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Master
Rôle et statut de l'enseignant dans les discussions à visée
philosophique en classe : singularités et spécificités
WITSCHARD, Sandrine
Abstract
Dans ce mémoire, je m’intéresse au rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue
philosophique ainsi qu’aux idéaux théoriques et pédagogiques que proposent quatre
pédagogues issus d’écoles de pensée reconnues dans ce champ comme ayant des finalités
différentes: Anne Lalanne, Michel Tozzi, Jacques Lévine et Mathiew Lipman. Au-delà de ces
approches théoriques, ma recherche qualitative se base à partir de 6 entretiens semi-directifs
avec des enseignants de l’école primaire du canton de Genève, ces derniers pratiquant très
régulièrement la discussion philosophique en classe. Ces entretiens se fondent à partir d'une
situation problématique complexe vécue moi-même, qui les incitent à se questioner sur leur
rôle dans cette pratique. Je cherche donc à savoir à travers leur pratique déclarée quel est
leur rôle et la manière dont ils l'endossent en classe...
Reference
WITSCHARD, Sandrine. Rôle et statut de l'enseignant dans les discussions à visée
philosophique en classe : singularités et spécificités. Maîtrise : Univ. Genève, 2016
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88654
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Rôle et statut de l’enseignant dans les discussions à visée philosophique en classe : singularités et spécificités
MÉMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA
MAITRISE EN ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
PAR
Sandrine Witschard
DIRECTRICE DU MÉMOIRE
Andreea Capitanescu Benetti
JURY
Manuel Perrenoud
Claire Henriett Descloux
Katja De Carlo
GENEVE, août 2016
UNIVERSITE DE GENEVE
INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FORMATION DES ENSEIGNANTS
RESUME
Dans ce mémoire, je m’intéresse au rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue
philosophique ainsi qu’aux idéaux théoriques et pédagogiques que proposent quatre
pédagogues issus d’écoles de pensée reconnues dans ce champ comme ayant des finalités
différentes: Anne Lalanne, Michel Tozzi, Jacques Lévine et Mathiew Lipman.
Au-delà de ces approches théoriques, ma recherche qualitative se base à partir de 6 entretiens
semi-directifs avec des enseignants de l’école primaire du canton de Genève, ces derniers
pratiquant très régulièrement la discussion philosophique en classe. Ces entretiens se fondent
à partir d'une situation problématique complexe vécue moi-même, qui les incitent à
se questioner sur leur rôle dans cette pratique. Je cherche donc à savoir à travers leur pratique
déclarée quel est leur rôle et la manière dont ils l'endossent en classe.
Dans une démarche de théorie fondée, je relève et j'analyse par induction croisée les variations et régularités dans leurs pratiques. Cette recherche essaie d’identifier, les spécificités des
diverses facette dans le rôle qu’endosse l’enseignant dans sa gestion des dialogues
philosophiques.
2
Remerciements
Avant de commencer, je souhaite adresser tous mes remerciements aux personnes qui m’ont
aidée à réaliser ce mémoire de recherche :
Ma directrice de mémoire, Andreea Capitanescu Benetti, pour tout son soutien, sa disponibilité, ses précieux conseils, son guidage et accompagnement tout au long de l’accomplissement
de ce travail de mémoire ;
Mes premiers lecteurs et membres du jury, Claire Henriett Descloux, Katja De Carlo et Manuel Perrenoud pour leur lecture passionnée ;
Mes collègues et amies Emmanuelle Coutier, Daniela Sauca et Valérie Daems pour leurs lectures et corrections sérieuses ;
Mes enseignants et collègues ayant accepté de partager leur pratique avec moi et sans qui ce
mémoire n’aurait pas pu être réalisé ;
Ma famille, pour son soutien, sa confiance et ses encouragements tout au long de mes études ;
Mes amis et mon entourage pour leur écoute et leurs nombreux encouragements
Enfin, je tiens à exprimer ma gratitude aux personnes qui, de près ou de loin, ont contribué à
l’élaboration de ce mémoire.
3
Table des matières
I. INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 6
1.1 CHOIX DU SUJET ............................................................................................................................................ 6
1.2 QUESTIONS DE DÉPART .................................................................................................................................. 7
1.3 STRUCTURE DU MÉMOIRE .............................................................................................................................. 9
II. CONTEXTE DE RECHERCHE ............................................................................................................. 10
2.1 ANCRAGE INSTITUTIONNEL : LA PHILOSOPHIE DANS LE PLAN D’ÉTUDES ROMAND ...................................... 10
2.2 REVUE DE LA LITTÉRATURE, LA PHILOSOPHIE À L’ÉCOLE SELON QUATRE COURANTS.................................. 15
2.2.1 Les ateliers philosophiques selon Anne Lalanne ................................................................................ 15
2.2.2 Les Ateliers de Réflexion sur la Condition Humaine – ARCH– de Jacques Lévine ............................ 19
2.2.3 Les discussions à visée philosophique et démocratique de Tozzi ........................................................ 23
2.2.4 La philosophie pour enfants de Matthew Lipman ............................................................................... 26
2.3 CADRE CONCEPTUEL.................................................................................................................................... 30
2.3.1 Caractéristiques, spécificités et singularités du rôle de l’enseignant des quatre courants ............... 30
2.3.2 Philosophie et enfants, quels liens ? .................................................................................................... 37
2.3.3 Conversation, discussion, débat ou dialogue philosophique? ............................................................. 38
III. PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE .................................................................... 42
3.1 MON EXPÉRIENCE D'ENSEIGNANTE AVEC MES ÉLÈVES ................................................................................. 42
3.1.1 Situation problématisante .................................................................................................................... 44
3.2 PROBLÉMATIQUE ......................................................................................................................................... 46
3.3 QUESTIONS DE RECHERCHE ......................................................................................................................... 48
IV. MÉTHODOLOGIE ................................................................................................................................ 49
4.1 DÉMARCHE DE RECHERCHE ......................................................................................................................... 49
4.2 INSTRUMENT DE RECUEIL DE DONNÉES : LA GRILLE D’ENTRETIEN ............................................................... 51
4.3 CHOIX DE L’ÉCHANTILLON D’ÉTUDE ........................................................................................................... 52
4.4 CONDUITE D’ENTRETIENS ............................................................................................................................ 53
4.5 PRÉSENTATION DE L'ÉCHANTILLON DE L'ÉTUDE .......................................................................................... 54
4.6 LA FABRICATION DE LA THÉORIE, DÉMARCHES D’ANALYSE ........................................................................ 55
V. PRÉSENTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS ...................................................................... 57
5.1 RESTITUTION DES DONNÉES ......................................................................................................................... 57
5.2 LES ENJEUX DE L’ANIMATION DES DISCUSSIONS À VISÉE PHILOSOPHIQUE EN CLASSE................................ 117
5.2.1 L’importance de la parole de l’élève à l’école : un changement ?.................................................... 117
5.2.2 Dialogue philosophique et contrat didactique, pédagogique et social un renversement ? ............... 122
5.2.3 Faut-il tout institutionnaliser ? ......................................................................................................... 125
5.2.4 Philosophie en classe et socialisation, un inévitable ? ...................................................................... 129
5.2.5 Une construction de pensée commune et/ou individuelle ? ............................................................... 132
5.2.6 Quels changements observer dans le rôle du maître ? ...................................................................... 134
5.3 RETOUR SUR LA SITUATION PROBLÉMATISANTE, LA SAGESSE DES SIX ! .................................................... 145
5.4 TO DO & NOT TO DO................................................................................................................................... 148
VI. CONCLUSION : UN ENSEIGNANT PERPÉTUELLEMENT EN QUÊTE DANS LA
CONSTRUCTION DE LA PENSÉE DE L’ÉLÈVE .................................................................................. 149
4
6.1 ENSEIGNANT ET PRATIQUE DE LA PHILOSOPHIE : UN CHANGEMENT DE RÔLE CERTAIN DU MÉTIER D’ÉLÈVE ET
DE L’ENSEIGNANT ............................................................................................................................................ 150
6.2 LIMITES DE LA RECHERCHE........................................................................................................................ 152
6.3 PERSPECTIVES ........................................................................................................................................... 152
6.4 CHEMINEMENT PERSONNEL ....................................................................................................................... 153
VII. BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 155
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE .................................................................................................................... 158
VIII. ANNEXES.......................................................................................................................................... 159
GRILLE D’ENTRETIEN ...................................................................................................................................... 160
SITUATION PROBLÉMATISANTE ....................................................................................................................... 161
ENTRETIEN D’ALINE ........................................................................................................................................ 165
ENTRETIEN DE BRIGITTE ................................................................................................................................. 179
ENTRETIEN DE CHLOÉ ..................................................................................................................................... 199
ENTRETIEN DE DAVID ..................................................................................................................................... 215
ENTRETIEN D’ELÉONORE ................................................................................................................................ 230
ENTRETIEN DE FABIENNE ................................................................................................................................ 243
AFFICHES UTILISÉES PAR ALINE EN CLASSE .................................................................................................... 263
SITUATION PROBLÉMATISANTE COMMENTÉE ET ANALYSÉE EN FIN DE RECHERCHE......................................... 266
5
I. Introduction
1.1 Choix du sujet
Les sources de motivation m’ayant poussée à réaliser ce mémoire sont multiples. J’en présenterai particulièrement une se trouvant du côté de mon parcours de formation universitaire et
plus précisément d’une expérience vécue lors d’un stage.
Je suis actuellement étudiante et enseignante à l’école primaire publique genevoise. Il y a
deux ans, ma formation m’a permis de faire un stage pour le module « Didactiques » dans une
école de campagne. Durant ce stage, mon formateur m’a fait participer aux moments de philosophie qu’il proposait à ses élèves dans la semaine. Mon formateur de terrain de l'époque,
qui est mon collègue aujourd’hui, m'a fait découvrir la philosophie pour enfant. De premier
abord, j'ai tout de suite trouvé cette pratique intéressante. Les élèves étaient en cercle, lisaient
une fable tirée des Philofables de Michel Piquemal, se questionnaient et l'enseignant les laissait parler. Il intervenait parfois pour réorienter la discussion. J'ai remarqué, lors de l'observation de ces moments de philosophie, que les élèves faisaient preuve d’une capacité de réflexion et d’une maturité étonnante sur des grandes questions de la vie. Intriguée et enthousiasmée par le caractère très « école de vie » que pouvaient représenter ces moments de discussion, je n’ai pas hésité, lors de ma première année d’enseignement, à me lancer dans la
pratique du dialogue philosophique avec mes élèves.
Aujourd'hui, j'ai l'opportunité, en parallèle à la rédaction de ce mémoire, d'être enseignante
dans cette même école de campagne et d’avoir en plus les mêmes élèves que ceux rencontrés
deux ans plus tôt. Depuis le début de l’année scolaire, j'ai tenté de les accompagner au mieux
dans leurs réflexions. J’ai rencontré dès le début des difficultés à gérer mon rôle d'enseignante-animatrice dans ces moments de dialogues philosophiques et je me questionne sur ce point
en particulier.
Mes motivations à effectuer une recherche sur le sujet se situent aussi du côté de mon choix
professionnel et personnel. Bien que l’école se veuille de plus en plus cadrée par des demandes institutionnelles et laisse finalement moins de liberté et de possibilités aux élèves de pouvoir exprimer, entre autres, leur créativité, paradoxalement, l’école change et les normes sociales aussi. Loin des bancs en bois alignés et du maître sur son estrade, loin du silence de
plomb des élèves contre la parole d’or du maître, l’école actuelle, ne cesse d’évoluer. La paro6
le de l’élève prend davantage de place et « […] sans doutes y a-t-il une réelle évolution du
statut de la parole de l’élève en classe » (Perrenoud, l’Educateur, 2013, p.1). La pratique du
dialogue philosophique en classe possède un statut particulier et laisse cette place à la parole
des enfants que je trouve primordiale malgré les difficultés que peut rencontrer l’enseignant.
Comme le dit Perrenoud dans le même article :
[…] hors de sa discipline, le professeur n’est pas toujours informé, il ne maîtrise pas tous les
savoirs en jeu, qui relèvent de plusieurs disciplines, et il sait que, quoi qu’il dise, il s’expose à
la critique, au reproche d’être simpliste ou partisan. (Perrenoud, l’Educateur, 2013, p.3).
Etant donné que la pratique du dialogue philosophique me touche beaucoup pour de nombreuses raisons, j’ai décidé de me lancer dans la pratique de ce dialogue avec mes élèves et je me
rends compte des particularités qu’elle représente.
Par le biais de ce mémoire de master, je tenterai de non seulement de trouver des réponses à
mon questionnement personnel et professionnel, mais aussi d’apporter à toute personne
s’intéressant au rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue philosophique,dans les
dispositifs pédagogiques prévus à cet effet des réponses permettant d’affiner et préciser ce
rôle et les compétences attendues. Bien que les objectifs soient clairs, les moyens le sont
beaucoup moins. Mon travail a donc pour objectif de questionner les singularités et
spécificités de la place et donc du rôle de l’enseignant lors du dialogue philosophique, dans un
deuxième temps, de mettre en lumière quelques pistes quant à l’exercice de cette nouvelle
pratique professionnelle.
1.2 Questions de départ
La philosophie pour enfant s’étend au niveau mondial et se pratique actuellement dans près de
soixante pays. L’UNESCO soutient l’enseignement de la philosophie pour enfant comme
recommandation première de développement. En permettant aux enfants et aux adolescents de
s’exprimer sur des sujets sensibles et complexes, elle développe l’estime de soi et peut
contribuer à une meilleure adaptation scolaire et sociale.
Comme le qualifie Yersu Kim, Directeur, Division de la Philosophie et de l’Ethique,
UNESCO, 1999 :
Au-delà de toute participation d’ordre médiatique à une nouvelle vogue, l’intérêt de la
7
philosophie pour les enfants rentre dans les préoccupations fondamentales de l’UNESCO. En
vue de la promotion d’une Culture de la Paix, de la lutte contre la violence, d’une éducation
visant l’éradication de la pauvreté et le développement durable, le fait que les enfants
acquièrent très jeunes l’esprit critique, l’autonomie à la réflexion et le jugement par euxmêmes, les assure contre la manipulation de tous ordres et les prépare à prendre en main leur
propre destin.1
La prise en compte de cette pratique par cette institution de renommée mondiale me conforte
dans mon choix de travailler celle-ci avec mes élèves. J'ai également envie d'approfondir les
questions que relève la pratique de la philosophie en classe avec les enfants.
En Suisse et depuis plusieurs années, cette pratique se multiplie dans les écoles. Il y a de plus
en plus de stimulation et d’incitation à mettre les élèves dans une posture réflexive. Le plan
d’études romand, la littérature enfantine et les éditions diverses (Les goûters philo, Philofables, les feuilletons d’Hermès, etc.), les articles scientifiques, les ouvrages, les journaux
professionnels comme l’Educateur, les cahiers pédagogiques ou encore les cours proposés
aux enfants (par des associations) sur la philosophie, mettent en avant la promotion de cette
pratique et posent le problème de comment faire penser l’élève.
Il pourrait être intéressant de mener une recherche sur le rôle qu’endossent les enseignants
lors de la pratique du dialogue philosophique et les différences qu’ils font avec leur rôle plus
traditionnel dans les domaines disciplinaires. En effet, les enseignants pratiquant la
philosophie en classe auraient un rôle et un statut différent que celui habituellement exercé.
Est-il si différent et jusqu’où ? J’ai souhaité interroger des enseignants pratiquant le dialogue
en classe et possédant quelques années d’expérience sur la particularité de ce rôle et sur les
démarches adoptées : Quelles sont les pratiques de classe réelles ? J’ai pensé qu’il serait
intéressant de se pencher sur leur manière d’aborder la question de leur rôle, tout en prenant
en compte leur expérience en tant qu’enseignants mais aussi leur expérience dans l’exercice
des dialogues philosophiques.
J’ai pensé qu’il serait également pertinent de s’attarder sur ce lien entre ce qu'on nomme
« discussion à visée philosophique » et la manière dont les enseignants la proposent en classe.
Comment se place l'enseignant lors de ces moments de discussion ? Comment pense-t-il ces
moments ? A quels degrés intervient l'enseignant lors des discussions ? Formalise-t-il ?
Institutionnalise-t-il quelque chose et comment ? Quelles compétences doit-il avoir pour
1
Consulté le 10 août dans le site de https://philoenfant.org/ce-que-lunesco-en-pense/
8
savoir animer une discussion à visée philosophique ? Quels sont les critères que les
enseignants se donnent pour pouvoir affirmer que leurs élèves font bien de la philosophie en
classe ?
Différentes écoles de pensées proposent leur manière de concevoir la pratique de la
philosophie avec les enfants. Je souhaite explorer leurs particularités et les mettre en
contraste. Cette diversité de courants amène à interroger la question de la pratique de la
philosophie comme un sujet actuel et présent dans les classes. Ces différentes écoles de
philosophie, avec leur méthode particulière, conçoivent le rôle de l'enseignant de diverses
manières. Finalement, qu'est-il réellement fait dans les classes?
1.3 Structure du mémoire
Ce travail de mémoire se structure en plusieurs parties.
Dans la première partie, une introduction présentera mon choix du sujet et ma question de
départ.
Dans la deuxième partie, vous trouverez le contexte de recherche, proposant un ancrage
institutionnel en rapport avec le plan d’études romand ; une revue de littérature présentant des
pédagogues travaillant sur la philosophie pour enfants et un cadre conceptuel élaboré autour
de ces pédagogues, pointant quelques aspects plus précis du rôle de l’enseignant dans cette
pratique.
La troisième partie est dédiée à la problématique et aux questions de recherche dans laquelle
vous trouverez quelques mots sur mon expérience d’enseignante avec mes élèves, ma
problématique et mes questions de recherche.
La méthodologie fait partie de la quatrième partie de ce travail et regroupe ma démarche de
recherche, les instruments de recueil de sonnées utilisés, le choix de l’échantillon d’étude, la
conduite des entretiens, la présentation de l’échantillon d’étude et quelques aspects lié à la
manière dont les données ont été analysées.
La cinquième partie présente les résultats en commençant par la restitution des données, puis
par la mise en avant de thèmes relevant les enjeux de l’animation des discussions à visée
philosophique. Un retour sur ma situation problématisant et des pistes se trouveront en fin de
chapitre.
La sixième partie est relative à la conclusion de ce mémoire. La bibliographie fait partie du
septième chapitre et les annexes du huitième.
9
II. Contexte de recherche
2.1 Ancrage institutionnel : la philosophie dans le plan d’études romand
Nous pouvons affirmer que la philosophie en tant que telle n'est pas explicitement présente
dans le plan d'études romand (PER). Bien qu'il ne s'agisse pas d'une discipline à part entière j'entends par discipline: un cours institutionnalisé, ayant des heures officiellement allouées au
programme - nous pouvons être amenés à nous questionner sur la place et l'existence de la
philosophie à l'école. Faisons-nous vraiment de la philosophie à certains moments précis, tout
le temps, dans le meilleur des cas, ou alors jamais ? Bien que la philosophie ne soit pas une
entrée telle quelle dans le plan d'études, elle peut toutefois s’inscrire dans des matières
disciplinaires et transversales du PER.
Le plan d’études propose trois entrées indissociables qui sont : la formation générale, les domaines disciplinaires et les capacités transversales ; s’inscrivant dans un cadre évolutif. Au
regard de ces trois entrées, nous pouvons remarquer que si la pratique du dialogue philosophique n’est pas une discipline en soi, elle peut être riche d’objectifs et s’inscrire dans de nombreux domaines. En effet, selon les courants et selon l’utilisation et les attentes que peuvent
avoir les enseignants, la philosophie peut s’inscrire dans des objectifs totalement différents ou
complémentaires.
Je vais présenter ci-dessous, de manière synthétique, les trois entrées du plan d’études romand
de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin
(CIIP) (2016)2, dans lesquelles peut s’inscrire la pratique du dialogue philosophique. Observons de plus près la place qu’elle peut occuper dans le projet global de formation de l’élève.
Première entrée : les capacités transversales pouvant être développées par la pratique
du dialogue philosophique
Les capacités transversales sont décomposées en cinq champs décrits ci-dessous. Elles représentent des aptitudes fondamentales qui traversent autant le domaine des apprentissages que
2
Consulté le 10 août dans le site de https://www.plandetudes.ch/per
10
l’ensemble de la scolarité. Les deux premières capacités sont d’ordre social et les trois dernières d’ordre individuel.

La Collaboration
« La capacité à collaborer est axée sur le développement de l'esprit coopératif et sur la construction d'habiletés nécessaires pour réaliser des travaux en équipe et mener des projets collectifs. »

La Communication
« La capacité à communiquer est axée sur la mobilisation des informations et des ressources permettant de s'exprimer à l'aide de divers types de langages, en tenant compte du contexte. »

Les Stratégies d'apprentissage
« La capacité à développer des stratégies renvoie à la capacité d'analyser, de gérer et d'améliorer
ses démarches d'apprentissage ainsi que des projets en se donnant des méthodes de travail efficaces. »

La Pensée créatrice
« La capacité à développer une pensée créatrice est axée sur le développement de l'inventivité et
de la fantaisie, de même que sur l'imagination et la flexibilité dans la manière d'aborder toute situation. »

La Démarche réflexive
« La capacité à développer une démarche réflexive permet de prendre du recul sur les faits et les
informations, tout autant que sur ses propres actions ; elle contribue au développement du sens critique. »
A la lecture de cette présentation des capacités transversales proposées par le plan d’études
romand, nous pouvons nous rendre compte de l’importance accordée au développement de
celles-ci. En effet, comme il l’est indiqué, « […] l’enseignant est appelé à favoriser le plus
souvent possible […] » ces capacités transversales. Or, si aucune piste d’activité concrète
n’est proposée, l’enseignant doit pouvoir permettre aux élèves de les exercer à travers les différentes activités proposées en classe. La philosophie prend ici toute sa place, car elle entraîne
la plupart des capacités transversales.
11
Deuxième entrée : les domaines disciplinaires
Dans cette entrée, cinq domaines sont présentés : les langues, mathématiques et sciences de la
nature, sciences humaines et sociales, arts et finalement corps et mouvement. Bien que la philosophie se rallie à différents objectifs de chaque domaine, je mettrai ici en avant les caractéristiques et orientations principales de trois des domaines. Je donnerai également pour chacun
un exemple d’objectif plus concret dans lequel elle peut s’inscrire.
Visées prioritaires du domaine des langues :
« Maîtriser la lecture et l'écriture et développer la capacité de comprendre et de s'exprimer à
l'oral et à l'écrit en français. Découvrir les mécanismes de la langue et de la communication.
Développer des compétences de communication opérationnelles dans plusieurs langues.
Construire des références culturelles et utiliser les médias, l'image et les technologies de
l'information et de la communication.».
La philosophie est un outil au service de la langue, permettant le travail de l'oralité. Mise en
avant seulement durant les années 80, l'oralité s'est faite une place dans les programmes
d'enseignement en tant qu'objet d'apprentissage. Nous retrouvons une grande importance
12
accordée aux dimensions discursives: structure de l'interaction et effet argumentatif
d'expression.
Exemple :
Cycle I, français, L1 13-14 — Comprendre et
Cycle II, français, L1 24 — Produire des textes
produire des textes oraux d'usage familier et sco-
oraux variés propres à des situations de la vie
laire…
courante…
Le texte qui argumente : 1ère -2e :
Le texte qui argumente : 7e -8e :




respect des règles convenues (prise de parole, divergence des avis,…),
écoute de l'avis des autres,
formulation de la pensée : émettre une opinion et utiliser l'organisateur parce que



respect des rituels et des règles de fonctionnement du débat (tour de parole, écoute,…),
recherche d'informations sur le thème de la
discussion, distinction entre une opinion et un
constat,
participation à un débat simple en fonction du
thème choisi, en utilisant les arguments élaborés et en respectant le déroulement défini
(règles de fonctionnement)
…
Visée prioritaires du domaine des mathématiques et sciences de la nature :
« Se représenter, problématiser et modéliser des situations et résoudre des problèmes en
construisant et en mobilisant des notions, des concepts, des démarches et des raisonnements
propres aux Mathématiques et aux Sciences de la nature dans les champs des phénomènes
naturels et techniques, du vivant et de l'environnement, ainsi que des nombres et de l'espace ».
Exemple :
Cycle I, Sciences de la nature, MSN 16 — Ex-
Cycle II, sciences de la nature, MSN 26 — Explo-
plorer des phénomènes naturels et des technolo-
rer des phénomènes naturels et des technologies à
gies…
l'aide de démarches caractéristiques des sciences
expérimentales…

