Master Rôle et statut de l'enseignant dans les discussions à visée philosophique en classe : singularités et spécificités WITSCHARD, Sandrine Abstract Dans ce mémoire, je m’intéresse au rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue philosophique ainsi qu’aux idéaux théoriques et pédagogiques que proposent quatre pédagogues issus d’écoles de pensée reconnues dans ce champ comme ayant des finalités différentes: Anne Lalanne, Michel Tozzi, Jacques Lévine et Mathiew Lipman. Au-delà de ces approches théoriques, ma recherche qualitative se base à partir de 6 entretiens semi-directifs avec des enseignants de l’école primaire du canton de Genève, ces derniers pratiquant très régulièrement la discussion philosophique en classe. Ces entretiens se fondent à partir d'une situation problématique complexe vécue moi-même, qui les incitent à se questioner sur leur rôle dans cette pratique. Je cherche donc à savoir à travers leur pratique déclarée quel est leur rôle et la manière dont ils l'endossent en classe... Reference WITSCHARD, Sandrine. Rôle et statut de l'enseignant dans les discussions à visée philosophique en classe : singularités et spécificités. Maîtrise : Univ. Genève, 2016 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88654 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. Rôle et statut de l’enseignant dans les discussions à visée philosophique en classe : singularités et spécificités MÉMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA MAITRISE EN ENSEIGNEMENT PRIMAIRE PAR Sandrine Witschard DIRECTRICE DU MÉMOIRE Andreea Capitanescu Benetti JURY Manuel Perrenoud Claire Henriett Descloux Katja De Carlo GENEVE, août 2016 UNIVERSITE DE GENEVE INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FORMATION DES ENSEIGNANTS RESUME Dans ce mémoire, je m’intéresse au rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue philosophique ainsi qu’aux idéaux théoriques et pédagogiques que proposent quatre pédagogues issus d’écoles de pensée reconnues dans ce champ comme ayant des finalités différentes: Anne Lalanne, Michel Tozzi, Jacques Lévine et Mathiew Lipman. Au-delà de ces approches théoriques, ma recherche qualitative se base à partir de 6 entretiens semi-directifs avec des enseignants de l’école primaire du canton de Genève, ces derniers pratiquant très régulièrement la discussion philosophique en classe. Ces entretiens se fondent à partir d'une situation problématique complexe vécue moi-même, qui les incitent à se questioner sur leur rôle dans cette pratique. Je cherche donc à savoir à travers leur pratique déclarée quel est leur rôle et la manière dont ils l'endossent en classe. Dans une démarche de théorie fondée, je relève et j'analyse par induction croisée les variations et régularités dans leurs pratiques. Cette recherche essaie d’identifier, les spécificités des diverses facette dans le rôle qu’endosse l’enseignant dans sa gestion des dialogues philosophiques. 2 Remerciements Avant de commencer, je souhaite adresser tous mes remerciements aux personnes qui m’ont aidée à réaliser ce mémoire de recherche : Ma directrice de mémoire, Andreea Capitanescu Benetti, pour tout son soutien, sa disponibilité, ses précieux conseils, son guidage et accompagnement tout au long de l’accomplissement de ce travail de mémoire ; Mes premiers lecteurs et membres du jury, Claire Henriett Descloux, Katja De Carlo et Manuel Perrenoud pour leur lecture passionnée ; Mes collègues et amies Emmanuelle Coutier, Daniela Sauca et Valérie Daems pour leurs lectures et corrections sérieuses ; Mes enseignants et collègues ayant accepté de partager leur pratique avec moi et sans qui ce mémoire n’aurait pas pu être réalisé ; Ma famille, pour son soutien, sa confiance et ses encouragements tout au long de mes études ; Mes amis et mon entourage pour leur écoute et leurs nombreux encouragements Enfin, je tiens à exprimer ma gratitude aux personnes qui, de près ou de loin, ont contribué à l’élaboration de ce mémoire. 3 Table des matières I. INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 6 1.1 CHOIX DU SUJET ............................................................................................................................................ 6 1.2 QUESTIONS DE DÉPART .................................................................................................................................. 7 1.3 STRUCTURE DU MÉMOIRE .............................................................................................................................. 9 II. CONTEXTE DE RECHERCHE ............................................................................................................. 10 2.1 ANCRAGE INSTITUTIONNEL : LA PHILOSOPHIE DANS LE PLAN D’ÉTUDES ROMAND ...................................... 10 2.2 REVUE DE LA LITTÉRATURE, LA PHILOSOPHIE À L’ÉCOLE SELON QUATRE COURANTS.................................. 15 2.2.1 Les ateliers philosophiques selon Anne Lalanne ................................................................................ 15 2.2.2 Les Ateliers de Réflexion sur la Condition Humaine – ARCH– de Jacques Lévine ............................ 19 2.2.3 Les discussions à visée philosophique et démocratique de Tozzi ........................................................ 23 2.2.4 La philosophie pour enfants de Matthew Lipman ............................................................................... 26 2.3 CADRE CONCEPTUEL.................................................................................................................................... 30 2.3.1 Caractéristiques, spécificités et singularités du rôle de l’enseignant des quatre courants ............... 30 2.3.2 Philosophie et enfants, quels liens ? .................................................................................................... 37 2.3.3 Conversation, discussion, débat ou dialogue philosophique? ............................................................. 38 III. PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE .................................................................... 42 3.1 MON EXPÉRIENCE D'ENSEIGNANTE AVEC MES ÉLÈVES ................................................................................. 42 3.1.1 Situation problématisante .................................................................................................................... 44 3.2 PROBLÉMATIQUE ......................................................................................................................................... 46 3.3 QUESTIONS DE RECHERCHE ......................................................................................................................... 48 IV. MÉTHODOLOGIE ................................................................................................................................ 49 4.1 DÉMARCHE DE RECHERCHE ......................................................................................................................... 49 4.2 INSTRUMENT DE RECUEIL DE DONNÉES : LA GRILLE D’ENTRETIEN ............................................................... 51 4.3 CHOIX DE L’ÉCHANTILLON D’ÉTUDE ........................................................................................................... 52 4.4 CONDUITE D’ENTRETIENS ............................................................................................................................ 53 4.5 PRÉSENTATION DE L'ÉCHANTILLON DE L'ÉTUDE .......................................................................................... 54 4.6 LA FABRICATION DE LA THÉORIE, DÉMARCHES D’ANALYSE ........................................................................ 55 V. PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS ...................................................................... 57 5.1 RESTITUTION DES DONNÉES ......................................................................................................................... 57 5.2 LES ENJEUX DE L’ANIMATION DES DISCUSSIONS À VISÉE PHILOSOPHIQUE EN CLASSE................................ 117 5.2.1 L’importance de la parole de l’élève à l’école : un changement ?.................................................... 117 5.2.2 Dialogue philosophique et contrat didactique, pédagogique et social un renversement ? ............... 122 5.2.3 Faut-il tout institutionnaliser ? ......................................................................................................... 125 5.2.4 Philosophie en classe et socialisation, un inévitable ? ...................................................................... 129 5.2.5 Une construction de pensée commune et/ou individuelle ? ............................................................... 132 5.2.6 Quels changements observer dans le rôle du maître ? ...................................................................... 134 5.3 RETOUR SUR LA SITUATION PROBLÉMATISANTE, LA SAGESSE DES SIX ! .................................................... 145 5.4 TO DO & NOT TO DO................................................................................................................................... 148 VI. CONCLUSION : UN ENSEIGNANT PERPÉTUELLEMENT EN QUÊTE DANS LA CONSTRUCTION DE LA PENSÉE DE L’ÉLÈVE .................................................................................. 149 4 6.1 ENSEIGNANT ET PRATIQUE DE LA PHILOSOPHIE : UN CHANGEMENT DE RÔLE CERTAIN DU MÉTIER D’ÉLÈVE ET DE L’ENSEIGNANT ............................................................................................................................................ 150 6.2 LIMITES DE LA RECHERCHE........................................................................................................................ 152 6.3 PERSPECTIVES ........................................................................................................................................... 152 6.4 CHEMINEMENT PERSONNEL ....................................................................................................................... 153 VII. BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 155 COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE .................................................................................................................... 158 VIII. ANNEXES.......................................................................................................................................... 159 GRILLE D’ENTRETIEN ...................................................................................................................................... 160 SITUATION PROBLÉMATISANTE ....................................................................................................................... 161 ENTRETIEN D’ALINE ........................................................................................................................................ 165 ENTRETIEN DE BRIGITTE ................................................................................................................................. 179 ENTRETIEN DE CHLOÉ ..................................................................................................................................... 199 ENTRETIEN DE DAVID ..................................................................................................................................... 215 ENTRETIEN D’ELÉONORE ................................................................................................................................ 230 ENTRETIEN DE FABIENNE ................................................................................................................................ 243 AFFICHES UTILISÉES PAR ALINE EN CLASSE .................................................................................................... 263 SITUATION PROBLÉMATISANTE COMMENTÉE ET ANALYSÉE EN FIN DE RECHERCHE......................................... 266 5 I. Introduction 1.1 Choix du sujet Les sources de motivation m’ayant poussée à réaliser ce mémoire sont multiples. J’en présenterai particulièrement une se trouvant du côté de mon parcours de formation universitaire et plus précisément d’une expérience vécue lors d’un stage. Je suis actuellement étudiante et enseignante à l’école primaire publique genevoise. Il y a deux ans, ma formation m’a permis de faire un stage pour le module « Didactiques » dans une école de campagne. Durant ce stage, mon formateur m’a fait participer aux moments de philosophie qu’il proposait à ses élèves dans la semaine. Mon formateur de terrain de l'époque, qui est mon collègue aujourd’hui, m'a fait découvrir la philosophie pour enfant. De premier abord, j'ai tout de suite trouvé cette pratique intéressante. Les élèves étaient en cercle, lisaient une fable tirée des Philofables de Michel Piquemal, se questionnaient et l'enseignant les laissait parler. Il intervenait parfois pour réorienter la discussion. J'ai remarqué, lors de l'observation de ces moments de philosophie, que les élèves faisaient preuve d’une capacité de réflexion et d’une maturité étonnante sur des grandes questions de la vie. Intriguée et enthousiasmée par le caractère très « école de vie » que pouvaient représenter ces moments de discussion, je n’ai pas hésité, lors de ma première année d’enseignement, à me lancer dans la pratique du dialogue philosophique avec mes élèves. Aujourd'hui, j'ai l'opportunité, en parallèle à la rédaction de ce mémoire, d'être enseignante dans cette même école de campagne et d’avoir en plus les mêmes élèves que ceux rencontrés deux ans plus tôt. Depuis le début de l’année scolaire, j'ai tenté de les accompagner au mieux dans leurs réflexions. J’ai rencontré dès le début des difficultés à gérer mon rôle d'enseignante-animatrice dans ces moments de dialogues philosophiques et je me questionne sur ce point en particulier. Mes motivations à effectuer une recherche sur le sujet se situent aussi du côté de mon choix professionnel et personnel. Bien que l’école se veuille de plus en plus cadrée par des demandes institutionnelles et laisse finalement moins de liberté et de possibilités aux élèves de pouvoir exprimer, entre autres, leur créativité, paradoxalement, l’école change et les normes sociales aussi. Loin des bancs en bois alignés et du maître sur son estrade, loin du silence de plomb des élèves contre la parole d’or du maître, l’école actuelle, ne cesse d’évoluer. La paro6 le de l’élève prend davantage de place et « […] sans doutes y a-t-il une réelle évolution du statut de la parole de l’élève en classe » (Perrenoud, l’Educateur, 2013, p.1). La pratique du dialogue philosophique en classe possède un statut particulier et laisse cette place à la parole des enfants que je trouve primordiale malgré les difficultés que peut rencontrer l’enseignant. Comme le dit Perrenoud dans le même article : […] hors de sa discipline, le professeur n’est pas toujours informé, il ne maîtrise pas tous les savoirs en jeu, qui relèvent de plusieurs disciplines, et il sait que, quoi qu’il dise, il s’expose à la critique, au reproche d’être simpliste ou partisan. (Perrenoud, l’Educateur, 2013, p.3). Etant donné que la pratique du dialogue philosophique me touche beaucoup pour de nombreuses raisons, j’ai décidé de me lancer dans la pratique de ce dialogue avec mes élèves et je me rends compte des particularités qu’elle représente. Par le biais de ce mémoire de master, je tenterai de non seulement de trouver des réponses à mon questionnement personnel et professionnel, mais aussi d’apporter à toute personne s’intéressant au rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue philosophique,dans les dispositifs pédagogiques prévus à cet effet des réponses permettant d’affiner et préciser ce rôle et les compétences attendues. Bien que les objectifs soient clairs, les moyens le sont beaucoup moins. Mon travail a donc pour objectif de questionner les singularités et spécificités de la place et donc du rôle de l’enseignant lors du dialogue philosophique, dans un deuxième temps, de mettre en lumière quelques pistes quant à l’exercice de cette nouvelle pratique professionnelle. 1.2 Questions de départ La philosophie pour enfant s’étend au niveau mondial et se pratique actuellement dans près de soixante pays. L’UNESCO soutient l’enseignement de la philosophie pour enfant comme recommandation première de développement. En permettant aux enfants et aux adolescents de s’exprimer sur des sujets sensibles et complexes, elle développe l’estime de soi et peut contribuer à une meilleure adaptation scolaire et sociale. Comme le qualifie Yersu Kim, Directeur, Division de la Philosophie et de l’Ethique, UNESCO, 1999 : Au-delà de toute participation d’ordre médiatique à une nouvelle vogue, l’intérêt de la 7 philosophie pour les enfants rentre dans les préoccupations fondamentales de l’UNESCO. En vue de la promotion d’une Culture de la Paix, de la lutte contre la violence, d’une éducation visant l’éradication de la pauvreté et le développement durable, le fait que les enfants acquièrent très jeunes l’esprit critique, l’autonomie à la réflexion et le jugement par euxmêmes, les assure contre la manipulation de tous ordres et les prépare à prendre en main leur propre destin.1 La prise en compte de cette pratique par cette institution de renommée mondiale me conforte dans mon choix de travailler celle-ci avec mes élèves. J'ai également envie d'approfondir les questions que relève la pratique de la philosophie en classe avec les enfants. En Suisse et depuis plusieurs années, cette pratique se multiplie dans les écoles. Il y a de plus en plus de stimulation et d’incitation à mettre les élèves dans une posture réflexive. Le plan d’études romand, la littérature enfantine et les éditions diverses (Les goûters philo, Philofables, les feuilletons d’Hermès, etc.), les articles scientifiques, les ouvrages, les journaux professionnels comme l’Educateur, les cahiers pédagogiques ou encore les cours proposés aux enfants (par des associations) sur la philosophie, mettent en avant la promotion de cette pratique et posent le problème de comment faire penser l’élève. Il pourrait être intéressant de mener une recherche sur le rôle qu’endossent les enseignants lors de la pratique du dialogue philosophique et les différences qu’ils font avec leur rôle plus traditionnel dans les domaines disciplinaires. En effet, les enseignants pratiquant la philosophie en classe auraient un rôle et un statut différent que celui habituellement exercé. Est-il si différent et jusqu’où ? J’ai souhaité interroger des enseignants pratiquant le dialogue en classe et possédant quelques années d’expérience sur la particularité de ce rôle et sur les démarches adoptées : Quelles sont les pratiques de classe réelles ? J’ai pensé qu’il serait intéressant de se pencher sur leur manière d’aborder la question de leur rôle, tout en prenant en compte leur expérience en tant qu’enseignants mais aussi leur expérience dans l’exercice des dialogues philosophiques. J’ai pensé qu’il serait également pertinent de s’attarder sur ce lien entre ce qu'on nomme « discussion à visée philosophique » et la manière dont les enseignants la proposent en classe. Comment se place l'enseignant lors de ces moments de discussion ? Comment pense-t-il ces moments ? A quels degrés intervient l'enseignant lors des discussions ? Formalise-t-il ? Institutionnalise-t-il quelque chose et comment ? Quelles compétences doit-il avoir pour 1 Consulté le 10 août dans le site de https://philoenfant.org/ce-que-lunesco-en-pense/ 8 savoir animer une discussion à visée philosophique ? Quels sont les critères que les enseignants se donnent pour pouvoir affirmer que leurs élèves font bien de la philosophie en classe ? Différentes écoles de pensées proposent leur manière de concevoir la pratique de la philosophie avec les enfants. Je souhaite explorer leurs particularités et les mettre en contraste. Cette diversité de courants amène à interroger la question de la pratique de la philosophie comme un sujet actuel et présent dans les classes. Ces différentes écoles de philosophie, avec leur méthode particulière, conçoivent le rôle de l'enseignant de diverses manières. Finalement, qu'est-il réellement fait dans les classes? 1.3 Structure du mémoire Ce travail de mémoire se structure en plusieurs parties. Dans la première partie, une introduction présentera mon choix du sujet et ma question de départ. Dans la deuxième partie, vous trouverez le contexte de recherche, proposant un ancrage institutionnel en rapport avec le plan d’études romand ; une revue de littérature présentant des pédagogues travaillant sur la philosophie pour enfants et un cadre conceptuel élaboré autour de ces pédagogues, pointant quelques aspects plus précis du rôle de l’enseignant dans cette pratique. La troisième partie est dédiée à la problématique et aux questions de recherche dans laquelle vous trouverez quelques mots sur mon expérience d’enseignante avec mes élèves, ma problématique et mes questions de recherche. La méthodologie fait partie de la quatrième partie de ce travail et regroupe ma démarche de recherche, les instruments de recueil de sonnées utilisés, le choix de l’échantillon d’étude, la conduite des entretiens, la présentation de l’échantillon d’étude et quelques aspects lié à la manière dont les données ont été analysées. La cinquième partie présente les résultats en commençant par la restitution des données, puis par la mise en avant de thèmes relevant les enjeux de l’animation des discussions à visée philosophique. Un retour sur ma situation problématisant et des pistes se trouveront en fin de chapitre. La sixième partie est relative à la conclusion de ce mémoire. La bibliographie fait partie du septième chapitre et les annexes du huitième. 9 II. Contexte de recherche 2.1 Ancrage institutionnel : la philosophie dans le plan d’études romand Nous pouvons affirmer que la philosophie en tant que telle n'est pas explicitement présente dans le plan d'études romand (PER). Bien qu'il ne s'agisse pas d'une discipline à part entière j'entends par discipline: un cours institutionnalisé, ayant des heures officiellement allouées au programme - nous pouvons être amenés à nous questionner sur la place et l'existence de la philosophie à l'école. Faisons-nous vraiment de la philosophie à certains moments précis, tout le temps, dans le meilleur des cas, ou alors jamais ? Bien que la philosophie ne soit pas une entrée telle quelle dans le plan d'études, elle peut toutefois s’inscrire dans des matières disciplinaires et transversales du PER. Le plan d’études propose trois entrées indissociables qui sont : la formation générale, les domaines disciplinaires et les capacités transversales ; s’inscrivant dans un cadre évolutif. Au regard de ces trois entrées, nous pouvons remarquer que si la pratique du dialogue philosophique n’est pas une discipline en soi, elle peut être riche d’objectifs et s’inscrire dans de nombreux domaines. En effet, selon les courants et selon l’utilisation et les attentes que peuvent avoir les enseignants, la philosophie peut s’inscrire dans des objectifs totalement différents ou complémentaires. Je vais présenter ci-dessous, de manière synthétique, les trois entrées du plan d’études romand de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) (2016)2, dans lesquelles peut s’inscrire la pratique du dialogue philosophique. Observons de plus près la place qu’elle peut occuper dans le projet global de formation de l’élève. Première entrée : les capacités transversales pouvant être développées par la pratique du dialogue philosophique Les capacités transversales sont décomposées en cinq champs décrits ci-dessous. Elles représentent des aptitudes fondamentales qui traversent autant le domaine des apprentissages que 2 Consulté le 10 août dans le site de https://www.plandetudes.ch/per 10 l’ensemble de la scolarité. Les deux premières capacités sont d’ordre social et les trois dernières d’ordre individuel. La Collaboration « La capacité à collaborer est axée sur le développement de l'esprit coopératif et sur la construction d'habiletés nécessaires pour réaliser des travaux en équipe et mener des projets collectifs. » La Communication « La capacité à communiquer est axée sur la mobilisation des informations et des ressources permettant de s'exprimer à l'aide de divers types de langages, en tenant compte du contexte. » Les Stratégies d'apprentissage « La capacité à développer des stratégies renvoie à la capacité d'analyser, de gérer et d'améliorer ses démarches d'apprentissage ainsi que des projets en se donnant des méthodes de travail efficaces. » La Pensée créatrice « La capacité à développer une pensée créatrice est axée sur le développement de l'inventivité et de la fantaisie, de même que sur l'imagination et la flexibilité dans la manière d'aborder toute situation. » La Démarche réflexive « La capacité à développer une démarche réflexive permet de prendre du recul sur les faits et les informations, tout autant que sur ses propres actions ; elle contribue au développement du sens critique. » A la lecture de cette présentation des capacités transversales proposées par le plan d’études romand, nous pouvons nous rendre compte de l’importance accordée au développement de celles-ci. En effet, comme il l’est indiqué, « […] l’enseignant est appelé à favoriser le plus souvent possible […] » ces capacités transversales. Or, si aucune piste d’activité concrète n’est proposée, l’enseignant doit pouvoir permettre aux élèves de les exercer à travers les différentes activités proposées en classe. La philosophie prend ici toute sa place, car elle entraîne la plupart des capacités transversales. 11 Deuxième entrée : les domaines disciplinaires Dans cette entrée, cinq domaines sont présentés : les langues, mathématiques et sciences de la nature, sciences humaines et sociales, arts et finalement corps et mouvement. Bien que la philosophie se rallie à différents objectifs de chaque domaine, je mettrai ici en avant les caractéristiques et orientations principales de trois des domaines. Je donnerai également pour chacun un exemple d’objectif plus concret dans lequel elle peut s’inscrire. Visées prioritaires du domaine des langues : « Maîtriser la lecture et l'écriture et développer la capacité de comprendre et de s'exprimer à l'oral et à l'écrit en français. Découvrir les mécanismes de la langue et de la communication. Développer des compétences de communication opérationnelles dans plusieurs langues. Construire des références culturelles et utiliser les médias, l'image et les technologies de l'information et de la communication.». La philosophie est un outil au service de la langue, permettant le travail de l'oralité. Mise en avant seulement durant les années 80, l'oralité s'est faite une place dans les programmes d'enseignement en tant qu'objet d'apprentissage. Nous retrouvons une grande importance 12 accordée aux dimensions discursives: structure de l'interaction et effet argumentatif d'expression. Exemple : Cycle I, français, L1 13-14 — Comprendre et Cycle II, français, L1 24 — Produire des textes produire des textes oraux d'usage familier et sco- oraux variés propres à des situations de la vie laire… courante… Le texte qui argumente : 1ère -2e : Le texte qui argumente : 7e -8e : respect des règles convenues (prise de parole, divergence des avis,…), écoute de l'avis des autres, formulation de la pensée : émettre une opinion et utiliser l'organisateur parce que respect des rituels et des règles de fonctionnement du débat (tour de parole, écoute,…), recherche d'informations sur le thème de la discussion, distinction entre une opinion et un constat, participation à un débat simple en fonction du thème choisi, en utilisant les arguments élaborés et en respectant le déroulement défini (règles de fonctionnement) … Visée prioritaires du domaine des mathématiques et sciences de la nature : « Se représenter, problématiser et modéliser des situations et résoudre des problèmes en construisant et en mobilisant des notions, des concepts, des démarches et des raisonnements propres aux Mathématiques et aux Sciences de la nature dans les champs des phénomènes naturels et techniques, du vivant et de l'environnement, ainsi que des nombres et de l'espace ». Exemple : Cycle I, Sciences de la nature, MSN 16 — Ex- Cycle II, sciences de la nature, MSN 26 — Explo- plorer des phénomènes naturels et des technolo- rer des phénomènes naturels et des technologies à gies… l'aide de démarches caractéristiques des sciences expérimentales… Initiation à la démarche scientifique : ère e 7e-8e 1 -2 : Formulation de questions et d'hypothèses au sujet d'une problématique (oralement ou par écrit: dessins ou schémas intuitifs, légendes,…) Développement de la démarche scientifique: 13 Formulation de quelques questions et hypothèses au sujet d'une problématique Évaluation de leur pertinence (prennent-elles en compte les éléments de la situation problématique?) Visée prioritaires du domaine des sciences humaines et sociales : « Découvrir des cultures et des modes de pensée différents à travers l'espace et le temps; identifier et analyser le système de relation qui unit chaque individu et chaque groupe social au monde et aux autres. Développer des compétences civiques et culturelles qui conduisent à exercer une citoyenneté active et responsable par la compréhension de la façon dont les sociétés se sont organisées et ont organisé leur espace, leur milieu, à différents moments. » Exemple : Cycle I, Histoire, SHS 12 — Se situer dans son Cycle II, Histoire, SHS 22 — Identifier la maniè- contexte temporel et social… re dont les Hommes ont organisé leur vie collective à travers le temps, ici et ailleurs (Se) questionner et analyser (mythes et réalité), (Se) questionner et analyser : 1ère-4e 5e -8e Écoute de récits historiques, de mythes, de légendes Discussion à propos des éléments réels et des éléments imaginaires Distinction entre fiction (récit, mythe, légende,…) et réalité Questionnement sur l'authenticité des événements et des personnages, la véracité des reconstitutions Mise en évidence de représentations erronées et « idées reçues » concernant les périodes historiques Troisième entrée : la formation générale : La formation générale est la troisième entrée du plan d’études et englobe des objectifs qui sont plus larges que ceux présentés dans les domaines disciplinaires. En effet, le plan d’études affirme que la transmission des valeurs éducatives, prioritairement prise en charge par la famille, fait aussi partie aussi des missions de l’Ecole qui doit seconder les parents dans l’éducation des enfants. Ainsi, dans formation générale nous retrouvons des objectifs ayant pour but de former des futurs citoyens à « la complexité du monde » tout en leur apprenant à construire des arguments et à débattre. Visée prioritaires de la formation générale : « Développer la connaissance de soi sur les plans physique, intellectuel, affectif et social pour agir et opérer des choix personnels. Prendre conscience des diverses communautés et développer une attitude d'ouverture aux autres et sa responsabilité citoyenne. Prendre conscience de la complexité et des interdépendances et développer une attitude responsable et active en vue d'un développement durable. » 14 Cycle I et Cycle II, Vivre ensemble et exercice de la démocratie, FG 25 — Reconnaître l'altérité et développer le respect mutuel dans la communauté scolaire… Identification et échanges autour des différentes appartenances Discussion et débat (notamment par une mise en évidence des enjeux de la situation traitée) dans les limites imposées par le cadre scolaire Échanges sur les différences et les similitudes entre les élèves pour favoriser la construction d'un groupe classe permettant à chacun de trouver sa place 2.2 Revue de la littérature, la philosophie à l’école selon quatre courants Dans cette revue de littérature, je vais procéder à l’observation de théories sur deux pans. En m’appuyant sur les recherches et pratiques de quatre pédagogues, j’exposerai les buts de la discussion à visée philosophique selon leur regard. Dans un deuxième temps, en utilisant toujours les propos de ces quatre pédagogues, je me pencherai plus précisément sur la pratique spécifique des enseignants dans ce dispositif. Pourquoi et comment fait-on de la philosophie à l'école ? Je vais présenter ci-dessous quelques éléments mis en avant par quatre courants (Lévine, Lalanne, Tozzi et Lipman). Je montrerai les objectifs poursuivis par ces auteurs, leurs ancrages théoriques, les dispositifs mis en œuvre tout en relevant les critiques adressées à chacun d’eux par d’autres professionnels. 2.2.1 Les ateliers philosophiques selon Anne Lalanne Ancrage Anne Lalanne, après avoir été professeure et formatrice, a suivi pendant plusieurs années, dans le cadre d’une recherche, un groupe d’enfants participant à ses ateliers de philosophie en classe. Aujourd’hui formatrice à l’IUFM de Montpellier, elle a publié quelques ouvrages sur sa conception de la philosophie avec les enfants. Pour elle, la philosophie ne résonne pas avec éducation à la citoyenneté ou encore débat. Elle s’inscrit dans un courant philosophique et met l’accent sur l’importance de la conceptualisa15 tion des idées. Elle considère que les ateliers sont des moments permettant aux élèves de pouvoir faire usage de leur pensée et de mettre des mots sur leurs raisonnements. Si la mode actuelle est centrée sur les rencontres en café-philo que nous pouvons retrouver dans plusieurs grandes villes, Lalanne insiste sur le côté pédagogique et non simplement diversifiant que possèdent les ateliers philosophiques qu’elle entreprend en classe. Le travail sur la langue et la pensée permet d’ordonner les idées tirées des expériences des élèves et ceci afin de donner du sens aux conceptualisations. Ainsi, selon elle, les élèves posséderaient un meilleur bagage pour faire des distinctions, ce qui leur permettrait de mieux fonder leur argumentation de manière générale. Mais qu’entend-elle par « atelier de philosophie » ? Le terme « atelier » est, pour elle, une pratique qui permet aux enfants de mettre des mots sur leur pensée, sur ce qu’ils voient ou entendent autour d’eux et sur ce qui les questionne. La pratique de la philosophie à l’école permettrait de faire part de ses expériences de la vie privée. L’enfant est ici dans un lieu protégé dans lequel il peut s’ouvrir en faisant part des ses expériences pour ainsi prendre conscience, d’une nouvelle manière, des expériences faites. En effet, l’école est une sorte de sas et comme le disait Hegel, elle représente « une sphère médiane qui fait passer l’enfant de la sphère privée à la sphère publique pour qu’il se réalise comme homme libre » (cité par Lalane, 2009, p.25). Ainsi nous retrouvons ici la complémentarité entre instruire et éduquer, deux éléments qui vont de pair pour accéder à la raison, selon Anne Lalanne. Qu’entend-elle alors par philosophie ? Dans son livre La philosophie à l’école, une philosophie de l’école (2009), cette auteure liste ce que la philosophie ne peut pas être et ce vers quoi elle s’efforce de tendre. Si nous nous concentrons du côté de « ce vers quoi tend la philosophie » (Lalanne, 2009, p.68), nous observons qu’elle la considère comme une attitude d’esprit dans laquelle, à travers une situation qui pose problème, nous nous efforçons de vouloir comprendre pour y donner du sens. La philosophie permet également une recherche de l’universalité en formant des concepts, permettant ainsi de donner du sens et mettre de l’ordre dans les différentes représentations que possède l’homme. Elle explique également que la philosophie est se penser comme homme par rapport à la nature dans le sens où la morale n’existe que chez les êtres humains et non dans la nature. Elle explique que les hommes ne pourraient vivre sans conscience, sans raison et sans liberté et ainsi, elle se place en opposition à la thèse naturaliste et questionne la nature humaine en disant que si elle est ainsi, pourquoi nous questionnons-nous alors sur notre existence ? Elle explique aussi qu’être humain est 16 le fait d’exister en collectivité et non de manière individuelle. Ainsi nait des us et coutumes propres à chaque groupe d’humains, lié aux diversités culturelles. Finalement lorsque la question est posée à Anne Lalanne sur sa définition de la philosophie, elle nous apprend qu’elle aime bien la définir ainsi : « La philosophie est une pratique discursive, qui a la vie pour objet, la raison pour moyen, et le bonheur pour but » (2009, p.78). Ainsi, la philosophie permet de questionner et ajuster ses opinions pour pouvoir en comprendre les enjeux et les confronter avec les idées d’autres personnes pour ainsi tenter de dépasser le sens commun et accéder à l’universalité des idées. Objectifs Les objectifs pensés derrière les ateliers philosophiques d’Anne Lalanne sont de développer une pensée réflexive et une attitude critique chez le futur citoyen. Pour elle, l’école est un lien entre la famille et la société. L’école possède ce double objectif d’éduquer et d’instruire par la raison. En effet, les ateliers de philosophie à l’école cherchent à permettre aux élèves de réfléchir sur leurs propres expériences et représentations en leur permettant d’avoir un moment destiné pour y repenser, et profiter de celui-ci pour chercher les raisons et la valeur de ce qu’ils pensent. Les ateliers permettent également de travailler la langue et de travailler l’implicite par le sens commun. Elle permet également d’utiliser sa raison. Ainsi l’élève exerce la manière dont il va donner du sens aux opinions, questionner le sens et ses limites. Comme Anne Lalanne le précise : « la raison est une faculté que nous avons en commun. En faire usage, c’est reconnaître ses limites et non sa toute puissance, c’est accepter l’aspect inachevé de notre pensée, toujours à questionner » (2009, p.103). Finalement un dernier objectif est celui de la recherche commune du sens. Lalanne ne considère pas la philosophie comme un moment permettant de traiter l’affectif des élèves, comme lors d’une dispute de classe ou alors de passer par la citoyenneté faisant plutôt paraître des idéologies : pour elle, la philosophie est bien un acte libre, celui de penser. Dispositif Le dispositif que propose Anne Lalanne ne possède rien de particulier. Elle prévoit un temps de discussion de 20 à 45 minutes selon l’âge des élèves. Son dispositif se pratique uniquement à l’oral, les élèves sont assis en cercle et il n’y a pas de règles particulières, si ce n’est de respecter celles présentes dans la classe en temps normal. Les thèmes de discussions sont diffé17 rents à chaque fois mais, pour des élèves plus grands, un thème peut être travaillé sur trois séances : élaboration d’idées, confrontation des idées, structuration des idées. Au niveau des supports, pour les enfants plus petits elle préconise de partir de la littérature enfantine et pour les plus grands de poser des questions qui possèdent des relations avec les disciplines comme l’histoire, les sciences ou autre. Bien que le dispositif paraisse simple, Lalanne propose quatre étapes représentant la démarche philosophique. Il peut être intéressant de se plonger dedans afin de pouvoir mieux comprendre le sens des discussions qu’elle propose en classe. La première étape est celle de l’examen des opinions. C’est une sorte de brainstorming permettant de lister ce que nous savons déjà, ou ce que l’élève pense savoir jusqu’à rencontrer une limite faisant obstacle au raisonnement. Ici, l’obstacle rend compte que, souvent, on peut manquer de raisons valables, de rigueur ou encore n’avoir que des justifications approximatives qui ne permettent pas d’aller au-delà de l’évidence apparente. La deuxième étape est celle de la mise à jour d’un problème. Après le problème rencontré, il ne suffit pas de simplement se poser des questions, mais la réflexion demande d’aller plus loin et de chercher ce que présuppose ce problème, ce qu’il veut dire. L’élève se met à distance de la question de départ car elle constitue une préoccupation. Il faut alors partir à la recherche du sens caché de celui-ci. Ainsi, problématiser permet de penser de manière critique, de faire usage de sa raison. Souvent, le problème philosophique se dirige vers des questions de valeurs et croyances personnelles. La troisième étape est celle de la recherche d’une argumentation cohérente. Pour pouvoir procéder à celle-ci, Lalanne propose de commencer par rechercher les termes de la question. En effet, chercher les définitions ne s’avère pas être si évident et souvent, elles seraient porteuses d’ambigüités et d’implicites. Ainsi, chercher des définitions passe par un processus de logique, permettant de pouvoir admettre comme vraisemblable tout en laissant pour autant la porte ouverte à d’autres définitions si elles respectent la logique. La dernière étape est celle de la construction du concept, soit celle de proposer une définition synthétique née des différentes propositions reliées entre elles. Ainsi, on obtiendrait une cohérence. Pour conclure, nous pourrions affirmer qu’Anne Lalanne est la plus philosophique des quatre pédagogues décrits dans cette partie, car elle a cette volonté de passer par un dialogue maïeutique. Elle est très soucieuse de la question de la conceptualisation et tente pour ce faire 18 d’anticiper ce que les élèves pourraient dire durant les séances. Elle procède à un compromis subtil entre ce qu’elle a prévu et les apports des élèves. 2.2.2 Les Ateliers de Réflexion sur la Condition Humaine – ARCH– de Jacques Lévine Ancrage Jacques Lévine, docteur en psychologie, psychanalyste et auteur français de nombreux écrits, a mis sur pied les ateliers de réflexion sur la condition humaine, dits ARCH. S'inscrivant dans un courant psychologique et étant cependant à la frontière entre la psychologie et la philosophie, Lévine part du principe que l'enfant est un sujet mais qu'il est objet à beaucoup de choses. L'enfant s'inscrit dans un monde dans lequel il est capable de penser lui-même. Lévine nomme éthique éducative, le fait de considérer l'enfant comme personne à part entière. Il explique que l'enfant n'est pas proportionnellement plus petit qu'un adulte mais que c'est par la reconnaissance de lui en tant qu'humain que l'enfant aura la volonté de penser et d’aborder des grandes questions par la raison. Pour lui, ce n'est qu'une question d'impatience de l'inégalité. Il met en avant trois convictions au sujet des enfants : il y a plus de choses dans un enfant pensant que non pensant, il y a en lui-même un être capable de penser la complexité de la vie et il y a en lui un être non passif, capable de penser et dépasser l'adversité (Lévine, 2008). Pour lui, l'enfant doit se construire, trouver une identité en dehors de l'intervention d'un maître afin que celui-ci puisse découvrir qu'il est capable de penser sur le moment ou en différé sur des grandes questions. De cette manière, il affirme l'éducabilité philosophique des enfants. Ainsi, l'enfant fait plusieurs expériences à travers la participation aux ateliers de réflexion. Il fait l'expérience du soi pensant, il découvre qu'il est le lieu de sa propre pensée. Il expérimente également l'appartenance sociale, comme nous l'avons dit, l'enfant ne possède pas de statut inégalitaire avec l'adulte mais est un habitant à part entière de la terre qui a le droit d'exprimer son point de vue sur la manière dont fonctionne le monde dans lequel il vit et tout ceci dans le cadre scolaire. Car l’école n’est pas ce qu’on croit. Nous avons à nous faire à l’idée qu’à l’école on pense moins à l’école qu’à sa vie, à la qualité de son avenir, de son destin, destin de soi-même, des 19 siens, mais aussi de l’humanité. Il faut donc cesser le dialogue de sourds qui consiste à faire comme si l’élève n’était qu’un élève, l’enfant qu’un enfant (Moll, 2009, para. 1)3. Lalanne explique ainsi que : « C'est en proposant aux enfants de s'insérer dans ce qui fait l'unité et la totalité de l'espèce humaine qu'on peut espérer lutter contre la nocivité des particularismes » (Sénore, 2005, Les fondements théoriques qui justifient la pratique de " l'atelier philo ", para. 8)4. L'élève prend part également à l'expérience d'appartenance au groupe classe, il s'insère dans une communauté pensante. Il expérimente aussi la vie mentale, en exerçant son langage interne que Lévine prône en acceptant les réflexions silencieuses lors des ateliers. Finalement, l'élève expérimente l'accès à la conceptualisation, en recherchant des concepts explicatifs, et en prenant part à la complexité que fournit la diversité des idées. Notons que Lévine instaure les ateliers de réflexion comme lieu de développement de la pensée créatrice et non comme un lieu de discussion critique, d'argumentation ou de débat comme peuvent le préconiser Lipman ou Tozzi. Ainsi, l'élève peut faire la découverte du fonctionnement des relations humaines. Objectifs Pour Lévine, l’objectif de l’école est d’inventer et d’instaurer les conditions optimales de la croissance de chacun dans un cadre qui, autant que possible, se doit de rester collectif. Pour lui, l’école doit permettre aux élèves volontaires de pouvoir exprimer son langage intérieur et de découvrir les autres membres de la communauté humaine. Cet auteur attache une grande importance à la complémentarité entre le débat explicite et interne qu’il nomme « débat sans débat » (Lévine, 2008). Dans le débat interne, il inclut un travail de retour sur soimême et le considère comme ayant une valeur au moins égale au débat externe. Cette différence avec la discussion à visée philosophique qui n’est finalement selon lui qu’une confrontation ouverte et explicite, n’est pas une rivalité d’opinions mais quelque chose de plus subtil même si moins efficace. Les objectifs de ses ateliers sont pour lui de permettre à l’élève de construire et de faire évoluer sa pensée qui, comme nous l’avons vu, se construit en parallèle à celle des autres. Mais également d’expérimenter sa capacité à discuter les questions fondamentales qui se posent aux hommes dont il fait partie, en le mettant au milieu des hommes comme coresponsable des 3 4 Consulté le 10 août 2016 dans http://www.cahiers-pedagogiques.com/Hommage-a-Jacques-Levine Consulté le 10 août 2016 dans http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32649 20 problèmes de civilisation. Comme dernier objectif, l’élève doit apprendre à extérioriser, mais aussi à intérioriser sa pensée. Dispositif Lévine propose un dispositif en deux phases. Il propose tout d’abord de partir d’une question forte proposée par le maître, mais qui doit être importante pour les Hommes. Dans un premier temps, les élèves peuvent s’exprimer librement sans que le maître n’intervienne. Dans un deuxième temps, les élèves et le maître visionnent la vidéo qui a été prise au cours du débat et qui sera ensuite commentée. Lévine suggère de travailler en petit groupe, de 8 à 15 élèves pour les classes élémentaires mais en classe entière ou demi-classe pour les plus grands. Il prône la disposition spatiale circulaire permettant de mieux voir et entendre les autres, dans le but d’une construction commune de la pensée. Contrairement à d’autres, Lévine propose de laisser les élèves discuter uniquement dix minutes. Il affirme que c’est le temps suffisant pour arriver à la mise en mouvement des réflexions. Un temps plus long serait selon lui négatif car les élèves se disperseraient autant dans leur concentration que dans leur pensée, et cela pourrait dissoudre l’unité du groupe. Il affirme cependant qu’au bout des dix minutes, les élèves continuent d’une certaine manière, seuls, à raisonner en dehors des séances. A l’intérieur des dix minutes, il ne distribue pas de rôles aux élèves mais met en place un système de bâton de la parole permettant aux élèves de prendre la parole librement tout en restant dans un cadre organisé. Ce bâton a également une fonction symbolique, il serait le témoin, la loi, l’ordre qui permet d’inscrire chacun des participants comme sujet indépendant, il est signe de confiance. Dans la première phase, Lévine présente les ateliers de réflexion aux élèves en cinq points. Premièrement, il considère qu’il faut commencer par un avant-propos sur le sens du mot philosophie. Dans son dispositif, il annonce aux élèves qu’ils vont faire de la philosophie, donc réfléchir sur des questions que se posent les hommes depuis très longtemps. Il explique aux élèves qu’il faut prendre son temps dans sa tête pour penser. Il ajoute également que tout le monde n’est pas obligé d’intervenir et qu’il n’existe pas de réponse vraie ou fausse. Deuxièmement, il annonce le thème en expliquant aux élèves qu’ils vont réfléchir sur celui-ci. Les thèmes portent sur le fonctionnement des relations et de l’existence. Il indique également, qu’étant donné que le thème est imposé par l’enseignant, un temps doit être laissé aux élèves 21 pour qu’ils acceptent ou rejettent dans leur corps le thème. Il nomme ceci : le moment d’émotion et d’intégration du thème. Troisièmement, il annonce aux élèves que la séance durera dix minutes, puis finalement que l’enseignant n’interviendra pas et précise les contrats de fonctionnement. Que font alors les élèves pendant les dix minutes de discussion ? C’est finalement une sorte d’inventaire des réponses qui est recueilli. Les réponses sont récoltées anonymement. Les différentes perceptions sont ensuite mises en ordre et catégorisées. Les réponses des élèves peuvent être de type factuelles ou plutôt sous forme de constats. Le travail de mise en ordre se fait par la recherche de similitudes et différences. Lévine insiste sur l’importance du langage interne de l’élève, langage par lequel la réflexion silencieuse permet aux élèves d’entrer en euxmêmes et chercher des exemples. De plus, à cette médiation interne Lévine affirme que s’ajoute une médiation collective. La discussion est alors un mélange de culture personnelle et collective. Le groupe permet d’étayer les apports personnels de chacun ce qui permet ensuite de nourrir chaque élève du groupe de la pensée des autres. Ainsi, la réflexion est le doux fruit du mélange de la médiation interne et collective. Dans la deuxième phase de son dispositif, Lévine propose aux élèves de visionner la vidéo ou d’écouter l’enregistrement audio de la discussion. Cette manière de faire permettrait de relancer les échanges ou encore d’ouvrir à ce moment-là, le débat à proprement parlé. Lévine souhaite, après l’expérience de ces dix minutes de travail sur le support enregistré, que l’élève fasse l’expérience du cogito. En effet selon lui, l’élève est le lieu-même du cogito et c’est à travers cette expérience que l’élève se sent porteur d’une pensée qui le constitue et dont il est lui-même la source. Ainsi, Lévine considère l’élève comme ayant un statut égalitaire avec l’adulte, puisqu’il se voit comme un interlocuteur valable. L’élève possède le droit de penser au même titre qu’un adulte. Finalement, le but de ces dix minutes permettrait de faire passer un message d’encouragement à l’élève à entrer avec ses propres idées dans la vie. De plus, elles permettraient de lui faire vivre un moi social et ce serait également une manière d’expérimenter la question de la conceptualisation. 22 Critiques Bien que Lévine ait pour souci primordial le développement de l’enfant et de l’humanité, son dispositif est critiqué sur quelques points. Plusieurs auteurs lui reprochent de simplement donner la parole aux élèves. Finkelkraut (cité par Tozzi, 2005, B) critiques et limites)5 considère que le retrait du maître voulu par Lévine constitue une défaite de la pensée. Arendt (cité par Tozzi, 2005, B) critiques et limites)6, pour sa part, parle de l’obligation du patrimoine réflexif de l’humanité que semble transmettre Lévine aux nouveaux arrivants. 2.2.3 Les discussions à visée philosophique et démocratique de Tozzi Ancrage Tozzi, professeur des Universités au département des Sciences de l’éducation de l’Université de Paul Valéry Montpellier 3 et directeur du Centre de recherches sur la formation, l’éducation et l’enseignement, se situe en quelque sorte entre les idées exposées par Lévine et celles de Lalanne. Tozzi ancre ses convictions de la pratique de la philosophie qu’il propose dans trois domaines. Possédant un côté plus didactique, il fait un emprunt au domaine des sciences de l’éducation, en utilisant un élément de la théorie de la motivation par exemple. Par celle-ci il montre que la philosophie serait une motivation pour les élèves car elle leur permettrait de donner sens aux savoirs et permettrait de traiter d’une certaine culture de la question. Les élèves sont actifs, dans une posture de recherche, ce qui les mettrait dans un rapport positif au savoir. De plus, il cite la zone proximale de développement mise en avant par Vygotski. « La zone prochaine de développement d'un élève est pour Vygotski « l'élément le plus déterminant pour l'apprentissage et le développement». Car «ce que l'enfant sait faire aujourd'hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain» (Lecompte, 1998, La zone prochaine de développement)7. Tozzi met également en avant les capacités d’étayage, sur lesquelles travaillera Brunner, montrant une accélération dans les apprentissages des interactions verbales et sociales. Ces deux éléments, la notion d’étayage et de zone proximale de développement sont proches. 5 Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm 7 Consulté le 2 août 2016 sur http://www.scienceshumaines.com/lev-vygotski-1896-1934-pensee-etlangage_fr_9754.html 6 23 Pour sa part, Brunner l’utilise pour désigner l’ensemble des interactions de soutien et de guidage mises en œuvre par un adulte ou un autre tuteur pour aider l’enfant à résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au préalable. (Crahay, 1999, p.328). Ainsi, pour faire écho à Piaget, le fait que les élèves confrontent leurs opinions, les amènent à faire un déplacement sur ce qu’ils pensent, permettant ainsi un progrès intellectuel, ce que les sciences de l’éducation nomment le conflit sociocognitif. Tozzi rejoint également Lipman et ses théories et recherches scientifiques, en s’appuyant sur les bienfondés de ces pratiques, en mettant en avant les possibilités d’articuler les processus de pensée et d’élaboration également à l’extérieur des moments de discussion à visée philosophique, car elles développent notamment les capacités de logique. Finalement, les philosophes de l’heure actuelle notamment Habermas (Tozzi, 2005, Mon intérêt pour le « courant Lévine » des ateliers philo)8 qu’il citera souvent, peuvent éclairer les nouvelles pratiques selon lui. Tozzi et les autres personnes se rattachant à ce qu’il considère de la philosophie pour enfants parlent de quatre piliers sur lesquels repose cette pratique. Premièrement, le choix du thème qui peut être choisi par les élèves ou par l’enseignant et qui peut couvrir divers domaines comme l’éthique, la métaphysique ou autre. Pour qu’une question soit qualifiée de philosophique, elle ne doit pas pouvoir être résolue facilement. Le deuxième pilier est celui de la nature du traitement des informations dans lequel s’inscrivent le doute et la recherche de l’universalité des idées. Si le groupe trouve une réponse, elle peut ne pas être la même que dans un autre groupe réfléchissant à la même question. Le troisième pilier est celui de la référence explicite au philosophe qui concerne l’exercice de la problématisation, de la conceptualisation et de l’argumentation. Le dernier pilier est celui des textes philosophiques, car lire un écrit philosophique peut être, selon lui, aussi valable que tout ce que l’on entend dans les échanges oraux. Ainsi la philosophie n’est pas une recherche de réponses qui conviennent à chacun d’entre nous, mais une réponse qui pourrait convenir à tout le monde et posséderait donc une certaine universalité. 8 Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm 24 Objectifs Sa méthode ne se veut pas uniquement démocratique ou philosophique, mais elle est double. Elle a une visée démocratique qui s’inspire de la pédagogie institutionnelle, où les élèves posséderont des rôles précis leur permettant de prendre en charge et organiser la débat d’une manière plus haute qu’en n’étant que simple participant. Elle possède ici une dimension collective et sociale qui vise l’acquisition d’une attitude citoyenne. Ainsi, le groupe est ici considéré comme une petite cité dans laquelle interagissent des participants. Ces discussions permettraient aux élèves de les faire entrer dans la citoyenneté en leur demandant d’agir par la parole, la pensée, voire l’écriture, de mieux tolérer leurs différences, de progresser dans la prise en compte de leur existence et ainsi d’entrer dans un processus communicatif en tentant de s’entendre avec les autres pour ensuite réfléchir en commun sur des problèmes et des désaccords. Elle possède également une visée philosophique, qui permet de mettre en œuvre des processus de pensée, maîtriser des exigences intellectuelles telles que l’argumentation, la problématisation et la conceptualisation. Ainsi Tozzi donne un statut utilitaire à la philosophie comme étant un moyen d’acquérir des capacités intellectuelles. Finalement, il utilisera la philosophie comme moyen et la visée démocratique comme fin. De plus, il met en avant les bienfaits de la philosophie pour enfants comme étant une manière de faire prendre conscience aux élèves qu’ils sont des personnes à part entière. De plus, celle-ci permet de développer leur estime de soi. Il insiste sur le fait que la philosophie n’est pas une recette simple pour le développement d’attitudes respectueuses et tolérantes mais qu’elle complète l’action éducative entreprise en classe. Cette pratique doit donc s’inscrire en cohérence avec les autres moments de la classe. Tozzi cherchera à former un citoyen réflexif. Dispositif Pour Tozzi, la philosophie pour enfants ne demande pas de posséder d’apriori. Comme il le dit « Un enfant peut commencer à réfléchir quand il commence à parler puisque parler c’est 25 déjà donner forme au monde »9 Ainsi, il préconise d’inscrire la pensée de l’enfant dans un cursus lui permettant de l’organiser de plus en plus. Dans son dispositif, Tozzi s’inspire de la pédagogie institutionnelle et instaure le fonctionnement de la discussion avec différents rôles alloués aux élèves : le reformulateur, le synthétiseur, le président, les discutants ou encore les observateurs qui possèdent un rôle bien défini. Ainsi, par leurs rôles respectifs, les élèves développent différentes compétences. Un président de séance aura un rôle se rapprochant plus de la démocratique par sa capacité à animer une séance, tandis qu’un synthétiseur entraînera davantage ses capacités intellectuelles en ayant une écoute plus fine pour ne pas sélectionner uniquement les arguments qui lui correspondent. Les rôles sont bien évidemment changés afin que les élèves puissent en essayer le plus possible. Il met également en place des règles à respecter concernant, par exemple les moqueries, qui n’ont pas leur place dans la classe. 2.2.4 La philosophie pour enfants de Matthew Lipman Ancrage Lipman a été le premier, dans les années 70 à introduire ce qu’il appelle la philosophie pour enfants. Son dispositif, que je décrirai plus loin, se veut très méthodique. Il représente à ce jour sûrement la méthode la plus répandue dans le monde. Les élèves discutent entre eux d’une question qu’ils ont choisie sous le regard attentif de l’enseignant qui veille à la rigueur des échanges et encourage les échanges entre élèves. Opposé à Lévine, Lipman s’inscrit dans un courant pragmatique. Inspiré par Dewey, le pragmatisme est contraire à l’idéalisme. Les universaux sont vides et l’accès à la vérité se fait par rapport aux expériences diverses et à la confrontation des idées, ce qui n’est pas le cas de la philosophie dite « classique ». La démocratie permet donc d’expérimenter et d’agir pour vérifier les idées. Son dispositif met en place l’utilisation d’une démocratie car, tout le temps mise à l’épreuve, elle permettrait d’expérimenter le mode de vie. Chez Tozzi, la philosophie est le moyen et la démocratie la fin pour parvenir à une éducation citoyenne, chez Lipman, le processus de l’expérience est une fin et un moyen. Ainsi et en s’inspirant de Dewey, Lipman instaurera dans sa pratique une communauté de recherche, une méthode active ayant une visée d’insertion démocratique. 9 Consulté le 2 août 2015 sur http://www.vousnousils.fr/2012/11/22/philosopher-ecole-primaire-methode-micheltozzi-537802 26 Lipman s’intéresse donc beaucoup au problème du « bien penser » mais de manière logique. Pour lui, cet aspect est une sorte d’accès permettant plus tard d’accéder à la pensée d’excellence. Ses ancrages théoriques sont axés autour de plusieurs personnalités connues des sciences de l’éducation. Il prendra chez Piaget les stades de développement en proposant des romans philosophiques différents selon l’âge des élèves. Chez Houssaye, il reprendra le postulat d’éducabilité mais ici philosophique, de Derrida et Pettier le droit à la philosophie, des hommes, des citoyens et des enfants. Dans une visée très proche de Tozzi, Lipman s’inspirera également des théories de zone proximale de développement de Vygotski, d’étayage de Brunner et donc de conflit sociocognitif retrouvé chez les néopiagétiens. Dans la méthode Lipman nous pouvons retrouver trois axes-clés. Le premier est le processus de la pensée. Il mise ici sur la bonne utilisation des habiletés de pensée exercées à partir de l’élément déclencheur qu’est la perplexité de l’élève face au monde, suivie d’un doute et une incertitude le mettant ainsi dans une position de recherche. Après l’apparition et la formulation d’un problème, il doit tenter de dépasser les opinions simples pour arriver à des solutions basées sur l’observation. Après avoir fait des liens entre hypothèses et idées, celles-ci sont vérifiées par une mise à l’épreuve dans le but d’améliorer l’expérience quotidienne de chacun. Lipman ajoutera que tout ce processus se fait s’il s’inscrit dans un cadre qu’il nommera communauté de recherche et qui constitue le deuxième axe-clé. La communauté de recherche est une notion qui englobe l’acte de penser dans un cadre social. Il est structuré de manière horizontale car aucune hiérarchisation n’est présente. Elle vise à résoudre les problèmes ensemble, en société, société qui peut se présenter sous forme de groupe classe. Le dernier axe concerne celui de la démocratie comme finalité ultime. Il centre sa pratique sur des buts moraux, de valeurs et de jugement. Pour lui, la morale et la démocratie ne forment qu’un seul et même concept. Objectifs Comme dit précédemment, Lipman a pour objectif le développement des capacités démocratiques des élèves et l’éducation à la citoyenneté. Son principe est de guider les enfants vers une recherche qui leur permettra d’agir dans la vie quotidienne à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école. Son objectif est de développer chez les élèves une pensée d’excellence 27 et une pensée autonome et critique, en développant des habiletés de pensées. Michel Sasseville explique plus précisément les habiletés de pensée dans son livre (2009). Dispositif Le dispositif de Lipman est très méthodique. En effet, pour différentes tranches d’âges il propose différents romans qu’il a lui-même écrit, sept au total (Elfie, Pixie, Kio et Augustine, la découverte de Harry, Lisa, Suki, Marc). S’adressant de la maternelle jusqu’à l’âge de la majorité, ses romans présentent des enfants du même âge qui discutent, réfléchissent et agissent. Chaque roman possède une problématique propre et a pour but de faire acquérir certaines habiletés de pensée. Ces livres qui paraissent très scolaires sont également accompagnés d’un guide du maître qui ajoute des précisions sur les diverses séances et permet d’étayer la démarche des élèves ou consolider leurs apprentissages. Il présente également des exercices et des grilles d’observation librement utilisables par l’enseignant et des pistes de réflexion. A partir de ce matériel Lipman propose des séances d’une heure qui se décomposent en trois phases. La première phase consiste à lire et expliquer un chapitre du livre. La deuxième phase est celle de la récolte de questions et de réactions permettant ainsi de formuler une question de fond. Un classement des questions et un choix s’effectuent démocratiquement pour n’en garder qu’une. La troisième phase est celle de la discussion par la communauté de recherche durant laquelle des exercices logiques peuvent être proposés. Cette partie est une initiation à la logique dans laquelle s’exerce une méthodologie du « bien-penser ». Critiques Les critiques adressées à cette méthode sont nombreuses. C’est aussi peut-être à cause du fait que sa méthode soit mondialement connue. Certains pédagogues trouvent que la méthode Lipman, pouvant commencer très jeune serait dommageable par son aspect précoce. De plus, on lui reproche de ne pas s’appuyer sur de grands auteurs classiques et de passer uniquement par des histoires écrites par lui-même et qualifiée parfois de « seconde-main » menant vers une discussion de café de commerce plus que de philosophie. Kohan (cité par Tozzi, 2005, B) critiques et limites)10 lui reprochera des romans trop américanisés, avec une démocratie très 10 Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm 28 marquée et donc non applicable à d’autres cultures, ce qui se veut à l’inverse de la recherche de l’universalité en philosophie. Lalanne s’accordera à dire que son univers est trop patriotique et trouve son approche trop logique proposant des exercices trop répétitifs. 29 2.3 Cadre conceptuel Dans cette partie, je vais me pencher sur les concepts qui me permettront d’éclairer quelques éléments liés à ma problématique sur la question du rôle de l’enseignant dans les pratiques de la philosophie. Observons d’abord quelques concepts liés au rôle de l’enseignant dans les disciplines scolaires habituelles. 2.3.1 Caractéristiques, spécificités et singularités du rôle de l’enseignant des quatre courants Dans cette partie, nous allons nous intéresser plus précisément au rôle que peut endosser l'enseignant dans les discussions à visée philosophique. Quel serait le rôle de l’enseignant selon les courants? En effet, il existe des courants favorables à l'intervention de l'enseignant et des courants contre l'intervention de l'enseignant. Des différents types d'interventions. En nous appuyant sur les quatre auteurs présentées précédemment, nous pouvons nous demander quel est finalement le rôle de l'enseignant dans cette pratique et quelles peuvent être ses interventions ? En nous penchant sur cette question, nous pouvons nous rendre compte de la diversité des pratiques mais aussi de la diversité des objectifs que peuvent avoir les différents auteurs. Lalanne, guide philosophique Il est intéressant de voir comme le rôle de l’enseignant peut être indispensable à la pratique de la philosophie en classe. En effet, chez Anne Lalanne, l’enseignant a le devoir de guider les élèves dans leur réflexion. Etant lui-même expert, il sera la personne qui pourra ouvrir le chemin au mieux pour ses élèves, il représente le monde et le rend compréhensible. En effet, il possède la double charge d’instruire et d’éduquer par la raison, ceci afin de pouvoir inscrire l’homme dans le futur citoyen. Cependant, le guidage n’est pas une simple orientation des idées des élèves mais possède un objectif clair, celui de privilégier la démarche d’abstraction des élèves. Le maître aide les élèves à organiser leurs idées, pour ensuite en faire ressortir une notion. Le guidage ici se passe dans le vif de l’action, des discussions et n’est pas une petite intervention à postériori comme chez Lévine. L’enseignant possède plusieurs rôles : il gère la parole, interroge, reformule, synthétise, recentre et relance la discussion. Chez 30 d’autres auteurs, comme Tozzi, ces rôles sont partagés entre les élèves. Ici, l’enseignant intervient mais ne donne pas son avis, il permet cependant de tisser des liens entre les apports personnels et collectifs, il peut également profiter de ce moment pour mettre en avant des contradictions permettant de nourrir la discussion. Dans son rôle, l’enseignant procède à deux types de synthèses. La première synthèse, au cours de la discussion, permet de faire le point, de donner des exemples ou généraliser pour permettre d’ouvrir un approfondissement. La seconde synthèse, en fin de séance, permet de montrer aux élèves le cheminement et la progression de leur raisonnement tout en clôturant le thème abordé. Ce guidage ferme permet à l’élève de construire sa pensée dans le but de lui faire acquérir l’autonomie nécessaire pour penser seul. Même si les élèves cherchent par eux-mêmes les éléments constitutifs de la discussion, le guidage cognitif fort du maître garantirait un certain niveau réflexif dans les échanges. Lalanne ajoute également que le maître prendra soin non pas de préparer une leçon parfaite, mais de se renseigner sur le thème qu’il abordera avec ses élèves. Ceci permettra à l’enseignant de repérer lors de la discussion des éléments à reprendre afin de ne pas s’égarer et changer de sujet au cours du développement des idées. En effet, son rôle est aussi la reconnaissance de ses capacités à transmettre des savoirs comme dans toutes disciplines. Lalanne définit le terme guidage comme étant le fait : d’ « accompagner, guider […] partir de ce que les enfants disent, éclairer les idées développées par la mise en évidence de certains liens en pointant ici une contradiction, là une ouverture, par une question plus précise, grâce à une reformulation plus adéquate ».11 (2007, 3- le rôle du maître) Il est donc là pour guider les élèves pour les emmener au meilleur d’eux-mêmes dans leurs discussions. Lévine, silencieux et en retrait Anne Lalanne (2007, 3- le rôle du maître) le disait, l’enseignant: « […] assume pleinement son rôle, parce qu’il ne se met pas en retrait, il sera le moyen, l’outil pour que les enfants 11 Consulté le 6 janvier 2016 sur http://philohorsclasse.free.fr/spip.php?article27 31 puissent accéder à la raison, c’est à dire penser »12. Que penser donc de Lévine qui ne laisse que très peu de place à l'intervention d'un enseignant lors des discussions ? De son point de vue, l'enseignant n’intervient pas du tout ou presque pas sur le fond de l'échange, au contraire d'Anne Lalanne. Selon lui si l'enseignant a le malheur d'intervenir, les élèves s’identifieront à lui, le prenant comme modèle, ce qui interrompra le travail d'élaboration effectué par les élèves. Il explique aussi que la pensée de chacun émerge de la personne en son entier dans un groupe, ici groupe-classe, où le maître écoute et respecte la parole de chacun des élèves. Il permet ainsi que les échanges entre pairs se fassent sans être dérangés par la parole de l'enseignant. Il explique d'avance aux élèves la rupture et la différence de contrat qui s'effectue en temps normal entre l'enseignant et les élèves. Lévine dévolue d'une certaine manière le rôle de l'enseignant. De cette manière, il montre aux élèves qu'il leur fait confiance sur leurs capacités à se questionner sur le monde et à penser. L'enseignant est donc en retrait, mais à l'écoute des échanges. Il tient donc un place silencieuse mais active, sa présence le rend garant du bon fonctionnement des ateliers et permet, selon lui, aux élèves de se sentir autorisés à prendre la parole sur de grandes questions, chose qu’ils ne feraient peut-être pas en son absence. Il est finalement présent à travers le cadre qu'il instaure. Lévine parle d'un voyage dans lequel s'engagent les élèves lorsque le maître lâche le mot déclencheur qui définit le thème. Pour l'enseignant, ce changement de posture n'est pas le simple retrait de sa participation, mais bel et bien un outil lui permettant d'observer ses élèves sous un autre angle. Ceci lui permet d'observer ses élèves dans une démarche différente, la relation est alors modifiée et permet à l'enseignant d’avoir une autre conception de la relation. Ces ateliers permettraient de mettre en place un dispositif faisant émerger le vrai potentiel des élèves, chose que souvent l'école s'interdit de faire nous dit-il. Lévine attire notre attention sur le fait que malgré l'installation de ce dispositif dans la classe, un enseignant peut le voir ne pas fonctionner. Il insiste sur le fait de ne pas accorder une confiance aveugle aux élèves, mais de bien préparer les ateliers en amont, ce qui est, selon lui, l’élément décisif de son bon déroulement. Il ajoute que c'est également une question de confiance en la méthode et en ce que met l'enseignant en place dans sa classe tout en croyant à ce qu'il fait. 12 Consulté le 6 janvier 2016 sur http://philohorsclasse.free.fr/spip.php?article27 32 Tozzi, concepteur et garant du dispositif démocratique La méthode Tozzi inclut l’enseignant, mais ce dernier n’intervient pas sur le fond des discussions, mais sur ce qu’il appelle les exigences philosophiques Tozzi affirme que les discussions à visée philosophique pour enfants font partie de pratiques nouvelles en plein essor et qu’il y a bien sûr des pratiques différentes et notamment au niveau du guidage de l’enseignant qui peut aller de la non intervention jusqu’au guidage ferme. Il fait cependant ressortir le fait que malgré ces différences, il retrouve deux points communs dans les différentes pratiques concernant le guidage de l’enseignant. Quelques soit le type de guidage, l’intervention de l’enseignant ne se fait jamais sur le fond des idées. Ainsi il relève le débat actuel sur la question de la réserve des pensées de l’enseignant. Le débat actuel pose la question de la prise en compte d’une pensée différente, qui peut être celle des textes ou celle des enseignants. Il affirme que le travail de littérature sur lequel se base les programmes scolaires est souvent source de débat, notamment concernant l’interprétation de ces textes. Ainsi, certains affirment que si l’enseignant soumet ses idées de manière hypothétique, ceci permettra d’introduire sa pensée, sans influence, tout en gardant l’écart entre sa pensée et ce qu’il dit. Il agirait par des modélisateurs en observant lui-même sa pensée en recherche, tout comme les élèves. Aussi, ceci permettrait d’introduire une certaine altérité permettant non pas une participation exclusive entre pairs mais d’ouvrir à une participation extérieure, que cela se fasse avec les idées de l’enseignant ou encore avec le support de la littérature philosophique, de grands textes, ou plus spécifiquement de la littérature de philosophie pour enfants largement promue de nos jours (goûter philo, etc.) Relevons que Tozzi propose même un cahier des charges de l’animateur d’une discussion à visée philosophique ou de café (Le cahier des charges de l'animateur d'une DVDP (Discussion à Visée Démocratique et Philosophique) en classe et au café philo)13. Dans celui-ci, 35 points se veulent être une aide pratique pour l’animateur de séance pendant le moment de pratique. Issu du dispositif Delsol-Connac-Tozzi, je ne citerai pas ici tous les points mis en évidence mais j’insisterais sur la place relativement grande que laisse ce dispositif à l’enseignant. Dans son rôle, l’enseignant intervient de manière ciblée pour veiller aux exigences du processus de pensée. Il reste donc alerte sur le déroulement et intervient lorsque cela lui semble nécessaire. 13 Article paru dans Diotime n° 55 (2013) 33 Lipman, intervenant sur la forme des idées et non le contenu Comme chez Tozzi, Lipman donne une place considérable à l’enseignant. Il n’enseigne pas mais est une personne ressource qui possède un rôle social. Premièrement [il doit] créer les conditions favorables à l’acquisition et au développement des habitudes démocratiques ; deuxièmement amener l’enfant à devenir (et à se sentir) un membre indispensable de la communauté. Dans ce sens c’est une personne qui questionne, qui écoute, qui guide les propos et accouche les idées ; une personne qui influence, qui dirige et qui sécurise les enfants ». (Lipman, cité par Lalane, 2009, p.113). En ce sens, Lipman semble donner une définition facilement envisageable du rôle de l’enseignant, sans pour autant détailler ici les interventions possibles de ce dernier. 34 2.3.1.1 Tableau récapitulatif : Le tableau ci-dessous présente de manière synthétique la conception philosophique de chaque auteur, les objectifs, les finalités, le rôle de l'enseignant et celui de l'élève. Pédagogues Conception philosophique Objectif Finalités Rôle de l'enseignant Rôle de l'élève Anne Lalane Elle s’inscrit dans un courant philosophique. La philosophie est pragmatique, passe par l'expérience. Lalanne se base sur Dewey en avançant que la théorie de l'expérience tout comme l'aspect formalisation avec les élèves sont fondamentales. Dépasser une situation particulière pour l’amener vers l’universel, l’objectif principal étant une orientation philosophique. Développer une pensée réflexive et donc une attitude critique chez le citoyen : « Faire de la philosophie avec des enfants c’est donc les éveiller à la raison, s’adresser à eux en tant que sujet rationnel, les inviter à former des jugements raisonnables ».14 L'enseignant doit se demander jusqu'où l'élève est capable de penser. Il sert de guide aux élèves dans l'élaboration en cours du savoir, est garant de la cohésion de la réflexion des élèves. L’enseignant gère la parole, interroge, reformule, fait des synthèses finales ou partielles, recentre, relance, etc., s’appuie sur les apports des élèves par un questionnement ouvert. Même s’il ne participe pas au débat, il guide les élèves : « Guider suppose un objectif : privilégier une démarche d’abstraction, à partir des matériaux qu’ils apportent, leur permettre de l’organiser, de le structurer afin de pouvoir le généraliser, c'està-dire en dégager une notion » (Tozzi, 2001, p. 48). Recherche d’une autonomie de la pensée, savoir ce que valent les idées et ce qu’on en fait. « Il s’agit de donner à l’enfant l’occasion de mettre en mots sa pensée, de faire usage de la raison » (Tozzi, 2001, p.43). Refuse l’instrumentalisation de la philosophie par des objectifs. Le maître a donc la responsabilité d’assurer la conduite du groupe tout comme l’orientation philosophique du dialogue. Jacques Lévine L'école ne permet pas de traiter des grands problèmes de la vie. La vie vient aux enfants et il faut les préparer. C’et une expérience de vie. Il s’inscrit dans un courant psychanalytique par le fait que l’enseignant soit entièrement retiré de la discussion, il laisse discuter les élèves afin « qu’ils fassent l’expérience d’une parole 14 15 Il s’agit de « […] provoquer chez l’enfant la découverte qu’il est capable de pensées sur les grands problèmes, dans l’immédiateté ou à terme » (Tozzi, 2009, p.90). La pensée est construite en écho et plus par le langage interne que le langage externe. Apports pour la formation à la citoyenneté. Démarche démocratique. Apprendre à vivre ensemble. Permet à l’enfant de se découvrir membre de la communauté humaine par sa capacité à penser : "[...] ce qui nous importe est que les enfants d’aujourd’hui aient le sentiment d’universalité, d’appartenance à l’espèce humaine et le désir de 15 contribuer à son amélioration." Rendre possible l’expérience par l’enfant http://philohorsclasse.free.fr/spip.php?article27 http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32649 35 Non intervention pendant la première phase des 10 minutes pour ne pas interrompre le travail de tâtonnement. Représente la légitimité et est le cadre pour la gestion de la parole et du temps. Faire sentir les élèves en confiance pour qu'ils se sentent autorisés à parler. En cela, les ateliers de philosophie constituent un outil de formation des enseignants à une conception de la relation où une circulation de la parole dans « l’horizontalité », donc dans le cadre d’un type nouveau de co-réflexion, L’enfant fait l’expérience du cogito, l’expérience d’appartenir à un groupe de pensée large et universel, il fait l’expérience des étapes indispensables pour arriver à une formation rigoureuse de concepts, il fait l’expérience du débat. "L’école est tellement centrée sur les performances, sur les engagée sur des problèmes existentiels » (Tozzi, 2009, p.89). Michel Tozzi Matthew Lipman Développer l’éducation à la citoyenneté de manière normée. La prise de parole est organisée, certaines fonctions sont déléguées, et les sujets de débat sont porteurs de sens pour les élèves. Amener les enfants à faire des expériences de pensée pour penser par eux-mêmes en conceptualisant, problématisant et argumentant. C’est le précurseur de ce qu’on appelle la philosophie pour enfants. La méthode Lipman est inspirée des méthodes actives de Dewey et des stades de développement de Piaget et part du principe que les élèves sont capables de penser lors de la mise en œuvre d’une méthode. Renforcer le jugement des enfants par le biais de l’exercice du dialogue, d’une pratique des habiletés de pensées et par un éveil de la pensée critique, créative, attentive.20 « Apprendre à penser par soimême. A élaborer une pensée rationnelle et fondée sur les questions importantes posées à la condition humaine, au contact exigeant des autres »18. comme être humain du cogito, s’autoriser à penser par soi-même, vivre comme sujet pensant. l’emporterait sur la « verticalité » traditionnelle 16 de la transmission. productions des enfants, qu’elle se prive trop souvent de mettre en place les conditions qui font émerger le 17 potentiel des élèves." But démocratique: aptitude à débattre par la prise de parole, et rôles donnés aux élèves. L’enseignant lance les échanges, recadre, relance, interroge, reformule dans le but d’expliquer, il souligne les points de vue contradictoires… il : Les élèves ont plusieurs rôles (président, reformulateurs, synthétiseurs, discutants, observateurs) qui développent des compétences précises. But philosophique : conceptualisation à partir de termes, notions. Apprendre à penser par soi-même sur les questions de la condition humaine au contact des pairs. « […] établit un climat de sécurité et de confiance par le non jugement, demande de l’entraide entre élèves en cas de difficulté de l’un d’entre eux ; il ne dit pas son propre point de vue pour ne pas influencer les échanges et libérer la parole de chacun. Il est le seul à ne pas demander la parole au président pour ne rater aucune occasion philosophique, et fonctionne en synergie avec lui. »19 Aider les enfants à devenir les membres de la société démocratique où lire, parler et penser bien est nécessaires. Encourager les élèves à penser par eux-mêmes et préparer de futurs citoyens. Accentue sa finalité sur le bien penser et penser logique. Dépasser la simple opinion. Vivre bien ensemble, développer une pensée créative et prévenir la violence. Il favorise la formulation d’hypothèses, un climat d’écoute, un échange, du respect, de l’entraide et s’assure que le dialogue reste philosophique. Il aide les élèves à acquérir les habiletés de pensée nécessaires et utiles dans des situations transversales à plusieurs disciplines. L’animateur se met au service d’une réflexion collective, son principal instrument est les participants du groupe. Importance de la démocratie, les échanges entre pairs Il intervient en trois temps ; dégage une question soulevée par les élèves, anime le débat et prolonge la discussion avec des exercices. 16 http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32649 http://ac-grenoble.fr/ien.vienne2/IMG/pdf/ateliers_philo_primaire.pdf 18 http://www.philotozzi.com/2011/03/439/ 19 http://www.cahiers-pedagogiques.com/Une-nouvelle-pratique-scolaire-du-debat-philosophique 20 La pensée créative en philosophie pour enfants, séminaire de formation, DIP Genève par Alexandre Herriger, 2016 17 36 Les élèves prennent connaissance des romans de Lipman (7 en tout, selon des âges correspondants aux stades de développement de Piaget). Les élèves s’identifient aux personnages qui agissent, réfléchissent et discutent ensemble. 2.3.2 Philosophie et enfants, quels liens ? Pourquoi pratiquer de la philosophie avec les enfants ? Pour certains, il sera beaucoup trop tôt pour que les enfants puissent se frotter à cette pratique, pour d’autres, plus l’enfant s’entraîne tôt à penser, plus il pourra acquérir les habiletés de pensées nécessaires dans sa vie. Le premier point commun entre les enfants et les philosophes peut être cette nature curieuse de questionner le monde sur le sens de la vie, à travers de grandes questions universelles. Comme le dit Edwige Chirouter dans son article (2008)21, « […] Bruno Bettelheim a convaincu beaucoup d’éducateurs que les véritables préoccupations des enfants, ce qui les intéresse et les motive profondément, c’est justement pouvoir répondre à ces grandes angoisses existentielles ». Les situations problématiques sont mises en question, ce qui permet à celui qui souhaite trouver une réponse de s’engager dans une recherche de pensée. Si les questions restent parfois les mêmes, et ce depuis des milliers d’années, c’est que la philosophie permet de chercher de nouvelles manières d’expliquer des questions encore incomplètement résolues et des problèmes où la solution est peut-être inconcevable. Pourtant, petits et grands, philosophes amateurs ou confirmés seront attirés par un dialogue permettant, par la logique, l’éthique, la métaphysique, ou encore l’esthétique, de s’adonner à ce jeu de pensée ou jeu de langage (Charbonnier, 2012) demandant au penseur, avec une certaine rigueur, de s’engager dans une pratique demandant d’exercer des habiletés de pensée. Ainsi, si souvent les questions restent sans réponse, le but est bel et bien de pouvoir s’approcher le plus possible d’une ébauche de réponse, en posant des questions entre les différents penseurs, en nuançant ses idées, en étant judicieux et en se confrontant aux autres tout en acceptant de devoir s’autocorriger si nécessaire. Mais alors, qu'appelons-nous « philosophie pour enfants »? Philosopher est un mot qui, souvent, fait peur. On imagine des questions terriblement compliquées, un vocabulaire énigmatique, des livres dont on ne comprend même pas le titre. […] Bref, ce ne serait pas une activité pour tout le monde. On se trompe en croyant cela » (PolDroit, 2004, cité par Auriac-Slusarczyk & al., 2011) La pratique de la philosophie semble être bel et bien faisable et surtout porteuse de sens et de compétences utilisables dans de nombreuses situations. Malgré des dispositifs nécessaires pour la rendre accessible et transposable à un jeune public, sa définition commune reste la même : « Penser, raisonner (sur des problèmes philosophiques, abstraits) » (Le Robert Micro, 1998). 21 Consulté le 2 août 2016 sur http://edwigechirouter.overblog.com/pages/Article_Apprendre_a_philosopher_avec_la_litterature_de_jeunesse-955301.html 37 Ainsi, comme dans beaucoup de pratiques, c’est l’expérience et les possibilités de pouvoir l’exercer qui améliorent l’apprentissage. Ainsi, en s’entraînant à penser, la pensée devient plus fine, plus souple et s’améliore. C’est donc en faisant de la philosophie que l’on peut permettre aux élèves de penser par et pour eux-mêmes. Et comme tout apprentissage, de pouvoir, par la répétition, par la recherche du plus juste et en utilisant des habiletés que l’enfant pourra apprendre à penser et penser mieux. Plus concrètement, les élèves se lancent, suite à une question, dans une recherche collective. Ils cherchent des réponses, se basent sur des critères pour pouvoir construire une définition ou distinguer plusieurs éléments. Pour ce faire, ils exercent également l’usage des exemples, contre-exemples qui ont pour but de tester les hypothèses préalablement définies. Ainsi, les élèves sont réellement en situation de recherche commune et utilisent un procédé de vérification faisant également appel au collectif pour pouvoir mieux comprendre, par les différents points de vue, ce qu’il y a à comprendre. (Alexandre Herriger, 2016). Edwige Chirouter (2008)22 le résume très bien : « […] on reconnait aujourd’hui aux enfants la capacité à s’interroger philosophiquement sur de grandes questions métaphysiques, existentielles, éthiques, esthétiques ou épistémologiques ». La pratique du dialogue philosophique avec les enfants commence petit à petit à bien s’inscrire dans de nouvelles visées de formation et d’éducation des enfants, bien loin de l’idée que les enfants sont de la cire vierge sur laquelle le maître imprime des savoirs. Finalement, quelque soit la méthode utilisée, ou le pédagogue auquel nous faisons référence, les démarches très différentes ont des points communs : l’affirmation que l’enfant peut philosopher ; philosopher comme source de plaisir de penser ; philosopher pour s’intéresser au langage et aux idées des autres ; philosopher à l’école pour aborder des questions qui sont universelles et que les enfants se posent aussi. 