommation d’énergies fossiles, alors qu’on ne dépense que 100 milliards pour
encourager les populations à privilégier les énergies renouvelables » (Andrew Steer). Le coût des
énergies renouvelables a pourtant suffisamment baissé pour devenir rentable au regard des énergies
fossiles. Il est urgent de stimuler ces technologies innovantes et propres. Mais la transition écologique,
c’est avant tout faire mieux avec moins. « Réduire la consommation énergétique de 30 % serait bien
plus efficace que de développer les énergies renouvelables » (Gilles Vermot Desroches). Dès lors,
« l’enjeu majeur se situe au niveau de la réduction de la consommation des ressources. Tous nos
process, aussi bien industriels, de consommation, de transport, etc., doivent être repensés pour
réduire la consommation d’énergie et de ressources » (Alain Grandjean). Dans ce contexte, la
question des villes est cruciale. Alors que la population urbaine mondiale « croît chaque jour de
200 000 personnes » et que les « principales métropoles sont responsables d’environ 70 % des
émissions de gaz à effet de serre », l’amélioration de la conception et de la gestion énergétique des
villes apparaît comme une priorité (Andrew Steer). La restauration des terres est également un axe
majeur de la transition écologique. « 2 milliards d’hectares dans le monde étaient autrefois des forêts,
et ne sont aujourd’hui ni des forêts, ni des terres agricoles » (Andrew Steer). Revaloriser ne serait-ce
que 150 millions d’hectares, comme le prévoient les objectifs de Bonn pour 2020, permettrait de
générer 85 milliards de dollars de bénéfices pour les zones rurales concernées et de réduire de 17 %
l’écart entre émission et stockage de carbone.
Modifier les comportements individuels
La pression excessive sur les ressources naturelles est souvent directement liée aux comportements des
consommateurs. Par exemple, 50 % des produits dans les supermarchés contiennent de l’huile de
palme, l’une des principales cultures responsables de la déforestation. « L’engagement des
populations, traduit par la modification de leurs comportements d’usage, est cessaire » à la
transition écologique (Gilles Vermot Desroches). On a réussi à sensibiliser les populations à un usage
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plus sobre de l’eau. Il est possible de le faire pour l’énergie d’autant que les nouvelles technologies
offrent des outils inédits de maîtrise de la consommation énergétique grâce auxquels un Français peut
économiser 400 € par an comme pour les biens de consommation dont la production pèse trop
lourdement sur l’environnement.
Repenser le financement de la transition écologique
On perçoit trop souvent le financement de la transition écologique seulement comme un coût, en
particulier dans un contexte de politiques d’austérité. Or, il s’agit d’un investissement, avec créations
d’emplois et de revenus à la clé. Mais « tant que les marchés financiers continueront de promettre des
rendements sur investissements de 9 %, 10 % voire 15 % par an, soit bien plus que ce qu’aucun
investissement réel ne pourra jamais promettre, les flux financiers seront détournés de
l’investissement dans la transition écologique ». C’est pourquoi « on ne peut confier aux marchés
financiers la charge de nous indiquer la direction dans laquelle investir pour la transition » (Gaël
Giraud).
Il est donc indispensable de créer des outils financiers alternatifs comme par exemple le produit d’aide
budgétaire innovant, mis en place par l’AFD il y a maintenant 5 ans, pour appuyer les politiques
publiques nationales climat, ou le « Fonds vert créé en 2014 et destiné à lever plusieurs milliards
chaque année pour faire des prêts à bas taux aux pays du Sud » pour accompagner leur transition
écologique (Gaël Giraud).