Initiation à la démarche scientifique :
ère

e
7e-8e
1 -2 :

Formulation de questions et d'hypothèses au
sujet d'une problématique (oralement ou par
écrit: dessins ou schémas intuitifs,
légendes,…)
Développement de la démarche scientifique:


13
Formulation de quelques questions et
hypothèses au sujet d'une problématique
Évaluation de leur pertinence (prennent-elles
en compte les éléments de la situation
problématique?)
Visée prioritaires du domaine des sciences humaines et sociales :
« Découvrir des cultures et des modes de pensée différents à travers l'espace et le temps;
identifier et analyser le système de relation qui unit chaque individu et chaque groupe social au
monde et aux autres. Développer des compétences civiques et culturelles qui conduisent à
exercer une citoyenneté active et responsable par la compréhension de la façon dont les
sociétés se sont organisées et ont organisé leur espace, leur milieu, à différents moments. »
Exemple :
Cycle I, Histoire, SHS 12 — Se situer dans son
Cycle II, Histoire, SHS 22 — Identifier la maniè-
contexte temporel et social…
re dont les Hommes ont organisé leur vie collective à travers le temps, ici et ailleurs
(Se) questionner et analyser (mythes et réalité),
(Se) questionner et analyser : 1ère-4e
5e -8e



Écoute de récits historiques, de mythes, de
légendes
Discussion à propos des éléments réels et des
éléments imaginaires


Distinction entre fiction (récit, mythe,
légende,…) et réalité
Questionnement sur l'authenticité des événements et des personnages, la véracité des reconstitutions
Mise en évidence de représentations erronées
et « idées reçues » concernant les périodes
historiques
Troisième entrée : la formation générale :
La formation générale est la troisième entrée du plan d’études et englobe des objectifs qui sont plus
larges que ceux présentés dans les domaines disciplinaires. En effet, le plan d’études affirme que la
transmission des valeurs éducatives, prioritairement prise en charge par la famille, fait aussi partie aussi des missions de l’Ecole qui doit seconder les parents dans l’éducation des enfants. Ainsi, dans formation générale nous retrouvons des objectifs ayant pour but de former des futurs citoyens à « la
complexité du monde » tout en leur apprenant à construire des arguments et à débattre.
Visée prioritaires de la formation générale :
« Développer la connaissance de soi sur les plans physique, intellectuel, affectif et social pour
agir et opérer des choix personnels. Prendre conscience des diverses communautés et développer une attitude d'ouverture aux autres et sa responsabilité citoyenne. Prendre conscience de la
complexité et des interdépendances et développer une attitude responsable et active en vue
d'un développement durable. »
14
Cycle I et Cycle II, Vivre ensemble et exercice de la démocratie, FG 25 — Reconnaître l'altérité et
développer le respect mutuel dans la communauté scolaire…



