Cahier pédagogique Introduction Les musiques d’ailleurs À notre époque moderne, la majeure partie du monde est régie par des préceptes et des codes occidentaux qui furent écrits et dictés au cours de l’Histoire par les grandes puissances politiques, économiques et culturelles de ce monde. La musique en tant qu’art a également embrassé les aléas et évolutions des mœurs, des codes et des goûts artistiques en vigueur, à un moment donné, au sein des civilisations dans lesquelles elle s’est développée. Par conséquent, il est donc possible d’expliquer cette omniprésence à l’échelle mondiale de la musique dite « occidentale », qu’il s’agisse de son fragment savant ou de toutes ses ramifications populaires modernes. Toutefois, il serait déplorable de penser que notre vision occidentalisée de la musique, de sa pratique et de sa transmission, est universelle. Il existe en effet de très nombreuses musiques par-delà le monde qui ont su se préserver de l’impact et des influences occidentales afin de sauvegarder leur identité propre et leurs richesse culturelle. Cette préservation à toute forme d’instigation occidentale ne s’est pas effectuée de manière uniforme sur l’ensemble de ces musiques. Dans certains cas il s’agissait d’une volonté de faire perdurer une tradition, dans d’autres, la distance avec toute civilisation occidentalisée moderne était trop importante pour atteindre de manière significative une culture et ses pratiques. Cependant, nombre de ces musiques ont vu leur pratique décliner avec l’industrialisation et l’urbanisation du monde. Bien que cette évolution n’ait pas eu lieu pour tout le monde au même moment, certaines pratiques ont périclité drastiquement jusqu’à disparaître pour certaines. Par chance, dès la fin du XIXe siècle des musiciens et chercheurs vont commencer à s’intéresser en profondeur à ces musiques et à mener les premières recherches scientifiques en ethnomusicologie. Grâce à de telles études et aux différents mouvements de revivalisme culturel ayant eu lieu au long du XXe siècle, les musiciens, musicologues et les populations concernées ont pu prendre pleinement conscience de la valeur et de l’importance de ce patrimoine immatériel et mettre en place des mesures afin de le sauvegarder. Ces musiques, pour la plupart du temps associées à un pays, une région, une civilisation ou une ethnie, sont fréquemment qualifiées de « musique du monde ». Ce qualificatif, bien qu’il fasse désormais partie du vocabulaire commun, est toutefois à considérer avec quelques précautions. En effet, ce terme littéralement traduit de l’anglais « world music », outre son caractère très imprécis, renvoie de nos jours à une catégorie de musique pop occidentale aux embruns et accents empruntés à diverses cultures par-delà le monde. Malgré la profusion de termes visant à qualifier l’ensemble de ces musiques (musiques folkloriques, musiques ethniques, musiques exotiques, musiques traditionnelles, etc…), il est très difficile d’en trouver un apte à englober à lui seul la totalité de celles-ci. Le terme de « musiques d’ailleurs », bien que peu usité en ethnomusicologie, est parfaitement à même d’exprimer le caractère étranger à nos us et coutumes. Mais en fin de compte, quelles sont réellement ces musiques d’ailleurs ? Ce qu’il faut garder à l’esprit c’est « qu’ailleurs » n’est pas nécessairement loin. En effet, il n’est pas indispensable de parcourir des milliers de kilomètres pour découvrir de nouveaux instruments, de nouvelles sonorités ou de nouvelles pratiques musicales. Au sein même de l’Europe, il existe pléthore de musiques aux sonorités plus ou moins éloignées de celles que l’on peut être amené à entendre sur nos ondes radio. Citons par exemple il est possible de citer la musique traditionnelle irlandaise qui, sans être trop éloignée de nos codes musicaux, présente un lot de rythmes et de timbres que nous n’avons pas forcément l’habitude d’entendre à l’instar de la cornemuse irlandaise ou uilleann pipes. https://www.youtube.com/watch?v=dq3m_R3Lnu4 Lorsque l’on regarde du côté des pays de l’Est, il est également possible de trouver des instruments et styles musicaux bien éloignés