Convaincre les politiques et porter le sujet dans les négociations internationales
À l’exception de quelques pays très volontaristes comme la Chine, les États-Unis et quelques pays
d’Europe qui annoncent des objectifs – pas toujours suivis d’actions –, la transition écologique
« n’intéresse pas encore suffisamment les politiques, pas plus que la société civile et les ONG. La
force de pression demeure insuffisante. » (Pierre Forestier) et la « formation des élites fait défaut, au
point que certains de nos dirigeants sont insensibles au sujet ». En outre, certains acteurs n’ont pas
intérêt à ce que la situation évolue : « les grands acteurs de l’énergie se situent du côté de l’offre, et
font valoir leurs intérêts » (Alain Grandjean), qui sont évidemment de produire toujours davantage
d’énergie. D’où la nécessité des négociations internationales. Une des principales raisons de leur
blocage réside dans le fait que « les pays du Sud revendiquent leur droit à l’adoption de certains
comportements, arguant du fait qu’il revient aux pollueurs historiques, les pays du Nord, d’assumer le
coût de la transition » (Gaël Giraud). Une des conditions nécessaires au succès des négociations
reposera donc sur un « effort accru des pays développés et responsables » (Raymond Zaharia). Ce sera
l’un des enjeux de la COP 21, qui se tiendra en France en 2015 et a pour but de fixer un accord
international et des objectifs chiffrés pour amorcer une véritable transition écologique à échelle
mondiale. La préparation des négociations de ce sommet intergouvernemental unique depuis celui de
Copenhague est cruciale. « Il est important que la négociation permette à d’autres acteurs que les
États d’être présents de manière efficace. Les villes, les acteurs financiers privés ou la société civile
doivent pouvoir s’exprimer. Il s’agit là d’une cause commune à laquelle tout le monde doit participer,
et qui ne doit en aucun cas être réservée à des négociateurs professionnels » (Pierre Forestier).
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Compte rendu révisé des débats
Introduction
Anne-Cécile Bras, journaliste à RFI
La transition énergétique se situe au cœur de l’actualité française. La ministre de l’Ecologie Ségolène
Royal a présenté son projet de loi en Conseil des ministres. L’énergie n’est qu’un aspect de la
transition écologique, qui recouvre des réalités plus larges. Mais le fait que la présentation de ce texte
de loi ait été maintes fois repoussée prouve que cette transition ne va pas de soi. Pour autant, il est
urgent de l’initier. Pourquoi sa mise en place se vèle-t-elle si lente alors que les outils opérationnels
existent ?
Andrew Steer, président-directeur général du World Resources Institute (WRI)
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À l’horizon 2050, la nécessité d’une transition radicale
L’économie mondiale connaît une croissance continue. Si nous avons pu croire à une baisse
pendant la récession, nos prévisions indiquent une croissance du PIB mondial de 50 000 milliards de
dollars à 100 000 milliards de dollars entre 2010 et 2030. De très importantes pressions sont exercées
sur l’environnement naturel. En 1990, on comptait 1 milliard de personnes de la classe moyenne. En
2010, on en dénombrait 2 milliards. En 2030, elles atteindront les 5 milliards.
Par ailleurs, les tendances de consommation changent : les populations consomment plus de
viande, achètent davantage, notamment des véhicules. En 1990, on comptait 750 millions de
véhicules. On en dénombrait 1,5 milliard en 2010. Et nous devrions atteindre les 2,5 milliards de
véhicules en 2030. La planète continue donc d’afficher des taux de croissance stratosphériques.
En matière de tonnes de carbone émises par tête, la Chine dépasse la France qui est un des plus faibles
consommateurs de l’Union Européenne, et se situe bien entendu loin derrière les États-Unis.
À l’horizon 2050, une transition radicale devra s’imposer. Ainsi, les pays du monde devront
émettre en moyenne 2 tonnes de carbone, contre les 7,5 tonnes produites par la France actuellement.
La COP 21 de 2015 : la France au cœur de la transition écologique
La France se trouve au cœur même de la question de la transition écologique. En 2015, elle accueillera
une réunion qui consacrera une entente mondiale. Le gouvernement français travaille à la manière
d’amorcer ces changements. En septembre, à New York, Ban Ki-moon accueillera la réunion des chefs
d’États et des PDG des plus grandes entreprises mondiales. Il s’est d’ailleurs exprimé en ces termes :
« Vous, chefs d’États, je veux que vous veniez à New York pour parler du changement climatique. Il
ne s’agira pas de négocier une entente mais de convenir d’initiatives phares qui seront profitables, tant
à vos citoyens qu’à vos économies et qu’au climat. »
Quatre idées à mettre en œuvre dans l’optique des négociations de 2015
1. Tirer parti de la révolution énergétique.
Aujourd’hui, plus de 100 pays ont établi des objectifs en termes d’énergies renouvelables. En 2013,
300 milliards de dollars ont été investis dans les énergies renouvelables, (dont 50 milliards rien qu’en
Chine). Mais cela ne suffit pas.