Identification et échanges autour des différentes appartenances
Discussion et débat (notamment par une mise en évidence des enjeux de la situation traitée) dans
les limites imposées par le cadre scolaire
Échanges sur les différences et les similitudes entre les élèves pour favoriser la construction d'un
groupe classe permettant à chacun de trouver sa place
2.2 Revue de la littérature, la philosophie à l’école selon quatre courants
Dans cette revue de littérature, je vais procéder à l’observation de théories sur deux pans. En
m’appuyant sur les recherches et pratiques de quatre pédagogues, j’exposerai les buts de la
discussion à visée philosophique selon leur regard.
Dans un deuxième temps, en utilisant toujours les propos de ces quatre pédagogues, je me
pencherai plus précisément sur la pratique spécifique des enseignants dans ce dispositif.
Pourquoi et comment fait-on de la philosophie à l'école ?
Je vais présenter ci-dessous quelques éléments mis en avant par quatre courants (Lévine, Lalanne, Tozzi et Lipman). Je montrerai les objectifs poursuivis par ces auteurs, leurs ancrages
théoriques, les dispositifs mis en œuvre tout en relevant les critiques adressées à chacun d’eux
par d’autres professionnels.
2.2.1 Les ateliers philosophiques selon Anne Lalanne
Ancrage
Anne Lalanne, après avoir été professeure et formatrice, a suivi pendant plusieurs années,
dans le cadre d’une recherche, un groupe d’enfants participant à ses ateliers de philosophie en
classe. Aujourd’hui formatrice à l’IUFM de Montpellier, elle a publié quelques ouvrages sur
sa conception de la philosophie avec les enfants.
Pour elle, la philosophie ne résonne pas avec éducation à la citoyenneté ou encore débat. Elle
s’inscrit dans un courant philosophique et met l’accent sur l’importance de la conceptualisa15
tion des idées. Elle considère que les ateliers sont des moments permettant aux élèves de pouvoir faire usage de leur pensée et de mettre des mots sur leurs raisonnements.
Si la mode actuelle est centrée sur les rencontres en café-philo que nous pouvons retrouver
dans plusieurs grandes villes, Lalanne insiste sur le côté pédagogique et non simplement diversifiant que possèdent les ateliers philosophiques qu’elle entreprend en classe. Le travail sur
la langue et la pensée permet d’ordonner les idées tirées des expériences des élèves et ceci
afin de donner du sens aux conceptualisations. Ainsi, selon elle, les élèves posséderaient un
meilleur bagage pour faire des distinctions, ce qui leur permettrait de mieux fonder leur argumentation de manière générale.
Mais qu’entend-elle par « atelier de philosophie » ? Le terme « atelier » est, pour elle, une
pratique qui permet aux enfants de mettre des mots sur leur pensée, sur ce qu’ils voient ou
entendent autour d’eux et sur ce qui les questionne. La pratique de la philosophie à l’école
permettrait de faire part de ses expériences de la vie privée. L’enfant est ici dans un lieu protégé dans lequel il peut s’ouvrir en faisant part des ses expériences pour ainsi prendre conscience, d’une nouvelle manière, des expériences faites. En effet, l’école est une sorte de sas et
comme le disait Hegel, elle représente « une sphère médiane qui fait passer l’enfant de la
sphère privée à la sphère publique pour qu’il se réalise comme homme libre » (cité par Lalane,
2009, p.25). Ainsi nous retrouvons ici la complémentarité entre instruire et éduquer, deux
éléments qui vont de pair pour accéder à la raison, selon Anne Lalanne.
Qu’entend-elle alors par philosophie ? Dans son livre La philosophie à l’école, une philosophie de l’école (2009), cette auteure liste ce que la philosophie ne peut pas être et ce vers quoi
elle s’efforce de tendre. Si nous nous concentrons du côté de « ce vers quoi tend la philosophie » (Lalanne, 2009, p.68), nous observons qu’elle la considère comme une attitude d’esprit
dans laquelle, à travers une situation qui pose problème, nous nous efforçons de vouloir comprendre pour y donner du sens. La philosophie permet également une recherche de
l’universalité en formant des concepts, permettant ainsi de donner du sens et mettre de l’ordre
dans les différentes représentations que possède l’homme. Elle explique également que la philosophie est se penser comme homme par rapport à la nature dans le sens où la morale
n’existe que chez les êtres humains et non dans la nature. Elle explique que les hommes ne
pourraient vivre sans conscience, sans raison et sans liberté et ainsi, elle se place en opposition à la thèse naturaliste et questionne la nature humaine en disant que si elle est ainsi, pourquoi nous questionnons-nous alors sur notre existence ? Elle explique aussi qu’être humain est
16
le fait d’exister en collectivité et non de manière individuelle. Ainsi nait des us et coutumes
propres à chaque groupe d’humains, lié aux diversités culturelles. Finalement lorsque la question est posée à Anne Lalanne sur sa définition de la philosophie, elle nous apprend qu’elle
aime bien la définir ainsi : « La philosophie est une pratique discursive, qui a la vie pour objet, la raison pour moyen, et le bonheur pour but » (2009, p.78). Ainsi, la philosophie permet
de questionner et ajuster ses opinions pour pouvoir en comprendre les enjeux et les confronter
avec les idées d’autres personnes pour ainsi tenter de dépasser le sens commun et accéder à
l’universalité des idées.
Objectifs
Les objectifs pensés derrière les ateliers philosophiques d’Anne Lalanne sont de développer
une pensée réflexive et une attitude critique chez le futur citoyen. Pour elle, l’école est un lien
entre la famille et la société. L’école possède ce double objectif d’éduquer et d’instruire par
la raison. En effet, les ateliers de philosophie à l’école cherchent à permettre aux élèves de
réfléchir sur leurs propres expériences et représentations en leur permettant d’avoir un moment destiné pour y repenser, et profiter de celui-ci pour chercher les raisons et la valeur de ce
qu’ils pensent. Les ateliers permettent également de travailler la langue et de travailler
l’implicite par le sens commun. Elle permet également d’utiliser sa raison. Ainsi l’élève exerce la manière dont il va donner du sens aux opinions, questionner le sens et ses limites.
Comme Anne Lalanne le précise : « la raison est une faculté que nous avons en commun. En
faire usage, c’est reconnaître ses limites et non sa toute puissance, c’est accepter l’aspect inachevé de notre pensée, toujours à questionner » (2009, p.103). Finalement un dernier objectif
est celui de la recherche commune du sens. Lalanne ne considère pas la philosophie comme
un moment permettant de traiter l’affectif des élèves, comme lors d’une dispute de classe ou
alors de passer par la citoyenneté faisant plutôt paraître des idéologies : pour elle, la philosophie est bien un acte libre, celui de penser.
Dispositif
Le dispositif que propose Anne Lalanne ne possède rien de particulier. Elle prévoit un temps
de discussion de 20 à 45 minutes selon l’âge des élèves. Son dispositif se pratique uniquement
à l’oral, les élèves sont assis en cercle et il n’y a pas de règles particulières, si ce n’est de respecter celles présentes dans la classe en temps normal. Les thèmes de discussions sont diffé17
rents à chaque fois mais, pour des élèves plus grands, un thème peut être travaillé sur trois
séances : élaboration d’idées, confrontation des idées, structuration des idées. Au niveau des
supports, pour les enfants plus petits elle préconise de partir de la littérature enfantine et pour
les plus grands de poser des questions qui possèdent des relations avec les disciplines comme
l’histoire, les sciences ou autre. Bien que le dispositif paraisse simple, Lalanne propose quatre
étapes représentant la démarche philosophique. Il peut être intéressant de se plonger dedans
afin de pouvoir mieux comprendre le sens des discussions qu’elle propose en classe.
La première étape est celle de l’examen des opinions. C’est une sorte de brainstorming permettant de lister ce que nous savons déjà, ou ce que l’élève pense savoir jusqu’à rencontrer
une limite faisant obstacle au raisonnement. Ici, l’obstacle rend compte que, souvent, on peut
manquer de raisons valables, de rigueur ou encore n’avoir que des justifications approximatives qui ne permettent pas d’aller au-delà de l’évidence apparente.
La deuxième étape est celle de la mise à jour d’un problème. Après le problème rencontré, il
ne suffit pas de simplement se poser des questions, mais la réflexion demande d’aller plus loin
et de chercher ce que présuppose ce problème, ce qu’il veut dire. L’élève se met à distance de
la question de départ car elle constitue une préoccupation. Il faut alors partir à la recherche du
sens caché de celui-ci. Ainsi, problématiser permet de penser de manière critique, de faire
usage de sa raison. Souvent, le problème philosophique se dirige vers des questions de valeurs
et croyances personnelles.
La troisième étape est celle de la recherche d’une argumentation cohérente. Pour pouvoir procéder à celle-ci, Lalanne propose de commencer par rechercher les termes de la question. En
effet, chercher les définitions ne s’avère pas être si évident et souvent, elles seraient porteuses
d’ambigüités et d’implicites. Ainsi, chercher des définitions passe par un processus de logique, permettant de pouvoir admettre comme vraisemblable tout en laissant pour autant la porte ouverte à d’autres définitions si elles respectent la logique.
La dernière étape est celle de la construction du concept, soit celle de proposer une définition
synthétique née des différentes propositions reliées entre elles. Ainsi, on obtiendrait une cohérence.
Pour conclure, nous pourrions affirmer qu’Anne Lalanne est la plus philosophique des quatre
pédagogues décrits dans cette partie, car elle a cette volonté de passer par un dialogue maïeutique. Elle est très soucieuse de la question de la conceptualisation et tente pour ce faire
18
d’anticiper ce que les élèves pourraient dire durant les séances. Elle procède à un compromis
subtil entre ce qu’elle a prévu et les apports des élèves.
2.2.2 Les Ateliers de Réflexion sur la Condition Humaine – ARCH– de Jacques Lévine
Ancrage
Jacques Lévine, docteur en psychologie, psychanalyste et auteur français de nombreux écrits,
a mis sur pied les ateliers de réflexion sur la condition humaine, dits ARCH. S'inscrivant dans
un courant psychologique et étant cependant à la frontière entre la psychologie et la philosophie, Lévine part du principe que l'enfant est un sujet mais qu'il est objet à beaucoup de choses. L'enfant s'inscrit dans un monde dans lequel il est capable de penser lui-même. Lévine
nomme éthique éducative, le fait de considérer l'enfant comme personne à part entière. Il explique que l'enfant n'est pas proportionnellement plus petit qu'un adulte mais que c'est par la
reconnaissance de lui en tant qu'humain que l'enfant aura la volonté de penser et d’aborder des
grandes questions par la raison. Pour lui, ce n'est qu'une question d'impatience de l'inégalité.
Il met en avant trois convictions au sujet des enfants : il y a plus de choses dans un enfant
pensant que non pensant, il y a en lui-même un être capable de penser la complexité de la vie
et il y a en lui un être non passif, capable de penser et dépasser l'adversité (Lévine, 2008).
Pour lui, l'enfant doit se construire, trouver une identité en dehors de l'intervention d'un maître
afin que celui-ci puisse découvrir qu'il est capable de penser sur le moment ou en différé sur
des grandes questions. De cette manière, il affirme l'éducabilité philosophique des enfants.
Ainsi, l'enfant fait plusieurs expériences à travers la participation aux ateliers de réflexion. Il
fait l'expérience du soi pensant, il découvre qu'il est le lieu de sa propre pensée. Il expérimente
également l'appartenance sociale, comme nous l'avons dit, l'enfant ne possède pas de statut
inégalitaire avec l'adulte mais est un habitant à part entière de la terre qui a le droit d'exprimer
son point de vue sur la manière dont fonctionne le monde dans lequel il vit et tout ceci dans le
cadre scolaire.
Car l’école n’est pas ce qu’on croit. Nous avons à nous faire à l’idée qu’à l’école on pense
moins à l’école qu’à sa vie, à la qualité de son avenir, de son destin, destin de soi-même, des
19
siens, mais aussi de l’humanité. Il faut donc cesser le dialogue de sourds qui consiste à faire
comme si l’élève n’était qu’un élève, l’enfant qu’un enfant (Moll, 2009, para. 1)3.
Lalanne explique ainsi que : « C'est en proposant aux enfants de s'insérer dans ce qui fait
l'unité et la totalité de l'espèce humaine qu'on peut espérer lutter contre la nocivité des particularismes » (Sénore, 2005, Les fondements théoriques qui justifient la pratique de " l'atelier
philo ", para. 8)4. L'élève prend part également à l'expérience d'appartenance au groupe classe,
il s'insère dans une communauté pensante. Il expérimente aussi la vie mentale, en exerçant
son langage interne que Lévine prône en acceptant les réflexions silencieuses lors des ateliers.
Finalement, l'élève expérimente l'accès à la conceptualisation, en recherchant des concepts
explicatifs, et en prenant part à la complexité que fournit la diversité des idées.
Notons que Lévine instaure les ateliers de réflexion comme lieu de développement de la pensée créatrice et non comme un lieu de discussion critique, d'argumentation ou de débat comme peuvent le préconiser Lipman ou Tozzi. Ainsi, l'élève peut faire la découverte du fonctionnement des relations humaines.
Objectifs
Pour Lévine, l’objectif de l’école est d’inventer et d’instaurer les conditions optimales de la
croissance de chacun dans un cadre qui, autant que possible, se doit de rester collectif.
Pour lui, l’école doit permettre aux élèves volontaires de pouvoir exprimer son langage intérieur et de découvrir les autres membres de la communauté humaine. Cet auteur attache une
grande importance à la complémentarité entre le débat explicite et interne qu’il nomme « débat sans débat » (Lévine, 2008). Dans le débat interne, il inclut un travail de retour sur soimême et le considère comme ayant une valeur au moins égale au débat externe. Cette différence avec la discussion à visée philosophique qui n’est finalement selon lui qu’une confrontation ouverte et explicite, n’est pas une rivalité d’opinions mais quelque chose de plus subtil
même si moins efficace.
Les objectifs de ses ateliers sont pour lui de permettre à l’élève de construire et de faire évoluer sa pensée qui, comme nous l’avons vu, se construit en parallèle à celle des autres. Mais
également d’expérimenter sa capacité à discuter les questions fondamentales qui se posent
aux hommes dont il fait partie, en le mettant au milieu des hommes comme coresponsable des
3
4
Consulté le 10 août 2016 dans http://www.cahiers-pedagogiques.com/Hommage-a-Jacques-Levine
Consulté le 10 août 2016 dans http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32649
20
problèmes de civilisation. Comme dernier objectif, l’élève doit apprendre à extérioriser, mais
aussi à intérioriser sa pensée.
Dispositif
Lévine propose un dispositif en deux phases. Il propose tout d’abord de partir d’une question
forte proposée par le maître, mais qui doit être importante pour les Hommes. Dans un premier
temps, les élèves peuvent s’exprimer librement sans que le maître n’intervienne. Dans un
deuxième temps, les élèves et le maître visionnent la vidéo qui a été prise au cours du débat et
qui sera ensuite commentée. Lévine suggère de travailler en petit groupe, de 8 à 15 élèves
pour les classes élémentaires mais en classe entière ou demi-classe pour les plus grands. Il
prône la disposition spatiale circulaire permettant de mieux voir et entendre les autres, dans le
but d’une construction commune de la pensée. Contrairement à d’autres, Lévine propose de
laisser les élèves discuter uniquement dix minutes. Il affirme que c’est le temps suffisant pour
arriver à la mise en mouvement des réflexions. Un temps plus long serait selon lui négatif car
les élèves se disperseraient autant dans leur concentration que dans leur pensée, et cela pourrait dissoudre l’unité du groupe. Il affirme cependant qu’au bout des dix minutes, les élèves
continuent d’une certaine manière, seuls, à raisonner en dehors des séances. A l’intérieur des
dix minutes, il ne distribue pas de rôles aux élèves mais met en place un système de bâton de
la parole permettant aux élèves de prendre la parole librement tout en restant dans un cadre
organisé. Ce bâton a également une fonction symbolique, il serait le témoin, la loi, l’ordre qui
permet d’inscrire chacun des participants comme sujet indépendant, il est signe de confiance.
Dans la première phase, Lévine présente les ateliers de réflexion aux élèves en cinq points.
Premièrement, il considère qu’il faut commencer par un avant-propos sur le sens du mot philosophie. Dans son dispositif, il annonce aux élèves qu’ils vont faire de la philosophie, donc
réfléchir sur des questions que se posent les hommes depuis très longtemps. Il explique aux
élèves qu’il faut prendre son temps dans sa tête pour penser. Il ajoute également que tout le
monde n’est pas obligé d’intervenir et qu’il n’existe pas de réponse vraie ou fausse.
Deuxièmement, il annonce le thème en expliquant aux élèves qu’ils vont réfléchir sur celui-ci.
Les thèmes portent sur le fonctionnement des relations et de l’existence. Il indique également,
qu’étant donné que le thème est imposé par l’enseignant, un temps doit être laissé aux élèves
21
pour qu’ils acceptent ou rejettent dans leur corps le thème. Il nomme ceci : le moment
d’émotion et d’intégration du thème.
Troisièmement, il annonce aux élèves que la séance durera dix minutes, puis finalement que
l’enseignant n’interviendra pas et précise les contrats de fonctionnement.
Que font alors les élèves pendant les dix minutes de discussion ? C’est finalement une sorte
d’inventaire des réponses qui est recueilli. Les réponses sont récoltées anonymement. Les différentes perceptions sont ensuite mises en ordre et catégorisées. Les réponses des élèves peuvent être de type factuelles ou plutôt sous forme de constats. Le travail de mise en ordre se fait
par la recherche de similitudes et différences. Lévine insiste sur l’importance du langage interne de l’élève, langage par lequel la réflexion silencieuse permet aux élèves d’entrer en euxmêmes et chercher des exemples. De plus, à cette médiation interne Lévine affirme que
s’ajoute une médiation collective. La discussion est alors un mélange de culture personnelle et
collective. Le groupe permet d’étayer les apports personnels de chacun ce qui permet ensuite
de nourrir chaque élève du groupe de la pensée des autres. Ainsi, la réflexion est le doux fruit
du mélange de la médiation interne et collective.
Dans la deuxième phase de son dispositif, Lévine propose aux élèves de visionner la vidéo ou
d’écouter l’enregistrement audio de la discussion. Cette manière de faire permettrait de relancer les échanges ou encore d’ouvrir à ce moment-là, le débat à proprement parlé. Lévine souhaite, après l’expérience de ces dix minutes de travail sur le support enregistré, que l’élève
fasse l’expérience du cogito. En effet selon lui, l’élève est le lieu-même du cogito et c’est à
travers cette expérience que l’élève se sent porteur d’une pensée qui le constitue et dont il est
lui-même la source. Ainsi, Lévine considère l’élève comme ayant un statut égalitaire avec
l’adulte, puisqu’il se voit comme un interlocuteur valable. L’élève possède le droit de penser
au même titre qu’un adulte.
Finalement, le but de ces dix minutes permettrait de faire passer un message d’encouragement
à l’élève à entrer avec ses propres idées dans la vie. De plus, elles permettraient de lui faire
vivre un moi social et ce serait également une manière d’expérimenter la question de la
conceptualisation.
22
Critiques
Bien que Lévine ait pour souci primordial le développement de l’enfant et de l’humanité, son
dispositif est critiqué sur quelques points. Plusieurs auteurs lui reprochent de simplement
donner la parole aux élèves. Finkelkraut (cité par Tozzi, 2005, B) critiques et limites)5 considère que le retrait du maître voulu par Lévine constitue une défaite de la pensée. Arendt (cité
par Tozzi, 2005, B) critiques et limites)6, pour sa part, parle de l’obligation du patrimoine réflexif de l’humanité que semble transmettre Lévine aux nouveaux arrivants.
2.2.3 Les discussions à visée philosophique et démocratique de Tozzi
Ancrage
Tozzi, professeur des Universités au département des Sciences de l’éducation de l’Université
de Paul Valéry Montpellier 3 et directeur du Centre de recherches sur la formation,
l’éducation et l’enseignement, se situe en quelque sorte entre les idées exposées par Lévine et
celles de Lalanne. Tozzi ancre ses convictions de la pratique de la philosophie qu’il propose
dans trois domaines.
Possédant un côté plus didactique, il fait un emprunt au domaine des sciences de l’éducation,
en utilisant un élément de la théorie de la motivation par exemple. Par celle-ci il montre que la
philosophie serait une motivation pour les élèves car elle leur permettrait de donner sens aux
savoirs et permettrait de traiter d’une certaine culture de la question. Les élèves sont actifs,
dans une posture de recherche, ce qui les mettrait dans un rapport positif au savoir. De plus, il
cite la zone proximale de développement mise en avant par Vygotski. « La zone prochaine de
développement d'un élève est pour Vygotski « l'élément le plus déterminant pour l'apprentissage et le développement». Car «ce que l'enfant sait faire aujourd'hui en collaboration, il saura
le faire tout seul demain» (Lecompte, 1998, La zone prochaine de développement)7. Tozzi
met également en avant les capacités d’étayage, sur lesquelles travaillera Brunner, montrant
une accélération dans les apprentissages des interactions verbales et sociales. Ces deux éléments, la notion d’étayage et de zone proximale de développement sont proches.
5
Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm
Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm
7
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.scienceshumaines.com/lev-vygotski-1896-1934-pensee-etlangage_fr_9754.html
6
23
Pour sa part, Brunner l’utilise pour désigner l’ensemble des interactions de soutien et de guidage mises en œuvre par un adulte ou un autre tuteur pour aider l’enfant à résoudre seul un
problème qu’il ne savait pas résoudre au préalable. (Crahay, 1999, p.328).
Ainsi, pour faire écho à Piaget, le fait que les élèves confrontent leurs opinions, les
amènent à faire un déplacement sur ce qu’ils pensent, permettant ainsi un progrès intellectuel,
ce que les sciences de l’éducation nomment le conflit sociocognitif.
Tozzi rejoint également Lipman et ses théories et recherches scientifiques, en s’appuyant sur
les bienfondés de ces pratiques, en mettant en avant les possibilités d’articuler les processus
de pensée et d’élaboration également à l’extérieur des moments de discussion à visée philosophique, car elles développent notamment les capacités de logique.
Finalement, les philosophes de l’heure actuelle notamment Habermas (Tozzi, 2005, Mon intérêt pour le « courant Lévine » des ateliers philo)8 qu’il citera souvent, peuvent éclairer les
nouvelles pratiques selon lui.
Tozzi et les autres personnes se rattachant à ce qu’il considère de la philosophie pour enfants
parlent de quatre piliers sur lesquels repose cette pratique.
Premièrement, le choix du thème qui peut être choisi par les élèves ou par l’enseignant et qui
peut couvrir divers domaines comme l’éthique, la métaphysique ou autre. Pour qu’une question soit qualifiée de philosophique, elle ne doit pas pouvoir être résolue facilement.
Le deuxième pilier est celui de la nature du traitement des informations dans lequel
s’inscrivent le doute et la recherche de l’universalité des idées. Si le groupe trouve une réponse, elle peut ne pas être la même que dans un autre groupe réfléchissant à la même question.
Le troisième pilier est celui de la référence explicite au philosophe qui concerne l’exercice de
la problématisation, de la conceptualisation et de l’argumentation.
Le dernier pilier est celui des textes philosophiques, car lire un écrit philosophique peut être,
selon lui, aussi valable que tout ce que l’on entend dans les échanges oraux.
Ainsi la philosophie n’est pas une recherche de réponses qui conviennent à chacun d’entre
nous, mais une réponse qui pourrait convenir à tout le monde et posséderait donc une certaine
universalité.
8
Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm
24
Objectifs
Sa méthode ne se veut pas uniquement démocratique ou philosophique, mais elle est double.
Elle a une visée démocratique qui s’inspire de la pédagogie institutionnelle, où les élèves posséderont des rôles précis leur permettant de prendre en charge et organiser la débat d’une manière plus haute qu’en n’étant que simple participant. Elle possède ici une dimension collective et sociale qui vise l’acquisition d’une attitude citoyenne. Ainsi, le groupe est ici considéré
comme une petite cité dans laquelle interagissent des participants. Ces discussions permettraient aux élèves de les faire entrer dans la citoyenneté en leur demandant d’agir par la parole, la pensée, voire l’écriture, de mieux tolérer leurs différences, de progresser dans la prise en
compte de leur existence et ainsi d’entrer dans un processus communicatif en tentant de
s’entendre avec les autres pour ensuite réfléchir en commun sur des problèmes et des désaccords.
Elle possède également une visée philosophique, qui permet de mettre en œuvre des processus
de pensée, maîtriser des exigences intellectuelles telles que l’argumentation, la problématisation et la conceptualisation. Ainsi Tozzi donne un statut utilitaire à la philosophie comme
étant un moyen d’acquérir des capacités intellectuelles.
Finalement, il utilisera la philosophie comme moyen et la visée démocratique comme fin. De
plus, il met en avant les bienfaits de la philosophie pour enfants comme étant une manière de
faire prendre conscience aux élèves qu’ils sont des personnes à part entière. De plus, celle-ci
permet de développer leur estime de soi. Il insiste sur le fait que la philosophie n’est pas une
recette simple pour le développement d’attitudes respectueuses et tolérantes mais qu’elle
complète l’action éducative entreprise en classe. Cette pratique doit donc s’inscrire en cohérence avec les autres moments de la classe. Tozzi cherchera à former un citoyen réflexif.
Dispositif
Pour Tozzi, la philosophie pour enfants ne demande pas de posséder d’apriori. Comme il le
dit « Un enfant peut commencer à réfléchir quand il commence à parler puisque parler c’est
25
déjà donner forme au monde »9 Ainsi, il préconise d’inscrire la pensée de l’enfant dans un
cursus lui permettant de l’organiser de plus en plus.
Dans son dispositif, Tozzi s’inspire de la pédagogie institutionnelle et instaure le fonctionnement de la discussion avec différents rôles alloués aux élèves : le reformulateur, le synthétiseur, le président, les discutants ou encore les observateurs qui possèdent un rôle bien défini.
Ainsi, par leurs rôles respectifs, les élèves développent différentes compétences. Un président
de séance aura un rôle se rapprochant plus de la démocratique par sa capacité à animer une
séance, tandis qu’un synthétiseur entraînera davantage ses capacités intellectuelles en ayant
une écoute plus fine pour ne pas sélectionner uniquement les arguments qui lui correspondent.
Les rôles sont bien évidemment changés afin que les élèves puissent en essayer le plus possible. Il met également en place des règles à respecter concernant, par exemple les moqueries,
qui n’ont pas leur place dans la classe.
2.2.4 La philosophie pour enfants de Matthew Lipman
Ancrage
Lipman a été le premier, dans les années 70 à introduire ce qu’il appelle la philosophie pour
enfants. Son dispositif, que je décrirai plus loin, se veut très méthodique. Il représente à ce
jour sûrement la méthode la plus répandue dans le monde. Les élèves discutent entre eux
d’une question qu’ils ont choisie sous le regard attentif de l’enseignant qui veille à la rigueur
des échanges et encourage les échanges entre élèves. Opposé à Lévine, Lipman s’inscrit dans
un courant pragmatique. Inspiré par Dewey, le pragmatisme est contraire à l’idéalisme. Les
universaux sont vides et l’accès à la vérité se fait par rapport aux expériences diverses et à la
confrontation des idées, ce qui n’est pas le cas de la philosophie dite « classique ». La démocratie permet donc d’expérimenter et d’agir pour vérifier les idées. Son dispositif met en place
l’utilisation d’une démocratie car, tout le temps mise à l’épreuve, elle permettrait
d’expérimenter le mode de vie. Chez Tozzi, la philosophie est le moyen et la démocratie la fin
pour parvenir à une éducation citoyenne, chez Lipman, le processus de l’expérience est une
fin et un moyen. Ainsi et en s’inspirant de Dewey, Lipman instaurera dans sa pratique une
communauté de recherche, une méthode active ayant une visée d’insertion démocratique.
9
Consulté le 2 août 2015 sur http://www.vousnousils.fr/2012/11/22/philosopher-ecole-primaire-methode-micheltozzi-537802
26
Lipman s’intéresse donc beaucoup au problème du « bien penser » mais de manière logique.
Pour lui, cet aspect est une sorte d’accès permettant plus tard d’accéder à la pensée
d’excellence.
Ses ancrages théoriques sont axés autour de plusieurs personnalités connues des sciences de
l’éducation. Il prendra chez Piaget les stades de développement en proposant des romans philosophiques différents selon l’âge des élèves. Chez Houssaye, il reprendra le postulat
d’éducabilité mais ici philosophique, de Derrida et Pettier le droit à la philosophie, des hommes, des citoyens et des enfants. Dans une visée très proche de Tozzi, Lipman s’inspirera également des théories de zone proximale de développement de Vygotski, d’étayage de Brunner
et donc de conflit sociocognitif retrouvé chez les néopiagétiens.
Dans la méthode Lipman nous pouvons retrouver trois axes-clés. Le premier est le processus
de la pensée. Il mise ici sur la bonne utilisation des habiletés de pensée exercées à partir de
l’élément déclencheur qu’est la perplexité de l’élève face au monde, suivie d’un doute et une
incertitude le mettant ainsi dans une position de recherche. Après l’apparition et la formulation d’un problème, il doit tenter de dépasser les opinions simples pour arriver à des solutions
basées sur l’observation. Après avoir fait des liens entre hypothèses et idées, celles-ci sont
vérifiées par une mise à l’épreuve dans le but d’améliorer l’expérience quotidienne de chacun.
Lipman ajoutera que tout ce processus se fait s’il s’inscrit dans un cadre qu’il nommera communauté de recherche et qui constitue le deuxième axe-clé. La communauté de recherche est
une notion qui englobe l’acte de penser dans un cadre social. Il est structuré de manière horizontale car aucune hiérarchisation n’est présente. Elle vise à résoudre les problèmes ensemble, en société, société qui peut se présenter sous forme de groupe classe. Le dernier axe
concerne celui de la démocratie comme finalité ultime. Il centre sa pratique sur des buts moraux, de valeurs et de jugement. Pour lui, la morale et la démocratie ne forment qu’un seul et
même concept.
Objectifs
Comme dit précédemment, Lipman a pour objectif le développement des capacités démocratiques des élèves et l’éducation à la citoyenneté. Son principe est de guider les enfants vers
une recherche qui leur permettra d’agir dans la vie quotidienne à l’intérieur comme à
l’extérieur de l’école. Son objectif est de développer chez les élèves une pensée d’excellence
27
et une pensée autonome et critique, en développant des habiletés de pensées. Michel Sasseville explique plus précisément les habiletés de pensée dans son livre (2009).
Dispositif
Le dispositif de Lipman est très méthodique. En effet, pour différentes tranches d’âges il propose différents romans qu’il a lui-même écrit, sept au total (Elfie, Pixie, Kio et Augustine, la
découverte de Harry, Lisa, Suki, Marc). S’adressant de la maternelle jusqu’à l’âge de la majorité, ses romans présentent des enfants du même âge qui discutent, réfléchissent et agissent.
Chaque roman possède une problématique propre et a pour but de faire acquérir certaines habiletés de pensée.
Ces livres qui paraissent très scolaires sont également accompagnés d’un guide du maître qui
ajoute des précisions sur les diverses séances et permet d’étayer la démarche des élèves ou