2.3.3 Conversation, discussion, débat ou dialogue philosophique? Avant d’entrer plus précisément dans la suite du travail il me semble important d’apporter quelques précisions sur ces deux termes que sont “dialogue” et “philosophique” que vous retrouverez tout au long de cet écrit. Car si, comme nous le présente Olivier Maulini dans son glossaire évolutif (2016), conversation, discussion, et nous pouvons même y ajouter dialogue et débat, sont toutes des situations dans lesquelles des interlocuteurs « communiquent en échangeant entre eux des 22 Consulté le 2 août 2016 sur http://edwigechirouter.overblog.com/pages/Article_Apprendre_a_philosopher_avec_la_litterature_de_jeunesse-955301.html 38 messages verbaux, mais ils ne le font pas à chaque fois dans la même perspective » (Maulini, 2016, discussion)23. Partons donc de ce point commun. Dans une conversation l’échange est non problématique, c’est un simple échange de propos sur un ton familier. Dans une discussion, il est lieu d’un désaccord demandant aux interlocuteurs d’en faire une certaine analyse car l’échange est remis en question et contesté. Observons plus précisément la définition qu’il propose de la discussion, concept souvent utilisé comme appellation de la pratique du dialogue philosophique (discussion philosophique) : Pour Habermas, la discussion idéale est une situation où tous les interlocuteurs ont accès à l'information, droit à la parole et où prévaut finalement entre eux l'autorité du meilleur argument (et pas l'argument d'autorité du plus puissant). Dans la classe, le maître est a priori le dépositaire d'un savoir incontestable, mais il peut susciter des conflits cognitifs, des débats, des enquêtes, des recherches, des expériences chez les élèves, afin de leur apprendre petit à petit comment le savoir s'élabore et se valide collectivement, et jamais définitivement. Il peut même accepter d'entendre et de contester lui-même des objections, par exemple lorsqu'il s'est trompé dans la résolution d'une équation. Reconnaître ses erreurs devant la classe peut paraître une faiblesse : c'est aussi la preuve par l'acte que la vérité, à l'école, ne dépend pas du plus fort, mais du meilleur raisonnement (Maulini, 2016, discussion)24. Il est intéressant ici de montrer que finalement des différences sont déjà notables entre conversation et discussion. Dans une discussion, chacun tente de prouver qu’il a raison, les arguments s’échangent, dans un climat souvent conflictuel, les individus ne tentent pas de prendre en compte l’avis de l’autre interlocuteur. Essayons d’aller plus loin afin de pouvoir définir s’il serait plus judicieux de nommer la pratique « discussion à visée philosophique », « débat philosophique » ou « dialogue philosophique ». Si l’on se rattache à la définition de dictionnaire (Le Robert Micro, 1998), le débat serait « une discussion organisée et dirigée » (p.329). Pour aller plus loin, il est intéressant de se plonger dans une discipline scolaire présentant le débat régulé comme un moyen de travailler des objectifs de français et dont les élèves doivent s’en approprier les caractéristiques. Ainsi, COROME (moyen d’enseignement de français romand) définit le débat régulé comme étant 23 24 Consulté le 2 août sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm Consulté le 2 août sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm 39 « […] une discussion qui se déroule en public entre plusieurs partenaires, organisée et dirigée à partir d’une question controversée, qui cherche à modifier les opinions ou les attitudes d’un groupe » (Dolz, Noverraz & Schneuwly, 2011, p.146). Dans un débat, chacun expose sa position et la défend, débouchant souvent sur un désaccord. Comme il l’est précisé dans la définition de COROME, il est lieu de chercher une modification d’opinion. Dans un débat, une personne peut avoir raison, l’autre tort, la situation veut que l’on pense les uns contre les autres et que l’on tente de convaincre son adversaire. Cependant, en philosophie, loin de chercher à modifier l’opinion des autres, il est lieu de vouloir sortir du conflit en utilisant la collaboration sous forme de dialogue. Il n’est pas attendu des élèves de s’exprimer pour ou contre une idée, mais de pouvoir prendre en compte celle des autres, afin de transformer, ou non, la sienne. Le dialogue philosophique dépasse cette institution de la loi du meilleur raisonnement (discussion), de la modification d’opinions (débat) pour finalement avoir pour but d’aboutir à un accord (dialogue). Ainsi le dialogue possède une ouverture aux idées en passant par l’écoute, le respect, la liberté, l’ouverture et l’égalité d’esprit. De plus, contrairement au débat, si l’un a raison, l’autre n’a pas forcément tort, la recherche se fait communément et est collaborative. Qu’ils travaillent, qu’ils jouent, qu’ils conversent, qu’ils cherchent ou qu’ils étudient, les participants de l’interaction pédagogique coordonnent leurs points de vue au moyen du langage, dans une discussion où chacun avance et évalue des « prétentions à la validité ». Ils échangent des énoncés supposés « vrais », « authentiques » et « conformes aux normes », des énoncés dont la véracité, l’authenticité et la conformité sont continuellement négociées en vue de l’intercompréhension (Habermas, 1981/1987). » (cité par Maulini, 2001, discussion)25. Ainsi, je nommerai cette pratique comme étant un dialogue philosophique tout au long de mon travail, car pour moi elle raisonne avec le fait de pouvoir amener ses idées, les exposer et les remettre en question continuellement, sans chercher à les imposer au groupe. De plus, la pratique du dialogue philosophique ne serait-elle pas plus proche des objectifs transversaux que disciplinaires ? (cerner les enjeux de la réflexion, mettre les faits en perspective en s'appuyant sur des repères, explorer différentes options et points de vue, comparer son opinion à celle des autres, faire une place au doute et à l'ambiguïté, explorer différentes opinions et points de vue possibles ou existants…), PER, capacités transversales, descripteurs de la démarche réflexive. 25 Consulté le 2 août sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm 40 41 III. Problématique et question de recherche 3.1 Mon expérience d'enseignante avec mes élèves Enseignante depuis août 2015, je n'ai pas manqué de m'essayer à l'animation de la discussion à visée philosophique. Deux ans plus tôt, lorsque j'étais en stage, j'ai pu prendre part à diverses observations avec les élèves. Très enthousiaste, j’ai souhaité au début commencer avec un livre, « Le monde de Sophie » de Jostein Gaarder. En effet, je considérais que ce livre était un bon moyen de s’initier au monde de la philosophie mais je me suis rapidement retrouvée en difficulté sur la manière de l’utiliser en classe, de la transposer aux élèves un peu trop jeunes encore pour cette lecture. Je me suis alors lancée d’une manière différente quelques jours après la rentrée. J’ai tout d’abord proposé aux élèves de réfléchir à des questions philosophiques sur lesquelles ils voulaient discuter. En leur présentant les livres utilisés par leur enseignant l’année précédente, les élèves ont énuméré quelques thèmes. Je leur ai demandé à chaque fois demandé de définir rapidement ce que signifiait leur idée. J’ai noté les thèmes et les mots-clés sur un grand java. Dans l'aperçu ci-dessous, nous observons déjà la curiosité des élèves sur des grandes questions de la vie touchant universellement chaque homme de notre planète. L’amour : pourquoi peut-on ou doit-on aimer des gens ? La générosité : le partage, contraire de l’égoïsme La vie et la mort : pourquoi la vie ? Pourquoi les méchants et les gentils ? Les méchants font tout ce qu’il ne faut pas faire, être gentil c’est avoir des amis, être méchant c'est le racisme, la discrimination, mais y-a-t-il vraiment des gentils et des méchants ? La confiance La guerre : pourquoi fait-on la guerre ? Pourquoi la violence ? Pourquoi les armes ? Pourquoi avoir inventé cette chose aussi dangereuse ? Voyons-nous tous la même chose ? Nous avons appris qu’une banane est jaune mais voyons nous tous le jaune de la même couleur ? 42 « Quelque chose m’est venu à la tête mais pourquoi quelque chose me vient à la tête ? Pourquoi on oublie ? ça sort par où ? » Pourquoi aller à l’école, pourquoi apprendre ? Les différences : plusieurs types (caractère, vie…) Les religions, le racisme, les croyances car « ça existe depuis les hommes préhistoriques ». ... A la suite de ces idées, j'ai décidé, pour les semaines suivantes, de partir sur les questions de violence et non-violence pour ensuite aborder les questions de guerre, d'armes, avant de revenir sur la paix. Avant de commencer je leur ai aussi demandé quelles seraient les règles que nous devrions respecter pour que les discussions se passent bien. Nous les avons listées et nous en avons retenues huit : 1. S’écouter les uns les autres 2. Ne pas juger 3. Respecter les différents points de vue 4. S’entraider 5. Être curieux 6. Être soi-même et penser par soimême 7. Rechercher ensemble 8. Ne pas se sentir obligé de répondre. Ainsi, nous avons commencé en suivant plus ou moins à chaque fois le même fil rouge pour chaque discussion ayant lieu à raison d'une fois par semaine. A chaque moment de dialogue, je leur ai proposé une histoire, un extrait de film ou autre. Les élèves ont réfléchi individuellement dans un premier temps sur la question que nous avions choisie ensemble et qui était en rapport avec le support utilisé. Nous nous réunissions ensuite en cercle et les élèves pouvaient intervenir en levant la main. Quelques rôles ont parfois été attribués. Après quelques semaines, j’ai commencé à me poser plusieurs questions. J'ai eu l'impression que les élèves ne réagissaient et ne réfléchissaient pas aussi bien que lorsque je les avais observés deux ans auparavant. De plus, j'avais eu l'impression de me retrouver embêtée par moment, car je n'arrivais pas à faire approfondir par les élèves leurs réflexions puis à les faire rebondir. Intéressée alors par la question de mon rôle j'ai commencé à me plonger dans la lecture de Sasseville (2009) qui me donna beaucoup d'idées. Sasseville présente plusieurs habiletés de pensée que nous pouvons entraîner chez les élèves. Cependant, lors des dialogues des semaines suivantes en classe, son ouvrage me faisait écho pendant la pratique. Je pensais à beaucoup de choses sur les moments et finalement, je ne savais plus du tout ce que je faisais. A ce moment-là, une personne m'a fait part de quelques éléments, qui, selon elle, m'empêchaient de faire avancer les élèves. 43 Je présenterai ici directement ma situation éducative complexe26 sous sa forme entière. En effet, lors des entretiens avec divers enseignants (partie analyse), cette situation leur a été présentée telle quelle afin qu’ils puissent s’imprégner d’une situation qui m’a posé problème. Elle permettra au lecteur, par l’illustration d’un moment-clé, de comprendre d’emblée les difficultés dans lesquelles je me suis retrouvée. 3.1.1 Situation problématisante Dialogue philosophique ou simple discussion de café ? Depuis le début de l’année, tous les vendredis en dernière heure de l'après-midi, je fais de la philosophie en classe, enfin, je me demande si j'en fais vraiment. J'ai décidé de faire mon mémoire sur ce sujet et beaucoup de concepts se percutent dans ma tête : les habiletés de pensée que propose Sasseville dans son livre, les questions de relance, les éléments à observer, faire argumenter les élèves, contre-exemplifier, etc. Malgré une grille de relance très complète trouvée dans ce même livre j’ai beaucoup de peine, sur le moment, à trouver les bonnes questions afin d'approfondir les pensées des élèves. Je laisse petit à petit tomber cette grille pour agir le plus naturellement possible lors des discussions. Vendredi 23 novembre 2015, en dernière période de l’après-midi, je propose aux élèves le moment philosophie du vendredi. La coordinatrice pédagogique est présente pour m’observer et m’évaluer. Sa présence ne me perturbe pas beaucoup et je me sens agir comme d'habitude face aux élèves. Avec ceux-ci, nous avons beaucoup travaillé sur les questions de violence et de guerre en philosophie. Afin de progresser dans le thème et faire un lien pour en arriver à la question de la paix, j’ai décidé de leur montrer la vidéo de l’homme de Tiananmen 27. Les élèves ont visionné le film mais ne comprennent pas bien de quoi il s’agit, malgré une deuxième vision de l'extrait et une courte présentation du contexte. Après visionnage du film, je voulais que les élèves réfléchissent individuellement à ce qu’ils avaient vu en répondant à deux questions : « Ce que je comprends, comment je décris la scène, mes réactions » et « les questions que je me pose ». Les élèves sont bloqués et je me demande pourquoi. Je décide alors de dégager le thème principal avec eux. Ils en sortent plusieurs, pas faux mais ne me 26 27 Voir annexe “situation problématisante” p.158-159 Voir annexe “situation problématisante” p.160 44 satisfaisant pas. Je leur ai finalement fait deviner ce que j’attendais d’eux et je crois que ce n'était pas la meilleure manière de pouvoir les engager dans une discussion. Ensuite, pendant quelques minutes, ils ont noté des idées puis ils se sont réunis en cercle pour discuter. Comme d’habitude j’attribue les rôles de distributeur de parole, secrétaire et gardien du temps. Lors de la discussion il m’est arrivé d’ôter le rôle de distributeur de parole afin que je le gère moi-même pour permettre de prendre les élèves dans l’ordre et donc de ne pas avoir des changements d’idées trop rapide. L’élève secrétaire me dit qu’il n’arrive pas tout à noter je lui dis alors de noter quelques idées principales. En fin de discussion, je renvoie les élèves à un travail individuel en leur demandant d’écrire sur deux points concernant la discussion qui vient d'avoir eu lieu « ce que le groupe a dit lors de la discussion » et « les nouvelles questions que je me pose ». Les élèves me rendent ensuite leur feuille. Les nouvelles questions qu’ils se posent sont pour moi un appui pour proposer les fois suivante une thématique en lien avec celles-ci. Après cette après-midi, la coordinatrice me fait un retour sur mon moment de discussion philosophique et me demande tout d’abord mes impressions. Je lui explique qu’il est difficile pour moi de gérer ces moments, car ils me paraissent plus compliqués que ce qu’ils en ont l’air. Je lui explique que le plus grand défi de l'enseignant, ici, est de se retirer de la discussion, chose que je n’arrive pas à faire au vue de mes nombreuses interventions. Elle cite quelques unes de mes interventions lors de la discussion: "oui, très bien", "ok", "On l'écoute, ce qu'il dit est intéressant". Ici la coordinatrice affirme que je prends position dans la discussion et attire mon attention sur le fait qu'il manque également un contexte plus précis pour que les élèves situent mieux l’événement. Finalement les élèves posaient beaucoup de questions en relation avec le contexte. Elle affirme que ces questions sont cependant légitimes, sinon les élèves n'arrivent pas à généraliser le problème. Selon elle, les élèves n'exprimaient qu'une juxtaposition d'idées et je serais ici à côté de mes objectifs de reformulation, exemplification et autre qui composent la discussion à visée philosophique. Elle me dit que la régulation à l'intérieur de la discussion est très importante afin de prendre conscience des déplacements, des relances que j'ai permis, ou non, aux élèves. Il faudrait selon elle décentrer les élèves le plus possible et trouver des questions qui ne sont pas jugeantes de la situation. 45 Suite à cette situation, je me pose plusieurs questions sur la manière de gérer un groupe de discussion. Comment prendre en compte l'entièreté du groupe ? Comment être sûre que les élèves apprennent quelque chose ? Comment les amener à dépasser le monde qui leur est proche pour se poser des questions plus existentielles ? Je ressens le besoin d'observer ces pratiques chez des collègues afin de mieux pouvoir situer le rôle des enseignants lors de ces moments. C'est l’image la plus connue de la répression du mouvement démocratique de Tiananmen à Pékin. Elle date pourtant du 5 juin 1989, soit après l'intervention de l'armée contre les étudiants dans la nuit du 3 au 4 sur la célèbre place de Pékin. Elle est devenue un symbole : un homme, sac plastique à la main, fait face à un char, non loin de la place, sur l’immense avenue de la Paix-éternelle (Chang'an), qui traverse la capitale chinoise d'est en ouest. Le surnom donné au rebelle, « Tank Man », est resté dans l'histoire, pas son vrai nom, car personne n’a jamais su ce qu’il était devenu.28 3.2 Problématique Je désire poser ici ma problématique par rapport à mon obstacle majeur qui est ici mon animation et mon intervention du dialogue philosophique. Mon premier feedback sur ma pratique, fait par ma coordinatrice, me laisse entendre que les élèves n’amènent que des juxtapositions d’idées et ne procèdent à aucune réflexion. Il est vrai que dans la plupart des cours de didactique proposés à l’Université tout au long de mon cursus, j’ai été amenée à réfléchir souvent sur le rôle de l’enseignant. Institutionnalisation, différenciation, accompagnement, régulation, évaluation et autres sont tous ces concepts faisant référence à un rôle d’enseignant finalement très directif et exigeant mais qui pourtant ne semblent pas avoir leur place dans la pratique du dialogue philosophique. 28 Le Monde.fr | 04.06.2014 à 09h47 • Mis à jour le 04.06.2014 à 13h04 | Par François Bougon et Gabriel Coutagne 46 Après m’être construit une culture pédagogique autour de quatre auteurs précédemment présentés, je rappellerai ici rapidement le point de vue des quatre courants. Rappelons que pour Lalanne l'enseignant sert de guide aux élèves dans l'élaboration du savoir et est garant de la cohésion de la réflexion des élèves, tout en s'appuyant sur les apports des élèves par un questionnement ouvert. Lévine lui n’intervient pas du tout lors du débat mais sa présence représente la légitimité et est le cadre pour la gestion du temps et de la parole. Chez Tozzi, l'enseignant lance les échanges, recadre, relance, interroge, reformule, souligne les points de vues contradictoires, il construit du sens et de la progression au fil du débat, il encourage et valorise. Chez Lipman, l'enseignant favorise la formulation d'hypothèses, un climat d'écoute et de respect. Il aide les élèves à acquérir les habiletés de pensée. Il se met au service d'une réflexion collective par la participation du groupe. La place et le rôle du maître est donc bien différente selon chacun. Tozzi et Lalanne (2003) problématisent ce rôle d’enseignant "renversé" lors de la discussion philosophique en classe. Dans leur recherche ils montrent les deux versants opposés que peuvent endosser les maîtres dans leur rôle. En situation d’apprentissage dans des disciplines dites plus « scolaires », le maître possède une posture traditionnelle : il est le maître de la parole, du pouvoir et du savoir. Cependant, lors des discussions philosophiques, son rôle est inversé et paradoxalement, il rompt avec sa posture habituelle. Il donne un statut à la parole de l’élève, le maître ne s’exprime, s’il le souhaite, qu’à un moment où sa parole est pertinente. Son pouvoir peut être partagé, il peut laisser des responsabilités aux élèves, des fonctions démocratiques, les règles sont co-construites et le style de travail se veut très coopératif. Aussi, l’enseignant ne cherche pas à s’imposer comme maître du savoir mais devient développeur d’une culture de la question dans le sens où il ne tranche pas et ne donne pas de réponse. Il n’est plus « supposésavoir » mais un « sujet-sachant-douter ». (Tozzi, Lalane, 2003). Kant, grand philosophe y faisait déjà référence à son époque dans Critique de la raison pure : « Le professeur ne doit pas apprendre des pensées, mais à penser. Il ne doit pas porter l’élève mais le guider si l’on veut qu’à l’avenir il soit capable de marcher de lui-même » (CRDP de l’académie de Paris, 2014, p.3)29. 29 Consulté le 2 août 2016 dans http://crdp.acparis.fr/seanceplus/terredesours/sites/default/files/SeancePlus_TDO_philo_debat.pdf 47 Pour d’autres, la pratique de la philosophie n’aurait pas besoin de passer par une formation spécifique, en effet, le maître a bien souvent un rôle de retrait et n’intervient que rarement ou alors sur des exigences générales. Ainsi, Jolibert (2015) questionne de près le rôle de l’enseignant : « Mais comment prétendre orienter, rectifier, diriger un débat philosophique en ignorant les bases de cette discipline ? » (p.300). Nous observons donc un réel questionnement sur le rôle des enseignants dans la pratique de la philosophique actuelle. Les pédagogues avancent leurs idées sur le sujet, mais que se passe-t-il dans les pratiques réelles des enseignants? Ainsi, je souhaite me pencher sur cette question afin de comprendre les pratiques de classe réelles. 3.3 Questions de recherche Dans le cadre de ma recherche et en lien avec mon expérience personnelle décrite ci-dessus, les questions que je me pose sont les suivantes: Au-delà des théories, comment les enseignants pratiquent-ils le dialogue philosophique en classe ? Que font-ils et que disent-ils en faire? Quel rôle prend-il dans l'animation des dialogues philosophiques ? Ce rôle est-il différent des autres disciplines ? Comment se place l'enseignant lors de ces moments de discussion ? Comment pense-til ? Qu’attend-il de ses élèves comme production ? Qu'attend-il que ses élèves apprennent ? Quelle est l'intervention de l'enseignant dans ces moments de discussion ? Intervient-il un peu ? beaucoup ? passionnément ? Est-ce que les enseignants attendent que les élèves construisent des savoirs ? Quels sont ces savoirs? Formalise-t-il lui-même ou laisse-t-il cette tâche aux élèves? Institutionnalise-t-il ? Par quels moyens ? Quels sont les critères que les enseignants se donnent pour pouvoir affirmer que leurs élèves font bien de la philosophie en classe ? Quelles compétences doit-il avoir pour pouvoir animer une discussion à visée philosophique ? Que font les enseignants dans ma situation ? Pourquoi font-ils ce qu'ils font ? Quelles sont leurs bonnes raisons de faire ce qu'ils font ? 48 IV. Méthodologie Je vais exposer dans ce chapitre la méthodologie que j’ai utilisée pour pouvoir répondre à mon questionnement initial. Je propose ici d’explorer mes questionnements en prenant appui sur une méthodologie faisant appel à la théorie ancrée, fortement prônée par Glaser et Strauss. En effet, cette méthode de recherche vise à construire et trouver des hypothèses à partir des données que peut récolter le chercheur sur le terrain. Je m’inscris donc dans une recherche qualitative. Elle peut paraître déconcertante dans un premier temps mais le but de ma recherche n’est pas de faire des hypothèses sur l’inscription des enseignants questionnés dans certaines catégories, mais de faire ressortir des éléments théorisables à travers leurs discours, afin de comprendre ce qui fait sens. Ainsi, pour que ma recherche soit la plus proche possible du terrain et des pratiques enseignantes, je décide de partir des données pour arriver à la construction d’une théorie permettant ainsi concordance avec la pratique. Ainsi, je souhaite comme Glaser & Strauss « systématiser la collecte, la codification et l’analyse des données qualitatives en vue de produire de la théorie ». (2012, p.104) 4.1 Démarche de recherche Pour pouvoir commencer ce travail, je me suis penchée sur quelques concepts « locaux » comme les nomment Glaser et Strauss, permettant de me fabriquer une base afin de fonder ma théorie. Ainsi, comme l’affirment Glaser et Strauss (2012): « le sociologue doit en outre disposer d’une sensibilité théorique suffisamment développée pour pouvoir conceptualiser et formuler une théorie en train d’émerger des données » (p.139). Pour ce faire, j’ai construit ma revue de littérature sur quatre différents courants existants concernant la pratique de la philosophie en classe (Lalane, Tozzi, Lipman et Lévine), puis, je me suis penchée sur quelques concepts plus précis concernant cette pratique comme : les objectifs que nous trouvons dans celle-ci, le rôle et le statut de l’enseignant, la formation de ce dernier, la planification des séances, la formalisation des savoirs, les régulations et autres… De plus, afin de pouvoir répondre aux questionnements qui ont émergés tout au long de ce travail, j’ai décidé d’utiliser la démarche compréhensive (Charmillot & Dayer, 2007). Max Weber (cité par Kaufmann, 2011) la définit comme telle : 49 La démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples agents porteurs de structures mais des productions actifs du social, donc des dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus. (p.24) En effet, au contraire d’une démarche explicative qui est de prélever sur le terrain des réponses à des questions, j’ai préféré vouloir écouter et comprendre les enseignants rencontrés pour construire du sens à partir de leurs expériences, afin de rendre mon analyse riche et proche du terrain. La méthode compréhensive demande une certaine proximité entre le chercheur et l’informateur ce qui rend la recherche d’informations plus authentique et sincère. J’utiliserai donc une méthode exploratoire, me permettant, suite à l’élaboration de ma revue de littérature, de récolter des données sur le terrain par le biais d’entretiens semi-directifs. En effet, en contact avec la réalité, les participants ont pu me fournir de précieuses informations concernant leur pratique de classe réelle. Ma recherche et récolte de données sont au service de la production d’une meilleure compréhension de la pratique des enseignants du dialogue philosophique en classe. Elle sera qualitative. […] le chercheur partisan de l'approche qualitative n'essaie pas d'abord de quantifier les phénomènes observés afin d'établir des corrélations. Il tente plutôt de saisir la réalité telle que la vivent les sujets avec lesquels il est en contact; il s'efforce de comprendre la réalité en essayant de pénétrer à l'intérieur de l'univers observé ». (Poisson, Y. 1983, p.371) J’ai choisi cette démarche, car elle me paraît la plus adaptée pour pouvoir répondre à mon questionnement sur le rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue philosophique. En effet, en observant quelques pratiques dans mon parcours de formation, j’ai eu l’impression que quelque chose était à comprendre autour de l’engagement de l’enseignant dans cette pratique. Ainsi, j’ai décidé de partir de pratiques ordinaires en questionnant la gestion du dialogue philosophique en classe, les choix et les options prises par les enseignants, tout en comprenant pourquoi ils font comme ceci, pour petit à petit affiner et organiser mes questions (Kaufmann, 1996). 50 4.2 Instrument de recueil de données : la grille d’entretien Rappelons que concernant les entretiens en sciences humaines et sociales permettent de donner la parole à l’informateur afin de mieux comprendre comment il agit, sa pensées et ses actes. On cherche donc à mieux comprendre l’autre. L’entretien était donc un bon instrument de recueil de donnée pour mon travail, car il m’a permis d’explorer ce qui est réellement fait dans les classes. Rappelons qu’ils sont de trois types : l’entretien directif, l’entretien semi-directif et l’entretien non directif. Dans mon travail, l’entretien semi-directif est l’outil que j’ai choisi pour récolter mes données. Dans ce type d’entretien, les questions sont ouvertes. On se rapproche plus de la discussion car les thèmes sont prédéfinis et les questions peuvent être posées dans un ordre quelconque. Le chercheur peut demander des approfondissements et laisse venir l’informateur. Il peut cependant lui poser des questions non traitées par l’informateur. Il laisse libre choix à l’interviewé de s’exprimer mais garde en tête les objectifs fixés par son entretien. Concernant ma recherche, j’ai donc décidé de me baser sur des entretiens semi-directifs, correspondant le mieux à mes attentes, car les questions permettent au chercheur et à l’interviewé de pouvoir compléter, relancer certaines questions, ou encore recadrer la discussion. J’ai donc élaboré une grille d’entretien très souple, permettant d’élargir ou approfondir certains points au moment de l’entretien. Pour ce faire, j’ai construit une grille en partant de cinq points centraux (sous-thèmes) possédant chacun des questions y faisant référence. Kaufmann (2013) affirme également que la grille est construite comme un objet scientifique « […] en travaillant à la cohérence, en renforçant ce qui est central, en contrôlant ce qui est périphérique, en éliminant sans faiblesse ce qui est superflu ». (p.45) Dans mon guide d'entretien, que vous retrouverez en annexe30, nous retrouvons quatre parties principales. En préambule, l'ouverture de l'entretien avec quelques indications concernant sa passation pour l'enseignant. Une première partie est avec des questions concernant une situation problématisante et questionnante décrite sous forme de récit, que vous retrouverez également en annexe31. Cette partie est plus générale, les questions moins pointues, permettant d’élaborer des questions de 30 31 Voir annexe, “grille d’entretien” p.157 Voir annexe, “situation problématisante” p. 158-159 51 sous-thème pour la suite de l’entretien mais qui n’ont pas été forcément été décrites dans le guide d’entretien. Une deuxième partie avec des questions plus générales ; une sous-partie sur la pratique de la philosophie en classe par le dit enseignant et une autre sur le rôle de l'enseignant lors des discussions à visée philosophique. Finalement, une conclusion de l'entretien qui a permet de remercier l'enseignant interviewé et de lui laisse la possibilité de s'exprimer davantage et sur d'autres points du sujet s'il le désirait. Avant de pouvoir me lancer dans la recherche d’information, une demande d’autorisation sous forme de dépôt de projet a été adressée à la commission d’éthique afin de garantir le respect de valeurs éthiques de ma recherche. Suite à cet accord, chaque informateur a été informé des objectifs généraux de la recherche, de la procédure et de la durée des entretiens à travers un formulaire de consentement. Afin de permettre un entretien plus naturel, je me suis appropriée ma grille plusieurs fois avant de rencontrer les enseignants. Elle était bien sous mes yeux au moment de la rencontre mais le fait de la connaître m’a permis de pouvoir jongler et poser les questions dans des moments plus appropriés que si elles étaient simplement énumérées les unes après les autres. Ainsi, la conversation était plus riche qu’un listing pointé dans un ordre précis, permettant de faire parler les informateurs tout en restant dans le thème. Cependant, nous pouvons remarquer que même si les points centraux et les sous-questions ne sont pas traitées dans le même ordre pour chacun des interviewés, les questions concernant un même sous-thème sont par contre regroupées. Il est donc primordial de ne pas scinder les sous-thèmes afin d’éviter de passer trop rapidement sur des informations précieuses, couper trop court, risquant de perdre des informations relatives à ces points. 4.3 Choix de l’échantillon d’étude Concernant l’échantillon d’étude, j’ai décidé d’interviewer des enseignants pratiquant de manière régulière le dialogue philosophique avec leurs élèves et possédant une certaine expérience. En effet, ce qui m’intéresse est de voir comment un enseignant qui se déclare faire du dialogue philosophique en classe prend en charge son rôle dans ces moments-là. Ainsi, dans le cadre de ma recherche compréhensive, j’ai décidé d’interviewer six enseignants en procé- 52 dant à des entretiens individuels semi-directifs. Pour ce faire je me suis appuyée sur deux principaux critères pour choisir mes informateurs : L’enseignant-e se déclare pratiquer le dialogue philosophique en classe plus ou moins régulièrement. L’enseignant-e a une expérience dans la pratique du dialogue philosophique en classe d’une année minimum. De plus, j’ai pu rencontrer des enseignants de tous horizons scolaires, écoles publiques, écoles privées, pédagogies actives et autres, ce qui pour ma part ne doit pas être un critère d’élimination. La diversité dans laquelle les enseignants évoluent permet bel et bien de choisir les informateurs, comme le veut la démarche compréhensive et non se satisfaire d’un échantillon représentatif. Ainsi, plus que de constituer un échantillon, il est davantage important de bien choisir ses informateurs. 4.4 Conduite d’entretiens Afin de pouvoir rendre les interviewés à l’aise et en confiance, je leur ai laissé libre choix de l’heure et du lieu dans lequel ils désiraient que nous nous rencontrions. Dans la plupart des cas, l’objet d’étude et le but de la rencontre ont très souvent été annoncés à l’avance par un texte présentant de manière synthétique ma recherche. Certains enseignants ont su profiter de ces informations pour réfléchir au préalable à quelques points qu’ils souhaitaient aborder avec moi. Ainsi, chaque entretien commençait avec un remerciement de ma part d’avoir pris le temps de me répondre et de me recevoir pour cet entretien. Nous avons également discuté au début comme à la fin de manière informelle afin de pouvoir prendre contact et nous connaître plus. Ensuite, avant de commencer, j’ai demandé aux interviewés de signer le formulaire de consentement et demandé leur accord pour mettre en route mon dictaphone. Tous ont accepté, ce qui m’a permis une plus grande finesse dans les transcriptions et les analyses qui ont suivi. Les enseignants ont eu connaissance, en début d’entretien, de la situation éducative complexe précédemment présentée, leur permettant de s’imprégner d’une situation concrète mettant en jeu le rôle de l’enseignant. Après que la situation complexe leur ait été exposée, ils ont pu me poser des questions des clarifications sur la situation. Je leur ai, dans un premier temps, demandé de s’exprimer sur cette situation complexe. Puis au fil de la discussion des questions plus ciblées ont été posées. 53 L’entretien s’est déroulé sous forme de conversation guidée et non sous forme d’interrogatoire, ce qui a permis d’obtenir la confiance des enseignants. Dans cette optique, j’ai tenté de me rapprocher le plus possible des situations réelles en proposant d’emblée une situation personnelle (situation problématisante), afin que les enseignants essaient, eux, de l’expliquer. J’ai fait preuve d’une écoute attentive, ce qui parfois a fait dépasser le temps prévu de l’entretien, car se sentant à l’aise et écoutés, les informateurs se sont parfois lancés dans plusieurs anecdotes s’éloignant du sujet de base. C’est pourquoi les questions traitées par chaque entretien ne se situent jamais dans le même ordre, car elles ont été intégrées selon les thèmes et la direction au fil de la discussion. 4.5 Présentation de l'échantillon de l'étude Je présenterai ici les enseignants32 ayant pris part à l’entretien semi-directif proposé. Le choix a été fait sur la base de plusieurs critères: les enseignants se déclarent pratiquer la philosophie en classe, la pratiquent régulièrement et depuis un certain nombre d'années. Ils ont ainsi une pratique installée et ont développé une réelle pratique des savoirs, des routines, des savoirfaire vers auxquels je souhaite accéder. Aline : Enseignante dans une école de campagne publique genevoise, elle enseigne cette année dans un triple degré, 6-7-8ème primaire Harmos. Elle enseigne depuis 25 ans et a commencé le dialogue philosophique en classe il y a maintenant 8 ans. Brigitte : Enseignante dans le canton de Genève dans une école publique située en campagne genevoise, elle travaille cette année avec des élèves de 6ème primaire Harmos et enseigne depuis 2 ans et demi. Elle pratique la philosophie également depuis deux ans et demi. Chloé : Cette enseignante enseigne actuellement dans une classe de 6ème primaire Harmos. Cela fait 10 ans qu’elle enseigne. Elle pratique le dialogue philosophique en classe depuis 5 ans. Elle travaille actuellement dans le public mais elle a travaillé auparavant dans le privé David : Enseignant dans une école privée à Genève, ses élèves ont entre 8 et 9 ans. Cet enseignant exerce son métier de cœur depuis 30 ans et a commencé la pratique de la philosophie en classe il y a 15 ans. Eléonore : Enseignante dans une école Active à Genève, école privée, elle pratique la philosophie depuis le début de sa carrière. Elle enseigne depuis maintenant 12 ans et travaille 32 Prénoms fictifs 54 cette année avec une classe de 5ème-6ème primaire Harmos. Se former en philosophie était une condition à son engagement dans cette école. Fabienne : Cette future enseignante a pratiqué pendant 6 ans le dialogue philosophique en classe comme intervenante externe. Elle n’est pas enseignante de formation et de métier mais intervient dans des écoles pour faire spécifiquement de la philosophie. Elle ne possède pas de classe cette année car elle est actuellement en formation pour devenir enseignante. Elle intervient en primaire autant dans des écoles privées que publiques. 4.6 La fabrication de la théorie, démarches d’analyse Une fois les entretiens passés, la partie la plus importante commence dans cette deuxième étape : il s’agit de l’investigation du matériau. Il faut maintenant traiter les données récoltées. Pour ce faire, Kaufmann insiste sur le fait que les éléments de théorisation ne sont pas uniquement présents dans la quantité de matériau récolté mais qu’ils dépendent de la capacité analytique du chercheur. Ainsi, dans sa méthode que j’ai suivie, il propose de faire parler les faits, écouter à maintes reprises les enregistrements et se situer dans une attention flottante en investiguant le matériau de manière active. Comparant sa méthode à une investigation policière, Berger (1973) affirme que « l’enquêteur de terrain veut tout voir, tout savoir, surtout ce qui se cache, il veut ouvrir toutes les portes fermées ou au moins jeter un coup d’œil par le trou de la serrure » (cité par Kaufmann, 2011, p.75). Cette méthode se veut très riche des histoires de vie de chacun mais il faut aussi prendre garde au « passage délicat du perceptuel vers les conceptuel » pour lequel Laé (1992) (cité par Kaufmann, 2011, p.76) nous demande d’être vigilants. Afin de favoriser ce passage pour qu’il se construise progressivement, la théorie se construit sous forme d’aller-retour entre les faits et les hypothèses. Kaufmann propose donc de travailler à partir des entretiens retranscrits en partie (ils seront dans mon travail entièrement retranscrits afin de pouvoir profiter d’un contexte plus précis et d’un matériau plus facile à travailler pour ma part). Lors des écoutes ou lectures répétées des interviews, Kaufmann propose de se pencher sur des points précis répondant au critère « c’est intéressant ». Il propose également de rédiger des fiches. Ainsi, j’ai cherché à « fabriquer » de la théorie fondée à partir des savoirs professionnels. En effet, la méthode de Glaser et Strauss propose pour ce faire d’investiguer les matériaux de manière active en pratiquant l’attention « flottante ». Après avoir retranscrit les matériaux de manière fragmentée, en ôtant quelques fables racontées par les informateurs, j’ai, dans un premier temps mis en couleur dans les transcriptions les éléments se ressemblant, traitant du même sujet. Par la suite j’ai procédé par mémos, d’abord ceux regroupant les différents thè55 mes, puis après, plus en finesse, j’ai cherché dans chaque thème les ressemblances et variations à propos des éléments apportés par les informateurs dans chacune des questions posées. Comme le disent Glaser et Strauss (2012) : « En comparant les similarités et les différences entre les faits, nous dégageons les propriétés des catégories, ce qui accroît alors leur généralité et leurs capacités explicatives ». J’ai ensuite reproduit pour chaque question un tableau. Dans celui-ci nous trouvons la question puis les différentes réponses des enseignants. En dessous, un texte fait état d’une part des ressemblances et d’autre part des variations. Finalement, ce travail que vous retrouvez dans la restitution de données se termine par une synthèse propre à chaque question. Par la suite, concernant l’analyse, le travail effectué autour de la recherche de thèmes m’a permis de faire de grands rapprochements avec mon cadre conceptuel mais m’a également demandé de creuser encore plus en allant chercher dans la théorie des éléments se rapportant à ceci. Suite à cela, je suis entrée dans une phase de formulation d’hypothèses et d’interprétations durant laquelle j’ai dû faire attention à rester objective afin de ne pas faire dire à l’informateur ce qu’il n’aurait pas affirmé et surtout rester près des données, ne pas extrapoler, surinterpréter, ou mettre dans la tête des acteurs des éléments qu’ils n’auraient pas dits. 56 V. Présentation et discussion des résultats 5.1 Restitution des données Suite aux entretiens, il a été nécessaire de procéder à l’analyse du discours des différents enseignants. Cette dernière étape consiste « […] à sélectionner et extraire les données susceptibles de permettre la confrontation des hypothèses aux faits » (Blanchet & Gotman, 2010, p.89). Etant dans une recherche compréhensive, j’analyse donc mes données de manière qualitative afin de mieux comprendre pourquoi les enseignants agissent de la sorte en classe et quelles sont les raisons qui les poussent à faire ainsi. Comme Gotman et Blanchet (2010) le proposent, je vais analyser les données en les traitants par des thèmes, ressortis lors des entretiens. Plusieurs étapes ont eu lieu dans mon analyse. Après la retranscription des entretiens, j’ai regroupé les réponses aux mêmes questions afin de dégager les régularités ou variations présentes dans chacune d’entre elles. Afin de pouvoir travailler de manière lisible, j’ai associé une couleur à chaque récurrence de thème, afin de pouvoir dégager une récurrence. Par la suite, j’ai procédé aux variations en cherchant les avis différents par rapport aux thèmes et je les ai mis en lien avec les récurrences. Ci-dessous, je procéderai tout d’abord à la restitution des données par questions puis une synthèse suivra chacune des questions. Dans le chapitre suivant, je mettrai en avant les thèmes retenus en liens avec le cadrage théorique et le discours des enseignants interviewés. J’ai choisi, ci-dessous, de remettre quelques longues citations, et je remercie d’avance le lecteur d’être compréhensif de la longueur ainsi que de la taille des données présentes dans les tableaux grisés. Cette procédure, en lien avec ma méthodologie, permet de mettre en évidence la manière dont j’ai repéré différents thèmes à travers les entretiens. Sous chaque tableau, le lecteur trouvera une synthèse des éléments repérés dans celui-ci. Une partie comporte les régularités et une autre les variations trouvées dans les réponses. * * 57 * Note au lecteur : Dans cette partie « restitution de données », j’ai fais le choix de traiter les questions les unes après les autres. Vous trouverez au-dessus des encadrés gris, les questions posées aux informateurs lorsd des entretiens. Le tableau regroupe les éléments de réponses apportés par les informateurs. Ce sont des parties extraites des retranscriptions. Les numéros des lignes vous renvoient aux annexes en fin de travail. Question posée aux enseignants : 1.1 Qu’est-ce que la philosophie/philosopher pour l’enseignant-e ? Réponses des enseignants : Aline L. 73 à 74 C'est vraiment penser, penser ensemble, construction de la pensée, c'est vraiment une communauté de recherche la pensée. Brigitte L.108 à 109 Philosophie, philo c'est en grec, aimer la sagesse. Donc pour moi, c'est également aimer utiliser les bons mots. Chloé L.226 à 236 Pour moi, c’est l’idée de faire des liens avec les idées des autres et puis de co-construire quelque chose. Et je pense que c’est ultra nécessaire dans le monde dans lequel on vit et pour eux, en tant que citoyens, de réussir de se décentrer, de réussir à prendre ses propres décisions, de pas être influencé forcément par ce qu’il se passe et puis c’est pas facile de mettre en doute ses propres idées, et je trouve que c’est ça qui est intéressant dans la philo pour enfant. « Ok tu penses ça, mais est-ce que c’est vrai ? Est-ce que ce n’est pas vrai ? Et est-ce que c’est vrai parce que c’est papa qui l’a dit ? Est-ce que, enfin, est-ce que c’est seulement vrai parce que c’est papa qui l’a dit ? » Ou oui, de réussir de se décentrer et de prendre en considération les idées des autres, et pourquoi il n’a pas les mêmes idées que moi ? Et est-ce qu’il fait un bout et moi un bout dans ma réflexion et finalement on voit qu’on arrive quand même à construire ensemble. David L.242 à 251 Apprendre à mieux penser. Donc c’est développer des habiletés de pensée, ça c’est clair. Mais c’est le truc qu’on voit partout, développer une pensée critique, ça c’est important. « Qu’est-ce qui te permet de dire ça ? Pourquoi ? " Ça c’est hyper important pour en faire des citoyens libres, libres parce qu’ils seront capables d’opérer des choix avec des jugements raisonnés et non pas avec la bonne idée de machin qui a une bonne tête et qui est copain avec un tel. Vraiment c’est leur faire prendre la distance. Vous verrez que petit à petit ça va coloniser tout ce que vous allez faire dans la classe, vous pourrez plus faire les maths de la même façon. Et souvent, les enfants me disent "Mais attends, on fait des maths ou de la philo ?" "Non, non, on fait des maths." « Mais en maths aussi on peut se poser des questions.» « Oui, oui. » Et vous ferez des choix qui iront dans ce sens-là. Eléonore L.372 à 375 Développer l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophique, dans tous les domaines. Et voilà, faire en sorte que les enfants ne soient pas des moutons, mais les considérer comme des personnes à part entière, comme le disait Dolto. Ca reste des enfants, donc on est là pour les aider à développer sa pensée critique. Fabienne L.109 à 133 Pour moi justement, l’idée c’est de permettre aux élèves de développer leur pensée. Alors, comment est-ce qu’on essaie de développer leurs idées ? On essaie de donner du sens à des choses 58 qui nous entourent. En philo pour enfant, l’idée c’est de leur permettre de se construire du sens par rapport aux choses, aux événements, aux situations de leur environnement ou des choses qu’eux vivent tous les jours. Donc c’est pour ça que c’est important de partir de leurs questionnements et de soutenir ce processus là, qui est un processus qui se fait dans la mise en commun des différente expériences et des différentes pensées, qui sont les différentes réflexions des élèves. Tout d’un coup, l’objet dont on parle commence à prendre une épaisseur et c’est dans cette épaisseur là qu’on trouve du sens, parce que quand le sujet, si les gens partent du début de la leçon ou la fin de la leçon de l’idée que la guerre c’est ça et la paix c’est ça, c’est probablement un peu pauvre, parce que c’est plus complexe. On sent bien que la situation, la guerre, la violence la paix ça peut être un continuum, y a des moments où ça casse et le fait de complexifier la notion je trouve que c’est ça qui est important et tout d’un coup on se rend compte qu’il y a des dimensions éthiques, de différents ordres, des dimensions politiques, stratégiques. Il y a beaucoup de dimensions. C’est un phénomène qui est quand même social, qui existe partout, parce que la guerre c’est la violence, c’est la même chose. Donc c’est en densifiant le phénomène qu’on commence à mieux comprendre de quoi il s’agit, parce que si c’est un truc clair et net, c’est une fois pour toutes on a une définition claire et nette, c’est oui, c’est peut-être un petit début de quelque chose, mais ce qu’il faut c’est enrichir cette pensée. Donc, bien sûr il y a des connaissances qu’on peut apporter, mais ce qui fait vraiment qu’on arrive à s’élever dans sa pensée, c’est justement quand on arrive un peu à la produire par soi-même. Aussi, quand on arrive à l’alimenter avec des choses, les choses prennent tout leur sens, on fait des liens qu’entre les choses et à mon avis, en philo, c’est ce qu’on essaie de faire. C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser. Que retient-on ? A. Quelques régularités observées autour des définitions attribuées à la philosophie pour enfants La philosophie comme construction d’une pensée Nous pouvons relever quelques régularités dans les paroles des enseignants. Pour Aline, la philosophie est l’idée d’une construction de la pensée. Pour Chloé c’est une « coconstruction » et pour Fabienne c’est « une construction de sens ». Nous observons ici que la pratique de la philosophie est une construction de sens ou/et de pensée pouvant se faire au contact d’autres personnes. Fabienne confirme que la pratique du dialogue philosophique donne « du sens à ce qui nous entoure ». La philosophie pour faire des liens dans différents domaines De plus, la philosophie serait également « l’idée de faire des liens avec les idées des autres » (Chloé), soit faire des liens entre différentes choses faites à l’école (Fabienne). David ajoute également « vous verrez que petit à petit ça va coloniser tout ce que vous allez faire dans la classe, vous pourrez plus faire les maths de la même façon ». Nous retrouvons dans cette définition donnée par les enseignants une question de liens se créant entre les personnes et entre ce qui est vécu dans les différentes disciplines à l’école. Eléonore ajoute aussi que cette pratique permet « une rigueur philosophique dans tous les domaines ». Ainsi, la pratique de la philosophie en classe permettrait « en tant que citoyen de réussir à se décentrer » comme le dit Chloé ou encore à « en faire des citoyens libres, libres parce qu’ils seront capables d’opérer des choix avec des jugements raisonnés » (David). Ces deux enseignants possèdent donc une vision de formation citoyenne à travers cette pratique. 59 La philosophie comme développement de la pensée de l’enfant Outre ceci, elle est pour certains d’entre eux la possibilité pour les enfants de développer quelque chose. Pour David et Eléonore, il s’agit de développer les habiletés de pensée, nécessaires à la construction d’une pensée critique chez les élèves. Nous retrouvons ici une forte référence aux mouvements de Lipman/Sasseville. Pour Eléonore, il s’agira également de pouvoir « développer sa pensée critique », « développer l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophique». Fabienne, pour sa part, parlera de « développer leur pensée ». Nous observons donc l’importance de l’idée d’un développement que permettrait la philosophie chez les élèves, même si, dans les termes, les enseignants nuancent ce qu’ils attribuent au développement. La philosophie comme moyen pour accéder à la liberté de penser Philosopher rime également avec rendre les élèves capables « d’opérer des choix avec des jugements raisonnés », « leur faire prendre la distance » (David), sans « être influencé » (Chloé) par des agents extérieurs afin que « les enfants soient pas des moutons » (Eléonore). Chloé attendra de ses élèves qu’ils arrivent à « se décentrer et de prendre en considération les idées des autres » et « en tant que citoyen de réussir de se décentrer, de réussir à prendre ses propres décisions ». L’idée soulevée ici est celle de la volonté de donner aux élèves conscience du libre-arbitre qu’ils possèdent et de l’utiliser. Fabienne partage également cette idée : « ce qui fait vraiment qu’on arrive à s’élever dans sa pensée c’est justement quand on arrive un peu à la produire par soi-même » et « à mon avis en philo c’est ce qu’on essaie de faire. C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser ». B. Quelques variations autour des définitions de cette pratique Philosopher c’est utiliser les bons mots, apprendre à mieux penser et se considérer comme personne à part entière Les définitions proposées par les enseignants sont variées mais j’ai regroupé ci-dessus des idées que nous retrouvons chez tous. Cependant, quelques-uns apportent des idées non évoquées par les autres enseignants. De manière individuelle, les enseignants ajoutent que pour eux la philosophie est également une façon de penser ensemble (Aline), d’ « aimer utiliser les bons mots » (Brigitte). C’est aussi « apprendre à mieux penser » pour David. Nous observons donc chez tous les participants un réel enthousiasme à mettre en place cette pratique, car elle apporterait pour tous des bienfaits, comme ils le décrivent. Eléonore ajoutera, pour sa part, que les enfants sont « à considérer comme des personnes à part entière ». 60 Question posée aux enseignants 1.2 Pourquoi l’enseignant-e pratique-il la philosophie avec ses élèves ? Réponses des enseignants : Aline L.76 à 84 Je trouve que déjà au niveau du groupe classe, ça amène une cohésion vraiment de classe et ils savent que, pendant ce petit moment-là, il y a vraiment du respect, mais pas du respect comme on en parle tout le temps, il faut respecter ses camarades, pour finir ça devient bateau. Non, le respect dans le sens où il y en a certains qui disent des choses qu'ils ne diraient pas autrement et ça reste dans notre bulle. Alors, je leur dis toujours qu’ils peuvent très bien en parler à leurs parents, car il n’y a pas de raison. Mais ils savent qu'il n'y a jamais quelqu'un qui va se moquer d'eux parce qu'ils ont dit quelque chose à ce moment-là. Et c'est un moment particulier. Et c'est aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe, il y a très peu de moments où on leur donne la parole. Et je trouve ça important. L. 86 à 98 Je vois que souvent ça arrive qu'on fasse un dialogue philo et certains viennent me dire qu'ils ont un peu continué à la maison, car quand on fait un dialogue philo on est vraiment en recherche et c'est pas dit qu'on trouve des réponses, et la plupart du temps ils repartent avec plein de questions, mais ils ont construit leur pensée avec celle des autres et ce qu'ils me disent très souvent, c'est que souvent ça leur fait du bien de se rendre compte que leur pensée n'est pas toujours si différente de celle des autres. C'est une cohésion de pensée et ils peuvent aussi revenir sur ce qu'ils pensaient. Des fois ils me disent "ah moi je pensais comme ça, que c'était comme ça et voilà" et en fait, d'entendre les autres, ils construisent leur pensée autrement. Et je trouve qu'au niveau de l'esprit critique c'est très important, parce qu’on ne prend pas les choses comme ça et c'est comme ça. Non, on y pense, on recherche des critères et pourquoi on pense comme ça. On donne des raisons, on fait des hypothèses, on donne des exemples et il y a tout de suite des contre-exemples qui font que ça remet en question et je trouve ça important. Car mon but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dedans une posture réflexive. Et les élèves adorent. C’est vraiment que là, c'est très scolaire tout ce que j’ai vu (me montre la SEC). Brigitte L.125 à 127 L.230 à 234 Moi, mon but c’est pas de réguler un comportement aux élèves, mais c’est dans un but de réfléchir et pratiquer un débat. D'ailleurs dans COROME ça a un nom, le débat régulé, c’est vrai que moi j’ai pas l’objectif de vouloir réguler les comportements, c’est réfléchir sur le sujet. Finalement, je reste très peu de temps sur la situation elle-même, j’essaie vraiment par des questions de relances, de prendre une hauteur sur le sujet, et finalement arriver au concept. Chloé L.238 à 281 Alors moi, à la base j’ai fait de la philo pour enfants totalement par hasard, parce qu’en fait celle qui était responsable de ça dans mon école, elle partait vivre au Canada. Puis elle était tellement positive sur ça, et je l’entendais tout le temps parler de ça, que je me suis dis : bon, je vais aller voir de quoi ça en retourne parce que j’ai un peu la bougeotte, et je suis un peu curieuse de tout. Puis quand même, ça me titillait cette histoire de faire de la philo avec les enfants et quand j’ai vu, quand j’ai participé aux séances avec les enfants, je me suis dis : « non, mais c’est juste magnifique. Il se passe des choses merveilleuses. Et puis les enfants ont la parole, ce qu’à l’école ils n’ont pas. » Et c’est, clair là-dessus, les enfants on leur impose tout et l’autre jour on a fait une séance sur la liberté et à un moment donné, bah il y a en a un qui dit : « bah à l’école, on est pas libres. » Et puis je me suis dit « Est-ce qu’il y a des moments à l’école quand même où vous vous sentez libres ? » Evidemment, à la récréation, à la gym, je m’attendais un peu à ça, quand je fais du dessin ok. C’est marrant, quand je fais des maths y a personne qui m’a dit ça. Euh après y en a quand même qui m’a dit « quand je fais mes devoirs », alors là, bon [rires], non je ne suis pas enseignante là. Tu sais certains ils ont, je fais un détour, ils ont tellement bien compris le rôle de l’école et leur posture en tant qu’élèves qu’ils doivent se formater aux attentes de l’enseignante, qui doivent répondre parce que je veux être dans le plaisir de l’enseignante, dans ce qu’elle désire, que tout d’un coup quand on les met face à réfléchir eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais désarçonnés, et tout d’un coup ils savent plus ce qu’on attend d’eux, parce qu’on attend eux-mêmes. En fait moi, j’ai remarqué, très, très souvent, que c’est les élèves les plus scolaires, les meilleurs, qui aiment pas participer, et puis bah y a un moment don- 61 né y a un de mes petits terribles de ma classe qui dit « non, mais on va arrêter avec ça parce qu’à l’école on est pas libre, on est dans un cadre toute la journée, alors faut arrêter de dire qu’on est libre à l’école, c’est pas vrai.» Ensuite, on a pu enchaîner là-dessus, mais ça m’étonnait juste pas que ca vienne de lui. Mais c’est des moments où lui il arrive à exprimer… et souvent il fait avancer la discussion, parce qu’il n’est pas dans la réponse attendue aussi. Donc moi, pourquoi je fais de la philo, c’est aussi pour ça. Je me souviens aussi de, c’est Michel Sasseville qui racontait ça, il a été faire une présentation dans une école je sais plus où et il avait fait un moment de philo avec les élèves et les profs regardaient. Ca se passait super bien et d’un coup y a une prof qui, à la fin de la séance part en larmes, puis bon, il était un peu gêné, et elle disait « oh mais c’est Kevin, Kevin… » Et il dit « oui, mais qu’est-ce qu’il se passe avec Kevin, c’était super effectivement… » C’était un petit chou qui avait vraiment fait, voilà, et elle lui dit « ah, mais vous vous ne rendez pas compte, tous les problèmes qu’il me pose, il est en échec, j’ai toutes les peines du monde à le faire entrer dans la tâche, il met les pieds au mur pour tout.» Et puis en fait, juste de le voir autrement, ça l’avait tellement touchée qu’elle en était aux larmes et je crois que c’est aussi ça, ça apporte un autre regard. Et puis finalement, pour l’enseignant c’est parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur, parce que c’est pas tout facile mais ça fait du bien un peu de pas rester, de pas être tout le temps dans juste la transmission du savoir, cette coconstruction est hyper intéressante. Et moi je ne sais pas, je suis comme les élèves, je ne sais pas plus que toi et je ne viens pas avec mes savoirs « alors l’amour c’est tatatata… » Et puis finalement, c’est aussi intéressant pour eux de se rendre compte que ok, l’adulte sait pas tout le temps tout, et puis l’admettre : « attends, moi je sais pas plus que toi, mais on va aller ensemble, on va y arriver. » Et puis je trouve que ça c’est hyper intéressant qu’ils aient du recul là aussi. David L.254 à 264 Alors, si on a développé cette école pilote, on est persuadé que le rôle de l'école c’est faire mieux penser les enfants. Ca c’est clair que bien souvent, on leur demande pas de penser, mais ce qu’on leur dit de faire, et puis de raconter ce qu’ils ont compris, de raconter les faits mais avec assez peu de connexions avec des concepts. Qu’est-ce qui m’a fait choisir ça ? Je me suis dit que ça allait me faciliter la vie, que de toute façon ils allaient être plus efficaces dans leur raisonnement, que de toute façon en maths ça allait se retrouver, en grammaire ça allait se retrouver, s'ils aimaient la philosophie ça leur donne une autre vision de l’école et ça les aide d'avoir une estime d'eux même qui va augmenter. Et j'ai des vidéos où les enfants disent "La philosophie ça m'aide à avoir confiance en mathématiques", et on lui dit "Pourquoi?" "Car je sais que quand je fais de la philo je suis intelligente et du coup j’ai moins peur de faire des maths". Donc je pense que tout cet aspect « estime de soi » est important. Eléonore L.169 à 181 Je le fais pour développer leur esprit critique, parce que je considère que c’est important dans l’époque dans laquelle on vit d’avoir un regard dans le monde, sur les médias, sur les images. On a des images partout, sans forcément des commentaires, on a des images à la télévision avec des commentaires qui sont pas forcément... Je pense que c’est un outil essentiel et d’ailleurs Michel Sasseville l’explique très bien. Il dit que ça fait, je crois depuis une vingtaine d’années que ça a été introduit à l’école au Québec, et on peut pratiquement généraliser dans toutes les écoles, je crois que c’est obligatoire dans le programme québécois. Il se retrouve à l’université avec des étudiants qui sont vachement plus malléables qu’avant, ils ont des étudiants qui remettent en question ce que dit le prof, voilà. Donc le prof ne peut plus arriver sur sa chaise et balancer sa vérité absolue. Il peut plus et tant mieux, parce que ça permet, il me semble une plus grande honnêteté scientifique, et du coup ça donne des citoyens qui peuvent déranger, car c’est des citoyens qui remettent en question et pas des citoyens qui croient tout ce qu’on leur dit. Fabienne Non répondu Que retient-on ? A : Quelques régularités sur le(s) but(s) de cette pratique en classe Valoriser la parole de l’élève en classe 62 Dans un premier temps, nous retrouvons une volonté certaine de la part des enseignants à vouloir mettre en avant la parole de l’élève. En effet, Aline dit que c’est « c'est aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe, il y a très peu de moments où on leur donne la parole ». Chloé dit que « les enfants ont la parole » et Aline, lors de la question 5.2/5.3 reprend son idée en disant que « Ce n’est pas anodin ce qu’on fait mais je pense que c’est important déjà rien que de leur donner la parole ». Ces deux enseignants ont relevé l’importance de la place de la parole de l’élève en classe, comme si, le reste du temps, elle était finalement que très peu présente. Acquérir de la réflexion et un esprit critique Relevons aussi la grande récurrence de l’idée d’acquisition de la réflexion et de l’esprit critique chez les enfants, ce pour quoi les enseignants se disent faire de la philosophie en classe. Aline trouve « qu'au niveau de l'esprit critique c'est très important ». Brigitte dira que son « but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dans une posture réflexive » ou encore que « c’est dans un but de réfléchir et pratiquer un débat ». David pour sa part est persuadé que « le rôle de l'école c’est faire mieux penser les enfants ». Eléonore le fait « pour développer leur esprit critique ». Ainsi, les enseignants ont pour but, à travers cette pratique, de donner une grande place à l’acquisition de la réflexion et l’esprit critique par les élèves. Améliorer l’estime de soi Dans un autre registre, David lui abordera la question de l’estime de soi. En effet, pour lui, l’estime de soi est un aspect important prenant place dans cette pratique car la philosophie permettrait, en faisant réfléchir les élèves, de prendre confiance en soi et de se sentir plus compétent : « j'ai des vidéos où les enfants disent "la philosophie ça m'aide à avoir confiance en mathématiques » (David). Fabienne relève également ce point de l’estime de soi dans la question 1.4 « […] qu’on se sente d’un coup qu’on est capable c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel, de se sentir capable d’une pensée, de l’exprimer, d’être entendu, voire de faire changer l’opinion des autres parce que notre idée était une bonne idée ou parce qu’on a eu un bon raisonnement c’est un élément d’estime de soi formidable ». B.Quelques variations autour des buts de cette pratique Plus grande cohésion dans le groupe classe Au niveau des variations, nous pouvons observer individuellement ce que chaque enseignant apporte et considère comme étant un but à la pratique du dialogue philosophique en classe. Aline pense que « au niveau du groupe classe, ça amène une cohésion vraiment de classe et ils savent que pendant ce petit moment-là il y a vraiment du respect ». Ainsi, les apports de cette pratique toucheraient à la dynamique de classe. Dévoluer pour faire mieux penser Chloé elle fait part d’un changement dans ce que nous pourrions nommer la part du contrat didactique que posséderait avec l’élève. « Tout d’un coup quand on les met face à réfléchir eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais désarçonnés et tout d’un coup, ils sa- 63 vent plus ce qu’on attend d’eux parce qu’on attend eux-mêmes ». Ainsi, ici Chloé aborde le sujet de la dévolution laissée aux élèves dans cette pratique. Former des citoyens réflexifs Eléonore pose elle un problème éthique concernant la vérité. « Ça permet il me semble une plus grande honnêteté scientifique et du coup ça donne des citoyens qui peuvent déranger car c’est des citoyens qui remettent en question et pas des citoyens qui croient tout ce qu’on leur dit ». Question posée aux enseignants : 1.3 Quels sont les objectifs scolaires ? Réponses des enseignants : Aline L.101 L.103 à 111 Il y a tout. Brigitte L.169 à 176 Alors euh, moi, ça dépend le sujet abordé, si le but c'est de parler de la paix… ça c'est plutôt d’ailleurs la suite : "C’est quoi la paix?" La vidéo a certes permis de passer là, mais là tu passes au concept, qu'est-ce que la paix ? Et tu fais écrire. Après moi, il me semble que quand on est en philo, je vais quand même donner l’orthographe, mais s’il y a une faute d'accord, honnêtement je ne vais pas le souligner. Après si c'est un titre « Qu'est ce que la paix ? », je reprends quand même. Pour moi, ça dépend du thème abordé. La paix, tout ça, on est typiquement dans la citoyenneté. Moi je place la philo dans la formation générale, je la mets pas dans le français. L.178 à 193 Formation générale donc soit citoyenneté, car on est vraiment dedans. Mais « qu'est ce que l'amitié » on est pas totalement dans la citoyenneté, mais pour moi on est plus dans la généralité, et dans ce ça là, ça sera pour moi dans la formation générale, et ce qui permet de passer la semaine suivante au conseil de classe, car une semaine sur deux je fais conseil de classe ou philo, et pendant un conseil de classe on peut revenir : "rappelez-vous, la dernière fois en philo on a parlé de l'amitié, pensez-vous vraiment que le comportement que vous avez adopté avec l'autre classe sur le terrain de foot était un comportement amical?" Pour moi, ça dépend du thème abordé. J'essaie d'aborder des thèmes en lien avec la citoyenneté, et des fois plus des thèmes dans le savoir-être, savoir être ami avec quelqu'un pour moi c'est un savoir-être, le respect, savoir-être ou être citoyen. Dans citoyenneté je verrais plus des questions en relation avec le droit, avec des 8P, et faut voir où et comment. Par exemple des thèmes sur les votations peuvent être dangereux, mais il y a 10 ans, le thème sur les congés maternité ça va, mais le thème de votation sur le renvoi des étrangers, ça peut vite être dangereux. Si tout d’un coup il y a un sujet de votation qui peut être abordable avec des 8p, je le prends immédiatement et je suis entre guillemets, toujours à l’affût, bon entre guillemets. Mais quand je vois un truc à la télé, immédiatement ça tilte. Chloé Alors, y en a qui le mettent, oui c’est du débat oral, on est dans le français 1 ou débat réflexif, C'est les capacités transversales, c'est très, très net. Mais moi au début, avant que ça paraisse dans le PER, je mettais toujours dans ma planification sous français 1. Parce que de toutes les manières, prendre la parole c'est au niveau oral, argumenter, alors par exemple quand je faisais le texte argumentatif, j'ai tout d'un coup des élèves qui ont levé la main et qui ont dit que c'est pas du tout pareil que quand on fait le dialogue philo, parce que quand on fait argumentatif on cherche à convaincre, alors que quand on fait un dialogue philo, on cherche pas à convaincre, on pense ensemble et on construit ensemble une pensée qui va peut-être pas être commune, mais qui sera propre à chacun et qui va s'adapter dans la confiance. Mais la pensée critique des élèves, je pense que ça, c'est important. 64 L.284 à 290 David L.153 à 166 confrontation d’idées. Oui, je pense que je le mettrais plus là dedans. Mais il y a plein de liens qui peuvent être faits avec approches transversales aussi : penser sur ses idées, réfléchir sur son savoir, d’où je sais ce que je sais ? Et ne serait-ce que, j’ai fait des séances où on travaillait juste sur la formulation de la question, soulever tous les implicites. Donc oui, je pense que si on peut faire des liens, c’est plus avec le français, ce qui est induit, explicite, implicite et puis les différents types de raisonnement qu’on peut avoir. Vous les mettrez après… mais pour eux, vous n’avez pas d’objectifs. L’objectif, c’est de penser et penser mieux. Donc votre objectif à vous c’est « Donne-moi des exemples quand tu dis ça. Est-ce que quelqu’un a un contre-exemple ? Est-ce que ça vous fait penser à quelque chose ? Estce que c’est en lien avec ce qu’il a dit ou pas ? Qui n’est pas d’accord ? Dis donc toi, ton opinion c’était ça, ce n’est pas la même opinion que lui, est-ce que tu es d’accord maintenant avec les éclairages qu’il a donnés ? Il arrive pas à s’exprimer, qui peut l’aider ?". C’est juste ça l’objectif, et ça c’est un objectif tellement transversal qu’on pourra jamais vous dire que ce n’est pas dans les objectifs de l’école. L’école est un lieu pour apprendre à penser, donc laissez-les de côté, après vous allez les mettre. Ça, on sait faire nous les pédagogues, on sait les trouver. Si on vient vous inspecter : «Oui, bien sûr, moi je suis là-dedans.» Mais les enfants, il y en a pas, c’est juste apprendre à penser, et c’est déjà tellement compliqué de mettre toute notre énergie de pédagogue dedans. Alors si en plus vous avez les objectifs de reformulation, d’exemplification, et autres qui composent la discussion à visée philosophique… Eléonore L.151 à 153 Dans le PER, il y a les objectifs de la philosophie pour enfant, ils sont écrit noirs sur blanc. Donc, en tant qu’enseignant, tu es autorisé à le faire, car il y a des objectifs par rapport à la pensée créative, à la pensée critique. L.156 à 167 Moi, je le place dans habiletés transversales. Pour moi c’est du transversal, car tu peux l’utiliser en mathématiques, tu fais des hypothèses en mathématiques. Tu peux l’utiliser en environnement, en français, euh voilà. Après, c’est vrai que concrètement, dans mon horaire de la semaine, c’est une heure de français. Parce que plutôt que de perdre du temps, enfin ça c’est mon avis personnel, j’ai de la chance de travailler à l’école XY (nom d'emprunt) qui est une école privée alternative où on est libre de faire le programme à notre manière, à partir du moment où on remplit les objectifs du PER. Moi, je ne perds pas mon temps à travailler le texte argumentatif avec mes élèves, du genre « je suis d’accord parce que, je ne suis pas d’accord parce que », « en revanche etc. ». Moi, personnellement, ça ne m’intéresse pas. Je trouve plus riche de former les enfants à la philosophie et du coup ils sont capables d’argumenter, mais de manière totalement naturelle. Ils savent ce que c’est d’argumenter parce qu’ils le font une fois par semaine. Fabienne L.135 à 143 Alors, j’ai eu la chance de pratiquer dans les écoles privées. Alors, je n’avais pas… y avait pas un objectif particulier. Mais pour être en train de justement faire mon mémoire et voir comment les enseignants l’utilisent, donc ils l’utilisent soit pour des questions de formation générale, en lien avec le PER, donc c’est dans tout ce qui est formation générale, donc le vivre ensemble, éducation à la citoyenneté, euh… mais c’est aussi les compétences transversales, la collaboration, pensée critique et créatrice. Et puis autrement, beaucoup dans tout ce qui est formulation, donc plutôt en français, compétences orales, en français, et c’est vrai le fait de formuler ou de formuler avec ses propres mots, de comprendre, d’écouter les explications, d’essayer de mettre en mots sa pensée, ça exerce ce genre de compétences. Que retient-on ? A. Quelques régularités observées dans les objectifs scolaires qui s’inscrivent dans cette pratique Au niveau des récurrences, nous retrouvons principalement quatre axes cités par les enseignants. En effet, ils donnent à la philosophie des objectifs relevant soit des capacités transversales, du français, de la citoyenneté ou encore relevant de la formation générale. 65 Développement des capacités transversales Les capacités transversales sont des objectifs pour Aline « C'est les capacités transversales, c'est très très net », Chloé « il y a plein de liens qui peuvent être faits avec approches transversales aussi, penser sur ses idées, réfléchir sur son savoir d’où je sais ce que je sais ? », Eléonore « Moi je le place dans habiletés transversales pour moi c’est du transversal car tu peux l’utiliser en mathématiques, tu fais des hypothèses en mathématiques tu peux l’utiliser en environnement en français » et Fabienne « c’est aussi les compétences transversales, la collaboration, pensée critique et créatrice ». Pour quatre enseignants sur six, la pratique de la philosophie s’inscrit dans des objectifs transversaux. Développement des capacités langagières en français, comme l’argumentation Cependant, ces quatre mêmes enseignants parlent également de la place que possède cette pratique dans la discipline du français. Aline dit : « avant que ça paraisse dans le PER, je mettais toujours dans ma planification sous français 1. Parce que de toutes les manières, prendre la parole c'est au niveau oral, argumenter ». Chloé pense que la philosophie s’inscrit dans les capacités transversales mais possède une plus grande place en français : « c’est du débat oral on est dans le français 1 ou débat réflexif, confrontation d’idées, oui je pense que je le mettrais plus là-dedans ». Eléonore explique : « concrètement dans mon horaire de la semaine c’est une heure de français […]je perds pas mon temps à travailler le texte argumentatif avec mes élèves du genre « je suis d’accord parce que, je ne suis pas d’accord parce que » « en revanche etc. », moi personnellement ça ne m’intéresse pas je trouve plus riche de former les enfants à la philosophie et du coup ils sont capables d’argumenter mais de manière totalement naturelle, ils savent ce que c’est d’argumenter parce que ils le font une fois par semaine ». Pour sa part, Fabienne « et puis autrement beaucoup dans tout ce qui est formulation donc plutôt en français compétences orales en français et c’est vrai le fait de formuler ou de formuler avec ses propres mots, de comprendre, d‘écouter les explications, d’essayer de mettre en mot sa pensée, sa exerce ce genre de compétences. ». Nous trouvons donc que les objectifs du français s’inscrivent dans cette pratique, surtout au niveau oral. Développement des capacités relatives à la citoyenneté De plus, deux enseignantes placent la philosophie dans la citoyenneté. Pour Brigitte, la citoyenneté se retrouve dans la philosophie en tenant compte du sujet traité : « Dans citoyenneté je verrai plus des questions en relation avec le droit avec des 8P et faut voir où et comment, par exemple des thèmes sur les votations ». Pour Fabienne, la philosophie s’inscrit aussi dans l’éducation à la citoyenneté (L). Remarquons que l’éducation à la citoyenneté possède une place justifiée par rapport à ces objectifs se rapportant clairement aux sujets traités par exemple. Développement des capacités relatives à la formation générale Pour ces deux même enseignantes, la philosophie s’inscrit également dans la formation générale. Pour Brigitte, elle place aussi la philosophie dans « Formation générale donc soit ci66 toyenneté, car on est vraiment dedans mais « qu'est-ce que l'amitié ? » on n’est pas totalement dans la citoyenneté mais pour moi on est plus dans la généralité et dans ce sens là, ça sera pour moi, dans la formation générale ». Fabienne ajoutera qu’elle y retrouve des objectifs « pour des questions de formation générale, en lien avec le PER donc c’est dans tout ce qui est formation générale donc le vivre ensemble ». Comme nous avons pu le voir, la philosophie s’inscrit donc aussi dans formation générale pour certains enseignants. Ainsi, dans ces régularités nous observons que la philosophie peut englober les objectifs de plusieurs axes du plan d’études romand. De plus, différents liens sont possibles à l’intérieur de celui-ci. Notons que les enseignants mettent derrière la philosophie des objectifs très variés. Parfois certains se regroupent, d’autres non. Brigitte affirme que pour sa part, cela dépend du sujet traité. B. Quelques variations autour des objectifs de la pratique du dialogue philosophique Les objectifs après, ruse pédagogique et inscription inévitable de la philosophie dans les objectifs de l’école Concernant les variations observées, elles sont ici nombreuses par rapport au nombre d’enseignants interviewés. Tous ne sont pas d’accord sur l’axe à attribuer à la philosophie. Cependant, relevons un enseignant, que nous ne voyons pas apparaître dans les variations et qui se situe en contradiction avec tous les autres. David prend une position tout autre par rapport aux objectifs que possède la pratique de la philosophie : « Vous les mettrez après… mais pour eux, vous n’avez pas d’objectifs […] L’objectif c’est de penser et penser mieux […] C’est juste ça l’objectif et ça c’est un objectif tellement transversal qu’on pourra jamais vous dire que ce n’est pas dans les objectifs de l’école. L’école est un lieu pour apprendre à penser donc laissez-les de côté, après vous allez les mettre […] Ça on sait faire nous les pédagogues, on sait les trouver si on vient vous inspecter « oui bien-sûre moi je suis là-dedans » mais les enfants ils y en a pas c’est juste apprendre à penser et c’est déjà tellement compliqué de mettre toute notre énergie de pédagogue dedans alors si en plus vous avez les objectifs de reformulation, d’exemplification, et autres qui composent la discussion à visée philosophique…». Il affirme donc que de toute façon la philosophie sera dans les objectifs de l’école et qu’il n’est finalement qu’une cuisine interne pour l’insérer là où bon lui semble. L’objectif est pour lui tellement transversal qu’il ne sera jamais en-dehors de ce que l’école demande aux élèves. 67 Question posée aux enseignants : 1.4 Quels sont les apports de cette pratique pour l’enseignant-e et les élèves ? Réponses des enseignants : Aline L.115 à 118 Disons que je fais partie de la classe, ce qu'il se passe en dialogue philo ça leur montre que je suis comme eux. Dans le sens où, je lève la main quand je veux poser une question, on est ensemble je suis comme eux, je ne suis pas l'enseignante qui dit que c'est comme ça ou qu'il faut faire d'une manière et pas autrement, ainsi de suite. Brigitte L.209 à 215 Il y a plusieurs choses. Il y a les capacités transversales, au niveau du savoir être : se taire quand il faut écouter, demander la parole, si un élève fait une remarque qui n'a rien à voir je lui demande s’il a compris de quoi on parle ou je lui demande ce qu’il voulait dire car peut être qu’on ne voit pas la posture réflexive. Et aussi après, on peut la placer dans français, car y a capacité à s'exprimer. Parfois, c’est difficile de mettre en mots ce qu’on pose, il y a aussi en termes de français : utiliser les connecteurs, ces mots clés qui permettent de débattre, car, je suis d'accord, je ne suis pas d'accord, certes... Chloé L.377 à 378 Oui, et d’argumenter de manière correcte, d’écouter les arguments de l’autre, de construire avec la personne qui est en face de toi. David L.437 à 439 Pour le prof, moi, c'est continuer à s'émerveiller devant l'intelligence des enfants, devant leur potentiel mis en lumière, c'est continuer de se questionner, c'est le même chemin pour les enfants. Eléonore L.183 à 186 Alors, moi ça m’apporte que j’ai des enfants qui, du coup, quand ils écrivent un texte, je trouve qu’ils articulent beaucoup mieux leur texte. Et puis quand on fait des sciences, on utilise l‘hypothèse, la certitude, l’exemple, le contre-exemple, la comparaison et ils savent exactement de quoi on parle. L.188 à 193 Cette rigueur scientifique, d’une certaine manière, je trouve qu’ils l’acquièrent en faisant de la philo, parce qu’on ne discute pas n’importe comment et il y a vraiment une rigueur intellectuelle quoi, donc voilà. Et puis, ça apporte aussi autre chose, ça apporte du plaisir, c’est des enfants qui ont du plaisir à faire ce moment de philosophie, ils s’éclatent. Et moi, en tant qu’enseignante, j’observe juste des enfants qui sont intelligents, avec la racine du mot inter-legere : lire entre, être capable d’aller voir un peu plus loin que la simple apparence. Fabienne L.196 à 213 A mon avis, aux élèves, ça leur apporte, bah… Le fait de prendre conscience qu’on a une pensée. Parce que déjà quand on est enfant, ce n’est pas évident. Il y en a pas beaucoup, il y en a quelques uns qui savent, mais c’est souvent pas la majorité, de prendre conscience qu’on a une parole, que cette parole elle peut valoir quelque chose. C’est pas parce qu’on est petit, c’est pas parce qu’on est pas adulte, c’est pas parce qu’on est une fille, ce n’est pas parce qu’on est étranger, que tout d’un coup on a rien à dire. Et ce que moi j’ai souvent eu comme retours d’enfants, c’était de dire, des enfants qui participaient très peu en classe et puis en fait qui prenaient vraiment la parole, pour la première fois peut-être dans la classe, et l’enseignant disait : c’est peut-être étonnant parce que c’est un enfant qui participe jamais en classe, parce que c’est des choses qu’on parle jamais et que c’est des choses qui nous touchent. Donc, le fait que ça fait appel à leur expérience, tout d’un coup, ça veut dire et c’est dans l’idée de, si on a quelque chose qui nous touche pas, des fois c’est difficile de donner du sens à un apprentissage qui ne nous touche pas, qui ne fait appel à rien de connu. Après, y a des enfants qui sont intellectuellement curieux qui, mais on peut être intellectuellement curieux mais si ça n’a rien à voir avec notre expérience à la maison, que les échanges avec les parents c’est peut-être un univers avec lequel on a de la peine à tisser un lien… Mais ça, justement, c’est une pratique qui peut-être ce pont. C'est-à-dire de tisser un lien entre ce qu’on fait et nos apprentissages. Et ça peut donner du sens pour les apprentissages, ça donne de la confiance en soi, (…). 68 L.227 à 262 Et pour l’enseignant, je trouve que c’est, voilà, découvrir un aspect des enfants qu’on ne connaît pas, c’est de découvrir avec eux, parce qu’on est dans une démarche où même… oui, on sait ce que c’est la guerre, la paix, ces phénomènes… Mais si on va au fond des choses, on se retrouve vite nous-mêmes dans des situations où on ne peut pas répondre aux questions. Donc c’est vrai que s’engager dans ce processus, c’est aussi très, très enrichissant pour l’enseignant. Ca permet justement de voir comment se construit la pensée et c’est de voir pour les enfants, je reviens à eux, mais c’est de voir que y a le processus de la pensée, voir comment ça s’élabore, qu’on ne passe pas du point A au point B, comme dans un cours. On peut, mais pas tout le temps. Pour que la pensée soit quelque chose de vivant, de riche et qui fasse du sens, c’est un peu quelque chose d’itinérant. On fait un pas en avant, un pas en arrière, puis on part à gauche, puis c’est en tâtonnant aussi, c’est en cherchant qu’on construit quelque chose. Je trouve qu’il y a ce, cette prise de risque qui est parfois un peu troublante pour l’enseignant. On se dit « Oula ! Dans quoi je m’engage ? Et où est-ce que je vais ? » Donc, y a, à la fois, le processus, puis le contenu forcément. Et les enfants... Moi, je suis toujours émerveillée de voir, et comme dans n’importe quoi, y a des fois des cours où il se passe rien du tout, et de temps en temps, et même assez souvent, je suis épatée de voir les intuitions fondamentales, essentielles sur le sens de la vie, les choses, les mystères de la vie des enfants, parce qu’ils ont des capacités de se poser des questions. Parce quand un enfant se dit : « Mais moi en fait, ma mère j’ai toujours l’impression que c’est deux personnes, parce que des fois elle est très, très gentille et parfois elle est très sévère. » Quelque part, ce qu’il disait, c’est qu’il ne comprenait pas comment les deux choses pouvaient cohabiter en une personne. Mais c’est quelque chose de philosophique, de fondamental, comme le bien et le mal. Comment est-ce qu’ils peuvent être réunis quelque part au sein d’une même chose ? Parce qu’ils sont de nature tellement différente que, comment ça peut coexister, cohabiter ensemble ? D’où on vient ? Enfin voilà. De qui on est sur Terre, de quel est le sens de la vie, de ce qu’est la justice, de comment des choses bonnes et voilà… Et je trouve tellement dommage de gâcher ce potentiel, parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, avec le recul, si moi j’avais eu ça en tant qu’enfant, j’aurais eu sûrement moins de certitudes. Ca m’aurait apporté une perspective très différente sur la vie et je regrette de ne pas avoir eu ça. Alors, l’idée ce n’est pas de faire de la philo tout le temps, hein. On n’est pas en train de dire qu’il faut faire de la philo 24/24, mais d’entrer et de stimuler les enfants, voilà, moi en tant qu’adulte je sais plus de choses, j’ai la capacité à poser le cadre mais après c’est aussi à vous… Qu’on se sente d’un coup qu’on est capable, c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel, de se sentir capable d’une pensée, de l’exprimer, d’être entendu, voir de faire changer l’opinion des autres parce que notre idée était une bonne idée ou parce qu’on a eu un bon raisonnement. C’est un élément d’estime de soi formidable. Que retient-on ? A. Quelques régularités observées dans les apports de cette pratique Développement d’une meilleure écoute des élèves Au niveau des apports de cette pratique nous pouvons constater plusieurs régularités. Deux enseignants semblent d’accord sur le fait que la pratique du dialogue développe chez les élèves l’écoute : « il faut écouter » (Brigitte), « écouter les arguments de l’autre » (Chloé). Développement d’une forme d’intelligence : la pensée comme exercice complexe et non comme simple application Nous pouvons remarquer que la moitié des enseignants semble avoir besoin de reconnaître que leurs élèves sont intelligents. David veut « s’émerveiller de l’intelligence de ses élèves », Eléonore observe dans sa classe « des enfants qui sont intelligents » et Fabienne est émerveillée et épatée par ses élèves. Si ce n’est peut-être pas un besoin de reconnaissance, nous com69 prenons que pour les enseignants, les apports de cette pratique semblent fondés, puisqu’ils observent des élèves dits « intelligents ». Adoption d’une rigueur intellectuelle Un autre apport serait également celui d’une rigueur et un développement intellectuel, qu’Eléonore et Fabienne mettent en avant. Eléonore affirme que « cette rigueur scientifique d’une certaine manière je trouve qu’ils l’acquièrent en faisant de la philo » et Fabienne : « c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel ». On observe ici que les élèves bénéficieraient d’un réel développement de compétences. B. Quelques variations dans les apports de cette pratique Philosopher pour se faire plaisir Concernant les variations, ou plutôt d’autres apports individuels à ne pas négliger ici, nous retrouvons l’idée de plaisir pour les élèves, plaisir que peut procurer la pratique du dialogue en classe. Eléonore dit : « puis ça apporte aussi autre chose, ça apporte du plaisir ». Philosopher pour répondre aux objectifs de l’école Brigitte remet elle l’accent sur la capacité d’atteindre les objectifs qu’elle a définis plus haut : « il y a les capacités transversales, au niveau du savoir être, se taire quand il faut écouter, demander la parole […] peut la placer dans français car y a capacité à s'exprimer […] utiliser les connecteurs, ces mots clés qui permettent de débattre, car je suis d'accord je ne suis pas d'accord, certes... ». Brigitte ramène donc les acquis aux objectifs. Elle reste très près du cadre qui est mis en place par le plan d’études romand. On y voit aussi des apports au niveau disciplinaire : « une rigueur scientifique » (Eléonore) ou encore une capacité à s’exprimer en français, l’utilisation de connecteurs (mais, car, donc…), de mots-clés qui permettent de débattre (Brigitte). Prendre conscience de son individualité Ce dernier éléments fait peut-être plus référence à la prise de conscience que chaque personne existe comme être capable de penser par et pour lui-même : « de prendre conscience que l’on possède une pensée et d’être capable d’aller voir plus loin que la simple apparence » (Eléonore). Philosopher pour socialiser, s’inscrire dans le groupe Pour Fabienne, les apports consistent aussi à « prendre sa place dans le groupe ». Elle relève la caractéristique propre à la philosophie en classe qui est la pratique commune et collective du dialogue et les effets qu’elle peut avoir. 