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Le World Resources Institute est une organisation mondiale qui compte 500 collaborateurs en Chine, en Inde, au Mexique, au Brésil, en
Turquie, en Europe et à Washington DC. L’AFD est un partenaire à part entière duWRI
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Lorsque les gouvernements élaborent de bonnes politiques, ils stimulent les nouvelles technologies. En
matière de technologies d’atténuation, à mesure que les pays élaboraient une réglementation sur les
nouvelles technologies, des innovations ont vu le jour. Nous avons assisté à une révolution notamment
en ce qui concerne le prix du photovoltaïque qui a énormément baissé. En 1980, pour produire 1 watt
en photovoltaïque, on devait dépenser 24 dollars, contre 2 dollars aujourd’hui. Dans la plupart des
pays, il est devenu moins coûteux d’installer des solutions photovoltaïques ou éoliennes que des
solutions conventionnelles basées sur les énergies fossiles. Sans parler des avantages en termes de
réduction de la pollution et d’impacts sur la santé. Il n’y a donc aucune raison que cette révolution ne
continue pas à s’opérer.
Pourtant, aujourd’hui, tous les signaux pointent la mauvaise direction. Chaque année, les pays du
monde entier pensent 500 milliards de dollars pour encourager leurs populations à utiliser trop
d’énergies fossiles en les subventionnant. Ils payent les gens pour qu’ils consomment trop. Le FMI
vient de mener une étude : au regard des réels subsides annuels, on totalise environ 2 000 milliards de
dollars pour encourager la consommation d’énergies fossiles, alors qu’on ne dépense que 100 milliards
pour encourager les populations à privilégier les énergies renouvelables. L’effet est bien sûr contre-
productif.
2. Révolutionner l’organisation des villes.
Chaque jour, les populations urbaines augmentent de 200 000 personnes. Cette évolution
démographique est sans précédent. 65 % de la croissance mondiale provient des principales
métropoles du monde qui sont responsables d’environ 70 % des émissions de gaz à effet de serre.
10 % du PIB de la plupart des villes sont perdus en raison de congestion. 5 % du PIB est perdu en
raison des impacts sur la santé. À l’horizon 2050, l’avenir s’annonce préoccupant : les zones urbaines
auront triplé.
En Chine, à l’horizon 2025, on comptera 220 métropoles de plus d’1 million de personnes on en
compte aujourd’hui 35 en Europe. La question est donc de savoir comment cette croissance des
métropoles sera gérée. En Chine, un individu émet en moyenne 7,2 tonnes de carbone par an. La ville
de Beijing, très inefficace, émet des quantités de carbone plus importantes que la moyenne (10tCO
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).
À New York, les émissions moyennes sont de 5,9 tonnes. Les émissions de carbone new-yorkaises
sont donc inférieures à la moyenne chinoise. Ce qu’il faut comprendre, c’est que même dans un pays
extrêmement inefficace sur le plan énergétique comme les États-Unis (17.3tCO
2
), New York parvient
à n’émettre que 5,9 tonnes de CO
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par tête du fait de sa conception intelligente. Il s’agit en effet d’une
ville compacte dotée de bons transports publics, et pourvue de codes du bâtiment intéressants. Une
révolution urbaine est possible, il faut saisir cette opportunité.
3. Repenser la chaîne d’approvisionnement.
Depuis 15 ans, chaque minute de chaque jour qui passe, nous perdons, en termes de superficies de
forêt, l’équivalent de 50 terrains de football. L’agriculture tue les forêts, par exemple à travers les
déboisements effectués en Asie de l’Est pour exploiter l’huile de palme. Et comme la moitié des
produits de nos supermarchés en contiennent, ce sont nos comportements, notamment alimentaires,
qui engendrent ces déboisements massifs en Indonésie. Pour inverser cette tendance, des entreprises
comme Unilever, Nestlé ou Procter & Gamble se sont engagées à n’acheter de l’huile de palme que de
plantations n’impliquant pas de déboisements. Certains négociants d’envergure comme Wilmar se sont
engagés dans le même sens. Ces engagements sont rendus possibles parce qu’aujourd’hui, nous savons
qui est responsable de la disparition des forêts. Grâce à Google et à de nombreuses agences
internationales, y compris l’Agence spatiale française, nous avons mis au point un outil qui montre le
déboisement en temps réel, partout dans le monde. Il est ainsi possible d’identifier chaque entreprise
qui enfreint les règles en matière de déboisement et de production d’huile de palme. Le Big Data nous
donne la capacité d’évoluer vers une chaîne d’approvisionnement plus verte.
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