consolider leurs apprentissages. Il présente également des exercices et des grilles
d’observation librement utilisables par l’enseignant et des pistes de réflexion.
A partir de ce matériel Lipman propose des séances d’une heure qui se décomposent en trois
phases. La première phase consiste à lire et expliquer un chapitre du livre. La deuxième phase
est celle de la récolte de questions et de réactions permettant ainsi de formuler une question de
fond. Un classement des questions et un choix s’effectuent démocratiquement pour n’en garder qu’une. La troisième phase est celle de la discussion par la communauté de recherche durant laquelle des exercices logiques peuvent être proposés. Cette partie est une initiation à la
logique dans laquelle s’exerce une méthodologie du « bien-penser ».
Critiques
Les critiques adressées à cette méthode sont nombreuses. C’est aussi peut-être à cause du fait
que sa méthode soit mondialement connue. Certains pédagogues trouvent que la méthode
Lipman, pouvant commencer très jeune serait dommageable par son aspect précoce. De plus,
on lui reproche de ne pas s’appuyer sur de grands auteurs classiques et de passer uniquement
par des histoires écrites par lui-même et qualifiée parfois de « seconde-main » menant vers
une discussion de café de commerce plus que de philosophie. Kohan (cité par Tozzi, 2005, B)
critiques et limites)10 lui reprochera des romans trop américanisés, avec une démocratie très
10
Consulté le 2 août 2016 dans http://www.philotozzi.com/articles/article217.htm
28
marquée et donc non applicable à d’autres cultures, ce qui se veut à l’inverse de la recherche
de l’universalité en philosophie. Lalanne s’accordera à dire que son univers est trop patriotique et trouve son approche trop logique proposant des exercices trop répétitifs.
29
2.3 Cadre conceptuel
Dans cette partie, je vais me pencher sur les concepts qui me permettront d’éclairer quelques
éléments liés à ma problématique sur la question du rôle de l’enseignant dans les pratiques de
la philosophie. Observons d’abord quelques concepts liés au rôle de l’enseignant dans les
disciplines scolaires habituelles.
2.3.1 Caractéristiques, spécificités et singularités du rôle de l’enseignant des
quatre courants
Dans cette partie, nous allons nous intéresser plus précisément au rôle que peut endosser l'enseignant dans les discussions à visée philosophique. Quel serait le rôle de l’enseignant selon
les courants? En effet, il existe des courants favorables à l'intervention de l'enseignant et des
courants contre l'intervention de l'enseignant. Des différents types d'interventions.
En nous appuyant sur les quatre auteurs présentées précédemment, nous pouvons nous demander quel est finalement le rôle de l'enseignant dans cette pratique et quelles peuvent être
ses interventions ? En nous penchant sur cette question, nous pouvons nous rendre compte de
la diversité des pratiques mais aussi de la diversité des objectifs que peuvent avoir les différents auteurs.
Lalanne, guide philosophique
Il est intéressant de voir comme le rôle de l’enseignant peut être indispensable à la pratique de
la philosophie en classe. En effet, chez Anne Lalanne, l’enseignant a le devoir de guider les
élèves dans leur réflexion. Etant lui-même expert, il sera la personne qui pourra ouvrir le
chemin au mieux pour ses élèves, il représente le monde et le rend compréhensible.
En effet, il possède la double charge d’instruire et d’éduquer par la raison, ceci afin de pouvoir inscrire l’homme dans le futur citoyen. Cependant, le guidage n’est pas une simple orientation des idées des élèves mais possède un objectif clair, celui de privilégier la démarche
d’abstraction des élèves. Le maître aide les élèves à organiser leurs idées, pour ensuite en faire
ressortir une notion. Le guidage ici se passe dans le vif de l’action, des discussions et n’est pas
une petite intervention à postériori comme chez Lévine. L’enseignant possède plusieurs rôles :
il gère la parole, interroge, reformule, synthétise, recentre et relance la discussion. Chez
30
d’autres auteurs, comme Tozzi, ces rôles sont partagés entre les élèves. Ici, l’enseignant intervient mais ne donne pas son avis, il permet cependant de tisser des liens entre les apports personnels et collectifs, il peut également profiter de ce moment pour mettre en avant des contradictions permettant de nourrir la discussion.
Dans son rôle, l’enseignant procède à deux types de synthèses. La première synthèse, au cours
de la discussion, permet de faire le point, de donner des exemples ou généraliser pour permettre d’ouvrir un approfondissement. La seconde synthèse, en fin de séance, permet de montrer
aux élèves le cheminement et la progression de leur raisonnement tout en clôturant le thème
abordé.
Ce guidage ferme permet à l’élève de construire sa pensée dans le but de lui faire acquérir
l’autonomie nécessaire pour penser seul. Même si les élèves cherchent par eux-mêmes les
éléments constitutifs de la discussion, le guidage cognitif fort du maître garantirait un certain
niveau réflexif dans les échanges.
Lalanne ajoute également que le maître prendra soin non pas de préparer une leçon parfaite,
mais de se renseigner sur le thème qu’il abordera avec ses élèves. Ceci permettra à
l’enseignant de repérer lors de la discussion des éléments à reprendre afin de ne pas s’égarer
et changer de sujet au cours du développement des idées. En effet, son rôle est aussi la reconnaissance de ses capacités à transmettre des savoirs comme dans toutes disciplines.
Lalanne définit le terme guidage comme étant le fait :
d’ « accompagner, guider […] partir de ce que les enfants disent, éclairer les idées développées par la mise en évidence de certains liens en pointant ici une contradiction, là une ouverture, par une question plus précise, grâce à une reformulation plus adéquate ».11 (2007, 3- le
rôle du maître)
Il est donc là pour guider les élèves pour les emmener au meilleur d’eux-mêmes dans leurs
discussions.
Lévine, silencieux et en retrait
Anne Lalanne (2007, 3- le rôle du maître) le disait, l’enseignant: « […] assume pleinement
son rôle, parce qu’il ne se met pas en retrait, il sera le moyen, l’outil pour que les enfants
11
Consulté le 6 janvier 2016 sur http://philohorsclasse.free.fr/spip.php?article27
31
puissent accéder à la raison, c’est à dire penser »12. Que penser donc de Lévine qui ne laisse
que très peu de place à l'intervention d'un enseignant lors des discussions ? De son point de
vue, l'enseignant n’intervient pas du tout ou presque pas sur le fond de l'échange, au contraire
d'Anne Lalanne. Selon lui si l'enseignant a le malheur d'intervenir, les élèves s’identifieront à
lui, le prenant comme modèle, ce qui interrompra le travail d'élaboration effectué par les élèves. Il explique aussi que la pensée de chacun émerge de la personne en son entier dans un
groupe, ici groupe-classe, où le maître écoute et respecte la parole de chacun des élèves. Il
permet ainsi que les échanges entre pairs se fassent sans être dérangés par la parole de l'enseignant. Il explique d'avance aux élèves la rupture et la différence de contrat qui s'effectue en
temps normal entre l'enseignant et les élèves. Lévine dévolue d'une certaine manière le rôle de
l'enseignant. De cette manière, il montre aux élèves qu'il leur fait confiance sur leurs capacités
à se questionner sur le monde et à penser. L'enseignant est donc en retrait, mais à l'écoute des
échanges. Il tient donc un place silencieuse mais active, sa présence le rend garant du bon
fonctionnement des ateliers et permet, selon lui, aux élèves de se sentir autorisés à prendre la
parole sur de grandes questions, chose qu’ils ne feraient peut-être pas en son absence. Il est
finalement présent à travers le cadre qu'il instaure. Lévine parle d'un voyage dans lequel s'engagent les élèves lorsque le maître lâche le mot déclencheur qui définit le thème.
Pour l'enseignant, ce changement de posture n'est pas le simple retrait de sa participation,
mais bel et bien un outil lui permettant d'observer ses élèves sous un autre angle. Ceci lui
permet d'observer ses élèves dans une démarche différente, la relation est alors modifiée et
permet à l'enseignant d’avoir une autre conception de la relation. Ces ateliers permettraient de
mettre en place un dispositif faisant émerger le vrai potentiel des élèves, chose que souvent
l'école s'interdit de faire nous dit-il.
Lévine attire notre attention sur le fait que malgré l'installation de ce dispositif dans la classe,
un enseignant peut le voir ne pas fonctionner. Il insiste sur le fait de ne pas accorder une
confiance aveugle aux élèves, mais de bien préparer les ateliers en amont, ce qui est, selon lui,
l’élément décisif de son bon déroulement. Il ajoute que c'est également une question de
confiance en la méthode et en ce que met l'enseignant en place dans sa classe tout en croyant à
ce qu'il fait.
12
Consulté le 6 janvier 2016 sur http://philohorsclasse.free.fr/spip.php?article27
32
Tozzi, concepteur et garant du dispositif démocratique
La méthode Tozzi inclut l’enseignant, mais ce dernier n’intervient pas sur le fond des discussions, mais sur ce qu’il appelle les exigences philosophiques
Tozzi affirme que les discussions à visée philosophique pour enfants font partie de pratiques
nouvelles en plein essor et qu’il y a bien sûr des pratiques différentes et notamment au niveau
du guidage de l’enseignant qui peut aller de la non intervention jusqu’au guidage ferme. Il fait
cependant ressortir le fait que malgré ces différences, il retrouve deux points communs dans
les différentes pratiques concernant le guidage de l’enseignant.
Quelques soit le type de guidage, l’intervention de l’enseignant ne se fait jamais sur le fond
des idées. Ainsi il relève le débat actuel sur la question de la réserve des pensées de
l’enseignant. Le débat actuel pose la question de la prise en compte d’une pensée différente,
qui peut être celle des textes ou celle des enseignants. Il affirme que le travail de littérature sur
lequel se base les programmes scolaires est souvent source de débat, notamment concernant
l’interprétation de ces textes. Ainsi, certains affirment que si l’enseignant soumet ses idées de
manière hypothétique, ceci permettra d’introduire sa pensée, sans influence, tout en gardant
l’écart entre sa pensée et ce qu’il dit. Il agirait par des modélisateurs en observant lui-même sa
pensée en recherche, tout comme les élèves. Aussi, ceci permettrait d’introduire une certaine
altérité permettant non pas une participation exclusive entre pairs mais d’ouvrir à une participation extérieure, que cela se fasse avec les idées de l’enseignant ou encore avec le support de
la littérature philosophique, de grands textes, ou plus spécifiquement de la littérature de philosophie pour enfants largement promue de nos jours (goûter philo, etc.)
Relevons que Tozzi propose même un cahier des charges de l’animateur d’une discussion à
visée philosophique ou de café (Le cahier des charges de l'animateur d'une DVDP (Discussion
à Visée Démocratique et Philosophique) en classe et au café philo)13. Dans celui-ci, 35 points
se veulent être une aide pratique pour l’animateur de séance pendant le moment de pratique.
Issu du dispositif Delsol-Connac-Tozzi, je ne citerai pas ici tous les points mis en évidence
mais j’insisterais sur la place relativement grande que laisse ce dispositif à l’enseignant. Dans
son rôle, l’enseignant intervient de manière ciblée pour veiller aux exigences du processus de
pensée. Il reste donc alerte sur le déroulement et intervient lorsque cela lui semble nécessaire.
13
Article paru dans Diotime n° 55 (2013)
33
Lipman, intervenant sur la forme des idées et non le contenu
Comme chez Tozzi, Lipman donne une place considérable à l’enseignant. Il n’enseigne pas
mais est une personne ressource qui possède un rôle social.
Premièrement [il doit] créer les conditions favorables à l’acquisition et au développement des
habitudes démocratiques ; deuxièmement amener l’enfant à devenir (et à se sentir) un membre
indispensable de la communauté. Dans ce sens c’est une personne qui questionne, qui écoute,
qui guide les propos et accouche les idées ; une personne qui influence, qui dirige et qui sécurise les enfants ». (Lipman, cité par Lalane, 2009, p.113).
En ce sens, Lipman semble donner une définition facilement envisageable du rôle de
l’enseignant, sans pour autant détailler ici les interventions possibles de ce dernier.
34
2.3.1.1 Tableau récapitulatif : Le tableau ci-dessous présente de manière synthétique
la conception philosophique de chaque auteur, les objectifs, les finalités, le rôle de l'enseignant et celui de l'élève.
Pédagogues
Conception philosophique
Objectif
Finalités
Rôle de l'enseignant
Rôle de l'élève
Anne
Lalane
Elle s’inscrit dans un courant
philosophique. La philosophie est
pragmatique, passe par
l'expérience. Lalanne se base sur
Dewey en avançant que la théorie
de l'expérience tout comme
l'aspect formalisation avec les
élèves sont fondamentales.
Dépasser une situation
particulière pour l’amener vers
l’universel, l’objectif principal
étant une orientation
philosophique.
Développer une pensée réflexive et donc
une attitude critique chez le citoyen :
« Faire de la philosophie avec des
enfants c’est donc les éveiller à la raison,
s’adresser à eux en tant que sujet
rationnel, les inviter à former des
jugements raisonnables ».14
L'enseignant doit se demander jusqu'où l'élève
est capable de penser. Il sert de guide aux
élèves dans l'élaboration en cours du savoir, est
garant de la cohésion de la réflexion des
élèves. L’enseignant gère la parole, interroge,
reformule, fait des synthèses finales ou
partielles, recentre, relance, etc., s’appuie sur
les apports des élèves par un questionnement
ouvert. Même s’il ne participe pas au débat, il
guide les élèves : « Guider suppose un
objectif : privilégier une démarche
d’abstraction, à partir des matériaux qu’ils
apportent, leur permettre de l’organiser, de le
structurer afin de pouvoir le généraliser, c'està-dire en dégager une notion » (Tozzi, 2001, p.
48).
Recherche d’une autonomie
de la pensée, savoir ce que
valent les idées et ce qu’on en
fait.
« Il s’agit de donner à l’enfant
l’occasion de mettre en mots sa
pensée, de faire usage de la
raison » (Tozzi, 2001, p.43).
Refuse l’instrumentalisation de
la philosophie par des
objectifs.
Le maître a donc la responsabilité d’assurer la
conduite du groupe tout comme l’orientation
philosophique du dialogue.
Jacques
Lévine
L'école ne permet pas de traiter
des grands problèmes de la vie.
La vie vient aux enfants et il faut
les préparer. C’et une expérience
de vie.
Il s’inscrit dans un courant
psychanalytique par le fait que
l’enseignant soit entièrement
retiré de la discussion, il laisse
discuter les élèves afin « qu’ils
fassent l’expérience d’une parole
14
15
Il s’agit de « […] provoquer
chez l’enfant la découverte
qu’il est capable de pensées
sur les grands problèmes, dans
l’immédiateté ou à terme »
(Tozzi, 2009, p.90).
La pensée est construite en
écho et plus par le langage
interne que le langage externe.
Apports pour la formation à la
citoyenneté. Démarche démocratique.
Apprendre à vivre ensemble. Permet à
l’enfant de se découvrir membre de la
communauté humaine par sa capacité à
penser : "[...] ce qui nous importe est que
les enfants d’aujourd’hui aient le
sentiment d’universalité, d’appartenance
à l’espèce humaine et le désir de
15
contribuer à son amélioration."
Rendre possible l’expérience par l’enfant
http://philohorsclasse.free.fr/spip.php?article27
http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32649
35
Non intervention pendant la première phase
des 10 minutes pour ne pas interrompre le
travail de tâtonnement. Représente la légitimité
et est le cadre pour la gestion de la parole et du
temps. Faire sentir les élèves en confiance pour
qu'ils se sentent autorisés à parler.
En cela, les ateliers de philosophie constituent
un outil de formation des enseignants à une
conception de la relation où une circulation de
la parole dans « l’horizontalité », donc dans le
cadre d’un type nouveau de co-réflexion,
L’enfant fait l’expérience du
cogito, l’expérience
d’appartenir à un groupe de
pensée large et universel, il
fait l’expérience des étapes
indispensables pour arriver à
une formation rigoureuse de
concepts, il fait l’expérience
du débat.
"L’école est tellement centrée
sur les performances, sur les
engagée sur des problèmes
existentiels » (Tozzi, 2009, p.89).
Michel
Tozzi
Matthew
Lipman
Développer l’éducation à la
citoyenneté de manière normée.
La prise de parole est organisée,
certaines fonctions sont
déléguées, et les sujets de débat
sont porteurs de sens pour les
élèves.
Amener les enfants à faire des
expériences de pensée pour
penser par eux-mêmes en
conceptualisant,
problématisant et argumentant.
C’est le précurseur de ce qu’on
appelle la philosophie pour
enfants. La méthode Lipman est
inspirée des méthodes actives de
Dewey et des stades de
développement de Piaget et part
du principe que les élèves sont
capables de penser lors de la mise
en œuvre d’une méthode.
Renforcer le jugement des
enfants par le biais de
l’exercice du dialogue, d’une
pratique des habiletés de
pensées et par un éveil de la
pensée critique, créative,
attentive.20
« Apprendre à penser par soimême. A élaborer une pensée
rationnelle et fondée sur les
questions importantes posées à
la condition humaine, au
contact exigeant des autres »18.
comme être humain du cogito, s’autoriser
à penser par soi-même, vivre comme
sujet pensant.
l’emporterait sur la « verticalité » traditionnelle
16
de la transmission.
productions des enfants,
qu’elle se prive trop souvent
de mettre en place les
conditions qui font émerger le
17
potentiel des élèves."
But démocratique: aptitude à débattre par
la prise de parole, et rôles donnés aux
élèves.
L’enseignant lance les échanges, recadre,
relance, interroge, reformule dans le but
d’expliquer, il souligne les points de vue
contradictoires… il :
Les élèves ont plusieurs rôles
(président, reformulateurs,
synthétiseurs, discutants,
observateurs) qui développent
des compétences précises.
But philosophique : conceptualisation à
partir de termes, notions. Apprendre à
penser par soi-même sur les questions de
la condition humaine au contact des pairs.
« […] établit un climat de sécurité et de
confiance par le non jugement, demande de
l’entraide entre élèves en cas de difficulté de
l’un d’entre eux ; il ne dit pas son propre point
de vue pour ne pas influencer les échanges et
libérer la parole de chacun. Il est le seul à ne
pas demander la parole au président pour ne
rater aucune occasion philosophique, et
fonctionne en synergie avec lui. »19
Aider les enfants à devenir les membres
de la société démocratique où lire, parler
et penser bien est nécessaires. Encourager
les élèves à penser par eux-mêmes et
préparer de futurs citoyens. Accentue sa
finalité sur le bien penser et penser
logique. Dépasser la simple opinion.
Vivre bien ensemble, développer une
pensée créative et prévenir la violence.
Il favorise la formulation d’hypothèses, un
climat d’écoute, un échange, du respect, de
l’entraide et s’assure que le dialogue reste
philosophique. Il aide les élèves à acquérir les
habiletés de pensée nécessaires et utiles dans
des situations transversales à plusieurs
disciplines. L’animateur se met au service
d’une réflexion collective, son principal
instrument est les participants du groupe.
Importance de la démocratie, les
échanges entre pairs
Il intervient en trois temps ; dégage une
question soulevée par les élèves, anime le
débat et prolonge la discussion avec des
exercices.
16
http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32649
http://ac-grenoble.fr/ien.vienne2/IMG/pdf/ateliers_philo_primaire.pdf
18
http://www.philotozzi.com/2011/03/439/
19
http://www.cahiers-pedagogiques.com/Une-nouvelle-pratique-scolaire-du-debat-philosophique
20
La pensée créative en philosophie pour enfants, séminaire de formation, DIP Genève par Alexandre Herriger, 2016
17
36
Les élèves prennent
connaissance des romans de
Lipman (7 en tout, selon des
âges correspondants aux
stades de développement de
Piaget). Les élèves
s’identifient aux personnages
qui agissent, réfléchissent et
discutent ensemble.
2.3.2 Philosophie et enfants, quels liens ?
Pourquoi pratiquer de la philosophie avec les enfants ? Pour certains, il sera beaucoup trop tôt
pour que les enfants puissent se frotter à cette pratique, pour d’autres, plus l’enfant s’entraîne
tôt à penser, plus il pourra acquérir les habiletés de pensées nécessaires dans sa vie. Le premier point commun entre les enfants et les philosophes peut être cette nature curieuse de questionner le monde sur le sens de la vie, à travers de grandes questions universelles. Comme le
dit Edwige Chirouter dans son article (2008)21, « […] Bruno Bettelheim a convaincu beaucoup d’éducateurs que les véritables préoccupations des enfants, ce qui les intéresse et les motive profondément, c’est justement pouvoir répondre à ces grandes angoisses existentielles ».
Les situations problématiques sont mises en question, ce qui permet à celui qui souhaite trouver une réponse de s’engager dans une recherche de pensée. Si les questions restent parfois les
mêmes, et ce depuis des milliers d’années, c’est que la philosophie permet de chercher de
nouvelles manières d’expliquer des questions encore incomplètement résolues et des problèmes où la solution est peut-être inconcevable. Pourtant, petits et grands, philosophes amateurs
ou confirmés seront attirés par un dialogue permettant, par la logique, l’éthique, la métaphysique, ou encore l’esthétique, de s’adonner à ce jeu de pensée ou jeu de langage (Charbonnier,
2012) demandant au penseur, avec une certaine rigueur, de s’engager dans une pratique demandant d’exercer des habiletés de pensée. Ainsi, si souvent les questions restent sans réponse, le but est bel et bien de pouvoir s’approcher le plus possible d’une ébauche de réponse, en
posant des questions entre les différents penseurs, en nuançant ses idées, en étant judicieux et
en se confrontant aux autres tout en acceptant de devoir s’autocorriger si nécessaire.
Mais alors, qu'appelons-nous « philosophie pour enfants »?
Philosopher est un mot qui, souvent, fait peur. On imagine des questions terriblement compliquées, un vocabulaire énigmatique, des livres dont on ne comprend même pas le titre. […]
Bref, ce ne serait pas une activité pour tout le monde. On se trompe en croyant cela » (PolDroit, 2004, cité par Auriac-Slusarczyk & al., 2011)
La pratique de la philosophie semble être bel et bien faisable et surtout porteuse de sens et de
compétences utilisables dans de nombreuses situations. Malgré des dispositifs nécessaires
pour la rendre accessible et transposable à un jeune public, sa définition commune reste la
même : « Penser, raisonner (sur des problèmes philosophiques, abstraits) » (Le Robert Micro,
1998).
21
Consulté le 2 août 2016 sur http://edwigechirouter.overblog.com/pages/Article_Apprendre_a_philosopher_avec_la_litterature_de_jeunesse-955301.html
37
Ainsi, comme dans beaucoup de pratiques, c’est l’expérience et les possibilités de pouvoir
l’exercer qui améliorent l’apprentissage. Ainsi, en s’entraînant à penser, la pensée devient
plus fine, plus souple et s’améliore. C’est donc en faisant de la philosophie que l’on peut permettre aux élèves de penser par et pour eux-mêmes. Et comme tout apprentissage, de pouvoir,
par la répétition, par la recherche du plus juste et en utilisant des habiletés que l’enfant pourra
apprendre à penser et penser mieux. Plus concrètement, les élèves se lancent, suite à une question, dans une recherche collective. Ils cherchent des réponses, se basent sur des critères pour
pouvoir construire une définition ou distinguer plusieurs éléments. Pour ce faire, ils exercent
également l’usage des exemples, contre-exemples qui ont pour but de tester les hypothèses
préalablement définies. Ainsi, les élèves sont réellement en situation de recherche commune
et utilisent un procédé de vérification faisant également appel au collectif pour pouvoir mieux
comprendre, par les différents points de vue, ce qu’il y a à comprendre. (Alexandre Herriger,
2016). Edwige Chirouter (2008)22 le résume très bien : « […] on reconnait aujourd’hui aux
enfants la capacité à s’interroger philosophiquement sur de grandes questions métaphysiques,
existentielles, éthiques, esthétiques ou épistémologiques ». La pratique du dialogue philosophique avec les enfants commence petit à petit à bien s’inscrire dans de nouvelles visées de
formation et d’éducation des enfants, bien loin de l’idée que les enfants sont de la cire vierge
sur laquelle le maître imprime des savoirs.
Finalement, quelque soit la méthode utilisée, ou le pédagogue auquel nous faisons référence,
les démarches très différentes ont des points communs : l’affirmation que l’enfant peut
philosopher ; philosopher comme source de plaisir de penser ; philosopher pour s’intéresser
au langage et aux idées des autres ; philosopher à l’école pour aborder des questions qui sont
universelles et que les enfants se posent aussi.
2.3.3 Conversation, discussion, débat ou dialogue philosophique?
Avant d’entrer plus précisément dans la suite du travail il me semble important d’apporter
quelques précisions sur ces deux termes que sont “dialogue” et “philosophique” que vous
retrouverez tout au long de cet écrit.
Car si, comme nous le présente Olivier Maulini dans son glossaire évolutif (2016),
conversation, discussion, et nous pouvons même y ajouter dialogue et débat, sont toutes des
situations dans lesquelles des interlocuteurs « communiquent en échangeant entre eux des
22
Consulté le 2 août 2016 sur http://edwigechirouter.overblog.com/pages/Article_Apprendre_a_philosopher_avec_la_litterature_de_jeunesse-955301.html
38
messages verbaux, mais ils ne le font pas à chaque fois dans la même perspective » (Maulini,
2016, discussion)23. Partons donc de ce point commun.
Dans une conversation l’échange est non problématique, c’est un simple échange de propos
sur un ton familier.
Dans une discussion, il est lieu d’un désaccord demandant aux interlocuteurs d’en faire une
certaine analyse car l’échange est remis en question et contesté. Observons plus précisément
la définition qu’il propose de la discussion, concept souvent utilisé comme appellation de la
pratique du dialogue philosophique (discussion philosophique) :
Pour Habermas, la discussion idéale est une situation où tous les interlocuteurs ont accès
à l'information, droit à la parole et où prévaut finalement entre eux l'autorité du meilleur
argument (et pas l'argument d'autorité du plus puissant). Dans la classe, le maître est a
priori le dépositaire d'un savoir incontestable, mais il peut susciter des conflits cognitifs,
des débats, des enquêtes, des recherches, des expériences chez les élèves, afin de leur
apprendre petit à petit comment le savoir s'élabore et se valide collectivement, et jamais
définitivement. Il peut même accepter d'entendre et de contester lui-même des objections,
par exemple lorsqu'il s'est trompé dans la résolution d'une équation. Reconnaître ses
erreurs devant la classe peut paraître une faiblesse : c'est aussi la preuve par l'acte que la
vérité, à l'école, ne dépend pas du plus fort, mais du meilleur raisonnement (Maulini,
2016, discussion)24.
Il est intéressant ici de montrer que finalement des différences sont déjà notables entre
conversation et discussion. Dans une discussion, chacun tente de prouver qu’il a raison, les
arguments s’échangent, dans un climat souvent conflictuel, les individus ne tentent pas de
prendre en compte l’avis de l’autre interlocuteur. Essayons d’aller plus loin afin de pouvoir
définir s’il serait plus judicieux de nommer la pratique « discussion à visée philosophique »,
« débat philosophique » ou « dialogue philosophique ».
Si l’on se rattache à la définition de dictionnaire (Le Robert Micro, 1998), le débat serait
« une discussion organisée et dirigée » (p.329). Pour aller plus loin, il est intéressant de se
plonger dans une discipline scolaire présentant le débat régulé comme un moyen de travailler
des objectifs de français et dont les élèves doivent s’en approprier les caractéristiques. Ainsi,
COROME (moyen d’enseignement de français romand) définit le débat régulé comme étant
23
24
Consulté le 2 août sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm
Consulté le 2 août sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm
39
« […] une discussion qui se déroule en public entre plusieurs partenaires, organisée et dirigée
à partir d’une question controversée, qui cherche à modifier les opinions ou les attitudes d’un
groupe » (Dolz, Noverraz & Schneuwly, 2011, p.146). Dans un débat, chacun expose sa
position et la défend, débouchant souvent sur un désaccord. Comme il l’est précisé dans la
définition de COROME, il est lieu de chercher une modification d’opinion. Dans un débat,
une personne peut avoir raison, l’autre tort, la situation veut que l’on pense les uns contre les
autres et que l’on tente de convaincre son adversaire.
Cependant, en philosophie, loin de chercher à modifier l’opinion des autres, il est lieu de
vouloir sortir du conflit en utilisant la collaboration sous forme de dialogue. Il n’est pas
attendu des élèves de s’exprimer pour ou contre une idée, mais de pouvoir prendre en compte
celle des autres, afin de transformer, ou non, la sienne.
Le dialogue philosophique dépasse cette institution de la loi du meilleur raisonnement
(discussion), de la modification d’opinions (débat) pour finalement avoir pour but d’aboutir à
un accord (dialogue). Ainsi le dialogue possède une ouverture aux idées en passant par
l’écoute, le respect, la liberté, l’ouverture et l’égalité d’esprit. De plus, contrairement au débat,
si l’un a raison, l’autre n’a pas forcément tort, la recherche se fait communément et est
collaborative.
Qu’ils travaillent, qu’ils jouent, qu’ils conversent, qu’ils cherchent ou qu’ils étudient, les
participants de l’interaction pédagogique coordonnent leurs points de vue au moyen du
langage, dans une discussion où chacun avance et évalue des « prétentions à la validité ». Ils
échangent des énoncés supposés « vrais », « authentiques » et « conformes aux normes », des
énoncés dont la véracité, l’authenticité et la conformité sont continuellement négociées en vue
de l’intercompréhension (Habermas, 1981/1987). » (cité par Maulini, 2001, discussion)25.
Ainsi, je nommerai cette pratique comme étant un dialogue philosophique tout au long de
mon travail, car pour moi elle raisonne avec le fait de pouvoir amener ses idées, les exposer et
les remettre en question continuellement, sans chercher à les imposer au groupe. De plus, la
pratique du dialogue philosophique ne serait-elle pas plus proche des objectifs transversaux
que disciplinaires ? (cerner les enjeux de la réflexion, mettre les faits en perspective en
s'appuyant sur des repères, explorer différentes options et points de vue, comparer son opinion
à celle des autres, faire une place au doute et à l'ambiguïté, explorer différentes opinions et
points de vue possibles ou existants…), PER, capacités transversales, descripteurs de la
démarche réflexive.
25
Consulté le 2 août sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm
40
41
III. Problématique et question de recherche
3.1 Mon expérience d'enseignante avec mes élèves
Enseignante depuis août 2015, je n'ai pas manqué de m'essayer à l'animation de la discussion
à visée philosophique. Deux ans plus tôt, lorsque j'étais en stage, j'ai pu prendre part à
diverses observations avec les élèves. Très enthousiaste, j’ai souhaité au début commencer
avec un livre, « Le monde de Sophie » de Jostein Gaarder. En effet, je considérais que ce livre
était un bon moyen de s’initier au monde de la philosophie mais je me suis rapidement
retrouvée en difficulté sur la manière de l’utiliser en classe, de la transposer aux élèves un peu
trop jeunes encore pour cette lecture. Je me suis alors lancée d’une manière différente
quelques jours après la rentrée. J’ai tout d’abord proposé aux élèves de réfléchir à des
questions philosophiques sur lesquelles ils voulaient discuter. En leur présentant les livres
utilisés par leur enseignant l’année précédente, les élèves ont énuméré quelques thèmes. Je
leur ai demandé à chaque fois demandé de définir rapidement ce que signifiait leur idée. J’ai
noté les thèmes et les mots-clés sur un grand java. Dans l'aperçu ci-dessous, nous observons
déjà la curiosité des élèves sur des grandes questions de la vie touchant universellement
chaque homme de notre planète.