70 Question posée aux enseignants : 2.1 Quel est la place de l’enseignant dans cette pratique ? Quelles intentions ? Réponses des enseignants : Aline L.412-414 Je n'ai plus la casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche. Je suis garante de la sécurité des élèves et je fais des relances afin d'inciter les élèves à se poser davantage de questions. L.416 à 417 L’esprit critique et surtout l'écoute, la confiance et le fait de penser ensemble, de construire ensemble. C’est avoir un certain contrôle. Pour les élèves ça permet de s’adresser en face de son interlocuteur et ce qui est sympa aussi, c’est que je mets les scripteurs à côté de moi et je vois ce qu’ils écrivent et je peux corriger parfois l’orthographe et ça permet pour les élèves qui sont en face de voir ce qui est écrit. Brigitte L.221 à 224 L. 89 à 109 Alors pour moi, l'enseignant, il est actif dans la discussion, pas pour donner son avis mais pour relancer. Si, par exemple, on voit que ça patauge et que les élèves n'arrivent pas à sortir que c'est des préjugés sur les filles et qu’il faut bannir les préjugés, il faut poser des questions qui va les amener. Alors évidemment, c’est des questions ciblées. C'est clair qu'avec les questions on arrive à avoir ce qu'on veut, c'est logique, mais je trouve intéressant. Ce que je fais, c'est que je pose la question qui les emmène où je veux, mais je vais prendre le contrepied, par exemple : à une sportive "alors toi, tu cours comme ça?" "Bah non, je cours pas comme ça, c'est débile". "Ah, et pourquoi tu dis que c'est débile?" Reprends toujours les mots, ça peut aider "Ah, si je comprends ce que tu veux dire, c'est que tu trouves que c'est pas très chouette de singer les filles?" Après tu peux t’adresser au garçon un peu macho de la classe et lui dire "toi, tu es d'accord avec ça?" Alors là, il sera peut être gêné, et il dira « oui, bah c'est ça, c'est les tapettes qui courent comme ça " « Toi tu penses que c’est les garçons qui courent comme ça? Les garçons homosexuels?" Donc ce que je fais, c'est vraiment poser les questions, en reprenant les termes de l'enfant, ou alors si l'élève dit "ah, c'est les PD qui courent comme ça", reformuler "ah, si je comprends bien, pour toi ce sont les homosexuels. » Donc, replacer quand même le vocabulaire et après si un autre dit "oui, les PD", "Rappelle-toi, il y a un autre mot pour dire ça. » Après, c'est peut être trop dirigé, c'est peut être pas la bonne posture de l'enseignant. Pourtant, quand on est enseignant, on doit utiliser les bons mots, car le but dans un débat philosophie, c'est qu'on soit maître de ce qu'on dit. Philosophie, philo c'est en grec, aimer la sagesse. Donc pour moi, c'est également aimer utiliser les bons mots. Chloé L.444 à 453 Il s'agit d'utiliser la capacité naturelle qu'ont les enfants à se questionner sur le monde, le bien, le mal, le beau, le juste, le vrai... dans le but de développer une pensée critique et créative. Le dialogue philo avec les enfants présuppose que l'on est plus intelligent à plusieurs et que le dialogue permet la construction d'une pensée articulée, argumentée dans un cadre d'écoute et de respect des opinions différentes des siennes. Pour moi, la philo pour enfant renforce les enseignements faits à l'école et fait complètement partie des compétences transversales développées dans le PER. Il s'agit de développer des habiletés de pensée, comme par exemple, faire la différence entre hypothèse et certitude, donner des exemples, des contre-exemples, définir des présupposés, faire des comparaisons, des analogies, trouver des critères. Tout cela permet de développer un discours cohérent qui peut être communiqué à d'autres. David L.22 à32 Mais il y a une chose aussi qui change, c’est que vous êtes plus, il faut acceptez que vous n’êtes plus le maître. C'est-à-dire, que vous faites confiance, à la fois aux enfants et à la fois au processus. Et à chaque situation, si à la fois vous savez que vous savez, eux ils ne vont rien faire. Si vous êtes en recherche avec eux, alors là, ils vont se mettre en recherche. C'est-à-dire, votre rôle ce n’est pas de leur donner une quelconque réponse à quoique ce soit, c’est d’être, de prendre ce qu’a dit Léonard pour dire « Dis donc toi, quand tu dis ça, tu ne trouves pas qu’il y a quelque chose qui se ressemble ? », et sans arrêt. Votre rôle c’est que faire des liens. Que faire des liens. Vous êtes là, ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour juger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est bonne ou pas bonne. Peut être quelle est bonne, peut-être qu’elle 71 n’est pas bonne, enfin je dirais même que toutes les questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on va en faire. L.266 à 268 Pendant les cours ? J’en ai pas, c’est juste qu’ils apprennent à bien penser. Moi, je suis juste là pour les aider à œuvrer dans ce sens là. C’est-à-dire questionner. Je n’ai pas d’intentions précises si ce n’est qu’une intention globale, bien évidemment. Eléonore L.364 à 369 Oui, c’est surtout un poseur de questions. T’es allé voir sur le site de l’école XY (nom d'emprunt) ? Y a un film qu’Arte avait fait avec des interviews de Michèle Sasseville. Et là, vraiment, il parle du rôle de l’animateur. Tu as sur le site de l’école XY, tu vas sous philo, et là il y a un petit film Arte, qui est avec Paule qu’est décédée maintenant, mais qui était la première à faire de la philo à Genève et où il y a des interviews de Michel Sasseville qui explique vraiment clairement quel est le rôle de l’animateur. Je t’invite à aller voir. Fabienne Non répondu Note au lecteur : Je présenterai une synthèse des résultats de cette question sous la question suivante. Question posée aux enseignants : 2.2 Quel est le statut de l’enseignant-e dans ces moments ? Quelle est sa place professionnelle ? Réponses des enseignants : Aline L.121 L.123 à 128 Alors justement je n’ai pas une place d’élève dans le sens où je suis garante quand même... L.130 à 138 J’ai deux exemples très nets où j'ai dû intervenir, mais au moment où je suis intervenue j'ai dit "alors là j'enlève ma casquette d'enseignante, je fais partie de la communauté de recherche, je suis une adulte". Oui. Donc "là, vous êtes des enfants et je peux vous dire..." parce qu'ils affirmaient haut et fort que toutes les femmes qui voulaient ne pas avoir d'enfants pouvaient choisir d'avoir ou ne pas avoir d'enfants. Et une autre fois, c’était sur les élèves dyslexiques, mais ça figure dans une des transcriptions et à ces moments-là je fais arrêt sur image. Ça m'est arrivé je crois 2-3 fois sur 4-5 ans, donc peu. Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d'adulte comme ça, de couper le dialogue, là j'ai réagi comme ça, car ce n’était pas possible de les laisser partir avec quelque chose de trop gros. Mais en posant des pourquoi: "ah bon et pourquoi?" ou en posant des contre-exemples on arrive à les faire eux réfléchir sur le côté un peu bancal du bien fondé qu'ils avancent. Brigitte L.460 à 464 Ce qui change c’est que l'adulte pose des questions de relance et donne pas son avis, ça c’est important, un adulte donne pas son avis. Et surtout, ce qui est différent, c’est que c’est les enfants qui font avancer le cours. C’est les élèves qui parlent, nous est on est là juste pour relancer, ou reformuler, et que ça soit clair pour les autres camarades. Je ne sais pas si ce que je dis est juste, si ça va avec la théorie. Je dirais pas la discipline, car souvent elle se fait en co-construction entre eux, car quand un sujet est intéressant ils n’aiment pas quand il y en a qui commencent à parler entre eux. Alors souvent, au bout d'un moment, on n'a plus besoin de faire de discipline, mais par contre je suis garante. 72 L. 348 Souvent c’est moi qui donne la parole. L.344 à 350 Alors, j’essaie dans la mesure du possible, que ça soit dans l’ordre. Mais si on est sur une thématique, quelqu’un qui dit « Oui, mais moi, là… » Alors oui, je dis oui. D’ailleurs y a, tu peux faire l’expérience aussi, mais ils ont, et c’est aussi dans Lipman, ils ont comme des cartons de couleurs différentes et s’ils ont une question c’est telle couleur, ça peut être avec les différentes habiletés de pensée, mais ça peut être aussi genre rouge car je dois dire quelque chose maintenant, enfin pas rouge car c’est violent, mais telle couleur c’est parce que mon intervention doit être maintenant sinon ça ira plus dedans. Chloé L.292 à 302 Moi, je trouve que l’animateur est là pour guider, relancer, reformuler et la reformulation est super importante, parce qu’elle permet de faire un point à un moment donné. « Ok, on en est là, on a eu ça comme idée et ça, mais on a vu ça aussi, ça serait peut être intéressant de pousser par là.» Donc la reformulation, je trouve que ça c’est une des clés de l’animation souvent. Reformulation, oui, j’ai mis en évidence pour faire avancer la discussion, recentrer, approfondir, développer, affiner : « Mais là, qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis nanana ? » Voilà, c’est pas : « Est-ce que tu veux dire que nanana ? » C’est : « Toi, qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis qu’on est un adulte quand on a moins de 18 ans ? » Ca, ça serait peut être la phase d’avant. Et puis finalement, en faisant une reformulation et synthèse, ça rebondit forcément, ça relance forcément, il y a des nouveaux questionnements. Après, je pense surtout au début, le donneur de parole c’est important aussi d’aller chercher un peu le timide. Un statut de chercheur, comme les élèves, mais en plus vieux !! David L.448 L.450 à 451 Eléonore L.99 à 141 Je pense que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre, de la sécurité. Je suis juste là, non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. Alors, faire deviner, ça c’est pas mal. C’est aussi le travail de l’animateur. Mais ce n’est pas faire deviner, dans le genre « dans le ciel il y a des nu nu… nuages », c’est vraiment poser les questions qui vont permettre aux enfants, à la communauté de recherche, de pouvoir poser quelque chose et "pourquoi est-ce que tu penses ça? Qu’est ce qui te fait penser ça ? Est-ce que tu as un exemple ? Est-ce que ce que tu dis c’est une hypothèse ou une certitude? Est-ce qu’il y a quelqu'un qui est d’accord ou pas d’accord avec ce qu’un tel a dit et pourquoi ?" Enfin voila, le rôle de l’animateur c’est vraiment de faire avancer et lancer plein, plein de questions, pour que tranquillement ça émerge. Et puis après, s’il y a une idée, ça peut être "un tel a dit ça, mais est-ce qu’on pourrait imaginer le contraire ?" Tu peux aussi développer un peu plus. Alors moi, je ne pense pas qu’on doit se retirer de la discussion, mais on est au cœur de la discussion, sauf que nous on est l’accoucheur, c’est vraiment Socrate, c’est ce qu’il faisait. C’est des communautés de recherche mais en beaucoup plus modeste, parce qu’on est pas Socrate. Mais l’idée c’est d’être au cœur de la discussion et faire que les enfants s'écoutent, réussissent à répondre, parce que des fois tu peux avoir des communautés de recherche où chaque enfant est centré sur soi, sur ce qu’il a envie de dire, il écoute pas les autres et du coup on n’avance pas. Donc vraiment, être au cœur de ça pour qu'il y ait une vraie discussion, qu’il y ait quelque chose qui circule entre les enfants et les amener à se poser des questions, pourquoi ils sont bloqués, ou qu’ils sont en train de réciter la pensée de papa et maman, tu peux justement... Là, tu as un rôle clé pour essayer d’aller chez eux : "Et toi, qu’est ce que tu en penses? Et est-ce que tu es d’accord avec ça? Est-ce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" etc. Voilà, et c’est pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur, parce que justement, on est au cœur. Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philosophique. Ça veut dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et pas en train de faire autre chose, donc c’est assez crucial. Après, justement toi, t'es pas avec tes amis en train de débattre de ton préposé point de vue. Ca c’est sûr, on n’est pas là pour manipuler les enfants, c’est vraiment, effectivement, ça peut être un danger une personne malveillante. Elle peut utiliser la communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà nous on n’est pas là pour les manipuler, pour leur imposer notre point de vue. On est là pour les aider à penser par soi-même et ce qui est intéressant, c’est quand il y a dans une communauté de recherche pour enfants, certains qui pensent pas du tout comme nous. C’est là où ça devient difficile, mais c’est là où ça devient hyper intéressant. Parce que nous, on n’est pas là pour lui dire ce qui est vrai ou pas vrai, on est là pour respecter la pensée de chacun. Mais par contre, voilà, faire en sorte que les enfants réfléchissent pleinement, et "Pourquoi c’est ça ? Et qu’est-ce qui nous permet de dire ça, etc. Est ce que c’est juste ? Est-ce qu’à un moment donné…?" Voilà. C’est bien. Je n’aime pas trop mais 73 "est-ce que c’est juste ?" En plus, les enfants adorent ce qui est juste, pas juste. Et puis après c’est plus que prendre… Déjà moi, je pense que le rôle de l’enseignant ce n’est pas apprendre, c’est aider les enfants à apprendre. Moi, je n’utiliserais pas le verbe apprendre. Je voudrais dire qu’ils développent leurs pensées. Il faut les aider à développer leur esprit critique, à savoir quand ils sont en train de réfléchir, à savoir ce qu’ils sont en train de faire. Donc ça, c’est aussi toute la deuxième partie de ces communautés de recherche, d’où l’importance d’utiliser le matériel de Lipman, y compris quand on utilise un autre support. Fabienne L.265 L.267 à 221 Sa place c’est de guider, c’est de poser aux enfants des questions qui sont pertinentes. L’idée, c’est de petit à petit…Les enfants vont le prendre en charge. Ca se fait petit à petit. Mais c’est vrai qu’au début, y a quand même beaucoup de guidage. Vous allez, ou quelqu’un va dire : « les filles, les garçons, c’est pareil », ou « c’est différent ». Oui, alors voilà, est-ce que tu pourrais me donner, ou cherchons les différences entre les filles et les garçons. Alors tout le monde commence à donner des différences, où au bout de cinq, six, sept, on va passer à autre chose. Alors, on a regardé les choses différentes, maintenant on va voir les choses qui sont pareilles. Et c’est là que vous intervenez, parce que vous n’allez pas laisser le groupe parler une heure sur des exemples. Et puis après, vous allez chercher des contre-exemples, dans une différence. Ils vont vous donner une différence et vous allez essayer de chercher peut-être un contre –exemple, et dans ce cas là, « les filles ont les cheveux longs », « oui, mais alors moi je connais tel sportif… » « Alors, des fois il pourrait… Alors est-ce qu’on peut généraliser ou il faudrait dire que parfois … » Vous faites la nuance, pour dire voilà, ça c’est qu’on appelle une nuance. Vous nommez ce qu’ils sont en train de faire, par exemple. Ou alors dire « Là tu es en train de faire une hypothèse ». Soit vous intervenez en nommant ce qu’ils sont en train de faire, ou en dirigeant le questionnement, et si on pense oui les filles sont meilleures, les garçons moins : « ah bon, mais pourquoi ? » Et « alors, si on pense que les gens sont meilleurs, quelles sont les conséquences ? » Ca veut dire que, alors on pense que les meilleurs doivent toujours avoir les meilleurs, et que les autres viennent après. Élaborer sur ce genre de choses, vous êtes là pour faire élaborer. Et il y a le cadre social aussi, que les gens se respectent, que si quelqu’un dérange tout le temps de dire : « bah, y a des règles pour faire partie du cadre. » Alors si y a quelqu’un qui cherche, qui provoque, eh ben vous pouvez l’avertir une fois, deux fois s’il faut, faut le sortir du groupe. Et une stratégie, de temps en temps, c’est de dire toi tu vas observer les élèves qui dérangent souvent, qui interviennent tout le temps, soit qui perturbent, soit les élèves qui veulent tout le temps prendre la parole. Parce qu’il y en a aussi et ils laissent moins la parole aux autres. Et l’idée c’est de dire : « voilà, aujourd’hui tu vas observer. » Donc ça, vous êtes garante de ce cadre là, vous êtes garante du respect que les élèves s’accordent auquel cas bah : « sois un peu respectueux avec les autres ». Et il y a des choses qu’on a le droit de faire, ça c’est la première chose. Et la deuxième, c’est de soutenir le questionnement, et suivant où ça part, se dire bon là, être sûr que, ou faire des exercices où il y a plein de contre-exemples par exemple. Ou alors, on va essayer de trouver des raisons : « Tu as trouvé ça, d’accord. Mais est-ce qu’on peut trouver une autre raison pour faire une action ?» Et parfois ils disent : « Oui, mais il l’a fait à cause de ça », et quelqu’un dit « Ah non, je suis pas d’accord avec toi. » « Ah bon, alors on va essayer de trouver quelles seraient les raisons pour lesquelles on ferait ou quelqu’un ment ? » Quelqu’un dirait : « Il est méchant » ou « Bah non, il fait ça pour le protéger.» « C’est quoi les situations où l’on pourrait mentir ? » Et puis après, vous listez cinq, six situations, et après : « Est-ce qu’il y en a que vous trouvez bonnes ? Est-ce qu’il y en a que vous trouvez mauvaises ? » Mentir pour protéger quelqu’un par exemple, ou mentir pour se protéger soi-même. Parce que quelqu’un qui veut vous offrir un bonbon fermenté dans sa voiture, vous allez lui dire « Non, j’ai maman qui m’attend. » Est-ce que c’est bien ou pas bien ? Tout d’un coup, vous les mettez dans le contexte, vous voyez ? Mais ce n’est pas vous qui dites, vous ne donnez pas forcément les arguments, si vous voyez que les enfants sont en panne à ce moment-là, vous essayez de trouver un angle pour dire soit « on va chercher des exemples », soit « alors dans cette situation, vous pensez ça, mais alors du coup la violence et la guerre, c’est la même chose ? » Et puis, y en a ils vont vous dire oui. Mais alors « par exemple, quand y a des gens au foot, à la télé, qui se donnent un coup de pied, les joueurs, est-ce que c’est la guerre ? » Donc vous voyez ? « Est-ce que quand y a des gens et une manifestation, et qu’ils se tapent dessus, est-ce que c’est la guerre ? » Y en a qui vont dire oui, y en a qui… « Pourquoi tu penses ça ? » Et ils vont trouver. Vous voyez, vous allez chercher, partir, voilà, des matériaux que vous apportent les enfants, et vous allez les pousser plus loin. Et de temps en temps vous allez leur dire : « cherchez plutôt une définition. C’est quoi ? » Si on ne trouve pas une définition bah, on cherche des critères. Qu’est-ce que c’est un critère ? C’est une raison mais 74 qui est particulièrement une bonne raison. Est-ce que vous trouvez que ça c’est un bon critère ? Par exemple, si tout d’un coup on peut en proposer un aussi, mais vous n’êtes pas là pour dire « à la fin, je veux qu’ils arrivent à telle conclusion ». Parce que ça, c’est quelque part, une sorte de manipulation. Que retient-on ? A. Quelques régularités par rapport au rôle, au statut et aux intentions de l’enseignant L’enseignant s’exige neutre au cours du dialogue Plusieurs éléments se retrouvent chez les différents enseignants. Tout d’abord l’idée que ce dernier n’est pas là pour juger. Il est donc clair que l’enseignant ne possède pas un statut dans lequel il se permet de manipuler, juger ou estimer si une question est bonne ou non. Brigitte (2.1) : « pas pour donner son avis », David (2.1) : « Vous êtes là ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour juger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est bonne ou pas bonne peut être quelle est bonne, peut-être qu’elle n’est pas bonne enfin je dirais même que toutes les questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on va en faire. » Brigitte (2.2) « Ce qui change c’est que l'adulte pose des questions de relance et donne pas son avis ça c’est important. » Eléonore (2.2) « on est pas là pour manipuler les enfants c’est vraiment effectivement ça peut être un danger une personne malveillante elle peut utiliser la communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà nous on est pas là pour les manipuler, pour leur imposer notre point de vue on est là pour les aider à penser par soimême » Fabienne (2.2) « vous donnez pas forcément les arguments, si vous voyez que les enfants sont en panne à ce moment-là vous essayez de trouver un angle ». Les quatre enseignants insistent donc sur la volonté de ne pas prendre parti lors des dialogues philosophiques et font également part du fait qu’ils ne doivent effectuer aucun jugement. L’enseignant n’est pas ici pour juger, comme il le ferait à un moment ou à un autre dans les autres disciplines scolaires, comme lors des évaluations par exemple. Tentative de symétrie dans la relation élève/enseignant De plus, nous apprenons que l’enseignant n’est pas là pour poser son savoir : « Je suis juste là non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. » (David 2.2). « On n’est pas là pour lui dire ce qui est vrai ou pas vrai on est là pour respecter la pensée de chacun » (Eléonore 2.2). L’enseignant comme guide dans la construction de la pensée de l’enfant Cependant les enseignants semblent être d’accord sur le fait que leur rôle est de relancer la discussion par des questions. Aline explique : « je fais des relances afin d'inciter les élèves à se poser davantage de questions ». Brigitte et Chloé utilisent aussi ce mot à plusieurs reprises dans leurs réponses. De plus, il doit guider les élèves dans leurs réflexions sans pour autant poser son savoir. En effet, ce terme est repris par Chloé (2.2) et Fabienne (2.2). Ils demandent aussi souvent aux enfants de reformuler leur pensée ou celle d’un autre. (Brigitte 75 et Chloé en 2.2). Par ses relances et son rôle de guide, l’enseignant semble avoir une place importante et est au centre de la discussion par son animation. La pensée des enfants comme point de départ des réflexions Toute la matière de la discussion partirait des enfants : « Un adulte donne pas son avis et surtout ce qui est différent, c’est que c’est les enfants qui font avancer le cours » (Brigitte 2.2), « Vous voyez vous allez chercher, partir voilà des matériaux que vous apportent les enfants et vous allez les pousser plus loin » (Fabienne 2.2). Ainsi, en partant des apports des élèves, les enseignants profitent d’utiliser ceux-ci pour tirer les élèves et les emmener plus loin dans leur pensée : « aller chercher un peu le timide » (Chloé 2.2) « là tu as un rôle clé pour essayer d’aller chez eux "et toi qu’est-ce que tu en penses? Et est-ce que tu es d’accord avec ça? Est-ce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" » (Eléonore 2.2). Nous retenons ainsi que dans leur procédé, les enseignants choisissent de partir des enfants pour ensuite les tirer plus loin dans leur réflexion. L’enseignant se permet d’aller chercher en eux des éléments faisant avancer la discussion. Il part toujours de ce que les élèves apportent. L’enseignant en retrait mais au centre d’un bon déroulement du dialogue De plus, les enseignants s’affirment être eux-mêmes en recherche avec les élèves lors des dialogues. Aline affirme qu’elle fait partie de la communauté de recherche : « Je n'ai plus la casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche » (2.1) David lui dit qu’il possède : « Un statut de chercheur comme les élèves, mais en plus vieux ! » et soutient « Je suis juste là non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. » (2.2) et affirme que c’est presque un prérecquis à ce que les élèves s’investissent « Si vous êtes en recherche avec eux, alors là ils vont se mettre en recherche » (2.1). Aussi, le rôle de l’enseignant semble primordial et être au centre du dialogue. « Je ne pense pas qu’on doit se retirer de la discussion mais on est au cœur de la discussion sauf que nous on est l’accoucheur » (Eléonore 2.1). Retenons que l’enseignant est au centre de ce qu’il se passe autant par sa capacité à aller chercher ce qui résonne chez les élèves, qu’en s’investissant luimême dans cette recherche, sans pour autant faire part de ses idées. B. Quelques variations du rôle de l’enseignant L’enseignant garant de la sécurité, du cadre, du respect et de l’honnêteté philosophique Nous retrouvons dans les paroles des enseignants, le terme « garant » qu’ils se disent devoir être envers les élèves. Ce que nous pouvons observer de différent chez ces enseignants est la définition qu’ils attribuent au mot « garant », terme prenant une place importante dans leur rôle. Quatre enseignants utilisent ce mot mais tous n’y mettent pas la même idée derrière. Certains affirment qu’ils doivent être garants des règles, du cadre et de la sécurité : « Je pense que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre de la sécurité » (David 2.2) « je suis garante de la sécurité des élèves » (Aline 2.1) 76 Eléonore affirmera qu’elle est garante de l’honnêteté philosophique de la discussion : « Voilà et c’est pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur parce que justement on est au cœur. Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philosophique. […] Ça veut dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et pas en train de faire autre chose » (2.2) Fabienne se dira elle garante du respect entre les élèves « vous êtes garante de ce cadre-là, vous êtes garante du respect que les élèves s’accordent » (2.2) Ainsi relevons que les quatre enseignants tentent de donner une authenticité dans les dialogues philosophiques mais tous n’agissent pas sur les mêmes éléments. L’enseignant « enseignant » ? L’enseignant « élève » ? L’enseignant « animateur » ? L’enseignant « adulte » ? Une variété d’identités… Observons maintenant le statut qu’adoptent les enseignants lors de la discussion philosophique. Il est intéressant de noter qu’un même enseignant ne réussit pas à avoir une vision très claire du statut qu’il possède. Aline affirme dans les réponses aux questions 2.1 et 2.2 qu’elle « enlève [sa] casquette d’enseignante », « je suis une adulte », « je n’ai pas une place d’élève », « ce qu’il se passe en dialogue philo ça leur montre que je suis comme eux. Dans le sens où je lève la main quand je veux poser une question, on est ensemble je suis comme eux je ne suis pas l’enseignante qui dit que c’est comme ça ou qu’il faut faire d’une manière et pas autrement ainsi de suite. », « Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d’adulte comme ça de couper le dialogue, là j’ai réagi comme ça car… » On observe bien chez cette enseignante la volonté de quitter le rôle de l’enseignant ordinaire, ne sachant pourtant pas vraiment comme se considérer, peut-être comme un adulte occupant la même place qu’un enfant. Le rôle n’est ici pas si clair. Pour Brigitte, le but est de rester l’adulte et se positionner dans une place de contrôle : elle utilise le mot « adulte » et parle d’avoir « un certain contrôle ». Pour Chloé : « L'enseignant fait partie du groupe de recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une pensée commune, critique et argumentée ». David affirme : « je reste l’enseignant », « vous êtes plus, il faut accepter que vous êtes plus le maître ». Il ajoute que son rôle est de faire des liens, et que la personne qui anime possède un statut de chercheur, comme les élèves. Ici l’enseignant arrive à se contredire en très peu de temps, en affirmant qu’il reste l’enseignant mais m’indique lors de l’interview qu’il faut accepter de ne plus être le maître. On ressent ici une réelle volonté de vouloir se séparer du rôle du maître ordinaire, mais en souhaitant garder son statut. Peut-être pouvons-nous ici ressentir un réel problème de ce que l’enseignant souhaite être lors des dialogues philosophiques et ce qu’il est réellement. 77 Eléonore dans la question 3.3 prend une autre position. Elle explique « c’est-à-dire qu’il n’y a pas de hiérarchie voilà ». L’enseignante a donc la volonté de vouloir casser une sorte de hiérarchie qui semble être naturellement présente dans la classe. Fabienne parlera d’une « prise de risque parfois troublante pour l’enseignant » mais ne s’affirme ni adulte, ni enseignant ni possédant un statut d’élève. Elle reste très vague par rapport à son statut. Finalement observons que tous ces enseignants semblent ne pas être en accord, entre eux et avec eux-mêmes, lorsqu’ils doivent définir leur statut dans la pratique du dialogue philosophique. Aline en 1.2 résume très bien le ressenti que nous pouvons retrouver chez plusieurs d’entre eux : « Finalement pour l’enseignant c’est parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur parce que c’est pas tout facile mais ça fait du bien un peu de pas rester, de pas être tout le temps dans juste la transmission du savoir, cette co-construction est hyper intéressante[…] ». L’enseignant interrogateur : pose des questions, relance et fait des liens entre les idées des élèves Finalement, quoi que semble être le statut de l’enseignant et l’attribut qu’on lui donne les enseignants s’accordent sur l’idée que lors des dialogues, il faut questionner. Cependant même dans cette idée largement partagée, nous pouvons dégager deux axes différents à propos du questionnement. Pour tous les enseignants, il s’agit de questionner les élèves. L’enseignant est donc un poseur de questions, le but étant de lancer plein de questions pour que « tranquillement ça émerge » (Eléonore). L’enseignant est donc vu comme une personne posant des questions pertinentes. Cependant, pour d’autres, il s’agit aussi d’inciter les élèves à se poser des questions, soutenir le questionnement des élèves, les amener à se poser des questions (Aline, Eléonore et Fabienne). L’enseignant est donc poseur de questions et incite le questionnement, dans tous les cas, il le soutient. Question posée aux enseignants : 3.1 Quelle formation l’enseignant-e a-t-il/elle reçue ? Réponses des enseignants : Aline L.276 à 300 Alors moi j'ai commencé par les CRP [Communauté de Recherche Philosophique]. J'en ai fait pendant bien 3-4 ans avant de faire quoi que ce soit dans la classe. J'ai ensuite fait des formations au DIP [Département de l’Instruction Publique] j'en ai faite une, mais je connaissais déjà pas mal et on apprend toujours plus finalement, y a pas de soucis, et puis j'en ai faites le week-end, pendant les vacances, car à Evolène il y des semaines philo. C'est vraiment des moments intenses et je me rappelle très bien les habiletés de pensée, pouf, j'ai mis long pour comprendre un tout petit 78 peu ce que ça pourrait être, et j'en suis encore loin. C'est pour ça qu'il faut rester humble, pour les élèves, et pour nous-mêmes aussi. Je me rappelle une fois, j'ai fait un dialogue philo, j'ai vu Alexandre parce que j'étais en formation, je suis arrivée "oh Alexandre, c'était loupé, c'était n'importe quoi..." et le lendemain je suis arrivée "c'était génial!". Et je pense qu'il faut accepter ça et parfois je pense que ça prend pas ou que c'est le sujet, les enfants ont pas envie ou le groupe, voilà. Alors après, on peut relancer un peu. Mais c'est comme en classe. On peut donner des magnifiques leçons qui [fait un signe de "se passe pas comme attendu"] et d'autres qui sont faites comme ça et qui vont bien. Ça dépend aussi d'eux et ce n’est pas dit que quand on nous on a l’impression qu'il s'est pas passé grand-chose, ce n’est pas dit que dans leur tête il s'est pas passé forcément grand chose non plus. On ne peut pas juger ça. Puis des fois ils peuvent beaucoup parler, mais que peut-être dans leur tête il n'y a pas eu grand chose non plus. Je pense qu'il faut leur faire confiance, et moi je vois à chaque fois qu'on peut leur faire confiance, c'est vraiment important. Ils sont beaucoup plus riches que ce qu'on pourrait croire. Ça nous donne aussi une vision parfois différente de certains élèves qui ne sont parfois pas très scolaires, ou qui en classe, n'ont pas des remarques magnifiquement pertinentes, et vraiment qui en dialogue philo démontrent qu'ils ont une certaine finesse, une maturité, un esprit critique quand même assez poussé. J'ai souvent des élèves qui m'ont étonnée, c'est bien aussi de les voir comme ça, ça enrichit notre pensée par rapport à eux aussi. Moi, je ne vois pas d'effets négatifs. Ça peut être déstabilisant. L.318 à 321 Moi, en ce moment c'est par rapport à ces exercices sur le sophisme, tous ces exercices que l'on peut faire et sur lesquels je ne suis pas totalement à l'aise. Moi, je pense qu'on peut toujours aller plus loin. On est toujours en mouvement et c'est le bon côté de cette formation aussi. Brigitte L.226 à 227 Oui. Moi j’ai aimé ça. Je suis la seule à faire de l'école, mais d'autres le font plus dans le cadre du conseil de classe, c'est quand même très basique. L.264 à 266 Non, non, moi je fais ça comme ça, parce que ça m intéresse, et puis voilà. Je suis quelqu'un qui naturellement conceptualise les choses, c’est pour ça que j’arrive à dire qu’il y a trois axes et que dans ces axes je vais utiliser telle stratégie. Chloé L.326 à 335 Moi, je me suis formée avec Prophilo. J’ai participé moi, pas mal en tant qu’adulte, à des communautés de recherche et après, vu que je crochais bien, j’ai fait partie du comité de Prophilo. Et après je suis partie en Belgique faire une formation en philo avec Michel Sasseville. Puis après, on monte aussi des formations à Prophilo, puis on participe à nos formations et rencontrer des gens qui pratiquent. Alexandre, il proposait les cours à IFP, qui est l’institut de formation pour les écoles privées, donc je suis passée aussi par là. Après il en propose aussi au DIP. Après avec C. on faisait des échanges de pratiques. Donc c’est aussi super chouette de rencontrer d’autres personnes. Et après oui, Alexandre propose aussi un cursus de certificat d’animation, et du coup, c’est Prophilo qui chapeaute ça et maintenant on a même un certificat d’accompagnateur dans l’aide à l’animation. David 270 à 275 Alors, moi j’ai fait ma fac de prof. J’ai fait une fac de philo. Ensuite, j’ai dirigé un institut où il y avait une formation initiale pour les enseignants dans laquelle la philo était un passage obligatoire. Je me suis beaucoup formé avec Michel (Sasseville) et j’ai toujours été enseignant, car c’est mon vrai métier, mon métier de cœur aussi et puis je dirige cet institut dans lequel je m'occupe de la philo. Et j’ai fait un master en ingénierie pour adultes, pour comment organiser une formation, et comment vérifier si elle a été bonne, c’est plus technique. Eléonore L.321 à 338 Alors, j’étais stagiaire de la classe de Paule qui a commencé la philo à Genève. J’étais stagiaire dans sa classe pendant une année et je participais au même titre que les élèves aux communautés de recherche. J’étais souvent secrétaire, observatrice. Ensuite, je me suis formée. Donc les formations que j’ai eues avec elle, c’était vraiment des communautés de recherche. Dire qu’on travaillait sur Pixie en l’occurrence et que comme les enfants, on posait nos questions et on faisait une communauté de recherche. Après, j’ai fait des formations avec Michel Sasseville, c'est-à-dire qu’on est en communauté de recherche avec Sasseville qui anime, puis qui attire notre attention sur certaines choses, mais voilà, on agit, on est dedans j’ai fait... Je n’ai pas fait de formation avec Alexandre Herriger, par contre il et venu m’évaluer en classe et ça c’était chouette, parce qu’il me faisait un retour sur tout ce qui c’était bien passé, sur ce qu’il y avait à améliorer etc. Et puis là, ça fait deux ans que je fais cette formation, où là c’est un cours de philo, mais où on est ensemble, mais qui se transforme en communauté de recherche, mais où vraiment là, on travaille 79 sur les concepts philosophiques. Mais là c’est super intéressant, car du coup, ça affine un peu plus qu’est-ce que c’est une réflexion philosophie, qu’est-ce qu’on veut. Et cette philosophe est elle-même formée à la méthode lipmanienne, donc elle sait ce qu’il faut faire avec, elle sait comment on anime une communauté de recherche, donc elle insiste sur ce qu’on doit savoir faire et ça c’est vachement riche. Fabienne L.595 à 600 - formation au dialogue philosophique à distance avec l’Université Laval (Québec). - environ une dizaine de stages organisés par Prophilo et /ou l’Institut de Formation Pédagogique de l’AGEP, entre 2007 et 2015, avec Alexandre Herriger (formateur indépendant en Suisse Romande), Michel Sasseville, professeur à l’Université Laval Québec, et Mathieu Gagnon (Professeur à l’Université Sherbrooke, Canada). - une semaine de stage avec Michel Sasseville, en Belgique. Que retient-on ? A. Quelques régularités dans les possibilités de formation Initiation aux communautés de recherche scientifiques Dans les régularités notons que les enseignants se forment eux-mêmes en passant par la pratique du dialogue philosophique entre adultes (communautés de recherche philosophique). Aline, Chloé et Eléonore affirment prendre part à ces moments de philosophie entre adultes, leur permettant elles-mêmes de pouvoir se plonger dans des questions qui sortent parfois lors des dialogues avec les enfants. « Alors moi j'ai commencé par les CRP (Communauté de Recherche Philosophique) j'en ai fait pendant bien 3-4 ans avant de faire quoi que ce soit dans la classe » (Aline). « J’ai participé moi pas mal en tant qu’adulte à des communautés de recherche » (Chloé). « Ensuite je me suis formée donc les formations que j’ai eues avec elle c’était vraiment des communautés de recherche dire qu’on travaillait sur Pixie en l’occurrence et que comme les enfants on posait nos questions et on faisait une communauté de recherche. » (Eléonore). Ils suivent également des formations ou s’entraînent aux communautés de recherche philosophique via l’association genevoise ProPhilo, en Suisse, ce qui est le cas pour Aline, Chloé et Fabienne. Formation par des programmes proposés par des professionnels Les enseignants font aussi souvent référence à Alexandre Herriger. « Je me rappelle une fois j'ai fait un dialogue philo, j'ai vu Alexandre parce que j'étais en formation je suis arrivée "oh Alexandre, c'était loupé, c'était n'importe quoi..." et le lendemain je suis arrivée "c'était génial!" » (Aline). « Alexandre il proposait les cours à l’IFP qui est l’Institut de Formation pour les écoles Privées donc je suis passée aussi par-là » (Chloé). « Je n’ai pas fait de formations avec Alexandre Herriger par contre il est venu m’évaluer en classe et ça c’était chouette parce qu’il me faisait un retour sur tout ce qui c’était bien passé, sur ce qu’il y avait à améliorer etc. » (Eléonore). Fabienne a également suivi des formations avec Alexandre Herriger : « environ une dizaine de stages organisés par ProPhilo et /ou l’Institut de Formation Pédagogique de l’AGEP, entre 2007 et 2015, avec Alexandre Herriger (formateur indépendant en CH Romande), Michel Sasseville, prof Université Laval Québec, et Mathieu Gagnon (Prof Université Sherbrooke, Canada). ». Ici sort également un deuxième nom connu 80 des formations en philosophie, celui de Michel Sasseville. Dans mon échantillon, quatre enseignants sur six disent avoir suivi des formations avec ce dernier. Nous observons qu’il existe donc différents modes de formation, car aucune n’est pour l’heure proposée comme socle commun dans la formation des enseignants. Cependant, nous observons la volonté que possèdent ces enseignants à chercher et à se former de leur côté. Ainsi, nous retrouvons une certaine régularité dans la diversité des formations proposées à l’heure actuelle. B. Quelques variations et autres possibilités de formation… Se former par l’expérience Au niveau des variations, nous avons Brigitte qui affirme n’avoir jamais suivi de formation ou participé à des discussions philosophiques dans des communautés adultes. Se former en parallèle avec une formation universitaire David, pour sa part, a personnellement fait une fac de philosophie et cherche maintenant à développer une formation privée en collaboration avec l’Université de Laval au Québec. Question posée aux enseignants : 3.2 Préparation à priori, que fait l’enseignant-e ? Réponses des enseignants : Aline L.150 à 160 Alors moi, pour l'instant je trouve que c'est moyennement préparé, mais c'est ce que je veux personnellement améliorer. Je trouve difficile, j'ai demandé justement à Alexandre s'il pouvait venir une fois dans la classe, car j'ai tous les exercices qu'on trouve dans Lipman etc., pour exercer vraiment, et moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je trouve que quand on fait ça, on ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma position d'enseignante. Qu'ils fassent le lien entre ces deux choses sans ne pas arriver à faire le lien, car j'ai une position qui est complètement différente. Donc je vais voir avec Alexandre comment il fait ça, car je ne suis pas très à l'aise avec ça. Pour l'instant, je ferai des exercices dans un autre contexte par exemple en français 1, puis après ils feraient des liens, mais à ce moment-là je suis enseignante et on fait du français 1. Mais je n'arrive pas à lier les deux, on devrait normalement le faire, mais moi personnellement je n'y suis pas arrivée car je ne suis pas à l'aise avec ça. L.163 à 164 Oui, voir quelles habiletés de pensée ils pourraient sortir, il y a toujours une préparation en amont. On n'arrive pas avec un thème comme ça et on verra ce qu'il sort. L.166 à 172 C'est simplement déjà lire le texte, visionner le film ou l'image et se poser soi-même la question "bah tiens, quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec ce texte?". Par exemple, est-ce qu'on va parler sur le bonheur ou sur la vérité? Là, j'ai sorti un petit bout de texte avec des enfants qui jouent au foot et qui ne trouvent pas juste. Qu'est-ce que ça peut induire? Mais, on ne peut pas rester croché non plus là-dessus, parce qu’on sait jamais où ça va nous emmener. Après 81 il ne faut pas essayer de faire des relances pour que ça ramène vers où on veut. Je pense qu'il faut leur laisser la parole. Brigitte L.268 à 269 Moi, je suis très mauvaise car je ne suis pas une bonne enseignante entre guillemets, car souvent je suis dans ma voiture et je me dis « bah je vais enseigner ça » et puis j'y vais à l'arrache. L.272 à 279 Non, sur le moment. Parce que pour moi ce qui est important, c’est les élèves qui réfléchissent et de ce fait je fais avec ce qu’ils me donnent. Non, en fait je suis mauvaise langue, je me dévalorise, c’est faux même. Alors par exemple, pour la vidéo des jeunes garçons, je l’ai balancé comme ça un vendredi. J’ai téléchargé la vidéo devant eux et je leur ai montrée sur mon Iphone. Mais ça a marché. Mais si c’est une citation, je vais quand même regarder et il y a quand même souvent des personnes intelligentes qui dissertent dessus, et ça me permet d’avoir quelques pistes. L'intelligence, typiquement au début, j’ai fait un peu à l’arrache et après je me suis dit qu’il fallait que je vois les différentes formes d’intelligence. Chloé L.337 à 339 Souvent, je me fais moi ma petite communauté de recherche, parce que je sais qu’on va parler de ça. Alors à table : « Alors en fait, qu’est-ce que vous pensez de… ? » C’est vrai qu’une bonne préparation ça aide beaucoup. L.341 à 344 Des relances. Mais effectivement, il faut que tu aies prévu par où ça va aller, donc euh oui, je préparais beaucoup les relances, donc si ça va par là on peut plutôt développer ça… après il faut savoir la lâcher et se dire que j’avais pas du tout prévu que ça parte comme ça et finalement, ça vient avec la pratique aussi. David L.344 à 355 Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire. Prendre des vidéos de vous, vous écouter parler, sans arrêter, le rapport réflexif quoi. Faites-vous observer par quelqu’un qui ne connaît rien ou qui connaît bien. Demandez de co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe. L.362 à 379 [La discussion revient sur le programme de formation, partie non retranscrite]. Ce n’est pas parce que vous êtes dans l’accueil, dans le non-jugement, que vous derrière, vous n’avez pas fait ce travail avec ça. C’est hyper important ça. Vous, si vous êtes pas dans l’idée que vous êtes en train de percevoir de mieux en mieux ce qu’il y a derrière les questions des enfants, vous allez pas avancer. Donc vraiment, même si ça sert à rien ce que j’ai fait quand j’ai travaillé sur la famille, un jour ou l’autre ça va me servir à quelque chose, et de toute façon la question que je me suis posé en travaillant là-dessus, ça m’aide à me poser d’autres questions, donc c‘est gagné d’avance. Vous voyez ce que je veux dire, cette idée d’apprendre sans arrêt. L.381 à 400 Alors, vous n’êtes pas obligée d’utiliser ça. Moi, ce que j’utilise beaucoup, c’est ça, les plans de discussion, par exemple : définition du mot correct. Bon, ça, c’est un exercice, voilà, plan de discussion : "Est-ce que tu peux espérer ce que j’espère ? Est-ce que je pourrais souhaiter ce que tu souhaites ?" C’est-à-dire, si vous avez ça sous la main et qu’il y a un moment vous trouvez… là, vous pouvez avoir un jugement, vous trouvez qu’on tourne un peu en rond, paf, vous ressortez le truc et je me dis ah tiens ça, ça pourrait être intéressant, "Est-ce qu’à votre avis...?". Ça, c’est Lipman ou Michel Sasseville qui a fait ça. Eux, ils l’appellent Michel Lipman. Mais "Est-ce que tu pourrais espérer ce que j’espère ? A votre avis ?". En fait, vous faites deux, trois questions, et puis c’est incroyable comme ça relance, quoi. C’est vraiment super. Moi des fois, j’en écris que deux, parce que des fois il y en a que je n’aime pas. Mais oui, voilà. Quelle différence entre espérer, souhaiter, je veux dire ils ont déjà travaillé. Pourquoi on s’embêterait à réinventer la roue quoi ? Et vous avez tout par thèmes. En plus, vous avez des petites choses qui vous donnent les notions de justice, rêves et histoires, faites-vous des rêves dans lesquels vous n’avez aucun rôle ? Moi, je trouve les exercices pas terribles, ça je suis assez d’accord avec vous, en fait je les utilise pas. Mais les plans de discussion, ils sont super. Les exercices, bon, je pense que vous savez ce que c’est les enfants, que vous les connaissez bien, vous pouvez adapter, hein. J’essaie dans une séance de toujours couper la séance, ils ont quand même 7ans… Oui, je fais quarante minutes. A la vingtième minute, il y a toujours quelque chose qui se passe que j’ai prévu. Ça peut être: «Ok, on va dessiner…. Il a dit que tout ce qui peut exister, qu’une chose qui existe peut être fausse, alors ok, on essaie de dessiner quelque chose." Même s’il y a que trois dessins, ce n’est pas grave, on s’est levé. Moi, j’avais préparé les crayons, je donne les crayons etc. On dessine. « Vous avez 5 minutes pour le faire ». Ok, on affiche. Qu’est-ce qu’on regarde ? «Ah, d’accord.Tu n’es pas d’accord avec ça. » Et c’est reparti. Pour le nom : « Est-ce 82 que il y en a qui aiment pas leur nom dans cette classe ? Ok. Levez-vous ceux qui aiment pas leur nom. Et ceux qui aiment ? Et ceux qui ne se sont pas levés ? » Et paf , on leur redonne la parole. Ils ont bougé trois minutes, mais ils ont besoin, parce que ça relance la discussion. Ça faut trouver. Un truc que vous pouvez faire, c’est mettre les garçons d'un côté, les filles de l’autre : "Ok, allez, on inverse pour changer de point de vue, les filles vous allez à la place des garçons. » Puis ça brasse dans tous les sens, mais ça remue un peu les méninges, ça faut que vous y pensiez, c'est hyper important. Introduire, conclure, une phase au milieu, tout le reste, on se la coince, on accepte et on accueille, et surtout on va tirer la substance quoi, ça vient pas du jour au lendemain, mais… Ça (montre la SEC), ça vous a entravé, non, mais ça vous empêche de penser. C’est ça votre problème, c’est que vous êtes toujours en train de vous dire « Zut, mon objectif, ils sont passés à côté. Zut, ce n’est pas bien ce qu’ils disent… mettez ça de côté… Laissez-les vivre, laissez-les penser et là, vous, vous allez trouver dix fois plus de matière que ce que vous avez imaginé. Faites-leur confiance et vous allez voir ça va transformer votre classe. Eléonore L.141 à 153 En général moi, ce que j’essaie de faire, c’est une, ou deux, ou trois discussions en communauté de recherche, et la fois d’après on fait un exercice du classeur. Parce que justement, le but c’est de développer chez les enfants les habiletés de pensée. Donc, qu’on fasse des exercices pour que les enfants comprennent l’importance d’un exemple, d’un contre exemple, sachent ce qu’est une hypothèse, ce qui va leur permettre de l’utiliser après dans d'autres contextes, comme dans l’environnement, par exemple. Savoir ce que c’est une analogie, une comparaison, une métaphore, etc. Vraiment développer ces habiletés de pensée, parce qu’il s’agit pas juste d’être là en train de débattre, faut débattre avec des outils et la philo, c’est ce qui permet aussi aux enfants de développer ces outils, et ces outils vont leur servir quand ils feront des dissertations, quand ils vont faire des sciences. Voilà, c’est ce qui permet aussi d’entrer dans le PER. Dans le PER, il y a les objectifs de la philosophie pour enfant, ils sont écrit noirs sur blanc. Donc, en tant qu’enseignant, tu es autorisé à le faire, car il y a des objectifs par rapport à la pensée créative, à la pensée critique. Fabienne L.323 à 345 Moi, en général je prépare. Parce que, c’est vrai que, si je vais avec une thématique… C’est tellement riche dans le Petit Prince par exemple. C’est quand même bien d’avoir une idée de là où ça pourrait aller. Surtout que des fois on arrive dans une impasse, les enfants arrivent pas à sortir ou partent sur autre chose, ça reste pas dans la ligne de tir. C’est bien de préparer à l’avance, car on a soi-même des pistes. Ou je présente une autre situation, ou je donne des exemples. C’est toujours bien de savoir parce que sur le moment on a tellement de trucs sur lesquels « ok, il a dit ça, lui ça, et lui arrête pas de bouger.. » Des fois sur le moment, bon… Du coup, le fait de se préparer à l’avance, moi, c’est un outil. Bon, vous avez pas mal de petits textes philo dans lesquels vous avez des angles d’attaque, je ne sais pas, les petits goûters philo. Vous regardez et vous dites, bah tiens ça serait une piste possible, on coupe et si je vous parlais de ça, vous pourriez faire des liens? Est-ce que c’est différent ou la même chose ? Vous voyez, faire des analogies. Ou y a les guides pédagogiques de Lipman, ils sont tellement riches. Et même si on ne part pas forcément d’un texte de Lipman. Mais souvent, parce que des fois y a des exercices… et alors dire : « voilà, ça fait deux, trois séances qu’on discute, aujourd’hui je fais un exercice précis, je travaille une habileté précise, ou on, je ne sais pas, par exemple des métaphores, en disant « on est fort comme un ? Doux comme un ? » Voilà... Et puis tout d’un coup, ça les force à chercher des images. Et vous pouvez les mettre par groupe de deux, et alterner de temps en temps, comme ça, et souvent c’est des exercices très terre à terre : « qu’est-ce que je serais si j’étais… » Donc, ça peut être plutôt un côté créatif. Et à la fin d’une séance, essayer de prendre le temps de réfléchir sur comment on a réfléchi pendant la séance, garder du temps à la fin. Alors, vous pouvez à la fois réfléchir sur les idées « est-ce que vous trouvez qu’on a eu des bonnes idées ? Est-ce que quelqu’un pourrait redire quelles ont été les bonnes idées ? » Peut-être les noter. Que retient-on ? A. Quelques régularités dans la préparation et la planification des séances Partir des méthodes et des moyens existants 83 Au niveau des préparations nous retrouvons des régularités également. Les enseignants parlent d’exercices en philosophie, démontrant qu’il ne s’agit pas uniquement de discuter mais également de s’entraîner et de renforcer quelques compétences. Par rapport aux exercices de philosophie, Aline et David avouent qu’ils sont en difficulté à utiliser les exercices proposés par la méthode Lipman. Aline dit : « moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je trouve que quand on fait ça on ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma position d'enseignante. » et David ajoute : « Moi je trouve les exercices pas terribles ça je suis assez d’accord avec vous, en fait je les utilise pas. Mais les plans de discussion ils sont super. ». Ces enseignants ne semblent pas être à l’aise avec ce qui est proposé. D’autres font des exercices sans rencontrer trop de difficultés afin de pouvoir entraîner l’acquisition d’habiletés de pensée. Eléonore dit : « ce que j’essaie de faire c’est une ou deux ou trois discussion en communauté de recherche et la fois d’après on fait un exercice du classeur. » Fabienne dit également faire des exercices en classe : « (…) parce que des fois y a des exercices et alors dire « voilà ça fait 2-3 séances qu’on discute aujourd’hui je fais un exercice précis, je travaille une habileté précise ou on je ne sais pas par exemple des métaphores en disant on est fort comme un ? Doux comme un ? Voilà… et puis tout d’un coup ça les force à chercher des images et vous pouvez les mettre par groupe de deux et alterner de temps en temps comme ça et souvent c’est des exercices très terre à terre (…) ». Retenons donc qu’en philosophie aussi, il y a des exercices. Anticiper la pensée des élèves Les enseignants tentent également de s’imaginer la communauté de recherche qui aura lieu dans la classe, essayant d’anticiper les habiletés de pensée les élèves pourraient utiliser, lesquelles il serait intéressant de travailler et de développer avec eux. Il y a donc un intérêt de la part des enseignants à travailler les habiletés de pensée. Aline le dit ainsi il faut : « voir quelles habiletés de pensée ils pourraient sortir, il y a toujours une préparation en amont. (…) se poser soi-même la question "bah tiens, quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec ce texte?" ». Eléonore aussi partage cette idée : « Parce que justement le but c’est de développer chez les enfants les habiletés de pensée donc qu’on fasse des exercices pour que les enfants comprennent l’importance d’un exemple d’un contre-exemple (…) ». D’autres imagineront le chemin que pourrait prendre la discussion en tentant d’imaginer ce que pourrait induire les éléments apportés au cours de la discussion. Ils affirment qu’il est toujours bien de savoir par où la discussion pourrait se diriger. Bref, avoir une idée du cheminement : « Qu'est-ce que ça peut induire? » (Aline), « (…) il faut que tu aies prévu par où ça va aller » (Chloé), « (…) c’est bien de préparer à l’avance car on à soi-même des pistes, ou je présente une autre situation ou je donne des exemples, c’est toujours bien de savoir (…) » (Fabienne). Préparer des questions de relance Aline, David et Fabienne préparent à l’avance des relances par des questions, ou des pistes de réflexion, permettant de relancer la discussion. Suivre la pensée de l’enfant 84 Aline et Chloé insistent par contre sur le fait qu’il faut également savoir lâcher toute préparation, car l’enseignant ne peut jamais être sûr de la direction que prendra le dialogue : « Après il faut savoir la lâcher et se dire que j’avais pas du tout prévu que ça parte comme ça et finalement ça vient avec la pratique aussi. » (Chloé) « Mais on ne peut pas rester croché non plus là-dessus parce que on sait jamais où ça va nous emmener » (Aline). Si l’enseignant ne lâche pas, il est alors dans un statut qui le rend manipulateur tentant d’imposer des éléments qu’il a préparés. Ainsi, les enseignants se renseignent au préalable mais doivent savoir se détacher de ce qu’ils ont préparé pour suivre les idées des élèves et non imposer les leur, dans le but de suivre leur « planification ». B. Quelques variations dans la préparation des séances Concernant les variations nous retrouvons une grande différence. Si la plupart des enseignants avouent préparer à l’avance en imaginant la tournure du dialogue et en proposant des questions de relances, une enseignante affirme, elle, ne rien préparer du tout. En effet, c’est Brigitte qui avoue : « Alors par exemple, pour la vidéo des jeunes garçons je l’ai montrée comme ça un vendredi j’ai téléchargé la vidéo devant eux et je leur ai montré sur mon Iphone ». Elle se rattrape finalement, plus loin dans ses propos, en affirmant que si elle utilise une citation comme point de départ d’une discussion, elle ira se renseigner sur internet afin de voir ce que les autres personnes en pensent, pour pouvoir avoir quelques idées. Question posée aux enseignants : 3.3 Quelle est sa place lors du débat ? (physiquement) Que fait-il/elle concrètement ? Réponses des enseignants : Aline L.140 Non, on va dans la salle à côté, on a une très grande table où on se met tous autour. Je suis avec eux oui. L.142 L.144 à 147 Oui, alors c'est eux qui choisissent, un donne la parole, un observe les hypothèses, un les exemples, les contre-exemples, qu'est-ce qui a fait avancer le dialogue puis après ça dépend ce qu'on est en train de faire aussi, certains aiment bien relever s'il y a eu des métaphores. On a commencé un peu les présupposés, ce n’est pas facile. Brigitte L.217 à 219 Dans les canapés et moi je suis en face. Ca fait une espèce de carré et les élèves se voient tous, comme en demi rond. Mais c’est parfois plus compliqué car si c’est une classe nombreuse, il y a en derrière d’autres et ils se voient plus. L.125 à 141 Car mon but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dedans une posture réflexive. Et les élèves adorent. C’est vraiment que là, c'est très scolaire tout ce que j’ai vu (me montre la SEC). Moi, je ne fais pas tout ça, ce que je fais c'est que je vais dans une salle, il y a des canapés, on est assis, c'est en forme de U et moi je suis assise sur une chaise en face d'eux et c'est assez relax. Toutes les questions que je pose, par exemple si je cherche le thème de la vidéo, je vais demander au scripteur "écris le thème, deux petits points" et puis on essaie ensemble de 85 déterminer le thème. "Etes-vous tous d'accord si le thème de la vidéo est la guerre ?" "Oui, ok, d'accord." "Ah, je vois que toi tu n’es pas d'accord, pourquoi donc? Est-ce que tu peux m'expliquer pourquoi tu es pas d'accord avec le choix de tes camarades?" "Car moi je pense que c'est plutôt un message de paix, on est plutôt dans le thème de la paix." Et là, on est peut être qu'au début de la discussion, mais déjà au niveau du thème ils ne sont pas d'accord, donc le fait de ne pas donner à l'avance le contexte, et peut être déjà dans le contexte les élèves ne seront pas d'accord, et dans le débat à visée philosophique le but déjà c'est de débattre. Donc les élèves déjà, dès le départ, ils ne seront pas d'accord et c'est en discutant avec eux, les pour, les contres… Alors, il y a X qui dira "non, moi je ne suis pas d'accord, y a la guerre mais quand même il y a des chars d'assaut, c'est logique quoi". Puis après il y en a un autre qui lève la main, "oui, que veux-tu dire?" "Moi, je ne suis pas d'accord avec...." Chloé L.346 David L.421 à 423 Oui [assise en cercle], travailler les habiletés de pensée ça peut être intéressant aussi. Eléonore L.195 L.197 à 199 Oui, ils sont en rectangle parce que j'ai une petite classe. L.201 à 210 Je donne de temps en temps mon avis, mais uniquement lorsque je considère que ça va faire avancer le débat. Ce n’est pas forcément mon avis que je donne, mais c’est plutôt sous forme de question, que je vais soulever quelque chose auquel ils n’avaient pas pensé, ou parce que j’ai envie de les emmener quelque part, parce que j’ai l'exercice de Lipman sous la main qui va permettre de parler d’un truc, ou puis voilà. Mais sinon, mon avis réel, ou mon point de vue sur un truc, non, je le donne pas. Et je trouve que ça a aucune forme d'intérêt de le donner et je trouve dangereux, car malgré tout, je suis une adulte, donc ce que je dis peut être considéré comme vérité absolue et on n’a pas de vérité absolue, ça c’est clair. Avec les enfants, on est là pour construire ensemble et pour s'approcher le plus possible de la réalité, et ça, on va le construire ensemble, et c’est ça qui est intéressant. Fabienne L.602 à 604 Dans la mesure du possible j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux, ou alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les élèves. Nous sommes en cercle, assis sur nos chaises. Je fais partie du cercle et je donne la parole, reprends les questions, demande des précisions, aide à faire les liens, à creuser un exemple, j'anime… Je suis avec eux oui, on est tous ensemble. Et je suis, même si je suis animatrice, je suis à égalité avec eux. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de, voilà, hiérarchie. On est tous ensemble dans cette communauté de recherche. Que retient-on ? A. Quelques régularités dans le positionnement de l’enseignant lors des dialogues L’enseignant est inclus dans la communauté Par ces témoignages, nous observons que la pratique du dialogue philosophie est un processus qui semble se faire de manière commune en classe autant physiquement qu’au niveau du contenu. Nous retrouvons souvent l’expression telle que « tous ensemble » ou « on va le construire ensemble » (Eléonore) « tous autour » (Aline). Il y a donc une réelle preuve que le processus se déroule de manière commune, tous ensembles. Disposition circulaire 86 Nous apprenons aussi que les discussions se déroulent de manière collective et prennent physiquement dans les classes une forme circulaire. Chloé affirme qu’elle est en forme de cercle, David dit : « Nous sommes en cercle, assis sur nos chaises ». Pour Eléonore, les élèves sont également regroupés sous forme fermée « oui ils sont en rectangle parce que j'ai une petite classe ». « Dans les canapés et moi je suis en face. Ca fait une espèce de carré et les élèves se voient tous, comme un demi-rond, mais c’est parfois plus compliqué, car si c’est une classe nombreuse, il y en a derrière d’autres et ils se voient plus. » (Brigitte). « Non on va dans la salle à côté on a une très grande table où on se met tous autour. » (Aline). Fabienne fait de son possible pour rester dans le même type de configuration : « Dans la mesure du possible j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux, ou alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les élèves ». Ainsi, même physiquement nous observons que les dialogues se font de manière commune, de manière à ce que chacun puisse se voir pour pouvoir mieux partager. Les enseignants, dans ces moments, font très souvent partie du cercle, du carré du rectangle ou autre. Dévoluer des rôles aux élèves De plus, les enseignants attribuent parfois des rôles aux élèves comme celui de scripteur ou encore d’observateurs. Aline distribue la parole, de telle manière que « c'est eux qui choisissent, un donne la parole un observe les hypothèses, un les exemples, les contre-exemples ». Brigitte utilise des scripteurs : « (…) si je cherche le thème de la vidéo je vais demander au scripteur "écris le thème, deux petits points" et puis on essaie ensemble de déterminer le thème. ». Ainsi, en plus d’être présents dans le groupe avec les élèves, les enseignants distribuent des rôles aux élèves. B. Quelques variations observées par rapport au positionnement de l’enseignant Symétrie ou non dans la place physique Une enseignante affirme être physiquement en face de ses élèves (Brigitte) alors qu’Aline, Chloé, David, Eléonore et Fabienne prennent place dans le cercle. Question posée aux enseignants : 3.4 Quelles sont ses interventions? De quel type? Dans quel but? Réponses des enseignants : Aline L.174 à 181 C’est des relances oui, des « pourquoi »? Sans donner son avis. Car là, quand j'ai relu ce que vous avez fait, vous avez beaucoup donné votre avis. "Ah c'est bien". C'est le plus difficile, c'est 87 à travailler. Même quand on fait ça depuis longtemps, on peut d'un coup être pris par ça. Je trouve même que ça fait vraiment longtemps que je fais ça avec des adultes et des enfants et à un moment donné il faut se remettre en question, pas prendre une espèce de routine. Je me demande si parfois je suis moins bonne qu'à une autre période et il faut nous toujours être en réflexion et toujours revenir sur ce qu’on fait et pourquoi on le fait et comment on le fait, parce qu'on peut changer aussi les choses. L.184 à 188 Non, alors moi souvent ce que je fais, c'est que je les cite chaque fois qu'ils apparaissent. Parce qu'ils font tout ça, ça vient des élèves dans le dialogue. Ils donnent des exemples, des contreexemples, des hypothèses. C'est là, le rôle de le souligner: "ah ben tel et tel fait l'hypothèse que". C'est juste ça et après petit à petit qui disent "ah ben je fais l'hypothèse que". Le passage se fait comme ça. Brigitte L.510 à 511 Le sujet : « Qu'est-ce que l'amour ? » Ils étaient tous assis en cercle. Je leur ai demandé "Qu'estce que l'amour?" J'ai écrit sur une feuille Java le titre. L.512 à 546 D'emblée, ils m'ont dit que l'amour "amitié" n'est pas le même que l'amour "papa-maman" et l'amour "frère et sœur". J'ai cru bon de leur donner le bon vocabulaire. Je leur demandais "Comment ça s'appelle l'amour des frères et sœurs? " Evidemment, ils ne savaient pas et je leur donnais la notion: "amour fraternel". Très vite, je leur ai fait remarquer qu'il y avait différentes sortes d'amour. On a essayé ensemble de les citer: amour filial, dans lequel on a l'amour maternel, paternel, fraternel. Amour "amitié" ; Amour "couple" ; Amour "passionnel". En citant les différentes formes d'amour, on a vu qu'il y avait différentes manières d'exprimer l'amour. Je leur ai demandé: citez-moi différentes manière d'exprimer l'amour? Ils m'ont vite répondu qu'il y avait les bisous, l'écoute, les cadeaux.... J'ai essayé de faire émerger deux autres : agir pour l'autre (aider par exemple), et complimenter. Mais ces deux-là, ils n'ont pas trouvé, même avec des questions de relance: "mais quand on aime quelqu’un, on peut essayer de lui dire des gentilles choses, non? Quand on aime quelqu’un un on peut l'aider, etc." NB: pour l'amour passionnel, je leur ai expliqué qu'en latin, "passio" veut dire "douleur" et que par extension, aimer passionnément, on serait prêt à souffrir pour l'autre. Genre Roméo et Juliette. Plus tard, j'ai voulu leur donner encore une autre forme d'amour : l'amour altruiste. C'est aimer en aidant les autres. Je leur ai demandé "Donnez-moi des métiers altruistes". Ils ont facilement réussi à me dire: pompier, policier, ambulancier, médecin, infirmière, etc. Bref, voilà en gros mon cours. Pour être honnête avec toi, je ne suis pas très satisfaite de cette leçon. En effet, je pensais que c'était une bonne idée d'enrichir le cours par des mots de vocabulaire soutenu, mais cela a impliqué que je me suis "trop" investie dans le dialogue pour faire émerger le vocabulaire. A la fin, j'en avais clairement perdu quelques uns, donc résultat nul. Ma crainte était de tourner en rond, à savoir l'amour c'est: papa-maman, frères et sœurs et hommefemme. Pourtant, lors du débat, une question s'était posée : est-ce que l'amour est éternel? (question qui a émergé lorsqu'une fille a dit : oui c'est éternel, et une autre fille a réagi en disant que non), j'aurais pu plus aller dans ce sens pour créer un VRAI débat. Je ne sais plus comment, mais je me rappelle avoir posé la question : est-ce qu'on peut ne PAS aimer ses frères et sœurs ou ses parents ? S'en est suivi une discussion intéressante. Ceux qui étaient d'avis que même s'ils font des "crasses", on les aimera de toute manière. D'autres n'étaient pas d'accord. Je me rappelle d'un qui a dit : « si mon papa ou mon frère était emmené en prison, je ne l'aimerais plus". Je ne sais plus comment ça s'est terminé, mais une chose est sûre, je suis passée à autre chose parce que l'oncle d'un de mes élèves est en prison et cet élève était par conséquent très mal à l'aise. Chloé L.455 à 460 Rendre mes élèves citoyens, leur permettre de réfléchir pour et par eux-mêmes, leur communiquer la diversité des pensées tout en étant capable de poser un regard critique sur notre monde d'aujourd'hui, leur donner enfin la parole et l'écoute, pratiquer la bienveillance. Nous pratiquons une fois par semaine. Les enfants aiment ce moment et en parlent fréquemment à l'extérieur de la classe, ce n'est pas un conseil de classe, nous ne réglons pas les problèmes internes, cela est fait à un autre moment. C'est un moment pour penser, pour réfléchir. David L.425 à 429 (…) mes interventions sont verbales, ce sont des relances, jamais je ne donne mon avis, très souvent je repose des questions, demande des éclaircissements. Je peux aussi dessiner au tableau le 88 Eléonore L.394 à 402 Fabienne L.606 à 609 fil de la discussion, les idées trouvées, les échelles de nuances... Mon but est de préciser le questionnement, de l'alimenter, de le rendre accessible et fructueux, le plus possible. Mon intervention à pour but de cadrer le débat (le recentrer si nous nous dispersons), de poser des questions qui permettent de mieux définir les termes que nous utilisons afin d'en partager une compréhension commune, de poser des questions qui permettent de s'approcher toujours plus près du concept philosophique (le bien, le beau, le juste, le vrai....les questions d'ordre éthique et esthétique). Le but étant de partir de la pensée créative pour s'approcher toujours plus de la pensée critique. L'enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Réponse ni La Vérité. Son objectif est d'aider les enfants à devenir toujours plus expérimentés dans l’usage des habilités de pensées (exemples, contre-exemples, comparaisons, analogies, hypothèses, métaphores, etc.), et d'affiner la rigueur intellectuelle de la pensée critique Elles peuvent être en lien avec le contenu et visent le développement de capacités cognitives (demander définition, raison, critère, comparaison, clarification, reformulation, etc.…) ou avec le processus et visent plutôt des capacités sociales et affectives (respect du cadre instauré, participation équilibrée des élèves, retour sur la façon dont le dialogue s’est tenu, …). Que retient-on ? A. Quelques régularités observées dans les interventions des enseignants Intervenir dans le but de relancer le dialogue Concernant les interventions des enseignants lors des dialogues, les enseignants interrogés nous apprennent qu’ils prennent la parole pour faire des relances : « Mes interventions sont verbales, ce sont des relances » (David). Voir aussi question 2.2. Comme décrit plus haut et dans cette question 2.2 également, les enseignants posent des questions dans le but notamment de faire utiliser des habiletés de pensées spécifiques ou d’approfondir la réflexion des élèves. Ils disent par contre ne jamais prendre parti, ne pas donner leur avis : « L'enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Réponse ni La Vérité ». (Eléonore). «Mes interventions sont verbales, ce sont des relances, jamais je ne donne mon avis, très souvent je repose des questions, demande des éclaircissements. » (David). B. Quelques variations au niveau des interventions Intervenir uniquement sur la cadre et le respect des règles Au niveau des variations, nous observons que les enseignants n’interviennent pas de la même manière. En effet, David fait des interventions verbales, Eléonore en fait dans le but de « cadrer le débat » et Fabienne en fait pour être en lien avec le contenu mais vise le développement des habiletés cognitives. Si tous les enseignants interviennent, nous ressentons par contre un réel souci des enseignants à jauger leurs interventions auprès des élèves. Question posée aux enseignants : 89 3.5 L’enseignant-e formalise-t-il/elle? Institutionnalise-t-il/elle? Réponses des enseignants : Aline L.190 à 207 Il y a toujours un retour des observateurs, c'est tous les papiers que j'ai là, car il y en a toujours un ou deux qui prennent des notes. Il y a un retour par rapport à ça et souvent, je crois que je ne dis pas grand chose au niveau du bilan retour. Ce qu'il faut faire attention c'est prendre assez de temps pour le bilan retour, car on est souvent pris dans le dialogue qui devient de plus en plus passionnant. Déjà, il faut avertir, dire qui parle encore, et après on arrête. C'est le rôle de l'animateur d'être gardien du temps, parce que moi j'ai l'impression que si on donne ce rôle, comme vous l'avez fait, je n’ai pas la science infuse, mais l'expérience m'a montré qu'un enfant va rester sur la montre alors que l'enseignant va peut-être regarder où on en est du dialogue, savoir combien de temps il reste en pensant au retour pour le bilan, et qu'il faut gérer tout ça, mais des fois on y arrive pas. Et souvent, ce que je fais avant le dialogue philo, je le fais avec ma classe, par contre pas avec celle de mes collègues, je fais un tour "ça va, ça va moyennement, ça va pas, j'ai besoin de". Donc ça permet de ne rien régler sur le moment. Un élève dira "moi ça va pas, je me suis fait moquer à la récré parce que je ne jouais pas bien au foot". Ok, j'ai besoin de? " Les autres arrêtent, car c'est difficile pour moi". Mais on en reste là. Par contre, moi je note tout ça et une ou deux fois après, selon ce qu'on est en train de faire et je cherche un texte, ou un bout de film, ou une image, en rapport avec ça. C'est pour ça quand vous me présentez cette image (elle montre l'image de l’homme de Tiananmen), il y a trop de choses à apprendre autour avant d'avoir des émotions. Brigitte L.281 à 285 Comme il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus en général je l’écris et quand on passe a une nouvelle question, toujours en lien avec le thème, on se rend compte que finalement je vais faire un sous-titre « Qu'est-ce que je la liberté ? », et on écrit la liberté c’est ça. La semaine suivante on relit le java et ça nous permet de redémarrer, il y a toujours une trace. L.287 à 289 Pas forcement clore, mais il y a une trace. Je clos le débat en tout cas quand il n'y a plus de débat. En tout cas je leur dis " Je suis contente, on a bien réfléchi là-dessus, je vous propose de passer à un autre sujet ". Chloé L.359 à367 Oui, j’ai des javas et vu que je prends pas mal de notes aussi… mais j’ai jamais fait… J’ai une copine qui fait de la philo, mais au cycle, alors eux ils ont un cahier de philo. Alors de nouveau, je me demande si ce n’est pas un biais de l’enseignant qu’il faut qu’il y ait une trace de formalisation. Alors eux ils ont un cahier de philo et ils font une synthèse à la fin de ce qui est sortit, de où on est parti, où on est arrivé et où on va partir la prochaine fois, ou de ce qu’ils ont ressenti. Après, avec les petits, j’avais fait tout un travail sur les émotions à partir des contes d’Audrey Anne, et ça travaille toutes les émotions et ils faisaient des dessins souvent après la séance. Voilà, c’était une espèce de synthèse par le dessin et souvent ils aiment bien faire ça. C’est vrai que ça marche bien avec les petits, mais pourquoi pas avec les plus grands. David L.307 à 320 Alors comment je clôture ? « Ah, c’est l’heure ! » Mais on se prend une minute quand même pour garder en tête ce qu’on aimerait dire pour la prochaine fois, donc on ferme les yeux. Place aux observateurs : "Les observateurs, qu’est-ce qu’ils ont à nous dire?" "J’ai vu ça, etc. ". Et ma question : "Est-ce que c’était une bonne séance ? Oui ? Pourquoi ? " "Parce que nanana…" C’est jamais nominatif. Il y a beaucoup d’enfants qui ont parlé, il y en a moins qui ont parlé, il y en a eu plus cette fois-ci qui ont donné des exemples, ou dire aujourd’hui on était plus dans l’exemple et il y a eu moins de... voilà, etc. Les enfants on globalement respecté les règles, euh, il n’y en a pas qui ont coupé la parole, ou il y en a beaucoup moins que la dernière fois, voilà. Et puis, ok, "Est-ce que ce que les observateurs ont dit, vous êtes d’accord avec eux ? Est-ce que pour vous aussi c’était une bonne séance ? Qui veut parler là-dessus ?" Ok. "C’est une bonne séance parce que je me suis senti bien, ou j’ai bien aimé la question." Etc. J’essaie toujours de terminer sur quelque chose de positif et de reformuler : "Ok, pour toi c’était une bonne séance. Est-ce qu’il y en a qui sont pas d’accord avec ça ? Et ok, toi t’es pas d’accord. Ok je prends note." On en parle et c’est tout. L.322 à 331 Voilà, rester sur le processus. Et le début c’est pareil. "Qu’est-ce qu’on a fait la dernière fois ?" On garde une minute pour se souvenir. "Est-ce que c’est encore important d’en parler au- 90 jourd’hui ?", etc. Ou alors : "Aujourd’hui, on va attaquer cette question-là, est-ce qu’il y a quelque chose qui est en suspend, qui est vraiment très important ?" Et il y a des enfants qui disent : " Alors moi, j’ai cherché sur Internet telle chose… "Ah oui, une fois un enfant a dit… on travaillait sur la discrimination et on avait buté sur une voiture volante et un avion. Et il y en a un, qui a dit que l’avion n’avait pas de roues tout le temps, et l’autre a compris qu’il n’avait pas de roues, alors il a dit " J’ai cherché, etc. " Ok, donc il a dit : "Ah non, mais c’est pas ce que je voulais dire, mais je voulais dire ça…" " Ah bon, alors si t’as dit ça c’est ok." Tac, on ferme le truc et on passe à autre chose. Eléonore L.239 à 248 Ça m’arrive de faire par moment un petit résumé, de dire bah voilà, aujourd’hui, on a entendu tel et tel point de vue, c’était intéressant parce que… Voilà, j’essaie de tranquillement aller vers un concept, redire avec mes mots ce qu’il s’est passé et vers quoi on est allé aujourd’hui, mais je le fais pas systématiquement, et je le fais vraiment quand je me sens très à l’aise de le faire, parce que je pense pouvoir avoir une distance nécessaire. Parce que le piège c’est de trop réduire ce qu’ils ont dit, donc vraiment, je le fais quand je me sens à l'aise de le faire et que les idées étaient claires. Et voilà, je prends aussi des mots-clés pendant la séance et ça me permet de faire un retour et d’être active dans mon animation. Ça prend de l’énergie une animation philo, ce n’est pas un truc, euh… on en sort on est fatigué, parce qu’il faut vraiment être ultra concentré de ce qu’il se passe. Fabienne L.347 à 361 Oui, oui, le retour. Mais à la fois sur le contenu, mais aussi sur le processus. Et au début c’est aussi donner des choses simples à observer aux enfants, parce que c’est difficile et ils ne savent pas trop quoi dire. Ou trouver les exemples, les raisons et peut-être vous modéliser une fois : « voilà ce que j’attends d’un observateur ». Et est-ce que c’est bien écouté ? Et se dire, peut-être, je fais une fois la discussion un peu moins longue, ou sur la dernière fois comment ça s’est passé, et noter et dire « voilà, moi j’ai observé qu’il y a les enfants qui s’écoutaient pas ou qui interrompaient ou qui rigolaient. Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour qu’il y ait une bonne écoute ? » « Alors dire on se regarde, on ne parle pas, on attend », et dire « alors la prochaine fois, il y a quelqu’un qui observe ça », ou « quelqu’un qui observe que quelqu’un a repris l’idée de quelqu’un d’autre ». Parce que, des fois aussi, y en a un qui dit un truc et chacun dit quelque chose et ça a plus rien à voir avec ce qui a été dit avant. Même pendant le déroulement, dire « ah, vous avez vu ce qu’il a fait là ? » Même si ça casse la discussion, ce n’est pas grave. Et essayer de faire réfléchir sur qu’est-ce qu'il vient de se passer dans la classe, soit sur des choses positives, soit négatives. Et puis par exemple de dire de distribuer des rôles. Que retient-on ? A. Quelques régularités autour de l’idée de formalisation Pas de formalisation mais un retour sur la discussion Lors de la formalisation, les enseignants parlent d’un léger retour qui peut être fait. Certains laissent la place aux observateurs et leur donne la parole concernant les observations : « Il y a toujours un retour des observateurs, c'est tous les papiers que j'ai là, car il y en a toujours un ou deux qui prennent des notes » (Aline), « Place aux observateurs, "les observateurs qu’estce qu’ils ont à nous dire?" » (David). De plus, Aline affirme : « Il y a un retour par rapport à ça et souvent je crois que je ne dis pas grand-chose au niveau du bilan retour. ». Ainsi, il est important de toujours garder un moment pour un retour, qu’il soit fait par les observateurs ou non. Eléonore aussi : « Ça m’arrive de faire par moment un petit résumé, de dire bah voilà, aujourd’hui on a entendu tel et tel point de vue c’était intéressant ». Un retour dans le but de suivre et anticipation d’un prochain dialogue 91 Aline et David, prennent en compte les retours comme permettant, pour la prochain période de philosophie, de repartir de ce qui a été fait de la dernière fois afin d’assurer un suivi : « Par contre, moi je note tout ça et une ou deux fois après, selon ce qu'on est en train de faire et je cherche un texte, ou un bout de film ou une image en rapport avec ça. » (Aline), « on se prend une minute quand même pour garder en tête ce qu’on aimerait dire pour la prochaine fois, donc on ferme les yeux » (David). Ainsi, les retours permettent à ces deux enseignants de repartir la prochaine fois dans la continuité de ce qui a été dit. B. Quelques variations dans la manière de faire les retours Des retours sur deux pans, le processus et le contenu Il existe quelques variations dans le type de retours que font les enseignants. Certains font un retour sur le contenu de ce qui a été dit : « redire avec mes mots ce qu’il s’est passé et vers quoi on est allé aujourd’hui » (Eléonore), « faire par moments, un petit résumé » (Eléonore), « comme il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus en général je l’écris » (Chloé). D’autres préfèrent faire un retour sur le processus : « les enfants ont globalement respecté les règles […] il n’y en a pas qui ont coupé la parole […] c’était une bonne séance ? […] voilà, rester sur le processus » (David). Les enseignants mélangent parfois les deux et font autant un retour sur le processus que sur le contenu : « Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour qu’il y ait une bonne écoute ? […] faire réfléchir sur ce qu’il vient de se passer dans la classe » (Fabienne). Relevons également que si les retours sont parfois présents ils ne se sont pas systématiques. Eléonore le fait uniquement lorsqu’elle se sent à l’aise et qu’elle possède la distance jugée nécessaire. Chloé se questionne et se demande si ce ne serait pas un travers de l’enseignant d’avoir besoin systématiquement d’une trace de formalisation. Question posée aux enseignants : 3.6 Que doit faire l’enseignant pour permettre aux élèves d’atteindre les objectifs ? Réponses des enseignants : Aline L.410 Brigitte L.291 à 292 Par l'exemple et la répétition de l'inclusion des habiletés de pensée au sein du dialogue. Chloé L.390 à 395 Bah quand… [grand silence] Oui, tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser, conceptualiser, à bien sûr… mais euh, je trouve que l’importance du groupe, c’est marrant moi je Alors euh, bah justement, avec les questions de relances, proposer aux élèves qui ne disent rien "qu'est-ce que tu en penses toi?". 92 vois moins les individus, mais je vois la communauté et vraiment est-ce qu’on atteint vraiment une communauté…. Oui, je pense qu’effectivement, quand on a dépassé le stade de la confrontation d’idées en tout cas, et qu’on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner, à problématiser… L.462 à 465 Se mettre en position de transmetteur et non de puits de savoirs, changement de casquette obligatoire et nécessaire qu'il n'est pas toujours facile à adopter. L'enseignant fait partie du groupe de recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une pensée commune, critique et argumentée. David Non répondu Eléonore Non répondu Fabienne L.611 à 612 Ne pas intervenir pour donner son point de vue, soutenir le questionnement des enfants en apportant les outils nécessaires. Que retient-on ? A. Quelques régularités sur la manière d’atteindre des objectifs L’enseignant doit perpetuellement soutenir le questionnement Pour permettre d’atteindre les objectifs, les enseignants insistent le fait de soutenir le questionnement des élèves, même ceux qui ne prennent pas la parole : « bah justement avec les questions de relances, proposer aux élèves qui ne disent rien "qu'est-ce que tu en penses toi?" » (Brigitte). « Ne pas intervenir pour donner son point de vue, soutenir le questionnement des enfants en apportant les outils nécessaires » (Fabienne). B. Quelques variations sur la manière d’atteindre les objectifs Le groupe et non les individus pour atteindre les objectifs La variation principale est celle exprimée par Chloé qui voit plus l’atteinte des objectifs au niveu du groupe qu’au niveau individuel. Question posée aux enseignants : 4.1 Y a-t-il selon l’enseignant-e des acquis visibles chez les élèves ? Réponses des enseignants : Aline L.209 à 223 Quand ils commencent, les acquis c'est déjà le passage de la parole, l'écoute de l'autre, la manière dont ils oralisent certaines choses, les questions posées qui deviennent de plus en plus fines, moins en moins de présupposés, et de plus en plus nettes. Et je vois chez eux aussi l’acquisition de habiletés de pensée, car à force de les manier, ils les font leurs. Ça devient quelque chose de 93 normal. Ils me disent maintenant très facilement "je fais l'hypothèse que", et après il y a un autre qui "oui mais moi j'ai peut être une autre idée " et ça c'est énorme ce qu'ils apprennent. Car c'est pas une discussion qu'on aurait comme ça, car ils font très bien la différence eux, ils sont dans une posture différente, car quand on discute on argumente, autour d'une table de bistrot et on essaie de convaincre qu'on a raison et que c'est comme ça et pas autrement, et puis tout le monde parle un petit peu en même temps, il n'y a pas de règle par rapport au passage de la parole et tout. Et moi, je vois de plus en plus que les élèves arrivent, avec le temps, à donner eux la parole et pas à la donner au copain. Par contre ce que je fais, c'est que quand on fait des votations pour le choix des questions, je les fais mettre en position hérisson. Ils ferment les yeux car c'est leur vote. Pour que eux ils fassent comme ils y sentent, et pas tiens il y a personne qui lève la main je n’ose pas lever la main. C'est important. Brigitte L.305 à 308 J'avais, par exemple, une élève qui au début avait de la peine à s’exprimer, c'était toujours brouillon, on comprenait rien, et petit à petit, à force de reformuler ce quelle disait, et lui dire bon une chose après l'autre, « que veux-tu dire par rapport à ca? », « ok, on reviendra après sur la suite ». Chloé L.370 à 375 Moi, je dirais que c’est plus, peut être, une qualité d’écoute. Oui, je pense que quand on fait beaucoup, que c’est une qualité d’écoute entre eux. Et puis c’est la grande question de la transposition, parce que c’est super difficile de transposer. Mais finalement, on pourrait faire de la philo dans tout. On fait du français, des maths, alors on y va, on fait un débat philo sur ça. C’est, je ne sais pas, je n’ai pas vraiment… Ou peut-être dans la gestion des conflits. Moi je sais que ça m’est utile déjà en tant que personne, j’aborde plus la même chose, les conflits. David L.228 à 230 Ça, c’est une question que vous, vous ne posez pas… Vous verrez après s’ils ont appris ou pas, mais ils vont apprendre. Si vous avez confiance dans le processus, ils vont apprendre. L.431 à435 Oui, très rapidement dans leur façon d'être, dans leur niveau d'écoute, dans leurs analyses, ils reprennent les éléments que nous faisons observer (par exemple, au lieu de dire : « Je suis ok avec lui », ils vont vite dire : « j'ai la même opinion que lui, je ne suis pas ok avec son exemple, sa définition est imprécise », au lieu de je ne comprends pas..) comportement, métalangage, prise de distance, jugement moins émotionnel etc. L.58 à 62 C’est un processus la philosophie, vous êtes dans un processus de changement et eux aussi. La preuve, si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début d’année et ce qu’ils sont capables de dire en fin d’année, vous passez du « Je suis d’accord » à « Son exemple me fait changer d’avis ou j’ai changé d’avis car le contre-exemple qu’il a donné… » Voilà, ça veut dire qu’ils ont déjà intégré énormément de choses. L.129 à 134 Est-ce que je suis contente de ce qu’ils ont dit ? Franchement ? Je suis toujours content de ce qu’ils ont dit. Parce que si vous regardez plutôt le processus qui est en train de se passer, c’est toujours positif. Après, ça pourrait mieux se passer, ce n’est pas de leur faute, c’est de la notre. On n’a pas su. Moi, j’ai été filmé il y a pas longtemps et je me suis dit « Ah, zut, j’ai raté. J’aurais dû lui demander pourquoi… » On ne peut pas être partout, ce n’est juste pas possible. L.140 à 147 Mettez de côté tout ce qui vous appartient, soyez avec eux, accueillez, voyez leurs questionnements et à mon avis, ça va émerger et vous serez super contente, et soyez vous-même dans la découverte, vous savez rien et vous êtes là comme quelqu’un de naïf, et c’est vrai, vous allez découvrir plein de choses. Vous allez découvrir à quel point ils pensent bien, à quel point le petit qui parle jamais et qui a l’air le dernier de la classe est hyper brillant, a une pensée hyper logique et vous auriez jamais cru ça de lui, et c’est ça, c’est là-dessus que vous êtes. Vous n’êtes pas sur le niveau de pensée, c'est égal ce qui est en train de se construire. Eléonore L.250 à 254 On va le voir au fur et à mesure des communautés de recherche. Déjà ils vont les réclamer, ils vont avoir du plaisir, ils vont faire « oui » quand on dit que maintenant on va faire une communauté de recherche scientifique, et puis tranquillement ils vont devenir de plus en plus compétents et ça c’est vraiment… Ca ne vient pas tout de suite. C’est vraiment sur leurs compétences. Ça se voit, mais à mon avis, ça se sent. C’est quelque chose, et effectivement je pense que c’est une des difficultés, c’est dans l’évaluation, parce qu’évaluer la pensée de quelqu’un..., C’est facile d’évaluer des compétences précises, calculer… Mais maintenant, le fait d’être capable de donner plus de sens à son expérience de vie, ce n’est pas facile à évaluer. En revanche, si vous le Fabienne L.364 à 378 94 faites sur la longueur, vous allez voir tout d’un coup des élèves qui interagissent plus entre eux, au sein du groupe. Ca vous pouvez le voir. Au début c’est vrai que, quand on commence souvent c’est presque one-to-one, y en a un qui dit, puis il vous parle tout le temps. Si on demande de constater que les élèves se regardent plus, d’interagir plus entre eux, que le climat de la classe est plus… les gens, les enfants posent plus de questions. Tout d’un coup on dit « mais tu dis, mais pourquoi tu dis ça ? » Vous voyez, c’est cette capacité, la formulation. Et y a plusieurs enseignants qui m’ont dit, la formulation, le fait qu’ils soient capables et qu’ils puissent prendre la parole, le fait de formuler et poser des questions quand ils n’ont pas compris quelque chose ou qu’ils essaient de comprendre. Voilà. Mais c’est vrai que d’évaluer, comme on évalue une compétence je fais une phrase avec verbe, sujet, complément ou mathématique, c’est compliqué. L.614 à 619 Partie la plus difficile mais on peut donner des pistes : lorsque le dialogue s’instaure entre les enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche ; lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants prennent la parole et expriment leurs propres idées ; lorsqu’ils sont capables de la justifier ; de les formuler au plus près de leur pensée ; lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir compte, voir changent d’avis Que retient-on ? A. Quelques régularités et acquis visibles observés par les enseignants chez leus élèves Acquisition d’une meilleure écoute de la part des élèves Les enseignants retrouvent plusieurs acquis chez les élèves par la pratique du dialogue philosophique en classe. Tout d’abord les élèves amélioreraient leur niveau et leur qualité d’écoute. Aline le dit : « Quand ils commencent, les acquis c'est déjà le passage de la parole, l'écoute de l'autre ». Chloé pense également que les élèves acquièrent une qualité d’écoute : « Moi je dirais que c’est plus, peut-être une qualité d’écoute » David observe aussi que : « très rapidement dans leur façon d'être, dans leur niveau d'écoute » les élèves progressent. Fabienne le relève également : « lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir compte ». Une prise de parole plus osée de la part des élèves De plus, cette pratique augmenterait leur capacité à prendre la parole en classe, à respecter le tour de parole et favoriserait les interactions entre élèves. « Quand ils commencent, les acquis c'est déjà le passage de la parole » (Aline). On observe aussi des élèves parfois en difficultés face à l’expression de leurs idées : « (…) et petit à petit à force de reformuler ce qu’elle disait (…) » (Brigitte). Les enseignants observent aussi des progrès dans les formulations des élèves : « Vous voyez c’est cette capacité la formulation et y a plusieurs enseignants qui m’ont dit, la formulation le fait qu’ils soient capable et qu’ils puissent prendre la parole » (Fabienne). Fabienne ajoute également qu’avec le temps, les élèves interagissent plus entre eux et se détachent du dialogue unique présent, au début, juste entre l’enseignant et l’élève : « En revanche si vous le faites sur la longueur vous allez voir tout d’un coup des élèves qui interagissent plus entre eux (…) » (Fabienne). Ainsi, nous observons ici que prendre la parole en classe n’est pas donné à tous et que les enseignants observent des progrès, et donc des acquis au cours des échanges. 