des nôtres comme le bandura que l’on peut entendre dans la musique traditionnelle Ukrainienne. (https://www.youtube.com/watch?v=yYAQVzplFDo) Outre la barrière de la langue, plus nous allons nous éloigner de nos contrées européennes plus les musiques traditionnelles de tel ou tel pays vont sonner étrangement à nos oreilles. En effet, les éléments du langage musical vont être radicalement différents en fonction du lieu dans lequel une musique est pratiquée et c’est cette différence qui nous fait reconnaître et apprécier de manière plus ou moins rapide une musique de tradition différente de la nôtre. Ainsi une musique du monde arabe va pouvoir paraître relativement difficile d’accès à des auditeurs qui n’en ont pas l’habitude car ceux-ci n’en auront pas les codes. Ce genre de distance peut être ressenti avec ce chant marocain interprété par Hamid El Kasri et son ensemble de chanteurs et de percussions. (https://www.youtube.com/watch?v=E-v2Hu1vfEg). Si l’on se tourne vers l’Indonésie, les codes de la musique seront là aussi bien différents. On peut citer à titre d’exemple les ensembles de percussions métalliques balinais appelés gamelans. (https://www.youtube.com/watch?v=qIq8LNbYKT8). En voyageant un peu plus au Nord vers l’Asie c’est une fois de plus d’autres instruments et d’autres genres de langages musicaux qui vont nous attendre. Ainsi en Chine, il nous sera possible d’entendre des guzheng, grands instruments à cordes de la famille des cithares, jouer des mélodies traditionnelles. https://www.youtube.com/watch?v=zfgqHwBdsXw La musique est également présente au sein de populations et ethnies les plus retirées du reste du monde et bien souvent elle joue un rôle très important. C’est ainsi que, lors d’expéditions ou de campagnes de collecte, des ethnologues et ethnomusicologues ont pu enregistrer des chants indigènes qui malgré leurs apparences primitives se révèlent d’une grande complexité comme peut en témoigner cet enregistrement d’un chant de femmes de la tribu Baka, qui vit entre le Cameroun et le Gabon. https://www.youtube.com/watch?v=cATZe_jlc9g A défaut de se vouloir exhaustif, ce très bref panel d’exemples témoigne avec modestie de la variété, de la richesse des cultures et de leurs musiques par-delà le monde. Pour peu que l’on prenne le temps de s’y intéresser, l’abord de ces cultures par le prisme de la musique peut être tout à fait fascinant et bien souvent, tend à nous faire relativiser quant au rôle de la musique dans une société. En effet, pour beaucoup de peuples, la musique au-delà d’un simple aspect récréatif et artistique, revêt un rôle bien défini, comme cela put être le cas en Europe il y a quelques siècles. Qu’elle soit là pour célébrer des divinités, encourager le travail aux champs ou simplement célébrer la vie, la musique est omniprésente sur terre sous une multitude de formes et de genres. Il serait donc dommage de restreindre sa curiosité uniquement aux formes qui nous sont faciles d’accès. C’est dans cette démarche de découverte et d’ouverture que l’Opéra Orchestre national Montpellier propose ces concerts de musiques d’ailleurs. Musique Royale du Rajasthan Le palais des vents de Jaipur Le Rajasthan ou राज थाण en sanskrit, traduit littéralement par le pays des rois, est un état du nord de l’Inde ayant pour capitale Jaipur. Avec près de 70 millions d’habitants, il est le huitième état du pays en terme démographique. En revanche, il est le plus vaste de tous les états d’Inde avec 342239 kilomètres carrés. C’est un état à la culture très riche dont les traditions reflètent le mode de vie de l’Inde ancienne. A l’instar de tous les autres états, de nombreux dialectes sont parlés au Rajasthan. Cependant, c’est l’hindi, la langue officielle en Inde, qui en est le principal. La musique du Rajasthan La musique que vous allez entendre, qualifiée de musique royale du Rajasthan s’insère de manière précise dans le paysage musical indien qui est aussi riche que varié. En effet, en Inde la musique peut être divisée en deux principaux courants : la musique traditionnelle et la musique classique. Les deux possèdent un grand nombre de branches et de sous-genres qui, la