L’amour : pourquoi peut-on ou doit-on aimer des gens ?

La générosité : le partage, contraire de l’égoïsme

La vie et la mort : pourquoi la vie ?

Pourquoi les méchants et les gentils ? Les méchants font tout ce qu’il ne faut pas faire, être
gentil c’est avoir des amis, être méchant c'est le racisme, la discrimination, mais y-a-t-il
vraiment des gentils et des méchants ?

La confiance

La guerre : pourquoi fait-on la guerre ? Pourquoi la violence ?

Pourquoi les armes ? Pourquoi avoir inventé cette chose aussi dangereuse ?

Voyons-nous tous la même chose ? Nous avons appris qu’une banane est jaune mais voyons
nous tous le jaune de la même couleur ?
42

« Quelque chose m’est venu à la tête mais pourquoi quelque chose me vient à la tête ?
Pourquoi on oublie ? ça sort par où ? »

Pourquoi aller à l’école, pourquoi apprendre ?

Les différences : plusieurs types (caractère, vie…)

Les religions, le racisme, les croyances car « ça existe depuis les hommes préhistoriques ».

...
A la suite de ces idées, j'ai décidé, pour les semaines suivantes, de partir sur les questions de
violence et non-violence pour ensuite aborder les questions de guerre, d'armes, avant de
revenir sur la paix. Avant de commencer je leur ai aussi demandé quelles seraient les règles
que nous devrions respecter pour que les discussions se passent bien. Nous les avons listées et
nous en avons retenues huit : 1. S’écouter les uns les autres 2. Ne pas juger 3. Respecter les
différents points de vue 4. S’entraider 5. Être curieux 6. Être soi-même et penser par soimême 7. Rechercher ensemble 8. Ne pas se sentir obligé de répondre. Ainsi, nous avons
commencé en suivant plus ou moins à chaque fois le même fil rouge pour chaque discussion
ayant lieu à raison d'une fois par semaine. A chaque moment de dialogue, je leur ai proposé
une histoire, un extrait de film ou autre. Les élèves ont réfléchi individuellement dans un
premier temps sur la question que nous avions choisie ensemble et qui était en rapport avec le
support utilisé. Nous nous réunissions ensuite en cercle et les élèves pouvaient intervenir en
levant la main. Quelques rôles ont parfois été attribués. Après quelques semaines, j’ai
commencé à me poser plusieurs questions. J'ai eu l'impression que les élèves ne réagissaient
et ne réfléchissaient pas aussi bien que lorsque je les avais observés deux ans auparavant. De
plus, j'avais eu l'impression de me retrouver embêtée par moment, car je n'arrivais pas à faire
approfondir par les élèves leurs réflexions puis à les faire rebondir. Intéressée alors par la
question de mon rôle j'ai commencé à me plonger dans la lecture de Sasseville (2009) qui me
donna beaucoup d'idées. Sasseville présente plusieurs habiletés de pensée que nous pouvons
entraîner chez les élèves. Cependant, lors des dialogues des semaines suivantes en classe, son
ouvrage me faisait écho pendant la pratique. Je pensais à beaucoup de choses sur les moments
et finalement, je ne savais plus du tout ce que je faisais. A ce moment-là, une personne m'a
fait part de quelques éléments, qui, selon elle, m'empêchaient de faire avancer les élèves.
43
Je présenterai ici directement ma situation éducative complexe26 sous sa forme entière. En
effet, lors des entretiens avec divers enseignants (partie analyse), cette situation leur a été
présentée telle quelle afin qu’ils puissent s’imprégner d’une situation qui m’a posé problème.
Elle permettra au lecteur, par l’illustration d’un moment-clé, de comprendre d’emblée les
difficultés dans lesquelles je me suis retrouvée.
3.1.1 Situation problématisante
Dialogue philosophique ou simple discussion de café ?
Depuis le début de l’année, tous les vendredis en dernière heure de l'après-midi, je fais de la
philosophie en classe, enfin, je me demande si j'en fais vraiment. J'ai décidé de faire mon
mémoire sur ce sujet et beaucoup de concepts se percutent dans ma tête : les habiletés de
pensée que propose Sasseville dans son livre, les questions de relance, les éléments à
observer, faire argumenter les élèves, contre-exemplifier, etc. Malgré une grille de relance très
complète trouvée dans ce même livre j’ai beaucoup de peine, sur le moment, à trouver les
bonnes questions afin d'approfondir les pensées des élèves. Je laisse petit à petit tomber cette
grille pour agir le plus naturellement possible lors des discussions.
Vendredi 23 novembre 2015, en dernière période de l’après-midi, je propose aux élèves le
moment philosophie du vendredi. La coordinatrice pédagogique est présente pour m’observer
et m’évaluer. Sa présence ne me perturbe pas beaucoup et je me sens agir comme d'habitude
face aux élèves. Avec ceux-ci, nous avons beaucoup travaillé sur les questions de violence et
de guerre en philosophie. Afin de progresser dans le thème et faire un lien pour en arriver à la
question de la paix, j’ai décidé de leur montrer la vidéo de l’homme de Tiananmen 27. Les
élèves ont visionné le film mais ne comprennent pas bien de quoi il s’agit, malgré une
deuxième vision de l'extrait et une courte présentation du contexte. Après visionnage du film,
je voulais que les élèves réfléchissent individuellement à ce qu’ils avaient vu en répondant à
deux questions : « Ce que je comprends, comment je décris la scène, mes réactions » et « les
questions que je me pose ». Les élèves sont bloqués et je me demande pourquoi. Je décide
alors de dégager le thème principal avec eux. Ils en sortent plusieurs, pas faux mais ne me
26
27
Voir annexe “situation problématisante” p.158-159
Voir annexe “situation problématisante” p.160
44
satisfaisant pas. Je leur ai finalement fait deviner ce que j’attendais d’eux et je crois que ce
n'était pas la meilleure manière de pouvoir les engager dans une discussion.
Ensuite, pendant quelques minutes, ils ont noté des idées puis ils se sont réunis en cercle pour
discuter. Comme d’habitude j’attribue les rôles de distributeur de parole, secrétaire et gardien
du temps. Lors de la discussion il m’est arrivé d’ôter le rôle de distributeur de parole afin que
je le gère moi-même pour permettre de prendre les élèves dans l’ordre et donc de ne pas avoir
des changements d’idées trop rapide. L’élève secrétaire me dit qu’il n’arrive pas tout à noter
je lui dis alors de noter quelques idées principales. En fin de discussion, je renvoie les élèves à
un travail individuel en leur demandant d’écrire sur deux points concernant la discussion qui
vient d'avoir eu lieu « ce que le groupe a dit lors de la discussion » et « les nouvelles questions
que je me pose ».
Les élèves me rendent ensuite leur feuille. Les nouvelles questions qu’ils se posent sont pour
moi un appui pour proposer les fois suivante une thématique en lien avec celles-ci.
Après cette après-midi, la coordinatrice me fait un retour sur mon moment de discussion
philosophique et me demande tout d’abord mes impressions. Je lui explique qu’il est difficile
pour moi de gérer ces moments, car ils me paraissent plus compliqués que ce qu’ils en ont
l’air. Je lui explique que le plus grand défi de l'enseignant, ici, est de se retirer de la
discussion, chose que je n’arrive pas à faire au vue de mes nombreuses interventions. Elle cite
quelques unes de mes interventions lors de la discussion: "oui, très bien", "ok", "On l'écoute,
ce qu'il dit est intéressant". Ici la coordinatrice affirme que je prends position dans la
discussion et attire mon attention sur le fait qu'il manque également un contexte plus précis
pour que les élèves situent mieux l’événement. Finalement les élèves posaient beaucoup de
questions en relation avec le contexte. Elle affirme que ces questions sont cependant
légitimes, sinon les élèves n'arrivent pas à généraliser le problème. Selon elle, les élèves
n'exprimaient qu'une juxtaposition d'idées et je serais ici à côté de mes objectifs de
reformulation, exemplification et autre qui composent la discussion à visée philosophique.
Elle me dit que la régulation à l'intérieur de la discussion est très importante afin de prendre
conscience des déplacements, des relances que j'ai permis, ou non, aux élèves. Il faudrait
selon elle décentrer les élèves le plus possible et trouver des questions qui ne sont pas
jugeantes de la situation.
45
Suite à cette situation, je me pose plusieurs questions sur la manière de gérer un groupe de
discussion. Comment prendre en compte l'entièreté du groupe ? Comment être sûre que les
élèves apprennent quelque chose ? Comment les amener à dépasser le monde qui leur est
proche pour se poser des questions plus existentielles ? Je ressens le besoin d'observer ces
pratiques chez des collègues afin de mieux pouvoir situer le rôle des enseignants lors de ces
moments.
C'est l’image la plus connue de la répression du mouvement démocratique de Tiananmen à Pékin. Elle date pourtant du 5 juin
1989, soit après l'intervention de l'armée contre les étudiants dans la nuit du 3 au 4 sur la célèbre place de Pékin. Elle est devenue un symbole : un homme, sac plastique à la main, fait face à un char, non loin de la place, sur l’immense avenue de la
Paix-éternelle (Chang'an), qui traverse la capitale chinoise d'est en ouest. Le surnom donné au rebelle, « Tank Man », est
resté dans l'histoire, pas son vrai nom, car personne n’a jamais su ce qu’il était devenu.28
3.2 Problématique
Je désire poser ici ma problématique par rapport à mon obstacle majeur qui est ici mon animation et mon intervention du dialogue philosophique. Mon premier feedback sur ma pratique,
fait par ma coordinatrice, me laisse entendre que les élèves n’amènent que des juxtapositions
d’idées et ne procèdent à aucune réflexion.
Il est vrai que dans la plupart des cours de didactique proposés à l’Université tout au long de
mon cursus, j’ai été amenée à réfléchir souvent sur le rôle de l’enseignant.
Institutionnalisation, différenciation, accompagnement, régulation, évaluation et autres sont
tous ces concepts faisant référence à un rôle d’enseignant finalement très directif et exigeant
mais qui pourtant ne semblent pas avoir leur place dans la pratique du dialogue philosophique.
28
Le Monde.fr | 04.06.2014 à 09h47 • Mis à jour le 04.06.2014 à 13h04 | Par François Bougon et Gabriel
Coutagne
46
Après m’être construit une culture pédagogique autour de quatre auteurs précédemment présentés, je rappellerai ici rapidement le point de vue des quatre courants. Rappelons que pour
Lalanne l'enseignant sert de guide aux élèves dans l'élaboration du savoir et est garant de la
cohésion de la réflexion des élèves, tout en s'appuyant sur les apports des élèves par un questionnement ouvert. Lévine lui n’intervient pas du tout lors du débat mais sa présence représente la légitimité et est le cadre pour la gestion du temps et de la parole. Chez Tozzi, l'enseignant
lance les échanges, recadre, relance, interroge, reformule, souligne les points de vues contradictoires, il construit du sens et de la progression au fil du débat, il encourage et valorise.
Chez Lipman, l'enseignant favorise la formulation d'hypothèses, un climat d'écoute et de respect. Il aide les élèves à acquérir les habiletés de pensée. Il se met au service d'une réflexion
collective par la participation du groupe. La place et le rôle du maître est donc bien différente
selon chacun.
Tozzi et Lalanne (2003) problématisent ce rôle d’enseignant "renversé" lors de la discussion
philosophique en classe. Dans leur recherche ils montrent les deux versants opposés que peuvent endosser les maîtres dans leur rôle. En situation d’apprentissage dans des disciplines dites plus « scolaires », le maître possède une posture traditionnelle : il est le maître de la parole, du pouvoir et du savoir.
Cependant, lors des discussions philosophiques, son rôle est inversé et paradoxalement, il
rompt avec sa posture habituelle. Il donne un statut à la parole de l’élève, le maître ne
s’exprime, s’il le souhaite, qu’à un moment où sa parole est pertinente. Son pouvoir peut être
partagé, il peut laisser des responsabilités aux élèves, des fonctions démocratiques, les règles
sont co-construites et le style de travail se veut très coopératif. Aussi, l’enseignant ne cherche
pas à s’imposer comme maître du savoir mais devient développeur d’une culture de la question dans le sens où il ne tranche pas et ne donne pas de réponse. Il n’est plus « supposésavoir » mais un « sujet-sachant-douter ». (Tozzi, Lalane, 2003). Kant, grand philosophe y
faisait déjà référence à son époque dans Critique de la raison pure : « Le professeur ne doit
pas apprendre des pensées, mais à penser. Il ne doit pas porter l’élève mais le guider si l’on
veut qu’à l’avenir il soit capable de marcher de lui-même » (CRDP de l’académie de Paris,
2014, p.3)29.
29
Consulté le 2 août 2016 dans http://crdp.acparis.fr/seanceplus/terredesours/sites/default/files/SeancePlus_TDO_philo_debat.pdf
47
Pour d’autres, la pratique de la philosophie n’aurait pas besoin de passer par une formation
spécifique, en effet, le maître a bien souvent un rôle de retrait et n’intervient que rarement ou
alors sur des exigences générales. Ainsi, Jolibert (2015) questionne de près le rôle de
l’enseignant : « Mais comment prétendre orienter, rectifier, diriger un débat philosophique en
ignorant les bases de cette discipline ? » (p.300). Nous observons donc un réel questionnement sur le rôle des enseignants dans la pratique de la philosophique actuelle. Les pédagogues avancent leurs idées sur le sujet, mais que se passe-t-il dans les pratiques réelles des enseignants? Ainsi, je souhaite me pencher sur cette question afin de comprendre les pratiques
de classe réelles.
3.3 Questions de recherche
Dans le cadre de ma recherche et en lien avec mon expérience personnelle décrite ci-dessus,
les questions que je me pose sont les suivantes:
Au-delà des théories, comment les enseignants pratiquent-ils le dialogue philosophique
en classe ? Que font-ils et que disent-ils en faire?
 Quel rôle prend-il dans l'animation des dialogues philosophiques ?
 Ce rôle est-il différent des autres disciplines ?
 Comment se place l'enseignant lors de ces moments de discussion ? Comment pense-til ? Qu’attend-il de ses élèves comme production ? Qu'attend-il que ses élèves apprennent ?
 Quelle est l'intervention de l'enseignant dans ces moments de discussion ? Intervient-il
un peu ? beaucoup ? passionnément ?
 Est-ce que les enseignants attendent que les élèves construisent des savoirs ? Quels
sont ces savoirs? Formalise-t-il lui-même ou laisse-t-il cette tâche aux élèves? Institutionnalise-t-il ? Par quels moyens ?
 Quels sont les critères que les enseignants se donnent pour pouvoir affirmer que leurs
élèves font bien de la philosophie en classe ?
 Quelles compétences doit-il avoir pour pouvoir animer une discussion à visée philosophique ?
 Que font les enseignants dans ma situation ? Pourquoi font-ils ce qu'ils font ? Quelles
sont leurs bonnes raisons de faire ce qu'ils font ?
48
IV. Méthodologie
Je vais exposer dans ce chapitre la méthodologie que j’ai utilisée pour pouvoir répondre à
mon questionnement initial.
Je propose ici d’explorer mes questionnements en prenant appui sur une méthodologie faisant
appel à la théorie ancrée, fortement prônée par Glaser et Strauss. En effet, cette méthode de
recherche vise à construire et trouver des hypothèses à partir des données que peut récolter le
chercheur sur le terrain. Je m’inscris donc dans une recherche qualitative. Elle peut paraître
déconcertante dans un premier temps mais le but de ma recherche n’est pas de faire des hypothèses sur l’inscription des enseignants questionnés dans certaines catégories, mais de faire
ressortir des éléments théorisables à travers leurs discours, afin de comprendre ce qui fait
sens. Ainsi, pour que ma recherche soit la plus proche possible du terrain et des pratiques enseignantes, je décide de partir des données pour arriver à la construction d’une théorie permettant ainsi concordance avec la pratique. Ainsi, je souhaite comme Glaser & Strauss « systématiser la collecte, la codification et l’analyse des données qualitatives en vue de produire de la
théorie ». (2012, p.104)
4.1 Démarche de recherche
Pour pouvoir commencer ce travail, je me suis penchée sur quelques concepts « locaux »
comme les nomment Glaser et Strauss, permettant de me fabriquer une base afin de fonder ma
théorie. Ainsi, comme l’affirment Glaser et Strauss (2012): « le sociologue doit en outre disposer d’une sensibilité théorique suffisamment développée pour pouvoir conceptualiser et
formuler une théorie en train d’émerger des données » (p.139). Pour ce faire, j’ai construit ma
revue de littérature sur quatre différents courants existants concernant la pratique de la philosophie en classe (Lalane, Tozzi, Lipman et Lévine), puis, je me suis penchée sur quelques
concepts plus précis concernant cette pratique comme : les objectifs que nous trouvons dans
celle-ci, le rôle et le statut de l’enseignant, la formation de ce dernier, la planification des
séances, la formalisation des savoirs, les régulations et autres…
De plus, afin de pouvoir répondre aux questionnements qui ont émergés tout au long de ce
travail, j’ai décidé d’utiliser la démarche compréhensive (Charmillot & Dayer, 2007).
Max Weber (cité par Kaufmann, 2011) la définit comme telle :
49
La démarche compréhensive s’appuie sur la conviction que les hommes ne sont pas de simples
agents porteurs de structures mais des productions actifs du social, donc des dépositaires d’un
savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du système de valeurs des individus. (p.24)
En effet, au contraire d’une démarche explicative qui est de prélever sur le terrain des réponses à des questions, j’ai préféré vouloir écouter et comprendre les enseignants rencontrés pour
construire du sens à partir de leurs expériences, afin de rendre mon analyse riche et proche du
terrain. La méthode compréhensive demande une certaine proximité entre le chercheur et
l’informateur ce qui rend la recherche d’informations plus authentique et sincère.
J’utiliserai donc une méthode exploratoire, me permettant, suite à l’élaboration de ma revue
de littérature, de récolter des données sur le terrain par le biais d’entretiens semi-directifs. En
effet, en contact avec la réalité, les participants ont pu me fournir de précieuses informations
concernant leur pratique de classe réelle.
Ma recherche et récolte de données sont au service de la production d’une meilleure compréhension de la pratique des enseignants du dialogue philosophique en classe. Elle sera qualitative.
[…] le chercheur partisan de l'approche qualitative n'essaie pas d'abord de quantifier les phénomènes observés afin d'établir des corrélations. Il tente plutôt de saisir la réalité telle que la
vivent les sujets avec lesquels il est en contact; il s'efforce de comprendre la réalité en essayant
de pénétrer à l'intérieur de l'univers observé ». (Poisson, Y. 1983, p.371)
J’ai choisi cette démarche, car elle me paraît la plus adaptée pour pouvoir répondre à mon
questionnement sur le rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue philosophique. En effet, en observant quelques pratiques dans mon parcours de formation, j’ai eu l’impression que
quelque chose était à comprendre autour de l’engagement de l’enseignant dans cette pratique.
Ainsi, j’ai décidé de partir de pratiques ordinaires en questionnant la gestion du dialogue philosophique en classe, les choix et les options prises par les enseignants, tout en comprenant
pourquoi ils font comme ceci, pour petit à petit affiner et organiser mes questions (Kaufmann,
1996).
50
4.2 Instrument de recueil de données : la grille d’entretien
Rappelons que concernant les entretiens en sciences humaines et sociales permettent de donner la parole à l’informateur afin de mieux comprendre comment il agit, sa pensées et ses actes. On cherche donc à mieux comprendre l’autre. L’entretien était donc un bon instrument de
recueil de donnée pour mon travail, car il m’a permis d’explorer ce qui est réellement fait
dans les classes.
Rappelons qu’ils sont de trois types : l’entretien directif, l’entretien semi-directif et l’entretien
non directif. Dans mon travail, l’entretien semi-directif est l’outil que j’ai choisi pour récolter
mes données. Dans ce type d’entretien, les questions sont ouvertes. On se rapproche plus de la
discussion car les thèmes sont prédéfinis et les questions peuvent être posées dans un ordre
quelconque. Le chercheur peut demander des approfondissements et laisse venir
l’informateur. Il peut cependant lui poser des questions non traitées par l’informateur. Il laisse
libre choix à l’interviewé de s’exprimer mais garde en tête les objectifs fixés par son entretien.
Concernant ma recherche, j’ai donc décidé de me baser sur des entretiens semi-directifs, correspondant le mieux à mes attentes, car les questions permettent au chercheur et à l’interviewé
de pouvoir compléter, relancer certaines questions, ou encore recadrer la discussion. J’ai donc
élaboré une grille d’entretien très souple, permettant d’élargir ou approfondir certains points
au moment de l’entretien. Pour ce faire, j’ai construit une grille en partant de cinq points centraux (sous-thèmes) possédant chacun des questions y faisant référence. Kaufmann (2013)
affirme également que la grille est construite comme un objet scientifique « […] en travaillant
à la cohérence, en renforçant ce qui est central, en contrôlant ce qui est périphérique, en éliminant sans faiblesse ce qui est superflu ». (p.45)
Dans mon guide d'entretien, que vous retrouverez en annexe30, nous retrouvons quatre parties
principales.
En préambule, l'ouverture de l'entretien avec quelques indications concernant sa passation
pour l'enseignant.
Une première partie est avec des questions concernant une situation problématisante et questionnante décrite sous forme de récit, que vous retrouverez également en annexe31. Cette partie est plus générale, les questions moins pointues, permettant d’élaborer des questions de
30
31
Voir annexe, “grille d’entretien” p.157
Voir annexe, “situation problématisante” p. 158-159
51
sous-thème pour la suite de l’entretien mais qui n’ont pas été forcément été décrites dans le
guide d’entretien.
Une deuxième partie avec des questions plus générales ; une sous-partie sur la pratique de la
philosophie en classe par le dit enseignant et une autre sur le rôle de l'enseignant lors des discussions à visée philosophique.
Finalement, une conclusion de l'entretien qui a permet de remercier l'enseignant interviewé et
de lui laisse la possibilité de s'exprimer davantage et sur d'autres points du sujet s'il le désirait.
Avant de pouvoir me lancer dans la recherche d’information, une demande d’autorisation sous
forme de dépôt de projet a été adressée à la commission d’éthique afin de garantir le respect
de valeurs éthiques de ma recherche. Suite à cet accord, chaque informateur a été informé des
objectifs généraux de la recherche, de la procédure et de la durée des entretiens à travers un
formulaire de consentement.
Afin de permettre un entretien plus naturel, je me suis appropriée ma grille plusieurs fois
avant de rencontrer les enseignants. Elle était bien sous mes yeux au moment de la rencontre
mais le fait de la connaître m’a permis de pouvoir jongler et poser les questions dans des moments plus appropriés que si elles étaient simplement énumérées les unes après les autres.
Ainsi, la conversation était plus riche qu’un listing pointé dans un ordre précis, permettant de
faire parler les informateurs tout en restant dans le thème. Cependant, nous pouvons remarquer que même si les points centraux et les sous-questions ne sont pas traitées dans le même
ordre pour chacun des interviewés, les questions concernant un même sous-thème sont par
contre regroupées. Il est donc primordial de ne pas scinder les sous-thèmes afin d’éviter de
passer trop rapidement sur des informations précieuses, couper trop court, risquant de perdre
des informations relatives à ces points.
4.3 Choix de l’échantillon d’étude
Concernant l’échantillon d’étude, j’ai décidé d’interviewer des enseignants pratiquant de manière régulière le dialogue philosophique avec leurs élèves et possédant une certaine expérience. En effet, ce qui m’intéresse est de voir comment un enseignant qui se déclare faire du
dialogue philosophique en classe prend en charge son rôle dans ces moments-là. Ainsi, dans
le cadre de ma recherche compréhensive, j’ai décidé d’interviewer six enseignants en procé-
52
dant à des entretiens individuels semi-directifs. Pour ce faire je me suis appuyée sur deux
principaux critères pour choisir mes informateurs :
 L’enseignant-e se déclare pratiquer le dialogue philosophique en classe plus ou moins
régulièrement.
 L’enseignant-e a une expérience dans la pratique du dialogue philosophique en classe
d’une année minimum.
De plus, j’ai pu rencontrer des enseignants de tous horizons scolaires, écoles publiques, écoles
privées, pédagogies actives et autres, ce qui pour ma part ne doit pas être un critère
d’élimination. La diversité dans laquelle les enseignants évoluent permet bel et bien de choisir
les informateurs, comme le veut la démarche compréhensive et non se satisfaire d’un échantillon représentatif. Ainsi, plus que de constituer un échantillon, il est davantage important de
bien choisir ses informateurs.
4.4 Conduite d’entretiens
Afin de pouvoir rendre les interviewés à l’aise et en confiance, je leur ai laissé libre choix de
l’heure et du lieu dans lequel ils désiraient que nous nous rencontrions. Dans la plupart des
cas, l’objet d’étude et le but de la rencontre ont très souvent été annoncés à l’avance par un
texte présentant de manière synthétique ma recherche. Certains enseignants ont su profiter de
ces informations pour réfléchir au préalable à quelques points qu’ils souhaitaient aborder avec
moi. Ainsi, chaque entretien commençait avec un remerciement de ma part d’avoir pris le
temps de me répondre et de me recevoir pour cet entretien. Nous avons également discuté au
début comme à la fin de manière informelle afin de pouvoir prendre contact et nous connaître
plus. Ensuite, avant de commencer, j’ai demandé aux interviewés de signer le formulaire de
consentement et demandé leur accord pour mettre en route mon dictaphone. Tous ont accepté,
ce qui m’a permis une plus grande finesse dans les transcriptions et les analyses qui ont suivi.
Les enseignants ont eu connaissance, en début d’entretien, de la situation éducative complexe
précédemment présentée, leur permettant de s’imprégner d’une situation concrète mettant en
jeu le rôle de l’enseignant. Après que la situation complexe leur ait été exposée, ils ont pu me
poser des questions des clarifications sur la situation. Je leur ai, dans un premier temps, demandé de s’exprimer sur cette situation complexe. Puis au fil de la discussion des questions
plus ciblées ont été posées.
53
L’entretien s’est déroulé sous forme de conversation guidée et non sous forme
d’interrogatoire, ce qui a permis d’obtenir la confiance des enseignants. Dans cette optique,
j’ai tenté de me rapprocher le plus possible des situations réelles en proposant d’emblée une
situation personnelle (situation problématisante), afin que les enseignants essaient, eux, de
l’expliquer. J’ai fait preuve d’une écoute attentive, ce qui parfois a fait dépasser le temps prévu de l’entretien, car se sentant à l’aise et écoutés, les informateurs se sont parfois lancés dans
plusieurs anecdotes s’éloignant du sujet de base. C’est pourquoi les questions traitées par chaque entretien ne se situent jamais dans le même ordre, car elles ont été intégrées selon les
thèmes et la direction au fil de la discussion.
4.5 Présentation de l'échantillon de l'étude
Je présenterai ici les enseignants32 ayant pris part à l’entretien semi-directif proposé. Le choix
a été fait sur la base de plusieurs critères: les enseignants se déclarent pratiquer la philosophie
en classe, la pratiquent régulièrement et depuis un certain nombre d'années. Ils ont ainsi une
pratique installée et ont développé une réelle pratique des savoirs, des routines, des savoirfaire vers auxquels je souhaite accéder.

Aline : Enseignante dans une école de campagne publique genevoise, elle enseigne cette
année dans un triple degré, 6-7-8ème primaire Harmos. Elle enseigne depuis 25 ans et a
commencé le dialogue philosophique en classe il y a maintenant 8 ans.

Brigitte : Enseignante dans le canton de Genève dans une école publique située en campagne genevoise, elle travaille cette année avec des élèves de 6ème primaire Harmos et enseigne depuis 2 ans et demi. Elle pratique la philosophie également depuis deux ans et
demi.

Chloé : Cette enseignante enseigne actuellement dans une classe de 6ème primaire Harmos. Cela fait 10 ans qu’elle enseigne. Elle pratique le dialogue philosophique en classe
depuis 5 ans. Elle travaille actuellement dans le public mais elle a travaillé auparavant
dans le privé

David : Enseignant dans une école privée à Genève, ses élèves ont entre 8 et 9 ans. Cet
enseignant exerce son métier de cœur depuis 30 ans et a commencé la pratique de la philosophie en classe il y a 15 ans.

Eléonore : Enseignante dans une école Active à Genève, école privée, elle pratique la philosophie depuis le début de sa carrière. Elle enseigne depuis maintenant 12 ans et travaille
32
Prénoms fictifs
54
cette année avec une classe de 5ème-6ème primaire Harmos. Se former en philosophie était
une condition à son engagement dans cette école.