95 Un questionnement plus fin de la part des élèves Par l’écoute et la prise de parole qui se développent, les élèves seraient, du coup, plus aptes à se questionner. Les questions deviendraient plus fines : « les questions posées qui deviennent de plus en plus fines, moins en moins de présupposés et de plus en plus nettes » (Aline). Elles deviennent aussi plus nombreuses et leur permettraient tout simplement d’avoir un temps pour les poser sans être jugés. Fabienne observe : « (…) le fait de formuler et poser des questions quand ils n’ont pas compris quelque chose ou qu’ils essaient de comprendre ». Les élèves acquièrent une capacité à se questionner qui évolue dans son fonctionnement aussi. Le développement des habiletés de pensée chez les élèves D’autres acquis se situeraient au niveau de l’acquisition des habiletés de pensée. En effet, les élèves seraient plus aptes à les utiliser et donc à construire leurs propos de manière logique. Aline dit « Ils me disent maintenant très facilement "je fais l'hypothèse que" et après il y a un autre qui "oui mais moi j'ai peut-être une autre idée " et ça c'est énorme ce qu'ils apprennent ». David observe également des acquis dans cette compétence : « La preuve si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début d’année et ce qu’ils sont capables de dire en fin d’année, vous passez du « je suis d’accord » à « son exemple me fait changer d’avis ou j’ai changé d’avis car le contre-exemple qu’il a donné… » Voilà ça veut dire qu’ils ont déjà intégré énormément de choses ». B. Quelques variations dans l’observation des acquis Des acquis peu observables au début mais un processus toujours positif Nous observons à travers les dires des enseignants d’autres positions sur les acquis effectués par les élèves. David dit qu’il faut faire confiance au processus et que de toute façon les élèves apprendront quelque chose et que cela se verra à la fin. Il affirme que le processus sera toujours positif et que ce qui importe n’est pas le niveau de pensée mais bien le processus. « Ça c’est une question que vous vous ne posez pas… Vous verrez après s’ils ont appris ou pas, mais ils vont apprendre. Si vous avez confiance dans le processus ils vont apprendre. (…) C’est un processus la philosophie, vous êtres dans un processus de changement et eux aussi. (…) Parce que si vous regardez plutôt le processus qui est en train de se passer c’est toujours positif (…) Vous n’êtes pas sur le niveau de pensée, c'est égal ce qui est en train de se construire ». David affirme lui qu’il s’agit bien du processus dans lequel il faut entrer et non dans la richesse des idées. Pour lui, ce processus permettra toujours d’obtenir des acquis. Cet enseignant fait totalement confiance au processus qui montrera par la suite que les élèves ont acquis quelque chose. Qui dit acquis dit évaluer, difficile en philosophie ! Au niveau des variations, Eléonore verra les acquis chez les élèves aussi à partir du moment où ils auront du plaisir et que les élèves réclameront ces moments. Et Fabienne se voit mal observer les acquis, car elle considère comme très difficile de pouvoir évaluer la pensée de 96 quelqu’un et donc juger les acquis : « C’est quelque chose et effectivement je pense que c’est une des difficultés c’est dans l’évaluation parce que évaluer la pensée de quelqu’un..., c’est facile d’évaluer des compétences précises, calculer mais maintenant le fait d’être capable de donner plus de sens à son expérience de vie c’est pas facile à évaluer ». Cependant, elle affirme comme nous l’avons vu plus haut qu’elle verra des acquis au niveau des interactions entre élèves. Nous comprenons donc ici que les acquis ne peuvent pas être jugés sur le contenu des idées mais sur la forme (habileté de pensée), sur la manière de les partager (interactions, questionnements, prise de parole) et sur la réception de ceux-ci (écoute). Question posée aux enseignants : 4.2 Quels sont les indices permettant à l’enseignant-e d’avancer, réguler ou se rendre compte des progrès de ses élèves ? Réponses des enseignants : Aline L.254 à 258 C'est dès le moment où on pense sur la pensée de chacun, mais là aussi, je pense qu'il faut être humble. On est tous philosophes et on est tous complètement amateurs. Alors, faire de la philo, verbe faire là... Eux, ils disent toujours, on est là pour penser ensemble. Quand je fais avec les petits à la maison, ils rentrent et disent "aujourd'hui on a pensé ensemble". Et ce n’est pas on a discuté, et vraiment, on pense ensemble. L.260 à 270 Moi, je pense qu'il faut être un peu humble. Les critères, après je pense qu'on peut se les poser, il a des questionnaires qu'on peut remplir et je pense qu'on peut être plus fins vis à vis de nousmêmes. Mais au début, je pense qu'il faut être un peu humble. Il vaut mieux faire bien et quelque chose de petit, que de vouloir faire quelque chose de tout grand, tout parfait, et qu'en fait ça soit monté de toute pièce et manipulé, en fait moi j'y crois pas pas trop à ça. Les dialogues philo et communauté de recherche les plus merveilleuses que j'ai pu faire ça été souvent sur une toute petite chose. Et souvent, j'ai fait des communautés de recherche philo, le même texte avec des adultes et des enfants, j'ai eu la possibilité, ça c'est trouvé comme ça et j'ai très souvent vu que les enfants avaient des questions précises, fines et que les dialogues philo qui étaient vraiment magnifiques qui étonneraient plusieurs personnes, et ça amène à d'autres choses aussi au niveau de la classe. Brigitte L.329 à 333 Oui, beaucoup des questions de relances et de reformulation. Quand un élève me parle de son expérience, je vais essayer de tirer un concept parfois de cette expérience. "Ah, toi tu dis que tu es intelligent car tu arrives à faire tes additions", bah, essayer de trier en disant "alors peut-on dire que tous ceux qui font des additions sont intelligents ? » J’essaie, par des questions, de généraliser, puis de conceptualiser. Chloé L.381 à 388 Bah, quand ça décolle pas, quand on est dans la juxtaposition d’idées, d’exemples. Alors des fois, c’est nécessaire parce que tu sens que là, oui c’est vrai, on travaillait une séance sur la mort avec les petits, bon bah voilà il a fallu que je fasse un tour de groupe pour que chacun puisse dire que quand son chien était mort ou son hamster… parce que sinon je perdais le groupe. Je sens qu’il fallait que je passe par là, parce que sinon, oui, chacun devait être entendu et après on pouvait repartir dans les hautes sphères. Voilà. Mais il y a avait tout d’un coup un besoin concret. Mais oui, quand tu sens que ça décolle pas et que… oui, mais de nouveau, je pense qu’au début c’est normal de passer par là. David Non répondu 97 Eléonore L.228 à 237 Je ne le dis jamais parce que je n’émets pas de jugement de valeur sur ce qui est en train de se produire. Je suis juste la personne qui va relancer la question quand moi je considère qu’on est en train de piétiner, ou quand on va plus dans une direction qui ressemble plus à une discussion de bistrot. Je vais réorienter et quand on n’a plus rien à se dire, on change de sujet. Et puis, toute façon, on a plein de questions et on va toutes les traiter. Certaines on va les regrouper, mais on va toutes les traiter, parce qu’il n’y a pas une question qui est plus intelligente qu’une autre. Parce que c’est important que les enfants se sentent tous respectés et valorisés, et quand on n’a plus rien à se dire, on change de sujet. Et en plus avec Lipman, l’avantage c’est que tu sais que le thème, il va revenir dans un chapitre, deux ou trois, et on va le réaborder, mais sous un autre angle. Fabienne L.381 à 433 Ça, je dois dire c’est assez au feeling. Si vous sentez que ça péclote de temps en temps, tout d’un coup, je ne sais pas, quelqu’un fait une intervention et vous sentez que l’élève a soulevé quelque chose d’intéressant, bah vous pouvez suivre cette piste et disons ce qu’il faut c’est éviter trop de répétitions et éviter, si les gens ça croche pas, si vous sentez que socialement dans le groupe… Par exemple, l’année passée on a été dans des classes de 8P qui avaient déjà fait un an en 7P. C’était une classe fantastique. Et quand on est arrivé, on a changé d’animateur, et l’année suivante ces 8P, et la dynamique de la classe a vraiment pas mal changé, préados… et les filles, quatre, cinq filles brillantes d’un côté, les garçons assez très silencieux de l’autre. Une dynamique vraiment… des clans entre filles… très, très difficile. Et ça a été très compliqué de les faire parler, parce que pareil, ça a mis beaucoup de temps avant qu’il y ait quelque chose qui se passe dans le groupe, parce que y avait ces… Ca dépend un peu du groupe et c’est à vous de sentir. Parfois mettre plus l’accent sur… Des fois ça peut être aussi faire une activité. Di vous sentez que le problème est social dans la classe, que y a quelque chose qui se crée pas dans le groupe, vous pouvez même essayer de faire un petit exercice de théâtre, des choses qui… que les gens s’expriment différemment, qu’il y ait des petits jeux de rôle, qu’il y ait... Il peut y avoir des situations, les faire travailler en petits groupes. C’est ça aussi, des fois, ils se fatiguent, parce qu’ils ont envie de parler. Quand ils sont vingt, ou vingt-quatre des fois, on n’arrive pas à donner la parole à tout le monde. Donc à la fin ils s’énervent, ils sont frustrés, donc faire des petits groupes, des groupes de trois ou deux, trois, quatre, après ils font un retour. Ou une fois, à partir d’un conte, on avait discuté des bêtises. C’était un renard, un petit conte japonais, donc euh… bon il a fait quelque chose qui c’est très, très mal terminé pour lui, à la fin il meurt et tout, parce qu’il essaie de réparer sa bêtise. Mais enfin il l’a faite, donc c’est comme ça. Donc après, on a fait tout une discussion sur les bêtises, et je leur ai demandé à tous d’imaginer une bêtise. J’avais amené ma boîte à bêtises et j’ai dit : « Vous allez tous marquer sur le papier une bêtise que vous avez envie de faire, vous n’allez pas signer c’est anonyme ». Donc évidemment, c’était de mettre du chewing-gum, du dentifrice ou de la mayonnaise dans les chaussures de mon père, jusqu’à brûler l’école et tuer des gens. Y avait un spectre de bêtises quand même large. Et alors du coup, je suis revenue la semaine suivante et sur la vingtaine j’en ai pris cinq ou sept et je les ai mis par petit groupes, et j’ai dit : « on va faire une échelle sur le tableau, puis on va mettre à 0 la chose la moins grave et à 10 la bêtise la plus grave. Et vous allez devoir évaluer. Vous avez cinq, six bêtises chaque groupe, les mêmes. Donc, évaluez la gravité de la bêtise et vous allez nous dire pourquoi et où vous la situez sur l’échelle. » Et ils ont travaillé entre eux, et ils avaient huit ans, et ensuite ils sont revenus. Ca c’est fait sur deux, trois séances et ils ont dû chacun placer les bêtises, et y en a qui avaient placé la bêtise, par exemple, dégonfler un pneu de vélo… alors y en a qui l’avaient mis à 1 d’autres 8. Et l’idée c’est ça qui était intéressant. Sans dire que y en a une qui était bonne ou pas bonne, mais c’était quelles étaient les raisons, justifier, puis après il fallait évaluer les raisons. Déjà, il fallait voir aussi, ils étaient surpris car ils n’avaient pas tous le même classement. Et puis justement, les raisons y en a qui disaient « Oui, mais dégonfler un pneu de vélo ça va, ce n’est pas grave » et d’autres « oui, mais si tu abîmes un pneu de vélo que la personne va sur la route et qu’elle a un accident, et tout ça.» Et ce qui était intéressant, c’est qu’il y avait une raison, fallait justifier la raison et donc parmi la gravité, c’était l’élément de la conséquence. Et là, la conséquence de l’école, certains avaient mis brûler l’école, mais ils n’avaient pas tous mis au même endroit. Mais du coup c’était fantastique, parce qu’ils avaient des réflexions, parce que y avait vraiment un spectre de bêtises et il y avait vraiment des choses très intéressantes et des choses, ou au contraire, assez innocentes : écrire une lettre en traitant de chou-fleur la directrice de l’école… Bon, oui mais est-ce que… Voila, tout d'un coup mis face à la conséquence ça peut vraiment faire du mal à quelqu’un. C’était super intéressant. Donc voilà, de temps en temps, faire des activités comme ça, qui change toujours un peu parce que, voila, des fois ça roule moins bien. Bon ça je n’avais pas trouvé dans le guide mais je me suis dis, je 98 fais ça car ça a l’air sympa, y a sûrement des trucs de pédagogique, des fois on peut faire des trucs sur des dessins. Enfin voila, y a plein de choses… Que retient-on ? A. Quelques régularités sur la manière de réguler le dialogue Réguler sur le ressenti Concernant la régulation au cours de l’activité, Chloé, Eléonore et Fabienne parlent d’un ressenti. « Tu sens » (Chloé), « au feeling » (Eléonore) et « ça dépend un peu du groupe c’est à vous de sentir parfois » (Fabienne). Les régulations se font donc en partie à l’aide de ce que ressent l’enseignant lors du dialogue philosophique. Réorienter pour ne pas s’étouffer On observe également des démarches de réorientation de la part des enseignants, car les questions sont nombreuses et que parfois le sujet s’étouffe. Eléonore va donc réorienter jusqu’à que le sujet de la question aboutisse : « Je vais réorienter et quand on a plus rien à se dire on change de sujet et puis toute façon on a plein de questions et on va toutes les traiter ». B. Quelques variations sur la manière de réguler La gestion des anecdotes fait avancer ou reculer le dialogue Les enseignants interviennent aussi lorsque les élèves restent sur des anecdotes et qu’ils ne prennent pas de distance par rapport au sujet afin de conceptualiser. « Bah quand ça décolle pas, quand on est dans la juxtaposition d’idées, d’exemples. » (Chloé). « (…) je suis juste la personne qui va relancer la question quand moi je considère qu’on est en train de piétiner ou quand on va plus dans une direction qui ressemble plus à une discussion de bistrot ». (Eléonore). Cependant, Chloé ajoute qu’elle est parfois obligée de passer par les anecdotes de chacun pour pouvoir ensuite mieux conceptualiser avec les élèves : « chacun devait être entendu et après on pouvait repartir dans les hautes sphères voilà ». L’humilité comme clé de réussite Concernant les quelques autres variations, ou apports plus personnels, nous pouvons observer que certains enseignants font des coupures en proposant des activités autres (classement, travail par groupes, ou autre) : « faire des petits groupes, des groupes de trois ou 2-3-4 après ils font un retour. Donc voilà de temps en temps faire des activités comme ça, qui change toujours un peu parce que voilà des fois ça roule moins bien » (Fabienne). Aline, pour sa part, attire l’attention sur le fait qu’ : « Il vaut mieux faire bien et quelque chose de petit que de vouloir faire quelque chose de tout grand tout parfait et qu'en fait ça soit monté de toute pièce et manipulé (…) ». 99 Question posée aux enseignants : 4.3 Comment observer si les objectifs sont atteints ? Réponses des enseignants : Aline Non répondu Brigitte L.310 à 327 Oui. J’ai vu aussi une gamine très manichéenne qui était du genre… Une fois, on a parlé de « Est-ce que les animaux valent autant que les humains ? », et il y avait eu une votation sur les avocats pour animaux. Cette enfant était beaucoup dans "ah, ils sont méchants, les gens sont soit méchants, soit gentils." C'était assez fatigant pour moi adulte, mais je trouve intéressant car au fil de l'année, elle s'est rendu compte que c'était beaucoup plus subtil. Les chiens, l'euthanasie, elle disait les gens sont méchants, et là je l'ai piquée dans le vif. Et je lui ai dit : « l’autre jour, tu as tué l'araignée à côté de ton bureau. Tu es méchante alors?" "Mais non, pas du tout." Après voilà, on fait avec ce qu'on est, ou si tu ne veux pas dire que tu es d'accord avec des camarades, on a vu que ça posait un problème de tuer des chiens, mais pourquoi ça te pose pas problème de tuer une araignée? Puis là du coup, on s'éloigne, on monte d'un niveau. « Est-ce que les animaux ont tous la même valeur? » et on conceptualise. On se rend compte que les animaux domestiques ont plus de droits que les animaux sauvages, mais pas tous les animaux sauvages, car si on tue un éléphant pour ses défenses, c'est horrible tout le monde crie au scandale. Mais voilà, quand on tue une araignée, c’est aussi un animal sauvage, mais c’est admis. On est plus dans le sujet de base, à savoir, je ne sais même plus ce que c'était. Mais voilà, ce que je trouve intéressant c’est de conceptualiser, mais je me rends compte qu'en parlant, que ça m'arrive de m'éloigner du sujet de base, mais ce n’est pas grave, car on monte d'un niveau et on arrive à se détacher. Chloé L.390 à 395 Bah quand… [grand silence] Oui, tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser, conceptualiser, à bien sûr… mais euh, je trouve que l’importance du groupe, c’est marrant moi je vois moins les individus, mais je vois la communauté et vraiment est-ce qu’on atteint vraiment une communauté…. Oui, je pense qu’effectivement, quand on a dépassé le stade de la confrontation d’idées en tout cas, et qu’on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner, à problématiser… David Non répondu Eléonore L.256 à 278 Tu le vois parce que d’un coup tu te dis « waouh ». Et t’as juste des enfants qui vont commencer à utiliser des habiletés de pensée, mais ça se fait tranquillement. Je te rassure, moi je ne commence pas par : « Aujourd’hui, nous allons parler de la comparaison.» C’est tranquillement. On va commencer à mettre ça en place, et petit à petit, et une habileté de pensée après l’autre, ou alors quand un enfant parle dire « Là, tu viens de faire une comparaison.» Et puis du coup, les autres : « C’est quoi une comparaison ? Qu’est-ce qu’un tel a fait en parlant ? » « Ah bah, il a dit que ça c’est comme ça », le comme utilisé comme comparaison ça permet de justement mettre deux choses en balance, c’est une habileté de pensée. Ou bien relever les présupposés : «Mais pourquoi est-ce que tu dis ça, pourquoi tu dis ça ? » « Ah, parce que je l’ai entendu ou parce que tout le monde le dit.» Et, mais euh, « Est-ce que tu penses que c’est vrai ou c’est juste quelque chose qui s’utilise communément ? » Et puis, à un moment donné, on utilise des choses sans forcément réfléchir, et est-ce que ça a un sens ? Et les autres peuvent aussi réagir et… Mais si tu veux, la seule chose où je me mets des barrières, c’est quand les enfants parlent de Dieu, parce que je trouve, je considère que j’ai pas les outils moi, pour parler de Dieu avec les enfants, et j’ai pas envie de mettre le doute et c’est pas mon rôle d’enseignante à commencer à mettre le doute. Voilà, je respecte ce qu'il se passe dans chaque famille. Donc ça, c’est un sujet avec lequel je suis pas à l’aise. Je le suis un peu plus avec les formations que je fais maintenant, d’ailleurs elle m’avait dit ma prof : « Moi, je me sens capable de le faire parce que je suis philosophe », et tranquillement je pense que si ça devait émerger, j’aurais plus d'outils. Mais voilà, parfois il y a certains sujets qui sont périlleux, quoi. Parce qu’obligatoirement, il y a celui qui croit en Dieu et celui qui croit pas. Et celui dans lequel sa famille on croit en Dieu et celui dans lequel, dans sa famille, on ne croit pas en Dieu, et voilà. Donc c’est vraiment hyper délicat et il faut vraiment savoir ce qu’on fait. 100 Fabienne L.614 à 619 Partie la plus difficile mais on peut donner des pistes : lorsque le dialogue s’instaure entre les enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche ; lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants prennent la parole et expriment leurs propres idées ; lorsqu’ils sont capables de la justifier ; de les formuler au plus près de leur pensée ; lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir compte, voir changent d’avis Que retient-on ? A. Quelques régularités autour de l’observation de l’acquisition des acquis Le temps comme ingrédient de développement et construction de l’esprit critique Les enseignants voient évoluer des élèves en difficulté : « J’ai vu aussi une enfant très manichéenne (…) au fil de l'année elle s'est rendue compte que c'était beaucoup plus subtil » (Brigitte). « Tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser, conceptualiser » (Chloé). Brigitte et Eléonore parlent également d’une question de temps durant lequel les objectifs sont atteints. En effet, « c’est tranquillement on va commencer à mettre ça en place petit à petit » (Eléonore) et Brigitte a observé une de ses élèves qui a évolué au fil de l’année dans sa manière de voir les choses et penser, puis cette élève s’est rendue compte que c’était plus subtil. La conceptualisation comme preuve De manière plus objective, quelques enseignants affirment que les objectifs sont atteints à partir du moment où les élèves arrivent à conceptualiser : « (…) quand on a dépassé le stade de la confrontation d’idées en tout cas et que on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner à problématiser. » (Chloé), « Puis là, du coup, on s'éloigne on monte d'un niveau. (…) on monte d'un niveau et on arrive à se détacher ». (Brigitte). La conceptualisation serait donc une preuve d’objectif atteint. D’autres objectifs se retrouvent finalement dans la question 4.1 qui demandait aux enseignants quels étaient les acquis visibles chez les élèves. B. Quelques variations autour de l’observation de l’atteinte des objectifs L’autonomie du groupe, la prise de parole des élèves, l’écoute de la part des élèves et prise en compte des idées des autres comme indices Fabienne est pour sa part la plus précise. Pour elle, les objectifs sont atteints lorsque : « le dialogue s’instaure entre les enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche (…) lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants prennent la parole et expriment leurs propres idées (…) lorsqu’ils sont capables de la justifier (…) de les formuler au plus près de leur pensée (…) lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir compte, voire changent d’avis ». Nous retrouvons, au travers des entretiens, ces idées chez beaucoup d’enseignants et ce sont des éléments observables tout au long de l’année. 101 Question posée aux enseignants : 4.4 Comment régule l’enseignant-e avec les élèves qui ne prennent pas la parole ? Réponses des enseignants : Aline L.226 à 232 C'est assez rare qu'il y en ait dix qui regardent ailleurs. Il peut y en avoir un ou deux qui décrochent, mais comme nous adultes, et ils ont le droit aussi et ils n’ont pas l'obligation de parler. Et ce n’est pas toujours ceux qui parlent qui pensent le moins, et au contraire c'est ceux qui pensent le plus. Temps en temps, selon les élèves, je dis « est-ce que tu aurais un exemple ? », ou comme ça, mais il faut faire attention quand on le fait, et ils ont peut-être pas envie, pour mille et une autres raisons, car on ne sait pas non plus ce qu'ils vivent aussi parfois, et puis ça, il faut aussi prendre conscience. L.234 à 247 Je peux lancer une question, mais pas souvent. Il ne faut pas prendre à parti. Je pense qu'en tant qu'animateur, on fait aussi beaucoup comme on y sent, et il faut aussi beaucoup rester là-dessus et surtout, si on a la chance de pratiquer la dialogue philo avec des élèves qu'on connaît un peu, on sait là où on peut ou moins. Il faut faire attention et il faut être préparé à deux choses vraiment importantes: une, à ce que ça ne fonctionne pas. Je me rappelle d'une fois que tout le monde me parlait qu'il faisait le feuilleton d'Hermès, que c'était super et tout, et je suis venue avec le feuilleton d'Hermès et c'était un flop complet parce que les élèves ont dit « Non, nous on aime mieux d'autres textes ». Mais c'est aussi parce que peut-être moi je les avais plus habitués à des textes ou des situations qui étaient peut-être plus proches d'eux, mais ça dépend de la classe. Une année ça sera comme ça, une autre on pourra aller totalement ailleurs. Moi, souvent je montre une photo, je ne montre pas toujours un texte. Une photo ou une question au tableau, et une fois je me suis simplement mise comme ça sur mon bureau (l'enseignante me montre une position où elle s'avachit sur son bureau). Voilà, c'est tout, et ils ont posé des questions par rapport à ça. Brigitte L.151 à 156 (…)"D'accord, donc toi tu penses que c'est plutôt un message de paix. Et vous les autres que pensez vous?" Et là personne lève la main, tu vas chercher. "Qu’en penses-tu ? Plutôt une scène de guerre ou de paix?" "Bon, bah moi, je pense que c’est la guerre, mais lui il veut que ça s'arrête, alors du coup c'est la paix." Alors après, bah dire, bon essayez de chercher d'autres avis si on n’arrive pas à départager, il faut peut être aidés, si on s'arrête à l'instant T, image de guerre? L.294 à 300 Je leur demande "Es-tu d'accord avec cette idée?", et en général il est obligé de sortir quelque chose et s'il bafouille, la reformulation là, est intéressante. "Donc si je comprends bien, là ce que tu veux dire, c’est ça, ça et ça?" "Oui, mais pas tout à fait". "Alors, explique-moi". Et là, je suis désolée, je suis peut-être pas d'accord avec ta formatrice, mais l'élève qui a réussi à sortir au moins quelque chose alors que d'habitude il ne parle pas, mais là je vais le féliciter : "Bravo, je n’avais pas vu les choses comme ça et les autres, vous en pensez quoi?" "Ah oui c'est intéressant". L.302 à 303 Je vais les tirer quand même. Après bon, faut pas se leurrer, c’est toujours les mêmes qui parlent. Mais essayer d'aller tirer ceux qui disent rien. Chloé L.304 à 324 Moi, j’essaie jamais de les forcer, mais j’essaie souvent de les chercher : « Puis toi, qu’est-ce que t’en penses ? » Ca prend, ça prend pas, tant pis, il restera dans l’observation. Après ça peut être « Ok, bah toi qui es pas beaucoup intervenu, qu’est-ce que tu as observé ? » « Ah bah moi, j’ai vu ça, puis ça, mais après il s’est passé ça. » Bon, ils peuvent être complètement décrochés, on est d’accord. Mais souvent ils observent quand même ce qu’il se passe et je sais que chez les tout petits parfois, j’en ai qui décrochaient pas un mot et après j’ai les parents « Ah, vous avez parlé de ça en philo, parce qu’à la maison blablabla… » Alors je me dis bon, c’est bon, ça a quand même… et puis je pense que par contre quand tout d’un coup ils s’expriment, je leur laisse beaucoup de place, et ça effectivement j’ai vu quand Alexandre anime et quand il y a une toute timide qui parle, il lui laisse vraiment une grande place. Et je trouve que c’est hyper valorisant parce que sa parole est importante, mais souvent il y a des leurres. Mais avec les petits, je fais souvent un exercice au tout début, je crois que c’est dans Pixie, avec une corde. Donc, ils sont en cercle et avec une corde qui fait tout le cercle, et l’idée c’est ça le dialogue philo, c’est le cercle. Et 102 après je dis à un élève de tirer sur la corde, alors tous les autres, voilà, y en a un qui lâche, puis un autre, alors du coup on voit ce qu’il se passe sur la corde, et c’est une espèce de métaphore pour montrer ce qu’il peut se passer si y en a un qui est pas vraiment dans le groupe, ou qui tire tout le temps dans son sens, ou si y en a trois qui lâchent, le cercle est rompu. Et ça leur permet de visualiser d’une autre manière pourquoi on fait le cercle. Après, je sais qu’il y en a qui travaillent avec le bâton de parole et je trouve que ça marche bien, s’ils se battent pas pour l’avoir. Et l’idée que, chaque idée a le même poids dans le cercle, ce n’est pas ton idée qui est mieux qu’une autre. David L.284 à 304 Alors oui, je pense que ça, c’est quelque chose qu’on doit percevoir pour qu'ils disent au moins quelque chose, mais pas les mettre dans la situation " Tu n’as pas parlé, tu dois parler." Donc trouver une situation où " Tous ceux qui aiment leur prénom, levez-vous." Et puis il y en a que cinq. Ok. « Bah dites-moi pourquoi vous n’aimez pas? ", vu que vous avez repéré qu’il y en a qui parlent pas beaucoup. " Les filles levez-vous, vous allez me dire pourquoi …. " " Les garçons levez-vous… " " Tous ceux qu’ont un pantalon rouge… " " Donnez-moi une définition très rapide de qu’est-ce que le respect ? " "Ou une situation où il n’y a pas eu de respect." Et du coup, ils sont obligés de parler, mais ça se voit pas. Et le fait de parler donne envie de parler. Mais globalement, je mets jamais en face des yeux d’un enfant qu’il n’a pas parlé, car ça voudrait dire qu’il n'a pas fait ce qu’il avait à faire, et je ne sais pas si le fait de parler ou pas parler l’empêche de penser. Il y a des enfants qui parlent beaucoup et qui pensent peu, et il y en a qui parlent pas et qui pensent beaucoup. Est-ce que mon présupposé c’est dire que tout le monde doit parler, comme ça je sais que tout le monde pense ? Non, je ne suis pas sûr… Mais par contre il y en a qui ont du mal à parler, ça c’est vrai. Mais c’est une autre fonction. Donc aidons-les. Comment estce qu’on peut trouver quelles ficelles on peut tirer pour dire… et c’est assez marrant, parce que avec certains, vous pouvez dire : dis donc toi, je t'ai vu parler avec un tel, tu aurais quelque chose à nous dire ? « Bah oui, j’étais en train de lui dire que…. » Et c'est parti. Et ce que j’ai pu remarquer, c’est que quand ils parlent une fois, ils parlent deux fois, et ils osent après. Mais il faut accepter qu’après il y en a qui parlent jamais, mais quand ils sont observateurs, ça les oblige à parler parce qu’ils ont observé du coup… et ça, ça peut déclencher, mais je pense qu’il faut vraiment respecter. Eléonore L.281 à 318 Oui, je vais les chercher. Après moi, je les évalue en philo. Dans mon école. Il n’y a pas de notes. On fait des évaluations formatives. Mais, deux fois par an, je rencontre les parents et je fais une évaluation orale, en novembre orale et puis en fin d’année je la donne, et donc j’évalue la philo. Et j’ai plusieurs critères, j’ai : l’écoute, la qualité de l’écoute, est-ce que l’enfant il est avec nous? Car t’as des enfants qui ne disent rien mais qui ont une magnifique écoute. Et ça, tu le sais parce que tout d’un coup, quand tu vas dire : « Et toi, un tel, qu’est-ce que tu en penses ? », parce que y a des personnes qui disent jamais rien et puis elle rebondit. Si elle est timide, elle ne va pas dire grand-chose, mais tu sens qu’elle est à l’écoute et qu’elle est là. Le deuxième critère c’est l’argumentation, c’est la capacité à utiliser les habiletés de pensée, et puis la troisième, le respect. Le respect de la parole de l’autre, ça veut dire que je ne coupe pas la parole et que voilà, j’écoute et que je suis capable aussi de rebondir sur ce que dit l’autre, je ne suis pas uniquement centré sur moi mais je peux répondre à l’autre et faire en sorte qu’il y a un vrai débat qui émerge. Voilà, ces trois critères. Dans ma manière d’évaluer y a pas de bien, ce n’est pas bien, ce n’est pas ça. C’est « c’est super que tu aies pu respecter l’autre, tu as une bonne écoute ou alors voilà peut-être ça serait bien de participer un peu plus », mais voilà, il y a des élèves qui ne participent pas parce qu’ils sont timides, parce qu’ils ont peur, parce qu’ils ont peur de dire faux, parce qu’ils ont peur d’être bêtes, euh, mais ça faut aller les chercher, mais je n’insiste pas. « Et toi qu’est-ce que tu en penses? » Et des fois je sens, je n’insiste pas, mais j’y retourne pour que tranquillement... et franchement les enfants, tranquillement, ils vont… il y en a, ils vont jamais prendre la parole si on ne va pas les chercher, mais au fur et à mesure que tu vas les chercher, ils vont en dire un peu plus, ils prennent confiance, ils se rendent compte que ce n’est pas dangereux de dire son opinion et on ne va pas les juger. Ca c’est un truc se moquer, rire de ce qu’a dit l’autre et tout ça c’est un truc dès l’entrée de jeu je leur dis "Non, faut qu’on se sente libre, qu’on se sente à l’aise, respecté, c’est hyper important sinon notre communauté de recherche peut pas fonctionner". C’est vraiment le présupposé de base et puis y a une chose aussi, je les laisse dessiner. Alors je leur dis : « voilà, vous n’êtes pas en train de faire le plus beau dessin de votre vie, vous êtes en train de griffoner », parce que je trouve que quand les enfants peuvent s’occuper avec la main, comme nous des fois quand on est au téléphone et qu’on griffonne un truc, pour beaucoup d'enfants ils ont une meilleure concentration et ils sont beaucoup plus actifs que s’ils font rien pendant qua- 103 rante-cinq minutes. Donc, ça peut être faire comme ça, avec une balle en mousse, ça peut être plier un petit bout de papier, s’occuper avec les mains. Certains, ça leur permet de mieux, après quand il y a des séances où ils sont complètement absorbés dans leur dessin et qu’il se passe que dalle j’enlève les feuilles de papier, et aujourd’hui bah, on fait sans. Mais du coup, la fois d’après, ils savent. Du coup, on a des enfants qui sont comme ça autour de la table et qui de temps en temps lèvent la main, et hop, en fait ils on une très, très bonne écoute et ils n’ont pas forcément besoin de se regarder. Après, il y a les visuels qui ont besoin de regarder les autres. Fabienne L.436 à 460 Il faut essayer, des fois. C’est bien aussi de faire… On avait fait, à un moment donné dans cette classe, où il y avait vraiment des problèmes entre personnes importants, des espèces de miniexercices de théâtre. Parfois c’est compliqué dans la classe, mais là on avait une salle de gym. On disait, bah, par exemple : « Vous allez vous mettre dans l’ordre de naissance des mois de l’année.» Donc ça veut dire que les gens sont obligés de se parler pour demander « t'es né en quel mois ? Moi je suis né en… », ou par taille. Des petits trucs, ou se situer par rapport aux pays d’où ils viennent, plus au sud au nord, est. Mais parfois je me suis rendue compte que y avait certains élèves qui avaient beaucoup de peine et qui s’étaient jamais exprimés mais qui à travers des exercices comme ça… ou y en a un, au milieu, avec les petits, qui fait un saut, bah tout le monde répète. Par exemple, de faire venir l’élève qui ne parle pas beaucoup, de venir au centre et qui fait l’encourager à faire un son. Des choses très brèves, mais le fait qu’il fasse et que les gens répètent, ça l’insère dans le groupe, de même que le petit passage de lecture. Vous savez Lipman fait. Le fait de faire un tour, d’entendre la voix de quelqu’un, même si ce n’est pas fort ou comme ça, ça signale quand même la présence de la personne. Puis il ne faut pas forcer. Donc vous pouvez dire de temps en temps : « et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que ça t'est déjà arrivé ? Est-ce que tu aimes bien ? ». Mais bon, c’est vrai que des fois, c’est de la morue. Mais en même temps, j’ai une collègue qui m’a dit : « Moi, j’ai un élève en classe, qui pendant, je ne sais pas, un an, elle a rien, jamais jamais rien dit en classe. Et un jour, à une réunion de parents, la mère de la fille, elles se parlent et elle lui dit « ah, mais c’est quel jour que vous faites la philo ? », et elle dit « ah, c’est le jeudi.» « Ah, mais c’est pour ça que tous les jeudis soir à la maison on a commencé à avoir des discussions. » Donc elle ne disait rien en classe. Mais chez les adultes c’est pareil. J’ai une collègue chez Prophilo elle m'a dit : « moi, ça m’a pris deux ans pour commencer à prendre la parole dans un groupe. » Des fois voilà, on peut trouver, par des biais, ou de temps en temps, faire des choses créatives, faire des dessins, réciter un poème, ou voilà. Que retient-on ? A. Quelques régularités autour de la question de la prise de parole L’enseignant comme accoucheur d’idées Il arrive que des élèves ne prennent pas tous la parole lors des communautés de recherche et les enseignants disent tous avoir tendance à aller chercher les élèves en question. « Temps en temps selon les élèves je dis « est-ce que tu aurais un exemple ? » (Aline). « Et là personne lève la main tu vas chercher : « qu'en penses-tu ? » (…) Je vais les tirer quand même. (…) essayer d'aller tirer ceux qui disent rien (…) bon essayer de chercher d'autres avis si on n’arrive pas à départager (…) » (Brigitte). Certains disent que c’est pour les aider : « (…) aidons-les, comment est-ce qu’on peut trouver quelles ficelles on peut tirer » (David), d’autres qu’il faut les tirer ou leur poser des questions directement adressées : « je vais les chercher (…) faut aller les chercher (…) » (Eléonore). L’enseignant comme respectueux d’un silence Aller chercher les élèves oui, mais sans forcer. Les enseignants affirmant aller chercher les élèves insistent sur le fait qu’il ne faut cependant pas les forcer ou insister. « Mais il faut faire 104 attention quand on le fait et ils ont peut-être pas envie pour mille et une autres raisons, car on ne sait pas non plus ce qu'ils vivent aussi parfois » (Aline) « Moi j’essaie jamais de les forcer » (Chloé). « (…) j’insiste pas » (Eléonore) « (…) il ne faut pas forcer (…) » (Fabienne). Cet élément semble avoir toute son importance chez ces quatre enseignants. David ajoute également : « je mets jamais en face des yeux d’un enfant qu’il n’a pas parlé car ça voudrait dire qu’il n'a pas fait ce qu’il avait à faire et je sais pas si le fait de parler ou pas parler l’empêche de penser ». Finalement, trois enseignants complètent en disant que l’animateur doit également accepter que parfois des participants ne prennent presque jamais la parole. « Après mais il faut accepter qu’après il y en a qui parlent jamais » (David) « Car t’as des enfants qui ne disent rien » (Eléonore) « (…), elle a rien jamais jamais rien dit en classe (…) » (Fabienne). Les rôles comme développeurs de la parole Les enseignants utilisent parfois les rôles pour permettre aux élèves ne prenant que rarement la parole de pouvoir tout de même s’exprimer en fin d’échange. En effet, en donnant le rôle d’observateurs, les élèves sont souvent mis à contribution en fin de séance pour pouvoir faire part de leurs observations. « Ça prend, ça prend pas, tant pis il restera dans l’observation (…) souvent ils observent quand même ce qu’il se passe » (Chloé). « Quand ils sont observateurs ça les oblige à parler parce qu’ils ont observé du coup » (David). Elèves muets mais pas sourds De plus, relevons que les enseignants observent que même si les élèves ne prennent pas la parole, ceci ne rime pas avec une « non écoute ». L’écoute est présente et peut même être de très bonne qualité malgré l’absence de parole. En effet, certains réagissent après coup, dans leur famille par exemple. « (…) t’as des enfants qui ne disent rien mais qui ont une magnifique écoute (…) en fait ils ont une très très bonne écoute » (Eléonore). « Parfois j’en ai qui décrochaient pas un mot et après j’ai les parents « ah vous avez parlé de ça en philo, parce qu’à la maison blablabla » alors je me dis bon c’est bon ça a quand même… » (Chloé). « Il y a des enfants qui parlent beaucoup et qui pensent peu et il y en a qui parlent pas et qui pensent beaucoup. » (David). Nous avons ici quelques exemples qui montrent bien que si les élèves ne sont pas forcément à l’aise pour prendre la parole, ils écoutent tout de même les échanges, voire y réagissent après coup, chez eux notamment. Les jeux collaboratifs comme facilitateurs d’intégration dans le groupe et de prise de parole plus aisée Afin de faciliter la prise de parole lors des dialogues philosophiques, les enseignants proposent divers jeux permettant de casser la glace, comme des minis exercices de théâtre ou des petits exercices. Le but étant d’entendre la voix de tout le monde pour ensuite se sentir plus à l’aise pour intervenir. « Mais avec les petits je fais souvent un exercice au tout début » (Chloé). « (…) donc trouver une situation où " tous ceux qui aiment leur prénom levez-vous " et puis il y en a que cinq ok " bah dites-moi pourquoi vous n’aimez pas? " » (David) « (…) des espèces de mini exercices de théâtre (…) Le fait de faire un tour d’entendre la voix de quelqu’un même si ce n’est pas fort ou comme ça, ça signale quand même la présence de la personne (…) Des fois voilà on peut trouver, par des biais, ou de temps en temps, faire des 105 choses créatives, faire des dessins réciter un poème ou voilà » (Fabienne). Les enseignants trouvent donc plusieurs astuces pour pouvoir faire s’exprimer les élèves à un moment ou à un autre. Patience, temps et confiance dans le groupe David et Eléonore parlent aussi d’une question de temps et de confiance qui s’instaure au fil des séances, permettant aux élèves de se sentir plus à l’aise. « Et ce que j’ai pu remarquer c’est que quand ils parlent une fois, ils parlent deux fois et ils osent (…) » (David) « (…) au fur et à mesure que tu vas les chercher ils vont en dire un peu plus, ils prennent confiance, ils se rendent compte que ce n’est pas dangereux de dire son opinion et on ne va pas les juger (…) » (Eléonore). B. Peu de variations Les enseignants sont tous d’accord sur le fait d’aller chercher les élèves lorsqu’ils ne parlent pas. Ils ménagent par contre leur intervention afin que les élèves ne se sentent pas forcés. Il n’y a pas de variations observées entre les enseignants. Question posée aux enseignants : 5.1 L’enseignant-e se rappelle-t-il/elle de la première fois qu’il/elle a fait de la philosophie en classe ? Comment était-ce ? Quelles sont différences ou similitudes avec l’expérience ? Réponses des enseignants : Aline L.325 à 327 Ça commence à faire un bon moment, que j'en fais systématiquement, toutes les semaines, ça fait 8 ans. Puis avec toute l'école souvent, ça fait 8 ans, plus avec des adultes où j'anime des groupes avec des adultes dans d'autres contextes. Brigitte L.335 à 344 La première fois, j'étais remplaçante, j'avais fait sur « Qu'est-ce que la peur ? », et là c'était justement très scolaire. Je leur faisais écrire des situations qui leur faisaient peur et puis j'avais vu que c'était un sujet qui avait passablement dérangé les élèves, car c'est faire appel à des peurs, et donc ils étaient mal à l'aise, et je m'étais arrêtée. C'était terrible. Et c'est là que je vois que j'ai gagné en expérience. C'est quand je m'étais arrêtée aux expériences, pour finalement, oui, c'était un cours qui me permettait de réguler leur comportement et pour ça que je suis pas d'accord de faire un cours de philo pour réguler leur comportement, car je m'étais arrêtée du coup aux expériences pour leur dire que moi, je flippais à l'issue de mon remplacement de pas trouver un poste fixe et que si je ne supportais pas leurs bavardages, c'est que j'étais moi-même tendue. C'était un cours de philo de régulation de comportement. Ca a été beaucoup, beaucoup de fois la cata… Chloé L.398 David L.441 à 442 Eléonore Pas terrible et pas que la première !! Pourquoi ? Parce que je ne faisais pas confiance au processus et aux enfants, je voulais des réponses !! Euh, ça ressemble beaucoup à une communauté de recherche philosophique maintenant. Je pense 106 L.341 à 344 Fabienne L.462 à 466 qu’au début c’était plus de la discussion. Mais, c’est là où petit à petit, je me suis améliorée. On sent que je suis plus au clair avec l’objectif philosophique maintenant, que ce que je l’étais au départ. (Rires) Bon là, je sais plus la toute première, mais je pense que j’étais en nage. J’ai dû aller me doucher après, j’ai dû tellement transpirer parce que, bah, ce qui est difficile c’est au début que y a tellement de choses et on a tellement peur de se tromper, mal faire, on a tellement peur des silences, que tout de suite on veut remplir le silence. Bon avec le temps voilà, on prend l’habitude, on a des choses qu’on voit venir. Que retient-on ? A. Quelques régularités dans les débuts dans la pratique Des départs difficiles récurrents Pour la plupart des enseignants nous observons que les première expériences n’étaient pas les plus belles. « C’était terrible » (Brigitte), « La cata… » (Chloé), « Pas terrible » (David) « Je pense que j’étais en nage » (Fabienne). L’animation semble difficile au début, pour une grande partie des informateurs. On ressent également une certaine récurrence de ces moments difficiles au début. « Beaucoup, beaucoup de fois la cata… » (Chloé) « (…) et pas que la première ! » (David). Une amélioration certaine Ils déclarent qu’une évolution et une amélioration de l’expérience se fait au fil du temps. « C’est là que je vois que j'ai gagné en expérience » (Brigitte) « Mais c’est là où petit à petit je me suis améliorée. On sent que je suis plus au clair avec l’objectif philosophique maintenant que ce que je l’étais au départ. » (Eléonore). « (…) avec le temps voilà, on prend l’habitude on a des choses qu’on voit venir. » (Fabienne). B. Quelques variations dans les expériences de début de pratique Acquisition d’une confiance dans le processus et les élèves Au niveau des apports personnels, David affirme qu’il était en difficulté: « Parce que je ne faisais pas confiance au processus et aux enfants, je voulais des réponses !! » Pour sa part, Fabienne complète en pointant plus précisément ses difficultés : « ce qui est difficile c’est au début que y a tellement de choses et on a tellement peur de se tromper mal faire on a tellement peur des silences que tout de suite on veut remplir le silence ». Ainsi, pour tous, les premiers moments, voire même malgré l’expérience acquise, la pratique du dialogue philosophique en classe ne semble pas être une activité si simple à mener. Elle relève d’un processus, mot souvent cité par les enseignants. 107 Question posée aux enseignants : 5.2/5.3 Y a-t-il eu une évolution sur la perception de la philosophie de l’enseignant-e ? Y a-t-il eu une évolution de la part de l’enseignante-e sur sa manière de travailler la philosophie en classe ? Réponses des enseignants : Aline L.328 à 338 Je pense qu'on évolue et je pense qu'à un moment donné il faut faire un petit arrêt sur image et un lâcher prise, se poser des questions sur notre manière de faire pour pas... car il y a une manière de faire et je pense qu'on peut se rouiller. Moi j'observe beaucoup Alexandre, que je connais depuis un moment, au début c'était un peu mon maître, vraiment, et au début je n’intervenais vraiment pas avec les dialogues des enfants par ces petits "pourquoi ?", "as-tu des exemples ?". Mais je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et j'ai essayé intervertir plus, car on se pose des questions, quel impact ça a d'intervenir un peu plus, de poser plus de questions, si on a plus de relances, et maintenant j'en suis un petit peu là. Mais après, c'est de nouveau pareil, ça dépend le groupe, le thème du dialogue, de beaucoup de choses. Je continue bien à faire quand même comme je le sens. Ce n’est pas anodin ce qu'on fait, mais je pense que c’est important déjà rien que de leur donner la parole. Brigitte L.346 à 353 Le problème, quand on est dans la régulation de comportement, on est trop dans l'exemplification : tu as fais ci, ça va pas, ce n’est pas bien. Et puis finalement, on a rien conceptualisé. Les élèves, certes, ont un peu réfléchi, mais ça ne volait pas haut. Moi, j'ai réalisé ça, je sais pas comment, mais à l'issue de cette leçon, je n’étais pas forcément bien et les élèves n’ont plus parlé de leur peur. Finalement, ils sont sortis de la classe, ils étaient dépressifs entre guillemets. Donc pour moi, c'était zéro, zéro. Et pourtant, je m'étais basée sur un cours proposé sur internet. Ça n’a pas amené grand chose. Et après j'ai eu ma classe, avec des 7P, et j'ai commencé avec « Qu'estce que l'amitié ? » et j'ai gagné en maturité entre temps. Chloé L.401 à415 Je pense qu’en fait, après c’est chaque animateur qui a ses petits trucs pour faire avancer la discussion, mais je pense que c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et plus tu en fais, plus t’es à l’aise, plus tu sais comment, oui, comment faire avancer. Après moi, y a un stade où maintenant, il me manque plus des compétences philosophiques de raisonnement que tel à tel raisonnement et là ok, j’aimerais amorcer un raisonnement qui est là-dedans et je pourrais amorcer ça. Parce que, par exemple, quand j’étais en Belgique, souvent il y a aussi des personnes qui sont philosophes quoi, mais des fois ça passe dans les hautes sphères et je ne comprends pas un mot de ce qui est dit « Oui, selon machin-truc… » Mais en fait, ils ont de la peine finalement, c’est toujours « selon » car ils ont l’impression qu’on va déshonorer un philosophe en prenant son raisonnement à notre compte et il y a une sort de respect comme ça. Mais je trouve que c’est ça aussi, justement avoir plus de compétences en philo. Et à Prophilo, on a une personne, qui est elle prof de philo au secondaire, sur le canton de Vaud ou je sais plus où, mais c’est un puits de connaissances. Et on monte des formations avec elle, où par exemple le moi dans la philosophie, ou oui le vrai, ou et euh… c’est super intéressant. Et là, c’est sur Platon la formation, en ce moment. Faut prendre quoi pour pouvoir apporter aussi… David L.344 à 346 Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire. Prendre des vidéos de vous, vous écouter parler, sans arrêter, le rapport réflexif quoi. Faites-vous observer par quelqu’un qui ne connaît rien ou qui connaît bien. Demandez de co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe. L.12 à 22 La deuxième, vous vous heurtez à un problème qu’on gère très souvent, dont on a souvent retour, c’est les bonnes questions. Est-ce qu’ils vont poser des bonnes questions ? Et c’est marrant, parce qu’il y a une heure et demie, j’étais en train de raconter qu'une fois j’ai eu une question qui était « Pourquoi son polo est bleu ?» Et c’est la question qui a été choisie par toute la classe. Et quand je suis arrivé chez moi, je me suis dit "Je vais en faire quoi de cette question ?" J’étais vraiment au début et je me disais : « c’est vraiment pas une bonne question et je vais jamais pouvoir faire quelque chose de ça.» Alors qu’est-ce qui a changé entre le moment où je pensais ça et 108 aujourd’hui ? Bon, déjà, il y a eu beaucoup de temps qui est passé, ça c’est clair. C’est la pratique, il faut faire confiance à la pratique. Elle va vous aider à comprendre et à dédramatiser, à transformer. Vous allez être transformée par cette pratique, ça c’est clair. L.444 à 446 Eléonore L.346 Fabienne L.468 à 483 Cela a tout transformé, ma vie professionnelle, mon rapport au savoir, au monde. J'ai cherché des approches proches de celle-ci pour d'autres domaines comme la grammaire, les maths, j'ai inventé aussi. Oui. (elle a évolué) Bah, voilà, on se familiarise avec la démarche. On apprend soi-même à lever le pied un peu, à peut-être moins intervenir. Moi, je crois que c’est ça, je crois qu’une chose que j’ai vraiment appris c’est justement de me mettre… que ce n’est pas parce que je suis un peu en retrait que je ne suis pas présente... J’avais très peur de, et puis de temps en temps, quand j'entendais quelque chose qui était une évidence au lieu d’être complètement faux, et pas me précipiter sur l’enfant et de l’interroger, ou même si c’est juste quelque chose que je désapprouve, ou voilà que je... ou une contre-vérité, c’est de questionner, ce n’est pas essayer de, voilà... Par exemple, il y avait souvent une institutrice qui faisait avec moi, et elle était prof de français, et elle reprenait systématiquement les mauvaises formulations des enfants. Et du coup c’était difficile, et, mais ce n’est pas grave, mais des fois tu peux oui : « Est-ce que c’est ça que tu veux dire ? » C’est chercher le sens parfois, la formulation elle n’est pas… mais on ne peut pas non plus… je dois dire… Et puis être porté par le plaisir. Et chaque fois c’est un peu un dé lancé en l’air. Mais chaque année on peut avoir des classes juste super et des enfants preneurs et puis des fois on se dit « Mais mon dieu…. » Et des fois, y a des jours c’est comme ça, et on a l’impression que quoi qu’on essaie on se fâche, on se fâche ou discipline. Mais je crois que la confiance elle vient et le plaisir de découvrir aussi. Que retient-on ? A. Quelques régularités dans l’évolution de la pratique Le recours à l’analyse de pratique Avoir une réflexion sur sa propre pratique, une analyse de pratique semble être une manière de travailler sur l’évolution de sa pratique. Deux enseignants disent avoir appris en observant les autres faire et certains mettent en avant l’idée du temps parfois nécessaire pour se rôder à cette pratique. « Je pense qu'on évolue et je pense qu'à un moment donné il faut faire un petit arrêt sur image et un lâcher prise, se poser des questions sur notre manière de faire pour pas... car il y a une manière de faire et je pense qu'on peut se rouiller » (Aline) Aline en parle également dans la question 3.4 lorsqu’elle dit qu’en tant qu’enseignante elle doit toujours être en réflexion et revenir sur ce qu’elle a fait, pourquoi elle l’a fait et comment pour qu’elle puisse aussi changer des choses. David lui s’analyse des vidéos : « Prendre des vidéos de vous, vous écouter parler, sans arrêt, le rapport réflexif quoi. ». Il y a donc un réel intérêt à être et rester réflexif sur sa propre pratique. Ne serait-ce pas une chose finalement reprise dans toutes les disciplines par les enseignants soucieux de leur bonne pratique ? Les échanges et partages avec d’autres animateurs Aline et David apprennent également en voyant faire les autres : « Moi j'observe beaucoup Alexandre » (Aline). « Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire (…) Demandez de co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe.» (David). Les enseignants partagent ici leur manière de s’améliorer, voir les autres ou se faire observer pour améliorer sans cesse sa pratique. Aline faisait également référence plus haut aux échanges de pratiques organisés 109 par Prophilo, permettant aux animateurs de venir partager autour de leurs animations, les difficultés rencontrées et les autres questions qu’ils se posent à ce propos. Nous avons également entendu plus haut qu’Alexandre Herriger se déplace volontiers pour venir observer les animateurs et leur faire ensuite un retour constructif sur leur pratique. Il existe une solidarité présente entre les enseignants ou animateurs prenant part à la pratique du dialogue philosophique en classe dans laquelle ils échangent pour mieux construire. Se donner liberté dans sa pratique Aline et Chloé font référence dans leurs explications que c’est également lié à une certaine personnalité et manière de faire de l’animateur. « Je continue bien à faire quand même comme je le sens. » (Aline) « Je pense qu’en fait, après c’est chaque animateur qui a ses petits trucs pour faire avancer la discussion (…) » (Chloé). Une pratique qui évolue avec le temps De plus, les enseignants insistent ici à nouveau sur le fait que le temps et l’expérience aident à l’acquisition d’un savoir-faire : « c’est en forgeant qu’on devient forgeron et plus tu en fais plus t’es à l’aise plus tu sais comment, oui, comment faire avancer » (Chloé) « Bon déjà il y a eu beaucoup de temps qui est passé, ça c’est clair, c’est la pratique, il faut faire confiance à la pratique elle va vous aider à comprendre et à dédramatiser, à transformer, vous allez être transformée par cette pratique ça c’est clair. » (David) B. Quelques variations, des évolutions paradoxales entre les enseigants… De l’intervention plus fine à l’intervention moins présente Il est ici intéressant de noter une variation mise en avant par entre deux enseignants. En observant Alexandre Herriger, Aline dit : « je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et j'ai essayé d’intervertir plus, car on se pose des questions, quel impact ça a d'intervenir un peu plus, de poser plus de questions, si on a plus de relances, et maintenant j'en suis un petit peu là. ». Ici l’enseignant se dit intervenir plus afin de mieux guider les élèves et approfondir le dialogue. Au contraire, Fabienne déclare que l’évolution dans sa pratique a été d’intervenir de moins en moins : « Bah voilà on se familiarise avec la démarche, on apprend soi-même à lever le pied un peu à peut-être moins intervenir. Moi je crois que c’est ça, je crois qu’une chose que j’ai vraiment appris c’est justement de me mettre, que ce n’est pas parce que je suis un peu en retrait que je ne suis pas présente... ». Faut-il donc intervenir de moins en moins ou plus afin d’affiner la réflexion des enfants ? Ici encore les réponses divergent. 110 Question posée aux enseignants : 5.4 Quels conseils donnerait l’enseignant-e à un enseignant-e débutant-e souhaitant expérimenter la philosophie en classe au niveau de son rôle, sa place ? Réponses des enseignants : Aline L.361 à 364 Brigitte L.448 à 457 C'est d'être humble quoi. Et de préférer faire quelque chose de petit et simple que... de vouloir choisir plutôt une fleur, que de prendre direct la gerbe. Voilà, c'est une métaphore, mais je peux pas dire autre chose parce que je pense qu'avec une fleur on peut faire beaucoup, avec la gerbe on va se perdre parmi toutes les fleurs. C'est l'idée que j'en ai, vraiment. Donc, savoir dans quel axe on est, car si on est dans l’axe vidéo, ressortir le thème, le message. Et puis la question que je trouve intéressante : est ce qu’on a manipulé ou pas ? Si on est dans la citation, première chose, être sûr que les enfants ont compris tous les mots, donc là t’es obligée de définir tous les mots de la citation, et seulement quand tout est défini tu peux commencer à débattre. Mais ce qui est intéressant, c’est que déjà dans la définition il y a du débat, donc t’es en philo, pour moi t’es en philo. Le concept, bah là, définir le concept, et dans le concept souvent il y a plusieurs définitions à avoir, et ce n’est pas grave si tu prends un mois. Ce qui est important, il me semble, c’est prendre le temps, car le but c’est que les élèves réfléchissent et qu’on arrive à entrer dans le concept. Si ça prend un mois, ce n’est pas grave. Ton objectif est là, ils ont débattu, réfléchi et conceptualisé. Chloé L.417 à 423 Je pense que c’est important d’aller voir comment ça se passe, d’aller voir comment ça se passe et puis on est déjà hyper seuls quand on est dans une classe et des fois il manque ce côté où quelqu'un t’observe : « oui, là c’était bien si… » ou « là, tu aurais pu… » Oui, je pense que c’est important de pouvoir partager quoi. C’est ultra nécessaire, en tout cas moi au début, c’était hyper important et enrichissant que je puisse partager avec d’autres personnes. « Non, mais là c’est parti comme ça… » Et moi, Alexandre est venu beaucoup m’observer, et c’est hyper formateur et enrichissant quoi, et d’observer comment il fait, et dans les deux sens quoi. David Non répondu Eléonore L.23 à 38 (…) pour démarrer, déjà, le premier conseil que je pourrais vous donner c’est, le mieux, c’est de démarrer avec du Lipman. Parce que soi-même en tant qu’enseignant, toi ça va te former en même temps que tu vas former tes élèves. Toi, tu vas te former avec, parce que Lipman il a conçu ses romans et surtout son gros classeur d’exercices, pour chaque roman, pour justement guider l’enseignant qui n’est pas philosophique, pour vraiment attirer l’enseignant sur les concepts philosophiques qu’il va aborder. Et du coup, en travaillant avec du Lipman pour commencer la première année, ou même les deux premières années, ça va te donner des clés pour travailler ensuite avec d’autres supports. Alors moi, c’est ce que je fais, c’est que je change. Au début je travaillais qu’avec Lipman, et ensuite j’ai travaillé avec la littérature jeunesse. On est arrivé jusqu’à juste une image, ou un film. Mais y a des années, ou de temps en temps, hop je reviens à Lipman, même si moi je ne suis pas trop, euh… bon j’ai les 5-6P, donc c’est plutôt Pixie. Je ne suis pas ultra enthousiasmée parfois par le texte mais voilà j’y reviens parce que je considère que ça me remet dedans que ça attire vraiment mon attention sur les concepts que je dois travailler. Surtout qu’un roman comme Pixie, en fait, c’est du Platon pur, c’est vraiment les pensées basées sur l’étonnement, et puis les enfants sont vraiment là, donc c’est assez aisé en fait d’utiliser ce matériel. Bon vous avez déjà fait des formations ? Fabienne L.515 L.517 à 527 Bon alors voilà. Je crois qu’il faut quand même, je pense que ça, c’est quand même indispensable. C’est parce que ce n’est pas rien comme approche. Y a beaucoup de gens qui, parce qu’ils font du conseil de classe, qui parce qu’ils font des discussions et qui disent « bah moi je fais un peu ça dans ma classe »… et j’ai entendu beaucoup d'enseignants qui m’ont dit "mais en fait, moi je fais du débat", en fait pour eux c’est de la philo. Ou des gens qui disent "je lis un bouquin, je ne sais pas si vous connaissez le livre d’Hermès… bon c’est génial, c’est un super, j’ai vraiment adoré ça et j’ai quelqu’un qui m’a dit "bah moi, je lis ça en classe ». Je dis, mais franchement, c’est génial, mais ce n’est pas du dialogue philosophie, ça a juste rien à voir. Donc y a 111 beaucoup de gens qui pensent qu’ils font ça parce que ça fait discussion, mais ce n’est pas une discussion, c’est l’idée, c’est de faire un dialogue et je veux dire, il y a des critères pour faire un dialogue. Que retient-on ? Ici, ni régularité ni variation mais quelques conseils donnés par les enseignants, comme celui de rester humble et de préférer faire des choses plus petites que trop grandes, pour éviter de se perdre. L’idée de prendre le temps est également suggérée tout comme celle d’aller voir comment font d’autres animateurs ou partager sur sa pratique. Les formations et les manuels Lipman sont aussi recommandés pour débuter. Je ferai ici une parenthèse sur le matériel et les autres conseils que m’ont partagé les collègues. En effet, dans les transcriptions ne figure pas le matériel qui m’a été montré en classe. Les affiches33 : les affiches comportent les éléments que l’on retrouve dans l’exercice des habiletés de pensée : exemples, contre-exemples, hypothèses, présupposés… Aline affiche parfois une ou deux de ces affiches au tableau noir lors du dialogue et demande aux élèves de se concentrer particulièrement sur les habiletés affichées. Les livres : Goûter philo, Les grands sages parlent aux petits sages et autres histoires… proposés par Alexandre Herriger lors de sa formation continue sur la pensée créatrice en 2016 au Département de l’Instruction Publique. Une citation : Brigitte part d’une citation parfois Une vidéo : Brigitte peut également choisir une vidéo Le guide du maître proposé par Lipman : utilisé et mis en avant par plusieurs enseignants interrogés ici. Question posée aux enseignants : 5.5 Qu’est-ce qu’un-e enseignant-e qui pratique bien la philosophie? Réponses des enseignants : Note au lecteur : Etant moi-même enseignante, cette question ironique fera sûrement soulever plus d’un sourcil sur cette page. Mêlant jugement sur la pratique et humour, cette question permet tout de même d’être à la quête de d’autres éléments pouvant améliorer la pratique. 33 Voir annexes : affiches utilisées par Aline en classe 112 Aline L.341 L.343 à 352 Un bon enseignant? C'est quoi un bon enseignant déjà? L.354 à 359 Moi je pense qu'il n'y pas de règles. S'il a une écoute assez attentive et qu'il arrive à mettre en lien aussi les pensées de chacun et faire les relances pour que la pensée circule, ça, il me pense que c'est top, mais c'est du travail. Et on a quand même tendance, même quand on anime, de suivre le fleuve, le cours du dialogue avec les autres, et peut-être pas savoir relancer par rapport à ce qu'a dit une personne à la pensée d'une autre personne. Il me semble que c'est ça, mais je ne suis pas professionnelle pour le dire. Brigitte L.425 à 432 Il y a autant de types d’être animateur, que de personnes. Mais, c’est vrai que quand, enfin moi, pour en avoir fait aussi pas mal avec Michel Sasseville, bah, c’est génial parce qu’il a une manière de rendre la parole importante, et une écoute, et un poids à chaque idée que tu amènes, et chaque petite brique participe à la construction de l’édifice et de relancer subtilement. Oui, voilà, pour moi lui c’est le King. Après, on fait des formations avec Mathieu Gagnon qui est une personne géniale, mais lui aussi il anime bien. Je pense qu’il faut pratiquer, pratiquer et pratiquer, et je pense qu’il ne faut pas se décourager, parce qu’effectivement les grandes périodes, mais si voilà, hésite pas à venir si tu veux aux échanges de pratiques de A. Chloé Non répondu David L.333 à 342 Celui qui se tait, celui qui accueille sans juger. Quand j’interviens, je dis : "Je me demande pourquoi Arsène nous dit qu’une chose peut exister mais être fausse. Il dit ça, mais moi je n’arrive pas à comprendre." Voilà. Ou alors : "Moi, je me sens mal aujourd’hui parce que ça bouge beaucoup, ça parle beaucoup. Est-ce qu’on a mis une règle pour ça ?" "Euh oui, pas couper la parole et pas faire d’aparté." "Ok, donc je comprends pourquoi je me sens pas très bien. Est-ce qu’on arrive à aller plus loin ou est-ce qu’on arrête aujourd’hui ? " Toujours, moi, je leur remets toujours entre les mains, ça veut pas dire que moi je ne suis pas garant de tout le reste, j’en vire des fois. « Ok, tu nous casses les pieds, tu regardes comment font les autres, ça va t’inspirer.» Mais je dirais, il y a pas de bon ou de mauvais, il y a ce qu’on est avec peu de pratique, ce qu’on est avec un petit peu plus de pratique et ce qu’on est voilà. Eléonore L.348 à 362 J’aimerais bien le savoir…. (rires) J’ai envie de dire, de toujours être au clair sur le fait que, comme le disait Socrate : « La seule chose que je sais c’est que je ne sais pas.» Donc voilà, toujours être humble, être en recherche perpétuelle pour s’améliorer, pour être un meilleur animateur, euh se mettre le moins en avant possible et notre opinion n’intéresse pas les enfants, on n’est pas en train de parler de mon opinion à moi, euh on est en train de faire émerger une pensée critique chez l’enfant, c’est vraiment… Et pour finir, on s’en fout de quoi on travaille, on s’en fout pas du tout hein, mais je veux dire l’objectif final c’est de faire émerger une pensée critique, avec des outils pour le faire. Être vraiment outillé pour le faire et rester humble et se former en permanence, je pense, pour être justement dans cette remise en question et s’améliorer. Et quand y a une séance qui se passe pas bien, parce que c’était trop mou, parce qu’on était à moitié endormi, ou parce qu’on n’a pas eu ce plaisir, bah "pourquoi ? Comment ça se fait ?" Et puis pareil, quand on a eu trop de plaisir, est-ce que pour finir là on n’était pas tous au bistrot et on a eu tellement de plaisir que la discussion est partie dans une discussion à bâtons rompus et on était en fait plus du tout en train de faire de la philosophie? Donc, toujours garder cet objectif en tête. Fabienne Il n’y a jamais d’enseignant parfait. Pour moi, c’est d’avoir une grande capacité d’écoute, c’est Un bon animateur en philo? Je pense que c'est la première chose c'est l'écoute. Puis après, une chose qui est pas souvent facile à faire, c'est avoir une écoute suffisamment attentive pour pas penser à ce que nous on pense, mais plutôt faire le lien entre ce que les participants disent pour faire les bonnes relances au bon moment et je pense que c'est tout un art et qu'il y a encore du travail. Peut-être, c'est intéressant à ce moment-là, de s’enregistrer et se dire "tiens, à ce momentlà j'aurais pu… », bon c'est un peu l'esprit escalier, mais se dire on aurait pu faire ceci, on aurait pu relancer, mais déjà se poser ce genre de questions je pense que ça peut être intéressant. De toute façon, les enfants évoluent, nous on évolue et on évolue avec chaque groupe, chaque groupe a sa couleur et c'est chaque fois différent et c'est ça aussi qui est intéressant. Mais je pense que le bon animateur, c'est l'écoute. 113 L.576 à 584 d’être... de bien comprendre le processus et d’être curieux de ce que les enfants pensent, sans cet à priori : c’est un enfant. Donc oui, c’est un enfant, mais il a quand même des pensées et ses pensées sont quand même respectables, et qu’elles sont à nourrir et évidemment elles ne sont pas abouties, mais parfois oui. Et c’est de passa voir peur d’être remis en cause de pas... ça peut arriver, ça peut arriver à tout le monde. Mais voilà, c’est se dire, j’entre dans un domaine et j’explore avec eux, et pas se sentir obligé d’avoir une réponse, et savoir dire « moi je sais pas ». Parce que ça m’est arrivé d’avoir des enfants qui viennent à la fin me dire « mais en fait, c’est quoi la réponse ? » « Je sais pas… ». Que retient-on ? A. Quelques régularités : une bonne pratique rimerait avec… Une capacité d’écoute de la part de l’animateur Plusieurs régularités ressortent. Celle d’une capacité d’écoute que doit posséder l’animateur. Aline dit qu’il faut avoir une écoute suffisamment attentive et Fabienne ajoute que pour bien pratiquer la philosophie avec les enfants, c’est également avoir une grande capacité d’écoute. Une pratique régulière du dialogue philosophique Comme il a déjà été dit précédemment, Brigitte rappelle que la pratique régulière permet de devenir meilleur : « (…), je pense qu’il faut pratiquer, pratiquer et pratiquer (…) ». David aussi : « Il y a ce qu’on est avec peu de pratique, ce qu’on est avec un petit peu plus de pratique et ce qu’on est voilà. » Une prise de conscience qu’il n’y a pas de réponses ou de vérités toutes faites Les enseignants disent aussi qu’il faut assumer qu’en tant qu’enseignant ou animateur nous ne possédons pas toutes les réponses : « De toute façon les enfants évoluent, nous on évolue et on évolue avec chaque groupe, chaque groupe a sa couleur et c'est chaque fois différent et c'est ça aussi qui est intéressant » (Aline). « (…) j’explore avec eux et pas se sentir obligé d’avoir une réponse et savoir dire moi je sais pas » (Fabienne). B. Quelques variations sur le « bon » enseignant Chacun est comme il est… De manière variée, quelques enseignants ajoutent les points suivant sans pour autant utiliser les mêmes termes. Aline dit que les enfants et l’animateur évoluent avec chaque groupe. L’enseignant est aussi celui qui accueille sans juger (David), il ne met pas en avant ses opinions (Eléonore). En guise de conclusion à cette partie « restitution de données », et sans pour autant encore entrer dans l’analyse, vous trouverez en page suivante un tableau récapitulatif des régularités et variations observées dans les réponses aux questions. 114 Tableau de synthèse des régularités et variations observées pour chaque question REGULARITES QUESTION VARIATIONS 1.1 Qu’est-ce que la philosophie/philosopher pour l’enseignant-e ? - Construction d’une pensée Faire des liens dans différents domaines Développer la pensée de l’enfant Moyen pour accéder à la liberté de penser - utiliser les bons mots, apprendre à mieux penser et se considérer comme personne à part entière 1.2 Pourquoi l’enseignant-e pratique-il la philosophie avec ses élèves ? - Valoriser la parole de l’élève Acquérir réflexion et esprit critique Améliorer l’estime de soi - Cohésion dans le groupe Dévoluer pour faire mieux penser Former des citoyens réflexifs 1.3 Quels sont les objectifs scolaires ? - Capacités transversales Capacités langagières en français Capacités citoyennes Formation générale - Les objectifs après Meilleure écoute des élèves Forme d’intelligence Rigueur intellectuelle - Plaisir Répondre aux objectifs de l’école Prendre conscience de son individualité Philosopher pour socialiser - Neutre au cours du dialogue Tentative de symétrie dans la relation Guide La pensée des enfants comme point de départ L’enseignant en retrait mais au centre Initiation aux CRP Formation par programmes - Garant de la sécurité, du cadre, du respect et de l’honnêteté philosophique L’enseignant et une variété d’identités… L’enseignant interrogateur - Par l’expérience Formation universitaire 3.2 Préparation à priori, que fait l’enseignant-e ? - Partir des méthodes et des moyens existants Anticiper la pensée des élèves Préparer des questions de relance Suivre la pensée de l’enfant - Préparation personnelle, curiosité sur le sujet 3.3 Quelle est sa place lors du débat ? (physiquement) Que fait-il/elle concrètement ? - L’enseignant est inclus dans la communauté Disposition circulaire Dévoluer des rôles aux élèves - Parfois il est en face, parfois inclus dans le groupe 1.4 Quels sont les apports de cette pratique pour l’enseignant-e et les élèves ? 2.1 Quel est la place de l’enseignant dans cette pratique ? Quelles intentions ? 2.2 Quel est le statut de l’enseignant-e dans ces moments ? Quelle est sa place professionnelle ? 3.1 Quelle formation l’enseignant-e a-t-il/elle reçue ? 115 3.4 Quelles sont ses interventions? De quel type? Dans quel but? - Intervenir dans le but de relancer le dialogue - Intervenir sur la cadre et le respect des règles 3.5 L’enseignant-e formalise-t-il/elle? Institutionnalise-t-il/elle? - Pas de formalisation mais un retour sur la discussion Un retour dans le but de suivre et anticipation d’un prochain dialogue - Des retours sur deux pans, le processus et le contenu 3.6 Que doit faire l’enseignant pour permettre aux élèves d’atteindre les objectifs ? - L’enseignant soutient le questionnement - Prendre en compte le groupe et non les individus 4.1 Y a-t-il selon l’enseignant-e des acquis visibles chez les élèves ? - Meilleure écoute de la part des élèves Une prise de parole plus osée de la part des élèves Un questionnement plus fin de la part des élèves Le développement des habiletés de pensée - Des acquis peu observables au début mais un processus toujours positif Qui dit acquis dit évaluer : difficile en philosophie ! 4.2 Quels sont les indices permettant à l’enseignant-e d’avancer, réguler ou se rendre compte des progrès de ses élèves? - Réguler sur le ressenti Réorienter pour ne pas s’étouffer - La gestion des anecdotes fait avancer ou reculer le dialogue 4.3 Comment observer si les objectifs sont atteints ? - Le temps La conceptualisation comme preuve - L’autonomie du groupe, la prise de parole des élèves, l’écoute de la part des élèves et prise en compte des idées des autres comme indices 4.4 Comment régule l’enseignant-e avec les élèves qui ne prennent pas la parole ? - L’enseignant comme accoucheur d’idées L’enseignant comme respectueux d’un silence Les rôles comme développeurs de la parole Elèves muets mais pas sourds Les jeux collaboratifs comme facilitateurs Patience, temps et confiance dans le groupe 5.1 L’enseignant-e se rappelle-t-il/elle de la première fois qu’il/elle a fait de la philosophie en classe ? Comment était-ce ? Quelles sont différences ou similitudes avec l’expérience ? - Des départs difficiles récurrents Une amélioration certaine - Acquisition d’une confiance dans le processus et les élèves 5.2/5.3 Y a-t-il eu une évolution sur la perception de la philosophie de l’enseignant-e ? Y a-t-il eu une évolution de la part de l’enseignante-e sur sa manière de travailler la philosophie en classe ? - Le recours à l’analyse de pratique Les échanges et partages avec d’autres animateurs Se donner liberté dans sa pratique Une pratique qui évolue avec le temps - De l’intervention plus fine à l’intervention moins présente 116 - X 5.2 Les enjeux de l’animation des discussions à visée philosophique en classe Selon la théorie ancrée, après avoir vu et revu, parcouru, retenu, pensé et être attiré par des éléments captant l’attention du chercheur, il est demandé par la suite de travailler autour de thèmes relevés dans les entretiens et faisant écho à une certaine théorie préexistante. Ainsi, dans cette partie, je présenterai quelques thèmes ayant particulièrement retenu mon attention dans ces entretiens, me permettant de pouvoir trouver des réponses à ma question de recherche initiale. 5.2.1 L’importance de la parole de l’élève à l’école : un changement ? Dans l’éducation traditionnelle, peu de place était laissée à la parole des enfants en classe. De nos jours, il devient fréquent de rencontrer des espaces de parole mis en place en classe, notamment par la pratique du conseil de classe, des dialogues philosophiques ou encore dans le débat régulé. Michel Sasseville (2016) affirme que : Prendre la parole n’est pas toujours simple. Mais, la prise de parole peut être un instrument de formation de la pensée qui nous permet notamment de nous défaire de l’emprise de ceux qui voudraient nous manipuler. En ce sens, elle nous donne une plus grande liberté34. Nous allons observer ici, à travers les apports des enseignants, dans les entretiens menés, et par rapport à quelques éléments de théorie, que la parole de l’élève à l’école est beaucoup questionnée et qu’elle ne semble pas si dérisoire. Statut de la parole : vers un déplacement de celui qui la possède… Dans les entretiens, Aline relève que la pratique du dialogue philosophique en classe : « c'est aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe, il y a très peu de moments où on leur donne la parole » (L.83-84). En effet, l’éducation actuelle suit un mouvement de méthodes actives et de pédagogies coopératives suggérant aujourd’hui que les élèves ont, ou du moins devraient, avoir plus la parole qu’autrefois. Ainsi, nous pouvons observer que « […] sans doute y a-t-il une réelle évolution du statut de la parole de l’élève en classe ». (Perrenoud, P., 2013, p.1). 34 Consulté le 2 août 2016 sur https://philoenfant.org/2016/02/17/la-philosophie-pour-enfants-et-limportancede-la-parole-a-lecole/ 117 Suzanne Mollo, en 1985, a fait des études comparatives sur la distinction du poids de la parole de l’adulte et de l’enfant. Dans ses études, elle a pu mettre en avant le fait que la parole de l’adulte l’emportait largement sur celle de celui qui devait « se taire ». Les muets parlent aux sourds disait-elle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Du « Tais-toi et écoute » présent il y a quelques années encore à « Que penses-tu de l’amour ? Du mensonge ? Ou encore de la triche en passant par l’écologie, parle et dis-nous ! », nous constatons un réel déplacement du poids de la parole en faveur de celle de l’élève, cette fois-ci. Nous relevons également d’après ce que nous dit Chloé, que cette pratique n’est pas toute simple : « Ce n’est pas anodin ce qu’on fait mais je pense que c’est important déjà rien que de leur donner la parole » (L.337-338). Elle relève cependant l’importance qu’elle accorde aux élèves sur la possibilité de pouvoir s’exprimer. Perrenoud (2013, p.2), pour sa part, observe deux obstacles à cette pratique de l’oral libre en classe. Premièrement, celui du manque de temps. Le professeur est soucieux d’avancer dans son programme et ne possède pas le temps de tergiverser sur des discussions ne faisant pas partie de son curriculum. Dans ce sens, David semble rassurant : « l’objectif est tellement transversal qu’on ne pourra jamais vous dire que ce n’est pas dans les objectifs de l’école. L’école est un lieu pour apprendre à penser (…) » (L. 159-160). Deuxième obstacle, celui de s’impliquer comme personne et donc mettre en jeu ses valeurs, sa pensée, sa manière d’être. Ainsi, donner la parole aux enfants sur des sujets ouverts, demande à l’enseignant de prendre une certaine part de risque, car il peut, dans ce cas, ne pas posséder toutes les réponses comme nous le dit Eléonore : « L'enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Réponse ni La Vérité » (L. 399-400). En effet, nous retrouvons cet élément chez Perrenoud qui affirme : […] hors de sa discipline, le professeur n’est pas toujours informé, il ne maîtrise pas tous les savoirs en jeu, qui relèvent de plusieurs disciplines, et il sait que, quoi qu’il dise, il s’expose à la critique, au reproche d’être simpliste ou partisan. (2003, p.3) David pour sa part explique que l’enseignant entre en recherche comme les élèves mais que son rôle n’est pas celui de donner son avis ou de donner des réponses. Si vous êtes en recherche avec eux, alors là ils vont se mettre en recherche. […] Votre rôle c’est que faire des liens. Que faire des liens. Vous êtes là ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour juger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est bonne ou pas 118 bonne peut être quelle est bonne, peut-être qu’elle n’est pas bonne enfin je dirais même que toutes les questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on va en faire ». (David, L. 25-32). Ce deuxième obstacle semble donc surmontable pour David, pour autant qu’il se situe dans une position non jugeante, ne le mettant ainsi pas en porte-à-faux face aux élèves. L’enseignant est donc présent, mais intervient moins qu’en classe, ne donne pas de règles à appliquer mais demande aux élèves de faire l’exercice complexe qui est de s’exprimer sur un thème, sans réponse ni avis de l’enseignant. Le maître dévolue entièrement sa parole aux élèves, ce qui rend parfois les élèves perturbés, car se sentant seuls maîtres de la construction de leur pensée malgré les outils que se donne l’enseignant (relance, demande d’exemplification, reformulation et autres). Liberté d’expression en classe, une utopie ? La parole tente donc de se frayer une place au sein de la classe. Les enseignants l’utilisent dans le but également de pouvoir offrir une certaine liberté de penser à leurs élèves, importante pour la suite de leur vie citoyenne. David veut, pour sa part leur faire prendre de la distance, les rendre capables « d’opérer des choix avec des jugements raisonnés » (L.245). Eléonore veut que ses élèves pensent sans être influencés afin qu’ils « ne soient pas des moutons » (L. 373-374). Fabienne partage également cette idée : […] ce qui fait vraiment qu’on arrive à s’élever dans sa pensée c’est justement quand on arrive un peu à la produire par soi-même […] à mon avis en philo c’est ce qu’on essaie de faire. C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser (Fabienne, L.128-133). Plus présente, est-elle cependant plus écoutée ? Est-elle vraiment libre ? Il est vrai que la philosophie peut être un bon moyen de promouvoir cette nouvelle pratique de l’oral rendant ainsi au premier abord les élèves « libres » de pouvoir s’exprimer sur des sujets questionnant. Dans cette pratique, les élèves peuvent ainsi confronter et mettre en mots leurs expériences et avoir peut-être des réponses, plutôt que d’écouter en silence la « bonne parole » de l’enseignant sur sa leçon, laissant peu de place à la parole, apportant finalement peu de réponses au « pourquoi » des choses. Jacques Pain (cité par Le Run & Gane, 2007) montre qu’à travers la philosophie, « […] la prise de parole permet de métaboliser les expériences de la vie quotidienne et de voir le monde autrement » Ainsi, plus qu’un enseignement frontal, la mise en avant, de nos jours, de leçons basées sur les échanges entre enseignants et élèves 119 permettent « […] à l’interlocuteur de rebondir, d’explorer de nouvelles perspectives, d’aller vers de nouveaux horizons… » (Meirieu, P. 2013, p.17). Cependant, Perrrenoud (2013, p.2) montre que malgré l’idée de penser la parole libre en classe, elle reste tout de même normée. En effet, l’élève posséderait le droit d’intervenir si ses paroles sont didactiquement acceptables dans l’interaction présente. Celui ne prenant pas la parole en classe ou celui la prenant trop souvent pour des sujets annexes n’est alors pas admis dans cette norme et n’est donc pas entendu par le maître, le considérant « hors contexte ». De même, dans leur article paru au mois de mars 2016 dans l’Educateur, revue genevoise de l’éducation, Capitanescu Benetti et Perrenoud M. se posent réellement la question du statut de cette parole en classe, et de la manière dont elle est acceptée par les enseignants. Les enseignants entendent-ils toutes les paroles des élèves : ceux qui parlent trop, ceux qui ne parlent pas assez ou pas du tout, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui comprennent vite et ceux qui comprennent moins ou plus lentement, ceux qui n’osent pas, ceux qui osent trop, ceux qui parlent trop fort, trop vite, de façon trop peu articulée… ? (Capitanescu Benetti & Perrenoud, M., 2016, p.14) Bien que dans leur article ces auteurs prennent l’exemple du débat régulé, je me permettrais de faire un rapprochement sensé avec la pratique du dialogue philosophique. En effet, lorsque les enseignants le pratiquent en classe, ils souhaitent parfois entraîner des habiletés de pensée. Ainsi, par cet exercice, ils tentent d’imposer l’utilisation de tournures de phrases ou de logiques (exemples, contre-exemples, hypothèses, présupposés…). Comme le disent ces deux auteurs pour le débat régulé oral, il existe des « conditions d’entrée dans un débat » que nous pouvons également retrouver lors de la pratique du dialogue philosophique en classe. Nous pouvons finalement conclure que la question d’une liberté de parole en classe reste difficile. En effet A. Capitanescu Benetti et M. Perrenoud expliquent que la prise de parole semblerait être plus libre lorsqu’elle est moins codifiée mais « (…) une trop forte codification explicite des formes légitimes d’expression contredirait le principe d’une participation ouverte à tous » (2016, p.15). Il est ainsi encore à réfléchir à la place que les enseignants disent réellement donner à la parole des élèves en classe. Parole de l’élève, quelle place pour l’enseignant ? Il est également intéressant de montrer que Meirieu, dans son article « Parler et penser juste » (2013), montre que finalement tout interlocuteur à l’enfant utilise une formule maîtresse : « Si 120 j’ai bien compris… ». C’est avec beaucoup d’humour qu’il explique dans son article que très tôt l’enfant se demande comment transmettre sa pensée avec des mots. Meirieu explique qu’un médiateur sera bien souvent utile pour l’enfant. En philosophie aussi, par cette formulation maîtresse, nous observons que le médiateur tente de reformuler ce que l’enfant dit. Quelles sont cependant les limites ? Il explique : « Avec un rien de roublardise quand même : on va toujours un peu plus loin que l’enfant, et on sait bien qu’il va faire semblant de se reconnaître dans ce que, en réalité, nous lui avons soufflé ! » (Meirieu, 2013, p17). Ainsi, il explique que par le fait de reformuler, l’enseignant ouvrirait la possibilité à l’enfant d’améliorer, même un tout petit peu, son expression. En observant les témoignages des enseignants questionnés pour ce travail, nous nous rendons compte que ce phénomène doit être pris en compte lors des dialogues à visée philosophique. Brigitte (L.461-462) part d’un constat : « Un adulte ne donne pas son avis et surtout, ce qui est différent, c’est que c’est les enfants qui font avancer le cours ». Premier stade, nous comprenons que lors de la pratique du dialogue philosophique, toute la matière partirait des enfants. Leur rôle est donc central, car ce serait eux qui feraient avancer le cours de la discussion. Mais les choses se précisent finalement et nous pouvons observer un deuxième stade, durant lequel quelques limites peuvent être observées face à l’expression de la pensée de l’enfant. Fabienne affirme : « Vous voyez, vous allez chercher, partir voilà, des matériaux que vous apportent les enfants et vous allez les pousser plus loin » (L.315-316). Eléonore affirme également : Là tu as un rôle clé pour essayer d’aller chez eux « et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Et est-ce que tu es d’accord avec ça ? Est-ce que tu as un exemple pour dire que ça c’est vrai ? (L. 118119) Bien que la matière émane des élèves comme nous le montre ces trois enseignants, l’animateur possède le rôle d’affiner et d’enrichir la pensée de l’enfant, de l’accompagner dans ce chemin parfois ardu de l’expression orale de sa propre pensée. Meirieu (2013) explique « En de perpétuels ricochets : l’échange permet ainsi à l’interlocuteur de rebondir, d’explorer de nouvelles perspectives, d’aller vers de nouveaux horizons… » (p.17). Bien que nous ayons eu ici la preuve d’une limite de l’expression de la pensée de l’enfant, celle finalement d’une certaine manipulation par des questions de la part de l’animateur, nous comprenons qu’elle ne se fait pas dans le cadre de la manipulation de pensée mais bien dans le but de permettre à l’enfant de pouvoir s’exprimer de manière juste et précise. « Nous devons leur parler avec l’exigence d’être, en permanence, au plus près du plus juste » 121 (Meirieu, 2013, p.18). Eléonore, à sa manière, reprend cette même idée. « Je ne pense pas qu’on doit se retirer de la discussion mais on est au cœur de la discussion sauf que nous on est l’accoucheur » (L. 109-110). Retenons que l’animateur possède donc un rôle central dans l’animation du dialogue, par sa capacité à aller chercher ce qui résonne chez les élèves. Pour conclure, nous observons un changement dans la prise de parole de l’élève en classe et la manière dont l’enseignant en prend compte. Attention aux enseignants à cependant ne pas en faire trop dans leur guidage et relances, pour ne pas dévier les idées des élèves. 