plupart du temps, sont en rapport avec leur situation géographique. Pour ce concert, nous allons nous pencher sur le genre que les musicologues ont qualifié de « musique classique indienne ». Cette musique prend ses racines dans des textes anciens comme des manifestes sur l’hindouisme ou encore le Nâtya-shâstra, une œuvre encyclopédique en sanskrit sur les arts et leur performance. La musique classique possède deux éléments fondamentaux à savoir le raga et le tala. Le raga forme le matériau mélodique dans lequel le musicien pourra piocher afin de créer les mélodies. Ce terme sanskrit signifie littéralement "passion", "couleur" et "attachement". Selon Matanga (auteur du 5e siècle) : "le raga est un son particulier orné par des notes, des phénomènes et qui charme l'esprit des hommes." Pour être plus explicite, on pourrait dire qu'un raga est un thème précis sur lequel on peut improviser et que l'on retrouve tout au long de l'exécution d’une sous différentes formes. Les divers ragas sont chantés aux différentes heures de la journée selon le sens des compositions et en fonction des sentiments évoqués. Par exemple, dans une composition où il est dit que la bien-aimée n'arrive pas à dormir car son amant est avec une autre, le raga est du soir et ne peut-être chanté dans la journée. Toutefois, cette règle reste flexible. Chaque raga possède un climat qui lui est propre. Le tala est là pour mesurer le cycle de temps. Selon l’ethnomusicologue David Nelson : « Le tala dans la musique indienne couvre la totalité de la rythmique en musique ». Le tala est composé de matras, qui sont des unités rythmiques (ou de temps). Chaque tala possède une structure propre, organisée avec des temps plus ou moins forts et faibles. Le premier temps (appelé sam) est le plus important. Viennent ensuite le ou les tali, et le ou les khali qui se caractérisent par la présence ou l'absence de clappement de mains. Un temps vide, que « l'on offre aux dieux », permet aux musiciens de se repérer dans un cycle long, permettant ainsi la préparation des improvisations et des compositions démarrant autour du sam. On peut donc avoir des tâlas qui ont le même nombre de temps mais pas la même structure. Il faut se représenter le tâla comme un mode rythmique, avec la manière de s'en servir, infiniment plus riche que les rythmes occidentaux. Plusieurs centaines de tâlas ont été expérimentés au cours des siècles. De nos jours, seulement quelques dizaines sont régulièrement utilisés. Les talas de la musique indienne ne sont pas les mêmes du Nord au Sud. La différenciation entre le Nord et le Sud est très importante. En effet, la musique indienne possède des caractéristiques propres aux régions dans laquelle elle est pratiquée. Dans le cadre de la musique classique indienne, la différenciation se fait entre la partie Nord et la partie Sud du pays. Au Sud, on parle de musique carnatique. Cette musique met l’accent sur la structure et l’improvisation. Cette tradition musicale est très ancienne et découle de la religion et du théâtre. Si de nombreuses compositions sont en sanskrit, il en existe également dans d’autres langues. Au Nord on parle de musique hindoustanie. Cette musique est également pratiquée au Népal, au Pakistan et en Afghanistan. Elle se différence de la musique carnatique par des influences de la musique persane. Si elle possède des similitudes avec sa cousine du Sud, certaines de leurs différences sont telles que les musiciens de ces deux cultures ne se rencontrent jamais et ne jouent jamais ensemble. Cette musique qui développe l’expression, le sentiment et le charme a rapidement quitté les temples pour devenir une musique de cour. Afin de plaire aux rajahs, les monarques d’Inde, les musiciens se sont de plus en plus concentrés sur des histoires humaines et émotionnelles chantées avec des mélismes et autres arabesques inégalées. Certaines de ces compositions durent plusieurs heures. Ce sont des œuvres issues de cette branche royale de la musique indienne que vous allez avoir la chance d’écouter lors de votre venue à l’opéra. La déesse indienne Saraswathi jouant de la veena Les principaux instruments de musique