Fabienne : Cette future enseignante a pratiqué pendant 6 ans le dialogue philosophique en
classe comme intervenante externe. Elle n’est pas enseignante de formation et de métier
mais intervient dans des écoles pour faire spécifiquement de la philosophie. Elle ne possède pas de classe cette année car elle est actuellement en formation pour devenir enseignante. Elle intervient en primaire autant dans des écoles privées que publiques.
4.6 La fabrication de la théorie, démarches d’analyse
Une fois les entretiens passés, la partie la plus importante commence dans cette deuxième étape : il s’agit de l’investigation du matériau. Il faut maintenant traiter les données récoltées.
Pour ce faire, Kaufmann insiste sur le fait que les éléments de théorisation ne sont pas uniquement présents dans la quantité de matériau récolté mais qu’ils dépendent de la capacité
analytique du chercheur. Ainsi, dans sa méthode que j’ai suivie, il propose de faire parler les
faits, écouter à maintes reprises les enregistrements et se situer dans une attention flottante en
investiguant le matériau de manière active. Comparant sa méthode à une investigation policière, Berger (1973) affirme que « l’enquêteur de terrain veut tout voir, tout savoir, surtout ce qui
se cache, il veut ouvrir toutes les portes fermées ou au moins jeter un coup d’œil par le trou de
la serrure » (cité par Kaufmann, 2011, p.75). Cette méthode se veut très riche des histoires de
vie de chacun mais il faut aussi prendre garde au « passage délicat du perceptuel vers les
conceptuel » pour lequel Laé (1992) (cité par Kaufmann, 2011, p.76) nous demande d’être
vigilants. Afin de favoriser ce passage pour qu’il se construise progressivement, la théorie se
construit sous forme d’aller-retour entre les faits et les hypothèses. Kaufmann propose donc
de travailler à partir des entretiens retranscrits en partie (ils seront dans mon travail entièrement retranscrits afin de pouvoir profiter d’un contexte plus précis et d’un matériau plus facile
à travailler pour ma part). Lors des écoutes ou lectures répétées des interviews, Kaufmann
propose de se pencher sur des points précis répondant au critère « c’est intéressant ». Il propose également de rédiger des fiches.
Ainsi, j’ai cherché à « fabriquer » de la théorie fondée à partir des savoirs professionnels. En
effet, la méthode de Glaser et Strauss propose pour ce faire d’investiguer les matériaux de
manière active en pratiquant l’attention « flottante ». Après avoir retranscrit les matériaux de
manière fragmentée, en ôtant quelques fables racontées par les informateurs, j’ai, dans un
premier temps mis en couleur dans les transcriptions les éléments se ressemblant, traitant du
même sujet. Par la suite j’ai procédé par mémos, d’abord ceux regroupant les différents thè55
mes, puis après, plus en finesse, j’ai cherché dans chaque thème les ressemblances et variations à propos des éléments apportés par les informateurs dans chacune des questions posées.
Comme le disent Glaser et Strauss (2012) : « En comparant les similarités et les différences
entre les faits, nous dégageons les propriétés des catégories, ce qui accroît alors leur généralité
et leurs capacités explicatives ». J’ai ensuite reproduit pour chaque question un tableau. Dans
celui-ci nous trouvons la question puis les différentes réponses des enseignants. En dessous,
un texte fait état d’une part des ressemblances et d’autre part des variations. Finalement, ce
travail que vous retrouvez dans la restitution de données se termine par une synthèse propre à
chaque question. Par la suite, concernant l’analyse, le travail effectué autour de la recherche
de thèmes m’a permis de faire de grands rapprochements avec mon cadre conceptuel mais
m’a également demandé de creuser encore plus en allant chercher dans la théorie des éléments
se rapportant à ceci. Suite à cela, je suis entrée dans une phase de formulation d’hypothèses et
d’interprétations durant laquelle j’ai dû faire attention à rester objective afin de ne pas faire
dire à l’informateur ce qu’il n’aurait pas affirmé et surtout rester près des données, ne pas extrapoler, surinterpréter, ou mettre dans la tête des acteurs des éléments qu’ils n’auraient pas
dits.
56
V. Présentation et discussion des résultats
5.1 Restitution des données
Suite aux entretiens, il a été nécessaire de procéder à l’analyse du discours des différents enseignants. Cette dernière étape consiste « […] à sélectionner et extraire les données susceptibles de permettre la confrontation des hypothèses aux faits » (Blanchet & Gotman, 2010,
p.89). Etant dans une recherche compréhensive, j’analyse donc mes données de manière qualitative afin de mieux comprendre pourquoi les enseignants agissent de la sorte en classe et
quelles sont les raisons qui les poussent à faire ainsi. Comme Gotman et Blanchet (2010) le
proposent, je vais analyser les données en les traitants par des thèmes, ressortis lors des entretiens.
Plusieurs étapes ont eu lieu dans mon analyse. Après la retranscription des entretiens, j’ai regroupé les réponses aux mêmes questions afin de dégager les régularités ou variations présentes dans chacune d’entre elles. Afin de pouvoir travailler de manière lisible, j’ai associé une
couleur à chaque récurrence de thème, afin de pouvoir dégager une récurrence. Par la suite,
j’ai procédé aux variations en cherchant les avis différents par rapport aux thèmes et je les ai
mis en lien avec les récurrences.
Ci-dessous, je procéderai tout d’abord à la restitution des données par questions puis une synthèse suivra chacune des questions.
Dans le chapitre suivant, je mettrai en avant les thèmes retenus en liens avec le cadrage théorique et le discours des enseignants interviewés. J’ai choisi, ci-dessous, de remettre quelques
longues citations, et je remercie d’avance le lecteur d’être compréhensif de la longueur ainsi
que de la taille des données présentes dans les tableaux grisés. Cette procédure, en lien avec
ma méthodologie, permet de mettre en évidence la manière dont j’ai repéré différents thèmes
à travers les entretiens. Sous chaque tableau, le lecteur trouvera une synthèse des éléments
repérés dans celui-ci. Une partie comporte les régularités et une autre les variations trouvées
dans les réponses.
*
*
57
*
Note au lecteur :
Dans cette partie « restitution de données », j’ai fais le choix de traiter les questions les unes
après les autres. Vous trouverez au-dessus des encadrés gris, les questions posées aux informateurs lorsd des entretiens. Le tableau regroupe les éléments de réponses apportés par les
informateurs. Ce sont des parties extraites des retranscriptions. Les numéros des lignes vous
renvoient aux annexes en fin de travail.
Question posée aux enseignants :
1.1 Qu’est-ce que la philosophie/philosopher pour l’enseignant-e ?
Réponses des enseignants :
Aline
L. 73 à 74
C'est vraiment penser, penser ensemble, construction de la pensée, c'est vraiment une communauté de recherche la pensée.
Brigitte
L.108 à 109
Philosophie, philo c'est en grec, aimer la sagesse. Donc pour moi, c'est également aimer utiliser
les bons mots.
Chloé
L.226 à 236
Pour moi, c’est l’idée de faire des liens avec les idées des autres et puis de co-construire quelque
chose. Et je pense que c’est ultra nécessaire dans le monde dans lequel on vit et pour eux, en tant
que citoyens, de réussir de se décentrer, de réussir à prendre ses propres décisions, de pas être
influencé forcément par ce qu’il se passe et puis c’est pas facile de mettre en doute ses propres
idées, et je trouve que c’est ça qui est intéressant dans la philo pour enfant. « Ok tu penses ça,
mais est-ce que c’est vrai ? Est-ce que ce n’est pas vrai ? Et est-ce que c’est vrai parce que c’est
papa qui l’a dit ? Est-ce que, enfin, est-ce que c’est seulement vrai parce que c’est papa qui l’a
dit ? » Ou oui, de réussir de se décentrer et de prendre en considération les idées des autres, et
pourquoi il n’a pas les mêmes idées que moi ? Et est-ce qu’il fait un bout et moi un bout dans ma
réflexion et finalement on voit qu’on arrive quand même à construire ensemble.
David
L.242 à 251
Apprendre à mieux penser. Donc c’est développer des habiletés de pensée, ça c’est clair. Mais
c’est le truc qu’on voit partout, développer une pensée critique, ça c’est important. « Qu’est-ce
qui te permet de dire ça ? Pourquoi ? " Ça c’est hyper important pour en faire des citoyens libres,
libres parce qu’ils seront capables d’opérer des choix avec des jugements raisonnés et non pas
avec la bonne idée de machin qui a une bonne tête et qui est copain avec un tel. Vraiment c’est
leur faire prendre la distance. Vous verrez que petit à petit ça va coloniser tout ce que vous allez
faire dans la classe, vous pourrez plus faire les maths de la même façon. Et souvent, les enfants
me disent "Mais attends, on fait des maths ou de la philo ?" "Non, non, on fait des maths."
« Mais en maths aussi on peut se poser des questions.» « Oui, oui. » Et vous ferez des choix qui
iront dans ce sens-là.
Eléonore
L.372 à 375
Développer l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophique,
dans tous les domaines. Et voilà, faire en sorte que les enfants ne soient pas des moutons, mais
les considérer comme des personnes à part entière, comme le disait Dolto. Ca reste des enfants,
donc on est là pour les aider à développer sa pensée critique.
Fabienne
L.109 à 133
Pour moi justement, l’idée c’est de permettre aux élèves de développer leur pensée. Alors, comment est-ce qu’on essaie de développer leurs idées ? On essaie de donner du sens à des choses
58
qui nous entourent. En philo pour enfant, l’idée c’est de leur permettre de se construire du sens
par rapport aux choses, aux événements, aux situations de leur environnement ou des choses
qu’eux vivent tous les jours. Donc c’est pour ça que c’est important de partir de leurs questionnements et de soutenir ce processus là, qui est un processus qui se fait dans la mise en commun
des différente expériences et des différentes pensées, qui sont les différentes réflexions des élèves. Tout d’un coup, l’objet dont on parle commence à prendre une épaisseur et c’est dans cette
épaisseur là qu’on trouve du sens, parce que quand le sujet, si les gens partent du début de la
leçon ou la fin de la leçon de l’idée que la guerre c’est ça et la paix c’est ça, c’est probablement
un peu pauvre, parce que c’est plus complexe. On sent bien que la situation, la guerre, la violence la paix ça peut être un continuum, y a des moments où ça casse et le fait de complexifier la
notion je trouve que c’est ça qui est important et tout d’un coup on se rend compte qu’il y a des
dimensions éthiques, de différents ordres, des dimensions politiques, stratégiques. Il y a beaucoup de dimensions. C’est un phénomène qui est quand même social, qui existe partout, parce
que la guerre c’est la violence, c’est la même chose. Donc c’est en densifiant le phénomène
qu’on commence à mieux comprendre de quoi il s’agit, parce que si c’est un truc clair et net,
c’est une fois pour toutes on a une définition claire et nette, c’est oui, c’est peut-être un petit début de quelque chose, mais ce qu’il faut c’est enrichir cette pensée. Donc, bien sûr il y a des
connaissances qu’on peut apporter, mais ce qui fait vraiment qu’on arrive à s’élever dans sa pensée, c’est justement quand on arrive un peu à la produire par soi-même. Aussi, quand on arrive à
l’alimenter avec des choses, les choses prennent tout leur sens, on fait des liens qu’entre les choses et à mon avis, en philo, c’est ce qu’on essaie de faire. C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités observées autour des définitions attribuées à la philosophie pour enfants

La philosophie comme construction d’une pensée
Nous pouvons relever quelques régularités dans les paroles des enseignants. Pour Aline, la
philosophie est l’idée d’une construction de la pensée. Pour Chloé c’est une « coconstruction » et pour Fabienne c’est « une construction de sens ». Nous observons ici que la
pratique de la philosophie est une construction de sens ou/et de pensée pouvant se faire au
contact d’autres personnes. Fabienne confirme que la pratique du dialogue philosophique
donne « du sens à ce qui nous entoure ».

La philosophie pour faire des liens dans différents domaines
De plus, la philosophie serait également « l’idée de faire des liens avec les idées des autres »
(Chloé), soit faire des liens entre différentes choses faites à l’école (Fabienne). David ajoute
également « vous verrez que petit à petit ça va coloniser tout ce que vous allez faire dans la
classe, vous pourrez plus faire les maths de la même façon ». Nous retrouvons dans cette définition donnée par les enseignants une question de liens se créant entre les personnes et entre
ce qui est vécu dans les différentes disciplines à l’école. Eléonore ajoute aussi que cette pratique permet « une rigueur philosophique dans tous les domaines ».
Ainsi, la pratique de la philosophie en classe permettrait « en tant que citoyen de réussir à se
décentrer » comme le dit Chloé ou encore à « en faire des citoyens libres, libres parce qu’ils
seront capables d’opérer des choix avec des jugements raisonnés » (David). Ces deux enseignants possèdent donc une vision de formation citoyenne à travers cette pratique.
59

La philosophie comme développement de la pensée de l’enfant
Outre ceci, elle est pour certains d’entre eux la possibilité pour les enfants de développer
quelque chose. Pour David et Eléonore, il s’agit de développer les habiletés de pensée, nécessaires à la construction d’une pensée critique chez les élèves. Nous retrouvons ici une forte
référence aux mouvements de Lipman/Sasseville. Pour Eléonore, il s’agira également de pouvoir « développer sa pensée critique », « développer l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophique». Fabienne, pour sa part, parlera de « développer leur pensée ». Nous observons donc l’importance de l’idée d’un développement que permettrait la philosophie chez les élèves, même si, dans les termes, les enseignants nuancent ce
qu’ils attribuent au développement.

La philosophie comme moyen pour accéder à la liberté de penser
Philosopher rime également avec rendre les élèves capables « d’opérer des choix avec des
jugements raisonnés », « leur faire prendre la distance » (David), sans « être influencé »
(Chloé) par des agents extérieurs afin que « les enfants soient pas des moutons » (Eléonore).
Chloé attendra de ses élèves qu’ils arrivent à « se décentrer et de prendre en considération les
idées des autres » et « en tant que citoyen de réussir de se décentrer, de réussir à prendre ses
propres décisions ». L’idée soulevée ici est celle de la volonté de donner aux élèves conscience du libre-arbitre qu’ils possèdent et de l’utiliser. Fabienne partage également cette idée :
« ce qui fait vraiment qu’on arrive à s’élever dans sa pensée c’est justement quand on arrive
un peu à la produire par soi-même » et « à mon avis en philo c’est ce qu’on essaie de faire.
C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser ».
B. Quelques variations autour des définitions de cette pratique

Philosopher c’est utiliser les bons mots, apprendre à mieux penser et se considérer comme personne à part entière
Les définitions proposées par les enseignants sont variées mais j’ai regroupé ci-dessus des
idées que nous retrouvons chez tous. Cependant, quelques-uns apportent des idées non évoquées par les autres enseignants.
De manière individuelle, les enseignants ajoutent que pour eux la philosophie est également
une façon de penser ensemble (Aline), d’ « aimer utiliser les bons mots » (Brigitte). C’est
aussi « apprendre à mieux penser » pour David. Nous observons donc chez tous les participants un réel enthousiasme à mettre en place cette pratique, car elle apporterait pour tous des
bienfaits, comme ils le décrivent. Eléonore ajoutera, pour sa part, que les enfants sont « à
considérer comme des personnes à part entière ».
60
Question posée aux enseignants
1.2 Pourquoi l’enseignant-e pratique-il la philosophie avec ses élèves ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.76 à 84
Je trouve que déjà au niveau du groupe classe, ça amène une cohésion vraiment de classe et ils
savent que, pendant ce petit moment-là, il y a vraiment du respect, mais pas du respect comme
on en parle tout le temps, il faut respecter ses camarades, pour finir ça devient bateau. Non, le
respect dans le sens où il y en a certains qui disent des choses qu'ils ne diraient pas autrement et
ça reste dans notre bulle. Alors, je leur dis toujours qu’ils peuvent très bien en parler à leurs parents, car il n’y a pas de raison. Mais ils savent qu'il n'y a jamais quelqu'un qui va se moquer
d'eux parce qu'ils ont dit quelque chose à ce moment-là. Et c'est un moment particulier. Et c'est
aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe, il y a très peu de
moments où on leur donne la parole. Et je trouve ça important.
L. 86 à 98
Je vois que souvent ça arrive qu'on fasse un dialogue philo et certains viennent me dire qu'ils ont
un peu continué à la maison, car quand on fait un dialogue philo on est vraiment en recherche et
c'est pas dit qu'on trouve des réponses, et la plupart du temps ils repartent avec plein de questions, mais ils ont construit leur pensée avec celle des autres et ce qu'ils me disent très souvent,
c'est que souvent ça leur fait du bien de se rendre compte que leur pensée n'est pas toujours si
différente de celle des autres. C'est une cohésion de pensée et ils peuvent aussi revenir sur ce
qu'ils pensaient. Des fois ils me disent "ah moi je pensais comme ça, que c'était comme ça et
voilà" et en fait, d'entendre les autres, ils construisent leur pensée autrement. Et je trouve qu'au
niveau de l'esprit critique c'est très important, parce qu’on ne prend pas les choses comme ça et
c'est comme ça. Non, on y pense, on recherche des critères et pourquoi on pense comme ça. On
donne des raisons, on fait des hypothèses, on donne des exemples et il y a tout de suite des
contre-exemples qui font que ça remet en question et je trouve ça important.
Car mon but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dedans une posture réflexive. Et les élèves adorent. C’est vraiment que là, c'est très scolaire tout ce que j’ai vu (me
montre la SEC).
Brigitte
L.125 à 127
L.230 à 234
Moi, mon but c’est pas de réguler un comportement aux élèves, mais c’est dans un but de réfléchir et pratiquer un débat. D'ailleurs dans COROME ça a un nom, le débat régulé, c’est vrai que
moi j’ai pas l’objectif de vouloir réguler les comportements, c’est réfléchir sur le sujet. Finalement, je reste très peu de temps sur la situation elle-même, j’essaie vraiment par des questions de
relances, de prendre une hauteur sur le sujet, et finalement arriver au concept.
Chloé
L.238 à 281
Alors moi, à la base j’ai fait de la philo pour enfants totalement par hasard, parce qu’en fait celle
qui était responsable de ça dans mon école, elle partait vivre au Canada. Puis elle était tellement
positive sur ça, et je l’entendais tout le temps parler de ça, que je me suis dis : bon, je vais aller
voir de quoi ça en retourne parce que j’ai un peu la bougeotte, et je suis un peu curieuse de tout.
Puis quand même, ça me titillait cette histoire de faire de la philo avec les enfants et quand j’ai
vu, quand j’ai participé aux séances avec les enfants, je me suis dis : « non, mais c’est juste magnifique. Il se passe des choses merveilleuses. Et puis les enfants ont la parole, ce qu’à l’école ils
n’ont pas. » Et c’est, clair là-dessus, les enfants on leur impose tout et l’autre jour on a fait une
séance sur la liberté et à un moment donné, bah il y a en a un qui dit : « bah à l’école, on est pas
libres. » Et puis je me suis dit « Est-ce qu’il y a des moments à l’école quand même où vous
vous sentez libres ? » Evidemment, à la récréation, à la gym, je m’attendais un peu à ça, quand je
fais du dessin ok. C’est marrant, quand je fais des maths y a personne qui m’a dit ça. Euh après y
en a quand même qui m’a dit « quand je fais mes devoirs », alors là, bon [rires], non je ne suis
pas enseignante là. Tu sais certains ils ont, je fais un détour, ils ont tellement bien compris le rôle
de l’école et leur posture en tant qu’élèves qu’ils doivent se formater aux attentes de
l’enseignante, qui doivent répondre parce que je veux être dans le plaisir de l’enseignante, dans
ce qu’elle désire, que tout d’un coup quand on les met face à réfléchir eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais désarçonnés, et tout d’un coup ils savent plus ce qu’on attend
d’eux, parce qu’on attend eux-mêmes. En fait moi, j’ai remarqué, très, très souvent, que c’est les
élèves les plus scolaires, les meilleurs, qui aiment pas participer, et puis bah y a un moment don-
61
né y a un de mes petits terribles de ma classe qui dit « non, mais on va arrêter avec ça parce qu’à
l’école on est pas libre, on est dans un cadre toute la journée, alors faut arrêter de dire qu’on est
libre à l’école, c’est pas vrai.» Ensuite, on a pu enchaîner là-dessus, mais ça m’étonnait juste pas
que ca vienne de lui. Mais c’est des moments où lui il arrive à exprimer… et souvent il fait avancer la discussion, parce qu’il n’est pas dans la réponse attendue aussi. Donc moi, pourquoi je fais
de la philo, c’est aussi pour ça. Je me souviens aussi de, c’est Michel Sasseville qui racontait ça,
il a été faire une présentation dans une école je sais plus où et il avait fait un moment de philo
avec les élèves et les profs regardaient. Ca se passait super bien et d’un coup y a une prof qui, à
la fin de la séance part en larmes, puis bon, il était un peu gêné, et elle disait « oh mais c’est Kevin, Kevin… » Et il dit « oui, mais qu’est-ce qu’il se passe avec Kevin, c’était super effectivement… » C’était un petit chou qui avait vraiment fait, voilà, et elle lui dit « ah, mais vous vous
ne rendez pas compte, tous les problèmes qu’il me pose, il est en échec, j’ai toutes les peines du
monde à le faire entrer dans la tâche, il met les pieds au mur pour tout.» Et puis en fait, juste de
le voir autrement, ça l’avait tellement touchée qu’elle en était aux larmes et je crois que c’est
aussi ça, ça apporte un autre regard. Et puis finalement, pour l’enseignant c’est parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur, parce que c’est pas tout facile mais ça fait du bien un
peu de pas rester, de pas être tout le temps dans juste la transmission du savoir, cette coconstruction est hyper intéressante. Et moi je ne sais pas, je suis comme les élèves, je ne sais pas
plus que toi et je ne viens pas avec mes savoirs « alors l’amour c’est tatatata… » Et puis finalement, c’est aussi intéressant pour eux de se rendre compte que ok, l’adulte sait pas tout le temps
tout, et puis l’admettre : « attends, moi je sais pas plus que toi, mais on va aller ensemble, on va
y arriver. » Et puis je trouve que ça c’est hyper intéressant qu’ils aient du recul là aussi.
David
L.254 à 264
Alors, si on a développé cette école pilote, on est persuadé que le rôle de l'école c’est faire mieux
penser les enfants. Ca c’est clair que bien souvent, on leur demande pas de penser, mais ce qu’on
leur dit de faire, et puis de raconter ce qu’ils ont compris, de raconter les faits mais avec assez
peu de connexions avec des concepts. Qu’est-ce qui m’a fait choisir ça ? Je me suis dit que ça
allait me faciliter la vie, que de toute façon ils allaient être plus efficaces dans leur raisonnement,
que de toute façon en maths ça allait se retrouver, en grammaire ça allait se retrouver, s'ils aimaient la philosophie ça leur donne une autre vision de l’école et ça les aide d'avoir une estime
d'eux même qui va augmenter. Et j'ai des vidéos où les enfants disent "La philosophie ça m'aide à
avoir confiance en mathématiques", et on lui dit "Pourquoi?" "Car je sais que quand je fais de la
philo je suis intelligente et du coup j’ai moins peur de faire des maths". Donc je pense que tout
cet aspect « estime de soi » est important.
Eléonore
L.169 à 181
Je le fais pour développer leur esprit critique, parce que je considère que c’est important dans
l’époque dans laquelle on vit d’avoir un regard dans le monde, sur les médias, sur les images. On
a des images partout, sans forcément des commentaires, on a des images à la télévision avec des
commentaires qui sont pas forcément... Je pense que c’est un outil essentiel et d’ailleurs Michel
Sasseville l’explique très bien. Il dit que ça fait, je crois depuis une vingtaine d’années que ça a
été introduit à l’école au Québec, et on peut pratiquement généraliser dans toutes les écoles, je
crois que c’est obligatoire dans le programme québécois. Il se retrouve à l’université avec des
étudiants qui sont vachement plus malléables qu’avant, ils ont des étudiants qui remettent en
question ce que dit le prof, voilà. Donc le prof ne peut plus arriver sur sa chaise et balancer sa
vérité absolue. Il peut plus et tant mieux, parce que ça permet, il me semble une plus grande
honnêteté scientifique, et du coup ça donne des citoyens qui peuvent déranger, car c’est des citoyens qui remettent en question et pas des citoyens qui croient tout ce qu’on leur dit.
Fabienne
Non répondu
Que retient-on ?
A : Quelques régularités sur le(s) but(s) de cette pratique en classe

Valoriser la parole de l’élève en classe
62
Dans un premier temps, nous retrouvons une volonté certaine de la part des enseignants à
vouloir mettre en avant la parole de l’élève. En effet, Aline dit que c’est « c'est aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe, il y a très peu de moments
où on leur donne la parole ». Chloé dit que « les enfants ont la parole » et Aline, lors de la
question 5.2/5.3 reprend son idée en disant que « Ce n’est pas anodin ce qu’on fait mais je
pense que c’est important déjà rien que de leur donner la parole ». Ces deux enseignants ont
relevé l’importance de la place de la parole de l’élève en classe, comme si, le reste du temps,
elle était finalement que très peu présente.

Acquérir de la réflexion et un esprit critique
Relevons aussi la grande récurrence de l’idée d’acquisition de la réflexion et de l’esprit critique chez les enfants, ce pour quoi les enseignants se disent faire de la philosophie en classe.
Aline trouve « qu'au niveau de l'esprit critique c'est très important ». Brigitte dira que son
« but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dans une posture réflexive »
ou encore que « c’est dans un but de réfléchir et pratiquer un débat ». David pour sa part est
persuadé que « le rôle de l'école c’est faire mieux penser les enfants ». Eléonore le fait « pour
développer leur esprit critique ». Ainsi, les enseignants ont pour but, à travers cette pratique,
de donner une grande place à l’acquisition de la réflexion et l’esprit critique par les élèves.