5.2.2 Dialogue philosophique et contrat didactique, pédagogique et social, un renversement ? Dans le contrat didactique et de Brousseau, le maître est celui qui sait et l’élève est celui qui ne sait pas. Le maître est donc celui qui pose les questions et attend des réponses de ses élèves. Dans l’activité d’étude, on s’attend à ce que le maître pose les questions. L’enfant questionneur rompt donc ce contrat : soit sa question est une « mauvaise question », et il se met en danger (il devrait « mieux écouter », « mieux réfléchir », « laisser finir le maître », etc.); soit c’est une « bonne question », et c’est le maître qui est interpellé (il aurait dû être «plus complet », « plus précis », « plus clair », etc.). » (Maulini, 2001, p.7). Nous pouvons alors nous questionner sur le rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue philosophique, dont finalement le but est l’inverse. Le maître cherche à soulever des questions chez les élèves, ne possède pas de réponse mais demande aux élèves de réfléchir. Au Québec, la pratique de la philosophie commence dès le plus jeune âge et des professeurs universitaires remarquent que les étudiants qu’ils reçoivent dans leurs amphithéâtres deviennent de plus en plus dérangeants, comme ils le disent, car ils remettent sans cesse en cause les apports lors des leçons. Bourdieu (1979) pour sa part dirait que « l’« excellente question », celle qui distingue l’« excellent élève », doit dépasser la norme sans dépasser les bornes » (cité par Maulini, 2001, p.7). Faire de la philosophie en classe est-ce finalement un contrat égal ou différent au travail didactique et social habituel que nous rencontrons en classe ? S’agit-il d’un autre contrat quand ont fait de la philosophie en classe ? Nous allons donc utiliser ici le concept de contrat didactique comme analyseur, en partant des régularités et variations observées dans la partie restitution des données. Nous allons observer d’une part en quoi le métier change et d’autre part en quoi il reste le même, pour l’enseignant. 122 La notion de contrat didactique Houssaye, pour sa part, parlait d’une relation triangle entre les savoirs, l’élève et l’enseignant. Nommée triangle pédagogique, elle s’élève en trois pôles : le pôle élève, le pôle enseignant et le pôle savoir. Ces trois pôles sont en relation et nous trouvons entre ces pôles les éléments suivantes : la relation enseignant-élève se caractérise par ce qu’il nomme former ; la relation enseignant-savoir par l’enseignement ; la relation élève-savoir par apprendre. Le triangle pédagogique n’est pas à confondre avec la notion de contrat didactique qui a été introduite par Brousseau (1982) en didactique des mathématiques. Cette notion de contrat didactique est différent du contrat scolaire qui peut exister (être à l’heure, demander la parole pour parler…). Le contrat didactique prend des formes différentes selon les différents savoirs et ne peut pas se déterminer d’une manière uniforme et générale. C’est un modèle permettant de comprendre ce qu’il se passe dans la classe et possède une certaine distance avec la réalité. Ce modèle n’est pas opérationnel. C’est un concept qui permet de modéliser quelque chose d’important dans la relation didactique. Ce modèle part d’une contradiction dans l’enseignement, liée à l’approche constructiviste qui dit que le fait que l’enseignant n’a pas pour mission de faire en sorte que ses élèves apprennent, mais que la responsabilité de l’apprentissage incombe aux élèves. C’est donc bien aux élèves d’apprendre. L’enseignant met par contre en place les conditions pour que les élèves apprennent. Paradoxalement, l’enseignant ne peut pas montrer directement le savoir et l’indiquer comme chose à apprendre, mais doit mettre en place les conditions pour accéder à ce savoir et se donner les moyens pour pouvoir vérifier que les élèves ont appris : « Pour que ce soit une situation d’apprentissage, il faut que la réponse initiale que l’élève envisage à la question posée ne soit pas celle qu’on veut lui enseigner » (Brousseau, 1988, p.14). Le problème est ici dévolué à l’élève. Opacité dans le statut de l’enseignant et de l’élève Cependant, cette relation n’est pas si simple dans la réalité, et Brousseau affirme qu’il existe une certaine opacité dans le contrat didactique. Le schéma serait plutôt d’ordre bidirectionnel entre l’élève et l’enseignant seulement. En fait, l’enseignant sait où il veut mener l’élève et l’élève ne le sait pas. L’élève construit ses connaissances, non sur l’aboutissement de la tâche mais par rapport aux attentes, au comportement de son enseignant. Bien que des obstacles doivent êtres présents pour apprendre, le maître se doit de les alléger lorsqu’ils sont trop lourds, car ils empêchent l’élève d’entrer en contact avec des connaissances, sans pour autant 123 les supprimer complètement, car la tâche s’effondrerait. Le maître ne se substitue donc pas au savoir, mais ne laisse cependant jamais ses élèves sans appui. Brousseau (1988) utilise le terme d’effet Topaze pour exprimer ce danger que peut rencontrer le maître. Celui-ci réunit les conditions, transforme la tâche et prend à sa charge une grande partie du travail qui permet d’obtenir les réponses attendues, sans que l’élève n’ait pu s’investir dans la recherche. Le savoir disparaît presque. Le maître tente donc de faire deviner à son élève ce qu’il faut faire sans pour autant le dire, comme lorsqu’il s’attarde et accentue la prononciation des terminaisons ou des pluriels lors d’une dictée par exemple. Dans une situation problème l’effet recherché est plutôt le suivant : La « réponse-initiale » doit seulement permettre à l’élève de mettre en œuvre une stratégie de base à l’aide de ses connaissances anciennes ; mais très vite, cette stratégie devrait se révéler suffisamment inefficace pour que l’élève soit obligé de faire des accommodations ». (Brousseau, 1988, p.14). Le contrat modélise les attentes réciproques des enseignants pour les apprentissages des élèves, et pour les élèves, de ce que l’enseignant attend par rapport à un savoir donné. Ces attentes réciproques ne peuvent pas être explicites, car l’enseignant ne peut développer le savoir à la place de l’élève. Le contrat didactique est donc bien implicite, est un non-dit, mais qui permet de comprendre certains types de comportement entre les enseignants et les élèves. Ainsi, cette relation implicite montrerait qu’un contrat préexiste à la situation d’enseignement et la surdétermine (Astolfi, 1981). Dans le contrat, à un moment donné, l’enseignant propose un milieu qui oppose une certaine résistance, on parle alors d’antagonisme du milieu : la situation proposée à l’élève lui résiste mais est interactive et instable, car les acteurs sont en recherche continue des ajustements des comportements par rapport à la situation problème traitée. En philosophie par exemple, l’enseignant propose bel et bien un milieu antagoniste aux élèves, une question universelle par exemple, mais dans ce cas, le maître se retrouve également dans un milieu résistant. En effet, il ne pourra sûrement pas répondre de manière justifiée aux questions des élèves. Le maître n’a connaissance de la direction que prendront les idées des élèves et est également toujours alerte, afin de réajuster la discussion dans le but de mieux guider ses élèves. Ainsi, maître et élève sont toujours en recherche d’une meilleure adaptation à chaque situation, ce qui rend la notion de contrat comme possédant des clauses jamais discutées, non écrites et non signées par les deux partis, et encore moins en philosophie. 124 Astolfi le résume très bien : Le contrat didactique met le professeur devant une véritable injonction paradoxale : tout ce qu’il entreprend pour faire produire par l’élève les comportements qu’il attend, tend à priver ce dernier des conditions nécessaires à la compréhension et à l’apprentissage de la notion visée. Si le maître dit ce qu’il veut, il ne peut plus l’obtenir » (Astolfi, 1994, p.200-201). Notons que le contrat possède un caractère évolutif. C’est un levier pour le maître qui, en jouant sur les ruptures et progressions, permet d’étayer l’élève dans la tâche, concept emprunté à Bruner et la lui dévoluer (Brousseau, 1988, p.15). En philosophie, le maître doit accepter de jouer avec ces leviers et comprendre que le dialogue et la progression des élèves au cours du temps ne se fait pas de manière linéaire. En effet, cette dernière ne passe pas par des étapes claires et définie, mais est pourtant bien une anarchie comme centre de la construction de la pensée de l’élève. Relevons qu’ici, la particularité du contrat didactique et les leviers utilisés par le maître sont en lien avec sa manière de concevoir la construction des savoirs. L’enseignant a donc une certaine marge de manœuvre sur le fait de considérer la philosophie comme étant un moment où les élèves risquent de se perdre, mais tout en continuant à suivre et accompagner les élèves en difficulté. Dans l’autre cas, l’enseignant prendra moins de risques et suivra les étapes qu’il considère comme importante et n’avancera pas tant que ses élèves seront en échec. Ainsi, la philosophie peut demander à l’enseignant de devoir sortir de sa zone de confort dans le but d’emmener ses élèves sur les chemins de la pensée. Retenons quand même finalement que « […] l’enseignant a pour fonction de mettre en place des faits, des indices que l’élève peut percevoir et comprendre, et dont le traitement est créateur de sens » (Dictionnaire de pédagogie et de l’éducation, 2009, p.78). La rupture est installée par la situation problématique et cette idée de rupture, de déséquilibre entraîne un nouvel équilibre par l’acquisition de nouvelles connaissances, propre au constructivisme, que nous retrouvons entièrement dans la pratique du dialogue philosophique. 5.2.3 Faut-il tout institutionnaliser ? Définition Mot phare dans la formation et la professionnalisation des enseignants, l’institutionnalisation représente à elle-même un concept fondamental des didactiques. Reuter (2013) définit ce concept selon deux approches. 125 La première approche est celle qu’il entend comme étant un moment où l’on donne une importance officielle à un savoir en classe. Dans cette approche, les contenus d’apprentissage sont clairement mis en avant, soulignés et discutés ensemble afin de mettre en avant l’importance et la nécessité pour les élèves de se les approprier et de les apprendre. Ils peuvent donc devenir évaluables. Ainsi, l’institutionnalisation est perçue comme un moment particulier dans lequel l’enseignant fait part des savoirs à apprendre. Cette phase précède les apprentissages. Ceci peut être, par-exemple, en français, la présentation des terminaisons du verbe chanter au présent. L’enseignant met en avant le contenu d’apprentissage en amont. Dans sa deuxième approche, Reuter montre que l’institutionnalisation peut être différente du fait qu’elle est le processus par lequel l’enseignant amène les élèves à prendre connaissance des apprentissages réalisés. Ici, l’enseignant met l’accent sur les savoirs appris et l’institutionnalisation se fait à postériori des apprentissages faits. C’est une légitimation des savoirs appris au cours des situations. L’enseignant fait donc l’état des lieux de ce que les élèves ont découvert ou appris, afin de, collectivement, y attribuer un statut fondé et reconnu. Prenons ici l’exemple d’une énigme de mathématiques, dans laquelle, par une institutionnalisation commune, les élèves et le maître auront pu mettre en avant une démarche de résolution applicable à d’autres situations. Dans les deux approches, l’institutionnalisation est un processus s’avérant nécessaire en classe et permettant aux élèves de prendre conscience du statut des savoirs, chose parfois non évidente pour certains. En effet, Reuter explique que certains élèves ont de la peine à décontextualiser les connaissances en situations pour les généraliser, et donc à retirer l’essence même des savoirs. D’autres peuvent posséder une représentation banale de l’activité scolaire et donc répondre aux exigences de l’enseignant sans pour autant pointer les savoirs et les connaissances mises en œuvre dans une activité. Ainsi, par l’institutionnalisation, l’enseignant rend les élèves responsables des savoirs qu’ils acquièrent. Reuter précise également que l’institutionnalisation varie selon la discipline dans laquelle elle prend place. En effet, une institutionnalisation en mathématiques semble bien différente qu’une en philosophie par exemple. S’il semble assez évident d’institutionnaliser une méthode de résolution de calcul arithmétiques, il semble cependant plus difficile de l’envisager lors de la pratique du dialogue philosophique en classe, lorsque que le savoir et les connaissances sont sans cesse remis en doute. Nous pouvons alors nous interroger sur le sens de cette pratique lors du dialogue philosophique et sur la manière dont il est pris en charge par les enseignants. Pour ce faire, 126 revenons-en aux entretiens. Une question était spécifiquement posée sur l’institutionnalisation ou la formalisation des savoirs. Observons de plus près ce qu’en disent les enseignants pour la philosophie. Premièrement, nous observons que les enseignants n’utiliseront pas dans leurs propos les termes d’institutionnalisation ou formalisation, mais préfèrent le mot « retour ». En effet, les enseignants font part d’un retour ayant lieu en fin de séance. Certains laissent la place aux observateurs comme Aline : « Il y a toujours un retour des observateurs, c’est tous les papiers que j’ai là, car il y en a toujours un ou deux qui prennent note » (L.190-191). David demande également à ses observateurs ce qu’ils peuvent apporter comme retour de séance. Aline affirme aussi « Il y a un retour par rapport à ça et souvent, je crois que je ne dis pas grandchose au niveau du bilan retour » (L.191-192). Eléonore n’utilisera pas non plus le terme d’institutionnalisation : « ça m’arrive parfois de faire par moment un petit résumé, de dire voilà, aujourd’hui on a entendu tel et tel point de vue c’était intéressant » (L.239-240). De tous les points de vue les enseignants ne semblent pas vouloir dire qu’ils formalisent un savoir. Cela veut-t-il dire qu’il n’y a aucun savoir à institutionnaliser en philosophie, car les questions n’ont souvent pas de réponses ? Cependant, lorsque l’on analyse de plus près les propos des enseignants, nous pouvons observer qu’il existe des variations sur les types de retours que font les enseignants en philosophie. Il y a principalement deux types de retours. Le premier est celui sur le contenu. Eléonore explique qu’elle redit avec ses mots vers quoi le groupe est allé et fait par moment des petits résumés. Cholé va dans le même sens : « comme il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus général, je l’écris » (L.281-282). Chloé reste donc sur le contenu des idées. Le deuxième type de retour est celui sur le processus. David explique : « les enfants ont globalement respecté les règles […] il n’y en a pas qui ont coupé la parole […] c’était une bonne séance ? […] (L.313-314) voilà, rester sur le processus » (L.322). Pour Fabienne aussi, le but est de faire un retour sur le processus : « Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour qu’il y ait une bonne écoute […] faire réfléchir sur ce qu’il vient de se passer dans la classe » (L.359-360). Ainsi, les enseignants font des retours soit ici, sur le contenu soit sur le processus. Pour ma part il me semble parfois difficile à envisager une institutionnalisation sur le contenu, car ceci demanderait à l’enseignant de juger les idées des élèves, à voir si elles étaient bonnes ou 127 mauvaises. Il me paraît par contre plus judicieux d’avancer le fait que les enseignants procèdent bien à une institutionnalisation lorsqu’ils font un retour sur le processus du dialogue. Pour Brousseau, « L’institutionnalisation porte aussi bien sur une situation d’action – on reconnaît la valeur d’une procédure qui va devenir un moyen de référence – que sur la formulation. » (1988, p.17). Nous sommes donc ici sur la valeur de la procédure et notamment sur le respect du cadre et des règles. Je trouve cependant étonnant que les enseignants n’aient pas partagé l’idée, qu’il aurait été possible de faire un retour sur l’utilisation des habiletés de pensée, en mettant par exemple en avant, les formes d’expression qui y sont liées « comme » pour des comparaisons , « je fais l’hypothèse que… » pour la formulation d’hypothèses ou autres. Nous nous situerions ici dans une institutionnalisation portant sur la formulation de la pensée et non sur les idées ellesmêmes. Nous pouvons peut-être parler de savoirs procéduraux et processuels. Dans un sens, nous pouvons affirmer que les enseignants peuvent ici formaliser sur une procédure en cours mais non sur un savoir didactique en jeu. Il y a donc bien une forme d’institutionnalisation mais portant sur le processus et relevant de ce fait plus des objectifs des capacités transversales. Elle est différente d’une formalisation en didactique dans le sens où l’enseignant ne peut formaliser sur les réponses aux questions que se posaient les enfants. Cependant, qu’en est-il des outils ? Apprendre à apprendre est également une manière d’institutionnaliser des savoirs en jeux. Dans ce cas, les enseignants ne semblent pas considérer les outils comme des savoirs, ils se réfugient dans les disciplines et leur institutionnalisation propre. Il y a donc une tension avec le statut qu’il donne aux savoirs. L’enseignant ne possédant souvent pas une réponse en philosophie, il ne peut alors donner un statut certain à une idée, qui peut sans cesse être rediscutée. Si l’institutionnalisation sert en quelque sorte à donner du sens aux savoirs, comment pouvons-nous nous assurer institutionnaliser en philosophie ? Dans ce cas, il serait plus judicieux de porter une attention au processus et à la démarche empruntée par les élèves, qui, par l’institutionnalisation, peut être réinvestie par les élèves dans d’autres domaines. L’utilisation des outils peut donc être également perçue comme un savoir. Finalement, jusqu’où s’arrête la notion de savoir ? Finalement, en philosophie, comme dans d’autres domaines l’enseignant doit garder en tête le savoir visé. Est-ce de connaître un processus ? Est-ce de savoir reformulater afin de rendre une idée plus précise ? Processus et contenu ont tous deux leur importance dans l’institutionnalisation et en philosophie, l’enseignant joue avec cette idée de processus mais risques et incertitudes sur le contenu. 128 Afin de mieux observer comment peut-être fait une institutionnalisation en philosophie, cela vaut peut-être la peine de faire un détour chez nos pédagogues philosophes. Nous prendrons ici un exemple, le plus parlant, un exemple de fin de séance chez Lalanne. 5.2.4 Philosophie en classe et socialisation, un inévitable ? Dans l’optique de répondre à des questions souvent universelles, nous comprenons alors la nécessité que demande la pratique du dialogue philosophique, qui est de réfléchir collectivement. Philosopher en classe est, comme nous l’avons compris, une activité qui se pratique de manière commune et permet une socialisation. Pourquoi et comment ? La socialisation est « le processus d’apprentissage au cours duquel un être humain devient membre de la société dans laquelle il vit » (Maulini, 2016, socialisation)35. La socialisation se découpe en deux catégories. La socialisation primaire, faite par la famille ou une communauté restreinte de l’enfant, lui présentant le monde comme étant le sien. L’enfant se développe dans son monde, un monde certain présenté par des personnes auxquelles il se fie. La seconde catégorie comprend la socialisation secondaire, qui est celle qui nous intéresse dans ce cas. Elle est prise en charge par l’école et permet de problématiser le monde de l’enfant, car elle est prise en charge pas un sous-espace social, comme l’école ou plus précisément dans notre cas par la communauté de recherche scientifique que propose la pratique du dialogue philosophique. « La seconde instance secondarise cette évidence [la socialisation primaire], en montrant que d’autres points de vue sont possibles et que ce qui paraissait jusqu’ici intangible peut être mis en question ». (Maulini, 2016). Dans cette idée, la pratique du dialogue philosophique en classe permet aux élèves de pouvoir s’éloigner des points de vues et des idées qui peuvent être rattachées à la communauté restreinte de l’enfant pour pouvoir prendre se confronter à d’autres idées, par une communauté plus large étant, dans ce cas, celle du groupe classe. Cette pratique est une activité sociale et commune. Dans le monde, qui n’est pas celui de l’enfant, mais bien celui d’une société, la communauté est une base à toute interaction sociale. La philosophie se pratique d’une manière que Lipman nomme: la communauté de recherche philosophique. Cette nomination de « communauté de recherche philosophique », fait référence aux communautés de recherche scientifiques, car elles font appel aux méthodologies de recherche scientifique qui renvoient elles-mêmes à une démarche pragmatiste. 35 Consulté le 2 août 2016 sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm#discussion 129 C. S. Peirce conçoit le pragmatisme comme une méthode de clarification d'idées, s'appuyant sur l'utilisation de méthodes scientifiques, pour résoudre des problèmes philosophiques. C. S. Peirce démontre ainsi que la philosophie, quand elle est pragmatique, peut être appliquée de manière intelligente aux problèmes humains et, ainsi, avoir une efficacité propre. » (Agostini, 2007)36. En philosophie, nombreux sont les problèmes nécessitant de clarifier nos idées en les confrontant à celles des autres, dans le but de trouver la meilleure résolution possible. Dans ce même article, Agostini explique que Dewey parlera lui d’une communauté de recherche ayant pour but de trouver un sens commun en passant par des enquêtes. Ainsi, sciences et philosophie se rapprochent très nettement par leurs méthodes de recherche. Pour Dewey, ces deux se rapprochent, car elles tendent vers un même but qui est celui de développer une pensée autonome, critique et raisonnable à travers une utilisation d’une logique et d’une rigueur scientifique. En effet pour lui, « Sans initiation à l'esprit scientifique on ne possède pas les meilleurs outils que l'humanité ait jusqu'ici inventés pour réfléchir avec efficacité. (...) C'est une méthode de recherche et de mise à l'épreuve » (Agostini, 2007). En philosophie pour enfant, le procédé décrit par Lipman est le même. L’enfant ne va pas immédiatement trouver une solution à une question donnée mais va, par essais et erreurs, à tâtons, trouver une solution rationnelle. Il progresse au fur et à mesure des apports de ses camarades. Ainsi, mettre en place une communauté de recherche philosophique dans sa classe est une démarche qui demande à l’enseignant d’organiser une discussion dans laquelle, ensemble, les élèves chercheront une solution. L’intention est ici d’initier les élèves à une pensée logique et de l’entraîner à l’affiner par l’utilisation, par exemple, des habiletés de pensée. Les élèves trouvent alors « les bonnes raisons » de Lipman, ressemblantes, voire similaire au « sens commun » de Dewey. La communauté de recherche se constitue elle-même comme étant une microsociété dans laquelle chacun interagit. L’enfant apprend à vivre en société, à s’exprimer, faisant référence au processus de socialisation secondaire. Nous allons ci-dessous mettre en évidence quelques propriétés de la communauté de recherche souvent relevées par les enseignants et permettant ainsi cette socialisation à petite échelle dans la classe. 36 Consulté le 2 août 2016 sur http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32827 130 En aucun cas, je n’ai entendu durant ma recherche que la philosophie est une pratique autonome et individuelle. Au contraire, elle se présente toujours sous forme collective. Physiquement dans un premier temps. En effet, souvent les élèves sont assis en cercle, en carré ou en forme de U, comprenant leur-e enseignant-e. La philosophie possède cette particularité qu’elle ne fonctionne, à l’école en tout cas, que sous forme de collectivité, soit socialement. Dans tous les témoignages recueillis durant ce travail, nous retrouvons cette idée de circularité physique dans la classe. Chloé affirme qu’elle est en forme de cercle, David également : « nous sommes en cercle, assis sur nos chaises » (L.421). Pour Eléonore, les élèves sont également regroupés en forme fermée : « ils sont en rectangle parce que j’ai une petite classe » (L.195). Brigitte aussi utilise cette disposition « ça fait une espèce de carré et les élèves se voient tous, comme un demi-rond » (L.217-218). Aline explique qu’ils se mettent tous autour d’une grande table, elle comprise. Fabienne ne fera pas différemment : « Dans la mesure du possible j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux, ou alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les élèves » (L.602-603). Nous avons ici la preuve que cette pratique s’exerce en communauté et non en individualité. Aussi, nous retrouvons souvent l’idée d’une « communauté », exprimée de différentes manières par les enseignants. Nous retrouvons les expressions de « tous ensemble » ou « on va le construire ensemble » (Eléonore), « tous autour » (Aline), mettant en avant cette installation d’une communauté. Par rapport à la construction d’une logique, en passant par la recherche, observons de plus près ce que les enseignants du terrain disent. Les enseignants mettent en avant des acquis qu’ils observent chez leurs élèves, comme notamment une capacité à utiliser et construire leurs propos de manière plus logique, par l’utilisation des habiletés de pensée. Aline remarque : « Ils me disent maintenant très facilement « je fais l’hypothèse que » et après il y a un autre qui « oui mais moi j’ai peut-être une autre idée » et ça c’est énorme ce qu’ils apprennent » (L.213-215). David observe également des acquis dans cette compétence : La preuve, si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début d’année et ce qu’ils sont capables de dire en fin d’année, vous passez du « Je suis d’accord » à « Son exemple me fait changer d’avis ou j’ai changé d’avis car le contre-exemple qu’il a donné… » Voilà, ça veut dire qu’ils ont déjà intégré énormément de choses. (L.59-62). 131 Les élèves semblent développer une certaine logique sur le terrain, remarquée par leurs enseignants au cours de leur progression dans cette pratique, ou dans la plupart des cas ils s’inscrivent bel et bien en recherche. Notons d’ailleurs que concernant cette deuxième partie de l’expression « communauté de recherche » et donc le mot « recherche », elle ne s’adresse, en philosophie, pas uniquement aux élèves. Dans les entretiens, les enseignants font remarquer, souvent, qu’ils prennent euxmêmes part à la recherche en cours et que le fait qu’ils entrent en recherche permet aux élèves d’y entrer également (David). Nous avons vu dans cette partie l’aspect « communauté de recherche » que permet l’école. Par son processus de socialisation secondaire, c’est-à-dire de questionnement du monde qui entoure les enfants et de confrontation des points de vue, nous avons pu démontrer que la communauté de recherche est une pratique utilisée par les enseignants permettant de mettre en place un processus d’apprentissage au cours duquel un être humain, ici un élève, devient membre de la société dans laquelle il s’inscrit. La pratique du dialogue philosophique sur le terrain a pu démontrer les aspects de socialisation présents dans les classes. De plus, nous avons vu qu’elle permet également aux élèves d’entrer dans un processus de recherche dans lesquels, ils pourront faire évoluer leur pensée. 5.2.5 Une construction de pensée commune et/ou individuelle ? Nous avons vu l’intérêt de passer par une communauté de recherche, possédant ses bases dans le pragmatisme de Dewey. Si la socialisation possède une part importante dans les dialogues philosophiques, relevons tout de même que les enseignants parlent souvent d’une construction. Tous ne semblent pas êtres d’accord sur ce premier terme de construction, mais nous allons ici tout de même les mettre chacun en évidence. En étudiant les témoignages des enseignants, nous comprenons et ce, dès le début que les élèves se situent dans une construction. En effet, nous pouvons relever quelques régularités dans les paroles des enseignants. Pour Aline, la philosophie est l’idée d’une construction de la pensée. Pour Chloé c’est une « co-construction » et pour Fabienne c’est « une construction de sens ». Nous observons ici que la pratique de la philosophie est une construction, de sens ou/et de pensée, pouvant se faire au contact d’autres personnes. 132 De plus, les enseignants font souvent référence à un développement ou encore un processus qui a lieu au cours du dialogue philosophique. Outre ceci, elle est pour certains d’entre eux la possibilité pour les enfants de développer des capacités. Pour David et Eléonore, il s’agit de développer les habiletés de pensée, nécessaires à la construction d’une pensée critique chez les élèves. Nous retrouvons ici une forte référence aux mouvements de Lipman/Sasseville. Pour Eléonore, il s’agira également de pouvoir développer sa pensée critique, « développer l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophique » (L.372373). Fabienne, pour sa part, parle de « développer leur pensée ». Nous observons donc l’importance de l’idée d’un développement que permettrait la philosophie chez les élèves, même si, dans les termes, les enseignants nuancent ce qu’ils attribuent au développement. Un autre apport serait également celui de la rigueur et d’un développement intellectuel, qu’Eléonore et Fabienne mettent en avant. Eléonore affirme que « cette rigueur scientifique d’une certaine manière je trouve qu’ils l’acquièrent en faisant de la philo » (L.188-190). et Fabienne : « c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel » (L.258259). On observe ici que les élèves bénéficieraient d’un réel développement de leurs compétences. Les enseignants partagent ici des idées appartenant au courant du socioconstructivisme. Ainsi, la construction de connaissances se fait au contact d’autres individus : « la compétence à interagir permet aux sujets de pouvoir tirer un bénéfice cognitif des interactions et les progrès induits favorisent à leur tour le développement de la compétence interactive ». (Crahay, 1999, p.204) Dans cette perspective, nous observons que le phénomène est le même en philosophie pour enfants. Le savoir est construit par la recherche en discutant des différents points de vue. Les représentations des élèves se confrontent à celle des autres : « (…) un travail interne va s’opérer, où un langage intérieur va se développer en un « dialogue de l’âme avec ellemême » (Platon), provoquant des conflits cognitifs intra individuels médiés par des conflits socio-cognitifs interindividuels (Vygotsky) » (Tozzi, 2003). Les élèves construisent leur réponses à l’aide des apports des autres et en se basant sur un dispositif ou les différentes interventions du maître. Crahay (1999) affirme que cette manière de procéder correspond bien au socioconstructivisme : 133 On postule même qu’il peut y avoir une antériorité du déséquilibre interindividuel entre deux sujets dont les réponses diffèrent et le déséquilibre intraindividuel vécu par le sujet qui prend conscience de ce qu’un point de vue opposé au sien est possible (p.204). Remarquons que dans le plan d’études, un objectif transversal est clairement défini à propos de cette construction de la pensée. Quelques descripteurs montrent comment l’enfant peut se décentrer et se remettre en question : renoncer aux idées préconçues, comparer son opinion à celle des autres, explorer différentes opinions et points de vue possibles ou existants. Théorie et pratique sont à nouveau très proches. 5.2.6 Quels changements observés dans le rôle du maître ? En partant du postulat de l’intérêt des enseignants à proposer des communautés de recherche philosophique en classe, comme nous l’avons démontré plus haut, notons cependant que cette pratique n’est pas sans effets. Gagnon (2005) l’explique dans les premières pages de son livre : […] l’enseignant doit opérer un véritable renversement de sa manière de procéder, puisque la transformation d’une classe en CRP présuppose qu’il renonce à la formule pédagogique magistrale de la réponse au nom d’une pédagogie dialogique du questionnement, de l’interrogation et de l’investigation, et ce, afin que les élèves puissent s’approprier, par la pratique, les habiletés d’une pensée réflexive et critique (p.1). Lors de la pratique du dialogue philosophique, nous comprenons que le contrat du maître n’est pas le même que le reste du temps en classe. Les enseignants sur le terrain m’ont fait part de ce point. Brigitte, par exemple, observe un changement avec le rôle habituel de l’enseignant en classe : « Ce qui change c’est que l’adulte pose des questions de relances et donne pas son avis ça c’est important » (L.460-461). David explique aussi que l’enseignant doit accepter de ne plus être le maître : « c’est-à-dire que vous faites confiance à la fois aux enfants et à la fois au processus et à chaque situation (…) » (L.23-24). Dans ces cas nous observons que l’enseignant n’enseigne plus, n’apprend plus. […] il s’est produit dans le rôle du maître un certain nombre de déplacements, voire un renversement, une rupture qui touche à la fois à l’épistémologie scolaire et au rapport au savoir, à 134 l’éthique communicationnelle dans la classe, à l’identité professionnelle de l’enseignant […] (Tozzi, 2003)37. Rappelons peut-être la mission première de l’enseignant dans l’animation des communautés de recherche philosophique. Le but est : « (…) d’animer une discussion philosophique, c’està-dire d’aider un groupe de personnes qui dialoguent ensemble autour d’une question qu’ils jugent problématique et intéressante à s’engager philosophiquement dans son exploration » (Gagnon, 2005, p.1). Ainsi, il est peut-être intéressant ici d’observer comment se voient, ou disons, se considèrent les enseignants face à leurs élèves dans ces moments. Comment les enseignants se considèrent-ils ? Quelle identité s’attribuer ? Quel statut endosser ? Lorsques les enseignants pratiquent des dialogues à visée philosophique, j’ai pu observer qu’ils ont de la peine à se définir et que leur identité professionnelle est en question. Je vais reprendre ici une partie de ma restitution de données, qui me semble être un bon point de départ dans l’analyse. Dans la restitution de données nous avions retrouvé plusieurs variations au niveau du statut que s’allouait chaque enseignant. Il est intéressant de noter qu’il est même difficile pour un enseignant d’avoir une vision très claire du statut qu’il possède. Aline affirme dans les réponses aux questions 2.1 et 2.2 qu’elle « enlève [sa] casquette d’enseignante », « je suis une adulte », « je n’ai pas une place d’élève », « ce qu’il se passe en dialogue philo ça leur montre que je suis comme eux. Dans le sens où je lève la main quand je veux poser une question, on est ensemble je suis comme eux je ne suis pas l’enseignante qui dit que c’est comme ça ou qu’il faut faire d’une manière et pas autrement ainsi de suite. » (L.115-118), « Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d’adulte comme ça de couper le dialogue, là j’ai réagi comme ça… » (L.134-136). On observe bien chez cette enseignante la volonté de quitter le rôle de l’enseignant ordinaire, ne sachant pourtant pas vraiment comme se considérer, peut-être comme un adulte ou alors occupant la même place qu’un enfant. Le rôle n’est ici pas si clair. Elle se considère bel et bien comme un adulte mais dit qu’elle n’a pas une place d’élève tout en semblant dire qu’elle est comme eux. 37 Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/2003/11/le-role-du-maitre-dans-la-discussion-a-viseephilosophique-a-l-ecole-et-au-college/ 135 Pour Brigitte, le but est de rester l’adulte et se positionner dans une place de contrôle : elle utilise le mot « adulte » et parle d’avoir « un certain contrôle ». Pour Chloé : « L'enseignant fait partie du groupe de recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une pensée commune, critique et argumentée » (L.464465). David affirme : « je reste l’enseignant », « vous êtes plus, il faut accepter que vous êtes plus le maître » (L.22-23), il affirme aussi que son rôle est de faire des liens et que la personne qui anime possède un statut de chercheur comme les élèves. Ici, l’enseignant arrive à se contredire en très peu de temps en affirmant qu’il reste l’enseignant mais m’indique ensuite lors de l’interview qu’il faut accepter de ne plus être le maître. On ressent ici une réelle volonté de se séparer du rôle du maître ordinaire mais tout en souhaitant garder son statut. Peut-être pouvons-nous ici ressentir un réel problème de ce que l’enseignant souhaite être lors des dialogues philosophiques et ce qu’il est réellement. Eléonore dans la question 3.3 prend une autre position. Elle explique « c’est-à-dire qu’il n’y a pas de hiérarchie voilà » (L.198-199). L’enseignante a donc la volonté de casser une sorte de hiérarchie semblant naturellement présente dans la classe en temps normal. Fabienne parlera d’une « prise de risque parfois troublante pour l’enseignant » (L.238), mais ne s’affirme ni adulte, ni enseignant ni possédant un statut d’élève. Elle reste très vague par rapport à son statut. Finalement, observons que tous les enseignants ne semblent pas être en accord, entre eux et même avec eux-mêmes, lorsqu’ils doivent définir leur statut dans la pratique du dialogue philosophique. Aline en 1.2 résume très bien le ressenti que nous pouvons retrouver chez plusieurs d’entre eux : Finalement pour l’enseignant c’est parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur parce que c’est pas tout facile mais ça fait du bien un peu de pas rester, de pas être tout le temps dans juste la transmission du savoir, cette co-construction est hyper intéressante[…] (L.273-276). 136 Si nous retournons quelques instants à la théorie, nous observons que ce statut de l’enseignant reste également très vague. Il est vague par la liberté finalement qui est laissée à chaque enseignant d’agir comme il le sent. Gagnon (2005) explique : « (…) le professeur est davantage animateur, celui dont le rôle est de faciliter la délibération entre les pairs en intervenant de manière significative et judicieuse, le plus souvent sous forme de questions » (p.1). Dans cette explication du rôle de l’enseignant, les mots « significatif » et « judicieux » reviennent finalement aux normes que chaque enseignant se donne et au sens qu’il accorde à ces mots. Nous avions vu dans le cadrage théorique que le degré de guidage peut être différent selon les pédagogues. Nous observons dans notre cas des enseignants toujours présents mais intervenant différemment. Loin de l’absence d’interventions prônée par Lévine, les enseignants restent cependant mitigés sur leur manière d’intervenir. Tozzi (2003) en fait également part : « Le maître ne devrait donc être ni dominus ni magister. On en vient alors à se demander si le mot « maître » est bien encore celui qu’il faut employer pour ce personnage en voie d’effacement ». A plusieurs reprises, et autant chez Fabienne que dans la théorie, nous retrouvons le terme « animateur » remplaçant le mot « enseignant » et rendant ainsi le statut plus neutre face aux élèves. Il est ici intéressant de noter une variation ressortie entre deux enseignants concernant le degré de guidage des enseignants. En observant Alexandre Herriger38, Aline dit : Je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et j'ai essayé d’intervertir plus, car on se pose des questions, quel impact ça a d'intervenir un peu plus, de poser plus de questions, si on a plus de relances, et maintenant j'en suis un petit peu là. (L.333-335) Ici, l’enseignante se dit intervenir plus afin de mieux guider les élèves et approfondir le dialogue. Au contraire, Fabienne déclare que l’évolution dans sa pratique a été d’intervenir de moins en moins : « […] on apprend soi-même à lever le pied un peu à peut-être moins intervenir. Moi je crois que c’est ça, […] que ce n’est pas parce que je suis un peu en retrait que je ne suis pas présente... » (L.468-470). Faut-il donc intervenir de moins en moins ou de plus en plus afin d’affiner la réflexion des enfants ? Ici encore les réponses divergent. Dans tous les 38 Formateur et intervenant spécialisé en philosophie pour enfants 137 cas, l’enseignant est appelé à guider ses élèves, que ce soit en intervenant plus ou en intervenant moins. Cela peut aussi dépendre du groupe classe et de la manière que l’enseignant envisage son guidage. Dans tous les cas, comme le dit Tozzi (2003) : « Quel que soit son degré de guidage, il reste en retrait sur le fond (le contenu des solutions aux problèmes) pour que les élèves s’autorisent à penser sans être dans son désir de (bonne) réponse »39. Tozzi montre que finalement quel que soit son intervention, le maître possède réellement un statut différent. Par rapport à nos informateurs, nous pouvons affirmer que si ceux-ci semblent agir différemment, cela vient de leur personnalité, élément parfois soulevé par les enseignants lors des entretiens. Que font-ils sur le terrain ? Ce vers quoi les enseignants tendent L’enseignant questionneur Quoique semble être le statut de l’enseignant et l’attribut que lui donnent les enseignants, tous convergent vers l’idée que lors des dialogues, il faut questionner. Cependant, même dans cette idée largement partagée, nous pouvons dégager deux axes différents à propos du questionnement. Si donner du sens aux apprentissages rime donc avec répondre aux questions des élèves, nous pouvons ainsi mieux comprendre pourquoi tous les informateurs questionnés mettent beaucoup l’accent sur le rôle du maître comme étant celui qui reste sur le questionnement. En observant quelques propos des informateurs rencontrés dans le cadre de cette recherche, nous comprenons que si les enseignants prennent la parole, c’est pour premièrement questionner : « l’enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Réponse ni La Vérité » (Eléonore, L.399-400). Tozzi (2003) fait également ce rapprochement lorsqu’il explique : […] le maître reste sur le questionnement […] Il est là pour accompagner le tracéméditatif de chacun et le travail collectif de la classe, sur une question considérée comme une énigme de la condition humaine avec laquelle chacun doit apprendre à réfléchir. Fabienne explique également que le rôle de l’enseignant est de « (…) soutenir le questionnement des enfants en apportant les outils nécessaires » (L.611-612). Pour tous les enseignants, il s’agit de questionner les élèves, l’enseignant est donc un poseur de questions, le but étant de lancer plein de questions pour que « tranquillement ça émerge » (Eléonore, L.106). 39 Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm 138 L’enseignant est donc vu comme une personne posant des questions pertinentes. Cependant, pour d’autres, il s’agit aussi d’inciter les élèves à se poser des questions, soutenir le questionnement des élèves, les amener à se poser des questions (Aline, Eléonore et Fabienne). L’enseignant est donc poseur de questions et incite le questionnement, dans tous les cas, il le soutient. Tozzi (2003) affirme : « (…) quand il pose des questions, ce n’est pas pour avoir la bonne réponse, mais pour faire rebondir, aller plus loin, inciter à problématiser, cheminer, et non à conclure ». Soutenir le questionnement est alors considéré comme un aspect central dans l’animation des discussions à visée philosophique. L’enseignant guide et ses outils Les enseignants semblent être d’accord sur le fait que leur rôle est aussi de relancer la discussion par des questions. Aline explique : « je fais des relances afin d'inciter les élèves à se poser davantage de questions » (L.413-414). Brigitte et Chloé utilisent aussi ce mot à plusieurs reprises dans leurs réponses. De plus, il doit guider les élèves dans leurs réflexions sans pour autant poser son savoir. En effet, ce terme est repris par Chloé (2.2) et Fabienne (2.2). L’enseignant demande aussi souvent aux enfants de reformuler leurs pensées ou celles d’un autre. Par ses relances et son rôle de guide, il semble avoir une place importante et est au centre de la discussion par son animation. Les enseignants prennent également la parole pour relancer une discussion : « Mes interventions sont verbales, ce sont des relances, jamais je ne donne mon avis, très souvent je repose des questions, demande des éclaircissements » (David, L.426-427). Pour pouvoir guider au mieux leurs élèves, les enseignants à priori tentent de s’imaginer la communauté de recherche qui aura lieu dans leur classe en tentant d’imaginer quelles habiletés de pensée que leurs élèves pourraient utiliser, lesquelles ainsi il serait intéressant de travailler et de développer avec eux. Il y a donc un intérêt des enseignants à travailler les habiletés de pensée. Aline le dit ainsi : il faut « voir quelles habiletés de pensée ils pourraient sortir, il y a toujours une préparation en amont. (…) se poser soi-même la question "bah tiens, quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec ce texte?" » (L.163-164). Eléonore partage cette idée : « Parce que justement le but c’est de développer chez les enfants les habiletés de pensée donc qu’on fasse des exercices pour que les enfants comprennent l’importance d’un exemple d’un contre-exemple (…) » (L.144-145). D’autres imagineront le chemin que pourrait prendre la discussion en tentant de penser à ce que pourrait induire les éléments apportés au cours de la discussion et affirment qu’il est toujours bien de savoir par 139 où la discussion pourrait se diriger. Bref, avoir une idée du cheminement : « Qu'est-ce que ça peut induire? » (Aline, L.169), « (…) il faut que tu aies prévu par où ça va aller » (Chloé, L.341), « (…) c’est bien de préparer à l’avance car on a soi-même des pistes, ou je présente une autre situation ou je donne des exemples, c’est toujours bien de savoir (…) » (Fabienne, L.328). Aline, David et Fabienne préparent à l’avance des relances par des questions ou des pistes de réflexion permettant de relancer la discussion. Aline et Chloé insistent par contre sur le fait qu’il faut également savoir lâcher toute préparation, car l’enseignant ne peut jamais être sûr de la direction que prendra le dialogue : « Après il faut savoir la lâcher et se dire que j’avais pas du tout prévu que ça parte comme ça et finalement ça vient avec la pratique aussi. » (Chloé, L.342-344) « Mais on ne peut pas rester croché non plus là-dessus parce que on sait jamais où ça va nous emmener » (Aline, L.170). Si l’enseignant ne lâche pas ce qu’il a anticipé pour suivre les idées des élèves plutôt que d’imposer les siennes, il est alors dans un statut qui le rend manipulateur tentant d’imposer des éléments qu’il a préparés. Gagnon (2005) tire également la sonnette d’alarme à propos de l’utilisation de plans de discussion : Etant donné leur structure, les guides d’accompagnement nous contraignent à toujours partir des thèmes pour développer une idée de manière critique et créative. […] il devient probable qu’un animateur soit tenté de diriger la discussion vers ce qui est inclus dans le guide, quitte à ne pas suivre l’intérêt du groupe, de cesser d’intervenir de manière significative faute de repères ou de diriger en mettant ses propres conceptions ou convictions au premier plan. (p.5) Ainsi, une préparation trop fine ferait perdre le déroulement naturel du dialogue et pousserait l’enseignant à diriger les paroles des élèves. Ils proposent également des exercices aux élèves. Les informateurs parlent d’exercices en philosophie, démontrant qu’il ne s’agit pas uniquement de discuter mais également de s’entraîner et de renforcer quelques aspects. Par rapport aux exercices de philosophie, Aline et David avouent qu’ils sont en difficulté à utiliser les exercices proposés par la méthode Lipman. Aline dit : « moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je trouve que quand on fait ça on ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma position d'enseignante. » (L.153-154) et David ajoute : « Moi je trouve les exercices pas terribles ça je suis assez d’accord avec vous, en fait je les utilise pas. Mais les plans de discussion ils sont super. » (L.375-377). Ces enseignants ne semblent pas être à l’aise avec ce qui est proposé. D’autres 140 font des exercices sans rencontrer trop de difficultés afin de pouvoir entraîner l’acquisition d’habiletés de pensée. Eléonore dit : « ce que j’essaie de faire c’est une ou deux ou trois discussion en communauté de recherche et la fois d’après on fait un exercice du classeur » (L.141-143). Fabienne dit également faire des exercices en classe : « (…) parce que des fois y a des exercices et alors dire « voilà ça fait 2-3 séances qu’on discute aujourd’hui je fais un exercice précis, je travaille une habileté précise ou on je ne sais pas par exemple des métaphores en disant on est fort comme un ? Doux comme un ? Voilà… et puis tout d’un coup ça les force à chercher des images et vous pouvez les mettre par groupe de deux et alterner de temps en temps comme ça et souvent c’est des exercices très terre à terre (…) » (L.335-341). Loin d’une posture autant en retrait que l’on pense, l’enseignant est un réel guide pour permettre aux élèves de pouvoir mieux développer leur pensée. Sans lui, il n’y aurait sûrement qu’opposition de points de vue où chacun défendrait son terrain. La réflexion de l’enfant au centre Ce principe, mis en avant par le courant de l’Education Nouvelle veut que les individus participent activement à leur formation. Ce courant affirme qu’il faut partir des centres d’intérêts pour pouvoir susciter un esprit de découverte et coopération. Nous retrouvons ce principe dans les méthodes actives et par exemple dans la pratique du dialogue philosophique, lorsque les questionnements partent de l’intérêt des élèves dans le but d’explorer des solutions de manière commune. Ainsi, toute la matière de la discussion partirait des enfants : « Un adulte donne pas son avis et surtout ce qui est différent, c’est que c’est les enfants qui font avancer le cours » (Brigitte L.461-462). « Vous voyez vous allez chercher, partir voilà des matériaux que vous apportent les enfants et vous allez les pousser plus loin » (Fabienne, L.316). Ainsi, en partant des questionnements et apports des élèves, les enseignants profitent d’utiliser ceux-ci pour tirer les élèves et les emmener plus loin dans leur pensée : « aller chercher un peu le timide » (Chloé, L.302) « là tu as un rôle clé pour essayer d’aller chez eux "et toi qu’est-ce que tu en penses? Et est-ce que tu es d’accord avec ça? Estce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" » (Eléonore L.118-119). Nous retenons ainsi que dans leur procédé, les enseignants choisissent de partir des enfants pour ensuite les tirer plus loin dans leur réflexion. L’enseignant se permet d’aller chercher en eux des éléments faisant avancer la discussion. Il repart toujours de ce que les élèves apportent. De plus, les enseignants affirment être eux-mêmes en recherche avec les élèves lors des dialogues. Aline affirme qu’elle fait partie de la communauté de recherche : « Je n'ai plus la 141 casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche » (L. 412) David lui dit qu’il possède : « Un statut de chercheur comme les élèves, mais en plus vieux ! » (L.448) et soutient « Je suis juste là non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. » (L.450-451) et affirme que c’est presque un prérequis à ce que les élèves s’investissent « Si vous êtes en recherche avec eux, alors là ils vont se mettre en recherche » (L.25). Aussi, le rôle de l’enseignant semble primordial et être au centre du dialogue : « Je ne pense pas qu’on doit se retirer de la discussion mais on est au cœur de la discussion sauf que nous on est l’accoucheur » (Eléonore, L.109-110). Retenons que l’enseignant est au centre de ce qu’il se passe, autant par sa capacité à aller chercher ce qui résonne chez les élèves, qu’en s’investissant lui-même dans cette recherche, sans pour autant faire part de ses idées. L’enseignant garant Nous retrouvons dans les paroles des enseignants le terme « garant » qu’ils se disent devoir être envers les élèves. Ce que nous pouvons observer de différent chez ces enseignants est la définition qu’ils attribuent au mot « garant » prenant une place importante dans leur rôle. Quatre enseignants utilisent ce mot mais tous ne mettent pas la même idée derrière. Certains affirment qu’ils doivent être garant des règles, du cadre et de la sécurité : « Je pense que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre de la sécurité » (David, L.450-451) « je suis garante de la sécurité des élèves » (Aline, L.412-413) Eléonore affirmera qu’elle est garante de l’honnêteté philosophique de la discussion : « Voilà et c’est pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur parce que justement on est au cœur. Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philosophique. […] Ça veut dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et pas en train de faire autre chose » (L.120-122) Fabienne se dira elle garante du respect entre les élèves « vous êtes garante de ce cadre-là, vous êtes garante du respect que les élèves s’accordent » (L.292-293) Relevons que les quatre enseignants tentent de donner une authenticité dans les dialogues philosophiques, mais tous n’agissent pas sur les mêmes éléments. Bien que les enseignants semblent mettre un sens différent derrière ce qu’ils appellent la garance, nous retrouvons cette idée chez Tozzi, qu’il existe d’un certain contrôle de la situation afin de garantir un climat dans lequel les élèves pourront chacun faire part de leur idées et ré142 fléchir : « Il instaure et garantit un climat de sécurité et de confiance avec les élèves (…), et entre les élèves eux-mêmes. »40 (2003). Tozzi explique également ce concept d’enseignant garant : « Même non interventionniste, le maître reste présent, il est le garant des lois, des règles, de l’éthique communicationnelle par laquelle les élèves ne travaillent pas seulement à dépasser l’opinion, mais à intérioriser des valeurs (….) »41. Dans cette recherche, nous avons pu démontrer sur ce point que quel que soit le statut de l’enseignant et quel que soit son degré de guidage ou d’intervention, il reste, pour les élèves, une sorte de protecteur du dialogue. Que disent-ils ne pas faire sur le terrain ? Ce vers quoi les enseignants tendent. Un enseignant neutre, en théorie non jugeant des positions des élèves Les enseignants font très souvent attention à ne pas prendre parti. Nous retrouvons cette idée dans leurs interventions : Vous n’êtes là ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour juger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est bonne ou pas peut-être qu’elle est bonne, peut-être qu’elle n’est pas bonne enfin je dirais même que toutes les questions sont bonnes. Ca dépend de ce qu’on va en faire (David, L.25-32). Tozzi (2003)42 affirme : « Le maître donne un statut positif aux questions des enfants, même et peut-être surtout celles qui l’embarrassent le plus, et qui ne vont pas sans soulever des problèmes psychologiques, éthiques, déontologiques, philosophiques sur les réactions et réponses possibles ». Nous comprenons donc l’importance de ne pas prendre parti ou soumettre des idées aux élèves lors du dialogue. Eléonore explique que les interventions des enseignants doivent être neutres dans le but de ne pas manipuler la pensée des enfants mais plutôt de les aider à penser : « on n’est pas là pour manipuler les enfants c’est vraiment, effectivement ça peut-être un danger une personne malveillante elle peut utiliser la communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà nous on n’est pas là pour les manipuler, pour leur imposer notre point de vue on est là pour les aider à penser par soi-même ». 40 Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm 42 Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm 41 143 Gagnon (2005) confirme ce point de vue: « l’animateur ne doit pas porter de jugements de valeur sur les idées des jeunes, mais bien les inviter à justifier leurs pensées et à évaluer ces justifications par et pour eux-mêmes » (p.2). De plus, nous apprenons que l’enseignant n’est pas là pour poser son savoir : « Je suis juste là non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. » (David, L.450-451). « On n’est pas là pour lui dire ce qui est vrai ou pas vrai on est là pour respecter la pensée de chacun » (Eléonore, L.130-131). Pour conclure ce chapitre, nous pouvons bel et bien affirmer que le rôle de l’enseignant et son statut sont bien différents dans la pratique du dialogue philosophique. Nous avons montré quelles étaient ces différences, que nous retrouvons autant sur le terrain, que dans la théorie. Si le rôle et les attentes de l’enseignant sont différents, une partie du contrat didactique change. Gagnon (2005) explique : « La pratique du dialogue philosophique comporte un renversement de la procédure, en ce sens que nous devons passer d’une pédagogie de la réponse (ou de la présentation du résultat) à une pédagogie du questionnement et de la délibération » (p.11). De même, une enseignante nous a montré comment ce contrat pouvait changer pour les élèves. Du côté des élèves, Chloé fait part d’un changement dans ce que nous pourrions nommer la part du contrat didactique que posséderait l’élève : « Tout d’un coup quand on les met face à réfléchir eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais désarçonnés et tout d’un coup, ils savent plus ce qu’on attend d’eux parce qu’on attend eux-mêmes » (L.254-256). Observons ici que certains élèves connaissent tellement bien leur métier d’élève qu’ils se retrouvent perturbés lors des dialogues philosophiques. Gagnon fait remarquer ceci dans un article datant de 2015 : « En effet, puisqu’il n’est plus question à proprement parler, en CRP, d’aboutir à une réponse prédéterminée qu’il s’agira d’apprendre par cœur, les élèves se retrouvent face à une situation dans laquelle ils doivent modifier la conception dominante qu’ils ont développée quant à leur « métier » » (p.8). David fait remarquer que, souvent, les bons élèves aiment beaucoup moins ces moments philosophiques, mais que par contre il observe combien des élèves, moins doués en classe, peuvent s’avérer très bons en philosophie. Ainsi, si un des biais est celui d’orienter la pensée des élèves, tous les enseignants questionnés m’ont fait part de cet aspect en attirant mon attention sur le fait de devoir rester neutre et ne pas juger les élèves, même avec le moindre levé de sourcil ou autre geste physique minime ! 144 5.3 Retour sur la situation problématisante, la sagesse des six ! Dans ce chapitre, et afin de boucler la boucle, je reviens sur ma situation problématisante présentée aux enseignantes lors des entretiens. En effet, suite à ce travail, et grâce aux six sages ayant eu la gentillesse de partager avec moi leurs pratiques de classe réelles, j’ai pu comprendre mes erreurs. Je vais alors reprendre, dans l’ordre, ma situation et développer au fur et à mesure les points m’ayant empêché de me sentir à l’aise dans mon rôle. Vous trouverez en annexe43 ma situation problématisante commentée par mes soins en fonction des éléments mis en avant par les six enseignants ayant été interrogés dans ce travail. Premièrement, David fait remarquer que dans le titre de ma situation, je semble à première vue pas contente de mon travail effectué avec les élèves. Il est vrai que je n’étais pas fière. De manière humoristique, il relève que je possède un problème de satisfaction face à moi-même et me demande, si, finalement, les élèves sont là pour travailler ou pour me faire plaisir. Ainsi, selon lui, mon titre porterait un jugement sur ma pratique, qui, n’aurait pas sa place ici. Trois enseignantes, Aline, Chloé et Eléonore relèvent la difficulté du moment dans la semaine où j’ai proposé cette activité. En effet, le vendredi en dernière période de l’après-midi n’est pas un moment approprié. La pratique de la philosophie demande aux élèves d’entrer dans un processus réflexif et de pensée, demandant aux élèves une certaine concentration, souvent perdue à ce moment de la semaine. David relève plus loin, à nouveau, un jugement que je m’adresse lorsque j’écris : « […] j’ai beaucoup de peine, sur le moment, à trouver les bonnes questions […] ». Cet élément est à nouveau lié à la satisfaction de l’enseignant qui n’a pas lieu d’être. C’est, selon lui, un jugement, car il n’y a pas de bonnes ou mauvaises questions. L’enseignant n’est pas en mesure de juger la pertinence d’une question d’un élève. De plus, l’élève pourrait poser une question d’apparence simple mais qui relève, dans sa tête, d’autres questionnements peut-être non exprimés par celui-ci. La présence de la coordinatrice est relevée par deux enseignantes. Chloé affirme que la coordinatrice fait finalement peu de remarques sur ce que disent les enfants et Fabienne affirme que la présence extérieure d’une personne « inconnue » dans une communauté de recherche 43 Voir annexe, « situation problématisante commentée et analysée en fin de recherche » p.263-265 145 ne permet pas aux élèves de pouvoir s’exprimer librement, car ils se sentent observés et n’interviendraient pas comme ils le souhaiteraient. Notons ici que cette remarque s’applique également à moi, car étant en train de me faire évaluer à ce moment-là par la coordinatrice, j’ai tenté de faire toujours mieux et me suis peut-être comportée de manière différente que d’habitude. Deux enseignants, et aujourd’hui moi-même, sursautons à l’idée maladroite que j’ai eue, étant d’avoir tenté d’orienter la pensée des élèves. En effet je dis : « Afin de progresser dans le thème et faire un lien pour en arriver à la question de la paix […] ». Ici, je tente clairement d’emmener les élèves là où j’ai prévu et ne permet pas un déroulement naturel du dialogue. Cette orientation est une fermeture au dialogue et le fait d’avoir un cheminement prévu ne relève pas d’une démarche d’animation de dialogue philosophique. Le support utilisé en a frappé plus d’un. La vidéo de l’homme de Tiananmen est un support jugé comme trop difficile par Fabienne. De plus, elle ajoute que cet événement se situe trop loin d’eux dans la passé pour qu’ils puissent d’emblée le comprendre. Au contraire, Chloé affirme que c’est une bonne source mais que la présentation du contexte de cette vidéo est nécessaire pour que les élèves puissent la comprendre. Aline affirme aussi qu’il manque le contexte, que c’est un événement complexe également éloigné des élèves et que c’est un sujet lourd, éloigné de leur réalité. Ce sujet est trop lourd émotionnellement, historiquement et au niveau de leurs connaissances. Parallèlement, Brigitte affirme, elle, que la présentation du contexte dans cette situation n’est pas si nécessaire que cela. Par la suite, j’explique dans ma situation que je souhaitais que les élèves réfléchissent individuellement et par écrit sur la vidéo. Aline affirme que je suis ici dans une position d’enseignante et que ce n’est pas mon rôle en philosophie. Chloé explique également qu’il y a ici un biais de l’enseignement et que c’est une sorte de déformation professionnelle. En effet, suite à mon travail de recherche je me rends compte que, non seulement la philosophie est une pratique commune en classe, mais aussi qu’il est également très difficile de pouvoir parfois mettre ses idées par écrit et que cette manière de faire ne peut que bloquer les élèves dans la construction de leur pensée. Plus loin, j’affirme que les élèves sont bloqués et que je ne comprends pas pourquoi. En effet, sur ce mot « blocage », Aline réagit en disant que cette situation demande qu’un contexte plus précis soit présenté aux élèves. Elle explique également qu’il faut proposer des situations qui sont proches des élèves, qui font partie de leur monde. David, avec humour attire mon atten146 tion sur ce point : il dit que c’est compliqué d’expliquer parfois ce qu’on a compris et que si je voulais vraiment poser cette question aux élèves, j’aurais dû leur demander plutôt ce qu’ils n’avaient pas compris. Chloé remarque que lorsque j’ai tenté de faire deviner aux élèves ce que j’attendais d’eux, je me situais ici aussi, dans une sorte d’orientation de la discussion, qui, comme nous l’avons compris, ne se marie pas avec la pratique du dialogue philosophique. Lorsque plus tard j’explique que les élèves notent des idées, Brigitte m’explique que cette tâche est trop scolaire et David affirme que le but de la pratique est la pratique du dialogue et non celui de l’écriture. Plus loin, Chloé affirme qu’attribuer des rôles aux élèves est une bonne idée, que les élèves aiment bien. Cependant, Fabienne explique que le rôle de secrétaire demande une sorte de formation aux élèves, afin qu’ils ne tentent pas de tout noter et se détacher de la discussion par la quantité d’information à prendre en note. J’avais mis en place également le rôle de gardien du temps, qui a fait réagir quatre enseignants. Aline explique que c’est une mauvaise idée, car l’élève restera croché à sa montre et risque de moins s’impliquer dans le débat. Brigitte me dit qu’elle n’utilise pas ce rôle, mais qu’ils utilisent le son de la cloche en classe. David me demande si l’élève est là pour garder le temps ou plutôt pour réfléchir… et Fabienne affirme que c’est le rôle de l’enseignant de surveiller la montre. Lorsque je demande aux élèves d’écrire en fin de séances quelques points de la discussion qu’ils ont retenu, Chloé me dit que c’est une bonne idée, que c’est une façon de faire un bilanretour mais Fabienne rajoute qu’il serait plus intéressant qu’ils puissent le faire à plusieurs. Nous en venons à l’avis de la coordinatrice sur ma séance. Je dis : « Elle cite quelques unes de mes interventions […] la coordinatrice affirme que je prends position […] ». Brigitte affirme que la prise de position dans mes interventions est inévitable. Elle affirme que dans les interactions verbales, même si la personne ne donne pas son avis, elle agit de toute façon avec des signes physiques montrant son positionnement sur une idée qui lui plait ou non. Elle me demande même de faire l’exercice, de ne pas du tout bouger lorsqu’elle me parle. En effet, il est presque impossible d’être de glace dans une interaction verbale. Chloé affirme que les interventions sont pourtant importantes pour valoriser la parole de l’interlocuteur mais je partage l’idée d’Aline, qui est, que je prends maladroitement position lorsque je dis « On l’écoute, ce qu’il dit est intéressant ». 147 Je regrette en fin de situation problématisante, le fait de n’obtenir qu’une juxtaposition d’idées de la part des élèves, Brigitte dit que le but est tout de même que les élèves participent au dialogue et que dans son cas, elle félicitera toujours les élèves qui auront pris la parole. En revenant du coup sur mes objectifs et en m’apercevant que j’en suis loin, David n’hésite pas à me conseiller de les laisser de côté afin de pouvoir entrer dans le processus en ayant en tête que celui de faire penser les élèves. Pour conclure, je reviendrais sur la fin de ma situation problématisante dans laquelle je me posais des questions sur la manière de gérer le groupe de discussion, de gérer mon rôle et j’affirmais ressentir le besoin d’observer ces pratiques chez des collègues. Je souhaite aujourd’hui remercier tous les enseignants et collègues qui ont pris le temps de me recevoir, me conseiller, me rassurer, me guider, me faire réfléchir sur ma pratique, me fournir du matériel riche et me donner le courage de surmonter mon début difficile et me motiver d’autant plus à continuer de faire penser les élèves en possédant maintenant de meilleurs outils d’accompagnement. 5.4 To do & not to do Dans cette partie et suite à l’analyse et au retour sur ma propre pratique, je propose au lecteur un résumé en quelques points des choses à faire et à ne pas faire dans l’animation du dialogue philosophique en classe. Sûrement pas exhaustives, ces listes permettent de regrouper les éléments mis en évidence par les enseignants interviewés sur le terrain. A vous qui souhaitez commencer… 12 conseils A moi qui souhaite me corriger… 10 erreurs à éviter 1. Pratiquez régulièrement la philosophie 1. Choisir un moment plus adapté dans la semaine 2. Partez du questionnement des élèves 2. Ne pas émettre de jugement sur sa pratique ou sur la pertinence d’une question 3. Soyez garant du respect des règles et de l’honnêteté philosophique 3. Se détacher de sa planification et ne pas orienter le dialogue 4. Guidez-les par des questions de reformulation 5. Intervenez par questionnement 4. Choisir un support adapté, des situations proches des élèves 6. Adoptez un point de vue neutre 5. Contextualiser, si besoin, une situation 7. Ecoutez vos élèves 6. Sortir de la tâche scolaire et du « papiercrayon » 148 8. Préparez un plan de discussion malléable 7. Prendre le temps de choisir et d’expliquer les rôles pertinents qui seront distribués aux élèves 9. Respectez le silence des élèves qui ne souhaitent pas s’exprimer 8. Ne pas passer systématiquement par l’écrit 10. Analysez votre pratique avec d’autres praticiens 9. Ne pas prendre position dans mes interventions 11. Restez humble 10. Ne pas me donner trop d’objectifs à la fois 12. Armez-vous de patience et faites confiance au processus VI. Conclusion : un enseignant perpétuellement en quête dans la construction de la pensée de l’élève Le but de mon mémoire était d’étudier les singularités et spécificités du rôle que possède l’enseignant dans la pratique de la philosophie pour enfants, en mettant en parallèle théorie et pratiques effectives de classe. Pour mieux comprendre ce qui est réellement fait sur le terrain, je me suis penchée sur les propos des enseignants afin qu’ils puissent me préciser leurs actions. Dans ce chapitre, j’ai tenté de regrouper les apports de chacun des informateurs dans le but d’obtenir une vision plus globale des résultats et de pouvoir répondre à mes questions de recherche par la mise en avant de thèmes comprenant régularités et variations. Ma question de recherche au début de ce travail était la suivante: Au-delà des théories, comment les enseignants pratiquent-ils le dialogue philosophique en classe ? Que font-ils et que disent-ils en faire? Quel rôle prend-il dans l'animation des dialogues philosophiques? Ce rôle est-il différent des autres disciplines? Comment se place l'enseignant lors de ces moments de discussion? Comment pense-t-il? Qu’attend-il de ses élèves comme production ? Qu'attend-il que ses élèves apprennent? Quelle est l'intervention de l'enseignant dans ces moments de discussion? Intervient-il un peu? beaucoup? passionnément? Est-ce que les enseignants attendent que les élèves construisent des savoirs? Quels sont ces savoirs? Formalise-t-il lui-même ou laisse-t-il cette tâche aux élèves? Institutionnalise-t-il? Par quels moyens? Quels sont les critères que les enseignants se donnent pour pouvoir affirmer que leurs élèves font bien de la philosophie en classe? Quelles compétences doit-il avoir pour savoir animer une discussion à visée philosophique ? Que font les enseignants dans ma situation? Pourquoi font-ils ce qu'ils font? Quelles sont leurs bonnes raisons de faire ce qu'ils font? 149 Dans les chapitres précédents, j’ai procédé par une analyse thématique des six entretiens de recherches en gardant en tête les différents aspects du rôle de l’enseignant et les différences avec son rôle plus ordinaire. Ces différents points de vue m’ont permis de comprendre et d’observer le nouveau travail de l’enseignant ainsi que la posture différente et particulière qu’il possède dans cette pratique, se détachant de pratiques de classe plus ordinaires. De plus, la préoccupation majeure que je possédais au début du travail était celle de l’animation des dialogues philosophiques et cette recherche m’a permis de retenir des savoirs d’action pour la classe, que je dresserai ci-dessous sous forme de « pistes ». Ces deux éléments, les caractéristiques du changement de rôle de l’enseignant et les pistes retenues, sont reprises chacune ci-dessous. 6.1 Enseignant et pratique de la philosophie : un changement de rôle certain du métier d’élève et de l’enseignant A travers les différents entretiens effectués, nous avons pu comprendre que la plupart des enseignants considèrent leur rôle comme étant différent lors la pratique du dialogue philosophique en classe. Nous avons pu ressortir sept thèmes dont trois portaient particulièrement sur cette différence de statut. Dans cette activité de recherche commune, nous avons vu que l’enseignant ne possède plus la responsabilité de transmettre un savoir aux élèves mais paradoxalement, par ses interventions si elles ont lieu, il met en doute les quelques présupposés des élèves. L’investissement de l’enseignant dans cette pratique n’est pas négligeable. Il est guide, reformulateur de pensée, questionneur, perturbateur et parfois même avocat du diable. Or, nous l’avons vu, les enseignants rencontrent quelques difficultés à nommer et expliquer leur rôle au-delà de cela. Adulte ? Animateur ? Pas enseignant ni élève, le statut reste vague et les enseignants semblent vouloir se dissimuler dans un rôle particulier qu’ils ne nommeront jamais de manière unanime. Si pour certains l’animateur/enseignant intervient que très rarement, pour d’autres, les interventions, de plus en plus fines au fil du temps, permettent dans les deux cas aux élèves de pouvoir exercer leur esprit critique. Ainsi, nous comprenons à travers les théories et les apports d’enseignants sur le terrain que le rôle du maître est différent de celui qu’il a en dehors de cette pratique. 150 Premièrement, nous avons vu l’orientation de l’éducation actuelle envers de nouvelles pédagogies dites plus coopératives et donnant ainsi une place différente à la parole de l’élève en classe. Le statut de la parole est également différent que dans les autres disciplines. L’élève questionne et met en doute chaque idée afin de pouvoir rechercher ce qui fait sens pour chacun d’entre nous sur des questions dites universelles. Une certaine place est laissée à la liberté d’expression dans cette pratique bien qu’elle reste cadrée et normée par des enseignants se considérant comme garants d’une honnêteté philosophique par exemple. La parole est donc laissée aux élèves, loin du rôle que possède l’enseignant dans une branche didactique dans laquelle, par un cours magistral par exemple, il apporte des connaissances à ses élèves. Deuxièmement, dans le contrat même, nous retrouvons des difficultés qu’aussi bien les élèves que les enseignants peuvent rencontrer. Le contrat didactique, bien qu’il ne soit pas explicitement écrit possède, de base, comme nous l’avons vu, une certaine opacité pour les deux côtés (élève et enseignant). La théorie le dit, l’enseignant n’est plus le maître et passe d’une pédagogie de la réponse à celle de la question et nous retrouvons cet élément lorsque dans les entretiens les enseignants nous affirment que les élèves se sentent parfois déroutés par cette pratique, ne sachant plus ce que leur enseignant attend d’eux. Si le contrat didactique est de base opaque, relevons que la pratique de la philosophie le rend différent pour chaque acteur et semble troubler les deux partis, de part le rôle différent de l’enseignant dans cette pratique. Troisièmement, la philosophie ne permettant pas de justifier un savoir et de le prouver, nous avons vu la difficulté que possèdent les enseignants à institutionnaliser et finalement à rendre véridique tout apport de cette pratique. Comment alors nommer l’enseignant, cet adulte ne pouvant apporter de réponses ? A travers les entretiens, nous avons pu comprendre que si l’enseignant ne pouvait apporter de réponses ou de vérités, il pouvait cependant enseigner, ou du moins pointer à un moment donné une démarche de recherche, un processus de pensée que les élèves mettent en place au fur et à mesure. L’institutionnalisation se résume donc pour la plupart des enseignants à faire un retour en fin de séance sur la manière dont les élèves ont pu construire leur raisonnement. Ainsi, nous observons que la touche de formalisation dans cette pratique est assez subtile. Il est donc important de prendre conscience que le statut du maître est différent dans cette pratique et qu’il peut poser quelques difficultés du côté de l’enseignant et des élèves dans la perception de ce qui est à faire ou de ce qui est attendu. Bien que chaque enseignant/animateur gère cette pratique de manière personnelle, selon les objectifs qu’il inscrit derrière, les valeurs 151 qu’il souhaite faire passer ou encore sa personnalité, nous retrouvons à travers les entretiens que les différences dans le rôle exprimées ici sont communes et partagées par les enseignants interviewés. 6.2 Limites de la recherche Ce mémoire a été entrepris avec une méthodologie de type compréhensive. L’analyse peut fournir des pistes de compréhension, mais l’échantillon des enseignants, au nombre restreint de six personnes, ne permet pas de représenter la majorité des enseignants pratiquant le dialogue philosophique en classe. Il est possible de mettre en avant quelques tendances observées dans les réponses aux questions mais je ne peux me permettre en aucun cas de généraliser les réponses des enseignants comme savoir véritable. 6.3 Perspectives Au cours de cette recherche, je me suis rendue compte qu’il pourrait être intéressant d’effectuer des prolongements sur la question à plusieurs niveaux : Il serait intéressant de questionner les enseignants de manière plus étendue, avec un nombre plus grand de participants pouvant faire apparaître d’autres tendances ou d’autres variations dans les réponses et permettant ainsi de préciser encore plus les singularités et spécificités du rôle de l’enseignant. L’observation de pratiques de classe réelles sur une longue période permettrait d’affiner et de comparer dans quelle mesure mes résultats se confirment ou non. De plus, elle permettrait de dégager des pratiques dont les enseignants n’auraient pas forcément conscience. Ainsi, suivre un élève sur une année entière de scolarité permettrait de voir la manière dont il peut construire sa pensée en fonction des outils que l’enseignant lui met à disposition. Questionner les enseignants sur leur rôle dans les disciplines didactiques et dans cette pratique pourrait permettre de mettre en avant d’autres éléments de distinction ou de rapprochement entre ces deux type d’enseignement/animation. 152 6.4 Cheminement personnel Dans un premier temps, je mettrai en avant la chance que j’ai eue cette année de pouvoir me plonger entièrement dans le rôle de chercheuse, posture qui attirait ma curiosité au cours de ma formation initiale, lorsque j’ai eu l’occasion d’effectuer de petites recherches dans certains cours. J’ai pu me plonger cette fois-ci dans une véritable recherche de théories, me faisant prendre conscience de l’ampleur de la tâche et du nombre toujours grandissant d’études pouvant toucher à un sujet que l’on pense parfois peu exploré. J’ai pu intégrer ce rôle de chercheuse et de questionneuse auprès d’enseignants lors des entretiens, ce qui m’a permis de côtoyer de vrais professionnels m’aidant ainsi à construire des connaissances sur le sujet. Ce travail m’a permis de répondre à de nombreuses questions que je possédais en début de pratique avec mes élèves et il m’a apporté des pistes pertinentes sur la manière dont je peux me corriger dans ce rôle particulier. J’ai observé bien évidemment une évolution dans ma manière de penser la philosophie pour enfants. Au début, je l’imaginais comme une discussion permettant aux élèves de dire de belles paroles et des idées touchantes. De plus, impatiente, j’attendais trop de la part de mes élèves et il était peut-être trop tôt pour leur présenter parfois les supports que j’ai utilisés. Aujourd’hui, je considère cette pratique comme une réelle construction de l’esprit critique avec ses composantes de logique, se rattachant à plus de choses que je ne l’imaginais. J’observe beaucoup plus facilement les liens que présente la philosophie avec les autres compétences que demande l’école et je considère que cette pratique permet une réelle construction d’une démarche réflexive, transposable à beaucoup d’autres domaines dans la vie de l’école et de tous les jours. Cette recherche n’a pas été sans embûches. Il m’a été difficile cette année de jongler entre cette recherche et mon entrée dans le métier, représentant également le grand saut dans la profession. Beaucoup d’éléments sont à assimiler dans l’entrée dans la profession mais la pratique de la philosophie me laissait cependant un goût d’inachevé que je devais approfondir. Il a parfois été difficile de gérer les envies de projets que je souhaitais mettre en place dans ma classe et cette envie, en parallèle, de creuser un sujet me portant à cœur. Je pense avoir réussi cette année à travailler sur ces deux casquettes que je possédais, celle de chercheuse et celle d’enseignante. Je pense posséder aujourd’hui, grâce à cette recherche, les clés pour continuer dans l’animation du dialogue philosophique en classe, une pratique qui pourra sans cesse s’améliorer grâce aux échanges que j’ai pu avoir cette année avec des enseignants chevronnés. Cette recherche m’a également permis de tisser de nombreux liens avec des enseignants et des 153 personnes extérieures, des associations ou encore des écoles me permettant ainsi d’échanger autour du métier d’enseignant, et pour la suite de ma carrière, sur cette pratique encore peu présente en classe. 154 VII. Bibliographie Agostini, M. (2007). Généalogie du concept de "communauté de recherche" : C. S. Pierce, J. Dewey et M. Lipman. [En ligne] Diotime, (n°33). Consulté le 2 août 2016 dans http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32827 Auriac-Slusarczyk, E. Claquin, F. Halté, A. Specogna, A. & Vinatier, I. (2011). 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Grille d’entretien 3.2 Préparation à priori, que fait l’enseignant-e ? --ee 1.1 Qu’est-ce que la philosophie/philosopher pour l’enseignant-e ? 1.2 Pourquoi l’enseignant-e pratique-il/elle la philosophie avec ses élèves ? 3.3 Quelle est sa place lors du débat ? (physiquement) Que fait-il/elle concrètement ? 1.3 Quels sont les objectifs scolaires ? 3.4 Quelles sont ses interventions ? De quel type ? Dans quel but ? 1.4 Quels sont les apports de cette pratique pour l’enseignant-e et les élèves ? 3.5 L’enseignant-e formalise-til/elle ? Institutionnalise-til/elle ? 5.1 L’enseignant se rappelle-til de la première fois qu’il a fait de la philosophie en classe ? Comment était-ce ? Quelles sont différences ou similitudes avec l’expérience ? 3.6 Que doit faire l’enseignant pour permettre aux élèves d’atteindre les objectifs ? 5.2 Y a-t-il eu une évolution sur la perception de la philosophie de l’enseignant ? 4.1 Y a-t-il selon l’enseignant-e des acquis visibles chez les élèves ? 5.3 Y a-t-il eu une évolution de la part de l’enseignant sur sa manière de travailler la philosophie en classe ? 4.2 Quels sont les indices permettant à l’enseignant-e d’avancer, réguler ou vous rendre compte des progrès de ses élèves ? 4.3 Comment observer si les objectifs sont atteints ? 4.4 Comment régule l’enseignant-e avec les élèves qui ne prennent pas la parole ? 2.2 Quel est le statut de l’enseignant-e dans ces moments ? Quelle est sa place professionnelle ? 160 5.4 Quels conseils donnerait l’enseignant à un enseignant débutant souhaitant expérimenter la philosophie en classe au niveau de son rôle, sa place ? 5.5 Qu’est-ce qu’un enseignant qui pratique bien la philosophie ? Situation problématisante Philosophie ou discussion de café ? Depuis le début de l’année, tous les vendredis en dernière heure de l'après-midi, je fais de la philosophie en classe, enfin, je me demande si j'en fais vraiment. J'ai décidé de faire mon mémoire sur ce sujet et beaucoup de concepts se percutent dans ma tête : les habiletés de pensée que propose Sasseville dans son livre, les questions de relance, les éléments à observer, faire argumenter les élèves, contre-exemplifier, etc. Malgré une grille de relance très complète trouvée dans ce même livre j’ai beaucoup de peine, sur le moment, à trouver les bonnes questions afin d'approfondir les pensées qu’ont les élèves. Je laisse petit à petit tomber cette grille pour agir le plus naturellement possible lors des discussions. Vendredi 23 novembre, en dernière période de l’après-midi, je propose aux élèves le moment philosophie du vendredi. La coordinatrice pédagogique est présente pour m’observer et m’évaluer. Sa présence ne me perturbe pas beaucoup et je me sens agir comme d'habitude face aux élèves. Avec ceux-ci, nous avons beaucoup travaillé sur les questions de violence et de guerre en philosophie. Afin de progresser dans le thème et faire un lien pour en arriver à la question de la paix, j’ai décidé de leur montrer la vidéo de l’homme de Tiananmen . Les 1 élèves ont visionné le film mais ne comprenaient pas bien de ce qu’il s’agissait malgré une deuxième vision de l'extrait et une courte introduction du contexte. Après visionnage du film, je voulais que les élèves réfléchissent individuellement à ce qu’ils avaient vu en répondant à deux questions : « Ce que je comprends, comment je décris la scène, mes réactions » et « les questions que je me pose ». Les élèves sont bloqués et je me demande pourquoi. Je décide alors de dégager le thème principal avec eux. Ils m’en sortent plusieurs, pas faux mais ne me satisfaisant pas. Je leur ai finalement fait deviner ce que j’attendais d’eux et je crois que ce n'était pas la meilleure manière de pouvoir les engager dans une discussion. Ensuite, pendant quelques minutes, ils ont noté des idées puis ils se sont réunis en cercle pour discuter. Comme d’habitude j’attribue les rôles de distributeur de parole, secrétaire et gardien du temps. Lors de la discussion il m’est arrivé d’ôter le rôle de distributeur de parole afin que je le gère moi-même pour permettre de prendre les élèves dans l’ordre et donc de ne pas avoir des changements d’idées trop rapide. L’élève secrétaire me dit qu’il n’arrive pas tout à noter je lui dis alors de noter quelques idées principales. En fin de discussion, je renvoie les élèves à un travail individuel en leur demandant d’écrire sur deux points concernant la discussion qui 161 vient d'avoir eu lieu « ce que le groupe a dit lors de la discussion » et « les nouvelles questions que je me pose ». Les élèves me rendent ensuite leur feuille. Les nouvelles questions qu’ils se posent sont pour moi un appui pour proposer les fois suivante une thématique en lien avec celles-ci. Après cette après-midi, la coordinatrice me fait un retour sur mon moment de discussion philosophique et me demande tout d’abord mes impressions. Je lui explique qu’il est difficile pour moi de gérer ces moments, car ils me paraissent plus compliqués que ce qu’ils en ont l’air. Je lui explique que le plus grand défi de l'enseignant, ici, est de se retirer de la discussion, chose que je n’arrive pas à faire au vue de mes nombreuses interventions. Elle cite quelques unes de mes interventions lors de la discussion: "oui, très bien", "ok", "On l'écoute, ce qu'il dit est intéressant". Ici la coordinatrice affirme que je prends position dans la discussion et attire mon attention sur le fait qu'il manque également un contexte plus précis pour que les élèves situent5 mieux l'événement, car finalement les élèves posaient beaucoup de questions en relation avec le contexte. Elle affirme que ces questions sont cependant légitimes, sinon les élèves n'arrivent pas à généraliser le problème. Selon elle, les élèves n'exprimaient qu'une juxtaposition d'idées et je serai ici à côté de mes objectifs de reformulation, exemplification et autre qui compose la discussion à visée philosophique. Elle me dit que la régulation à l'intérieur de la discussion est très importante afin de prendre conscience des déplacements, relances que j'ai permis, ou non, aux élèves. Il faudrait selon elle décentrer les élèves le plus possible et trouver des questions qui ne sont pas jugeante de la situation. Suite à cette situation, je me pose plusieurs questions sur la manière de gérer un groupe de discussion. Comment prendre en compte l'entièreté du groupe ? Comment être sûre que les élèves apprennent quelque chose ? Comment les amener à dépasser le monde qui leur est proche pour se poser des questions plus existentielles ? Je ressens le besoin d'observer ces pratiques chez des collègues afin de mieux pouvoir situer le rôle des enseignants lors de ces moments. 162 « Tank Man », quatre angles de vue pour l'icône de Tiananmen Le Monde.fr | 04.06.2014 à 09h47 • Mis à jour le 04.06.2014 à 13h04 | Par François Bougon et Gabriel Coutagne C'est l’image la plus connue de la répression du mouvement démocratique de Tiananmen à Pékin. Elle date pourtant du 5 juin 1989, soit après l'intervention de l'armée contre les étudiants dans la nuit du 3 au 4 sur la célèbre place de Pékin. Elle est devenue un symbole : un homme, sac plastique à la main, fait face à un char, non loin de la place, sur l’immense avenue de la Paix-éternelle (Chang'an), qui traverse la capitale chinoise d'est en ouest. Le surnom donné au rebelle, « Tank Man », est resté dans l'histoire, pas son vrai nom, car personne n’a jamais su ce qu’il était devenu. 