Dans la musique hindoustanie, les deux principaux instruments sont le sitar et le tabla. Le sitar est l’instrument le plus emblématique de la musique indienne notamment grâce à la renommée mondiale d’un de ses plus grands musiciens : Ravi Shankar. C’est un luth à manche long composé d’une caisse de résonnance en gourde et d’un large manche creux. Les sitars communs possèdent une vingtaine de cordes : 4 cordes de jeux, 3 cordes de bourdon rythmique et 13 cordes sympathiques accordées selon les notes du raga. Cet instrument au son si particulier se joue assis par terre en tailleur. Les cordes sont pincées à l’aide d’un onglet de métal, le mezrab, fixé sur l’index droit du musicien. Ravi Shakar et son sitar Le tabla quant à lui est un instrument percussif également caractéristique de la musique du Nord de l’Inde. On peut également le retrouver au Népal au Bangladesh, au Pakistan et en Afghanistan. Il se présente sous la forme d’une paire de fûts. Le premier, positionné à droite, s’appelle le dayan. C’est un petit tonneau taillé dans un tronc et surmonté de deux peaux de chèvre et de chameaux. Il est en charge de produire les divers sons aigus. Le tambour de gauche quant à lui s’appelle le bayan. C’est une timbale soit en terre cuite, soit en metal surmontée des mêmes peaux que le dayan. Il sert à jouer les sons graves de la musique hindoustanie. A l’instar du sitar on joue assis en tailleur avec les deux tambours posés sur des petits coussins. En fonction de la région dans laquelle on se trouve on peut recenser différentes écoles de jeu. La période d’apprentissage est très longue et se fait à l’aide d‘onomatopées désignant les diverses techniques de frappe. Un joueur de tabla en position de jeu Amanat Ali Kawa Amanat Ali Kawa descend d’une vieille lignée de musiciens classiques de l’Inde du Nord. Son arrière-grand-père, Ustad Molla Bakha Daosi, était l’un des chanteurs de dhrupad (style ancien de musique classique) les plus célèbrés de son temps. Il était aussi le professeur de musique de la famille royale de Jaïpur. Son père fut l’élève du mythique chanteur et théoricien de la musique Ustad Amir Khan, avant de devenir chanteur à la All India Radio de Delhi puis d’enseigner aux Etats-Unis et aux PaysBas. Son père, le vieux maître de chant classique hindoustani Kawa Sahb, le destinait à être médecin ou ingénieur. « Depuis ma plus petite enfance mon père m’a appris la musique. Je l’entendais chanter et mes grands frères jouaient avec lui. C’est dans mon sang. Je voulais vraiment que ma vie soit avec la musique ». C’est donc la musique qu’Amanat Ali étudia, avant de sortir major de sa promotion en 1998, à l’Université de Jaïpur au Rajasthan. Il acquit ainsi une connaissance théorique qui vint parfaitement compléter sa formation traditionnelle de musicien. Et c’est en compagnie de ses frères et cousins qu’Amanat Ali Kawa joue au sein de Badeli. Leur répertoire est essentiellement issu du vaste répertoire famillial. Leurs prestations commencent souvent par des bhajans (chansons mystiques et philosophiques hindoues) ou des Ragas. Amanat Ali Kawa et son groupe ont fait plusieurs tournées européennes qui les ont menés en Allemagne, en Suisse, au Benelux, aux Canaries (Womad Festival de Las Palmas) et en France (Festival d’Hivers Addim 26, Soleil Bleu à Nantes, Festival de Voix de Gebwiller, à Lilles en 2006, au Satellit Café de Paris…) Badeli a également participé à la création du spectacle « Règlements de Conte » du rappeur Kwa. Cahier pédagogique élaboré par le service jeune public, enseignement supérieur et actions culturelle de l’Opéra et Orchestre nation de Montpellier Occitanie Pyrénées-Méditerranée. Tous droits réservés, diffusion gratuite à usage pédagogique. Equipe Marie Antunes Responsable Florence Thiéry, Aurelio Croci Assistants Tom Garcia Médiateur culturel Contact 04 67 60 1971 04 67 60 02 81 Standard : 04 67 60 19 99 [email protected] En savoir plus Des détails sur l’ensemble des actions de sensibilisation et la programmation des concerts éducatifs sont disponibles sur le site internet de l’Opéra Orchestre à la rubrique Petits et Grands www.opera-orchestre-montpellier.fr