Améliorer l’estime de soi
Dans un autre registre, David lui abordera la question de l’estime de soi. En effet, pour lui,
l’estime de soi est un aspect important prenant place dans cette pratique car la philosophie
permettrait, en faisant réfléchir les élèves, de prendre confiance en soi et de se sentir plus
compétent : « j'ai des vidéos où les enfants disent "la philosophie ça m'aide à avoir confiance
en mathématiques » (David). Fabienne relève également ce point de l’estime de soi dans la
question 1.4 « […] qu’on se sente d’un coup qu’on est capable c’est un formidable outil de
développement intellectuel et personnel, de se sentir capable d’une pensée, de l’exprimer,
d’être entendu, voire de faire changer l’opinion des autres parce que notre idée était une
bonne idée ou parce qu’on a eu un bon raisonnement c’est un élément d’estime de soi formidable ».
B.Quelques variations autour des buts de cette pratique

Plus grande cohésion dans le groupe classe
Au niveau des variations, nous pouvons observer individuellement ce que chaque enseignant
apporte et considère comme étant un but à la pratique du dialogue philosophique en classe.
Aline pense que « au niveau du groupe classe, ça amène une cohésion vraiment de classe et
ils savent que pendant ce petit moment-là il y a vraiment du respect ». Ainsi, les apports de
cette pratique toucheraient à la dynamique de classe.

Dévoluer pour faire mieux penser
Chloé elle fait part d’un changement dans ce que nous pourrions nommer la part du contrat
didactique que posséderait avec l’élève. « Tout d’un coup quand on les met face à réfléchir
eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais désarçonnés et tout d’un coup, ils sa-
63
vent plus ce qu’on attend d’eux parce qu’on attend eux-mêmes ». Ainsi, ici Chloé aborde le
sujet de la dévolution laissée aux élèves dans cette pratique.

Former des citoyens réflexifs
Eléonore pose elle un problème éthique concernant la vérité. « Ça permet il me semble une
plus grande honnêteté scientifique et du coup ça donne des citoyens qui peuvent déranger car
c’est des citoyens qui remettent en question et pas des citoyens qui croient tout ce qu’on leur
dit ».
Question posée aux enseignants :
1.3 Quels sont les objectifs scolaires ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.101
L.103 à 111
Il y a tout.
Brigitte
L.169 à 176
Alors euh, moi, ça dépend le sujet abordé, si le but c'est de parler de la paix… ça c'est plutôt
d’ailleurs la suite : "C’est quoi la paix?" La vidéo a certes permis de passer là, mais là tu passes
au concept, qu'est-ce que la paix ? Et tu fais écrire. Après moi, il me semble que quand on est en
philo, je vais quand même donner l’orthographe, mais s’il y a une faute d'accord, honnêtement je
ne vais pas le souligner. Après si c'est un titre « Qu'est ce que la paix ? », je reprends quand même. Pour moi, ça dépend du thème abordé. La paix, tout ça, on est typiquement dans la citoyenneté. Moi je place la philo dans la formation générale, je la mets pas dans le français.
L.178 à 193
Formation générale donc soit citoyenneté, car on est vraiment dedans. Mais « qu'est ce que l'amitié » on est pas totalement dans la citoyenneté, mais pour moi on est plus dans la généralité, et
dans ce ça là, ça sera pour moi dans la formation générale, et ce qui permet de passer la semaine
suivante au conseil de classe, car une semaine sur deux je fais conseil de classe ou philo, et pendant un conseil de classe on peut revenir : "rappelez-vous, la dernière fois en philo on a parlé de
l'amitié, pensez-vous vraiment que le comportement que vous avez adopté avec l'autre classe sur
le terrain de foot était un comportement amical?" Pour moi, ça dépend du thème abordé. J'essaie
d'aborder des thèmes en lien avec la citoyenneté, et des fois plus des thèmes dans le savoir-être,
savoir être ami avec quelqu'un pour moi c'est un savoir-être, le respect, savoir-être ou être citoyen. Dans citoyenneté je verrais plus des questions en relation avec le droit, avec des 8P, et
faut voir où et comment. Par exemple des thèmes sur les votations peuvent être dangereux, mais
il y a 10 ans, le thème sur les congés maternité ça va, mais le thème de votation sur le renvoi des
étrangers, ça peut vite être dangereux. Si tout d’un coup il y a un sujet de votation qui peut être
abordable avec des 8p, je le prends immédiatement et je suis entre guillemets, toujours à l’affût,
bon entre guillemets. Mais quand je vois un truc à la télé, immédiatement ça tilte.
Chloé
Alors, y en a qui le mettent, oui c’est du débat oral, on est dans le français 1 ou débat réflexif,
C'est les capacités transversales, c'est très, très net. Mais moi au début, avant que ça paraisse
dans le PER, je mettais toujours dans ma planification sous français 1. Parce que de toutes les
manières, prendre la parole c'est au niveau oral, argumenter, alors par exemple quand je faisais le
texte argumentatif, j'ai tout d'un coup des élèves qui ont levé la main et qui ont dit que c'est pas
du tout pareil que quand on fait le dialogue philo, parce que quand on fait argumentatif on cherche à convaincre, alors que quand on fait un dialogue philo, on cherche pas à convaincre, on pense ensemble et on construit ensemble une pensée qui va peut-être pas être commune, mais qui
sera propre à chacun et qui va s'adapter dans la confiance. Mais la pensée critique des élèves, je
pense que ça, c'est important.
64
L.284 à 290
David
L.153 à 166
confrontation d’idées. Oui, je pense que je le mettrais plus là dedans. Mais il y a plein de liens
qui peuvent être faits avec approches transversales aussi : penser sur ses idées, réfléchir sur son
savoir, d’où je sais ce que je sais ? Et ne serait-ce que, j’ai fait des séances où on travaillait juste
sur la formulation de la question, soulever tous les implicites. Donc oui, je pense que si on peut
faire des liens, c’est plus avec le français, ce qui est induit, explicite, implicite et puis les différents types de raisonnement qu’on peut avoir.
Vous les mettrez après… mais pour eux, vous n’avez pas d’objectifs. L’objectif, c’est de penser
et penser mieux. Donc votre objectif à vous c’est « Donne-moi des exemples quand tu dis ça.
Est-ce que quelqu’un a un contre-exemple ? Est-ce que ça vous fait penser à quelque chose ? Estce que c’est en lien avec ce qu’il a dit ou pas ? Qui n’est pas d’accord ? Dis donc toi, ton opinion
c’était ça, ce n’est pas la même opinion que lui, est-ce que tu es d’accord maintenant avec les
éclairages qu’il a donnés ? Il arrive pas à s’exprimer, qui peut l’aider ?". C’est juste ça l’objectif,
et ça c’est un objectif tellement transversal qu’on pourra jamais vous dire que ce n’est pas dans
les objectifs de l’école. L’école est un lieu pour apprendre à penser, donc laissez-les de côté,
après vous allez les mettre. Ça, on sait faire nous les pédagogues, on sait les trouver. Si on vient
vous inspecter : «Oui, bien sûr, moi je suis là-dedans.» Mais les enfants, il y en a pas, c’est juste
apprendre à penser, et c’est déjà tellement compliqué de mettre toute notre énergie de pédagogue
dedans. Alors si en plus vous avez les objectifs de reformulation, d’exemplification, et autres qui
composent la discussion à visée philosophique…
Eléonore
L.151 à 153
Dans le PER, il y a les objectifs de la philosophie pour enfant, ils sont écrit noirs sur blanc.
Donc, en tant qu’enseignant, tu es autorisé à le faire, car il y a des objectifs par rapport à la pensée créative, à la pensée critique.
L.156 à 167
Moi, je le place dans habiletés transversales. Pour moi c’est du transversal, car tu peux l’utiliser
en mathématiques, tu fais des hypothèses en mathématiques. Tu peux l’utiliser en environnement, en français, euh voilà. Après, c’est vrai que concrètement, dans mon horaire de la semaine,
c’est une heure de français. Parce que plutôt que de perdre du temps, enfin ça c’est mon avis
personnel, j’ai de la chance de travailler à l’école XY (nom d'emprunt) qui est une école privée
alternative où on est libre de faire le programme à notre manière, à partir du moment où on remplit les objectifs du PER. Moi, je ne perds pas mon temps à travailler le texte argumentatif avec
mes élèves, du genre « je suis d’accord parce que, je ne suis pas d’accord parce que », « en revanche etc. ». Moi, personnellement, ça ne m’intéresse pas. Je trouve plus riche de former les
enfants à la philosophie et du coup ils sont capables d’argumenter, mais de manière totalement
naturelle. Ils savent ce que c’est d’argumenter parce qu’ils le font une fois par semaine.
Fabienne
L.135 à 143
Alors, j’ai eu la chance de pratiquer dans les écoles privées. Alors, je n’avais pas… y avait pas
un objectif particulier. Mais pour être en train de justement faire mon mémoire et voir comment
les enseignants l’utilisent, donc ils l’utilisent soit pour des questions de formation générale, en
lien avec le PER, donc c’est dans tout ce qui est formation générale, donc le vivre ensemble,
éducation à la citoyenneté, euh… mais c’est aussi les compétences transversales, la collaboration, pensée critique et créatrice. Et puis autrement, beaucoup dans tout ce qui est formulation,
donc plutôt en français, compétences orales, en français, et c’est vrai le fait de formuler ou de
formuler avec ses propres mots, de comprendre, d’écouter les explications, d’essayer de mettre
en mots sa pensée, ça exerce ce genre de compétences.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités observées dans les objectifs scolaires qui s’inscrivent
dans cette pratique
Au niveau des récurrences, nous retrouvons principalement quatre axes cités par les enseignants. En effet, ils donnent à la philosophie des objectifs relevant soit des capacités transversales, du français, de la citoyenneté ou encore relevant de la formation générale.
65

Développement des capacités transversales
Les capacités transversales sont des objectifs pour Aline « C'est les capacités transversales,
c'est très très net », Chloé « il y a plein de liens qui peuvent être faits avec approches transversales aussi, penser sur ses idées, réfléchir sur son savoir d’où je sais ce que je sais ? »,
Eléonore « Moi je le place dans habiletés transversales pour moi c’est du transversal car tu
peux l’utiliser en mathématiques, tu fais des hypothèses en mathématiques tu peux l’utiliser
en environnement en français » et Fabienne « c’est aussi les compétences transversales, la
collaboration, pensée critique et créatrice ». Pour quatre enseignants sur six, la pratique de la
philosophie s’inscrit dans des objectifs transversaux.

Développement des capacités langagières en français, comme l’argumentation
Cependant, ces quatre mêmes enseignants parlent également de la place que possède cette
pratique dans la discipline du français. Aline dit : « avant que ça paraisse dans le PER, je
mettais toujours dans ma planification sous français 1. Parce que de toutes les manières,
prendre la parole c'est au niveau oral, argumenter ». Chloé pense que la philosophie s’inscrit
dans les capacités transversales mais possède une plus grande place en français : « c’est du
débat oral on est dans le français 1 ou débat réflexif, confrontation d’idées, oui je pense que
je le mettrais plus là-dedans ». Eléonore explique : « concrètement dans mon horaire de la
semaine c’est une heure de français […]je perds pas mon temps à travailler le texte argumentatif avec mes élèves du genre « je suis d’accord parce que, je ne suis pas d’accord parce
que » « en revanche etc. », moi personnellement ça ne m’intéresse pas je trouve plus riche de
former les enfants à la philosophie et du coup ils sont capables d’argumenter mais de manière totalement naturelle, ils savent ce que c’est d’argumenter parce que ils le font une fois par
semaine ». Pour sa part, Fabienne « et puis autrement beaucoup dans tout ce qui est formulation donc plutôt en français compétences orales en français et c’est vrai le fait de formuler ou
de formuler avec ses propres mots, de comprendre, d‘écouter les explications, d’essayer de
mettre en mot sa pensée, sa exerce ce genre de compétences. ». Nous trouvons donc que les
objectifs du français s’inscrivent dans cette pratique, surtout au niveau oral.

Développement des capacités relatives à la citoyenneté
De plus, deux enseignantes placent la philosophie dans la citoyenneté. Pour Brigitte, la citoyenneté se retrouve dans la philosophie en tenant compte du sujet traité : « Dans citoyenneté
je verrai plus des questions en relation avec le droit avec des 8P et faut voir où et comment,
par exemple des thèmes sur les votations ». Pour Fabienne, la philosophie s’inscrit aussi dans
l’éducation à la citoyenneté (L). Remarquons que l’éducation à la citoyenneté possède une
place justifiée par rapport à ces objectifs se rapportant clairement aux sujets traités par exemple.

Développement des capacités relatives à la formation générale
Pour ces deux même enseignantes, la philosophie s’inscrit également dans la formation générale. Pour Brigitte, elle place aussi la philosophie dans « Formation générale donc soit ci66
toyenneté, car on est vraiment dedans mais « qu'est-ce que l'amitié ? » on n’est pas totalement dans la citoyenneté mais pour moi on est plus dans la généralité et dans ce sens là, ça
sera pour moi, dans la formation générale ». Fabienne ajoutera qu’elle y retrouve des objectifs « pour des questions de formation générale, en lien avec le PER donc c’est dans tout ce
qui est formation générale donc le vivre ensemble ». Comme nous avons pu le voir, la philosophie s’inscrit donc aussi dans formation générale pour certains enseignants.
Ainsi, dans ces régularités nous observons que la philosophie peut englober les objectifs de
plusieurs axes du plan d’études romand. De plus, différents liens sont possibles à l’intérieur
de celui-ci. Notons que les enseignants mettent derrière la philosophie des objectifs très variés. Parfois certains se regroupent, d’autres non. Brigitte affirme que pour sa part, cela dépend du sujet traité.
B. Quelques variations autour des objectifs de la pratique du dialogue philosophique

Les objectifs après, ruse pédagogique et inscription inévitable de la philosophie dans les
objectifs de l’école
Concernant les variations observées, elles sont ici nombreuses par rapport au nombre
d’enseignants interviewés. Tous ne sont pas d’accord sur l’axe à attribuer à la philosophie.
Cependant, relevons un enseignant, que nous ne voyons pas apparaître dans les variations et
qui se situe en contradiction avec tous les autres. David prend une position tout autre par rapport aux objectifs que possède la pratique de la philosophie : « Vous les mettrez après… mais
pour eux, vous n’avez pas d’objectifs […] L’objectif c’est de penser et penser mieux […]
C’est juste ça l’objectif et ça c’est un objectif tellement transversal qu’on pourra jamais vous
dire que ce n’est pas dans les objectifs de l’école. L’école est un lieu pour apprendre à penser
donc laissez-les de côté, après vous allez les mettre […] Ça on sait faire nous les pédagogues,
on sait les trouver si on vient vous inspecter « oui bien-sûre moi je suis là-dedans » mais les
enfants ils y en a pas c’est juste apprendre à penser et c’est déjà tellement compliqué de mettre toute notre énergie de pédagogue dedans alors si en plus vous avez les objectifs de reformulation, d’exemplification, et autres qui composent la discussion à visée philosophique…».
Il affirme donc que de toute façon la philosophie sera dans les objectifs de l’école et qu’il
n’est finalement qu’une cuisine interne pour l’insérer là où bon lui semble. L’objectif est
pour lui tellement transversal qu’il ne sera jamais en-dehors de ce que l’école demande aux
élèves.
67
Question posée aux enseignants :
1.4 Quels sont les apports de cette pratique pour l’enseignant-e et les élèves ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.115 à 118
Disons que je fais partie de la classe, ce qu'il se passe en dialogue philo ça leur montre que je
suis comme eux. Dans le sens où, je lève la main quand je veux poser une question, on est ensemble je suis comme eux, je ne suis pas l'enseignante qui dit que c'est comme ça ou qu'il faut
faire d'une manière et pas autrement, ainsi de suite.
Brigitte
L.209 à 215
Il y a plusieurs choses. Il y a les capacités transversales, au niveau du savoir être : se taire quand
il faut écouter, demander la parole, si un élève fait une remarque qui n'a rien à voir je lui demande s’il a compris de quoi on parle ou je lui demande ce qu’il voulait dire car peut être qu’on ne
voit pas la posture réflexive. Et aussi après, on peut la placer dans français, car y a capacité à
s'exprimer. Parfois, c’est difficile de mettre en mots ce qu’on pose, il y a aussi en termes de français : utiliser les connecteurs, ces mots clés qui permettent de débattre, car, je suis d'accord, je ne
suis pas d'accord, certes...
Chloé
L.377 à 378
Oui, et d’argumenter de manière correcte, d’écouter les arguments de l’autre, de construire avec
la personne qui est en face de toi.
David
L.437 à 439
Pour le prof, moi, c'est continuer à s'émerveiller devant l'intelligence des enfants, devant leur
potentiel mis en lumière, c'est continuer de se questionner, c'est le même chemin pour les enfants.
Eléonore
L.183 à 186
Alors, moi ça m’apporte que j’ai des enfants qui, du coup, quand ils écrivent un texte, je trouve
qu’ils articulent beaucoup mieux leur texte. Et puis quand on fait des sciences, on utilise
l‘hypothèse, la certitude, l’exemple, le contre-exemple, la comparaison et ils savent exactement
de quoi on parle.
L.188 à 193
Cette rigueur scientifique, d’une certaine manière, je trouve qu’ils l’acquièrent en faisant de la
philo, parce qu’on ne discute pas n’importe comment et il y a vraiment une rigueur intellectuelle
quoi, donc voilà. Et puis, ça apporte aussi autre chose, ça apporte du plaisir, c’est des enfants qui
ont du plaisir à faire ce moment de philosophie, ils s’éclatent. Et moi, en tant qu’enseignante,
j’observe juste des enfants qui sont intelligents, avec la racine du mot inter-legere : lire entre, être
capable d’aller voir un peu plus loin que la simple apparence.
Fabienne
L.196 à 213
A mon avis, aux élèves, ça leur apporte, bah… Le fait de prendre conscience qu’on a une pensée.
Parce que déjà quand on est enfant, ce n’est pas évident. Il y en a pas beaucoup, il y en a quelques uns qui savent, mais c’est souvent pas la majorité, de prendre conscience qu’on a une parole, que cette parole elle peut valoir quelque chose. C’est pas parce qu’on est petit, c’est pas parce
qu’on est pas adulte, c’est pas parce qu’on est une fille, ce n’est pas parce qu’on est étranger, que
tout d’un coup on a rien à dire. Et ce que moi j’ai souvent eu comme retours d’enfants, c’était de
dire, des enfants qui participaient très peu en classe et puis en fait qui prenaient vraiment la parole, pour la première fois peut-être dans la classe, et l’enseignant disait : c’est peut-être étonnant
parce que c’est un enfant qui participe jamais en classe, parce que c’est des choses qu’on parle
jamais et que c’est des choses qui nous touchent. Donc, le fait que ça fait appel à leur expérience,
tout d’un coup, ça veut dire et c’est dans l’idée de, si on a quelque chose qui nous touche pas, des
fois c’est difficile de donner du sens à un apprentissage qui ne nous touche pas, qui ne fait appel
à rien de connu. Après, y a des enfants qui sont intellectuellement curieux qui, mais on peut être
intellectuellement curieux mais si ça n’a rien à voir avec notre expérience à la maison, que les
échanges avec les parents c’est peut-être un univers avec lequel on a de la peine à tisser un lien…
Mais ça, justement, c’est une pratique qui peut-être ce pont. C'est-à-dire de tisser un lien entre ce
qu’on fait et nos apprentissages. Et ça peut donner du sens pour les apprentissages, ça donne de
la confiance en soi, (…).
68
L.227 à 262
Et pour l’enseignant, je trouve que c’est, voilà, découvrir un aspect des enfants qu’on ne connaît
pas, c’est de découvrir avec eux, parce qu’on est dans une démarche où même… oui, on sait ce
que c’est la guerre, la paix, ces phénomènes… Mais si on va au fond des choses, on se retrouve
vite nous-mêmes dans des situations où on ne peut pas répondre aux questions. Donc c’est vrai
que s’engager dans ce processus, c’est aussi très, très enrichissant pour l’enseignant. Ca permet
justement de voir comment se construit la pensée et c’est de voir pour les enfants, je reviens à
eux, mais c’est de voir que y a le processus de la pensée, voir comment ça s’élabore, qu’on ne
passe pas du point A au point B, comme dans un cours. On peut, mais pas tout le temps. Pour
que la pensée soit quelque chose de vivant, de riche et qui fasse du sens, c’est un peu quelque
chose d’itinérant. On fait un pas en avant, un pas en arrière, puis on part à gauche, puis c’est en
tâtonnant aussi, c’est en cherchant qu’on construit quelque chose. Je trouve qu’il y a ce, cette
prise de risque qui est parfois un peu troublante pour l’enseignant. On se dit « Oula ! Dans quoi
je m’engage ? Et où est-ce que je vais ? » Donc, y a, à la fois, le processus, puis le contenu forcément. Et les enfants... Moi, je suis toujours émerveillée de voir, et comme dans n’importe quoi,
y a des fois des cours où il se passe rien du tout, et de temps en temps, et même assez souvent, je
suis épatée de voir les intuitions fondamentales, essentielles sur le sens de la vie, les choses, les
mystères de la vie des enfants, parce qu’ils ont des capacités de se poser des questions. Parce
quand un enfant se dit : « Mais moi en fait, ma mère j’ai toujours l’impression que c’est deux
personnes, parce que des fois elle est très, très gentille et parfois elle est très sévère. » Quelque
part, ce qu’il disait, c’est qu’il ne comprenait pas comment les deux choses pouvaient cohabiter
en une personne. Mais c’est quelque chose de philosophique, de fondamental, comme le bien et
le mal. Comment est-ce qu’ils peuvent être réunis quelque part au sein d’une même chose ? Parce qu’ils sont de nature tellement différente que, comment ça peut coexister, cohabiter ensemble ? D’où on vient ? Enfin voilà. De qui on est sur Terre, de quel est le sens de la vie, de ce
qu’est la justice, de comment des choses bonnes et voilà… Et je trouve tellement dommage de
gâcher ce potentiel, parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, avec le recul, si moi j’avais eu ça en
tant qu’enfant, j’aurais eu sûrement moins de certitudes. Ca m’aurait apporté une perspective très
différente sur la vie et je regrette de ne pas avoir eu ça. Alors, l’idée ce n’est pas de faire de la
philo tout le temps, hein. On n’est pas en train de dire qu’il faut faire de la philo 24/24, mais
d’entrer et de stimuler les enfants, voilà, moi en tant qu’adulte je sais plus de choses, j’ai la capacité à poser le cadre mais après c’est aussi à vous… Qu’on se sente d’un coup qu’on est capable,
c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel, de se sentir capable d’une
pensée, de l’exprimer, d’être entendu, voir de faire changer l’opinion des autres parce que notre
idée était une bonne idée ou parce qu’on a eu un bon raisonnement. C’est un élément d’estime de
soi formidable.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités observées dans les apports de cette pratique

Développement d’une meilleure écoute des élèves
Au niveau des apports de cette pratique nous pouvons constater plusieurs régularités. Deux
enseignants semblent d’accord sur le fait que la pratique du dialogue développe chez les élèves l’écoute : « il faut écouter » (Brigitte), « écouter les arguments de l’autre » (Chloé).

Développement d’une forme d’intelligence : la pensée comme exercice complexe et non
comme simple application
Nous pouvons remarquer que la moitié des enseignants semble avoir besoin de reconnaître
que leurs élèves sont intelligents. David veut « s’émerveiller de l’intelligence de ses élèves »,
Eléonore observe dans sa classe « des enfants qui sont intelligents » et Fabienne est émerveillée et épatée par ses élèves. Si ce n’est peut-être pas un besoin de reconnaissance, nous com69
prenons que pour les enseignants, les apports de cette pratique semblent fondés, puisqu’ils
observent des élèves dits « intelligents ».