163 Philosophie « Tank man », court extrait vidéo Ce que je comprends, comment je décris la scène, mes réactions. Les questions que je me pose Ce que le groupe en dit Les nouvelles questions que je me pose 164 Entretien d’Aline 1 Que pensez-vous de cette situation? 2 Ce qu'il se passe c'est que, c'est normal, vous êtes gourmande au début. Déjà, juste ça [l'ensei- 3 gnante montre l'image qui accompagne la situation, celle représentant la scène de l'homme de 4 Tiananmen]. Je pense que, comment expliquer cela? C'est trop gros. Déjà, ils n'ont pas la 5 connaissance de tout ce qu'il se passe là autour et donc comme ils n'ont pas la connaissance du 6 contexte, ils vont se poser beaucoup de questions. C'est très intéressant mais c'est trop gros. 7 Trop gros dans quel sens? 8 Au niveau émotionnel, au niveau historique, au niveau de leurs connaissances. Ils ne peuvent 9 pas se baser, pour moi, sur un point précis et se mettre tous d'accord sur un point précis car là 10 c'est tellement vaste... Moi, je travaillerais plutôt une photo comme ça au niveau des médias, 11 c'est autre chose. Pas que c'est inintéressant mais pour la philo moi je ne prendrais jamais ça. 12 Parce qu’il me semble qu’avec mon expérience, ça fait un moment quand même que je fais 13 avec tous les âges, il faut être près de leur vie, parler de choses qu'ils connaissent, qui les tou- 14 chent. Parce que si vous partez avec un sujet comme ça vous aurez tout ce qu'ils auront enten- 15 du de leurs parents, mais là ils n'auront rien entendu du tout car ce n’est pas leur période, pas 16 leur monde. Nous on sait ce que c'est. Parce que quand vous m'avez dit ça, je me suis deman- 17 dé si c'était vraiment ça [situation présentée aux élèves], puis après je me suis dit non ce n’est 18 pas possible, ce n’est pas ça. C'est pour ça que je vous ai redemandé. Je vais vous montrer les 19 choses que je fais, mais il vaut mieux prendre quelque chose de simple qui a l'air tout petit sur 20 lequel ils peuvent se poser, dans lequel ils sont dans un jardin connu, un jardin dans lequel ils 21 peuvent parler, avoir des émotions, parce que là, la seule émotion qu'ils peuvent avoir c'est 22 l'image. "Et puis il va être écrabouillé". Du coup, moi-même je n’aurais pas réussi à gérer ce- 23 ci, je le dis franchement. Parce que les enfants vont se poser beaucoup, beaucoup, beaucoup 24 trop de questions annexes pour vraiment... ou alors faudrait faire ça sur dix fois. 25 Voilà, je n’arrivais pas à les centrer sur un thème. Ils restaient vraiment axés sur la photo, 26 l'acte… 27 Mais c'est normal car nous on a la connaissance de ça mais eux pas. C'est déjà quelque chose 28 qui est trop loin d'eux. C'est pas du tout inintéressant mais pas dans ce contexte là. Ou à la li- 29 mite avec des adultes qui savent de quoi on parle. 165 30 Donc le problème vient plus de la source que de l'animation? 31 Exactement. Déjà, dernière période de l'après-midi le vendredi ce n’est peut-être pas le bon 32 moment. Et là déjà, dès le moment où vous vous mettez dans la position "ils devaient répon- 33 dre à deux questions" [l’enseignante pointe sur la situation éducative complexe la phrase sui- 34 vante: "Après visionnage du film, je voulais que les élèves réfléchissent individuellement à ce 35 qu'il avaient vu en répondant à deux questions »], là c'est, on est clairement dans la position 36 de l’enseignant, "voilà, je vous montre une histoire que comprenez-vous? Qu'est-ce que vous 37 en attendez?" Comment je décris la scène, mes réactions. Ce n’est pas du tout ce qu'on ferait 38 en dialogue philo. Et après [pointe à nouveau la situation complexe] "et les questions que je 39 me pose" mais si on a déjà pointé tout ça avant, à cause déjà de ça (montre à nouveau le pas- 40 sage de la situation), vous n’êtes pas arrivée au dialogue philo. C'est n'importe qui, qui n'y 41 arriverait pas. 42 Je me suis demandée si je ne posais pas les bonnes questions ou s’il y avait autre chose. 43 Non. Mais de toute façon ce n’est pas à vous de poser les questions. 44 Mais plutôt pour réorienter, relancer? 45 Mais je veux dire, les questions peuvent être toutes simples ça peut être "pourquoi?" "Pour- 46 quoi tu penses ça?", là il y a toutes les questions dans le bouquin de Sasseville. Moi, quand je 47 fais une présentation philo, j'ai des petits placards que je mets au tableau quand je fais avec les 48 adultes pour les former. Et là on se rend compte quand on voit toutes les questions qu'on peut 49 poser et tout ce que ça cible au niveau des habiletés de pensée, vous vous rendez parfaitement 50 compte que vous ne pouvez pas toutes les prendre. Il faut s'axer sur une ou deux choses c'est 51 tout. "Peux-tu me donner un ou deux exemples"? 52 ... ou une définition? 53 Oui, mais ce qui est bien c'est de faire sortir les critères. On va regarder après sur une retrans- 54 cription (l'enseignante retranscrit certains dialogues philosophique de sa classe). Mais ça, 55 immanquablement, c'était yahou d'avance. "Les élèves sont bloqués je me demande pourquoi" 56 euh... 57 Vous n'auriez pas du tout travaillé là-dessus? 166 58 Non, ah non, non. Bah, déjà c'est trop court. Je vais vous montrer des exemples et vous allez 59 voir la différence. [L'enseignante montre des exemples voir annexes fiches oranges]. Ça peut 60 donner une idée pour eux par la suite, mais il ne faut jamais tout mettre en même temps. [Un 61 temps de l'entretien n'est ici pas retranscrit, l'enseignante montre des exemples de ce qu'elle 62 utilise en classe.] Ça [exemples qu'elle montre] arrive, c'est quelque chose qui se passe dans la 63 classe. Les élèves recherchent les critères. 64 Donc là il n'y a eu aucune intervention enseignante ? (montre la retranscription). 65 Non, ici très peu. Des fois il n'y a pas besoin, dès que ça les touche, il y a plus besoin. Ça ils 66 ont pu tout de suite en parler. Aussi, cela fait un moment qu'ils en font avec moi et j'ai de 67 moins en moins besoin d'intervenir. 68 [L'enseignante montre d'autres transcriptions et regarde plus précisément ses interventions] 69 Je dis "où", "pourquoi?", "Sur quels critères te bases-tu pour dire ceci?". C'est pour vous mon- 70 trer qu'il n'y a pas besoin d'avoir des choses très compliquées et c'est là que vous êtes tombée 71 sur un os. 72 Si on revient d'une manière générale, la philosophie c'est quoi pour vous? 73 C'est vraiment penser, penser ensemble, construction de la pensée, c'est vraiment une com- 74 munauté de recherche la pensée. 75 Et pourquoi vous le faites avec les élèves? Qu'est-ce qui vous tient à cœur ? 76 Je trouve que déjà au niveau du groupe classe, ça amène une cohésion vraiment de classe et 77 ils savent que, pendant ce petit moment-là, il y a vraiment du respect, mais pas du respect 78 comme on en parle tout le temps, il faut respecter ses camarades, pour finir ça devient bateau. 79 Non, le respect dans le sens où il y en a certains qui disent des choses qu'ils ne diraient pas 80 autrement et ça reste dans notre bulle. Alors, je leur dis toujours qu’ils peuvent très bien en 81 parler à leurs parents, car il n’y a pas de raison. Mais ils savent qu'il n'y a jamais quelqu'un qui 82 va se moquer d'eux parce qu'ils ont dit quelque chose à ce moment-là. Et c'est un moment par- 83 ticulier. Et c'est aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe, 84 il y a très peu de moments où on leur donne la parole. Et je trouve ça important. 85 Et pensez-vous qu'il y a en a qui n'ont pas la possibilité à la maison de parler comme ça? 86 Je vois que souvent ça arrive qu'on fasse un dialogue philo et certains viennent me dire qu'ils 87 ont un peu continué à la maison, car quand on fait un dialogue philo on est vraiment en re167 88 cherche et c'est pas dit qu'on trouve des réponses, et la plupart du temps ils repartent avec 89 plein de questions, mais ils ont construit leur pensée avec celle des autres et ce qu'ils me di- 90 sent très souvent, c'est que souvent ça leur fait du bien de se rendre compte que leur pensée 91 n'est pas toujours si différente de celle des autres. C'est une cohésion de pensée et ils peuvent 92 aussi revenir sur ce qu'ils pensaient. Des fois ils me disent "ah moi je pensais comme ça, que 93 c'était comme ça et voilà" et en fait, d'entendre les autres, ils construisent leur pensée autre- 94 ment. Et je trouve qu'au niveau de l'esprit critique c'est très important, parce qu’on ne prend 95 pas les choses comme ça et c'est comme ça. Non, on y pense, on recherche des critères et 96 pourquoi on pense comme ça. On donne des raisons, on fait des hypothèses, on donne des 97 exemples et il y a tout de suite des contre-exemples qui font que ça remet en question et je 98 trouve ça important. 99 Et concrètement, quels sont vos objectifs pédagogiques avec le PER? Est-ce plutôt éducation 100 à la citoyenneté, français? 101 Il y a tout. 102 Y-a-t-il pas une chose plus précise? 103 C'est les capacités transversales, c'est très, très net. Mais moi au début, avant que ça paraisse 104 dans le PER, je mettais toujours dans ma planification sous français 1. Parce que de toutes les 105 manières, prendre la parole c'est au niveau oral, argumenter, alors par exemple quand je fai- 106 sais le texte argumentatif, j'ai tout d'un coup des élèves qui ont levé la main et qui ont dit que 107 c'est pas du tout pareil que quand on fait le dialogue philo, parce que quand on fait argumenta- 108 tif on cherche à convaincre, alors que quand on fait un dialogue philo, on cherche pas à 109 convaincre, on pense ensemble et on construit ensemble une pensée qui va peut-être pas être 110 commune, mais qui sera propre à chacun et qui va s'adapter dans la confiance. Mais la pensée 111 critique des élèves, je pense que ça, c'est important. 112 …pour leur futur? 113 Et pour tout de suite. Puis la cohésion de classe moi j'ai souvent vu. 114 Quels sont les apports de cette pratique pour vous, mais pour les élèves aussi? 115 Disons que je fais partie de la classe, ce qu'il se passe en dialogue philo ça leur montre que je 116 suis comme eux. Dans le sens où, je lève la main quand je veux poser une question, on est en- 168 117 semble je suis comme eux, je ne suis pas l'enseignante qui dit que c'est comme ça ou qu'il faut 118 faire d'une manière et pas autrement, ainsi de suite. 119 Et comment vous vous placez dans ces moments-là? Dans le sens où vous n'avez pas une pla- 120 ce professionnelle, mais pas une place d'élève… 121 Alors justement je n’ai pas une place d’élève dans le sens où je suis garante quand même... 122 ...de la discipline c'est ça? 123 Je dirais pas la discipline, car souvent elle se fait en co-construction entre eux, car quand un 124 sujet est intéressant ils n’aiment pas quand il y en a qui commencent à parler entre eux. Alors 125 souvent, au bout d'un moment, on n'a plus besoin de faire de discipline, mais par contre je suis 126 garante. J’ai deux exemples très nets où j'ai dû intervenir, mais au moment où je suis interve- 127 nue j'ai dit "alors là j'enlève ma casquette d'enseignante, je fais partie de la communauté de 128 recherche, je suis une adulte". 129 C'est donc clairement dit aux élèves? 130 Oui. Donc "là, vous êtes des enfants et je peux vous dire..." parce qu'ils affirmaient haut et 131 fort que toutes les femmes qui voulaient ne pas avoir d'enfants pouvaient choisir d'avoir ou ne 132 pas avoir d'enfants. Et une autre fois, c’était sur les élèves dyslexiques, mais ça figure dans 133 une des transcriptions et à ces moments-là je fais arrêt sur image. Ça m'est arrivé je crois 2-3 134 fois sur 4-5 ans, donc peu. Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d'adulte comme ça, de couper 135 le dialogue, là j'ai réagi comme ça, car ce n’était pas possible de les laisser partir avec quelque 136 chose de trop gros. Mais en posant des pourquoi: "ah bon et pourquoi?" ou en posant des 137 contre-exemples on arrive à les faire eux réfléchir sur le côté un peu bancal du bien fondé 138 qu'ils avancent. 139 Et donc physiquement ils sont en cercle je pense? 140 Non, on va dans la salle à côté, on a une très grande table où on se met tous autour. 141 Donc vous êtes avec eux? 142 Je suis avec eux oui. 143 Ils ont des rôles spécifiques? 169 144 Oui, alors c'est eux qui choisissent, un donne la parole, un observe les hypothèses, un les 145 exemples, les contre-exemples, qu'est-ce qui a fait avancer le dialogue puis après ça dépend ce 146 qu'on est en train de faire aussi, certains aiment bien relever s'il y a eu des métaphores. On a 147 commencé un peu les présupposés, ce n’est pas facile. 148 Et si on entre une peu dans le "didactique" de la philosophie, que faites-vous comme prépara- 149 tion avant? Est-ce que c'est très préparé? Moyennement? 150 Alors moi, pour l'instant je trouve que c'est moyennement préparé, mais c'est ce que je veux 151 personnellement améliorer. Je trouve difficile, j'ai demandé justement à Alexandre s'il pouvait 152 venir une fois dans la classe, car j'ai tous les exercices qu'on trouve dans Lipman etc., pour 153 exercer vraiment, et moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je trouve que quand on 154 fait ça, on ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma position d'enseignante. 155 Qu'ils fassent le lien entre ces deux choses sans ne pas arriver à faire le lien, car j'ai une posi- 156 tion qui est complètement différente. Donc je vais voir avec Alexandre comment il fait ça, car 157 je ne suis pas très à l'aise avec ça. Pour l'instant, je ferai des exercices dans un autre contexte 158 par exemple en français 1, puis après ils feraient des liens, mais à ce moment-là je suis ensei- 159 gnante et on fait du français 1. Mais je n'arrive pas à lier les deux, on devrait normalement le 160 faire, mais moi personnellement je n'y suis pas arrivée car je ne suis pas à l'aise avec ça. 161 Et sans les exercices Lipman, si on part sur un thème ou un goûter-philo est-ce que vous es- 162 sayez d'anticiper les réactions des élèves? 163 Oui, voir quelles habiletés de pensée ils pourraient sortir, il y a toujours une préparation en 164 amont. On n'arrive pas avec un thème comme ça et on verra ce qu'il sort. 165 Les étapes-clés du coup, ça serait quoi? 166 C'est simplement déjà lire le texte, visionner le film ou l'image et se poser soi-même la ques- 167 tion "bah tiens, quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec ce texte?". Par exemple, 168 est-ce qu'on va parler sur le bonheur ou sur la vérité? Là, j'ai sorti un petit bout de texte avec 169 des enfants qui jouent au foot et qui ne trouvent pas juste. Qu'est-ce que ça peut induire? 170 Mais, on ne peut pas rester croché non plus là-dessus, parce qu’on sait jamais où ça va nous 171 emmener. Après il ne faut pas essayer de faire des relances pour que ça ramène vers où on 172 veut. Je pense qu'il faut leur laisser la parole. 173 Du coup quand vous intervenez c'est que des petites questions? 170 174 C’est des relances oui, des « pourquoi »? Sans donner son avis. Car là, quand j'ai relu ce que 175 vous avez fait, vous avez beaucoup donné votre avis. "Ah c'est bien". C'est le plus difficile, 176 c'est à travailler. Même quand on fait ça depuis longtemps, on peut d'un coup être pris par ça. 177 Je trouve même que ça fait vraiment longtemps que je fais ça avec des adultes et des enfants 178 et à un moment donné il faut se remettre en question, pas prendre une espèce de routine. Je 179 me demande si parfois je suis moins bonne qu'à une autre période et il faut nous toujours être 180 en réflexion et toujours revenir sur ce qu’on fait et pourquoi on le fait et comment on le fait, 181 parce qu'on peut changer aussi les choses. 182 Et comment vous amenez justement ces élèves à comprendre la différence entre argument, 183 contre-argument, hypothèses, présupposés? Est-ce qu'ils les classent? 184 Non, alors moi souvent ce que je fais, c'est que je les cite chaque fois qu'ils apparaissent. Par- 185 ce qu'ils font tout ça, ça vient des élèves dans le dialogue. Ils donnent des exemples, des 186 contre-exemples, des hypothèses. C'est là, le rôle de le souligner: "ah ben tel et tel fait l'hypo- 187 thèse que". C'est juste ça et après petit à petit qui disent "ah ben je fais l'hypothèse que". Le 188 passage se fait comme ça. 189 Est-ce que vous institutionnalisez quelque chose à la fin? Ou formalisez quelque chose? 190 Il y a toujours un retour des observateurs, c'est tous les papiers que j'ai là, car il y en a toujours 191 un ou deux qui prennent des notes. Il y a un retour par rapport à ça et souvent, je crois que je 192 ne dis pas grand chose au niveau du bilan retour. Ce qu'il faut faire attention c'est prendre as- 193 sez de temps pour le bilan retour, car on est souvent pris dans le dialogue qui devient de plus 194 en plus passionnant. Déjà, il faut avertir, dire qui parle encore, et après on arrête. C'est le rôle 195 de l'animateur d'être gardien du temps, parce que moi j'ai l'impression que si on donne ce rôle, 196 comme vous l'avez fait, je n’ai pas la science infuse, mais l'expérience m'a montré qu'un en- 197 fant va rester sur la montre alors que l'enseignant va peut-être regarder où on en est du dialo- 198 gue, savoir combien de temps il reste en pensant au retour pour le bilan, et qu'il faut gérer tout 199 ça, mais des fois on y arrive pas. Et souvent, ce que je fais avant le dialogue philo, je le fais 200 avec ma classe, par contre pas avec celle de mes collègues, je fais un tour "ça va, ça va 201 moyennement, ça va pas, j'ai besoin de". Donc ça permet de ne rien régler sur le moment. Un 202 élève dira "moi ça va pas, je me suis fait moquer à la récré parce que je ne jouais pas bien au 203 foot". Ok, j'ai besoin de? " Les autres arrêtent, car c'est difficile pour moi". Mais on en reste 204 là. Par contre, moi je note tout ça et une ou deux fois après, selon ce qu'on est en train de faire 205 et je cherche un texte, ou un bout de film, ou une image, en rapport avec ça. C'est pour ça 171 206 quand vous me présentez cette image (elle montre l'image de l’homme de Tiananmen), il y a 207 trop de choses à apprendre autour avant d'avoir des émotions. 208 Et comment vous voyez les acquis chez les élèves? 209 Quand ils commencent, les acquis c'est déjà le passage de la parole, l'écoute de l'autre, la ma- 210 nière dont ils oralisent certaines choses, les questions posées qui deviennent de plus en plus 211 fines, moins en moins de présupposés, et de plus en plus nettes. Et je vois chez eux aussi 212 l’acquisition de habiletés de pensée, car à force de les manier, ils les font leurs. Ça devient 213 quelque chose de normal. Ils me disent maintenant très facilement "je fais l'hypothèse que", et 214 après il y a un autre qui "oui mais moi j'ai peut être une autre idée " et ça c'est énorme ce qu'ils 215 apprennent. Car c'est pas une discussion qu'on aurait comme ça, car ils font très bien la diffé- 216 rence eux, ils sont dans une posture différente, car quand on discute on argumente, autour 217 d'une table de bistrot et on essaie de convaincre qu'on a raison et que c'est comme ça et pas 218 autrement, et puis tout le monde parle un petit peu en même temps, il n'y a pas de règle par 219 rapport au passage de la parole et tout. Et moi, je vois de plus en plus que les élèves arrivent, 220 avec le temps, à donner eux la parole et pas à la donner au copain. Par contre ce que je fais, 221 c'est que quand on fait des votations pour le choix des questions, je les fais mettre en position 222 hérisson. Ils ferment les yeux car c'est leur vote. Pour que eux ils fassent comme ils y sentent, 223 et pas tiens il y a personne qui lève la main je n’ose pas lever la main. C'est important. 224 Comment faites-vous pour réguler, avancer ou faire des relances? S'il y en a dix qui regar- 225 dent ailleurs? 226 C'est assez rare qu'il y en ait dix qui regardent ailleurs. Il peut y en avoir un ou deux qui dé- 227 crochent, mais comme nous adultes, et ils ont le droit aussi et ils n’ont pas l'obligation de par- 228 ler. Et ce n’est pas toujours ceux qui parlent qui pensent le moins, et au contraire c'est ceux 229 qui pensent le plus. Temps en temps, selon les élèves, je dis « est-ce que tu aurais un exem- 230 ple ? », ou comme ça, mais il faut faire attention quand on le fait, et ils ont peut-être pas en- 231 vie, pour mille et une autres raisons, car on ne sait pas non plus ce qu'ils vivent aussi parfois, 232 et puis ça, il faut aussi prendre conscience. 233 Donc les élèves qui ne parlent pas vous ne les forcez pas? 234 Je peux lancer une question, mais pas souvent. Il ne faut pas prendre à parti. Je pense qu'en 235 tant qu'animateur, on fait aussi beaucoup comme on y sent, et il faut aussi beaucoup rester là- 236 dessus et surtout, si on a la chance de pratiquer la dialogue philo avec des élèves qu'on connaît 172 237 un peu, on sait là où on peut ou moins. Il faut faire attention et il faut être préparé à deux cho- 238 ses vraiment importantes: une, à ce que ça ne fonctionne pas. Je me rappelle d'une fois que 239 tout le monde me parlait qu'il faisait le feuilleton d'Hermès, que c'était super et tout, et je suis 240 venue avec le feuilleton d'Hermès et c'était un flop complet parce que les élèves ont dit « Non, 241 nous on aime mieux d'autres textes ». Mais c'est aussi parce que peut-être moi je les avais plus 242 habitués à des textes ou des situations qui étaient peut-être plus proches d'eux, mais ça dépend 243 de la classe. Une année ça sera comme ça, une autre on pourra aller totalement ailleurs. Moi, 244 souvent je montre une photo, je ne montre pas toujours un texte. Une photo ou une question 245 au tableau, et une fois je me suis simplement mise comme ça sur mon bureau (l'enseignante 246 me montre une position où elle s'avachit sur son bureau). Voilà, c'est tout, et ils ont posé des 247 questions par rapport à ça. 248 C'est vrai qu’il ne faut pas grand chose finalement… 249 Oui, c'est pour ça que c'est trop gros quoi (montre la situation éducative complexe). 250 Quels sont les indices qui montrent qu'on fait vraiment de la philo? Car la coordinatrice pé- 251 dagogique me dit finalement qu'ils lancent juste des idées, mais comment être sûre que c'est 252 de la philo? Est-ce que c'est à partir de ce moment où ils utilisent ces arguments, contre- 253 exemples, hypothèses? 254 C'est dès le moment où on pense sur la pensée de chacun, mais là aussi, je pense qu'il faut être 255 humble. On est tous philosophes et on est tous complètement amateurs. Alors, faire de la phi- 256 lo, verbe faire là... Eux, ils disent toujours, on est là pour penser ensemble. Quand je fais avec 257 les petits à la maison, ils rentrent et disent "aujourd'hui on a pensé ensemble". Et ce n’est pas 258 on a discuté, et vraiment, on pense ensemble. 259 Ok donc vous n'avez pas de critères? 260 Moi, je pense qu'il faut être un peu humble. Les critères, après je pense qu'on peut se les po- 261 ser, il a des questionnaires qu'on peut remplir et je pense qu'on peut être plus fins vis à vis de 262 nous-mêmes. Mais au début, je pense qu'il faut être un peu humble. Il vaut mieux faire bien et 263 quelque chose de petit, que de vouloir faire quelque chose de tout grand, tout parfait, et qu'en 264 fait ça soit monté de toute pièce et manipulé, en fait moi j'y crois pas pas trop à ça. Les dialo- 265 gues philo et communauté de recherche les plus merveilleuses que j'ai pu faire ça été souvent 266 sur une toute petite chose. Et souvent, j'ai fait des communautés de recherche philo, le même 267 texte avec des adultes et des enfants, j'ai eu la possibilité, ça c'est trouvé comme ça et j'ai très 173 268 souvent vu que les enfants avaient des questions précises, fines et que les dialogues philo qui 269 étaient vraiment magnifiques qui étonneraient plusieurs personnes, et ça amène à d'autres 270 choses aussi au niveau de la classe. 271 Est-ce que vous en tant qu'élève, vous avez fait de la philo à l'école? 272 Non, j'en ai fait à l'uni. En fait, j'ai commencé la philo avec les adultes comme je vous 273 conseille de faire en communauté de recherche. Je crois que c'est la meilleure façon. 274 Et là, qu'avez-vous suivi comme formation pour enseigner la philo? Avez-vous suivi des for- 275 mations continues ou alors est-ce qu'on se forme tout seul? 276 Alors moi j'ai commencé par les CRP [Communauté de Recherche Philosophique]. J'en ai fait 277 pendant bien 3-4 ans avant de faire quoi que ce soit dans la classe. J'ai ensuite fait des forma- 278 tions au DIP [Département de l’Instruction Publique] j'en ai faite une, mais je connaissais déjà 279 pas mal et on apprend toujours plus finalement, y a pas de soucis, et puis j'en ai faites le 280 week-end, pendant les vacances, car à Evolène il y des semaines philo. C'est vraiment des 281 moments intenses et je me rappelle très bien les habiletés de pensée, pouf, j'ai mis long pour 282 comprendre un tout petit peu ce que ça pourrait être, et j'en suis encore loin. C'est pour ça qu'il 283 faut rester humble, pour les élèves, et pour nous-mêmes aussi. Je me rappelle une fois, j'ai fait 284 un dialogue philo, j'ai vu Alexandre parce que j'étais en formation, je suis arrivée "oh Alexan- 285 dre, c'était loupé, c'était n'importe quoi..." et le lendemain je suis arrivée "c'était génial!". Et je 286 pense qu'il faut accepter ça et parfois je pense que ça prend pas ou que c'est le sujet, les en- 287 fants ont pas envie ou le groupe, voilà. Alors après, on peut relancer un peu. Mais c'est com- 288 me en classe. On peut donner des magnifiques leçons qui [fait un signe de "se passe pas 289 comme attendu"] et d'autres qui sont faites comme ça et qui vont bien. Ça dépend aussi d'eux 290 et ce n’est pas dit que quand on nous on a l’impression qu'il s'est pas passé grand-chose, ce 291 n’est pas dit que dans leur tête il s'est pas passé forcément grand chose non plus. On ne peut 292 pas juger ça. Puis des fois ils peuvent beaucoup parler, mais que peut-être dans leur tête il n'y 293 a pas eu grand chose non plus. Je pense qu'il faut leur faire confiance, et moi je vois à chaque 294 fois qu'on peut leur faire confiance, c'est vraiment important. Ils sont beaucoup plus riches 295 que ce qu'on pourrait croire. Ça nous donne aussi une vision parfois différente de certains élè- 296 ves qui ne sont parfois pas très scolaires, ou qui en classe, n'ont pas des remarques magnifi- 297 quement pertinentes, et vraiment qui en dialogue philo démontrent qu'ils ont une certaine fi- 298 nesse, une maturité, un esprit critique quand même assez poussé. J'ai souvent des élèves qui 174 299 m'ont étonnée, c'est bien aussi de les voir comme ça, ça enrichit notre pensée par rapport à 300 eux aussi. Moi, je ne vois pas d'effets négatifs. Ça peut être déstabilisant. 301 Est-ce qu'il y a des risques de dérive je me demandais? Parce que finalement la philosophie 302 part beaucoup des valeurs de l'enseignant à la base. Est-ce que, si on extrapole un peu, est-ce 303 que quelqu'un qui ferait partie d'une secte, s'il intervient dans un sens ou guide trop vers un 304 autre, est-ce qu’on n’aurait pas des dérives? 305 Normalement, on ne devrait pas faire ça [orienter, guider], donc il ne devrait pas y avoir ces 306 dérives, mais nul n'est parfait. Moi, selon les sujets, rien qu'en me regardant, mes élèves ça 307 fait trois ans qu'ils me connaissent et des fois je les prends même plus petits, ils me connais- 308 sent ils savent. Ça me fera beaucoup de bien de changer d'école, il y a personne qui me 309 connaît, parce que je suis absolument certaine qu’on ne peut pas être lisse, et ils sont très fins 310 les enfants, ils savent exactement qui on est. Et là, il y a eu un exemple ou tout d'un coup on 311 me pose la question : "Et puis, vous? Vous êtes toujours contente de venir nous enseigner?" la 312 question, elle est venue comme ça, et boum. Donc oui, on ne va pas, disons, on me pose une 313 question, oui, je vais répondre, mais après "et vous? Vous êtes toujours contents?" tout de sui- 314 te on peut relancer la balle, on va ne pas rester là à faire une psychothérapie de groupe sur 315 l'enseignante. 316 Et toujours par rapport à la formation, si vous aviez un désir de vous former par rapport à un 317 point précis qui vous manquerait, ça serait autour de quoi? 318 Moi, en ce moment c'est par rapport à ces exercices sur le sophisme, tous ces exercices que 319 l'on peut faire et sur lesquels je ne suis pas totalement à l'aise. Moi, je pense qu'on peut tou- 320 jours aller plus loin. On est toujours en mouvement et c'est le bon côté de cette formation aus- 321 si. 322 Est-ce que vous pensez que votre regard, votre manière de faire ont évolué depuis la première 323 année que vous avez commencé la philo en classe? Ou depuis votre premier moment? Est-ce 324 que vous vous en rappelez? Si on le compare, y a-t-il eu une évolution? 325 Ça commence à faire un bon moment, que j'en fais systématiquement, toutes les semaines, ça 326 fait 8 ans. Puis avec toute l'école souvent, ça fait 8 ans, plus avec des adultes où j'anime des 327 groupes avec des adultes dans d'autres contextes. 328 Je pense qu'on évolue et je pense qu'à un moment donné il faut faire un petit arrêt sur image et 329 un lâcher prise, se poser des questions sur notre manière de faire pour pas... car il y a une ma175 330 nière de faire et je pense qu'on peut se rouiller. Moi j'observe beaucoup Alexandre, que je 331 connais depuis un moment, au début c'était un peu mon maître, vraiment, et au début je 332 n’intervenais vraiment pas avec les dialogues des enfants par ces petits "pourquoi ?", "as-tu 333 des exemples ?". Mais je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et j'ai essayé inter- 334 vertir plus, car on se pose des questions, quel impact ça a d'intervenir un peu plus, de poser 335 plus de questions, si on a plus de relances, et maintenant j'en suis un petit peu là. Mais après, 336 c'est de nouveau pareil, ça dépend le groupe, le thème du dialogue, de beaucoup de choses. Je 337 continue bien à faire quand même comme je le sens. Ce n’est pas anodin ce qu'on fait, mais je 338 pense que c’est important déjà rien que de leur donner la parole. 339 Qu'est-ce qu'un bon enseignant qui fait de la philosophie pour vous? L'enseignant type par- 340 fait? 341 Un bon enseignant? C'est quoi un bon enseignant déjà? 342 Plutôt un bon animateur? 343 Un bon animateur en philo? Je pense que c'est la première chose c'est l'écoute. Puis après, une 344 chose qui est pas souvent facile à faire, c'est avoir une écoute suffisamment attentive pour pas 345 penser à ce que nous on pense, mais plutôt faire le lien entre ce que les participants disent 346 pour faire les bonnes relances au bon moment et je pense que c'est tout un art et qu'il y a enco- 347 re du travail. Peut-être, c'est intéressant à ce moment-là, de s’enregistrer et se dire "tiens, à ce 348 moment-là j'aurais pu… », bon c'est un peu l'esprit escalier, mais se dire on aurait pu faire 349 ceci, on aurait pu relancer, mais déjà se poser ce genre de questions je pense que ça peut être 350 intéressant. De toute façon, les enfants évoluent, nous on évolue et on évolue avec chaque 351 groupe, chaque groupe a sa couleur et c'est chaque fois différent et c'est ça aussi qui est inté- 352 ressant. Mais je pense que le bon animateur, c'est l'écoute. 353 Est-ce que c'est celui qui n'intervient donc pas du tout? 354 Moi je pense qu'il n'y pas de règles. S'il a une écoute assez attentive et qu'il arrive à mettre en 355 lien aussi les pensées de chacun et faire les relances pour que la pensée circule, ça, il me pen- 356 se que c'est top, mais c'est du travail. Et on a quand même tendance, même quand on anime, 357 de suivre le fleuve, le cours du dialogue avec les autres, et peut-être pas savoir relancer par 358 rapport à ce qu'a dit une personne à la pensée d'une autre personne. Il me semble que c'est ça, 359 mais je ne suis pas professionnelle pour le dire. 176 360 Et les conseils que vous donneriez à un débutant? 361 C'est d'être humble quoi. Et de préférer faire quelque chose de petit et simple que... de vouloir 362 choisir plutôt une fleur, que de prendre direct la gerbe. Voilà, c'est une métaphore, mais je 363 peux pas dire autre chose parce que je pense qu'avec une fleur on peut faire beaucoup, avec la 364 gerbe on va se perdre parmi toutes les fleurs. C'est l'idée que j'en ai, vraiment. 365 Sinon, d'une manière plus technique, vous gardez des traces de ce qui est fait en classe? Les 366 enfants ont-ils un cahier de philosophie? 367 Non, ils n’ont pas de cahier, mais ils voient que je prends note de tout et je garde tout. Il y a 368 pas de secrétaire, mais ceux qui prennent note des observateurs, ou des hypothèses, des critè- 369 res par rapport à des définitions ou autre, mais c'est eux qui choisissent, ce n’est pas moi qui 370 leur dit de faire quoi que ce soit. Ils viennent vers moi, souvent à la fin, et ils me disent "la 371 prochaine fois, j'aimerais donner la parole, ou la prochaine fois j'aimerais...". Ceux qui veulent 372 pas trop parler parfois ils aiment bien faire ça, parce qu'ils ont la possibilité, ou de ne pas par- 373 ler du tout et de s’occuper que de ça, ou de quand même faire partie et de prendre, mais à ce 374 moment-là ils se mettent à deux. Comme ça ils peuvent s’entraider à faire le bilan. Je sais qu'il 375 y a des gens qui utilisent le cahier de philo. Mais de nouveau, s’ils passent à ce moment-là 376 trop par l'écrit, on revient de nouveau à une tâche scolaire. Tout est faisable, mais il y a des 377 choses différentes. On peut faire à un autre moment une partie écrite, ou autre. En fin d'année 378 passée, quand ils n'étaient plus aptes à faire quoi que ce soit et qu'il y avait toutes ces polémi- 379 ques avec les attentats, menaces d'attentat à Genève, je leur ai demandé de faire un journal 380 positif, je leur ai demandé de chercher dans tous les journaux. On a aussi fait des maths en 381 cherchant combien de pourcentage il y avait d'articles positifs, neutres et négatifs, et ceux où 382 on ne comprend rien aussi, car il y a un pourcentage d'articles qu'on ne comprend pas du tout. 383 Après, ils ont ressorti chacun un ou deux articles positifs, ils ont expliqué pourquoi ils ont res- 384 sorti cet article positif. C'était vraiment le travail individuel. Puis après on l'a trié, catégorisé, 385 car il y a les sports, la politique et autres. Ça leur a pris une semaine et demie à travailler sans 386 se rendre compte. Donc après, c'est ça aussi l'esprit critique. On avait travaillé aussi sur les 387 affiches des votations, pour ou contre les devoirs, voir comment c'est tourné, les verbes etc. 388 C'est une manière aussi d'aiguiser leur esprit critique. Ça amène à plein de choses et après ils 389 font des liens, car quand on fait avec des élèves le texte argumentatif voilà, comment on fait 390 des manières habituelles et que tout d'un coup on voit les enfants qui disent que c'est vraiment 391 le contraire d'un dialogue philo, moi au moment où ils m'ont dit ça, j'étais contente car ça veut 177 392 dire qu'il réfléchissaient à certaines choses et qu’ils faisaient des liens aussi ce qui entre dans 393 les capacités transversales, c'est aussi ça. 394 Avez-vous des choses à rajouter? 395 [Elle relit la situation complexe] Un contexte plus précis c'est ça. "Oui très bien", "Ce qu'il dit 396 est intéressant", c'est comme quand je vous disais quand je fais un tour « ça va - ça va pas », 397 ou quand il y a des histoires au foot, j'ai un petit texte qui parle de trois enfants qui ont un pe- 398 tit souci avec ça. On parle du texte, mais pas de leur histoire, ils peuvent se reconnaître et ils 399 peuvent dire des choses sans parler d'eux. 400 Demande de renseignements complémentaires par mail 401 Pourriez-vous m'indiquer : 402 Le degré scolaire de votre classe actuellement ? 403 6-7-8P 404 Le nombre d'années d'enseignement total ? 405 25 ans 406 Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ? 407 8 ans 408 De plus pourriez-vous me redonner des précisions sur ces quelques points ? 409 Que faites-vous pour que les élèves atteignent les objectifs ? 410 Par l'exemple et la répétition de l'inclusion des habiletés de pensée au sein du dialogue. 411 Quelle est la place de l'enseignant dans cette pratique ? 412 Je n'ai plus la casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche. Je 413 suis garante de la sécurité des élèves et je fais des relances afin d'inciter les élèves à se poser 414 davantage de questions. 415 Quelles sont vos intentions lors du dialogue philo ? 416 L’esprit critique et surtout l'écoute, la confiance et le fait de penser ensemble, de construire 417 ensemble. 178 Entretien de Brigitte 1 Qu’en pensez-vous ? 2 Moi, j'ai travaillé la philo à l'uni. J'avais regardé de la théorie, des relances etc., mais j'ai tout 3 oublié par rapport à ça. Effectivement, après ça peut être un choix de l'enseignant, d'être com- 4 plètement retiré, ou alors... c'est un choix. L'enseignante réagit au cours de la lecture de la 5 SEC "oui, très bien, ok", moi, ça ne me choque pas. Les élèves ont besoin de ça dans une inte- 6 raction verbale, il y a aussi la gestuelle et le fait que, l'interlocuteur par sa gestuelle, elle va 7 valider ce que l'autre dit, même si elle dit rien. Pour moi c'est un détail "oui très bien", si tu le 8 dis pas, mais que tu opines du chef... Le non verbal est là quand même et l’interlocuteur, adul- 9 te ou enfant, a besoin que son interlocuteur valide ou pas ce que je dis. C'est naturel. Autre- 10 ment personne n’arriverait à parler. 11 Du coup comment ça vous fait réagir? Est-ce normal que ça ne marche pas avec les condi- 12 tions qui sont là? 13 Je trouve intéressant de montrer une vidéo, est-ce que vous l'avez montrée au début? 14 Oui, sans discussion. 15 Alors, justement, quand je fais des discussions à visée philosophique, il y a pour moi trois 16 axes. Je dis les trois, peu importe l'ordre. Le premier est définir un concept : qu'est-ce que la 17 guerre, l'amour, paix ? Ensuite, le deuxième axe, c'est une citation : par exemple « la liberté 18 s'arrête là où commence celle des autres ». Généralement, il y a toujours un grand silence. 19 Troisième axe, ce que tu as fait, je montre une vidéo et je dis : « A quoi cela vous fait-il pen- 20 ser? » Et le but effectivement, c'est quand on montre une vidéo, soit on explique le contexte 21 avant, « alors voilà je vais vous montrer une vidéo qui se rapporte à la guerre qui... etc. », 22 mais moi j’aime bien montrer aussi juste une vidéo, et que déjà le thème soit ressorti par les 23 élèves. Ca peut être intéressant, justement, que le thème soit ressorti par les élèves, qui est une 24 scène de guerre. Et c'est bien, dans un premier temps justement, de ressortir le contexte, mais 25 avec les élèves. Alors qu'est ce que je fais pour ça? Alors toujours dans ces trois axes, je 26 prends une feuille java. Il y a un scripteur, pour la distribution de parole ça dépend au début 27 c'est beaucoup moi qui le faisait. Pourquoi ? Parce que souvent les enfants, il y a vingt mille 28 mains levées, et on perd du temps dans la distribution de parole. Le gardien du temps je ne 29 l’utilise pas, car en général, c'est la dernière heure du matin et c'est la cloche qui sonne. Je 30 vais peut-être partir plutôt d’une expérience que j'ai faite moi, ça sera plus simple. Quand jus179 31 tement … troisième axe, montrer un film : dernièrement sur les réseaux sociaux, il y a eu une 32 vidéo dans laquelle on interviewait des enfants, des jeunes garçons et puis alors, il y a une 33 jeune fille qui arrive et il y a une voix qui arrive et qui dit "dites bonjour à la fille", ils disent 34 bonjour à la fille, "faites-lui un câlin" alors ils lui font un câlin, « fais-lui une grimace », ils lui 35 font une grimace, et puis tout d'un coup la voix leur dit "gifle-la" alors les garçons sont inter- 36 loqués et tous refusent de gifler la fille. Et puis ensuite ils sont interviewés et on leur demande 37 pourquoi ils n'ont pas giflé la fille alors que tout ce qu'on vous demande avant vous l'avez fait. 38 Et les garçons, il y en a qui disent "parce que je suis croyant et ça se fait pas d'être violent". Il 39 y en a beaucoup qui disent : je suis un garçon et je ne tape pas les filles. C'était ce qui ressor- 40 tait. Donc, je montre cette vidéo là et je dis aux élèves : alors voilà, première chose, toujours 41 essayer de trouver le thème, quel est le thème de la vidéo? Il y en a qui diront : bah c'est le 42 rapport filles/garçons, d'autres diront que c'est la violence, etc. Et puis ensuite, on essaie de 43 dire, bah voilà maintenant on voit plus ou moins le thème et maintenant à votre avis quel était 44 le but de cette vidéo? Pourquoi cette vidéo a-t-elle été créée? Alors, il y en a qui (c'était avec 45 des 8P), les élèves ont répondu peut être c'est pour dénoncer la violence des hommes faite aux 46 femmes, le but c'est vraiment de trouver le but de cette vidéo. Une a dit, peut être c'est pour 47 montrer que les filles ne sont pas si fragiles que ça. Alors après il y a des propositions qui se 48 distancient un peu du but réel, car toi tu le connais le but réel, mais eux ne le connaissent pas 49 le but qui se rapprocherait le plus de pourquoi la vidéo a été faite. Après, c'est intéressant, car 50 il y a eu un élève qui m'a dit : moi, j'aimerais bien savoir si on a demandé aux enfants de dire 51 ce qu'ils ont dit. Donc là c'est intéressant car ils se sont distanciés. Puis après il y a une discus- 52 sion autour de ça. Est-ce que c'était pris sur le vif ou est ce que les enfants on été conditionnés 53 pour dire certaines choses ? Donc voilà, thème, but, donc objectif de cette vidéo là, « Qu'est- 54 ce qu'on en retire? Est-ce qu'il y a une morale? Etes-vous d'accord? Pas d'accord? » Ça peut 55 aussi être un axe. Après c'est vrai que comme l'enseignant est censé ne rien dire, eh bien les 56 élèves vont peut être se distancer un peu, mais pour moi, ce n’est pas forcément grave. C'est à 57 l'enseignant de ramener des fois au sujet, mais des fois je crois que c'est important de faire une 58 parenthèse pour revenir au sujet principal. Je pense que des fois, on reste borné sur là où on 59 veut aller. Mais est-ce que les élèves ont été conditionnés pour dire ce qu’ils ont dit? C'est im- 60 portant, car même nous on ne sait pas si les enfants ont été conditionnés. Donc c'est important 61 d'en discuter avec les élèves et mine de rien, ça fait partie aussi du contexte. Par exemple, 62 dans la vidéo là, [vidéo présentée par l'étudiante Tiananmen] un élève aurait pu demander 63 « est-ce que c'est une vidéo historique? » ou « est-ce que cet homme-là a été mis volontaire- 64 ment là ? ». C’est important, car si les élèves n'ont pas compris le contexte. Je ne crois pas que 180 65 c'est nécessaire que l'enseignant dise lui-même le contexte, je crois que c'est important que les 66 élèves se posent des questions. Le but pour moi, dans un premier temps dans une discussion à 67 visée philosophique, c'est qu’on réfléchisse. Donc déjà, le simple fait qu’ils se posent des 68 questions sur le contexte, ça les fait réfléchir. Alors certes, on n'est pas dans un débat dans un 69 premier temps, c'est clair, que quand on s’expose des questions sur le contexte on n'est pas sur 70 un débat, mais je crois que le fait que les élèves se posent des questions ça les amène genti- 71 ment à pouvoir débattre. Ca, c'est mon avis, je me rappelle plus de la théorie mais ça condi- 72 tionne les élèves à se poser des questions et être dans une posture réflexive, après ça peut être 73 un choix de l'enseignant de donner le contexte pour passer directement au débat philosophi- 74 que, et là, tu es en plein dans l'objectif du débat philosophique. Mais selon moi, tu n’as pas 75 mis en condition les élèves en posture réflexive concrète. 76 J’aurais peut-être dû les questionner sur ce qu’ils voient concrètement? 77 Toujours avec les élèves, là il y a une pub actuellement qui passe sur la télé, Molfina je crois 78 [marque de serviettes hygiéniques]. D'abord on dit, qu'est ce que courir comme une fille? 79 D'abord ce sont des jeunes adultes, où voilà et ils imitent les filles de manière très efféminée. 80 Et après, on demande à des jeunes filles de 10 ans, qu'est-ce que courir comme une fille ? Et 81 on voit qu’elles sont hyper sportives et qu’on est loin du préjugé. Moi, je souhaiterais leur 82 montrer cette vidéo là et je leur demanderai : qu'est-ce que vous voyez? [L’enseignante simule 83 une discussion de classe et prend des voix d'enfants] "Ah ben moi je vois une jeune fille qui 84 singe finalement les filles" A votre avis, bon le thème est assez évident, mais après il faut aller 85 plus loin et se dire bah « quelle est la morale de cette vidéo ? » Il y a une morale, un message. 86 Alors, il y en a qui vont dire, je suppose que ça va sortir assez rapidement, bah le préjugé sur 87 les filles. Après si ça sort pas, il faut poser des questions "alors toi X, tu en penses quoi de cet- 88 te vidéo? Tu cours comme ça?" Alors si, par exemple, tu connais tes élèves, tu prends la spor- 89 tive de la classe et tu lui demandes. Alors pour moi, l'enseignant, il est actif dans la discus- 90 sion, pas pour donner son avis mais pour relancer. Si, par exemple, on voit que ça patauge et 91 que les élèves n'arrivent pas à sortir que c'est des préjugés sur les filles et qu’il faut bannir les 92 préjugés, il faut poser des questions qui va les amener. Alors évidemment, c’est des questions 93 ciblées. C'est clair qu'avec les questions on arrive à avoir ce qu'on veut, c'est logique, mais je 94 trouve intéressant. Ce que je fais, c'est que je pose la question qui les emmène où je veux, 95 mais je vais prendre le contrepied, par exemple : à une sportive "alors toi, tu cours comme 96 ça?" "Bah non, je cours pas comme ça, c'est débile". "Ah, et pourquoi tu dis que c'est débile?" 97 Reprends toujours les mots, ça peut aider "Ah, si je comprends ce que tu veux dire, c'est que 181 98 tu trouves que c'est pas très chouette de singer les filles?" Après tu peux t’adresser au garçon 99 un peu macho de la classe et lui dire "toi, tu es d'accord avec ça?" Alors là, il sera peut être 100 gêné, et il dira « oui, bah c'est ça, c'est les tapettes qui courent comme ça " « Toi tu penses que 101 c’est les garçons qui courent comme ça? Les garçons homosexuels?" Donc ce que je fais, c'est 102 vraiment poser les questions, en reprenant les termes de l'enfant, ou alors si l'élève dit "ah, 103 c'est les PD qui courent comme ça", reformuler "ah, si je comprends bien, pour toi ce sont les 104 homosexuels. » Donc, replacer quand même le vocabulaire et après si un autre dit "oui, les 105 PD", "Rappelle-toi, il y a un autre mot pour dire ça. » Après, c'est peut être trop dirigé, c'est 106 peut être pas la bonne posture de l'enseignant. Pourtant, quand on est enseignant, on doit utili- 107 ser les bons mots, car le but dans un débat philosophie, c'est qu'on soit maître de ce qu'on dit. 108 Philosophie, philo c'est en grec, aimer la sagesse. Donc pour moi, c'est également aimer utili- 109 ser les bons mots. 110 J’ai vu une enseignante la semaine dernière qui m'a dit quelle intervenait le moins possible, 111 les questions doivent sortir des élèves, et je ne dois pas les orienter vers ce que j'attends et 112 c'est différent. 113 Après faut voir ce que c'est, là je te parle de la vidéo, il y a un message et ce qui est génial 114 avec cette pub Molfina, c'est que c'est censé susciter un débat. Soit c'est carrément une cita- 115 tion, soit basé sur un texte et là je leur demanderais s'ils ont déjà compris le texte, et je de- 116 manderais aux enfants s'ils ont déjà des questions par rapport au texte. Et puis après, c'est vrai 117 qu'il y a plusieurs manières de voir la chose, après il y a des élèves qui poseront des questions 118 liées à la compréhension du texte et d'autres des questions plus générales. Les élèves vont 119 peut être se distancer du texte pour trouver une question générale. 120 Mais si après ils n’arrivent pas? Est-ce que je peux leur insuffler moi un peu? 121 Dans un premier temps c'est important qu'ils comprennent le texte et que... oui, je vois ce que 122 tu veux dire, après leur demander s'ils sont d'accord ou non avec, par exemple, une action d'un 123 personnage, il a dit ça, est-ce que vous êtes d'accord? Forcément là, ça suscite le débat. 124 Et du coup, pourquoi vous faites de la philosophie avec vos élèves? 125 Car mon but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dedans une posture ré- 126 flexive. Et les élèves adorent. C’est vraiment que là, c'est très scolaire tout ce que j’ai vu (me 127 montre la SEC). Moi, je ne fais pas tout ça, ce que je fais c'est que je vais dans une salle, il y a 128 des canapés, on est assis, c'est en forme de U et moi je suis assise sur une chaise en face d'eux 182 129 et c'est assez relax. Toutes les questions que je pose, par exemple si je cherche le thème de la 130 vidéo, je vais demander au scripteur "écris le thème, deux petits points" et puis on essaie en- 131 semble de déterminer le thème. "Etes-vous tous d'accord si le thème de la vidéo est la guerre 132 ?" "Oui, ok, d'accord." "Ah, je vois que toi tu n’es pas d'accord, pourquoi donc? Est-ce que tu 133 peux m'expliquer pourquoi tu es pas d'accord avec le choix de tes camarades?" "Car moi je 134 pense que c'est plutôt un message de paix, on est plutôt dans le thème de la paix." Et là, on est 135 peut être qu'au début de la discussion, mais déjà au niveau du thème ils ne sont pas d'accord, 136 donc le fait de ne pas donner à l'avance le contexte, et peut être déjà dans le contexte les élè- 137 ves ne seront pas d'accord, et dans le débat à visée philosophique le but déjà c'est de débattre. 138 Donc les élèves déjà, dès le départ, ils ne seront pas d'accord et c'est en discutant avec eux, les 139 pour, les contres… Alors, il y a X qui dira "non, moi je ne suis pas d'accord, y a la guerre 140 mais quand même il y a des chars d'assaut, c'est logique quoi". Puis après il y en a un autre 141 qui lève la main, "oui, que veux-tu dire?" "Moi, je ne suis pas d'accord avec...." Ah! » Entre 142 parenthèses, éviter que les élèves disent « je suis pas d'accord avec… », là, il faut reprendre : 143 « c'est pas que tu n'es pas d'accord avec X, mais tu n'es pas d'accord avec l'idée." C'est impor- 144 tant d'expliquer ça aux élèves, car après, quand on fait des conseils de classe, ça permet aussi 145 de s'éloigner un peu et prendre de la hauteur sinon on est trop dans le guidon, on n’est pas 146 dans le jugement de l'un ou l'autre. Obliger les élèves à dire "je ne suis pas d'accord avec cette 147 idée" plutôt que "je ne suis pas d'accord avec machin", ça change tout, car ça permet aux élè- 148 ves de ne pas avoir peur de parler. Fermer la parenthèse. Donc, euh, "ah, toi tu lèves la main 149 oui?" " Bah moi, je ne suis pas d'accord avec l'idée de la guerre, car il y a un mec qui vient 150 devant, euh c'est pour leur dire d'arrêter de faire la guerre, donc c'est la paix." "D'accord, donc 151 toi tu penses que c'est plutôt un message de paix. Et vous les autres que pensez vous?" Et là 152 personne lève la main, tu vas chercher. "Qu’en penses-tu ? Plutôt une scène de guerre ou de 153 paix?" "Bon, bah moi, je pense que c’est la guerre, mais lui il veut que ça s'arrête, alors du 154 coup c'est la paix." Alors après, bah dire, bon essayez de chercher d'autres avis si on n’arrive 155 pas à départager, il faut peut être aidés, si on s'arrête à l'instant T, image de guerre? Attention 156 à image et message. Le message est de paix mais l'image? "L’homme s'est mis devant le char, 157 que va-t-il se passer après?" "Bah là, il va s'arrêter donc ils vont tous s'arrêter, c'est la paix." " 158 Oui mais, pourtant là, à l’instant T où il se met devant, on est dans la guerre ou la paix?" Je 159 pense que ce qui est bien dans un débat à visée philosophique, c'est qu'il faut débattre, mais 160 qu'il faut aussi trouver un consensus dans le groupe, donc se mettre d'accord. Donc à l'instant 161 T, on est dans la guerre ou la paix? Bah, dans la guerre. Mais le message de cette vidéo? Le 183 162 but du gars c'était quoi? "Ah, bah, c'était pour la paix". "Ah ok, donc thème la guerre, message 163 la paix". 164 J'ai pensé à l'exploiter comme ça mais on avait déjà beaucoup traité du thème de la guerre et 165 je la trouvais bien pour passer au thème de la paix. 166 Mais tu peux la prendre "on n’a pas assez exploité cette vidéo, j'aimerais qu'on y revienne." 167 Peut être que là, je t'ai simulé un débat, mais essayer de rapprocher de ça. 168 Et les objectifs que vous mettez derrière ça? Plutôt français...? 169 Alors euh, moi, ça dépend le sujet abordé, si le but c'est de parler de la paix… ça c'est plutôt 170 d’ailleurs la suite : "C’est quoi la paix?" La vidéo a certes permis de passer là, mais là tu pas- 171 ses au concept, qu'est-ce que la paix ? Et tu fais écrire. Après moi, il me semble que quand on 172 est en philo, je vais quand même donner l’orthographe, mais s’il y a une faute d'accord, hon- 173 nêtement je ne vais pas le souligner. Après si c'est un titre « Qu'est ce que la paix ? », je re- 174 prends quand même. Pour moi, ça dépend du thème abordé. La paix, tout ça, on est typique- 175 ment dans la citoyenneté. Moi je place la philo dans la formation générale, je la mets pas dans 176 le français. 177 Formation générale ou capacités transversales? 178 Formation générale donc soit citoyenneté, car on est vraiment dedans. Mais « qu'est ce que 179 l'amitié » on est pas totalement dans la citoyenneté, mais pour moi on est plus dans la généra- 180 lité, et dans ce ça là, ça sera pour moi dans la formation générale, et ce qui permet de passer la 181 semaine suivante au conseil de classe, car une semaine sur deux je fais conseil de classe ou 182 philo, et pendant un conseil de classe on peut revenir : "rappelez-vous, la dernière fois en phi- 183 lo on a parlé de l'amitié, pensez-vous vraiment que le comportement que vous avez adopté 184 avec l'autre classe sur le terrain de foot était un comportement amical?" Pour moi, ça dépend 185 du thème abordé. J'essaie d'aborder des thèmes en lien avec la citoyenneté, et des fois plus des 186 thèmes dans le savoir-être, savoir être ami avec quelqu'un pour moi c'est un savoir-être, le 187 respect, savoir-être ou être citoyen. Dans citoyenneté je verrais plus des questions en relation 188 avec le droit, avec des 8P, et faut voir où et comment. Par exemple des thèmes sur les vota- 189 tions peuvent être dangereux, mais il y a 10 ans, le thème sur les congés maternité ça va, mais 190 le thème de votation sur le renvoi des étrangers, ça peut vite être dangereux. Si tout d’un coup 191 il y a un sujet de votation qui peut être abordable avec des 8p, je le prends immédiatement et 192 je suis entre guillemets, toujours à l’affût, bon entre guillemets. Mais quand je vois un truc à 184 193 la télé, immédiatement ça tilte. Sur les réseaux sociaux cette vidéo, donne lui une baffe, bah je 194 ne vais pas gifler ma copine, pour moi c'est tout de suite et des fois quand je suis à cours 195 d'idée et des fois je vais directement sur internet et il y a des vidéos larmoyantes. Pour moi, il 196 y a pas forcément un message dans une vidéo d'un niveau terre à terre et parfois, d'un niveau 197 plus élevé, par eux-mêmes les élèves arrivent des fois à prendre du recul et l'élève qui me de- 198 mande si les enfants ont été conditionnés dans la vidéo, je pense que c’est une question que je 199 pourrais poser : est-ce qu'on a obligé ces enfants à répondre ca? Ce que je trouve génial, c’est 200 que les élèves ont réussi à me dire que c'est peut être une vidéo propagande. C'est manipulé et 201 j’ai trouvé génial et ils s’étaient entièrement extraits du sujet. Nous, adultes, on voit une vidéo 202 et on se dit parfois « Ah, c'est mignon. » Mais les élèves, ont eux-mêmes réussi à dire que 203 c'était peut être une vidéo manipulée, ou alors ils ont gardé dans la vidéo uniquement les en- 204 fants qui allaient dans le sens du message, car comme par hasard on voit aucun garçon taper la 205 fille, il y en a au moins un qui a dû taper la fille et ça, ça peut être une discussion à avoir. Et 206 même se dire "Et si ça avait un garçon?", après rien n’empêche que tu puisses montrer une 207 autre. La fleur dans le fusil c'est très connu. 208 Ca a quoi comme apports pour les élèves ou pour vous de faire de la philosophie ? 209 Il y a plusieurs choses. Il y a les capacités transversales, au niveau du savoir être : se taire 210 quand il faut écouter, demander la parole, si un élève fait une remarque qui n'a rien à voir je 211 lui demande s’il a compris de quoi on parle ou je lui demande ce qu’il voulait dire car peut 212 être qu’on ne voit pas la posture réflexive. Et aussi après, on peut la placer dans français, car y 213 a capacité à s'exprimer. Parfois, c’est difficile de mettre en mots ce qu’on pose, il y a aussi en 214 termes de français : utiliser les connecteurs, ces mots clés qui permettent de débattre, car, je 215 suis d'accord, je ne suis pas d'accord, certes... 216 Et votre place physiquement? 217 Dans les canapés et moi je suis en face. Ca fait une espèce de carré et les élèves se voient 218 tous, comme en demi rond. Mais c’est parfois plus compliqué car si c’est une classe nombreu- 219 se, il y a en derrière d’autres et ils se voient plus. 220 Et vos intentions et vos buts lorsque vous êtes face à eux? 221 C’est avoir un certain contrôle. Pour les élèves ça permet de s’adresser en face de son interlo- 222 cuteur et ce qui est sympa aussi, c’est que je mets les scripteurs à côté de moi et je vois ce 185 223 qu’ils écrivent et je peux corriger parfois l’orthographe et ça permet pour les élèves qui sont 224 en face de voir ce qui est écrit. 225 A l'uni vous n'avez pas été formée? C’est venu de vous? 226 Oui. Moi j’ai aimé ça. Je suis la seule à faire de l'école, mais d'autres le font plus dans le cadre 227 du conseil de classe, c'est quand même très basique. Est-ce qu’on a des droits? Ou des de- 228 voirs? A la récré, tu as fait ça tu penses que tu avais le droit de la faire? Beaucoup font les 229 goûter philo dans le but de réguler un comportement, c’est souvent comme ça que c’est fait. 230 Moi, mon but c’est pas de réguler un comportement aux élèves, mais c’est dans un but de ré- 231 fléchir et pratiquer un débat. D'ailleurs dans COROME ça a un nom, le débat régulé, c’est vrai 232 que moi j’ai pas l’objectif de vouloir réguler les comportements, c’est réfléchir sur le sujet. 233 Finalement, je reste très peu de temps sur la situation elle-même, j’essaie vraiment par des 234 questions de relances, de prendre une hauteur sur le sujet, et finalement arriver au concept. On 235 a une situation de base, mais le but est vraiment de conceptualiser la chose. Quand on est, par 236 exemple dans le concept, j’ai d’abord avec les élèves, c’est prétentieux de ma part, si vous 237 savez philosopher dans ma classe vous saurez disserter au collège. Par exemple, la citation 238 "La fin justifie les moyens." Qu'est-ce que la fin? On décortique la citation, première chose. 239 Car il n'y a plus de contexte, car on n’est pas dans une vidéo, là on est dans l'axe citation. Là 240 je vais dire la fin justifie les moyens, la fin qu'est-ce que c’est ? Je vais d’abord définir tous 241 les mots de la citation de façon à ce qu'on se mette d’accord avec tout le monde sur quoi on 242 parle. Souvent quand on parle d’une citation, les élèves savent pas de quoi on parle et souvent, 243 c’était mon problème au collège je savais pas sur quoi disserter. Donc première chose, et si on 244 fait ça au collège ça marche à tous les coups, définir la citation. D’ailleurs, c’est ce qu’on fait 245 aussi à l'uni pour un mémoire. « La liberté s'arrête là où commence celle des autres.» Alors 246 déjà là tu as beaucoup, si vraiment tu veux faire correctement, ça prend deux, voir trois pério- 247 des. Qu'est ce que la liberté ? Après, seulement, on discute et des fois ça arrive que, dans la 248 définition de la citation, ça nous amène à d’autres sujets, toujours liés, mais on se rend compte 249 qu’il faut peut-être conceptualiser et définir d’autres points avant de vraiment pourvoir débat- 250 tre de la citation. La liberté c’est tellement grand, on est obligé d’en parler. Il y a l’axe aussi 251 concept "Qu'est ce que l'intelligence, développez." Il y en a qui diront, bah l'intelligence c’est 252 quand je réussis bien en maths, et puis du coup tes élèves vont donner plein d'exemples. Après 253 le but c’est de conceptualiser et prendre la hauteur sur le sujet, je vais leur dire : maintenant, 254 on arrête avec les exemples, ce n’est pas très intéressant finalement car ce n’est pas un débat 255 de raconter sa vie. L'intelligence, ça peut être par exemple, être bon en mathématiques. Alors 186 256 l'intelligence ça peut notamment être bon en maths, alors comment on peut appeler ça ? "Ah, 257 moi je suis bon en maths, mais seulement en additions et soustractions, par contre moi l'espa- 258 ce, je comprends rien." "Donc si on dit l’intelligence mathématique, ce n’est pas assez fin", 259 après c’est du vocabulaire, mais faudrait essayer de réussir de faire sortir pour les élèves qu’il 260 peut y avoir l'intelligence spatiale. Et en fait, avec les élèves, ça m’avait pris trois périodes et 261 on est arrivé facile à une vingtaine d’intelligences. On fait 45 minutes, mais des fois le sujet 262 dure 15 jours, un mois. 263 Vous avez suivi des formations continues? 264 Non, non, moi je fais ça comme ça, parce que ça m intéresse, et puis voilà. Je suis quelqu'un 265 qui naturellement conceptualise les choses, c’est pour ça que j’arrive à dire qu’il y a trois axes 266 et que dans ces axes je vais utiliser telle stratégie. 267 Vous préparez avant? 268 Moi, je suis très mauvaise car je ne suis pas une bonne enseignante entre guillemets, car sou- 269 vent je suis dans ma voiture et je me dis « bah je vais enseigner ça » et puis j'y vais à l'arrache. 270 Mais vous n’allez pas imaginer les réponses que pourraient donner les élèves? Comme on a 271 vu avant? 272 Non, sur le moment. Parce que pour moi ce qui est important, c’est les élèves qui réfléchissent 273 et de ce fait je fais avec ce qu’ils me donnent. Non, en fait je suis mauvaise langue, je me dé- 274 valorise, c’est faux même. Alors par exemple, pour la vidéo des jeunes garçons, je l’ai balancé 275 comme ça un vendredi. J’ai téléchargé la vidéo devant eux et je leur ai montrée sur mon Ipho- 276 ne. Mais ça a marché. Mais si c’est une citation, je vais quand même regarder et il y a quand 277 même souvent des personnes intelligentes qui dissertent dessus, et ça me permet d’avoir quel- 278 ques pistes. L'intelligence, typiquement au début, j’ai fait un peu à l’arrache et après je me 279 suis dit qu’il fallait que je vois les différentes formes d’intelligence. 280 A la fin vous formalisez ou institutionnalisez? 281 Comme il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus en général je 282 l’écris et quand on passe a une nouvelle question, toujours en lien avec le thème, on se rend 283 compte que finalement je vais faire un sous-titre « Qu'est-ce que je la liberté ? », et on écrit la 284 liberté c’est ça. La semaine suivante on relit le java et ça nous permet de redémarrer, il y a 285 toujours une trace. 187 286 … une conclusion? 287 Pas forcement clore, mais il y a une trace. Je clos le débat en tout cas quand il n'y a plus de 288 débat. En tout cas je leur dis " Je suis contente, on a bien réfléchi là-dessus, je vous propose 289 de passer à un autre sujet ". 290 Vous faites quoi pour permettre aux élèves d’atteindre ces objectifs de réfléchir? 291 Alors euh, bah justement, avec les questions de relances, proposer aux élèves qui ne disent 292 rien "qu'est-ce que tu en penses toi?". 293 Ok, donc ceux qui ne parlent pas... 294 Je leur demande "Es-tu d'accord avec cette idée?", et en général il est obligé de sortir quelque 295 chose et s'il bafouille, la reformulation là, est intéressante. "Donc si je comprends bien, là ce 296 que tu veux dire, c’est ça, ça et ça?" "Oui, mais pas tout à fait". "Alors, explique-moi". Et là, 297 je suis désolée, je suis peut-être pas d'accord avec ta formatrice, mais l'élève qui a réussi à sor- 298 tir au moins quelque chose alors que d'habitude il ne parle pas, mais là je vais le féliciter : 299 "Bravo, je n’avais pas vu les choses comme ça et les autres, vous en pensez quoi?" "Ah oui 300 c'est intéressant". 301 Donc on va forcer quand même les enfants? 302 Je vais les tirer quand même. Après bon, faut pas se leurrer, c’est toujours les mêmes qui par- 303 lent. Mais essayer d'aller tirer ceux qui disent rien. 304 Est-ce qu'il y a des acquis chez les élèves? 305 J'avais, par exemple, une élève qui au début avait de la peine à s’exprimer, c'était toujours 306 brouillon, on comprenait rien, et petit à petit, à force de reformuler ce quelle disait, et lui dire 307 bon une chose après l'autre, « que veux-tu dire par rapport à ca? », « ok, on reviendra après 308 sur la suite ». 309 Le fait de reformuler lui a donc permis de mieux organiser ses idées? 310 Oui. J’ai vu aussi une gamine très manichéenne qui était du genre… Une fois, on a parlé de 311 « Est-ce que les animaux valent autant que les humains ? », et il y avait eu une votation sur les 312 avocats pour animaux. Cette enfant était beaucoup dans "ah, ils sont méchants, les gens sont 313 soit méchants, soit gentils." C'était assez fatigant pour moi adulte, mais je trouve intéressant 188 314 car au fil de l'année, elle s'est rendu compte que c'était beaucoup plus subtil. Les chiens, l'eu- 315 thanasie, elle disait les gens sont méchants, et là je l'ai piquée dans le vif. Et je lui ai dit : 316 « l’autre jour, tu as tué l'araignée à côté de ton bureau. Tu es méchante alors?" "Mais non, pas 317 du tout." Après voilà, on fait avec ce qu'on est, ou si tu ne veux pas dire que tu es d'accord 318 avec des camarades, on a vu que ça posait un problème de tuer des chiens, mais pourquoi ça 319 te pose pas problème de tuer une araignée? Puis là du coup, on s'éloigne, on monte d'un ni- 320 veau. « Est-ce que les animaux ont tous la même valeur? » et on conceptualise. On se rend 321 compte que les animaux domestiques ont plus de droits que les animaux sauvages, mais pas 322 tous les animaux sauvages, car si on tue un éléphant pour ses défenses, c'est horrible tout le 323 monde crie au scandale. Mais voilà, quand on tue une araignée, c’est aussi un animal sauvage, 324 mais c’est admis. On est plus dans le sujet de base, à savoir, je ne sais même plus ce que 325 c'était. Mais voilà, ce que je trouve intéressant c’est de conceptualiser, mais je me rends 326 compte qu'en parlant, que ça m'arrive de m'éloigner du sujet de base, mais ce n’est pas grave, 327 car on monte d'un niveau et on arrive à se détacher. 328 Et au niveau de la régulation sur le moment, c’est tout dans les relances en fait? 329 Oui, beaucoup des questions de relances et de reformulation. Quand un élève me parle de son 330 expérience, je vais essayer de tirer un concept parfois de cette expérience. "Ah, toi tu dis que 331 tu es intelligent car tu arrives à faire tes additions", bah, essayer de trier en disant "alors peut- 332 on dire que tous ceux qui font des additions sont intelligents ? » J’essaie, par des questions, de 333 généraliser, puis de conceptualiser. 334 Et la première fois que vous avez fait de la philo en classe, ça s'est passé comment? 335 La première fois, j'étais remplaçante, j'avais fait sur « Qu'est-ce que la peur ? », et là c'était 336 justement très scolaire. Je leur faisais écrire des situations qui leur faisaient peur et puis j'avais 337 vu que c'était un sujet qui avait passablement dérangé les élèves, car c'est faire appel à des 338 peurs, et donc ils étaient mal à l'aise, et je m'étais arrêtée. C'était terrible. Et c'est là que je vois 339 que j'ai gagné en expérience. C'est quand je m'étais arrêtée aux expériences, pour finalement, 340 oui, c'était un cours qui me permettait de réguler leur comportement et pour ça que je suis pas 341 d'accord de faire un cours de philo pour réguler leur comportement, car je m'étais arrêtée du 342 coup aux expériences pour leur dire que moi, je flippais à l'issue de mon remplacement de pas 343 trouver un poste fixe et que si je ne supportais pas leurs bavardages, c'est que j'étais moi- 344 même tendue. C'était un cours de philo de régulation de comportement. 189 345 Et du coup qu'est-ce qui a évolué depuis cette fois jusqu'à aujourd'hui ? 346 Je finis juste avec ça. Le problème, quand on est dans la régulation de comportement, on est 347 trop dans l'exemplification : tu as fais ci, ça va pas, ce n’est pas bien. Et puis finalement, on a 348 rien conceptualisé. Les élèves, certes, ont un peu réfléchi, mais ça ne volait pas haut. Moi, j'ai 349 réalisé ça, je sais pas comment, mais à l'issue de cette leçon, je n’étais pas forcément bien et 350 les élèves n’ont plus parlé de leur peur. Finalement, ils sont sortis de la classe, ils étaient dé- 351 pressifs entre guillemets. Donc pour moi, c'était zéro, zéro. Et pourtant, je m'étais basée sur un 352 cours proposé sur internet. Ça n’a pas amené grand chose. Et après j'ai eu ma classe, avec des 353 7P, et j'ai commencé avec « Qu'est-ce que l'amitié ? » et j'ai gagné en maturité entre temps. 354 Dans quel sens ? 355 En fait, j'avais commencé avec la citation de la liberté et j'avais trouvé riche, car j'ai vu que je 356 tirais les élèves vers le concept et dans un débat. J'étais vraiment comme un chef d'orchestre et 357 même gestuellement : « Oui, d'accord. Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? » Et quand on fait 358 écrire les élèves, ça permet certes, déjà de positionner l'élève dans la réflexion, oui, ça peut- 359 être un départ. 360 Je partais donc avec trois colonnes : qu'est-ce que je définis, donc qu'est-ce que la guerre 361 pour moi, « les questions que je me pose » et « ce que le groupe en dit ». Ils devaient marquer 362 quelques idées du groupe et les questions que je me pose encore, et avec cette dernière colon- 363 ne, je me suis dit que ça pouvait me permettre de réguler, de relire pour un départ, mais ils 364 étaient quand même beaucoup bloqués à l'écrit. 365 Oui, le problème c'est qu’on a de la peine des fois. On a une idée et c'est finalement très diffi- 366 cile d'en faire autre chose que ce qu'on sait déjà. Et justement, ce que je trouve intéressant, 367 j'aurais dit aux élèves : « qu'est-ce que la guerre ? » Et on avait passé une période à parler de 368 ca. Et là, c'est intéressant, car il y en a qui auraient dit : « bah, la guerre c'est quand il y a des 369 chars d'assaut », puis après leur poser une question : « est-ce que, aujourd'hui en 2016, est-ce 370 qu’on est en guerre ? La France est-elle en guerre ? » « Ah, bah non » « Non ? Et le 8 février 371 ou je sais plus », « Il y a eu trois explosions, notamment au Bataclan. » « Ah oui. » « Mais 372 pourtant il n'y avait pas de chars d'assaut. » Essayez donc de proposer, bon si ça vient pas es- 373 sayez de proposer une situation et leur dire vous en pensez quoi de ça ? Une question de re- 374 lance, ce n’est pas que l'enseignant réfléchit à la place des autres, parce qu’il ouvre des pers- 375 pectives. Pour moi, c'est différent que de dire « Oui, mais attends, là ce que tu dis n'a pas de 376 sens ». Là l'enseignant prend position. Mais dire : « Ok, on est d'accord la guerre, c'est quand 190 377 il y a les chars d'assaut, les fusils, d'accord, allons plus loin. Comme cette explosion à Paris, 378 est-ce que c'est la guerre ? » Alors il y en a qui diront : « bah non, il n'y a pas de chars d'as- 379 saut, donc ce n’est pas la guerre », et d'autres diront « bah oui, car il y a eu des morts ». Puis 380 après on arrive « Alors ça voudrait dire, est-ce que pour vous la guerre peut être sous différen- 381 tes formes ? » Bon, alors ça, ça peut être difficile, mais ça peut être intéressant, tu vois, fina- 382 lement, il y a différentes formes de guerre. Il y en a qui diront « ah oui, j'ai entendu, il y a eu 383 une guerre chimique, je crois » , « et la guerre froide, ça vous dit quelque chose ? » « Pour- 384 quoi ? Froide ça veut dire quoi ? », « Guerre chaude c'est quoi ? » Essayez de voir que poser 385 des questions pour qu'ils se rendent compte que chaude, c'est quand il y a corps à corps, avec 386 des armes, et froide il n'y a plus tout ça, on parlait de guerre froide après 45. Mais c'est parce 387 que les états, en gros, il y avait les communistes contre les libéraux, et puis enfin voilà, je ré- 388 fléchis à haute voix. Ça, ça fait déjà beaucoup, tu peux parler pendant 45 minutes de la guerre. 389 As-tu exploité ce qu’ils ont écrit ? 390 La dernière fois j'ai fait sous une autre forme, dans Le petit prince, ils parlaient des grandes 391 personnes et des petites personnes puis j'ai dit : « vous avez deux post-it de chaque couleur. 392 Sur le rouge vous écrivez « qu'est ce qu'un adulte ?», et sur le jaune « qu'est-ce qu'un en- 393 fant ». Et après, comme départ, ils lisaient ce qu'ils ont écrit. Donc, il y a une fille qui m'a dit 394 « bah, un enfant c'est une porte ouverte sur l'imagination, et un adulte du coup c'est quand on 395 ferme la porte sur l'imagination ». 396 Alors moi j'ai fait sur qu'est-ce qu'un adulte. Ca a pris trois périodes, juste sur qu'est-ce qu'un 397 adulte. 398 Mais comment trouver ces bonnes questions de relances ? 399 Il faut prendre le temps. On part d'un texte, bon alors moi je vous propose, car finalement Le 400 petit prince permet de démarrer, mais ça va pas plus loin. On discute qu'est-ce qu’un adulte, 401 un adulte c'est quand on est grand, « ok, bon bah, moi je suis petite »... 402 Ils m'ont dit un adulte, c'est quand on a 18ans. 403 Alors voilà, mais en général ce qui sort très rapidement « c'est quand t’es grand » , « oui, mais 404 moi je fais un mètre 58 et donc on voit que la taille n'est pas un critère », « c'est quand on a 18 405 ans », « ah ça c'est un critère social, quand t’as 18 ans, t’es adulte ». « Ok d'accord, mais toi tu 406 sais que ce n’est pas quand t’as 18 ans que t'es adulte, est-ce que vous êtes tous d'accord ? » 407 « Quoi encore ? » « Quand on est adulte c’est quand on a des enfants. » « Est-ce que vous êtes 191 408 d'accord avec ça ? » Alors s’ils sont toujours d'accord... le but c'est un débat philosophique, 409 toi tu dois créer le débat, donc tu peux dire : « Moi, je suis désolée de vous dire, mais carré- 410 ment parler des collègues, Madame X n'a pas d'enfants, ça veut dire qu'elle est pas adulte ? » 411 Et tu dis carrément, ouvrons une parenthèse, juste c'est quoi raisonnable ? « Bah moi, c'est 412 quand j'économise et je ne sais pas je peux m'acheter un beau truc. J'avais envie d'acheter, 413 mais j’ai été raisonnable. » Être raisonnable, c’est vrai, on peut effectivement dire qu’un adul- 414 te est raisonnable, et ainsi de suite. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de faire des parenthè- 415 ses, mais le signifier. Ou alors « ok, ok, d'accord, je crois qu’on a bien défini ce que c’est 416 d'être raisonnable et maintenant on va retourner au sujet qu'est-ce qu’un adulte ». Et revenir à 417 la question de base. Donc moi, j'aurai fait, j’ai fait avec les 8P, trois périodes pour définir ce 418 qu’est un adulte. 419 Avec une citation ? Une vidéo ? 420 Non, je suis arrivée directement avec « Qu'est-ce qu'un adulte ? » 421 Et après ? Les deux leçons suivantes ? 422 Bah, on relit le java. On a vu cet axe là, il y en a d'autres. Si on a eu l'aspect social, et bien 423 moi je vous dis « qu'être adulte c’est encore autre chose, mais quoi d'autre ? ». Ou même oser 424 dire une idée « les adultes, c’est tous ceux qui ont des enfants » et là, il y en a un ou deux qui 425 vont réagir et dire : « ah ben non, ma voisine elle n’a pas d'enfants mais elle est quand même 426 adulte. » Donc, avoir des enfants c’est pas forcément un critère ? Donc là, le but est vraiment 427 dans le concept, car on essaie de trouver le critère qui détermine ce qu’est un adulte. Il y en a 428 qui m’ont dit « c’est quand tu vis dans ton propre chez toi », et là si personne réagit, tu peux 429 dire « Mais si on donne de l'argent pour payer l'appartement, c’est vraiment être adulte ? » 430 « Ah ben non. » « Donc est-ce qu’avoir son propre chez soi est un critère ? », « Non », et on 431 élimine. Ce qu’on peut faire, je l'ai pas fait comme ça, mais tout noter ce qu’ils disent et après 432 discuter, et on débat, on voit que ce n’est pas un critère, on le barre. 18 ans, bah oui, c’est vrai, 433 c’est un fait. On voit que d'un point de vue social, c'est vrai, mais pas dans le concept adulte. 434 Alors là on mettra social. Ok, mais dans le concept adulte, non, on n’est pas ok et ainsi de sui- 435 te. Mais on ne va pas demander « qu'est-ce qu'un enfant », car forcément on sera à contrario, 436 mais voila. Après on revient au sujet de base. 437 Oui, justement après ils sont partis dans raisonnable, responsable. 438 Oui, c’est bien. 192 439 Du coup, j'avais trop… 440 C’est pour ça qu’il faut écrire « Adulte, c’est être raisonnable, responsable », paf, paf, et tu 441 reprends : bon raisonnable, tu prends une autre feuille java qu'est-ce qu'être raisonnable ? Et 442 puis ça peut prendre 3 semaines, un mois, deux mois. S’il faut définir tous ces concepts, quitte 443 à revenir trois mois après, et dire : « bah dis donc, maintenant on a vu tous ces concepts » et 444 faire une espèce d’institutionnalisation, bah voila être adulte, c’est ça, ça, ça, ça. 445 Ils gardent une trace ? 446 Non, je garde les feuilles java simplement, et il m'arrive de les ressortir 447 Et quels conseils vous donneriez à une enseignante comme moi ? Qui commence ? 448 Donc, savoir dans quel axe on est, car si on est dans l’axe vidéo, ressortir le thème, le messa- 449 ge. Et puis la question que je trouve intéressante : est ce qu’on a manipulé ou pas ? Si on est 450 dans la citation, première chose, être sûr que les enfants ont compris tous les mots, donc là 451 t’es obligée de définir tous les mots de la citation, et seulement quand tout est défini tu peux 452 commencer à débattre. Mais ce qui est intéressant, c’est que déjà dans la définition il y a du 453 débat, donc t’es en philo, pour moi t’es en philo. Le concept, bah là, définir le concept, et dans 454 le concept souvent il y a plusieurs définitions à avoir, et ce n’est pas grave si tu prends un 455 mois. Ce qui est important, il me semble, c’est prendre le temps, car le but c’est que les élèves 456 réfléchissent et qu’on arrive à entrer dans le concept. Si ça prend un mois, ce n’est pas grave. 457 Ton objectif est là, ils ont débattu, réfléchi et conceptualisé. 458 Le rôle de l'enseignant change-t-il par rapport à une leçon de math ou français ? Qu’est-ce 459 qui change ? 460 Ce qui change c’est que l'adulte pose des questions de relance et donne pas son avis, ça c’est 461 important, un adulte donne pas son avis. Et surtout, ce qui est différent, c’est que c’est les en- 462 fants qui font avancer le cours. C’est les élèves qui parlent, nous est on est là juste pour relan- 463 cer, ou reformuler, et que ça soit clair pour les autres camarades. Je ne sais pas si ce que je dis 464 est juste, si ça va avec la théorie. 465 C'est intéressant. J'ai vu aussi une autre enseignante et puis ils sont beaucoup plus théori- 466 ques, où elle a des questions précises pour la conceptualisation pour argumenter, contre 467 exemplifier, faire des hypothèses et après les hypothèses il y avait les présupposés aussi et 193 468 c’était vraiment beaucoup plus, pas plus poussé, mais tout ça sans qu’elle intervienne, c’est 469 vraiment intéressant. Mais c’est intéressant de voir aussi un autre point de vue. 470 Oui, moi je dis la théorie je l’ai vue plus ou moins, mais je garde en tête les objectifs et si les 471 élèves arrivent à réfléchir, conceptualiser et débattre ça me suffit. Après peut être que ce n’est 472 pas assez loin, hein, je ne sais pas. Pour moi, c’est important qu’ils conceptualisent, qu’ils 473 prennent de la hauteur sur le sujet et qu’on ne soit pas seulement dans l'exemple, sinon ce 474 n’est pas réfléchir, c’est juste raconter sa vie. C’est vraiment dans un but de conceptualiser un 475 sujet, une notion. Le truc, c’est que toi tu connais déjà ton sujet. Soit je prépare, car je ne 476 connais pas le sujet, soit tu connais quand même et tu relances de façon à ce qu’ils réfléchis- 477 sent plus loin. Etre adulte, c’est grand oui, mais on va plus loin que ça, quoi. 478 Du coup là c’était plutôt une mauvaise animation ? Ce n’est pas une question de jugement, 479 hein, c’est vraiment pour trouver le point clé qui pose problème. 480 Moi, le contexte pose pas problème, ce n’est pas grave si l’enseignante pose pas le contexte. 481 Par contre ça aurait dû être discuté. Vous voyez cette image... tu peux ne rien dire, ce n’est 482 pas ça qui me choque. J'aurais fait comme ça d'ailleurs, je leur aurais montré une image, 483 qu'est-ce que vous en pensez ? Quel est le thème ? Et puis là, ben le débat commence déjà, 484 hein. Quel est le message ? Le thème, la guerre, message, la paix. Jai pas la science infuse et 485 puis je trouve bien l'idée, mais je l’aurais pas fait, je n’aurais pas fait écrire. Mais la colonne : 486 « qu'est-ce que la guerre ? » j’aurais fait avec eux, j’aurais conceptualisé. Tu peux commencer 487 comme ça, montrer la vidéo et dire le thème c’est la guerre, mais avant de passer au message 488 dire : « on va d’abord réfléchir qu'est-ce que la guerre », et c’est avoir en tête qu’il y en a plu- 489 sieurs formes. Car quand on dit guerre, les gens pensent mitraillette, char d'assaut, point. Mais 490 en fait, on se rend compte que là, pour moi, on est dans une guerre une troisième guerre mon- 491 diale, car il y a quand même une idée qu’il y a un état contre un autre, l'état islamique contre 492 l'état occidental et il y a quand même un conflit. Il y a des gens qui meurent. Après voilà, il 493 faudrait voir, mais je trouve intéressant de conceptualiser. Mais, à ta place, je reprendrais ça 494 avec eux, et leur dire « vous vous rappelez, je vous avais montré l'image », soit commencer 495 par qu'est-ce que le thème, ou alors reprendre la feuille et on va travailler sur le concept de la 496 guerre. Et tu dis le mot « concept ». « Est-ce que vous savez ce qu'est un concept ? » « Un 497 concept c’est quand on essaie de définir une notion, un peu comme un dictionnaire quoi, et 498 donc de s'éloigner des exemples.» Peut être ça va t'amener gentiment à « qu'est-ce que la 499 paix ». 194 Demande de renseignements complémentaires par mail 500 Pourriez-vous m’indiquer 501 Le degré scolaire de votre classe actuellement ? 502 6p 503 Le nombre d'année d'enseignement total ? 504 2 et ½ 505 Le nombre d'année de pratique du dialogue philosophique en classe ? 506 2 et ½ 507 De plus pourriez-vous me redonner des précisions sur ces quelques points ? 508 Quelles sont vos interventions lors du dialogue philo et dans quel but ? 509 Suite à notre discussion, je me suis un peu auto-analysée. 510 Le sujet : « Qu'est-ce que l'amour ? » Ils étaient tous assis en cercle. Je leur ai demandé 511 "Qu'est-ce que l'amour?" J'ai écrit sur une feuille Java le titre. 512 D'emblée, ils m'ont dit que l'amour "amitié" n'est pas le même que l'amour "papa-maman" et 513 l'amour "frère et sœur". J'ai cru bon de leur donner le bon vocabulaire. Je leur demandais 514 "Comment ça s'appelle l'amour des frères et sœurs? " Evidemment, ils ne savaient pas et je 515 leur donnais la notion: "amour fraternel". Très vite, je leur ai fait remarquer qu'il y avait diffé- 516 rentes sortes d'amour. On a essayé ensemble de les citer: amour filial, dans lequel on a l'amour 517 maternel, paternel, fraternel. Amour "amitié" ; Amour "couple" ; Amour "passionnel". 518 En citant les différentes formes d'amour, on a vu qu'il y avait différentes manières d'exprimer 519 l'amour. Je leur ai demandé: citez-moi différentes manière d'exprimer l'amour? Ils m'ont vite 520 répondu qu'il y avait les bisous, l'écoute, les cadeaux.... J'ai essayé de faire émerger deux au- 521 tres : agir pour l'autre (aider par exemple), et complimenter. Mais ces deux-là, ils n'ont pas 522 trouvé, même avec des questions de relance: "mais quand on aime quelqu’un, on peut essayer 523 de lui dire des gentilles choses, non? Quand on aime quelqu’un un on peut l'aider, etc." 524 NB: pour l'amour passionnel, je leur ai expliqué qu'en latin, "passio" veut dire "douleur" et 525 que par extension, aimer passionnément, on serait prêt à souffrir pour l'autre. Genre Roméo et 526 Juliette. 195 527 Plus tard, j'ai voulu leur donner encore une autre forme d'amour : l'amour altruiste. C'est aimer 528 en aidant les autres. Je leur ai demandé "Donnez-moi des métiers altruistes". Ils ont facile- 529 ment réussi à me dire: pompier, policier, ambulancier, médecin, infirmière, etc. 530 Bref, voilà en gros mon cours. Pour être honnête avec toi, je ne suis pas très satisfaite de cette 531 leçon. En effet, je pensais que c'était une bonne idée d'enrichir le cours par des mots de voca- 532 bulaire soutenu, mais cela a impliqué que je me suis "trop" investie dans le dialogue pour faire 533 émerger le vocabulaire. A la fin, j'en avais clairement perdu quelques uns, donc résultat nul. 534 Ma crainte était de tourner en rond, à savoir l'amour c'est: papa-maman, frères et sœurs et 535 homme-femme. 536 Pourtant, lors du débat, une question s'était posée : est-ce que l'amour est éternel? (question 537 qui a émergé lorsqu'une fille a dit : oui c'est éternel, et une autre fille a réagi en disant que 538 non), j'aurais pu plus aller dans ce sens pour créer un VRAI débat. Je ne sais plus comment, 539 mais je me rappelle avoir posé la question : est-ce qu'on peut ne PAS aimer ses frères et sœurs 540 ou ses parents ? S'en est suivi une discussion intéressante. Ceux qui étaient d'avis que même 541 s'ils font des "crasses", on les aimera de toute manière. D'autres n'étaient pas d'accord. Je me 542 rappelle d'un qui a dit : « si mon papa ou mon frère était emmené en prison, je ne l'aimerais 543 plus". 544 Je ne sais plus comment ça s'est terminé, mais une chose est sûre, je suis passée à autre chose 545 parce que l'oncle d'un de mes élèves est en prison et cet élève était par conséquent très mal à 546 l'aise. 547 Qu'est-ce que serait un enseignant qui pratique bien la philosophie en classe avec ses élèves ? 548 Peut-être que certaines questions ont été traitées lors de notre entretien, mais je désire les 549 reposer de manière plus précise. 550 Je commence toujours mes cours sous trois axes différents: 551 1. Une question de concept: Qu'est-ce que l'amour? 552 2. Une citation: "Examine si ce que tu promets est juste et possible, car la promesse est une 553 dette". (Confucius). 554 - poser des questions de vocabulaire pour s'assurer que tous aient compris le sujet de débat. 555 - débattre : pour ou contre. Etayer ses arguments. But : essayer de convaincre son interlocu- 556 teur et exercer une autocritique de ce qu'on pense. 557 3. Lire un texte philosophique, ou regarder une photo, ou regarder une vidéo. Exemple : pub 558 Molfina http://www.famili.fr/,la-nouvelle-pub-always-lutte-contre-les-stereotypes,444747.asp 196 559 - En ressortir le thème, qui est le destinataire, qui est l'émetteur, quel est le message, quelle est 560 la morale ... question subsidiaire: visée du publicitaire? Est-ce qu'on a dicté le comportement 561 des enfants filmés? Pourquoi un message moralisateur pour une pub ? Etc. 562 Je ne sais pas véritablement ce qu'est "BIEN" pratiquer la philosophie. Je sais qu'il y a plu- 563 sieurs courants de pensée. 564 Celle de J. Lévine : les enfants doivent s’identifier comme un sujet pensant, ayant une pensée 565 propre. L’enseignant n’interviendra que très peu car les dispositifs reposent sur l’expérience 566 du cogito. 567 Celle d'Oscar Brénifier : dans cette méthode, qui se base sur le questionnement, l’enseignant 568 guide énormément les élèves pour les amener à une réflexion progressive et logique. Ceux-ci 569 expriment une pensée et se questionnent eux-mêmes sur sa validité, grâce aux sources des re- 570 présentations. 571 Celle d’Alain Delsol : les finalités de cette méthode se rapprochent de celles de la méthode 572 Lipman. Les élèves expriment leur pensée avec le soutien d’un groupe de pairs. A l’intérieur 573 de ce groupe, des fonctions d’animation précises sont mis en place, comme la répartition de la 574 parole, la reformulation d’idées et le soulèvement des questions. Ils ont pour but de probléma- 575 tiser la discussion, de la conceptualiser et de l’argumenter. 576 Jean-François Chazerans : cette méthode est similaire à la méthode socratique, c’est-à-dire 577 que les élèves apprennent à philosopher en discutant avec des pairs, mais la présence d’un 578 philosophe est nécessaire pour susciter le questionnement philosophique. 579 Je crois que je m'inscris dans celle de Brenifier. Mon idée est que, par mes questionnements, 580 les élèves arrivent à construire une idée critique et d'autocritique sur une situation ou un 581 concept donné. Et peu à peu, ils arrivent également à élaborer un concept autour d'un mot, tel 582 que "l'amour", l'intelligence", "la liberté", etc. 583 Pour arriver à cela, je pratique presque tout le temps la stratégie discursive d'étayage. 584 Le concept d'étayage se rapporte à la théorie de Jérôme Bruner et à l'intervention de l'adulte 585 dans l'apprentissage de l'enfant. On entend, par le terme étayage : « l’ensemble des interac- 586 tions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin 587 de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ». Les diverses 588 interventions des adultes sont donc des stratégies discursives d'étayage qui s'inscrivent dans 589 une activité langagière co-construite avec l'enfant. L'adulte intervient lorsque l'enfant ne peut 590 faire face à une difficulté dans sa prise de parole et doit faire en sorte de l'aider, grâce à des 591 stratégies discursives étayantes, afin que l'enfant puisse continuer à être actif dans le dialogue. 197 592 Les reformulations consistent à reprendre des énoncés antérieurs de l'enfant et d'en perfec- 593 tionner la forme ou d'en préciser la signification. L’enseignant doit formuler les pensées des 594 élèves de façon plus claire. Ainsi, contrairement aux reprises-répétions les reformulations exi- 595 gent la modification d'un énoncé qui se retrouve alors « paraphrasé ». 596 Les questions servent, par la demande de l'adulte, un contrôle syntaxique, sémantique et 597 pragmatique. Elles permettent d'obtenir une meilleure planification. Les questions sont toutes 598 les phrases marquées par une interrogation, et les actes de questionnements marqués par une 599 intonation montante à la fin des phrases. Elles jouent un rôle important en ce qui concerne 600 l'étayage à travers l'acte de questionner et elles sont une stratégie d'étayage dominante pour 601 faire avancer l'activité discursive. 602 On peut distinguer diverses sortes de questions selon leur degré d’ouverture et leur visée. Les 603 questions ouvertes définissent un champ large. Le but des questions ouvertes est de faire 604 avancer l'activité discursive. Les questions partielles définissent un champ topical délimité et 605 questionne, entre autres, autour du « où », « quand », « comment », « pourquoi ». Ces ques- 606 tions visent l’information ou la clarification et contraint, par conséquent, des précisions. Ces 607 questions sont utilisées dans le déroulement des activités pour viser une meilleure explication. 608 Les questions fermées sont distinguées par une réponse en oui ou non. Celles-ci permettent de 609 vérifier l’intercompréhension et constituent des relances. Les questions à visée suggestive 610 proposent des éléments topicaux à l’interlocuteur. Elles consistent à inclure la réponse atten- 611 due dans la question. Et pour finir les questions à visée confirmative permettent d’assurer une 612 intercompréhension maximale entre les interlocuteurs. Ce sont des reprises de l’un des inter- 613 locuteurs sous forme interrogative. 198 Entretien de Chloé 1 Donc, quelles réactions ? 2 Alors moi, j’ai une première question, c’est 45 minutes ? 3 Oui 4 Alors, la première remarque que je ferais, c’est que c’est beaucoup. Tu demandes beaucoup. 5 Après, j’aime beaucoup l’idée de passer de la vidéo, parce que d’utiliser plusieurs supports 6 c’est intéressant, surtout aujourd’hui avec l’accès qu’ils ont à l’information, au niveau 7 d’internet où oui, ils sont là- dedans depuis qu’ils sont nés. Et puis ça apporte un autre regard, 8 parce que l’image peut percuter différemment aussi je trouve. Donc ça, c’est super intéressant. 9 En plus c’est une image hyper marquante. Bon, ils la connaissaient pas, c’est ça dont tu t’es 10 rendue compte. Donc effectivement, peut-être qu’il aurait fallu décrire le contexte. En même 11 temps, des fois, voilà, on peut montrer quelque chose et je suis pas sûre que l’entièreté du 12 contexte soit nécessaire, enfin bon, après ça c’est mon point de vue. 13 Après, c’est vrai que tu es assez directive, parce que de ce que je comprends, tu veux vraiment 14 qu’ils aillent dans une direction. On peut. Après, je trouve que ce qui est important de saisir, 15 c’est que y a pas de juste, y a pas de faux, on peut aussi je veux dire, on peut donner une di- 16 rection et voir comment ça va, pour moi y a pas de juste, pas de faux. Mais c’est vrai que du 17 coup, t’aurais pu aussi dire : je vais voir comment ils réagissent par rapport à ça et je file dans 18 le chemin qu’ils choisissent eux. Parce que c’est vrai que quand on a un pré-requis et qu’on 19 veut qu’ils aillent là, du coup ça ferme, car tu les orientes, c’est normal, et là je peux aussi fai- 20 re le lien avec la posture de l’enseignant, car c’est clair que quand on est enseignant, on veut 21 aller là. On veut que ça soit cette notion qui soit apprise, qu’on a un but didactique c’est 22 d’aller là. En philo, c’est vrai qu’on ne sait pas vraiment où on va aller, et suivant les ques- 23 tions y a pas de réponses justes, y a pas de réponses fausses et puis on est dans… l’important 24 c’est le chemin finalement, plus que l’arrivée. Après, de nouveau, c’est mon interprétation. 25 Du coup là, voilà, tu les orientes. Mais ça peut se faire aussi parce qu’on peut se dire : ok, moi 26 j’ai envie de travailler cette thématique là et je vais quand même orienter le chemin pour aller 27 là. Ici, ils ont une vidéo, ils doivent quand même saisir à l’intérieur d’eux ce qu’il se passe, 28 parce que c’est vrai que c’est quand même troublant cette vidéo, elle a suscité aussi pas mal 29 de… et du coup ça a dû fuser aussi je pense, pourquoi il fait ça, pourquoi il y a des tanks etc. 30 Du coup, il aurait fallu peut-être passer par un détour d’explications de la scène, « ok qu’est199 31 ce que vous voyez ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi cet homme prend cette décision 32 d’être seul devant des chars ? », et puis on est pas obligé de faire tout un historique. « Est-ce 33 que vous avez déjà vu cette image ? Est-ce que vous en avez entendu parler ? » Etc. 34 Et puis après alors, tu leur fais deviner, ça veut dire que tu as fait comment ? Tu as orienté des 35 questions pour qu’ils arrivent à ce que tu voulais ? 36 Oui, je leur demandais « mais quels thèmes on pourrait ressortir de là ? » 37 Et ils avaient de la peine à faire des liens avec ce que vous aviez fait avant en fait ? 38 Oui, moi je pensais que c’était une bonne vidéo, car elle était entre la guerre et la paix fina- 39 lement et on avait parlé pas mal de la guerre et puis je voulais passer à autre chose et je 40 trouvais que c’était une bonne transition sur la question de la paix : « qu’est-ce que la 41 paix ? » etc. 42 Parce que du coup ça, c’était quand même sorti dans vos discussions d’avant, non ? Ils par- 43 laient déjà de la paix ? 44 Non, ils étaient plus sur violence / non-violence. Le fait que la coordinatrice dit que je prends 45 position en hochant la tête… ? 46 Bon, c’est un petit peu extrême je trouve. 47 Parce que j’ai essayé de refaire la semaine dernière sans bouger, c’est difficile. Enfin auto- 48 matiquement on va dire : oui, je ne sais pas… 49 Mais ne serait-ce que pour valoriser la parole de l’enfant, il me semble que c’est nécessaire 50 de… Parce qu’on peut imaginer un élève qui ne prend jamais la parole et d’un coup va es- 51 sayer de s’exprimer, si tu lui montres un tout petit peu que tu es écouté par le groupe, que le 52 groupe est là pour que ta parole soit entendue, euh bon il risque de dire « bon j’ai lâché ma 53 phrase et y a rien qui… », enfin voilà. Alors je pense que ca aurait été plus flagrant si t’es en 54 accord avec sa pensée « oui, oui, c’est très bien, oui », que si tu es pas d’accord « ah non, non, 55 alors ça non, ce n’est pas juste », et il me semble que t’as pas été là-dedans quand même. Et le 56 « on l’écoute ce qu’il dit est intéressant (lis la phrase de la SEC) c’est…. 57 Là, elle disait que ça voulait dire que ce qu’un autre disait ce n’était pas forcément intéres- 58 sant par rapport à lui. 200 59 Alors, je ne suis pas sûre que derrière c’était forcément… et puis de nouveau, c’est dans l’idée 60 du respect de la parole. Moi, je trouve qu’il y a quelque chose de super important quand on 61 fait des ateliers philo, c’est que c’est un moment justement d’écoute, et puis là tu as des 7-8P 62 ça prend longtemps en plus d’installer ça. Et ils n’en avaient jamais fait non ? 63 Oui, mais de temps en temps. 64 Oui, épisodiquement. Donc là, toi, tu fais vraiment un processus où tu les as tous les vendre- 65 dis. Parce que de nouveau, si on fait de la philo là, de manière épisodique, ah tiens j’ai 45 mi- 66 nutes je sais pas quoi faire, ah tiens je vais faire de la philo… non le dialogue philosophique 67 ça se construit et c’est quelque chose qui est long et lent surtout… enfin, quand tu lis, que ça 68 soit Mathieu Gagnon au Québec, enfin ils ont des programmes qui s’étendent sur toute la sco- 69 larité donc ça fait 7-8 ans que les enfants, voilà… et c’est une fois par semaine, mais ils ont 70 baigné là-dedans. Et ne serait-ce que s’écouter les uns les autres. Au début c’est difficile. Je 71 veux dire, ils sont tous autocentrés : c’est moi, moi, moi, moi je, moi je, moi je. On a une jux- 72 taposition comme ça de points de vue et y a aucun lien qui est fait. Ca ne tombe pas du ciel 73 comme ça. Pour le faire aussi avec des adultes, avec les adultes y a moins ces phases là, parce 74 qu’ils savent les parties prenantes, il sait l’adulte quand il va à une CRP, je vais là-bas pour 75 ça. Un enfant qui est à l’école, il n’a pas vraiment le choix d’être à l’école. Donc d’un coup on 76 fait du français, d’un coup des maths ou de la philo… donc ça prend du temps à instaurer. 77 Après moi je pense qu’il faut quand même faire avec ce qu’on est aussi. Enfin, au vu des in- 78 terventions que tu fais, pour toi c’est important de valoriser la parole contenue… moi, je te 79 dirais qu’il faut être aussi avec comme on est, parce que si maintenant tu te bloques, les en- 80 fants le sentent aussi. 81 Après moi, le moment de la semaine où tu le fais… Alors voilà, on a les horaires qu’on a, on 82 fait comme on peut, mais c’est sûr que le vendredi en dernière période y a mieux. Parce que 83 forcément, ils sont peut être pas… après de nouveau, on peut se dire « alors ça voudrait dire 84 qu’on doit faire de la philo entre telle et telle heure », mais on sait que cette période en règle 85 générale, c’est une période où ils ne sont pas super productifs et ils ont qu’une envie c’est que 86 ça sonne, et voilà, donc peut être que tu ne réunis pas toutes les conditions déjà avant pour 87 que ça se passe. Après de nouveau, tu fais ça depuis le début de l’année, là on est en février et 88 j’ai aussi vécu des grands, grands moments de solitude. Tu finis ta séance et tu te dis : qu’est- 89 ce qu’on a fait là ? Et quand tu reviens après, y a des fois où ça marche super, des fois où ça 90 marche pas, et des fois où c’est dur de dire exactement que ça a pas marché. Et moi, je me 91 souviens quand je discutais avec Alexandre Herriger, bah on a tous un peu ce même constat 201 92 des fois on est là « waouh, c’est bon ça a trop bien marché », et des fois « ohlala, noooon ». 93 Mais là, tu connais le film « Ce n’est qu’un début » ? 94 Oui, je l’ai vu. 95 Bah là de nouveau, tu vois la prof des fois elle sort à la récréation, elle dit « waouh, c’était 96 génial, parce que lui a dit ça et l’autre a rebondi sur ça», et des fois elle est là « oh non ! » Je 97 pense que ça, voilà, des fois y a un côté où y a un lâcher prise qui est nécessaire et des fois ça 98 prend des fois pas et ça dépend des thèmes qu’on aborde et toi déjà t’avais l’impression que le 99 thème s’essoufflait un peu et y a plein de choses en lien avec ça. 100 Après, j’aime bien l’idée que tu donnes des rôles : distributeur de parole, le secrétaire, le gar- 101 dien du temps, et en plus ils adorent. 102 Bon là, j’ai dû retirer parce que le secrétaire me disait « oula, je note quoi, il y a trop ». 103 Oui, mais de nouveau, ça prend du temps qu’ils apprennent à savoir, et ça dépend des enfants, 104 de ce qui est important ou pas. Et même nous quand on le fait, moi souvent je prends beau- 105 coup de notes dans la séance et des fois, c’est sûr, que tu fais forcément un tri, et après y a 106 toujours l’idée d’utiliser un tableau ou une feuille java etc. Euh c’est sympa à faire quand tu 107 fais de la co-animation, parce que quand t’es deux à animer, il y en a une qui peut gérer le 108 tour de parole et tout, l’autre qui pendant ce temps note, et après t’as une trace, c’est sympa 109 aussi. Après, le faire seul, je le fais parfois, mais faut gérer parce que finalement t’es de dos à 110 certains moment, puis t’es pas dans le groupe, des fois oui. Il y a vraiment des pour et des 111 contre et après ça dépend aussi si on est, ça à nouveau c’était une discussion avec Alexandre, 112 où pour lui il n’utilise pas le tableau car déjà c’est illisible, et après il en met partout sur le ta- 113 bleau et y a personne qui comprend rien, enfin on a chacun sa… moi, je sais que je suis assez 114 visuelle, et ça m’aide. Mais de nouveau là, c’est ta manière de faire. Moi, je sais que j’écris 115 avec des flèches partout, et ils s’habituent, ils savent que moi je fonctionne comme ça, j’aime 116 bien et ils vont dire « ah non, mais là rajoutez un lien à ça parce qu’on avait dit que … » De 117 nouveau, c’est des manières de fonctionner, mais ça vaut la peine de tester. Tu peux te dire un 118 jour, bon bah ok, là on fait, euh, on y va : un fait - un truc sur le tableau, on verra bien ce que 119 ça donne. Moi je fais des dessins, enfin on se trouve avec… mais ils aiment bien, après il faut 120 aussi se dire : bon je garde pour la séance d’après, est-ce qu’il y a des nouvelles choses qui 121 peuvent sortir ? Et ce qu’on peut reprendre. Ok, on a vu que ce lien là était super intéressant, 122 est-ce qu’on creuse encore là-dedans ou est-ce que… mais ça, ça peut être une idée, aussi tu 123 peux essayer une fois… il faut essayer finalement, faut faire des tests quoi, faut tester. Puis-tu 202 124 va te dire, non c’est pas du tout pour moi, je gère pas du tout parce que s’il faut donner la pa- 125 role, s’il faut en plus que j’écrive au tableau, enfin voilà. Et du coup ça, on peut se dire aussi 126 que quand la gestion de la parole se fait vraiment hyper bien et que j’ai presque même plus 127 besoin de donner la parole et que C. par exemple, elle t’a peut-être parlé, mais elle bientôt… 128 elle est complètement, c’est assez génial parce qu’ils sont tellement habitués à en faire que la 129 parole circule super bien, donc là, elle, d’ailleurs elle prend des notes, elle a des cahiers gigan- 130 tesques de ce qu’il se passe dans ses séances, mais voilà… C’est parce que aussi ça fait des 131 années qu’elle en fait et ses élèves ils l’ont pendant trois ans, donc ils savent exactement. 132 C’est le gros problème et c’est un des points noirs de la philosophie pour enfants, c’est qu’il 133 faudrait réussir à ce que ça soit inscrit : il faut former les gens. C’est un challenge, c’est un 134 vrai challenge. Donc de nouveau, si tu as l’occasion de voir Michel Sasseville ou Mathieu 135 Gagnon, alors eux voilà, c’est des programmes. Après eux, au Québec, c’est comme en Belgi- 136 que, ils ont une heure dans le programme qui est pour ce qu’ils appellent la morale où voilà, 137 du coup la philo s’est instaurée là-dedans, et nous on a cette heure de formation générale voi- 138 là. Mais pour l’instant, il y en a qui font des conseils de classe ou alors qui leur manque une 139 heure de français, je suis la première à le faire, hein. Mais c’est vrai que l’idée que c’est un 140 processus, et c’est lent, et des fois c’est frustrant. On a envie de se dire, là ça va marcher su- 141 per, et blablabla, et puis non et il faut… Et puis au début, y a un côté quand je commençais, 142 aussi je voulais que ça aille comme ça, mais ça c’est une déformation finalement, c’est une 143 déformation professionnelle, euh on est formaté pour qu’on sache qu’ils fassent ce chemin, 144 celui-là et qu’ils arrivent. Puis là, et ben en philo, tu ne peux pas faire ça. Et une qui est hyper 145 à l’aise là-dedans c’est C., parce qu’elle a vraiment un lâcher prise où, mais en même temps, 146 c’est un lâcher prise certes, mais l’idée ce n’est pas que ça soit une discussion de café, parce 147 qu’on n’est pas au café du commerce : et puis moi ma grand-mère, et moi c’était mon grand- 148 père, et moi mon chat. L’idée c’est vraiment de dépasser le particulier pour arriver à générali- 149 ser et à faire des liens. Et y a toutes ces habiletés de pensée qui sont décrites et on se dit «oh, 150 mais comment faire ? Est-ce que là, il m’a donné un contre-exemple ? » Après, moi ça m’est 151 arrivé aussi, alors pour ça les romans de Lipman, c’est vrai que je les adore pas parce que je 152 trouve que la traduction est pas bien faite, que parfois c’est un peu vieillot et qu’ils ont quand 153 même un peu de la peine à s’identifier car il y a beaucoup de choses qui sont par rapport à 154 l’Amérique ou Amérique du nord. Je crois que c’est dans Harry où il y a un lever de drapeau 155 et ils te regardent tous « un lever de drapeau ? », et il y en a un qui refuse de se lever au lever 156 de drapeau et les élèves te demandent « de quoi il cause ? » Et des fois, voilà, il y a des situa- 157 tions, voilà… Mais par contre ils ont été conçus pour que ces habiletés de pensée puissent être 203 158 exercées et aborder les grands thèmes de la philosophie. Donc c’est vrai que ça c’est aidant, 159 parce que finalement ce n’est pas que ca émerge tout seul, mais ça va émerger. Et je ne sais 160 pas si tu as vu les guides didactiques, mais pour chaque roman c’est un machin comme ça, et 161 il y a des tonnes d’exercices de relances et de choses que tu peux tu peux utiliser toi pour pré- 162 parer tes séances et qui sont super riches quoi. Et puis au moins, tu sais que si tu veux travail- 163 ler tel truc ça va t’aider, tu vas avoir du matériel, et moi ça m’arrive pour des séances de faire 164 des exercices où on cherche des contre-exemples, oui, ou voilà. Ou on fait des distinctions. Je 165 me rappelle une fois, avec des petits, on travaillait sur, on avait fait toute une séance sur les 166 distinctions et du coup on appuie vraiment là-dessus. Là du coup, c’est vrai que t’es hyper di- 167 rectif et tu fais un entrainement et là t’as plus la casquette de l’enseignant car tu veux qu’il y 168 ait quelque chose qui sorte. Mais des fois j’aime bien faire ça aussi et qu’ils voient que, et voir 169 les répercussions « ah, mais là on a fait une distinction », « ah, il a donné un contre-exemple.» 170 Donc moi, je sais que je fais aussi, ça m’arrive d’entraîner les habiletés de pensée et je te ca- 171 che pas après, que y en a que moi je ne maîtrise pas, puis t’es pris dans le truc, alors tu dois 172 gérer pour les entraîner vers ça. Enfin voilà, on n’a pas en plus une formation philo, donc 173 c’est vrai que c’est quand même un plus d’avoir quand même dans la tête et c’est souvent 174 dans les relances. 175 Voilà, les relances c’est ce qui me bloque. On a fait la semaine derrière sur « Qu’est-ce qu’un 176 adulte ou un enfant ?» Et sur un post-it rouge ils devaient écrire ce qu’est un enfant et sur le 177 jaune ce qu’est un adulte. Enfin c’était avec Le Petit Prince où il disait les grandes person- 178 nes, en fait, arrivent pas à imaginer ce que les enfants imaginent. Puis après, un élève m’a dit 179 « un adulte, c’est quand on a 18 ans », et du coup on m’a sorti ça et je voulais dire non, mais 180 oui, mais j’étais bloquée et j’ai dit « qu’est-ce qu’on pourrait dire d’autre ? ». 181 Bah, des fois c’est juste d’ouvrir : « Alors pourquoi toi tu considères qu’un adulte c’est juste à 182 18 ans, est-ce que …pourquoi ? » Moi, je sais que je m’étais fait une liste des mots interroga- 183 tifs qui aident, et moi quand j’anime souvent, j’ai plein de matos autour de moi. Parce que oui, 184 puis j’ai ma petite feuille, et voilà ça t’aide juste à faire ta relance et finalement dans la prépa- 185 ration aussi de se dire : bon ok, si ça va dans ce sens là, j’amène ça, ça, ça. Et si ça va dans un 186 autre, alors j’amène ça. Moi souvent aussi ce que je fais et d’ailleurs j’aime bien, parce que tu 187 fais quand même une synthèse, hein ? Ils ont fait un truc écrit. Ca, c’est super intéressant, car 188 à mes débuts, je sais que c’était ça mon gros problème. C’est que j’étais prise par le temps, 189 puis cinq minutes avant la cloche : « stop, on arrête et vite retour » et ça sonne, au-revoir. 190 C’est que souvent, j’étais souvent prise par le temps pour faire un retour, mais que parfois les 204 191 retours, ils sont même plus intéressants que la séance en elle-même. Et puis des fois, même 192 quand tu vois que la séance prend pas ou que voilà, ou qu’il y a une mauvaise écoute, bah 193 stop, on arrête voilà et puis, mais pourquoi ? Pourquoi ça ne marche pas ? Qu’est-ce qu’il se 194 passe ? Et souvent ils savent assez bien te dire. Après oui, mais c’est parce que machin fait 195 que gnagna, ou autre. Mais ça peut être intéressant parfois de « ok, qu’est-ce que vous avez 196 ressenti par rapport à cette séance ? » Et moi j’aimais bien « Avec quoi vous repartez ? » Pas 197 forcément « Qu’est-ce que vous avez appris ?» Mais du coup là, on tourne dans le scolaire. 198 Donc « avec quoi vous repartez ? », et puis effectivement ouvrir sur la question d’après, et 199 après ça dépend de toi, comment t’as géré. Et ce qui est intéressant, c’est que quand tu travail- 200 les sur un texte, souvent y a plein, plein, plein de questions qui sortent et puis on peut se dire 201 on passe, soit on peut se dire on fait la première question, on les fait dans l’ordre ou on vote 202 pour la question qui a le plus de… et ça de nouveau, c’est à l’animateur de voir comment il 203 fait et puis voilà est-ce que on les prend toutes, il y en a une qui est sortie est-ce que on prend 204 les autres pour la séance d’après ? Ou on a fait le tour de cette question et puis on dit après, 205 bon c’est bon, on passe a autre chose mais euh je sais que C., elle quand elle anime avec E. 206 elles font ça. Une séance c’est la question qui a eu le plus de vote, puis après une autre, et el- 207 les tournent sur plusieurs séances avec le même thème. Après, tu peux aussi, ils peuvent 208 s’épuiser, enfin pas s’épuiser, mais ça peut aussi tourner en rond. Et moi je sais que mon fils 209 il était dans une des classes dans laquelle C elle allait, et il me disait « oui, mais moi 210 j’aimerais connaître la suite de l’histoire parce que là c’est bon.» Mais euh, oui c’est ça, je 211 pense que ça c’est des tests à faire et la prochaine fois un vote, la prochaine fois c’est moi qui 212 choisis la question, ou « ok cette fois-ci on part sur tel thème ». D’ailleurs dans « ce n’est 213 qu’un début » c’est toujours elle qui amène le thème. Mais après, c’est vrai que du coup, 214 l’idée vient pas d’eux. Après, t’en as des purs Lipmaniens qui diront que non, ce n’est pas 215 bien. Mais je pense que déjà, à partir du moment qu’on essaie de faire quelque chose, puis 216 qu’on peut faire plein de choses différentes, et que y a pas un courant qui s’oppose à un autre, 217 et puis euh… Et puis, par exemple Tozzi lui, les rôles sont super définis et puis c’est intéres- 218 sant. Pourquoi pas essayer aussi de faire une séance comme ca ? Brenifier lui, tout d’un coup, 219 il prend un élève et puis [fait un bruit d’échange intense], puis avec un autre. Pourquoi pas ? 220 Enfin voilà, c’est des manières différentes de faire la même chose. Puis ta CP [coordinatrice 221 pédagogique] elle fait beaucoup de philo ? 222 Je ne sais pas. Elle en a fait un peu quand elle enseignait, mais je n’en sais pas plus. 205 223 Elle fait finalement peu d’interventions sur les enfants finalement, elle te fait beaucoup sur ta 224 posture en tant qu’animatrice 225 Et sinon, comment tu définirais la philosophie pour enfant ? Une petite définition courte… 226 Pour moi, c’est l’idée de faire des liens avec les idées des autres et puis de co-construire quel- 227 que chose. Et je pense que c’est ultra nécessaire dans le monde dans lequel on vit et pour eux, 228 en tant que citoyens, de réussir de se décentrer, de réussir à prendre ses propres décisions, de 229 pas être influencé forcément par ce qu’il se passe et puis c’est pas facile de mettre en doute 230 ses propres idées, et je trouve que c’est ça qui est intéressant dans la philo pour enfant. « Ok 231 tu penses ça, mais est-ce que c’est vrai ? Est-ce que ce n’est pas vrai ? Et est-ce que c’est vrai 232 parce que c’est papa qui l’a dit ? Est-ce que, enfin, est-ce que c’est seulement vrai parce que 233 c’est papa qui l’a dit ? » Ou oui, de réussir de se décentrer et de prendre en considération les 234 idées des autres, et pourquoi il n’a pas les mêmes idées que moi ? Et est-ce qu’il fait un bout 235 et moi un bout dans ma réflexion et finalement on voit qu’on arrive quand même à construire 236 ensemble. 237 Et du coup pourquoi tu fais de la philosophie avec tes élèves ? 238 Alors moi, à la base j’ai fait de la philo pour enfants totalement par hasard, parce qu’en fait 239 celle qui était responsable de ça dans mon école, elle partait vivre au Canada. Puis elle était 240 tellement positive sur ça, et je l’entendais tout le temps parler de ça, que je me suis dis : bon, 241 je vais aller voir de quoi ça en retourne parce que j’ai un peu la bougeotte, et je suis un peu 242 curieuse de tout. Puis quand même, ça me titillait cette histoire de faire de la philo avec les 243 enfants et quand j’ai vu, quand j’ai participé aux séances avec les enfants, je me suis dis : 244 « non, mais c’est juste magnifique. Il se passe des choses merveilleuses. Et puis les enfants 245 ont la parole, ce qu’à l’école ils n’ont pas. » Et c’est, clair là-dessus, les enfants on leur impo- 246 se tout et l’autre jour on a fait une séance sur la liberté et à un moment donné, bah il y a en a 247 un qui dit : « bah à l’école, on est pas libres. » Et puis je me suis dit « Est-ce qu’il y a des 248 moments à l’école quand même où vous vous sentez libres ? » Evidemment, à la récréation, à 249 la gym, je m’attendais un peu à ça, quand je fais du dessin ok. C’est marrant, quand je fais des 250 maths y a personne qui m’a dit ça. Euh après y en a quand même qui m’a dit « quand je fais 251 mes devoirs », alors là, bon [rires], non je ne suis pas enseignante là. Tu sais certains ils ont, 252 je fais un détour, ils ont tellement bien compris le rôle de l’école et leur posture en tant 253 qu’élèves qu’ils doivent se formater aux attentes de l’enseignante, qui doivent répondre parce 254 que je veux être dans le plaisir de l’enseignante, dans ce qu’elle désire, que tout d’un coup 206 255 quand on les met face à réfléchir eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais dé- 256 sarçonnés, et tout d’un coup ils savent plus ce qu’on attend d’eux, parce qu’on attend eux- 257 mêmes. En fait moi, j’ai remarqué, très, très souvent, que c’est les élèves les plus scolaires, les 258 meilleurs, qui aiment pas participer, et puis bah y a un moment donné y a un de mes petits ter- 259 ribles de ma classe qui dit « non, mais on va arrêter avec ça parce qu’à l’école on est pas libre, 260 on est dans un cadre toute la journée, alors faut arrêter de dire qu’on est libre à l’école, c’est 261 pas vrai.» Ensuite, on a pu enchaîner là-dessus, mais ça m’étonnait juste pas que ca vienne de 262 lui. Mais c’est des moments où lui il arrive à exprimer… et souvent il fait avancer la discus- 263 sion, parce qu’il n’est pas dans la réponse attendue aussi. Donc moi, pourquoi je fais de la 264 philo, c’est aussi pour ça. Je me souviens aussi de, c’est Michel Sasseville qui racontait ça, il 265 a été faire une présentation dans une école je sais plus où et il avait fait un moment de philo 266 avec les élèves et les profs regardaient. Ca se passait super bien et d’un coup y a une prof qui, 267 à la fin de la séance part en larmes, puis bon, il était un peu gêné, et elle disait « oh mais c’est 268 Kevin, Kevin… » Et il dit « oui, mais qu’est-ce qu’il se passe avec Kevin, c’était super effec- 269 tivement… » C’était un petit chou qui avait vraiment fait, voilà, et elle lui dit « ah, mais vous 270 vous ne rendez pas compte, tous les problèmes qu’il me pose, il est en échec, j’ai toutes les 271 peines du monde à le faire entrer dans la tâche, il met les pieds au mur pour tout.» Et puis en 272 fait, juste de le voir autrement, ça l’avait tellement touchée qu’elle en était aux larmes et je 273 crois que c’est aussi ça, ça apporte un autre regard. Et puis finalement, pour l’enseignant c’est 274 parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur, parce que c’est pas tout facile mais 275 ça fait du bien un peu de pas rester, de pas être tout le temps dans juste la transmission du sa- 276 voir, cette co-construction est hyper intéressante. Et moi je ne sais pas, je suis comme les élè- 277 ves, je ne sais pas plus que toi et je ne viens pas avec mes savoirs « alors l’amour c’est tatata- 278 ta… » Et puis finalement, c’est aussi intéressant pour eux de se rendre compte que ok, l’adulte 279 sait pas tout le temps tout, et puis l’admettre : « attends, moi je sais pas plus que toi, mais on 280 va aller ensemble, on va y arriver. » Et puis je trouve que ça c’est hyper intéressant qu’ils 281 aient du recul là aussi. 282 Et puis les objectifs que tu mets derrière ? Parce qu’il y en a qui le mette dans français, 283 d’autres dans citoyenneté, formation générale. 284 Alors, y en a qui le mettent, oui c’est du débat oral, on est dans le français 1 ou débat réflexif, 285 confrontation d’idées. Oui, je pense que je le mettrais plus là dedans. Mais il y a plein de liens 286 qui peuvent être faits avec approches transversales aussi : penser sur ses idées, réfléchir sur 287 son savoir, d’où je sais ce que je sais ? Et ne serait-ce que, j’ai fait des séances où on travail207 288 lait juste sur la formulation de la question, soulever tous les implicites. Donc oui, je pense que 289 si on peut faire des liens, c’est plus avec le français, ce qui est induit, explicite, implicite et 290 puis les différents types de raisonnement qu’on peut avoir. 291 Et après, au moment clé de l’animation, tu te places comment ? C’est quoi tes intentions ? 292 Moi, je trouve que l’animateur est là pour guider, relancer, reformuler et la reformulation est 293 super importante, parce qu’elle permet de faire un point à un moment donné. « Ok, on en est 294 là, on a eu ça comme idée et ça, mais on a vu ça aussi, ça serait peut être intéressant de pous- 295 ser par là.» Donc la reformulation, je trouve que ça c’est une des clés de l’animation souvent. 296 Reformulation, oui, j’ai mis en évidence pour faire avancer la discussion, recentrer, approfon- 297 dir, développer, affiner : « Mais là, qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis nanana ? » Voilà, 298 c’est pas : « Est-ce que tu veux dire que nanana ? » C’est : « Toi, qu’est-ce que tu veux dire 299 quand tu dis qu’on est un adulte quand on a moins de 18 ans ? » Ca, ça serait peut être la pha- 300 se d’avant. Et puis finalement, en faisant une reformulation et synthèse, ça rebondit forcé- 301 ment, ça relance forcément, il y a des nouveaux questionnements. Après, je pense surtout au 302 début, le donneur de parole c’est important aussi d’aller chercher un peu le timide. 303 Justement l’élève timide, est-ce qu’on le force d’un côté ? 304 Moi, j’essaie jamais de les forcer, mais j’essaie souvent de les chercher : « Puis toi, qu’est-ce 305 que t’en penses ? » Ca prend, ça prend pas, tant pis, il restera dans l’observation. Après ça 306 peut être « Ok, bah toi qui es pas beaucoup intervenu, qu’est-ce que tu as observé ? » « Ah 307 bah moi, j’ai vu ça, puis ça, mais après il s’est passé ça. » Bon, ils peuvent être complètement 308 décrochés, on est d’accord. Mais souvent ils observent quand même ce qu’il se passe et je sais 309 que chez les tout petits parfois, j’en ai qui décrochaient pas un mot et après j’ai les parents 310 « Ah, vous avez parlé de ça en philo, parce qu’à la maison blablabla… » Alors je me dis bon, 311 c’est bon, ça a quand même… et puis je pense que par contre quand tout d’un coup ils 312 s’expriment, je leur laisse beaucoup de place, et ça effectivement j’ai vu quand Alexandre 313 anime et quand il y a une toute timide qui parle, il lui laisse vraiment une grande place. Et je 314 trouve que c’est hyper valorisant parce que sa parole est importante, mais souvent il y a des 315 leurres. Mais avec les petits, je fais souvent un exercice au tout début, je crois que c’est dans 316 Pixie, avec une corde. Donc, ils sont en cercle et avec une corde qui fait tout le cercle, et 317 l’idée c’est ça le dialogue philo, c’est le cercle. Et après je dis à un élève de tirer sur la corde, 318 alors tous les autres, voilà, y en a un qui lâche, puis un autre, alors du coup on voit ce qu’il se 319 passe sur la corde, et c’est une espèce de métaphore pour montrer ce qu’il peut se passer si y 208 320 en a un qui est pas vraiment dans le groupe, ou qui tire tout le temps dans son sens, ou si y en 321 a trois qui lâchent, le cercle est rompu. Et ça leur permet de visualiser d’une autre manière 322 pourquoi on fait le cercle. Après, je sais qu’il y en a qui travaillent avec le bâton de parole et 323 je trouve que ça marche bien, s’ils se battent pas pour l’avoir. Et l’idée que, chaque idée a le 324 même poids dans le cercle, ce n’est pas ton idée qui est mieux qu’une autre. 325 Et sinon au niveau de la formation ? Comment tu t’es formée ? 326 Moi, je me suis formée avec Prophilo. J’ai participé moi, pas mal en tant qu’adulte, à des 327 communautés de recherche et après, vu que je crochais bien, j’ai fait partie du comité de Pro- 328 philo. Et après je suis partie en Belgique faire une formation en philo avec Michel Sasseville. 329 Puis après, on monte aussi des formations à Prophilo, puis on participe à nos formations et 330 rencontrer des gens qui pratiquent. Alexandre, il proposait les cours à IFP, qui est l’institut de 331 formation pour les écoles privées, donc je suis passée aussi par là. Après il en propose aussi 332 au DIP. Après avec C. on faisait des échanges de pratiques. Donc c’est aussi super chouette de 333 rencontrer d’autres personnes. Et après oui, Alexandre propose aussi un cursus de certificat 334 d’animation, et du coup, c’est Prophilo qui chapeaute ça et maintenant on a même un certifi- 335 cat d’accompagnateur dans l’aide à l’animation. 336 Et quand tu prépares une leçon, tu penses à quoi ? A l’avance… 337 Souvent, je me fais moi ma petite communauté de recherche, parce que je sais qu’on va parler 338 de ça. Alors à table : « Alors en fait, qu’est-ce que vous pensez de… ? » C’est vrai qu’une 339 bonne préparation ça aide beaucoup. 340 D’accord, mais qu’est-ce qu’on prépare ? 341 Des relances. Mais effectivement, il faut que tu aies prévu par où ça va aller, donc euh oui, je 342 préparais beaucoup les relances, donc si ça va par là on peut plutôt développer ça… après il 343 faut savoir la lâcher et se dire que j’avais pas du tout prévu que ça parte comme ça et finale- 344 ment, ça vient avec la pratique aussi. 345 Puis au moment de la discussion, tu es dans le cercle avec eux ? 346 Oui, travailler les habiletés de pensée ça peut être intéressant aussi. 347 Et ton rôle c’est juste de relancer, reformuler ? 348 Souvent c’est moi qui donne la parole. 209 349 Dans l’ordre ? Ou par élève pour qui tu penses qu’ils auront le meilleur rebondi ? 350 Alors, j’essaie dans la mesure du possible, que ça soit dans l’ordre. Mais si on est sur une 351 thématique, quelqu’un qui dit « Oui, mais moi, là… » Alors oui, je dis oui. D’ailleurs y a, tu 352 peux faire l’expérience aussi, mais ils ont, et c’est aussi dans Lipman, ils ont comme des car- 353 tons de couleurs différentes et s’ils ont une question c’est telle couleur, ça peut être avec les 354 différentes habiletés de pensée, mais ça peut être aussi genre rouge car je dois dire quelque 355 chose maintenant, enfin pas rouge car c’est violent, mais telle couleur c’est parce que mon 356 intervention doit être maintenant sinon ça ira plus dedans. 357 Et quand tu formalises et institutionnalises, c’est comme on a dit avant, tu fais un petit retour 358 en fait sur ce qui a été dit ? Tu gardes des traces ? 359 Oui, j’ai des javas et vu que je prends pas mal de notes aussi… mais j’ai jamais fait… J’ai une 360 copine qui fait de la philo, mais au cycle, alors eux ils ont un cahier de philo. Alors de nou- 361 veau, je me demande si ce n’est pas un biais de l’enseignant qu’il faut qu’il y ait une trace de 362 formalisation. Alors eux ils ont un cahier de philo et ils font une synthèse à la fin de ce qui est 363 sortit, de où on est parti, où on est arrivé et où on va partir la prochaine fois, ou de ce qu’ils 364 ont ressenti. Après, avec les petits, j’avais fait tout un travail sur les émotions à partir des 365 contes d’Audrey Anne, et ça travaille toutes les émotions et ils faisaient des dessins souvent 366 après la séance. Voilà, c’était une espèce de synthèse par le dessin et souvent ils aiment bien 367 faire ça. C’est vrai que ça marche bien avec les petits, mais pourquoi pas avec les plus grands. 368 Est-ce que tu vois des acquis chez les élèves ? Quand est-ce que tu te dis « Ah, là ils ont com- 369 pris ou acquis quelque chose ? » Est-ce que ça se voit ou c’est implicite ? 370 Moi, je dirais que c’est plus, peut être, une qualité d’écoute. Oui, je pense que quand on fait 371 beaucoup, que c’est une qualité d’écoute entre eux. Et puis c’est la grande question de la 372 transposition, parce que c’est super difficile de transposer. Mais finalement, on pourrait faire 373 de la philo dans tout. On fait du français, des maths, alors on y va, on fait un débat philo sur 374 ça. C’est, je ne sais pas, je n’ai pas vraiment… Ou peut-être dans la gestion des conflits. Moi 375 je sais que ça m’est utile déjà en tant que personne, j’aborde plus la même chose, les conflits. 376 Du coup ça t’apporte quoi ? Une cohésion ? 377 Oui, et d’argumenter de manière correcte, d’écouter les arguments de l’autre, de construire 378 avec la personne qui est en face de toi. 210 379 Et sinon au cours de la discussion, qu’est-ce qui te permet de dire, bah là je régule, ça avance 380 pas bien, je pars sur autre chose ? 381 Bah, quand ça décolle pas, quand on est dans la juxtaposition d’idées, d’exemples. Alors des 382 fois, c’est nécessaire parce que tu sens que là, oui c’est vrai, on travaillait une séance sur la 383 mort avec les petits, bon bah voilà il a fallu que je fasse un tour de groupe pour que chacun 384 puisse dire que quand son chien était mort ou son hamster… parce que sinon je perdais le 385 groupe. Je sens qu’il fallait que je passe par là, parce que sinon, oui, chacun devait être enten- 386 du et après on pouvait repartir dans les hautes sphères. Voilà. Mais il y a avait tout d’un coup 387 un besoin concret. Mais oui, quand tu sens que ça décolle pas et que… oui, mais de nouveau, 388 je pense qu’au début c’est normal de passer par là. 389 Quand est-ce que tu sais s’ils ont atteints les objectifs ? 390 Bah quand… [grand silence] Oui, tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser, 391 conceptualiser, à bien sûr… mais euh, je trouve que l’importance du groupe, c’est marrant 392 moi je vois moins les individus, mais je vois la communauté et vraiment est-ce qu’on atteint 393 vraiment une communauté…. Oui, je pense qu’effectivement, quand on a dépassé le stade de 394 la confrontation d’idées en tout cas, et qu’on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner, à 395 problématiser… 396 Et est-ce que tu te rappelles de la première fois que tu as fait de la philo avec tes élèves ? 397 Comment c’était ? 398 Ca a été beaucoup, beaucoup de fois la cata… 399 Qu’est-ce qui était beaucoup plus difficile au début et moins maintenant ? Qu’est-ce qui a 400 évolué ? 401 Je pense qu’en fait, après c’est chaque animateur qui a ses petits trucs pour faire avancer la 402 discussion, mais je pense que c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et plus tu en fais, plus 403 t’es à l’aise, plus tu sais comment, oui, comment faire avancer. Après moi, y a un stade où 404 maintenant, il me manque plus des compétences philosophiques de raisonnement que tel à tel 405 raisonnement et là ok, j’aimerais amorcer un raisonnement qui est là-dedans et je pourrais 406 amorcer ça. Parce que, par exemple, quand j’étais en Belgique, souvent il y a aussi des per- 407 sonnes qui sont philosophes quoi, mais des fois ça passe dans les hautes sphères et je ne com- 408 prends pas un mot de ce qui est dit « Oui, selon machin-truc… » Mais en fait, ils ont de la 211 409 peine finalement, c’est toujours « selon » car ils ont l’impression qu’on va déshonorer un phi- 410 losophe en prenant son raisonnement à notre compte et il y a une sort de respect comme ça. 411 Mais je trouve que c’est ça aussi, justement avoir plus de compétences en philo. Et à Prophilo, 412 on a une personne, qui est elle prof de philo au secondaire, sur le canton de Vaud ou je sais 413 plus où, mais c’est un puits de connaissances. Et on monte des formations avec elle, où par 414 exemple le moi dans la philosophie, ou oui le vrai, ou et euh… c’est super intéressant. Et là, 415 c’est sur Platon la formation, en ce moment. Faut prendre quoi pour pouvoir apporter aussi… 416 Et quels conseils donnerais-tu à une enseignante débutante qui commence la philo en classe ? 417 Je pense que c’est important d’aller voir comment ça se passe, d’aller voir comment ça se pas- 418 se et puis on est déjà hyper seuls quand on est dans une classe et des fois il manque ce côté où 419 quelqu'un t’observe : « oui, là c’était bien si… » ou « là, tu aurais pu… » Oui, je pense que 420 c’est important de pouvoir partager quoi. C’est ultra nécessaire, en tout cas moi au début, 421 c’était hyper important et enrichissant que je puisse partager avec d’autres personnes. « Non, 422 mais là c’est parti comme ça… » Et moi, Alexandre est venu beaucoup m’observer, et c’est 423 hyper formateur et enrichissant quoi, et d’observer comment il fait, et dans les deux sens quoi. 424 Qu’est-ce que serait l’enseignant qui fait bien de la philosophie avec ses élèves ? 425 Il y a autant de types d’être animateur, que de personnes. Mais, c’est vrai que quand, enfin 426 moi, pour en avoir fait aussi pas mal avec Michel Sasseville, bah, c’est génial parce qu’il a 427 une manière de rendre la parole importante, et une écoute, et un poids à chaque idée que tu 428 amènes, et chaque petite brique participe à la construction de l’édifice et de relancer subtile- 429 ment. Oui, voilà, pour moi lui c’est le King. Après, on fait des formations avec Mathieu Ga- 430 gnon qui est une personne géniale, mais lui aussi il anime bien. Je pense qu’il faut pratiquer, 431 pratiquer et pratiquer, et je pense qu’il ne faut pas se décourager, parce qu’effectivement les 432 grandes périodes, mais si voilà, hésite pas à venir si tu veux aux échanges de pratiques de A. Demande de renseignements complémentaires par mail 433 Pourriez-vous m’indiquer : 434 Le degré scolaire de votre classe actuellement ? 435 6P 212 436 Le nombre d'années d'enseignement total ? 437 10 ans 438 Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ? 439 5 ans 440 Ecole privée ou publique ? 441 Aujourd'hui dans le public depuis 2 ans, sinon dans le privé. 442 Quelles est la place de l'enseignant dans la pratique du dialogue philosophique ? Quelles 443 sont ses intentions ? 444 Il s'agit d'utiliser la capacité naturelle qu'ont les enfants à se questionner sur le monde, le bien, 445 le mal, le beau, le juste, le vrai... dans le but de développer une pensée critique et créative. Le 446 dialogue philo avec les enfants présuppose que l'on est plus intelligent à plusieurs et que le 447 dialogue permet la construction d'une pensée articulée, argumentée dans un cadre d'écoute et 448 de respect des opinions différentes des siennes. Pour moi, la philo pour enfant renforce les 449 enseignements faits à l'école et fait complètement partie des compétences transversales déve- 450 loppées dans le PER. Il s'agit de développer des habiletés de pensée, comme par exemple, fai- 451 re la différence entre hypothèse et certitude, donner des exemples, des contre-exemples, défi- 452 nir des présupposés, faire des comparaisons, des analogies, trouver des critères. Tout cela 453 permet de développer un discours cohérent qui peut être communiqué à d'autres. 454 Quelles sont vos interventions ? De quel type ? Dans quel but ? 455 Rendre mes élèves citoyens, leur permettre de réfléchir pour et par eux-mêmes, leur commu- 456 niquer la diversité des pensées tout en étant capable de poser un regard critique sur notre 457 monde d'aujourd'hui, leur donner enfin la parole et l'écoute, pratiquer la bienveillance. Nous 458 pratiquons une fois par semaine. Les enfants aiment ce moment et en parlent fréquemment à 459 l'extérieur de la classe, ce n'est pas un conseil de classe, nous ne réglons pas les problèmes 460 internes, cela est fait à un autre moment. C'est un moment pour penser, pour réfléchir. 461 Que doit faire l'enseignant pour permettre aux élèves d'atteindre les objectifs ? 462 Se mettre en position de transmetteur et non de puits de savoirs, changement de casquette 463 obligatoire et nécessaire qu'il n'est pas toujours facile à adopter. L'enseignant fait partie du 213 464 groupe de recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une 465 pensée commune, critique et argumentée. 214 Entretien de David 1 Comment ça vous fait régir en deux trois mots ? 2 Je pense que vous rencontrez les mêmes problèmes qu’on a tous rencontrés lorsqu’on a com- 3 mencé, donc il n’y a pas de soucis. On est tous passé par ces situations là. C’est-à-dire cette 4 idée où on a tous été formatés dans nos études, de faire des belles leçons, avec de beaux ob- 5 jectifs qui atteignent ce qu’on veut, et là ce qu’on vous propose en pratique de la philosophie 6 selon Lipman, c’est justement complètement le contraire. C’est être capable d’accueillir tout 7 ce qu’on vous demande, ce qu’on vous propose, pardon, et d’en faire quelque chose et cons- 8 truire avec les enfants. Et ça c’est compliqué, parce que le schéma qu’on a dans la tête c’est 9 plutôt le maître vers les élèves, et là on ne se retrouve pas dans le même schéma. On se re- 10 trouve nous avec eux. Et parfois c’est compliqué de se détacher de ça. Donc voilà, ça c’est ma 11 première réaction. 12 La deuxième, vous vous heurtez à un problème qu’on gère très souvent, dont on a souvent 13 retour, c’est les bonnes questions. Est-ce qu’ils vont poser des bonnes questions ? Et c’est 14 marrant, parce qu’il y a une heure et demie, j’étais en train de raconter qu'une fois j’ai eu une 15 question qui était « Pourquoi son polo est bleu ?» Et c’est la question qui a été choisie par tou- 16 te la classe. Et quand je suis arrivé chez moi, je me suis dit "Je vais en faire quoi de cette 17 question ?" J’étais vraiment au début et je me disais : « c’est vraiment pas une bonne question 18 et je vais jamais pouvoir faire quelque chose de ça.» Alors qu’est-ce qui a changé entre le 19 moment où je pensais ça et aujourd’hui ? Bon, déjà, il y a eu beaucoup de temps qui est passé, 20 ça c’est clair. C’est la pratique, il faut faire confiance à la pratique. Elle va vous aider à com- 21 prendre et à dédramatiser, à transformer. Vous allez être transformée par cette pratique, ça 22 c’est clair. Mais il y a une chose aussi qui change, c’est que vous êtes plus, il faut acceptez 23 que vous n’êtes plus le maître. C'est-à-dire, que vous faites confiance, à la fois aux enfants et 24 à la fois au processus. Et à chaque situation, si à la fois vous savez que vous savez, eux ils ne 25 vont rien faire. Si vous êtes en recherche avec eux, alors là, ils vont se mettre en recherche. 26 C'est-à-dire, votre rôle ce n’est pas de leur donner une quelconque réponse à quoique ce soit, 27 c’est d’être, de prendre ce qu’a dit Léonard pour dire « Dis donc toi, quand tu dis ça, tu ne 28 trouves pas qu’il y a quelque chose qui se ressemble ? », et sans arrêt. Votre rôle c’est que fai- 29 re des liens. Que faire des liens. Vous êtes là, ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour ju- 30 ger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est bonne ou pas bonne. Peut 215 31 être quelle est bonne, peut-être qu’elle n’est pas bonne, enfin je dirais même que toutes les 32 questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on va en faire. 33 Donc là il n’y a pas un point particulier qui a fait tout pécher ? 34 Pour moi, il y a un point qui pèche et c’est hyper classique, c’est que vous n’arrivez pas à lâ- 35 cher votre rôle et ça c’est évident. Et même le fait de donner… Alors déjà, un, vous choisissez 36 le film. Deux, vous leur demandez ce qu’ils ont compris avant de leur demander ce qu’ils 37 n’ont pas compris. Et je pense qu’il vaut mieux leur demander ce qu’ils n’ont pas compris, 38 parce que ça, ça va les intéresser. Ce qu’ils ont compris, ils ont compris, on en parle juste pas 39 et ce qu’ils ont compris, ils vont vous le dire dans ce qu’ils n’ont pas compris. Ça veut dire 40 que s’il y a un tel qui n’a pas compris, si l’autre a compris il va le lui dire. Donc vous n’avez 41 pas besoin de ce qu’ils ont compris. En plus, moi je fais jamais écrire quelque chose sur la 42 philo, je considère… et d’ailleurs, ils adorent quand les enfants sont malades à la maison : je 43 l’ai vu deux fois cette année, le parent revenir avec l’enfant qui a de la fièvre, mais l’enfant 44 avait tellement dit «C’est l’heure de la philo, je veux y aller, etc. » que le père me dit « Est-ce 45 que je peux vous le laisser une heure, il y a la philo et après je viens le récupérer ? » Puis je 46 dis « Mais il ne serait pas mieux dans son lit? » et il dit « Non, non, il me fait une vie incroya- 47 ble, il voulait être là.» Pourquoi ? Parce qu’en fait ce n’est pas du tout scolaire. On leur de- 48 mande de parler d’eux, de dire où ils en sont, d’accepter la parole de l’autre, de la transformer 49 et se transformer eux-mêmes. Et très souvent moi, j’ai des enfants qui me disent « Bah, tu 50 vois là, j’ai changé d’opinion, je ne pensais pas qu’un tel serait capable de me faire changer 51 d’opinion.» Alors du coup, il y a l’estime de soi qui monte, celui qui a eu une bonne idée est 52 tout fier, et c’est comme ça que finalement tout le monde progresse. Et je dirais que là, vous 53 avez tendance à en faire quelque chose de trop scolaire, à mon avis. Est-ce que c’est de la phi- 54 losophie ou est-ce que c’est de l’expression écrite ? Et je pense que là, vous êtes entrain de 55 vous court-circuitez vous-même, et c’est dommage. Laissez à la philo ce qui appartient à la 56 philo. C’est la pratique du dialogue, ce n’est pas la pratique de l’écriture. Ça, c’est mon avis. 57 Nous, on le fait jamais par contre, je sais que tout ce qu’on fait en philo, je le retrouve partout. 58 Donc, ayez confiance en ça. C’est un processus la philosophie, vous êtres dans un processus 59 de changement et eux aussi. La preuve, si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début 60 d’année et ce qu’ils sont capables de dire en fin d’année, vous passez du « Je suis d’accord » à 61 « Son exemple me fait changer d’avis ou j’ai changé d’avis car le contre-exemple qu’il a don- 62 né… » Voilà, ça veut dire qu’ils ont déjà intégré énormément de choses. 63 Sur quoi je peux réagir encore ? 216 64 La question du contexte. Parce que j’ai interrogé déjà plusieurs enseignants et ils sont assez 65 mitigés. Là, j’ai donné la vidéo sans parler du contexte. Alors il y en a qui me disent que le 66 contexte est indissociable de cette vidéo, qu’il faut leur expliquer dans quel contexte ça 67 s’inscrit et puis j’en ai qui me disent : « mais en fait moi aussi j’aurais donné cette vidéo 68 comme ça et demander aux élèves comment ça vous fait réagir »… 69 Moi, ce n’est pas ça qui me pose problème, parce que oui le contexte, mais non en fait, on 70 peut se poser : "qu’est-ce que ça évoque chez nous ?" Qu’est-ce qu’évoque cette vidéo ? Enfin 71 j’imagine que vous aviez envie de parler de la guerre… 72 C’était pour faire le lien, le passage, car on était beaucoup sur la guerre et on voulait passer 73 à la paix. Je trouvais que c’était une bonne vidéo pour… parce que finalement c’est une ima- 74 ge de guerre mais c’est un message de paix. 75 C’est votre message d’adulte. Je ne sais pas si c’est, j’ai l’impression, mais peut être que je 76 me trompe, mais vous n’êtes pas très contente de la situation ? 77 Ah non, pas du tout. 78 D’accord. Et vous avez l’impression que les enfants ont pas appris grand-chose ? (L’étudiante 79 acquiesce) J’ai l’impression dans ce que vous racontez que… 80 Que je ne sais pas ce qu’ils en retiennent finalement. 81 Alors, on est très tenté de laisser les romans de Lipman à côté, ça nous agace, on en a marre 82 de Pixie, on trouve que c'est mal écrit, il y a plein de bonnes raisons et je les comprends et j’ai 83 fait la même chose. Ce que je vous dirais c’est que j'ai tenté de faire la littérature jeunesse 84 avec les enfants, de prendre des vidéos, des films… Déjà, ça bouffe un temps pas possible, 85 parce que faut les préparer, faut les trouver, etc. A chaque fois, j’ai jamais eu autant de ques- 86 tions aussi diversifiées que quand je travaillais avec les outils de Lipman, ce qui fait que je 87 suis revenu à Lipman en me disant : « Ok, t’aimes pas le roman, les gamins ils aiment bien, ce 88 n’est pas ton problème. S’ils adhèrent au roman, s’ils adhèrent bien, si ça leur fait poser des 89 questions, après tout le roman dure très peu de temps et ce qui m’intéresse c’est les ques- 90 tions. » Alors moi, mon conseil, c’est dire : revenez sur le roman et vous verrez. Revenez sur 91 le roman, mettez deux observateurs, arrêtez de faire écrire aux enfants ce qu’il se passe car ce 92 n’est pas évident pour eux. Le président de séance c’est quand même vous, pour que votre 93 rôle c’est quand même donner la parole à chacun et faire les liens, parce que si vous donnez la 217 94 présidence à un enfant, il y a forcément un moment où vous allez lui passer au-dessus et du 95 coup, vous lui donnez un pouvoir sans pouvoir faire respecter le pouvoir. Vous lui donnez pas 96 le pouvoir, c’est vous qui l’avez, mais vous le partagez avec tout le monde. C’est encore 97 mieux. Et du coup, vous ne parasitez pas les messages. Et puis le troisième, il fait quoi ? Il est 98 gardien du, ah oui… C’est pas mal mais, est-ce qu’ils sont là pour penser ou garder le temps ? 99 Est-ce qu’ils sont là pour écrire, ou pour penser ? Moi, je dirais, mettez-les tous dans le bain et 100 s'ils sont dans le bain de la pensée, dans le bain de la réflexion, utilisez-les simplement pour 101 être observateurs de la pensée des autres, pour que eux intègrent les choses qui marchaient 102 pas. Donc vous pouvez prendre observateur de la prise de parole, exemple, contre-exemple et 103 définition, et puis on s’arrête là. Et du coup, vous allez voir comment ça s’intègre à l'intérieur. 104 Si vous voulez parler de la paix, c’est pas forcément en montrant des situations de paix ou de 105 guerre qu’on va parler de la paix. On peut parler du respect et ça parle de la paix aussi. Donc 106 cette entrée là est plus thématique que philosophique, et on est dans cette approche en ce mo- 107 ment-là. Oui, les romans de Lipman c’est pénible, mais franchement, moi je suis en train de 108 les faire réécrire, et je suis vraiment d’accord avec ça. Mais dans les romans de Lipman, vous 109 avez pratiquement dans chaque ligne des concepts philosophiques qui appartiennent à des 110 grands penseurs. Est-ce que dans... Dans quoi on va retrouver ça ? Dans la littérature jeunesse 111 vous avez un ou deux concepts qui sont balayés, vous n’en avez pas des tonnes. Là, c’est 112 vraiment d'une grande richesse, et vous avez, tout le processus dans votre formation ? 113 Oui, on l’a vécu. 114 Alors moi, je dirais, essayez de… Là, vous avez choisi un chemin qui n’est pas facile. Vous 115 essayez déjà de vous distancier du chemin alors que celui-ci est très confortable, il a été 116 éprouvé et ça fonctionne. Donc, si vous avez vous, en vous, envie d’avoir le moins de pro- 117 blèmes possibles, mettez-vous dans ces chaussure là, ces pantoufles, et après vous pourrez 118 construire avec les enfants. Mais là, vous vous êtes mis beaucoup de problèmes à la fois. Vous 119 avez mis les enfants en situation scolaire plutôt qu’en situation de penser, vous leur avez don- 120 né des rôles alors qu’il est court-circuité du rôle de penseur alors que vous leur avez demandé 121 ça, vous leur avez demandé ce qu’ils ont compris alors que nous ce qui nous intéresse c’est ce 122 qu’ils ne comprennent pas. Et vous dites : « Les élèves sont bloqués et je me demande pour- 123 quoi. » Ils sont bloqués parce que justement, c’est compliqué de dire ce qu’on n’a pas com- 124 pris, par contre ce qu’on ne comprend pas on va trouver les mots, on va trouver l’énergie. Et 125 vous dites, il y a aussi chez vous la notion de « Je suis satisfait ou pas ». Et en fait, est-ce 126 qu’ils sont là, ou travaillent, pour vous faire plaisir ? Je pense que non, je pense qu’ils sont là 218 127 pour partager une aventure en philo notamment, et je pense que si on émet un jugement sur 128 quoique ce soit qui vient d'eux ça peut freiner la pensée, ça peut freiner l’expression. Donc ça 129 rejoint la bonne question et la mauvaise question. Est-ce que je suis contente de ce qu’ils ont 130 dit ? Franchement ? Je suis toujours content de ce qu’ils ont dit. Parce que si vous regardez 131 plutôt le processus qui est en train de se passer, c’est toujours positif. Après, ça pourrait mieux 132 se passer, ce n’est pas de leur faute, c’est de la notre. On n’a pas su. Moi, j’ai été filmé il y a 133 pas longtemps et je me suis dit « Ah, zut, j’ai raté. J’aurais dû lui demander pourquoi… » On 134 ne peut pas être partout, ce n’est juste pas possible. Et puis, à mon avis, ce qui vous pose pro- 135 blème c’est la posture, c’est comment vous êtes par rapport à ça. Je pense que c’est difficile 136 pour vous de pouvoir lâcher, vous avez envie mais, euh, est-ce que ça va être une bonne le- 137 çon? Est-ce qu’ils vont poser des bonnes questions ? Ce n’est pas grave, si vous faites ça, po- 138 sez vous pas la question. D’ailleurs, regardez (l’enseignant montre le titre de la SEC) : « phi- 139 losophie ou discussion de café ? » Ça prouve que vous n’êtes pas tellement contente de ça et 140 je pense que vous vous êtes mis certainement des entraves pour le faire. Mettez de côté tout ce 141 qui vous appartient, soyez avec eux, accueillez, voyez leurs questionnements et à mon avis, ça 142 va émerger et vous serez super contente, et soyez vous-même dans la découverte, vous savez 143 rien et vous êtes là comme quelqu’un de naïf, et c’est vrai, vous allez découvrir plein de cho- 144 ses. Vous allez découvrir à quel point ils pensent bien, à quel point le petit qui parle jamais et 145 qui a l’air le dernier de la classe est hyper brillant, a une pensée hyper logique et vous auriez 146 jamais cru ça de lui, et c’est ça, c’est là-dessus que vous êtes. Vous n’êtes pas sur le niveau de 147 pensée, c'est égal ce qui est en train de se construire. 148 Et qu’est-ce que je vu encore… Ah, là, vous parlez d’objectifs. Honnêtement, laissez-les de 149 côté, laissez-les de côté, gardez-les pour les maths par exemple, mais donnez-vous cet espa- 150 ce… 151 Donc là, il n’y a pas d’objectifs ? Il y en a qui le mettent dans français, d’autres dans ci- 152 toyenneté… 153 Vous les mettrez après… mais pour eux, vous n’avez pas d’objectifs. L’objectif, c’est de pen- 154 ser et penser mieux. Donc votre objectif à vous c’est « Donne-moi des exemples quand tu dis 155 ça. Est-ce que quelqu’un a un contre-exemple ? Est-ce que ça vous fait penser à quelque cho- 156 se ? Est-ce que c’est en lien avec ce qu’il a dit ou pas ? Qui n’est pas d’accord ? Dis donc toi, 157 ton opinion c’était ça, ce n’est pas la même opinion que lui, est-ce que tu es d’accord mainte- 158 nant avec les éclairages qu’il a donnés ? Il arrive pas à s’exprimer, qui peut l’aider ?". C’est 159 juste ça l’objectif, et ça c’est un objectif tellement transversal qu’on pourra jamais vous dire 219 160 que ce n’est pas dans les objectifs de l’école. L’école est un lieu pour apprendre à penser, 161 donc laissez-les de côté, après vous allez les mettre. Ça, on sait faire nous les pédagogues, on 162 sait les trouver. Si on vient vous inspecter : «Oui, bien sûr, moi je suis là-dedans.» Mais les 163 enfants, il y en a pas, c’est juste apprendre à penser, et c’est déjà tellement compliqué de met- 164 tre toute notre énergie de pédagogue dedans. Alors si en plus vous avez les objectifs de refor- 165 mulation, d’exemplification, et autres qui composent la discussion à visée philosophique… 166 Vous les enregistrez les discussions ? 167 Non. 168 Ça vaudrait le coup, parce que vous êtes hyper étonnée après. Vous dites « Oulala, il a dit 169 ça ? » Vous allez voir, vous êtes tellement concentrée sur ce que… Mettre des liens, pour moi, 170 c’est que ça notre rôle, mettre des liens : «Tu es d’accord avec lui, ok. Alors, qu’est qu’il a 171 fait ?», que vous avez du mal à avoir une vue d’ensemble, et quand vous vous réécoutez vous 172 dites «Alors là.. » Et le fait de vous réécouter vous donne l’eau au moulin pour la suite. Il 173 m’arrive de passer trois heures sur une seule question en disant : «Voilà, la dernière fois il y 174 avait une question, il y a un tel qui a dit ça, c’est très intéressant et on n’a pas repris son idée 175 et je trouve que c’est tellement une bonne idée, que c’est vraiment dommage, et qu’est-ce que 176 vous en pensez ? Est-ce que vous êtes d’accord qu’on reprenne ça ? » Et moi, c’est hyper im- 177 portant que tout le groupe soit d'accord avec ça. «Vous êtes d'accord qu’on travaille encore 178 sur cette question là ? J’aimerais qu’on travaille encore une heure en plus, c’est ok pour 179 vous ?» En général ils disent : « Bah oui, on est d’accord. » Alors « Tu veux bien nous redire 180 pourquoi tu disais ça ? Qu’est-ce que tu entendais par… » Puis là, il y a un nouveau film qui 181 se libère, c’est incroyable. Et en général, même si vous préparez, il y a jamais rien qui est prêt. 182 Moi, j’ai préparé des questions la semaine dernière j’avais l'impression qu’on allait partir sur 183 la famille, donc j’avais préparé beaucoup de choses sur la famille… On est parti sur le respect 184 et c’était incroyable ce qu'il s’est passé. Je me suis dit : c’est incroyable même des adultes 185 sont incapables de dire ça. Et y a un enfant à un moment, donc on disait le respect c’est aussi 186 dire les choses correctement, «Si ma mère me dit que mon dessin est moche, je vais mal le 187 prendre parce que c’est ma mère.» Alors, on a déjà vu «Et si c’est quelqu’un que je ne connais 188 pas bien, oui il a le droit de le dire.», et un autre «Oui, mais il pourrait le dire d'une autre fa- 189 çon : "Ce dessin est joli mais ce n’est pas dans mes goûts ". » Alors on a fait une ligne en di- 190 sant : "Bon ok, on peut dire c’est moche, ce n’est pas dans mes goûts et au milieu il y aurait 191 quoi ?" On a essayé de graduer, de nuancer comment on pouvait dire les choses et c’était 192 vraiment intéressant. Et à la fin, il y en a un qui a dit « Finalement, le problème ce n’est pas 220 193 dans le fait de nuancer. Peut-être le problème c’est la façon dont on dit les choses, mais aussi 194 dont celui qui les entend les reçoit.» Donc après, j’ai utilisé ça en disant «Il y a Arsène qui a 195 dit que la responsabilité, ce n’est pas seulement celui qui dit les choses, mais c’est une cores- 196 ponsabilité, celui qui dit la chose et celui qui la reçoit. Est-ce que je vous avez des exem- 197 ples ? » Et ils en ont plein… et là j'avais prévu, on a travaillé une heure là-dessus. 198 Donc il n’y a pas vraiment de préparation à priori en fait ? 199 Moi, j’utilise beaucoup le classeur de Lipman. Ils ont 12 ans. Vous faites Pixie avec eux ? 200 Donc, il y a un classeur qui est là [il va le chercher]. Donc ce classeur est le guide d'accompa- 201 gnement. Moi, je fais deux chapitres par an, je n’arrive pas à faire plus. Après, ils posent les 202 questions, chapitre 1, chapitre 2, après on vote pour les questions. Ce qui est important c’est 203 que toutes les questions soient traitées. Alors des fois on se dit « Ah, il y avait cette question 204 là, est-ce qu’on l’a traitée ? Est-ce que ça vaut le coup de la traiter ? Alors eux-mêmes ils 205 trouvent et donc en fonction de la question, je cherche les thématiques qui peuvent sortir, et 206 donc c’est une mine ce truc-là, parce qu’on ne peut pas tout inventer, on n’a pas tous un doc- 207 torat de philo. Il y a des thèmes « Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? » Il y a des 208 exercices, des plans de discussion et ça vous simplifie vraiment la vie et là vous restez vrai- 209 ment dans les discussions de bon niveau et justement pas des discussions de café. Parce que 210 vous-même, faut être clair avec les concepts qu’il y a derrière. Par exemple, on a travaillé 211 beaucoup sur le vrai et faux, et évidemment un jour, il y en a un qui a dit : «Il y a des choses 212 qui paraissent vraies mais qui sont fausses.» « Par exemple ? » « Bah les fleurs et les fausses 213 fleurs, quand on les voit de loin on dirait qu’elles sont vraies, mais elles sont fausses.» Ok, 214 donc on a nuancé, qu’est-ce qui parait vrai mais qui est faux ? Et du coup j’ai passé cinq, six 215 heures, sur ce qui est vrai et ce qui est faux. Et c’est génial, parce que donc on a commencé à 216 travailler avec des dessins, après les enfants ont dit que je ne suis pas trop d’accord avec ça 217 parce que voilà, on a beaucoup, beaucoup travaillé avec Mancraft [jeu vidéo], parce que cette 218 idée de virtuel est compliquée, parce que le jeu existe mais à l’intérieur du jeu c’est faux. Les 219 films aussi posent beaucoup de problèmes aux enfants. Les acteurs sont vrais, mais le film est 220 une fiction. Donc, est-ce que une fiction est vraie ou pas ça ? C’est aussi très compliqué, donc 221 si vous vous êtes pas au clair avec ce qui est vrai ou faux, vous pouvez pas tout inventer, c’est 222 des philosophes qui ont inventé ça et en un mot, vous vous êtes compliquée la vie et ça aurait 223 pu être beaucoup plus simple que ça et vous avez dû ramer quand même… 221 224 Mais essentiellement, il faudrait vous former, si vous êtes passionnée par ça il faudrait vous 225 former [l’enseignant parle ici un moment du nouveau microgramme qui a des unités de valeur 226 universitaire, partie non retranscrite]. 227 Et donc, vos questions, c’est comment prendre en compte l’entièreté du groupe ? Bon ça, je 228 crois que j’ai répondu… Comment être sûr que les élèves apprennent quelque chose ? Ça, 229 c’est une question que vous, vous ne posez pas… Vous verrez après s’ils ont appris ou pas, 230 mais ils vont apprendre. Si vous avez confiance dans le processus, ils vont apprendre. Com- 231 ment les amener à dépasser le monde qui leur est proche pour se poser des questions plus 232 existentielles ? Ça, c’est une vision d’adulte. Ils vont partir forcément de leur vécu. Par contre 233 vous, votre travail, c’est de partir du singulier pour en faire du général, et c’est là que vous 234 allez réussir à les sortir d’eux-mêmes, c’est-à-dire « Ok, toi tu penses que tous les Français 235 ont du mal à apprendre l’anglais.» « Ok, comment tu sais ça ? » « Ah bah ma voisine… » « 236 Ok, mais tous les français c’est ta voisine ? » « Ah bah non.» « Alors, est-ce que tu peux redi- 237 re ta phrase ? » « Ma voisine, je pense qu'elle a du mal à apprendre l’anglais.» Alors, est-ce 238 que pour autant tous les Français ont du mal ? Alors peut-être que c’est vrai, mais juste les 239 faire relativiser et voir que leurs mots, leur choix des mots a une importance. 240 Et sinon des questions plus précises : Qu’est-ce que la philosophie pour vous ? Comment 241 vous pourriez la définir en quelques mots ? 242 Apprendre à mieux penser. Donc c’est développer des habiletés de pensée, ça c’est clair. Mais 243 c’est le truc qu’on voit partout, développer une pensée critique, ça c’est important. « Qu’est- 244 ce qui te permet de dire ça ? Pourquoi ? " Ça c’est hyper important pour en faire des citoyens 245 libres, libres parce qu’ils seront capables d’opérer des choix avec des jugements raisonnés et 246 non pas avec la bonne idée de machin qui a une bonne tête et qui est copain avec un tel. 247 Vraiment c’est leur faire prendre la distance. Vous verrez que petit à petit ça va coloniser tout 248 ce que vous allez faire dans la classe, vous pourrez plus faire les maths de la même façon. Et 249 souvent, les enfants me disent "Mais attends, on fait des maths ou de la philo ?" "Non, non, on 250 fait des maths." « Mais en maths aussi on peut se poser des questions.» « Oui, oui. » Et vous 251 ferez des choix qui iront dans ce sens-là. 252 Et donc pourquoi vous faites de la philo avec les enfants et qu'est-ce que ça leur apporte fina- 253 lement ? 254 Alors, si on a développé cette école pilote, on est persuadé que le rôle de l'école c’est faire 255 mieux penser les enfants. Ca c’est clair que bien souvent, on leur demande pas de penser, 222 256 mais ce qu’on leur dit de faire, et puis de raconter ce qu’ils ont compris, de raconter les faits 257 mais avec assez peu de connexions avec des concepts. Qu’est-ce qui m’a fait choisir ça ? Je 258 me suis dit que ça allait me faciliter la vie, que de toute façon ils allaient être plus efficaces 259 dans leur raisonnement, que de toute façon en maths ça allait se retrouver, en grammaire ça 260 allait se retrouver, s'ils aimaient la philosophie ça leur donne une autre vision de l’école et ça 261 les aide d'avoir une estime d'eux même qui va augmenter. Et j'ai des vidéos où les enfants di- 262 sent "La philosophie ça m'aide à avoir confiance en mathématiques", et on lui dit "Pourquoi?" 263 "Car je sais que quand je fais de la philo je suis intelligente et du coup j’ai moins peur de faire 264 des maths". Donc je pense que tout cet aspect « estime de soi » est important. 265 Et quelles sont vos intentions à ce moment-là ? 266 Pendant les cours ? J’en ai pas, c’est juste qu’ils apprennent à bien penser. Moi, je suis juste là 267 pour les aider à œuvrer dans ce sens là. C’est-à-dire questionner. Je n’ai pas d’intentions pré- 268 cises si ce n’est qu’une intention globale, bien évidemment. 269 Et vous, vous avez reçu quoi comme formation ? 270 Alors, moi j’ai fait ma fac de prof. J’ai fait une fac de philo. Ensuite, j’ai dirigé un institut où 271 il y avait une formation initiale pour les enseignants dans laquelle la philo était un passage 272 obligatoire. Je me suis beaucoup formé avec Michel (Sasseville) et j’ai toujours été ensei- 273 gnant, car c’est mon vrai métier, mon métier de cœur aussi et puis je dirige cet institut dans 274 lequel je m'occupe de la philo. Et j’ai fait un master en ingénierie pour adultes, pour comment 275 organiser une formation, et comment vérifier si elle a été bonne, c’est plus technique. 276 Et sinon, au moment du débat, est-ce que vos intervention sont nombreuses ou pas ? Parce 277 que Lévine dit « on laisse discuter les enfants »… 278 Oui, alors Lévine c’est un psychanalyste. Lui, c’est complètement l'opposé de ce qu’on fait. 279 Lévine c’est "Le bonheur c’est quoi ?" Et on se tait. Moi, je pense que ça ne fonctionne pas. 280 J’ai vu des vidéos de ça et franchement j'avais mal pour les enfants. J’ai vu aussi Brenifier qui 281 fait ça et j’ai vu des enfants se faire engueuler parce qu’ils touchaient leur trousse alors que ça 282 les intéressait pas, c’est tout. Je pense que notre rôle c’est questionner, animer la situation. 283 Et puis les enfants qui ne parlent pas, on les laisse ? On va les chercher ? 284 Alors oui, je pense que ça, c’est quelque chose qu’on doit percevoir pour qu'ils disent au 285 moins quelque chose, mais pas les mettre dans la situation " Tu n’as pas parlé, tu dois parler." 223 286 Donc trouver une situation où " Tous ceux qui aiment leur prénom, levez-vous." Et puis il y 287 en a que cinq. Ok. « Bah dites-moi pourquoi vous n’aimez pas? ", vu que vous avez repéré 288 qu’il y en a qui parlent pas beaucoup. " Les filles levez-vous, vous allez me dire pourquoi 289 …. " " Les garçons levez-vous… " " Tous ceux qu’ont un pantalon rouge… " " Donnez-moi 290 une définition très rapide de qu’est-ce que le respect ? " "Ou une situation où il n’y a pas eu 291 de respect." Et du coup, ils sont obligés de parler, mais ça se voit pas. Et le fait de parler don- 292 ne envie de parler. Mais globalement, je mets jamais en face des yeux d’un enfant qu’il n’a 293 pas parlé, car ça voudrait dire qu’il n'a pas fait ce qu’il avait à faire, et je ne sais pas si le fait 294 de parler ou pas parler l’empêche de penser. Il y a des enfants qui parlent beaucoup et qui 295 pensent peu, et il y en a qui parlent pas et qui pensent beaucoup. Est-ce que mon présupposé 296 c’est dire que tout le monde doit parler, comme ça je sais que tout le monde pense ? Non, je 297 ne suis pas sûr… Mais par contre il y en a qui ont du mal à parler, ça c’est vrai. Mais c’est une 298 autre fonction. Donc aidons-les. Comment est-ce qu’on peut trouver quelles ficelles on peut 299 tirer pour dire… et c’est assez marrant, parce que avec certains, vous pouvez dire : dis donc 300 toi, je t'ai vu parler avec un tel, tu aurais quelque chose à nous dire ? « Bah oui, j’étais en train 301 de lui dire que…. » Et c'est parti. Et ce que j’ai pu remarquer, c’est que quand ils parlent une 302 fois, ils parlent deux fois, et ils osent après. Mais il faut accepter qu’après il y en a qui parlent 303 jamais, mais quand ils sont observateurs, ça les oblige à parler parce qu’ils ont observé du 304 coup… et ça, ça peut déclencher, mais je pense qu’il faut vraiment respecter. 305 Et est-ce qu’à la fin, vous institutionnalisez quelque chose ? Ou formalisez quelques chose ? 306 Comment on clôt ce moment ? 307 Alors comment je clôture ? « Ah, c’est l’heure ! » Mais on se prend une minute quand même 308 pour garder en tête ce qu’on aimerait dire pour la prochaine fois, donc on ferme les yeux. Pla- 309 ce aux observateurs : "Les observateurs, qu’est-ce qu’ils ont à nous dire?" "J’ai vu ça, etc. ". 310 Et ma question : "Est-ce que c’était une bonne séance ? Oui ? Pourquoi ? " "Parce que nana- 311 na…" C’est jamais nominatif. Il y a beaucoup d’enfants qui ont parlé, il y en a moins qui ont 312 parlé, il y en a eu plus cette fois-ci qui ont donné des exemples, ou dire aujourd’hui on était 313 plus dans l’exemple et il y a eu moins de... voilà, etc. Les enfants on globalement respecté les 314 règles, euh, il n’y en a pas qui ont coupé la parole, ou il y en a beaucoup moins que la dernière 315 fois, voilà. Et puis, ok, "Est-ce que ce que les observateurs ont dit, vous êtes d’accord avec 316 eux ? Est-ce que pour vous aussi c’était une bonne séance ? Qui veut parler là-dessus ?" Ok. 317 "C’est une bonne séance parce que je me suis senti bien, ou j’ai bien aimé la question." Etc. 318 J’essaie toujours de terminer sur quelque chose de positif et de reformuler : "Ok, pour toi 224 319 c’était une bonne séance. Est-ce qu’il y en a qui sont pas d’accord avec ça ? Et ok, toi t’es pas 320 d’accord. Ok je prends note." On en parle et c’est tout. 321 C’est plus sur le processus que sur le contenu ? 322 Voilà, rester sur le processus. Et le début c’est pareil. "Qu’est-ce qu’on a fait la dernière 323 fois ?" On garde une minute pour se souvenir. "Est-ce que c’est encore important d’en parler 324 aujourd’hui ?", etc. Ou alors : "Aujourd’hui, on va attaquer cette question-là, est-ce qu’il y a 325 quelque chose qui est en suspend, qui est vraiment très important ?" Et il y a des enfants qui 326 disent : " Alors moi, j’ai cherché sur Internet telle chose… "Ah oui, une fois un enfant a dit… 327 on travaillait sur la discrimination et on avait buté sur une voiture volante et un avion. Et il y 328 en a un, qui a dit que l’avion n’avait pas de roues tout le temps, et l’autre a compris qu’il 329 n’avait pas de roues, alors il a dit " J’ai cherché, etc. " Ok, donc il a dit : "Ah non, mais c’est 330 pas ce que je voulais dire, mais je voulais dire ça…" " Ah bon, alors si t’as dit ça c’est ok." 331 Tac, on ferme le truc et on passe à autre chose. 332 Et du coup qu’est-ce que serait un bon enseignant de philosophie ? Les ingrédients du… 333 Celui qui se tait, celui qui accueille sans juger. Quand j’interviens, je dis : "Je me demande 334 pourquoi Arsène nous dit qu’une chose peut exister mais être fausse. Il dit ça, mais moi je 335 n’arrive pas à comprendre." Voilà. Ou alors : "Moi, je me sens mal aujourd’hui parce que ça 336 bouge beaucoup, ça parle beaucoup. Est-ce qu’on a mis une règle pour ça ?" "Euh oui, pas 337 couper la parole et pas faire d’aparté." "Ok, donc je comprends pourquoi je me sens pas très 338 bien. Est-ce qu’on arrive à aller plus loin ou est-ce qu’on arrête aujourd’hui ? " Toujours, moi, 339 je leur remets toujours entre les mains, ça veut pas dire que moi je ne suis pas garant de tout le 340 reste, j’en vire des fois. « Ok, tu nous casses les pieds, tu regardes comment font les autres, ça 341 va t’inspirer.» Mais je dirais, il y a pas de bon ou de mauvais, il y a ce qu’on est avec peu de 342 pratique, ce qu’on est avec un petit peu plus de pratique et ce qu’on est voilà. 343 Et qu’est-ce qui fait évoluer ? 344 Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire. Prendre des vidéos de vous, vous écouter 345 parler, sans arrêter, le rapport réflexif quoi. Faites-vous observer par quelqu’un qui ne connaît 346 rien ou qui connaît bien. Demandez de co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe. 347 [La discussion revient sur le programme de formation, partie non retranscrite]. 348 Ce n’est pas parce que vous êtes dans l’accueil, dans le non-jugement, que vous derrière, vous 349 n’avez pas fait ce travail avec ça. C’est hyper important ça. Vous, si vous êtes pas dans l’idée 225 350 que vous êtes en train de percevoir de mieux en mieux ce qu’il y a derrière les questions des 351 enfants, vous allez pas avancer. Donc vraiment, même si ça sert à rien ce que j’ai fait quand 352 j’ai travaillé sur la famille, un jour ou l’autre ça va me servir à quelque chose, et de toute fa- 353 çon la question que je me suis posé en travaillant là-dessus, ça m’aide à me poser d’autres 354 questions, donc c‘est gagné d’avance. Vous voyez ce que je veux dire, cette idée d’apprendre 355 sans arrêt. 356 Mais là, l’histoire de se détacher du scolaire, il y a quand même pas mal d’exercices dans 357 cette méthode. 358 Oui. 359 Donc on revient quand même à du scolaire ? 360 Non, parce que vous les avez vus les exercices ? 361 C’est une liste de phrases où il faut trouver les présupposés ou non, par exemple. 362 Alors, vous n’êtes pas obligée d’utiliser ça. Moi, ce que j’utilise beaucoup, c’est ça, les plans 363 de discussion, par exemple : définition du mot correct. Bon, ça, c’est un exercice, voilà, plan 364 de discussion : "Est-ce que tu peux espérer ce que j’espère ? Est-ce que je pourrais souhaiter 365 ce que tu souhaites ?" C’est-à-dire, si vous avez ça sous la main et qu’il y a un moment vous 366 trouvez… là, vous pouvez avoir un jugement, vous trouvez qu’on tourne un peu en rond, paf, 367 vous ressortez le truc et je me dis ah tiens ça, ça pourrait être intéressant, "Est-ce qu’à votre 368 avis...?". Ça, c’est Lipman ou Michel Sasseville qui a fait ça. Eux, ils l’appellent Michel Lip- 369 man. Mais "Est-ce que tu pourrais espérer ce que j’espère ? A votre avis ?". En fait, vous fai- 370 tes deux, trois questions, et puis c’est incroyable comme ça relance, quoi. C’est vraiment su- 371 per. Moi des fois, j’en écris que deux, parce que des fois il y en a que je n’aime pas. Mais oui, 372 voilà. Quelle différence entre espérer, souhaiter, je veux dire ils ont déjà travaillé. Pourquoi 373 on s’embêterait à réinventer la roue quoi ? Et vous avez tout par thèmes. En plus, vous avez 374 des petites choses qui vous donnent les notions de justice, rêves et histoires, faites-vous des 375 rêves dans lesquels vous n’avez aucun rôle ? Moi, je trouve les exercices pas terribles, ça je 376 suis assez d’accord avec vous, en fait je les utilise pas. Mais les plans de discussion, ils sont 377 super. Les exercices, bon, je pense que vous savez ce que c’est les enfants, que vous les 378 connaissez bien, vous pouvez adapter, hein. J’essaie dans une séance de toujours couper la 379 séance, ils ont quand même 7ans… 226 380 Ils font quoi ? 45 minutes ? 381 Oui, je fais quarante minutes. A la vingtième minute, il y a toujours quelque chose qui se pas- 382 se que j’ai prévu. Ça peut être: «Ok, on va dessiner…. Il a dit que tout ce qui peut exister, 383 qu’une chose qui existe peut être fausse, alors ok, on essaie de dessiner quelque chose." Mê- 384 me s’il y a que trois dessins, ce n’est pas grave, on s’est levé. Moi, j’avais préparé les crayons, 385 je donne les crayons etc. On dessine. « Vous avez 5 minutes pour le faire ». Ok, on affiche. 386 Qu’est-ce qu’on regarde ? «Ah, d’accord.Tu n’es pas d’accord avec ça. » Et c’est reparti. Pour 387 le nom : « Est-ce que il y en a qui aiment pas leur nom dans cette classe ? Ok. Levez-vous 388 ceux qui aiment pas leur nom. Et ceux qui aiment ? Et ceux qui ne se sont pas levés ? » Et paf 389 , on leur redonne la parole. Ils ont bougé trois minutes, mais ils ont besoin, parce que ça re- 390 lance la discussion. Ça faut trouver. Un truc que vous pouvez faire, c’est mettre les garçons 391 d'un côté, les filles de l’autre : "Ok, allez, on inverse pour changer de point de vue, les filles 392 vous allez à la place des garçons. » Puis ça brasse dans tous les sens, mais ça remue un peu les 393 méninges, ça faut que vous y pensiez, c'est hyper important. 394 Introduire, conclure, une phase au milieu, tout le reste, on se la coince, on accepte et on ac- 395 cueille, et surtout on va tirer la substance quoi, ça vient pas du jour au lendemain, mais… 396 Ça (montre la SEC), ça vous a entravé, non, mais ça vous empêche de penser. C’est ça votre 397 problème, c’est que vous êtes toujours en train de vous dire « Zut, mon objectif, ils sont pas- 398 sés à côté. Zut, ce n’est pas bien ce qu’ils disent… mettez ça de côté… Laissez-les vivre, lais- 399 sez-les penser et là, vous, vous allez trouver dix fois plus de matière que ce que vous avez 400 imaginé. Faites-leur confiance et vous allez voir ça va transformer votre classe. 401 Et les conseils de classe vous en faites ? 402 C’est très complémentaire. On est sur la relation, alors que là on est sur la pensée. Des fois la 403 relation déborde sur la philo, évidemment. "Pourquoi t'es pas mon ami? Qu’est-ce qui fait que 404 t’es pas mon ami?". Et là je dis stop, on va se la garder pour demain, mais vous verrez c’est 405 génial, enfin vous sentez bien que c’est génial. 406 Mais franchement, vous en ferez ce que vous voulez, mais mon conseil c’est, prenez Pixie et 407 prenez le classeur, et vous allez voir, ça va vous ouvrir. Après, vous pourrez vous en détacher 408 si vous avez envie, mais il y a ces phases où on a plus envie. Mais honnêtement, je vois plein 409 d’enseignants qui reviennent à ça, car c’est infesté de concepts, donc forcément vous êtes de- 410 dans et ça modélise la pensée adulte. Ils ont six ans et "elle pense comme moi", essayez fran- 411 chement avec Pixie, ça va vous transformer la vie. 227 Demande de renseignements complémentaires par mail 412 Pourriez-vous m'indiquer : 413 Le degré scolaire de votre classe actuellement ? 414 Classe 4 (8, 9 ans) 415 Le nombre d'années d'enseignement total ? 416 30 ans 417 Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ? 418 15 ans 419 De plus, pourriez-vous me redonner des précisions sur ces quelques points ? 420 Quelle est votre place (physiquement) lors du débat ? Que faites-vous concrètement ? 421 Nous sommes en cercle, assis sur nos chaises. Je fais partie du cercle et je donne la parole, 422 reprends les questions, demande des précisions, aide à faire les liens, à creuser un exemple, 423 j'anime… 424 Quelles sont vos interventions ? De quel type ? Dans quel but ? 425 Pour compléter ce que j'ai dit plus haut, mes interventions sont verbales, ce sont des relances, 426 jamais je ne donne mon avis, très souvent je repose des questions, demande des éclaircisse- 427 ments. Je peux aussi dessiner au tableau le fil de la discussion, les idées trouvées, les échelles 428 de nuances... Mon but est de préciser le questionnement, de l'alimenter, de le rendre accessi- 429 ble et fructueux, le plus possible. 430 Y a-t-il des acquis visibles chez les élèves ? 431 Oui, très rapidement dans leur façon d'être, dans leur niveau d'écoute, dans leurs analyses, ils 432 reprennent les éléments que nous faisons observer (par exemple, au lieu de dire : « Je suis ok 433 avec lui », ils vont vite dire : « j'ai la même opinion que lui, je ne suis pas ok avec son exem- 434 ple, sa définition est imprécise », au lieu de je ne comprends pas..) comportement, métalanga- 435 ge, prise de distance, jugement moins émotionnel etc. 436 Quels sont les apports pour vous et pour vos élèves ? 228 437 Pour le prof, moi, c'est continuer à s'émerveiller devant l'intelligence des enfants, devant leur 438 potentiel mis en lumière, c'est continuer de se questionner, c'est le même chemin pour les en- 439 fants. 440 Vous rappelez-vous de votre première animation ? Comment était-ce ? 441 Pas terrible et pas que la première !! Pourquoi ? Parce que je ne faisais pas confiance au pro- 442 cessus et aux enfants, je voulais des réponses !! 443 Y a-t-il eu une évolution sur votre manière de travailler en classe ? 444 Cela a tout transformé, ma vie professionnelle, mon rapport au savoir, au monde. J'ai cherché 445 des approches proches de celle-ci pour d'autres domaines comme la grammaire, les maths, j'ai 446 inventé aussi. 447 Quel est le statut de l'enseignant dans ces moments ? 448 Un statut de chercheur, comme les élèves, mais en plus vieux !! 449 Quelle est sa place professionnelle ? 450 Je pense que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre, de la sécurité. Je suis juste là, 451 non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. 229 Entretien d’Eléonore 1 Vous avez quelles réactions ? 2 Bah, déjà la première, c’est que dernière heure du vendredi après-midi, ça me paraît dange- 3 reux. Dans le sens où, la philo ça demande quand même vachement de concentration. Moi, 4 j’évite de le faire l’après-midi. Mais si je dois le faire l’après-midi, c’est en début d’après- 5 midi. Voilà, ils sont encore frais, dispos, parce que sinon le problème c’est qu’on risque d’en 6 perdre, un qui soit fatigué qui va pas être concentré, et on va tous s’ennuyer, et il va rien se 7 passer, c’est ça. Donc fin de matinée plutôt si on veut prendre une dernière heure, parce que 8 voilà, on considère qu’il y a quand même le programme de maths, de français, etc. Dernière 9 heure du matin c’est pas mal. Les dernières quarante-cinq minutes c’est suffisant, les derniè- 10 res quarante-cinq minutes avant de se quitter. Voilà, ça c’est la première chose. 11 La deuxième chose, une communauté de recherche philosophique ça se construit, donc ça 12 vient pas tout de suite, ça prend du temps. D’où l’importance de le faire de manière hebdoma- 13 daire. Avec la régularité, les élèves tranquillement se mettent dedans, commencent à com- 14 prendre ce qu’il se passe. Et au départ, la première fois, ça se passe pas comme par magie. 15 C’est vraiment, ils doivent comprendre ce qu’il se passe, ils voient beaucoup de mots, ils sont 16 dans l’anecdotique, faut que tranquillement l’animateur les amène à dire, bah voilà : "Qu’est- 17 ce que toi tu en penses ? Est-ce que tu as un avis ?", que l’enfant comprenne que, voilà, on va 18 faire de la philosophie, on ne va pas raconter comme ça la dernière anecdote de la semaine 19 passée. Donc, c’est normal que la première fois, les enfants n’ont pas vraiment l’habitude, ils 20 sont un peu paumés et ils ne savent pas trop ce qu’on attend d’eux. Du coup, moi, je trouve 21 super de vouloir travailler sur un film, mais je pense qu’il faut travailler sur un film avec des 22 élèves expérimentés en philo, qu’ils comprennent ce qu’on va faire de ce matériel. Parce que 23 pour démarrer, déjà, le premier conseil que je pourrais vous donner c’est, le mieux, c’est de 24 démarrer avec du Lipman. Parce que soi-même en tant qu’enseignant, toi ça va te former en 25 même temps que tu vas former tes élèves. Toi, tu vas te former avec, parce que Lipman il a 26 conçu ses romans et surtout son gros classeur d’exercices, pour chaque roman, pour justement 27 guider l’enseignant qui n’est pas philosophique, pour vraiment attirer l’enseignant sur les 28 concepts philosophiques qu’il va aborder. Et du coup, en travaillant avec du Lipman pour 29 commencer la première année, ou même les deux premières années, ça va te donner des clés 30 pour travailler ensuite avec d’autres supports. Alors moi, c’est ce que je fais, c’est que je 31 change. Au début je travaillais qu’avec Lipman, et ensuite j’ai travaillé avec la littérature jeu230 32 nesse. On est arrivé jusqu’à juste une image, ou un film. Mais y a des années, ou de temps en 33 temps, hop je reviens à Lipman, même si moi je ne suis pas trop, euh… bon j’ai les 5-6P, 34 donc c’est plutôt Pixie. Je ne suis pas ultra enthousiasmée parfois par le textem mais voilà j’y 35 reviens parce que je considère que ça me remet dedans que ça attire vraiment mon attention 36 sur les concepts que je dois travailler. Surtout qu’un roman comme Pixie, en fait, c’est du Pla- 37 ton pur, c’est vraiment les pensées basées sur l’étonnement, et puis les enfants sont vraiment 38 là, donc c’est assez aisé en fait d’utiliser ce matériel. Donc voilà, ça c’est la première chose. 39 Donc je pense que si tes élèves se sont retrouvés bloqués c’est quem voilà, bon, déjà ces deux 40 raisons, qu’ils étaient peu expérimentés et qu’ils se posent des questions sur un film ça dure 41 quand même un moment. Et puis ça a duré combien de minutes en fait (le film) ? 42 Deux minutes environ. 43 Ah voilà, si ce n’est pas vingt minutes ça va. Mais c’est vrai qu’ils n’avaient pas trop compris. 44 C’est sur un film et puis voilà. Et l’autre chose que je vois dans ce compte rendu, c’est la 45 coordinatrice pédagogique qui observe, et ça je ne pense pas que ça soit une très bonne chose, 46 parce que pour pouvoir se sentir libre de s’exprimer en philo, il ne faut pas qu’il y ait un adul- 47 te observateur extérieur. Il peut y avoir le rôle de l’observateur dans la communauté de re- 48 cherche, soit entre eux, soit entre adultes, mais voilà, la personne elle est incluse. Moi, il me 49 semble à chaque fois que y a des adultes qui viennent, je leur dis : « Ok, vous venez, mais 50 vous participez, vous faites partie de la communauté de recherche.» Et du coup, ça permet que 51 chacun se sente à l’aise. Et même si cette personne elle vient pour t’observer toi, les enfants 52 vont toujours avoir l’impression qu’ils seront observés et ça, ça peut aussi les bloquer, voilà. 53 Après, aussi ce qui est important, c’est que quelque soit le type de support sur lequel tu bos- 54 ses, le moment des questions est crucial, et c’est un moment où il faut les laisser totalement 55 libres. C’est-à-dire que, même si tu trouves que franchement la question de l’enfant elle ne 56 vole pas très, très haut, bah… « Pourquoi le mec sur l’image a un pantalon bleu ? », ça paraît 57 un peu trivial, mais c’est important de noter cette question, de donner autant d’importance, au 58 même titre, parce que ça permet justement à l’enfant de se sentir à l’aise, se détendre et pas 59 avoir peur de dire des choses bêtes. Car c’est ça aussi, on a tout le temps peur quand on est 60 enfant de dire des choses bêtes, parce qu’on est dans une société qui valorise pas tout le temps 61 les choses bonnes, on est tout le temps en train de critiquer ce qui va pas, mais on valorise très 62 peu ce qui va. Donc, si on ne laisse pas cette liberté à chacun de s'exprimer, on risque de les 63 brider, de les bloquer. Après, ça m’arrive souvent avec une question qui a priori paraît pas tri- 64 viale, de faire une communauté de recherche mais magnifique, parce qu’en fait derrière la 231 65 question très très banale, l’enfant en a une autre, ou quelqu’un rebondit, ou bien toi tu peux 66 aller, je sais pas, demander pourquoi il a un pantalon bleu, et puis parler des vêtements com- 67 munistes, de l’obligation de ramener l’uniforme, et puis qu’est ce que l’uniforme… euh, par 68 rapport au développement de la personne, être une personne en tant qu’individu dans la socié- 69 té… Je ne sais pas, après tu peux aussi avoir un truc très trivial et partir sur quelque chose de 70 très intéressant, alors ça, je trouve important. 71 Après, bon moi j’ai des élèves plus jeunes, je n’ai pas de secrétaire, euh, après oui avec des 72 plus grands, c’est pas mal d’être secrétaire, mais ça demande une petite formation. C’est-à- 73 dire, vraiment le secrétaire il écrit, mais ok, il n’écrit pas toutes les phrases. Il s’en sort pas 74 donc, euh, je pense que ça demande une petit formation de : qu’est-ce que c’est d’être secré- 75 taire ? Même juste vingt-cinq minutes et discuter dans une communauté de recherche : "Ok, 76 c’est quoi d’être secrétaire ?" Euh oui, distributeur de parole, je pense que c’est à l’animateur 77 de le faire, parce que, enfin voilà, les enfants faut leur laisser de la disponibilité pour leurs 78 questions, raisonnements, l’écoute des autres, moi, je suis personnellement, c’est moi qui 79 donne la parole, voilà. 80 Après, l’idée du travail individuel, c’est une bonne idée, mais moi je ferais pas à la fin. C’est, 81 on commence ensemble, après on peut les séparer, soit individuellement, soit en petit groupes. 82 Des fois, c’est pas mal aussi par deux ou trois par exemple, même pour chercher des questions 83 tu vois. Et là, tu disais qu’ils ont eu de la peine à trouver des questions, bon bah, mettez-vous 84 par trois, discutez ensemble et choisissez une question, après on prend chaque groupe et on va 85 noter les questions de chacun. Ca peut être pas mal. Mais ensuite il faut qu’il y ait un retour 86 avec le groupe, parce que l’idée de la communauté de recherche c’est vraiment construire 87 ensemble, c’est partir du principe qu’on est plus intelligent à plusieurs, que seul justement, et 88 que c’est en s’enrichissant des pensées des autres, en confrontant sa propre pensée à celle des 89 autres, qu’on va tranquillement aller vers une vérité, ou en tout cas construire quelque chose. 90 Donc, euh oui, c’est important qu’il y ait un aller retour. Moi, je leur fais souvent dessiner. 91 Parce que je trouve que des fois, aussi juste de faire un croquis… Voilà, une fois on discutait 92 de ce que c’était d’être triste, je leur ai demandé de dessiner le visage d’une personne triste et 93 puis après on a affiché au tableau chaque image et les enfants on décrit pourquoi ils avaient 94 dessiné leur visage de cette manière, et c’était vraiment chouette car y a un enfant qui avait 95 dessiné un visage qui riait, et donc on lui a demandé pourquoi il avait fait un visage qui rit et 96 il a dit : "Parce que des fois on est très, très triste, mais on a pas envie que les autres le voient, 97 donc à la place on rit". Et puis, toujours expliquer qu’on fait un moment seul, mais après il y a 98 le retour en groupe, ça me semble très important. 232 99 Alors, faire deviner, ça c’est pas mal. C’est aussi le travail de l’animateur. Mais ce n’est pas 100 faire deviner, dans le genre « dans le ciel il y a des nu nu… nuages », c’est vraiment poser les 101 questions qui vont permettre aux enfants, à la communauté de recherche, de pouvoir poser 102 quelque chose et "pourquoi est-ce que tu penses ça? Qu’est ce qui te fait penser ça ? Est-ce 103 que tu as un exemple ? Est-ce que ce que tu dis c’est une hypothèse ou une certitude? Est-ce 104 qu’il y a quelqu'un qui est d’accord ou pas d’accord avec ce qu’un tel a dit et pourquoi ?" En- 105 fin voila, le rôle de l’animateur c’est vraiment de faire avancer et lancer plein, plein de ques- 106 tions, pour que tranquillement ça émerge. Et puis après, s’il y a une idée, ça peut être "un tel a 107 dit ça, mais est-ce qu’on pourrait imaginer le contraire ?" Tu peux aussi développer un peu 108 plus. 109 Alors moi, je ne pense pas qu’on doit se retirer de la discussion, mais on est au cœur de la dis- 110 cussion, sauf que nous on est l’accoucheur, c’est vraiment Socrate, c’est ce qu’il faisait. C’est 111 des communautés de recherche mais en beaucoup plus modeste, parce qu’on est pas Socrate. 112 Mais l’idée c’est d’être au cœur de la discussion et faire que les enfants s'écoutent, réussissent 113 à répondre, parce que des fois tu peux avoir des communautés de recherche où chaque enfant 114 est centré sur soi, sur ce qu’il a envie de dire, il écoute pas les autres et du coup on n’avance 115 pas. Donc vraiment, être au cœur de ça pour qu'il y ait une vraie discussion, qu’il y ait quel- 116 que chose qui circule entre les enfants et les amener à se poser des questions, pourquoi ils sont 117 bloqués, ou qu’ils sont en train de réciter la pensée de papa et maman, tu peux justement... Là, 118 tu as un rôle clé pour essayer d’aller chez eux : "Et toi, qu’est ce que tu en penses? Et est-ce 119 que tu es d’accord avec ça? Est-ce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" etc. Voi- 120 là, et c’est pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur, parce que justement, on 121 est au cœur. Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philoso- 122 phique. Ça veut dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et pas 123 en train de faire autre chose, donc c’est assez crucial. Après, justement toi, t'es pas avec tes 124 amis en train de débattre de ton préposé point de vue. Ca c’est sûr, on n’est pas là pour mani- 125 puler les enfants, c’est vraiment, effectivement, ça peut être un danger une personne malveil- 126 lante. Elle peut utiliser la communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà 127 nous on n’est pas là pour les manipuler, pour leur imposer notre point de vue. On est là pour 128 les aider à penser par soi-même et ce qui est intéressant, c’est quand il y a dans une commu- 129 nauté de recherche pour enfants, certains qui pensent pas du tout comme nous. C’est là où ça 130 devient difficile, mais c’est là où ça devient hyper intéressant. Parce que nous, on n’est pas là 131 pour lui dire ce qui est vrai ou pas vrai, on est là pour respecter la pensée de chacun. Mais par 132 contre, voilà, faire en sorte que les enfants réfléchissent pleinement, et "Pourquoi c’est ça ? Et 233 133 qu’est-ce qui nous permet de dire ça, etc. Est ce que c’est juste ? Est-ce qu’à un moment don- 134 né…?" Voilà. C’est bien. Je n’aime pas trop mais "est-ce que c’est juste ?" En plus, les en- 135 fants adorent ce qui est juste, pas juste. Et puis après c’est plus que prendre… Déjà moi, je 136 pense que le rôle de l’enseignant ce n’est pas apprendre, c’est aider les enfants à apprendre. 137 Moi, je n’utiliserais pas le verbe apprendre. Je voudrais dire qu’ils développent leurs pensées. 138 Il faut les aider à développer leur esprit critique, à savoir quand ils sont en train de réfléchir, à 139 savoir ce qu’ils sont en train de faire. Donc ça, c’est aussi toute la deuxième partie de ces 140 communautés de recherche, d’où l’importance d’utiliser le matériel de Lipman, y compris 141 quand on utilise un autre support. En général moi, ce que j’essaie de faire, c’est une, ou deux, 142 ou trois discussions en communauté de recherche, et la fois d’après on fait un exercice du 143 classeur. Parce que justement, le but c’est de développer chez les enfants les habiletés de pen- 144 sée. Donc, qu’on fasse des exercices pour que les enfants comprennent l’importance d’un 145 exemple, d’un contre exemple, sachent ce qu’est une hypothèse, ce qui va leur permettre de 146 l’utiliser après dans d'autres contextes, comme dans l’environnement, par exemple. Savoir ce 147 que c’est une analogie, une comparaison, une métaphore, etc. Vraiment développer ces habi- 148 letés de pensée, parce qu’il s’agit pas juste d’être là en train de débattre, faut débattre avec des 149 outils et la philo, c’est ce qui permet aussi aux enfants de développer ces outils, et ces outils 150 vont leur servir quand ils feront des dissertations, quand ils vont faire des sciences. Voilà, 151 c’est ce qui permet aussi d’entrer dans le PER. Dans le PER, il y a les objectifs de la philoso- 152 phie pour enfant, ils sont écrit noirs sur blanc. Donc, en tant qu’enseignant, tu es autorisé à le 153 faire, car il y a des objectifs par rapport à la pensée créative, à la pensée critique. 154 Donc ça, tu mettrais là-dedans ? Car il y en a qui mettent dans français - argumentation ou 155 citoyenneté, donc où c’est que tu le places ? 156 Moi, je le place dans habiletés transversales. Pour moi c’est du transversal, car tu peux 157 l’utiliser en mathématiques, tu fais des hypothèses en mathématiques. Tu peux l’utiliser en 158 environnement, en français, euh voilà. Après, c’est vrai que concrètement, dans mon horaire 159 de la semaine, c’est une heure de français. Parce que plutôt que de perdre du temps, enfin ça 160 c’est mon avis personnel, j’ai de la chance de travailler à l’école XY (nom d'emprunt) qui est 161 une école privée alternative où on est libre de faire le programme à notre manière, à partir du 162 moment où on remplit les objectifs du PER. Moi, je ne perds pas mon temps à travailler le 163 texte argumentatif avec mes élèves, du genre « je suis d’accord parce que, je ne suis pas 164 d’accord parce que », « en revanche etc. ». Moi, personnellement, ça ne m’intéresse pas. Je 165 trouve plus riche de former les enfants à la philosophie et du coup ils sont capables 234 166 d’argumenter, mais de manière totalement naturelle. Ils savent ce que c’est d’argumenter par- 167 ce qu’ils le font une fois par semaine. 168 Et du coup, pourquoi tu fais ça avec tes élèves ? 169 Je le fais pour développer leur esprit critique, parce que je considère que c’est important dans 170 l’époque dans laquelle on vit d’avoir un regard dans le monde, sur les médias, sur les images. 171 On a des images partout, sans forcément des commentaires, on a des images à la télévision 172 avec des commentaires qui sont pas forcément... Je pense que c’est un outil essentiel et 173 d’ailleurs Michel Sasseville l’explique très bien. Il dit que ça fait, je crois depuis une vingtai- 174 ne d’années que ça a été introduit à l’école au Québec, et on peut pratiquement généraliser 175 dans toutes les écoles, je crois que c’est obligatoire dans le programme québécois. Il se re- 176 trouve à l’université avec des étudiants qui sont vachement plus malléables qu’avant, ils ont 177 des étudiants qui remettent en question ce que dit le prof, voilà. Donc le prof ne peut plus ar- 178 river sur sa chaise et balancer sa vérité absolue. Il peut plus et tant mieux, parce que ça per- 179 met, il me semble une plus grande honnêteté scientifique, et du coup ça donne des citoyens 180 qui peuvent déranger, car c’est des citoyens qui remettent en question et pas des citoyens qui 181 croient tout ce qu’on leur dit. 182 Et du coup toi, dans ta classe, ça t’apporte quoi ? 183 Alors, moi ça m’apporte que j’ai des enfants qui, du coup, quand ils écrivent un texte, je trou- 184 ve qu’ils articulent beaucoup mieux leur texte. Et puis quand on fait des sciences, on utilise 185 l‘hypothèse, la certitude, l’exemple, le contre-exemple, la comparaison et ils savent exacte- 186 ment de quoi on parle. 187 C’est une sorte de schéma qu’ils gardent, une synthèse… 188 Exactement. Cette rigueur scientifique, d’une certaine manière, je trouve qu’ils l’acquièrent 189 en faisant de la philo, parce qu’on ne discute pas n’importe comment et il y a vraiment une 190 rigueur intellectuelle quoi, donc voilà. Et puis, ça apporte aussi autre chose, ça apporte du 191 plaisir, c’est des enfants qui ont du plaisir à faire ce moment de philosophie, ils s’éclatent. Et 192 moi, en tant qu’enseignante, j’observe juste des enfants qui sont intelligents, avec la racine du 193 mot inter-legere : lire entre, être capable d’aller voir un peu plus loin que la simple apparence. 194 Et toi, lors des moments philo, je pense que les enfants sont en cercle ? 195 Oui, ils sont en rectangle parce que j'ai une petite classe. 235 196 Et tu es avec eux dedans ? 197 Je suis avec eux oui, on est tous ensemble. Et je suis, même si je suis animatrice, je suis à éga- 198 lité avec eux. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de, voilà, hiérarchie. On est tous ensemble dans cette 199 communauté de recherche. 200 Et tu donnes ton avis de temps en temps ? 201 Je donne de temps en temps mon avis, mais uniquement lorsque je considère que ça va faire 202 avancer le débat. Ce n’est pas forcément mon avis que je donne, mais c’est plutôt sous forme 203 de question, que je vais soulever quelque chose auquel ils n’avaient pas pensé, ou parce que 204 j’ai envie de les emmener quelque part, parce que j’ai l'exercice de Lipman sous la main qui 205 va permettre de parler d’un truc, ou puis voilà. Mais sinon, mon avis réel, ou mon point de 206 vue sur un truc, non, je le donne pas. Et je trouve que ça a aucune forme d'intérêt de le donner 207 et je trouve dangereux, car malgré tout, je suis une adulte, donc ce que je dis peut être consi- 208 déré comme vérité absolue et on n’a pas de vérité absolue, ça c’est clair. Avec les enfants, on 209 est là pour construire ensemble et pour s'approcher le plus possible de la réalité, et ça, on va le 210 construire ensemble, et c’est ça qui est intéressant. 211 Au niveau de la préparation d'une discussion, qu’est-ce que tu fais avant ? 212 Alors ce que je fais, bah j’utilise beaucoup le manuel de Lipman. Donc cette année je suis 213 avec Pixie, et avant de commencer un chapitre, je vais lire le chapitre explicatif pour le prof 214 dans le manuel, je vais sélectionner des exercices qui m’intéressent, et après j’ai toujours le 215 classeur d'exercices avec moi pendant la séance, parce que tout d’un coup il peut se passer un 216 truc et je vais aller chercher l’exercice et ça nécessite que je sois aussi en connaissance des 217 exercices qu’il y a dedans. Après, tu peux aussi aller piocher dans d’autres chapitres si des 218 fois il y a un thème qui émerge et qu’il y a pas d’exercices dans les autres chapitres. Il y a par- 219 fois dans les autres manuels, des autres romans, donc du coup, quand j'utilise d'autres sup- 220 ports, comme des films, comme la littérature ou des images, ça m’arrive d'aller aussi piocher 221 des exercices chez Lipman. Je vais dans le lexique par thème, et je vais trouver un chapitre sur 222 le respect, un chapitre sur le jugement. Je ne sais pas, je vais regarder et j’utilise beaucoup, 223 beaucoup, ces exercices et je vais beaucoup lire ce que Lipman en a dit. Parce que ça me per- 224 met d’aller chercher un peu des ressources. Et après, j’ai les formations que je fais qui me 225 permettent d’agiter les neurones. 236 226 Et au cours de la discussion, comment est-ce que tu régules, tu dis là ça avance bien, ou là ça 227 avance plus on va changer de sujet ? 228 Je ne le dis jamais parce que je n’émets pas de jugement de valeur sur ce qui est en train de se 229 produire. Je suis juste la personne qui va relancer la question quand moi je considère qu’on est 230 en train de piétiner, ou quand on va plus dans une direction qui ressemble plus à une discus- 231 sion de bistrot. Je vais réorienter et quand on n’a plus rien à se dire, on change de sujet. Et 232 puis, toute façon, on a plein de questions et on va toutes les traiter. Certaines on va les regrou- 233 per, mais on va toutes les traiter, parce qu’il n’y a pas une question qui est plus intelligente 234 qu’une autre. Parce que c’est important que les enfants se sentent tous respectés et valorisés, 235 et quand on n’a plus rien à se dire, on change de sujet. Et en plus avec Lipman, l’avantage 236 c’est que tu sais que le thème, il va revenir dans un chapitre, deux ou trois, et on va le réabor- 237 der, mais sous un autre angle. 238 Et à la fin, est-ce que tu formalises, institutionnalises quelque chose ? 239 Ça m’arrive de faire par moment un petit résumé, de dire bah voilà, aujourd’hui, on a entendu 240 tel et tel point de vue, c’était intéressant parce que… Voilà, j’essaie de tranquillement aller 241 vers un concept, redire avec mes mots ce qu’il s’est passé et vers quoi on est allé aujourd’hui, 242 mais je le fais pas systématiquement, et je le fais vraiment quand je me sens très à l’aise de le 243 faire, parce que je pense pouvoir avoir une distance nécessaire. Parce que le piège c’est de 244 trop réduire ce qu’ils ont dit, donc vraiment, je le fais quand je me sens à l'aise de le faire et 245 que les idées étaient claires. Et voilà, je prends aussi des mots-clés pendant la séance et ça me 246 permet de faire un retour et d’être active dans mon animation. Ça prend de l’énergie une ani- 247 mation philo, ce n’est pas un truc, euh… on en sort on est fatigué, parce qu’il faut vraiment 248 être ultra concentré de ce qu’il se passe. 249 Et comment on peut être sûr que les élèves ont acquis quelque chose ? 250 On va le voir au fur et à mesure des communautés de recherche. Déjà ils vont les réclamer, ils 251 vont avoir du plaisir, ils vont faire « oui » quand on dit que maintenant on va faire une com- 252 munauté de recherche scientifique, et puis tranquillement ils vont devenir de plus en plus 253 compétents et ça c’est vraiment… Ca ne vient pas tout de suite. C’est vraiment sur leurs com- 254 pétences. 255 Et comment on le voit avec le début ? 237 256 Tu le vois parce que d’un coup tu te dis « waouh ». Et t’as juste des enfants qui vont com- 257 mencer à utiliser des habiletés de pensée, mais ça se fait tranquillement. Je te rassure, moi je 258 ne commence pas par : « Aujourd’hui, nous allons parler de la comparaison.» C’est tranquil- 259 lement. On va commencer à mettre ça en place, et petit à petit, et une habileté de pensée après 260 l’autre, ou alors quand un enfant parle dire « Là, tu viens de faire une comparaison.» Et puis 261 du coup, les autres : « C’est quoi une comparaison ? Qu’est-ce qu’un tel a fait en parlant ? » 262 « Ah bah, il a dit que ça c’est comme ça », le comme utilisé comme comparaison ça permet de 263 justement mettre deux choses en balance, c’est une habileté de pensée. Ou bien relever les 264 présupposés : «Mais pourquoi est-ce que tu dis ça, pourquoi tu dis ça ? » « Ah, parce que je 265 l’ai entendu ou parce que tout le monde le dit.» Et, mais euh, « Est-ce que tu penses que c’est 266 vrai ou c’est juste quelque chose qui s’utilise communément ? » Et puis, à un moment donné, 267 on utilise des choses sans forcément réfléchir, et est-ce que ça a un sens ? Et les autres peu- 268 vent aussi réagir et… Mais si tu veux, la seule chose où je me mets des barrières, c’est quand 269 les enfants parlent de Dieu, parce que je trouve, je considère que j’ai pas les outils moi, pour 270 parler de Dieu avec les enfants, et j’ai pas envie de mettre le doute et c’est pas mon rôle 271 d’enseignante à commencer à mettre le doute. Voilà, je respecte ce qu'il se passe dans chaque 272 famille. Donc ça, c’est un sujet avec lequel je suis pas à l’aise. Je le suis un peu plus avec les 273 formations que je fais maintenant, d’ailleurs elle m’avait dit ma prof : « Moi, je me sens capa- 274 ble de le faire parce que je suis philosophe », et tranquillement je pense que si ça devait émer- 275 ger, j’aurais plus d'outils. Mais voilà, parfois il y a certains sujets qui sont périlleux, quoi. 276 Parce qu’obligatoirement, il y a celui qui croit en Dieu et celui qui croit pas. Et celui dans le- 277 quel sa famille on croit en Dieu et celui dans lequel, dans sa famille, on ne croit pas en Dieu, 278 et voilà. Donc c’est vraiment hyper délicat et il faut vraiment savoir ce qu’on fait. 279 Et puis les enfants qui ne prennent pas la parole ? Est-ce que tu vas les chercher ou est-ce 280 que tu les laisses ? 281 Oui, je vais les chercher. Après moi, je les évalue en philo. Dans mon école. Il n’y a pas de 282 notes. On fait des évaluations formatives. Mais, deux fois par an, je rencontre les parents et je 283 fais une évaluation orale, en novembre orale et puis en fin d’année je la donne, et donc 284 j’évalue la philo. Et j’ai plusieurs critères, j’ai : l’écoute, la qualité de l’écoute, est-ce que 285 l’enfant il est avec nous? Car t’as des enfants qui ne disent rien mais qui ont une magnifique 286 écoute. Et ça, tu le sais parce que tout d’un coup, quand tu vas dire : « Et toi, un tel, qu’est-ce 287 que tu en penses ? », parce que y a des personnes qui disent jamais rien et puis elle rebondit. 288 Si elle est timide, elle ne va pas dire grand-chose, mais tu sens qu’elle est à l’écoute et qu’elle 238 289 est là. Le deuxième critère c’est l’argumentation, c’est la capacité à utiliser les habiletés de 290 pensée, et puis la troisième, le respect. Le respect de la parole de l’autre, ça veut dire que je ne 291 coupe pas la parole et que voilà, j’écoute et que je suis capable aussi de rebondir sur ce que dit 292 l’autre, je ne suis pas uniquement centré sur moi mais je peux répondre à l’autre et faire en 293 sorte qu’il y a un vrai débat qui émerge. Voilà, ces trois critères. Dans ma manière d’évaluer y 294 a pas de bien, ce n’est pas bien, ce n’est pas ça. C’est « c’est super que tu aies pu respecter 295 l’autre, tu as une bonne écoute ou alors voilà peut-être ça serait bien de participer un peu 296 plus », mais voilà, il y a des élèves qui ne participent pas parce qu’ils sont timides, parce 297 qu’ils ont peur, parce qu’ils ont peur de dire faux, parce qu’ils ont peur d’être bêtes, euh, mais 298 ça faut aller les chercher, mais je n’insiste pas. « Et toi qu’est-ce que tu en penses? » Et des 299 fois je sens, je n’insiste pas, mais j’y retourne pour que tranquillement... et franchement les 300 enfants, tranquillement, ils vont… il y en a, ils vont jamais prendre la parole si on ne va pas 301 les chercher, mais au fur et à mesure que tu vas les chercher, ils vont en dire un peu plus, ils 302 prennent confiance, ils se rendent compte que ce n’est pas dangereux de dire son opinion et on 303 ne va pas les juger. Ca c’est un trucm se moquer, rire de ce qu’a dit l’autre et tout ça c’est un 304 trucm dès l’entrée de jeu je leur dis "Non, faut qu’on se sente libre, qu’on se sente à l’aise, 305 respecté, c’est hyper important sinon notre communauté de recherche peut pas fonctionner". 306 C’est vraiment le présupposé de base et puis y a une chose aussi, je les laisse dessiner. Alors 307 je leur dis : « voilà, vous n’êtes pas en train de faire le plus beau dessin de votre vie, vous êtes 308 en train de griffonner », parce que je trouve que quand les enfants peuvent s’occuper avec la 309 main, comme nous des fois quand on est au téléphone et qu’on griffonne un truc, pour beau- 310 coup d'enfants ils ont une meilleure concentration et ils sont beaucoup plus actifs que s’ils 311 font rien pendant quarante-cinq minutes. Donc, ça peut être faire comme ça, avec une balle en 312 mousse, ça peut être plier un petit bout de papier, s’occuper avec les mains. Certains, ça leur 313 permet de mieux, après quand il y a des séances où ils sont complètement absorbés dans leur 314 dessin et qu’il se passe que dalle j’enlève les feuilles de papier, et aujourd’hui bah, on fait 315 sans. Mais du coup, la fois d’après, ils savent. Du coup, on a des enfants qui sont comme ça 316 autour de la table et qui de temps en temps lèvent la main, et hop, en fait ils on une très, très 317 bonne écoute et ils n’ont pas forcément besoin de se regarder. Après, il y a les visuels qui ont 318 besoin de regarder les autres. 319 Et donc au niveau de ta formation, toi, tu as commencé sans formation et après tu t’es for- 320 mée ? 239 321 Alors, j’étais stagiaire de la classe de Paule qui a commencé la philo à Genève. J’étais stagiai- 322 re dans sa classe pendant une année et je participais au même titre que les élèves aux commu- 323 nautés de recherche. J’étais souvent secrétaire, observatrice. Ensuite, je me suis formée. Donc 324 les formations que j’ai eues avec elle, c’était vraiment des communautés de recherche. Dire 325 qu’on travaillait sur Pixie en l’occurrence et que comme les enfants, on posait nos questions et 326 on faisait une communauté de recherche. Après, j’ai fait des formations avec Michel Sassevil- 327 le, c'est-à-dire qu’on est en communauté de recherche avec Sasseville qui anime, puis qui atti- 328 re notre attention sur certaines choses, mais voilà, on agit, on est dedans j’ai fait... Je n’ai pas 329 fait de formation avec Alexandre Herriger, par contre il et venu m’évaluer en classe et ça 330 c’était chouette, parce qu’il me faisait un retour sur tout ce qui c’était bien passé, sur ce qu’il 331 y avait à améliorer etc. Et puis là, ça fait deux ans que je fais cette formation, où là c’est un 332 cours de philo, mais où on est ensemble, mais qui se transforme en communauté de recherche, 333 mais où vraiment là, on travaille sur les concepts philosophiques. Mais là c’est super intéres- 334 sant, car du coup, ça affine un peu plus qu’est-ce que c’est une réflexion philosophie, qu’est- 335 ce qu’on veut. Et cette philosophe est elle-même formée à la méthode lipmanienne, donc elle 336 sait ce qu’il faut faire avec, elle sait comment on anime une communauté de recherche, donc 337 elle insiste sur ce qu’on doit savoir faire et ça c’est vachement riche. 338 Et si tu repenses à la première fois que tu as fait de la philo dans ta classe ? Par rapport à 339 aujourd’hui, qu’est-ce qui a évolué ? 340 Euh, ça ressemble beaucoup à une communauté de recherche philosophique maintenant. Je 341 pense qu’au début c’était plus de la discussion. Mais, c’est là où petit à petit, je me suis amé- 342 liorée. On sent que je suis plus au clair avec l’objectif philosophique maintenant, que ce que 343 je l’étais au départ. 344 Donc ta vision déjà de la philosophie pour enfant en elle-même elle a évolué ? 345 Oui. 346 Et ça serait quoi un bon enseignant de philosophie? Les ingrédients clés ? 347 J’aimerais bien le savoir…. (rires) J’ai envie de dire, de toujours être au clair sur le fait que, 348 comme le disait Socrate : « La seule chose que je sais c’est que je ne sais pas.» Donc voilà, 349 toujours être humble, être en recherche perpétuelle pour s’améliorer, pour être un meilleur 350 animateur, euh se mettre le moins en avant possible et notre opinion n’intéresse pas les en- 351 fants, on n’est pas en train de parler de mon opinion à moi, euh on est en train de faire émer240 352 ger une pensée critique chez l’enfant, c’est vraiment… Et pour finir, on s’en fout de quoi on 353 travaille, on s’en fout pas du tout hein, mais je veux dire l’objectif final c’est de faire émerger 354 une pensée critique, avec des outils pour le faire. Être vraiment outillé pour le faire et rester 355 humble et se former en permanence, je pense, pour être justement dans cette remise en ques- 356 tion et s’améliorer. Et quand y a une séance qui se passe pas bien, parce que c’était trop mou, 357 parce qu’on était à moitié endormi, ou parce qu’on n’a pas eu ce plaisir, bah "pourquoi ? 358 Comment ça se fait ?" Et puis pareil, quand on a eu trop de plaisir, est-ce que pour finir là on 359 n’était pas tous au bistrot et on a eu tellement de plaisir que la discussion est partie dans une 360 discussion à bâtons rompus et on était en fait plus du tout en train de faire de la philosophie? 361 Donc, toujours garder cet objectif en tête. 362 Et finalement, le rôle de l’enseignant se résume à relancer, poser des questions… ? 363 Oui, c’est surtout un poseur de questions. T’es allé voir sur le site de l’école XY (nom d'em- 364 prunt) ? Y a un film qu’Arte avait fait avec des interviews de Michèle Sasseville. Et là, vrai- 365 ment, il parle du rôle de l’animateur. Tu as sur le site de l’école XY, tu vas sous philo, et là il 366 y a un petit film Arte, qui est avec Paule qu’est décédée maintenant, mais qui était la première 367 à faire de la philo à Genève et où il y a des interviews de Michel Sasseville qui explique vrai- 368 ment clairement quel est le rôle de l’animateur. Je t’invite à aller voir. 369 Ok, super, je vais aller voir. Peut-être une toute dernière question. C’est quoi pour toi la phi- 370 losophie pour enfants ? Si tu devais la définir ? 371 Développer l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophi- 372 que, dans tous les domaines. Et voilà, faire en sorte que les enfants ne soient pas des moutons, 373 mais les considérer comme des personnes à part entière, comme le disait Dolto. Ca reste des 374 enfants, donc on est là pour les aider à développer sa pensée critique. 375 Mais tu penses que ça devrait devenir une discipline en soi ou pas ? Parce que j’ai l'impres- 376 sion que quand ça devient une discipline, il y a des questions d’évaluations, d’objectifs… 377 Oui… mais pourquoi pas. Je pense que c’est essentiel, parce que c’est essentiel pour tous les 378 autres champs à l’école. Et je pense que c’est vraiment un outil pour rendre les enfants auto- 379 nomes, et avant d’être autonomes physiquement je pense qu’il faut être autonome intellectuel- 380 lement. Parce que, tu peux être en chaise roulante, mais intellectuellement tu peux t’en sortir. 381 Mais en revanche si tu es sain de corps mais que tu n’es pas intellectuellement autonome, je 382 pense que c’est plus difficile. Je trouve que cette autonomie intellectuelle est importante. Et, 241 383 au-delà de l’autonomie intellectuelle, c’est aussi l’écoute de l’autre, de développer le fait 384 qu’on peut ne pas être d’accord et que ce n’est pas un drame, mais qu’au contraire, ça enrichit 385 le débat et la vie de pas être d’accord, pas avoir les mêmes croyances, pas penser la même 386 manière. C’est « waouh, tu penses ça ? C’est incroyable j’avais jamais vu les choses sous cet 387 angle.» Et bah voilà, « Toi, tu n’es pas d’accord, alors on va en discuter et au bout du compte 388 on sera toujours pas d’accord mais on l’aura entendu, on saura que ça existe et on est capable 389 de respecter l’autre, on doit, car on a aussi envie soi-même qu’on soit respecté dans ce qu’on 390 pense et dans ce qu’on croit. » Demande de renseignements complémentaires par mail 391 J'ai une 5P-6P. Cela fait 12 ans que j'enseigne à l'Ecole Active où je pratique la philo depuis le 392 début. Me former en philo était d'ailleurs une condition à mon engagement dans cette école. 393 Mon intervention à pour but de cadrer le débat (le recentrer si nous nous dispersons), de poser 394 des questions qui permettent de mieux définir les termes que nous utilisons afin d'en partager 395 une compréhension commune, de poser des questions qui permettent de s'approcher toujours 396 plus près du concept philosophique (le bien, le beau, le juste, le vrai....les questions d'ordre 397 éthique et esthétique). Le but étant de partir de la pensée créative pour s'approcher toujours 398 plus de la pensée critique. L'enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Ré- 399 ponse ni La Vérité. Son objectif est d'aider les enfants à devenir toujours plus expérimentés 400 dans l’usage des habilités de pensées (exemples, contre-exemples, comparaisons, analogies, 401 hypothèses, métaphores, etc.), et d'affiner la rigueur intellectuelle de la pensée critique. 242 Entretien de Fabienne 1 Est-ce que vous avez des réactions par rapport à tout ça ? 2 Alors, qu’est-ce que je dirais ? Alors, peut-être y a deux choses qui me frappent au début. La 3 première, c’était la façon dont vous décrivez, la façon dont vous avez présenté, il me semble 4 que vous avez déjà en tête, vous voulez vous-même amener les élèves à quelque part… Donc, 5 vous avez présenté un support, ça c’est peut-être une deuxième difficulté, mais vous avez pré- 6 senté un support mais il y a un raisonnement implicite que vous avez fait entre ce support et là 7 où vous vouliez arriver. Donc ça, je dirais, c’est la première chose peut-être qui est en décala- 8 ge avec la démarche, c’est qu’en principe la démarche c’est que vous allez là où les élèves 9 vous guident. Ce qui ne veut pas dire que vous n’avez pas des thèmes que vous aimeriez que 10 les élèves abordent, mais ce qui vous interpelle et vous surprend, à mon avis, c’est que vous 11 avez un raisonnement et un chemin précis que vous voulez que les élèves empruntent. C’est 12 mon impression. Parce que, pour vous, c’est une évidence, il y a un lien, vous avez déjà un 13 raisonnement qui fait un lien entre l’image et là où vous voulez arriver. Ca veut dire qu’il y a 14 jamais une idée d’un jugement moral, de ce qui et bien ou pas bien, de ce qu’il faut faire ou 15 pas faire. Donc, à mon avis, là, il y a une difficulté. C’est qu’à mon avis, vous avez là déjà un 16 objectif dans ce que vous voulez, ce qui est un petit peu contraire à la démarche philo, car la 17 démarche philo : on présente quelque chose qui potentiellement est un peu ambiguë ou pro- 18 blématique, mais est-ce que les enfants s’en saisissent ou pas ? Est-ce que finalement ils vont 19 arriver là où vous voulez qu’ils arrivent ? Ce n’est pas du tout dit. Donc, ce qu’il faut, c’est 20 justement leur présenter quelque chose qui peut être problématique et dire « C’est quoi ? 21 Qu’est-ce que tu penses que ça pourrait être ? Est-ce que vous pourriez imaginer une situation 22 où ça se passe ? Qu’est-ce qui pourrait faire pour que des gens réagissent comme ça ? Qu’est- 23 ce qui pourrait se passer après ? » Donc, à partir de questionnements comme ça, vous allez 24 pousser les enfants à réfléchir, parce que votre objectif ce n’est pas d’arriver à une opinion sur 25 ce qui est bien ou pas bien. L’idée, vous les stimulez à se poser des questions, à réfléchir sur 26 des choses, donc « qu’est-ce qui pourrait paraître étonnant sur cette image ? » Parce que, de 27 là à les faire élaborer sur une vision de la liberté, de la démocratie, ou des choses, c’est un peu 28 ambitieux. Et ils sont petits encore, donc déjà… Alors ça, c’est l’idée dans ce que je lis, c’est 29 que quelque part vous avez envie qu’ils arrivent à quelque chose, et donc là, il y a une tension 30 avec la démarche. 243 31 La deuxième chose, c’est qu’effectivement je pense que le choix du support… Ils sont très 32 jeunes, donc je pense que cette image ils la connaissent pas. Ca ne leur rappelle rien. Donc le 33 danger, c’est qu’effectivement, ils partent sur la question du contexte. Mais au fond, l’idée ça 34 ne serait même pas de parler du contexte, parce que vous avez parlé du contexte pour expli- 35 quer la situation, pour qu’ils arrivent à entrer dans la démarche que vous vouliez. Donc, à mon 36 avis, vous pourriez présenter cette situation en disant : « Un jour ça s’est passé quelque 37 part… » Mais sans le contexte, parce que l’idée c’est que eux doivent chercher, donc on n’est 38 pas en train de faire une leçon d’histoire, on n’est pas en train de…. Mais si vous voulez 39 qu’ils réfléchissent là-dessus, vous pourriez commencer par dire « Bah, est-ce qu’il y a quel- 40 que chose qui vous surprend ? » Alors on pourrait dire « Bah oui, comment ça se fait qu’il est 41 là le monsieur ? » Là, vous pourriez justement les faire réfléchir : « Qu’est-ce que ça pourrait 42 être ? » Il y en a un qui pourrait dire : « Ca pourrait être un défilé militaire.» Et puis alors, si 43 tout le monde par exemple, parce que comment faire entrer tout le monde dans la question 44 « Alors qu’est-ce que ça peut être selon vous ? » Alors il y en a un qui dit : « Peut-être c’est 45 un… » « Faites une hypothèse », alors un dira « peut-être que c’est un défilé, puis c’est quel- 46 qu’un qui leur montre comment il faut défiler », et si personne trouve autre chose vous pour- 47 riez dire « bah en fait ce n’est pas un défilé, c’est une vraie image et ce n’était pas ça, est-ce 48 que vous pourriez trouver autre chose ? » « Bah, en fait c’est quelqu’un qui s’est mis là pour 49 empêcher de faire passer les… » « Qu’est-ce qui peut se passer dans cette situation ? » Il y a 50 « peut-être ils vont pas arriver parce que s’ils veulent tourner enfin… » Simplement, tout d’un 51 coup, leur faire imaginer ce que ça pourrait être, et tout d’un coup de se dire comment il fait 52 pour se mettre contre ? Qu’est-ce qu’il faut pour se mettre dans une situation comme ça ? Si 53 c’est pas un défilé, c’est quelqu’un qui proteste. « Est-ce qu’on peut imaginer la situation dans 54 laquelle, qu’est-ce qu’il risque ce monsieur ? » Commencer à lancer d’autres questions pour 55 que, si vous présentez l’image comme ça, c’est vrai qu’à priori ce n’est pas forcément pro- 56 blématique. Soit vous pouvez les faire partir de quelque chose qui est pas problématique et de 57 leur montrer qu’au fond, et ce qui est intéressant, c’est la démarche, qu’une photo qui a l’air 58 quelque chose de non problématique est en fait quelque chose de problématique. Donc ça 59 c’est le premier pas. Donc vous voyez, c’est assez loin des objectifs que vous vous êtes, vous 60 vouliez sûrement parler de la liberté, la paix, parce qu’à priori ce n’est pas forcément une si- 61 tuation de guerre voyez ? Donc le début de la démarche, ça serait déjà ça. Après, vous pour- 62 riez préparer quelques types de questions, vous voyez par exemple, ce qui est intéressant 63 quand vous êtes dans des situations où tout le monde est d’accord, si tout le monde est 64 d’accord c’est un peu ennuyeux, du coup c’est à vous de poser une question « Et si je vous dis 244 65 que c’est un monsieur qui proteste et c’est pas un défilé militaire, parce qu’il n’avait pas le 66 droit de faire ça ça et ça, donc voilà les gens ont commencé à défiler dans la rue et l’armée a 67 été envoyée. Qu’est-ce que vous pensez qu’il risque ce monsieur ? Ou que pourraient décider 68 les gens qui sont contre ce monsieur, ou qu’est-ce que lui il a envie de dire ? ». 69 Oui, j’avais de la peine à les sortir du contexte, ils me demandaient « mais c’était où? », etc. 70 Oui, alors là c’est cuit. Ca, c’est peut-être ce support là. Ca pourrait être intéressant, mais ça 71 pourrait être intéressant dans une deuxième étape. Vous pourriez commencer avec un support 72 plus simple, parce que du coup c’est un support qui vous donne pas beaucoup d’éléments 73 d’accroche à vous, alors je ne sais pas si vous partez peut-être d’un texte, d’une devinette ou 74 qu’est-ce que vous utilisez comme matériel ? 75 Là, je suis partie sur le Petit Prince et ça va nous faire un bon bout de chemin. Mais sinon 76 j’utilisais, il y a pas mal de livres « Pourquoi fait-on la guerre ?» Des fois on partait juste 77 d’une page où il y avait des questions, ou comme ça, ou des fois juste en parlant de violence / 78 non-violence et je les écrivais au tableau : qu’est-ce qu’on met dans violence ? 79 Ils arrivaient à mettre beaucoup de choses et dans non violence, il y avait moins de choses qui 80 sortaient. Et là je voulais partir un peu sur la paix et je trouvais que c’était un bon passage 81 entre deux, mais ça n’a pas passé. 82 Cela dit, des fois, il n’y a pas de formule magique. Parfois, il y a des groupes, ils trouvent un 83 chemin et ils s’engouffrent, et tout d’un coup avec certains groupes, on a beau donner des pis- 84 tes, mais voilà, disons bon… L’idée c’est que la limite, si vous devez passer trop de temps à 85 expliquer le contexte en fait, ça perd du sens, et vous n’atteignez pas non plus l’objectif qui 86 est de les pousser dans leur questionnement, à chercher des hypothèses, voyez. Vous pouvez 87 chercher d’autres exemples, en disant « Bah là, c’est un homme qui s’oppose » et d’un coup 88 ça pourrait être une histoire du faible contre le fort "Est-ce que il a raison?" « Est-ce que vous 89 trouvez qu’il y raison de s’opposer comme ça ? Est-ce qu’y a d’autres façons ? » « Oui, on 90 pourrait prendre des armes. » « Alors est-ce que vous auriez des exemples ? » Vous voyez, 91 sans moraliser, en leur disant c’est bien ou pas bien, parce que l’idée c’est qu’ils réfléchissent 92 là-dessus. « Qu’est-ce que vous pensez qu’il essaie de faire ? De dire ? ». Donc ça, voilà, 93 c’était vraiment les deux choses. 94 L’idée, et le piège dans lequel vous êtes un peu tombée, c’est voilà, je veux qu’ils arrivent là, 95 et finalement il y a un chemin implicite, et c’est un peu le réflexe de prof. On veut qu’ils arri- 96 vent à la solution et on veut qu’ils arrivent. C’est toute la difficulté du dialogue philo. Disons 245 97 que la didactique de faire la philo avec les enfants, du philosopher, c’est justement se laisser 98 mener là où va la discussion et c’est eux, le processus et vous êtes là pour soutenir le proces- 99 sus de questionnement. « Pour quelles raisons ? Quelles pourraient être les conséquen- 100 ces ? Est-ce que vous avez des exemples de gens qui se sont battus ? Est-ce que vous pensez 101 que c’est une bonne façon de se battre ? Est-ce que vous pensez qu’il y aurait d’autres façons 102 de se battre ? Est-ce que vous pensez qu’il a raison ? Que les gens en face ont raison ? » En- 103 fin, vous voyez, ce genre de, et c’est comme ça qu’ils élaborent, et maintenant savoir qu’est- 104 ce qu’ils vont retenir, ce monsieur est stupide ou ça y a pas de position à priori. 105 Et sinon la philosophie pour enfant, dans ce cadre là, comment vous la définissez ? En quel- 106 ques mots… 107 En quelques mots ? (rires) 108 Non, alors, en beaucoup de mots… 109 Pour moi justement, l’idée c’est de permettre aux élèves de développer leur pensée. Alors, 110 comment est-ce qu’on essaie de développer leurs idées ? On essaie de donner du sens à des 111 choses qui nous entourent. En philo pour enfant, l’idée c’est de leur permettre de se construi- 112 re du sens par rapport aux choses, aux événements, aux situations de leur environnement ou 113 des choses qu’eux vivent tous les jours. Donc c’est pour ça que c’est important de partir de 114 leurs questionnements et de soutenir ce processus là, qui est un processus qui se fait dans la 115 mise en commun des différente expériences et des différentes pensées, qui sont les différentes 116 réflexions des élèves. Tout d’un coup, l’objet dont on parle commence à prendre une épais- 117 seur et c’est dans cette épaisseur là qu’on trouve du sens, parce que quand le sujet, si les gens 118 partent du début de la leçon ou la fin de la leçon de l’idée que la guerre c’est ça et la paix c’est 119 ça, c’est probablement un peu pauvre, parce que c’est plus complexe. On sent bien que la si- 120 tuation, la guerre, la violence la paix ça peut être un continuum, y a des moments où ça casse 121 et le fait de complexifier la notion je trouve que c’est ça qui est important et tout d’un coup on 122 se rend compte qu’il y a des dimensions éthiques, de différents ordres, des dimensions politi- 123 ques, stratégiques. Il y a beaucoup de dimensions. C’est un phénomène qui est quand même 124 social, qui existe partout, parce que la guerre c’est la violence, c’est la même chose. Donc 125 c’est en densifiant le phénomène qu’on commence à mieux comprendre de quoi il s’agit, par- 126 ce que si c’est un truc clair et net, c’est une fois pour toutes on a une définition claire et nette, 127 c’est oui, c’est peut-être un petit début de quelque chose, mais ce qu’il faut c’est enrichir cette 128 pensée. Donc, bien sûr il y a des connaissances qu’on peut apporter, mais ce qui fait vraiment 246 129 qu’on arrive à s’élever dans sa pensée, c’est justement quand on arrive un peu à la produire 130 par soi-même. Aussi, quand on arrive à l’alimenter avec des choses, les choses prennent tout 131 leur sens, on fait des liens qu’entre les choses et à mon avis, en philo, c’est ce qu’on essaie de 132 faire. C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser. 133 Et vous mettez quoi comme objectifs scolaires derrière ? 134 Alors, j’ai eu la chance de pratiquer dans les écoles privées. Alors, je n’avais pas… y avait 135 pas un objectif particulier. Mais pour être en train de justement faire mon mémoire et voir 136 comment les enseignants l’utilisent, donc ils l’utilisent soit pour des questions de formation 137 générale, en lien avec le PER, donc c’est dans tout ce qui est formation générale, donc le vivre 138 ensemble, éducation à la citoyenneté, euh… mais c’est aussi les compétences transversales, la 139 collaboration, pensée critique et créatrice. Et puis autrement, beaucoup dans tout ce qui est 140 formulation, donc plutôt en français, compétences orales, en français, et c’est vrai le fait de 141 formuler ou de formuler avec ses propres mots, de comprendre, d’écouter les explications, 142 d’essayer de mettre en mots sa pensée, ça exerce ce genre de compétences. 143 Et vous, quand vous en aviez fait, vous mettiez plutôt pensée réflexive derrière ? 144 Bah, à mon avis c’est tout travaillé ensemble, parce que le fait de formuler par exemple, 145 j’étais avec une classe d’élèves de cinq ans. On partait d’un poème de Prévert. Ca s’appelle, 146 c’est l’histoire du bonhomme de neige, une chanson pour les enfants en hiver, c’est un bon- 147 homme de neige qui court dans la nuit. Il est poursuivi par le froid et on parlait du fait d’être 148 poursuivi, qu’est-ce que ça veut dire d’être poursuivi ? Déjà, comme notion ce n’était pas 149 clair. Ils avaient cinq ans donc, euh, et qu’est-ce qu’on ressent quand on est poursuivi ? Alors, 150 y a des fois ça peut être un jeu, on se poursuit dans la cour. Ou des fois, comme à la télé, y a 151 des gens qui peuvent avoir peur. Alors on a parlé de la peur : « c’est quoi la peur ? » Et l’idée 152 c’était déjà de définir ce qu’était la peur. Donc, souvent les définitions au début, c’est « bah, 153 c’est quand j’ai peur.» Oui, mais « est-ce qu’on pourrait trouver une autre façon de décrire, 154 parce que là on ne comprend pas, c’est tautologique et l’idée c’est qu’on cherche avec 155 d’autres mots. » Donc on a cherché ça, puis après on a dit que ce n’était pas évident de trouver 156 une définition et après on a dit « alors est-ce qu’on peut la décrire ou donner des exemples de 157 ce que c’est ? » Alors il y a des exemples précis. Y en a qui disaient « bah c’est quand j’ai des 158 poils qui se dressent, j’ai la chaire de poule ou j’ai le ventre qui fait glouglou ou je commence 159 à transpirer ou je n’arrive pas à parler ou j’ai envie de pleurer. » Et puis après je disais, par 160 exemple, « mais est-ce que tout le monde a peur ? Les grands, les petits ? » Alors voilà, il y a, 247 161 à la fois le côté oral, parce que les enfants doivent s’exprimer, faire des phrases, des phrases 162 cohérentes, en disant : « écoute, je n’ai pas compris. Est-ce que tu pourrais redire, ou quel- 163 qu’un pourrait l’aider ? » Alors, il y a tout ce travail là et puis après quelqu’un disait : « est-ce 164 que les adultes ont peur ? Les animaux aussi ? » Alors je dis : « Est-ce qu’on peut lutter contre 165 la peur ? » Et y a une fille qui lève la main et qui dit : « bah non, on ne peut pas, parce que la 166 peur est trop grande, elle est trop forte. » Et là y a un petit garçon qui dit « mais moi je ne suis 167 pas d’accord.» « Ah bon, est-ce que tu pourrais nous expliquer ? » « Bah moi je m’entraîne à 168 me battre contre ma peur. » « Tu fais ça comment ? » « Bah moi, des fois, les soirs avec ma 169 sœur, je me mets au salon et puis je prends mon épée laser, et puis du coup je lui demande 170 d’éteindre la lumière et après quand je suis seul dans le noir avec mon épée, bah je m’entraîne 171 à me battre contre ma peur. » Donc tout d’un coup, c’était clair que les gens se disaient que 172 d’un coup, c’est possible il y a peut-être quelque chose de vrai là-dedans, et en fait peut-être la 173 peur c’est quelque chose contre laquelle on peut trouver des moyens. C’est à la fois penser sur 174 sa propre pensée, au vu de ce que disent les autres « Ah bah tiens, je n’avais pas pensé à 175 ça, peut-être que je pourrais aussi faire comme ça.» La formulation ou l’imagination, remettre 176 en question ses propres opinions, changer d’avis, exprimer un désaccord mais dans la collabo- 177 ration et pas en disant c’est nul. Il avait quand même cinq ans et il a réussi à dire « Moi, je 178 n’étais pas d’accord avec ce qu’a dit telle. » Et c’était extrêmement intéressant, car on les voit 179 participer et c’est quelque chose qui leur parle, voyez… C’est comme, c’est parce que… c’est 180 une expérience et ce qui est difficile et aussi peut être dans votre approche ça me fait penser à 181 ça, c’est que parler théoriquement de la paix, c’est compliqué pour des enfants d’avoir une 182 opinion théorique sur ce qu’est la paix. Parce que oui, ils peuvent avoir des images à la télé, 183 mais au fond si on fait appel à leur expérience, ils ont probablement une expérience de paix et 184 de guerre parce qu’ils ont parlé, parce qu’eux-mêmes ont vécu, donc évidemment à leur 185 échelle… Mais si on… Il faut essayer de s’appuyer sur ce bout d’expérience qu’ils ont et qui 186 leur parle, et d’ailleurs peut-être dans laquelle ils n’ont pas encore fait sens de cette situation, 187 parce que ils sont des enfants qui se battent de temps en temps à la maison, mais peut-être ja- 188 mais en pensant qu’ils étaient en train de se battre contre leur peur. Est-ce qu’ils savaient déjà 189 que c’est en parlant dans cette discussion que le gamin s’est dit : « Au fond, moi je me bats, 190 c’est exactement ce que je fais.» Est-ce qu’il avait déjà mis des mots dessus, ou pris conscien- 191 ce ? Et du coup, de prendre conscience de quelque chose et donner du sens à quelque chose, 192 ça nous enrichit et enrichit notre expérience qui nous renforce, et qui nous insère, et intègre, et 193 tisse un tissu plus dense avec notre expérience et notre environnement. 248 194 Et qu’est-ce que ça apporte aux élèves ? Et à l’enseignant ? 195 A mon avis, aux élèves, ça leur apporte, bah… Le fait de prendre conscience qu’on a une pen- 196 sée. Parce que déjà quand on est enfant, ce n’est pas évident. Il y en a pas beaucoup, il y en a 197 quelques uns qui savent, mais c’est souvent pas la majorité, de prendre conscience qu’on a 198 une parole, que cette parole elle peut valoir quelque chose. C’est pas parce qu’on est petit, 199 c’est pas parce qu’on est pas adulte, c’est pas parce qu’on est une fille, ce n’est pas parce 200 qu’on est étranger, que tout d’un coup on a rien à dire. Et ce que moi j’ai souvent eu comme 201 retours d’enfants, c’était de dire, des enfants qui participaient très peu en classe et puis en fait 202 qui prenaient vraiment la parole, pour la première fois peut-être dans la classe, et l’enseignant 203 disait : c’est peut-être étonnant parce que c’est un enfant qui participe jamais en classe, parce 204 que c’est des choses qu’on parle jamais et que c’est des choses qui nous touchent. Donc, le 205 fait que ça fait appel à leur expérience, tout d’un coup, ça veut dire et c’est dans l’idée de, si 206 on a quelque chose qui nous touche pas, des fois c’est difficile de donner du sens à un appren- 207 tissage qui ne nous touche pas, qui ne fait appel à rien de connu. Après, y a des enfants qui 208 sont intellectuellement curieux qui, mais on peut être intellectuellement curieux mais si ça n’a 209 rien à voir avec notre expérience à la maison, que les échanges avec les parents c’est peut-être 210 un univers avec lequel on a de la peine à tisser un lien… Mais ça, justement, c’est une prati- 211 que qui peut-être ce pont. C'est-à-dire de tisser un lien entre ce qu’on fait et nos apprentissa- 212 ges. Et ça peut donner du sens pour les apprentissages, ça donne de la confiance en soi, parce 213 que tout d’un coup… Une fois, une discussion avec des ados, on a eu un passage de 1984, et 214 donc à un moment donné, bon, il y a cette partie sur le racisme au début du passage. Mais on 215 sent bien que c’est une question d’antisémitisme. Le pouvoir passe un film dans lequel des 216 gens se font jeter à la mer, etc. et il y avait un garçon qui était d’origine asiatique en classe, et 217 puis on a parlé de cette discussion, et voilà, de gens qui étaient mal considérés et puis finale- 218 ment il y en a qui arrêtait pas de l’appeler « le chinois » ou je sais pas, et puis c’est un truc 219 qu’il prenait toujours sur le ton de la blague et puis finalement c’est arrivé plusieurs fois dans 220 l’atelier et il a dit : « Mais en fait, moi, ça me dérange qu’on m’appelle comme ça.» Et du 221 coup, c’est vrai que c’est une chose qui avait jamais été dite en classe, mais qui là est ressor- 222 tie, en disant que ça c’était un peu la même chose, que y a des liens qui étaient faits et que 223 pour lui c’était assez méprisant d’être appelé comme ça. Et voilà, y a des choses d’expérience 224 et le fait de pouvoir le dire, ça veut dire que tout d’un coup on prend sa place dans le groupe. 225 Donc ça, c’est pour les élèves. 226 Et pour l’enseignant, je trouve que c’est, voilà, découvrir un aspect des enfants qu’on ne 227 connaît pas, c’est de découvrir avec eux, parce qu’on est dans une démarche où même… oui, 249 228 on sait ce que c’est la guerre, la paix, ces phénomènes… Mais si on va au fond des choses, on 229 se retrouve vite nous-mêmes dans des situations où on ne peut pas répondre aux questions. 230 Donc c’est vrai que s’engager dans ce processus, c’est aussi très, très enrichissant pour 231 l’enseignant. Ca permet justement de voir comment se construit la pensée et c’est de voir pour 232 les enfants, je reviens à eux, mais c’est de voir que y a le processus de la pensée, voir com- 233 ment ça s’élabore, qu’on ne passe pas du point A au point B, comme dans un cours. On peut, 234 mais pas tout le temps. Pour que la pensée soit quelque chose de vivant, de riche et qui fasse 235 du sens, c’est un peu quelque chose d’itinérant. On fait un pas en avant, un pas en arrière, puis 236 on part à gauche, puis c’est en tâtonnant aussi, c’est en cherchant qu’on construit quelque 237 chose. Je trouve qu’il y a ce, cette prise de risque qui est parfois un peu troublante pour 238 l’enseignant. On se dit « Oula ! Dans quoi je m’engage ? Et où est-ce que je vais ? » Donc, y 239 a, à la fois, le processus, puis le contenu forcément. Et les enfants... Moi, je suis toujours 240 émerveillée de voir, et comme dans n’importe quoi, y a des fois des cours où il se passe rien 241 du tout, et de temps en temps, et même assez souvent, je suis épatée de voir les intuitions fon- 242 damentales, essentielles sur le sens de la vie, les choses, les mystères de la vie des enfants, 243 parce qu’ils ont des capacités de se poser des questions. Parce quand un enfant se dit : « Mais 244 moi en fait, ma mère j’ai toujours l’impression que c’est deux personnes, parce que des fois 245 elle est très, très gentille et parfois elle est très sévère. » Quelque part, ce qu’il disait, c’est 246 qu’il ne comprenait pas comment les deux choses pouvaient cohabiter en une personne. Mais 247 c’est quelque chose de philosophique, de fondamental, comme le bien et le mal. Comment 248 est-ce qu’ils peuvent être réunis quelque part au sein d’une même chose ? Parce qu’ils sont de 249 nature tellement différente que, comment ça peut coexister, cohabiter ensemble ? D’où on 250 vient ? Enfin voilà. De qui on est sur Terre, de quel est le sens de la vie, de ce qu’est la justi- 251 ce, de comment des choses bonnes et voilà… Et je trouve tellement dommage de gâcher ce 252 potentiel, parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, avec le recul, si moi j’avais eu ça en tant 253 qu’enfant, j’aurais eu sûrement moins de certitudes. Ca m’aurait apporté une perspective très 254 différente sur la vie et je regrette de ne pas avoir eu ça. Alors, l’idée ce n’est pas de faire de la 255 philo tout le temps, hein. On n’est pas en train de dire qu’il faut faire de la philo 24/24, mais 256 d’entrer et de stimuler les enfants, voilà, moi en tant qu’adulte je sais plus de choses, j’ai la 257 capacité à poser le cadre mais après c’est aussi à vous… Qu’on se sente d’un coup qu’on est 258 capable, c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel, de se sentir ca- 259 pable d’une pensée, de l’exprimer, d’être entendu, voir de faire changer l’opinion des autres 260 parce que notre idée était une bonne idée ou parce qu’on a eu un bon raisonnement. C’est un 261 élément d’estime de soi formidable. 250 262 Et finalement l’enseignant lors de ces moments de philo il fait quoi ? C’est quoi sa place ? 263 Son statut ? Son rôle ? 264 Sa place c’est de guider, c’est de poser aux enfants des questions qui sont pertinentes. 265 Est-ce qu’il guide beaucoup ? Est-ce qu’y a beaucoup de questions ? 266 L’idée, c’est de petit à petit…Lles enfants vont le prendre en charge. Ca se fait petit à petit. 267 Mais c’est vrai qu’au début, y a quand même beaucoup de guidage. Vous allez, ou quelqu’un 268 va dire : « les filles, les garçons, c’est pareil », ou « c’est différent ». Oui, alors voilà, est-ce 269 que tu pourrais me donner, ou cherchons les différences entre les filles et les garçons. Alors 270 tout le monde commence à donner des différences, où au bout de cinq, six, sept, on va passer 271 à autre chose. Alors, on a regardé les choses différentes, maintenant on va voir les choses qui 272 sont pareilles. Et c’est là que vous intervenez, parce que vous n’allez pas laisser le groupe par- 273 ler une heure sur des exemples. Et puis après, vous allez chercher des contre-exemples, dans 274 une différence. Ils vont vous donner une différence et vous allez essayer de chercher peut-être 275 un contre –exemple, et dans ce cas là, « les filles ont les cheveux longs », « oui, mais alors 276 moi je connais tel sportif… » « Alors, des fois il pourrait… Alors est-ce qu’on peut générali- 277 ser ou il faudrait dire que parfois … » Vous faites la nuance, pour dire voilà, ça c’est qu’on 278 appelle une nuance. Vous nommez ce qu’ils sont en train de faire, par exemple. Ou alors dire 279 « Là tu es en train de faire une hypothèse ». Soit vous intervenez en nommant ce qu’ils sont 280 en train de faire, ou en dirigeant le questionnement, et si on pense oui les filles sont meilleu- 281 res, les garçons moins : « ah bon, mais pourquoi ? » Et « alors, si on pense que les gens sont 282 meilleurs, quelles sont les conséquences ? » Ca veut dire que, alors on pense que les meilleurs 283 doivent toujours avoir les meilleurs, et que les autres viennent après. Élaborer sur ce genre de 284 choses, vous êtes là pour faire élaborer. Et il y a le cadre social aussi, que les gens se respec- 285 tent, que si quelqu’un dérange tout le temps de dire : « bah, y a des règles pour faire partie du 286 cadre. » Alors si y a quelqu’un qui cherche, qui provoque, eh ben vous pouvez l’avertir une 287 fois, deux fois s’il faut, faut le sortir du groupe. Et une stratégie, de temps en temps, c’est de 288 dire toi tu vas observer les élèves qui dérangent souvent, qui interviennent tout le temps, soit 289 qui perturbent, soit les élèves qui veulent tout le temps prendre la parole. Parce qu’il y en a 290 aussi et ils laissent moins la parole aux autres. Et l’idée c’est de dire : « voilà, aujourd’hui tu 291 vas observer. » Donc ça, vous êtes garante de ce cadre là, vous êtes garante du respect que les 292 élèves s’accordent auquel cas bah : « sois un peu respectueux avec les autres ». Et il y a des 293 choses qu’on a le droit de faire, ça c’est la première chose. Et la deuxième, c’est de soutenir le 251 294 questionnement, et suivant où ça part, se dire bon là, être sûr que, ou faire des exercices où il 295 y a plein de contre-exemples par exemple. Ou alors, on va essayer de trouver des raisons : 296 « Tu as trouvé ça, d’accord. Mais est-ce qu’on peut trouver une autre raison pour faire une 297 action ?» Et parfois ils disent : « Oui, mais il l’a fait à cause de ça », et quelqu’un dit « Ah 298 non, je suis pas d’accord avec toi. » « Ah bon, alors on va essayer de trouver quelles seraient 299 les raisons pour lesquelles on ferait ou quelqu’un ment ? » Quelqu’un dirait : « Il est mé- 300 chant » ou « Bah non, il fait ça pour le protéger.» « C’est quoi les situations où l’on pourrait 301 mentir ? » Et puis après, vous listez cinq, six situations, et après : « Est-ce qu’il y en a que 302 vous trouvez bonnes ? Est-ce qu’il y en a que vous trouvez mauvaises ? » Mentir pour proté- 303 ger quelqu’un par exemple, ou mentir pour se protéger soi-même. Parce que quelqu’un qui 304 veut vous offrir un bonbon fermenté dans sa voiture, vous allez lui dire « Non, j’ai maman qui 305 m’attend. » Est-ce que c’est bien ou pas bien ? Tout d’un coup, vous les mettez dans le 306 contexte, vous voyez ? Mais ce n’est pas vous qui dites, vous ne donnez pas forcément les ar- 307 guments, si vous voyez que les enfants sont en panne à ce moment-là, vous essayez de trouver 308 un angle pour dire soit « on va chercher des exemples », soit « alors dans cette situation, vous 309 pensez ça, mais alors du coup la violence et la guerre, c’est la même chose ? » Et puis, y en a 310 ils vont vous dire oui. Mais alors « par exemple, quand y a des gens au foot, à la télé, qui se 311 donnent un coup de pied, les joueurs, est-ce que c’est la guerre ? » Donc vous voyez ? « Est- 312 ce que quand y a des gens et une manifestation, et qu’ils se tapent dessus, est-ce que c’est la 313 guerre ? » Y en a qui vont dire oui, y en a qui… « Pourquoi tu penses ça ? » Et ils vont trou- 314 ver. Vous voyez, vous allez chercher, partir, voilà, des matériaux que vous apportent les en- 315 fants, et vous allez les pousser plus loin. Et de temps en temps vous allez leur dire : « cher- 316 chez plutôt une définition. C’est quoi ? » Si on ne trouve pas une définition bah, on cherche 317 des critères. Qu’est-ce que c’est un critère ? C’est une raison mais qui est particulièrement une 318 bonne raison. Est-ce que vous trouvez que ça c’est un bon critère ? Par exemple, si tout d’un 319 coup on peut en proposer un aussi, mais vous n’êtes pas là pour dire « à la fin, je veux qu’ils 320 arrivent à telle conclusion ». Parce que ça, c’est quelque part, une sorte de manipulation. 321 Et qu’est-ce qu’on fait comme préparation avant ? Est-ce qu’on prépare ou non ? 322 Moi, en général je prépare. Parce que, c’est vrai que, si je vais avec une thématique… C’est 323 tellement riche dans le Petit Prince par exemple. C’est quand même bien d’avoir une idée de 324 là où ça pourrait aller. Surtout que des fois on arrive dans une impasse, les enfants arrivent pas 325 à sortir ou partent sur autre chose, ça reste pas dans la ligne de tir. C’est bien de préparer à 326 l’avance, car on a soi-même des pistes. Ou je présente une autre situation, ou je donne des 252 327 exemples. C’est toujours bien de savoir parce que sur le moment on a tellement de trucs sur 328 lesquels « ok, il a dit ça, lui ça, et lui arrête pas de bouger.. » Des fois sur le moment, bon… 329 Du coup, le fait de se préparer à l’avance, moi, c’est un outil. Bon, vous avez pas mal de petits 330 textes philo dans lesquels vous avez des angles d’attaque, je ne sais pas, les petits goûters phi- 331 lo. Vous regardez et vous dites, bah tiens ça serait une piste possible, on coupe et si je vous 332 parlais de ça, vous pourriez faire des liens? Est-ce que c’est différent ou la même chose ? 333 Vous voyez, faire des analogies. Ou y a les guides pédagogiques de Lipman, ils sont tellement 334 riches. Et même si on ne part pas forcément d’un texte de Lipman. Mais souvent, parce que 335 des fois y a des exercices… et alors dire : « voilà, ça fait deux, trois séances qu’on discute, 336 aujourd’hui je fais un exercice précis, je travaille une habileté précise, ou on, je ne sais pas, 337 par exemple des métaphores, en disant « on est fort comme un ? Doux comme un ? » Voilà... 338 Et puis tout d’un coup, ça les force à chercher des images. Et vous pouvez les mettre par 339 groupe de deux, et alterner de temps en temps, comme ça, et souvent c’est des exercices très 340 terre à terre : « qu’est-ce que je serais si j’étais… » Donc, ça peut être plutôt un côté créatif. 341 Et à la fin d’une séance, essayer de prendre le temps de réfléchir sur comment on a réfléchi 342 pendant la séance, garder du temps à la fin. Alors, vous pouvez à la fois réfléchir sur les idées 343 « est-ce que vous trouvez qu’on a eu des bonnes idées ? Est-ce que quelqu’un pourrait redire 344 quelles ont été les bonnes idées ? » Peut-être les noter. 345 Donc là c’est plus le retour ? Formalisation à la fin ? 346 Oui, oui, le retour. Mais à la fois sur le contenu, mais aussi sur le processus. Et au début c’est 347 aussi donner des choses simples à observer aux enfants, parce que c’est difficile et ils ne sa- 348 vent pas trop quoi dire. Ou trouver les exemples, les raisons et peut-être vous modéliser une 349 fois : « voilà ce que j’attends d’un observateur ». Et est-ce que c’est bien écouté ? Et se dire, 350 peut-être, je fais une fois la discussion un peu moins longue, ou sur la dernière fois comment 351 ça s’est passé, et noter et dire « voilà, moi j’ai observé qu’il y a les enfants qui s’écoutaient 352 pas ou qui interrompaient ou qui rigolaient. Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour qu’il y 353 ait une bonne écoute ? » « Alors dire on se regarde, on ne parle pas, on attend », et dire « alors 354 la prochaine fois, il y a quelqu’un qui observe ça », ou « quelqu’un qui observe que quelqu’un 355 a repris l’idée de quelqu’un d’autre ». Parce que, des fois aussi, y en a un qui dit un truc et 356 chacun dit quelque chose et ça a plus rien à voir avec ce qui a été dit avant. Même pendant le 357 déroulement, dire « ah, vous avez vu ce qu’il a fait là ? » Même si ça casse la discussion, ce 358 n’est pas grave. Et essayer de faire réfléchir sur qu’est-ce qu'il vient de se passer dans la clas- 253 359 se, soit sur des choses positives, soit négatives. Et puis par exemple de dire de distribuer des 360 rôles. 361 Et puis comment on peut être sûr, qu’on voit que les élèves ont acquis quelque chose, par la 362 pratique du dialogue ? 363 Ça se voit, mais à mon avis, ça se sent. C’est quelque chose, et effectivement je pense que 364 c’est une des difficultés, c’est dans l’évaluation, parce qu’évaluer la pensée de quelqu’un..., 365 C’est facile d’évaluer des compétences précises, calculer… Mais maintenant, le fait d’être 366 capable de donner plus de sens à son expérience de vie, ce n’est pas facile à évaluer. En re- 367 vanche, si vous le faites sur la longueur, vous allez voir tout d’un coup des élèves qui intera- 368 gissent plus entre eux, au sein du groupe. Ca vous pouvez le voir. Au début c’est vrai que, 369 quand on commence souvent c’est presque one-to-one, y en a un qui dit, puis il vous parle 370 tout le temps. Si on demande de constater que les élèves se regardent plus, d’interagir plus 371 entre eux, que le climat de la classe est plus… les gens, les enfants posent plus de questions. 372 Tout d’un coup on dit « mais tu dis, mais pourquoi tu dis ça ? » Vous voyez, c’est cette capa- 373 cité, la formulation. Et y a plusieurs enseignants qui m’ont dit, la formulation, le fait qu’ils 374 soient capables et qu’ils puissent prendre la parole, le fait de formuler et poser des questions 375 quand ils n’ont pas compris quelque chose ou qu’ils essaient de comprendre. Voilà. Mais c’est 376 vrai que d’évaluer, comme on évalue une compétence je fais une phrase avec verbe, sujet, 377 complément ou mathématique, c’est compliqué. 378 Étudiante : Et comment on régule au cours de la discussion ? On se dit là on a assez parlé, on 379 passe à autre chose, à un autre thème, comment on régule tout le… 380 Ça, je dois dire c’est assez au feeling. Si vous sentez que ça péclote de temps en temps, tout 381 d’un coup, je ne sais pas, quelqu’un fait une intervention et vous sentez que l’élève a soulevé 382 quelque chose d’intéressant, bah vous pouvez suivre cette piste et disons ce qu’il faut c’est 383 éviter trop de répétitions et éviter, si les gens ça croche pas, si vous sentez que socialement 384 dans le groupe… Par exemple, l’année passée on a été dans des classes de 8P qui avaient déjà 385 fait un an en 7P. C’était une classe fantastique. Et quand on est arrivé, on a changé 386 d’animateur, et l’année suivante ces 8P, et la dynamique de la classe a vraiment pas mal 387 changé, préados… et les filles, quatre, cinq filles brillantes d’un côté, les garçons assez très 388 silencieux de l’autre. Une dynamique vraiment… des clans entre filles… très, très difficile. Et 389 ça a été très compliqué de les faire parler, parce que pareil, ça a mis beaucoup de temps avant 390 qu’il y ait quelque chose qui se passe dans le groupe, parce que y avait ces… Ca dépend un 254 391 peu du groupe et c’est à vous de sentir. Parfois mettre plus l’accent sur… Des fois ça peut être 392 aussi faire une activité. Di vous sentez que le problème est social dans la classe, que y a quel- 393 que chose qui se crée pas dans le groupe, vous pouvez même essayer de faire un petit exercice 394 de théâtre, des choses qui… que les gens s’expriment différemment, qu’il y ait des petits jeux 395 de rôle, qu’il y ait... Il peut y avoir des situations, les faire travailler en petits groupes. C’est ça 396 aussi, des fois, ils se fatiguent, parce qu’ils ont envie de parler. Quand ils sont vingt, ou vingt- 397 quatre des fois, on n’arrive pas à donner la parole à tout le monde. Donc à la fin ils s’énervent, 398 ils sont frustrés, donc faire des petits groupes, des groupes de trois ou deux, trois, quatre, 399 après ils font un retour. Ou une fois, à partir d’un conte, on avait discuté des bêtises. C’était 400 un renard, un petit conte japonais, donc euh… bon il a fait quelque chose qui c’est très, très 401 mal terminé pour lui, à la fin il meurt et tout, parce qu’il essaie de réparer sa bêtise. Mais en- 402 fin il l’a faite, donc c’est comme ça. Donc après, on a fait tout une discussion sur les bêtises, 403 et je leur ai demandé à tous d’imaginer une bêtise. J’avais amené ma boîte à bêtises et j’ai dit : 404 « Vous allez tous marquer sur le papier une bêtise que vous avez envie de faire, vous n’allez 405 pas signer c’est anonyme ». Donc évidemment, c’était de mettre du chewing-gum, du denti- 406 frice ou de la mayonnaise dans les chaussures de mon père, jusqu’à brûler l’école et tuer des 407 gens. Y avait un spectre de bêtises quand même large. Et alors du coup, je suis revenue la se- 408 maine suivante et sur la vingtaine j’en ai pris cinq ou sept et je les ai mis par petit groupes, et 409 j’ai dit : « on va faire une échelle sur le tableau, puis on va mettre à 0 la chose la moins grave 410 et à 10 la bêtise la plus grave. Et vous allez devoir évaluer. Vous avez cinq, six bêtises chaque 411 groupe, les mêmes. Donc, évaluez la gravité de la bêtise et vous allez nous dire pourquoi et où 412 vous la situez sur l’échelle. » Et ils ont travaillé entre eux, et ils avaient huit ans, et ensuite ils 413 sont revenus. Ca c’est fait sur deux, trois séances et ils ont dû chacun placer les bêtises, et y 414 en a qui avaient placé la bêtise, par exemple, dégonfler un pneu de vélo… alors y en a qui 415 l’avaient mis à 1 d’autres 8. Et l’idée c’est ça qui était intéressant. Sans dire que y en a une 416 qui était bonne ou pas bonne, mais c’était quelles étaient les raisons, justifier, puis après il fal- 417 lait évaluer les raisons. Déjà, il fallait voir aussi, ils étaient surpris car ils n’avaient pas tous le 418 même classement. Et puis justement, les raisons y en a qui disaient « Oui, mais dégonfler un 419 pneu de vélo ça va, ce n’est pas grave » et d’autres « oui, mais si tu abîmes un pneu de vélo 420 que la personne va sur la route et qu’elle a un accident, et tout ça.» Et ce qui était intéressant, 421 c’est qu’il y avait une raison, fallait justifier la raison et donc parmi la gravité, c’était 422 l’élément de la conséquence. Et là, la conséquence de l’école, certains avaient mis brûler 423 l’école, mais ils n’avaient pas tous mis au même endroit. Mais du coup c’était fantastique, 424 parce qu’ils avaient des réflexions, parce que y avait vraiment un spectre de bêtises et il y 255 425 avait vraiment des choses très intéressantes et des choses, ou au contraire, assez innocentes : 426 écrire une lettre en traitant de chou-fleur la directrice de l’école… Bon, oui mais est-ce que… 427 Voila, tout d'un coup mis face à la conséquence ça peut vraiment faire du mal à quelqu’un. 428 C’était super intéressant. Donc voilà, de temps en temps, faire des activités comme ça, qui 429 change toujours un peu parce que, voila, des fois ça roule moins bien. Bon ça je n’avais pas 430 trouvé dans le guide mais je me suis dis, je fais ça car ça a l’air sympa, y a sûrement des trucs 431 de pédagogique, des fois on peut faire des trucs sur des dessins. Enfin voila, y a plein de cho- 432 ses… 433 Et puis les enfants qui ne parlent pas, on va les chercher ou est-ce qu’on les laisse dans leur 434 coin ? 435 Il faut essayer, des fois. C’est bien aussi de faire… On avait fait, à un moment donné dans cet- 436 te classe, où il y avait vraiment des problèmes entre personnes importants, des espèces de 437 mini-exercices de théâtre. Parfois c’est compliqué dans la classe, mais là on avait une salle de 438 gym. On disait, bah, par exemple : « Vous allez vous mettre dans l’ordre de naissance des 439 mois de l’année.» Donc ça veut dire que les gens sont obligés de se parler pour demander 440 « t'es né en quel mois ? Moi je suis né en… », ou par taille. Des petits trucs, ou se situer par 441 rapport aux pays d’où ils viennent, plus au sud au nord, est. Mais parfois je me suis rendue 442 compte que y avait certains élèves qui avaient beaucoup de peine et qui s’étaient jamais ex- 443 primés mais qui à travers des exercices comme ça… ou y en a un, au milieu, avec les petits, 444 qui fait un saut, bah tout le monde répète. Par exemple, de faire venir l’élève qui ne parle pas 445 beaucoup, de venir au centre et qui fait l’encourager à faire un son. Des choses très brèves, 446 mais le fait qu’il fasse et que les gens répètent, ça l’insère dans le groupe, de même que le pe- 447 tit passage de lecture. Vous savez Lipman fait. Le fait de faire un tour, d’entendre la voix de 448 quelqu’un, même si ce n’est pas fort ou comme ça, ça signale quand même la présence de la 449 personne. Puis il ne faut pas forcer. Donc vous pouvez dire de temps en temps : « et toi, 450 qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que ça t'est déjà arrivé ? Est-ce que tu aimes bien ? ». Mais 451 bon, c’est vrai que des fois, c’est de la morue. Mais en même temps, j’ai une collègue qui m’a 452 dit : « Moi, j’ai un élève en classe, qui pendant, je ne sais pas, un an, elle a rien, jamais jamais 453 rien dit en classe. Et un jour, à une réunion de parents, la mère de la fille, elles se parlent et 454 elle lui dit « ah, mais c’est quel jour que vous faites la philo ? », et elle dit « ah, c’est le jeu- 455 di.» « Ah, mais c’est pour ça que tous les jeudis soir à la maison on a commencé à avoir des 456 discussions. » Donc elle ne disait rien en classe. Mais chez les adultes c’est pareil. J’ai une 457 collègue chez Prophilo elle m'a dit : « moi, ça m’a pris deux ans pour commencer à prendre la 256 458 parole dans un groupe. » Des fois voilà, on peut trouver, par des biais, ou de temps en temps, 459 faire des choses créatives, faire des dessins, réciter un poème, ou voilà. 460 Et la première fois que vous avez fait de la philo en classe ? 461 (Rires) Bon là, je sais plus la toute première, mais je pense que j’étais en nage. J’ai dû aller 462 me doucher après, j’ai dû tellement transpirer parce que, bah, ce qui est difficile c’est au début 463 que y a tellement de choses et on a tellement peur de se tromper, mal faire, on a tellement 464 peur des silences, que tout de suite on veut remplir le silence. Bon avec le temps voilà, on 465 prend l’habitude, on a des choses qu’on voit venir. 466 Oui et qu’est-ce qui change dans le temps justement ? 467 Bah, voilà, on se familiarise avec la démarche. On apprend soi-même à lever le pied un peu, à 468 peut-être moins intervenir. Moi, je crois que c’est ça, je crois qu’une chose que j’ai vraiment 469 appris c’est justement de me mettre… que ce n’est pas parce que je suis un peu en retrait que 470 je ne suis pas présente... J’avais très peur de, et puis de temps en temps, quand j'entendais 471 quelque chose qui était une évidence au lieu d’être complètement faux, et pas me précipiter 472 sur l’enfant et de l’interroger, ou même si c’est juste quelque chose que je désapprouve, ou 473 voilà que je... ou une contre-vérité, c’est de questionner, ce n’est pas essayer de, voilà... Par 474 exemple, il y avait souvent une institutrice qui faisait avec moi, et elle était prof de français, et 475 elle reprenait systématiquement les mauvaises formulations des enfants. Et du coup c’était 476 difficile, et, mais ce n’est pas grave, mais des fois tu peux oui : « Est-ce que c’est ça que tu 477 veux dire ? » C’est chercher le sens parfois, la formulation elle n’est pas… mais on ne peut 478 pas non plus… je dois dire… Et puis être porté par le plaisir. Et chaque fois c’est un peu un dé 479 lancé en l’air. Mais chaque année on peut avoir des classes juste super et des enfants preneurs 480 et puis des fois on se dit « Mais mon dieu…. » Et des fois, y a des jours c’est comme ça, et on 481 a l’impression que quoi qu’on essaie on se fâche, on se fâche ou discipline. Mais je crois que 482 la confiance elle vient et le plaisir de découvrir aussi. Tout à coup, par exemple l’année pas- 483 sée, j’étais en classe avec des enfants et j’étais avec un prof de biologie qui commençait à… 484 enfin il faisait de la biologie et y a eu toute une discussion sur, d’abord les poupées, les dou- 485 dous et les personnes vivantes. « C’est quoi une personne vivante ? », « c’est quoi une pou- 486 pée ? » et dire, finalement, c’est quoi la différence entre l’un et l’autre et c’était assez long 487 pour eux de chercher et un disait « oui, les poupées ne marchent pas. » Et une fille disait 488 « moi, j’ai une poupée à pile et elle marche.» Ca marche pas, alors on disait « Les poupées, 489 elles ne mangent pas.» « Ah bah si, moi j’ai une poupée qui mange, fait pipi, caca.» Et bref, 257 490 « elle parle pas.» « Non, y a des poupées qui parlent.» Donc, essayer de trouver, et finalement, 491 c’était vivant et « qu’est-ce qui est vivant ? » Déjà essayer de trouver, puis après essayer de 492 dire : bah vivant, c’est quelque chose qui se déplace. Alors tout le monde était d’accord, mais 493 quelqu’un a dit « oui, mais les arbres ? » « Ah oui, les arbres… » Voilà cette capacité… 494 Quelqu’un dit, enfin bon, et à la fin le prof disait : « c’est fou, parce que ça fait trois mois 495 qu’on étudie les animaux, leur habitat, leur reproduction, ce qu’ils mangent », et finalement 496 notion de vivant, il se rend compte qu’il l’a pas abordée, etc. c’est fondamental et c'est vrai 497 que c’était très, très…. 498 Oui, là je me rends compte, plus on avance, plus ils arrivent en dix minutes à changer de thè- 499 me et à chaque fois je n’arrive pas à dire : « on reste sur celui-là car l’autre est aussi telle- 500 ment intéressant que... » 501 Alors, c’est là où peut être la préparation peut vous aider. Puis, vous dites si je fais sur la paix, 502 par exemple, bah est-ce que la paix. « Comment est-ce qu’on pourrait faire la paix entre des 503 pays ? » « Et vous comment vous faites la paix si vous êtes entre vous ? » Essayez de trouver 504 des situations, puis y aura peut être des suggestions. Après vous pourrez peut-être les évaluer : 505 « est-ce que c’est des bonnes suggestions ? Où est-ce que ça marche ? Dans tous les contex- 506 tes ? » « Est-ce que vous pensez qu’entre les enfants et les adultes il pourrait y avoir la même 507 chose ? Comment les enfants font la paix et comment les adultes font la paix ? » Et si quel- 508 qu’un part dans un truc, dire « écoute, tu sais, on pourrait faire une boîte à suggestions. » 509 Vous lui laissez dire son idée mais, à un moment donné, vous coupez parce que ça part dans 510 tous les sens et y a pas de profondeur, parce qu'on fait des sauts de puces entre un truc et 511 l’autre, et l’idée c’est quand même intéressant d’explorer toutes ces dimensions. 512 Et quels conseils vous donneriez à quelqu’un qui commence la philosophie ? Qui n'a jamais 513 pratiqué et qui essaie de s’en sortir ? 514 Bon, vous avez déjà fait des formations ? 515 J’ai eu la première la semaine dernière. 516 Bon alors voilà. Je crois qu’il faut quand même, je pense que ça, c’est quand même indispen- 517 sable. C’est parce que ce n’est pas rien comme approche. Y a beaucoup de gens qui, parce 518 qu’ils font du conseil de classe, qui parce qu’ils font des discussions et qui disent « bah moi je 519 fais un peu ça dans ma classe »… et j’ai entendu beaucoup d'enseignants qui m’ont dit "mais 520 en fait, moi je fais du débat", en fait pour eux c’est de la philo. Ou des gens qui disent "je lis 258 521 un bouquin, je ne sais pas si vous connaissez le livre d’Hermès… bon c’est génial, c’est un 522 super, j’ai vraiment adoré ça et j’ai quelqu’un qui m’a dit "bah moi, je lis ça en classe ». Je 523 dis, mais franchement, c’est génial, mais ce n’est pas du dialogue philosophie, ça a juste rien à 524 voir. Donc y a beaucoup de gens qui pensent qu’ils font ça parce que ça fait discussion, mais 525 ce n’est pas une discussion, c’est l’idée, c’est de faire un dialogue et je veux dire, il y a des 526 critères pour faire un dialogue. 527 Donc ça serait quoi les critères pour que ça soit bien un dialogue philosophique ? 528 Le fait qu’il y ait un dialogue, c’est que les gens s’écoutent, se répondent et qu'ils soient ou- 529 verts à être changés par l’idée de l’autre. Ça demande une sacrée disposition pour faire ça et 530 ça demande d’exercer toutes ces choses dont on a parlées avant. Donc l’objectif c’est ça. Si- 531 non, faire une discussion y a pas besoin d’avoir une formation. Je veux dire, on peut se mettre 532 à table, dire "t’en penses quoi?" et voilà, mais ce n’est pas de la philo. Et le côté philosophi- 533 que, c’est explorer ces dimensions. Là c’est-à-dire, on explore ces dimensions, "qu’est-ce que 534 sont les choses ?" Y a le côté métaphysique, la définition de ce que sont les choses, les gens, 535 les êtres, les idées, "comment est-ce qu’on sait qu’on sait ?" Ca c’est l’épistémologie. Y en a 536 un qui va dire « la guerre c’est ça » , « bon ok, mais…. » Ou « la science c’est ça… » Ou 537 Dieu : « Dieu c’est ça » « Comment tu le sais ? » « Bah, on me l’a dit. » « Ok, est-ce que y a 538 des façons de connaître la réalité? » C’est par la croyance, la foi, par une expérience person- 539 nelle, par la science, donc tout ça c’est l’épistémologique. La logique pour dire que tous les 540 chats sont des animaux, c’est juste, mais que tous les animaux sont des chats, c’est faux. 541 Donc, y a des choses du point de vue du langage, et la conception des choses… Donc définir, 542 comme ça peut être de la tautologie et ce n’est pas forcément un argument valable. C’est très 543 important, parce que quand on a des arguments, faut trouver des critères, des raisons qui sont 544 suffisamment bonnes et rationnelles et réfléchies pour pouvoir en porter la vérité. Si on peut 545 dire n’importe quoi sur n’importe quoi, toutes les opinions se valent et y a plus de critères de 546 sélection. Et si on se dit, tiens, ça c’est une bonne idée, parce que c’est réfléchi, parce que ça 547 fait sens, parce que c’est fondé euh, voilà, parce que c’est quelque chose qui découle d’un rai- 548 sonnement, à ce moment-là ça a de la valeur. Donc ça, c’est la question de la logique. Ensuite, 549 il y a la question de l’esthétique "Est-ce que les choses sont belles ou pas belles? Qu’est-ce 550 qui vaut la peine?…" Vous voyez et puis le bien et le mal, les questions éthiques c’est ça 551 qu’on... « Est-ce que quand tu fais c’est bien ? » « Pourquoi on pourrait penser que c’est pas 552 bien ? Quelles seraient les raisons ? Est-ce qu’on pourrait trouver une autre façon de faire qui 553 serait mieux ? » C’est en réfléchissant sur ces dimensions là qu’on développe ces habiletés de 259 554 pensée. Disons, ce que dit Lipman est un peu sa grande nouveauté, le fait d’utiliser de la philo 555 et ce type de questionnement, ça permet d’entrer dans le questionnement des disciplines, par- 556 ce que les questions qu’on se pose en philosophie c’est des questions génériques. C’est-à-dire 557 de comprendre comment on construit une connaissance, c’est très important savoir comment 558 se construisent les connaissances historiques. Et tout ça c’est pas la même chose qu’une 559 connaissance scientifique de comprendre qu’il y a différents moyens, et puis que y a des espè- 560 ces de consensus qu’on atteint, qu’on peut attendre dans une communauté philosophique, ou 561 consensus global sur la croyance de quelque chose, et puis tout à coup, bah, de comprendre, 562 c’est fondamental. Mais évidemment on ne comprend pas toujours le lendemain, mais ça se 563 construit, et ce que lui il dit en philosophie, par les questions qu’on pose à la philosophie en 564 fait, on commence à mettre en place un certain type de capacités pour comprendre les ques- 565 tions qui vont se poser ensuite dans les disciplines, les problèmes qui se posent dans les disci- 566 plines. Mais y a beaucoup de gens qui ne font pas ça. Enfin, voilà, discussion, ils font une dis- 567 cussion, et ça a rien à voir au dialogue philo. Donc le conseil que je pourrais vous donner, 568 c’est vous former, parce que ça demande de la formation. Ce n’est pas quelque chose qui 569 s'improvise. C’est d’utiliser le matériel. Et l’autre chose, c’est d’éventuellement vous faire 570 accompagner en classe par quelqu’un de Prophilo. Donc, y a des gens qui sont certifiés, donc 571 accompagnateurs, et puis si vous avez besoin d’être soutenue dans votre pratique y a quel- 572 qu'un qui peut vous aider soit à préparer le cours, venir en classe, vous observer, vous faire un 573 retour après, ou co-animer avec vous. Voilà, ça, c’est les possibilités. 574 Étudiante : Et les ingrédients pour avoir l’enseignant parfait en philosophie ? 575 Il n’y a jamais d’enseignant parfait. Pour moi, c’est d’avoir une grande capacité d’écoute, 576 c’est d’être... de bien comprendre le processus et d’être curieux de ce que les enfants pensent, 577 sans cet à priori : c’est un enfant. Donc oui, c’est un enfant, mais il a quand même des pensées 578 et ses pensées sont quand même respectables, et qu’elles sont à nourrir et évidemment elles ne 579 sont pas abouties, mais parfois oui. Et c’est de pas avoir peur d’être remis en cause de pas... 580 ça peut arriver, ça peut arriver à tout le monde. Mais voilà, c’est se dire, j’entre dans un do- 581 maine et j’explore avec eux, et pas se sentir obligé d’avoir une réponse, et savoir dire « moi je 582 sais pas ». Parce que ça m’est arrivé d’avoir des enfants qui viennent à la fin me dire « mais 583 en fait, c’est quoi la réponse ? » « Je sais pas… ». Demande de renseignements complémentaires par mail: 584 Le degré scolaire de votre classe actuellement ? 260 585 Je n’ai pas de classe cette année. 586 Le nombre d'années d'enseignement total ? 587 Je ne suis pas enseignante de formation et de métier. 588 Je suis intervenue dans des écoles pour faire spécifiquement de la philo. 589 Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ? 590 6 ans. 591 École privée ou publique ? 592 Les deux, toujours en primaire. 593 Quelle formation avez-vous reçue ? 594 - formation au dialogue philosophique à distance avec l’Université Laval (Québec). 595 - environ une dizaine de stages organisés par Prophilo et /ou l’Institut de Formation Pédago- 596 gique de l’AGEP, entre 2007 et 2015, avec Alexandre Herriger (formateur indépendant en 597 Suisse Romande), Michel Sasseville, professeur à l’Université Laval Québec, et Mathieu Ga- 598 gnon (Professeur à l’Université Sherbrooke, Canada). 599 - une semaine de stage avec Michel Sasseville, en Belgique. 600 Quelle est votre place (physique) au moment du dialogue ? Que faites-vous concrètement ? 601 Dans la mesure du possible j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux, 602 ou alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les élè- 603 ves. 604 Quelles sont vos interventions ? De quel type ? Dans quel but ? 605 Elles peuvent être en lien avec le contenu et visent le développement de capacités cognitives 606 (demander définition, raison, critère, comparaison, clarification, reformulation, etc.…) ou 607 avec le processus et visent plutôt des capacités sociales et affectives (respect du cadre instau- 608 ré, participation équilibrée des élèves, retour sur la façon dont le dialogue s’est tenu, …). 609 Que doit faire l'enseignant pour permettre aux élèves d'atteindre les objectifs ? 610 Ne pas intervenir pour donner son point de vue, soutenir le questionnement des enfants en ap- 611 portant les outils nécessaires. 261 612 Comment observer si les objectifs sont atteints ? 613 Partie la plus difficile mais on peut donner des pistes : lorsque le dialogue s’instaure entre les 614 enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche 615 ; lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants prennent la parole et expriment 616 leurs propres idées ; lorsqu’ils sont capables de la justifier ; de les formuler au plus près de 617 leur pensée ; lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir 618 compte, voir changent d’avis. 262 Affiches utilisées par Aline en classe 263 264 265 Situation problématisante commentée et analysée en fin de recherche 266 267 268