Adoption d’une rigueur intellectuelle
Un autre apport serait également celui d’une rigueur et un développement intellectuel,
qu’Eléonore et Fabienne mettent en avant. Eléonore affirme que « cette rigueur scientifique
d’une certaine manière je trouve qu’ils l’acquièrent en faisant de la philo » et Fabienne :
« c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel ». On observe ici que
les élèves bénéficieraient d’un réel développement de compétences.
B. Quelques variations dans les apports de cette pratique

Philosopher pour se faire plaisir
Concernant les variations, ou plutôt d’autres apports individuels à ne pas négliger ici, nous
retrouvons l’idée de plaisir pour les élèves, plaisir que peut procurer la pratique du dialogue
en classe. Eléonore dit : « puis ça apporte aussi autre chose, ça apporte du plaisir ».

Philosopher pour répondre aux objectifs de l’école
Brigitte remet elle l’accent sur la capacité d’atteindre les objectifs qu’elle a définis plus haut :
« il y a les capacités transversales, au niveau du savoir être, se taire quand il faut écouter,
demander la parole […] peut la placer dans français car y a capacité à s'exprimer […] utiliser les connecteurs, ces mots clés qui permettent de débattre, car je suis d'accord je ne suis
pas d'accord, certes... ». Brigitte ramène donc les acquis aux objectifs. Elle reste très près du
cadre qui est mis en place par le plan d’études romand. On y voit aussi des apports au niveau
disciplinaire : « une rigueur scientifique » (Eléonore) ou encore une capacité à s’exprimer en
français, l’utilisation de connecteurs (mais, car, donc…), de mots-clés qui permettent de débattre (Brigitte).

Prendre conscience de son individualité
Ce dernier éléments fait peut-être plus référence à la prise de conscience que chaque personne
existe comme être capable de penser par et pour lui-même : « de prendre conscience que l’on
possède une pensée et d’être capable d’aller voir plus loin que la simple apparence » (Eléonore).

Philosopher pour socialiser, s’inscrire dans le groupe
Pour Fabienne, les apports consistent aussi à « prendre sa place dans le groupe ». Elle relève
la caractéristique propre à la philosophie en classe qui est la pratique commune et collective
du dialogue et les effets qu’elle peut avoir.
70
Question posée aux enseignants :
2.1 Quel est la place de l’enseignant dans cette pratique ? Quelles intentions ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.412-414
Je n'ai plus la casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche. Je
suis garante de la sécurité des élèves et je fais des relances afin d'inciter les élèves à se poser davantage de questions.
L.416 à 417
L’esprit critique et surtout l'écoute, la confiance et le fait de penser ensemble, de construire ensemble.
C’est avoir un certain contrôle. Pour les élèves ça permet de s’adresser en face de son interlocuteur et ce qui est sympa aussi, c’est que je mets les scripteurs à côté de moi et je vois ce qu’ils
écrivent et je peux corriger parfois l’orthographe et ça permet pour les élèves qui sont en face de
voir ce qui est écrit.
Brigitte
L.221 à 224
L. 89 à 109
Alors pour moi, l'enseignant, il est actif dans la discussion, pas pour donner son avis mais pour
relancer. Si, par exemple, on voit que ça patauge et que les élèves n'arrivent pas à sortir que c'est
des préjugés sur les filles et qu’il faut bannir les préjugés, il faut poser des questions qui va les
amener. Alors évidemment, c’est des questions ciblées. C'est clair qu'avec les questions on arrive
à avoir ce qu'on veut, c'est logique, mais je trouve intéressant. Ce que je fais, c'est que je pose la
question qui les emmène où je veux, mais je vais prendre le contrepied, par exemple : à une sportive "alors toi, tu cours comme ça?" "Bah non, je cours pas comme ça, c'est débile". "Ah, et
pourquoi tu dis que c'est débile?" Reprends toujours les mots, ça peut aider "Ah, si je comprends
ce que tu veux dire, c'est que tu trouves que c'est pas très chouette de singer les filles?" Après tu
peux t’adresser au garçon un peu macho de la classe et lui dire "toi, tu es d'accord avec ça?"
Alors là, il sera peut être gêné, et il dira « oui, bah c'est ça, c'est les tapettes qui courent comme
ça " « Toi tu penses que c’est les garçons qui courent comme ça? Les garçons homosexuels?"
Donc ce que je fais, c'est vraiment poser les questions, en reprenant les termes de l'enfant, ou
alors si l'élève dit "ah, c'est les PD qui courent comme ça", reformuler "ah, si je comprends bien,
pour toi ce sont les homosexuels. » Donc, replacer quand même le vocabulaire et après si un autre dit "oui, les PD", "Rappelle-toi, il y a un autre mot pour dire ça. » Après, c'est peut être trop
dirigé, c'est peut être pas la bonne posture de l'enseignant. Pourtant, quand on est enseignant, on
doit utiliser les bons mots, car le but dans un débat philosophie, c'est qu'on soit maître de ce
qu'on dit. Philosophie, philo c'est en grec, aimer la sagesse. Donc pour moi, c'est également aimer utiliser les bons mots.
Chloé
L.444 à 453
Il s'agit d'utiliser la capacité naturelle qu'ont les enfants à se questionner sur le monde, le bien, le
mal, le beau, le juste, le vrai... dans le but de développer une pensée critique et créative. Le dialogue philo avec les enfants présuppose que l'on est plus intelligent à plusieurs et que le dialogue
permet la construction d'une pensée articulée, argumentée dans un cadre d'écoute et de respect
des opinions différentes des siennes. Pour moi, la philo pour enfant renforce les enseignements
faits à l'école et fait complètement partie des compétences transversales développées dans le
PER. Il s'agit de développer des habiletés de pensée, comme par exemple, faire la différence entre hypothèse et certitude, donner des exemples, des contre-exemples, définir des présupposés,
faire des comparaisons, des analogies, trouver des critères. Tout cela permet de développer un
discours cohérent qui peut être communiqué à d'autres.
David
L.22 à32
Mais il y a une chose aussi qui change, c’est que vous êtes plus, il faut acceptez que vous n’êtes
plus le maître. C'est-à-dire, que vous faites confiance, à la fois aux enfants et à la fois au processus. Et à chaque situation, si à la fois vous savez que vous savez, eux ils ne vont rien faire. Si
vous êtes en recherche avec eux, alors là, ils vont se mettre en recherche. C'est-à-dire, votre rôle
ce n’est pas de leur donner une quelconque réponse à quoique ce soit, c’est d’être, de prendre ce
qu’a dit Léonard pour dire « Dis donc toi, quand tu dis ça, tu ne trouves pas qu’il y a quelque
chose qui se ressemble ? », et sans arrêt. Votre rôle c’est que faire des liens. Que faire des liens.
Vous êtes là, ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour juger, ni pour donner les réponses, ni
pour évaluer si une question est bonne ou pas bonne. Peut être quelle est bonne, peut-être qu’elle
71
n’est pas bonne, enfin je dirais même que toutes les questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on
va en faire.
L.266 à 268
Pendant les cours ? J’en ai pas, c’est juste qu’ils apprennent à bien penser. Moi, je suis juste là
pour les aider à œuvrer dans ce sens là. C’est-à-dire questionner. Je n’ai pas d’intentions précises
si ce n’est qu’une intention globale, bien évidemment.
Eléonore
L.364 à 369
Oui, c’est surtout un poseur de questions. T’es allé voir sur le site de l’école XY (nom d'emprunt) ? Y a un film qu’Arte avait fait avec des interviews de Michèle Sasseville. Et là, vraiment,
il parle du rôle de l’animateur. Tu as sur le site de l’école XY, tu vas sous philo, et là il y a un
petit film Arte, qui est avec Paule qu’est décédée maintenant, mais qui était la première à faire de
la philo à Genève et où il y a des interviews de Michel Sasseville qui explique vraiment clairement quel est le rôle de l’animateur. Je t’invite à aller voir.
Fabienne
Non répondu
Note au lecteur :
Je présenterai une synthèse des résultats de cette question sous la question suivante.
Question posée aux enseignants :
2.2 Quel est le statut de l’enseignant-e dans ces moments ? Quelle est sa place professionnelle ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.121
L.123 à 128
Alors justement je n’ai pas une place d’élève dans le sens où je suis garante quand même...
L.130 à 138
J’ai deux exemples très nets où j'ai dû intervenir, mais au moment où je suis intervenue j'ai dit
"alors là j'enlève ma casquette d'enseignante, je fais partie de la communauté de recherche, je
suis une adulte".
Oui. Donc "là, vous êtes des enfants et je peux vous dire..." parce qu'ils affirmaient haut et fort
que toutes les femmes qui voulaient ne pas avoir d'enfants pouvaient choisir d'avoir ou ne pas
avoir d'enfants. Et une autre fois, c’était sur les élèves dyslexiques, mais ça figure dans une des
transcriptions et à ces moments-là je fais arrêt sur image. Ça m'est arrivé je crois 2-3 fois sur 4-5
ans, donc peu. Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d'adulte comme ça, de couper le dialogue, là
j'ai réagi comme ça, car ce n’était pas possible de les laisser partir avec quelque chose de trop
gros. Mais en posant des pourquoi: "ah bon et pourquoi?" ou en posant des contre-exemples on
arrive à les faire eux réfléchir sur le côté un peu bancal du bien fondé qu'ils avancent.
Brigitte
L.460 à 464
Ce qui change c’est que l'adulte pose des questions de relance et donne pas son avis, ça c’est
important, un adulte donne pas son avis. Et surtout, ce qui est différent, c’est que c’est les enfants
qui font avancer le cours. C’est les élèves qui parlent, nous est on est là juste pour relancer, ou
reformuler, et que ça soit clair pour les autres camarades. Je ne sais pas si ce que je dis est juste,
si ça va avec la théorie.
Je dirais pas la discipline, car souvent elle se fait en co-construction entre eux, car quand un sujet
est intéressant ils n’aiment pas quand il y en a qui commencent à parler entre eux. Alors souvent,
au bout d'un moment, on n'a plus besoin de faire de discipline, mais par contre je suis garante.
72
L. 348
Souvent c’est moi qui donne la parole.
L.344 à 350
Alors, j’essaie dans la mesure du possible, que ça soit dans l’ordre. Mais si on est sur une thématique, quelqu’un qui dit « Oui, mais moi, là… » Alors oui, je dis oui. D’ailleurs y a, tu peux faire
l’expérience aussi, mais ils ont, et c’est aussi dans Lipman, ils ont comme des cartons de couleurs différentes et s’ils ont une question c’est telle couleur, ça peut être avec les différentes habiletés de pensée, mais ça peut être aussi genre rouge car je dois dire quelque chose maintenant,
enfin pas rouge car c’est violent, mais telle couleur c’est parce que mon intervention doit être
maintenant sinon ça ira plus dedans.
Chloé
L.292 à 302
Moi, je trouve que l’animateur est là pour guider, relancer, reformuler et la reformulation est
super importante, parce qu’elle permet de faire un point à un moment donné. « Ok, on en est là,
on a eu ça comme idée et ça, mais on a vu ça aussi, ça serait peut être intéressant de pousser par
là.» Donc la reformulation, je trouve que ça c’est une des clés de l’animation souvent. Reformulation, oui, j’ai mis en évidence pour faire avancer la discussion, recentrer, approfondir, développer, affiner : « Mais là, qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis nanana ? » Voilà, c’est pas :
« Est-ce que tu veux dire que nanana ? » C’est : « Toi, qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis
qu’on est un adulte quand on a moins de 18 ans ? » Ca, ça serait peut être la phase d’avant. Et
puis finalement, en faisant une reformulation et synthèse, ça rebondit forcément, ça relance forcément, il y a des nouveaux questionnements. Après, je pense surtout au début, le donneur de
parole c’est important aussi d’aller chercher un peu le timide.
Un statut de chercheur, comme les élèves, mais en plus vieux !!
David
L.448
L.450 à 451
Eléonore
L.99 à 141
Je pense que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre, de la sécurité. Je suis juste là, non
pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux.
Alors, faire deviner, ça c’est pas mal. C’est aussi le travail de l’animateur. Mais ce n’est pas faire
deviner, dans le genre « dans le ciel il y a des nu nu… nuages », c’est vraiment poser les questions qui vont permettre aux enfants, à la communauté de recherche, de pouvoir poser quelque
chose et "pourquoi est-ce que tu penses ça? Qu’est ce qui te fait penser ça ? Est-ce que tu as un
exemple ? Est-ce que ce que tu dis c’est une hypothèse ou une certitude? Est-ce qu’il y a quelqu'un qui est d’accord ou pas d’accord avec ce qu’un tel a dit et pourquoi ?" Enfin voila, le rôle
de l’animateur c’est vraiment de faire avancer et lancer plein, plein de questions, pour que tranquillement ça émerge. Et puis après, s’il y a une idée, ça peut être "un tel a dit ça, mais est-ce
qu’on pourrait imaginer le contraire ?" Tu peux aussi développer un peu plus.
Alors moi, je ne pense pas qu’on doit se retirer de la discussion, mais on est au cœur de la discussion, sauf que nous on est l’accoucheur, c’est vraiment Socrate, c’est ce qu’il faisait. C’est
des communautés de recherche mais en beaucoup plus modeste, parce qu’on est pas Socrate.
Mais l’idée c’est d’être au cœur de la discussion et faire que les enfants s'écoutent, réussissent à
répondre, parce que des fois tu peux avoir des communautés de recherche où chaque enfant est
centré sur soi, sur ce qu’il a envie de dire, il écoute pas les autres et du coup on n’avance pas.
Donc vraiment, être au cœur de ça pour qu'il y ait une vraie discussion, qu’il y ait quelque chose
qui circule entre les enfants et les amener à se poser des questions, pourquoi ils sont bloqués, ou
qu’ils sont en train de réciter la pensée de papa et maman, tu peux justement... Là, tu as un rôle
clé pour essayer d’aller chez eux : "Et toi, qu’est ce que tu en penses? Et est-ce que tu es
d’accord avec ça? Est-ce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" etc. Voilà, et c’est
pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur, parce que justement, on est au cœur.
Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philosophique. Ça veut
dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et pas en train de faire autre chose, donc c’est assez crucial. Après, justement toi, t'es pas avec tes amis en train de débattre
de ton préposé point de vue. Ca c’est sûr, on n’est pas là pour manipuler les enfants, c’est vraiment, effectivement, ça peut être un danger une personne malveillante. Elle peut utiliser la communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà nous on n’est pas là pour les manipuler, pour leur imposer notre point de vue. On est là pour les aider à penser par soi-même et ce
qui est intéressant, c’est quand il y a dans une communauté de recherche pour enfants, certains
qui pensent pas du tout comme nous. C’est là où ça devient difficile, mais c’est là où ça devient
hyper intéressant. Parce que nous, on n’est pas là pour lui dire ce qui est vrai ou pas vrai, on est
là pour respecter la pensée de chacun. Mais par contre, voilà, faire en sorte que les enfants réfléchissent pleinement, et "Pourquoi c’est ça ? Et qu’est-ce qui nous permet de dire ça, etc. Est ce
que c’est juste ? Est-ce qu’à un moment donné…?" Voilà. C’est bien. Je n’aime pas trop mais
73
"est-ce que c’est juste ?" En plus, les enfants adorent ce qui est juste, pas juste. Et puis après
c’est plus que prendre… Déjà moi, je pense que le rôle de l’enseignant ce n’est pas apprendre,
c’est aider les enfants à apprendre. Moi, je n’utiliserais pas le verbe apprendre. Je voudrais dire
qu’ils développent leurs pensées. Il faut les aider à développer leur esprit critique, à savoir quand
ils sont en train de réfléchir, à savoir ce qu’ils sont en train de faire. Donc ça, c’est aussi toute la
deuxième partie de ces communautés de recherche, d’où l’importance d’utiliser le matériel de
Lipman, y compris quand on utilise un autre support.
Fabienne
L.265
L.267 à 221
Sa place c’est de guider, c’est de poser aux enfants des questions qui sont pertinentes.
L’idée, c’est de petit à petit…Les enfants vont le prendre en charge. Ca se fait petit à petit. Mais
c’est vrai qu’au début, y a quand même beaucoup de guidage. Vous allez, ou quelqu’un va dire :
« les filles, les garçons, c’est pareil », ou « c’est différent ». Oui, alors voilà, est-ce que tu pourrais me donner, ou cherchons les différences entre les filles et les garçons. Alors tout le monde
commence à donner des différences, où au bout de cinq, six, sept, on va passer à autre chose.
Alors, on a regardé les choses différentes, maintenant on va voir les choses qui sont pareilles. Et
c’est là que vous intervenez, parce que vous n’allez pas laisser le groupe parler une heure sur des
exemples. Et puis après, vous allez chercher des contre-exemples, dans une différence. Ils vont
vous donner une différence et vous allez essayer de chercher peut-être un contre –exemple, et
dans ce cas là, « les filles ont les cheveux longs », « oui, mais alors moi je connais tel sportif… »
« Alors, des fois il pourrait… Alors est-ce qu’on peut généraliser ou il faudrait dire que parfois … » Vous faites la nuance, pour dire voilà, ça c’est qu’on appelle une nuance. Vous nommez ce qu’ils sont en train de faire, par exemple. Ou alors dire « Là tu es en train de faire une
hypothèse ». Soit vous intervenez en nommant ce qu’ils sont en train de faire, ou en dirigeant le
questionnement, et si on pense oui les filles sont meilleures, les garçons moins : « ah bon, mais
pourquoi ? » Et « alors, si on pense que les gens sont meilleurs, quelles sont les conséquences ? »
Ca veut dire que, alors on pense que les meilleurs doivent toujours avoir les meilleurs, et que les
autres viennent après. Élaborer sur ce genre de choses, vous êtes là pour faire élaborer. Et il y a
le cadre social aussi, que les gens se respectent, que si quelqu’un dérange tout le temps de dire :
« bah, y a des règles pour faire partie du cadre. » Alors si y a quelqu’un qui cherche, qui provoque, eh ben vous pouvez l’avertir une fois, deux fois s’il faut, faut le sortir du groupe. Et une
stratégie, de temps en temps, c’est de dire toi tu vas observer les élèves qui dérangent souvent,
qui interviennent tout le temps, soit qui perturbent, soit les élèves qui veulent tout le temps prendre la parole. Parce qu’il y en a aussi et ils laissent moins la parole aux autres. Et l’idée c’est de
dire : « voilà, aujourd’hui tu vas observer. » Donc ça, vous êtes garante de ce cadre là, vous êtes
garante du respect que les élèves s’accordent auquel cas bah : « sois un peu respectueux avec les
autres ». Et il y a des choses qu’on a le droit de faire, ça c’est la première chose. Et la deuxième,
c’est de soutenir le questionnement, et suivant où ça part, se dire bon là, être sûr que, ou faire des
exercices où il y a plein de contre-exemples par exemple. Ou alors, on va essayer de trouver des
raisons : « Tu as trouvé ça, d’accord. Mais est-ce qu’on peut trouver une autre raison pour faire
une action ?» Et parfois ils disent : « Oui, mais il l’a fait à cause de ça », et quelqu’un dit « Ah
non, je suis pas d’accord avec toi. » « Ah bon, alors on va essayer de trouver quelles seraient les
raisons pour lesquelles on ferait ou quelqu’un ment ? » Quelqu’un dirait : « Il est méchant » ou
« Bah non, il fait ça pour le protéger.» « C’est quoi les situations où l’on pourrait mentir ? » Et
puis après, vous listez cinq, six situations, et après : « Est-ce qu’il y en a que vous trouvez bonnes ? Est-ce qu’il y en a que vous trouvez mauvaises ? » Mentir pour protéger quelqu’un par
exemple, ou mentir pour se protéger soi-même. Parce que quelqu’un qui veut vous offrir un bonbon fermenté dans sa voiture, vous allez lui dire « Non, j’ai maman qui m’attend. » Est-ce que
c’est bien ou pas bien ? Tout d’un coup, vous les mettez dans le contexte, vous voyez ? Mais ce
n’est pas vous qui dites, vous ne donnez pas forcément les arguments, si vous voyez que les enfants sont en panne à ce moment-là, vous essayez de trouver un angle pour dire soit « on va chercher des exemples », soit « alors dans cette situation, vous pensez ça, mais alors du coup la violence et la guerre, c’est la même chose ? » Et puis, y en a ils vont vous dire oui. Mais alors « par
exemple, quand y a des gens au foot, à la télé, qui se donnent un coup de pied, les joueurs, est-ce
que c’est la guerre ? » Donc vous voyez ? « Est-ce que quand y a des gens et une manifestation,
et qu’ils se tapent dessus, est-ce que c’est la guerre ? » Y en a qui vont dire oui, y en a qui…
« Pourquoi tu penses ça ? » Et ils vont trouver. Vous voyez, vous allez chercher, partir, voilà, des
matériaux que vous apportent les enfants, et vous allez les pousser plus loin. Et de temps en
temps vous allez leur dire : « cherchez plutôt une définition. C’est quoi ? » Si on ne trouve pas
une définition bah, on cherche des critères. Qu’est-ce que c’est un critère ? C’est une raison mais
74
qui est particulièrement une bonne raison. Est-ce que vous trouvez que ça c’est un bon critère ?
Par exemple, si tout d’un coup on peut en proposer un aussi, mais vous n’êtes pas là pour dire « à
la fin, je veux qu’ils arrivent à telle conclusion ». Parce que ça, c’est quelque part, une sorte de
manipulation.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités par rapport au rôle, au statut et aux intentions de
l’enseignant

L’enseignant s’exige neutre au cours du dialogue
Plusieurs éléments se retrouvent chez les différents enseignants. Tout d’abord l’idée que ce
dernier n’est pas là pour juger. Il est donc clair que l’enseignant ne possède pas un statut dans
lequel il se permet de manipuler, juger ou estimer si une question est bonne ou non. Brigitte
(2.1) : « pas pour donner son avis », David (2.1) : « Vous êtes là ni pour juger, alors c’est
mon avis, ni pour juger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est
bonne ou pas bonne peut être quelle est bonne, peut-être qu’elle n’est pas bonne enfin je
dirais même que toutes les questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on va en faire. » Brigitte
(2.2) « Ce qui change c’est que l'adulte pose des questions de relance et donne pas son avis
ça c’est important. » Eléonore (2.2) « on est pas là pour manipuler les enfants c’est vraiment
effectivement ça peut être un danger une personne malveillante elle peut utiliser la
communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà nous on est pas là pour les
manipuler, pour leur imposer notre point de vue on est là pour les aider à penser par soimême » Fabienne (2.2) « vous donnez pas forcément les arguments, si vous voyez que les
enfants sont en panne à ce moment-là vous essayez de trouver un angle ». Les quatre
enseignants insistent donc sur la volonté de ne pas prendre parti lors des dialogues
philosophiques et font également part du fait qu’ils ne doivent effectuer aucun jugement.
L’enseignant n’est pas ici pour juger, comme il le ferait à un moment ou à un autre dans les
autres disciplines scolaires, comme lors des évaluations par exemple.

Tentative de symétrie dans la relation élève/enseignant
De plus, nous apprenons que l’enseignant n’est pas là pour poser son savoir : « Je suis juste là
non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. » (David 2.2). « On n’est pas
là pour lui dire ce qui est vrai ou pas vrai on est là pour respecter la pensée de chacun »
(Eléonore 2.2).

L’enseignant comme guide dans la construction de la pensée de l’enfant
Cependant les enseignants semblent être d’accord sur le fait que leur rôle est de relancer la
discussion par des questions. Aline explique : « je fais des relances afin d'inciter les élèves à
se poser davantage de questions ». Brigitte et Chloé utilisent aussi ce mot à plusieurs
reprises dans leurs réponses. De plus, il doit guider les élèves dans leurs réflexions sans pour
autant poser son savoir. En effet, ce terme est repris par Chloé (2.2) et Fabienne (2.2). Ils
demandent aussi souvent aux enfants de reformuler leur pensée ou celle d’un autre. (Brigitte
75
et Chloé en 2.2). Par ses relances et son rôle de guide, l’enseignant semble avoir une place
importante et est au centre de la discussion par son animation.

La pensée des enfants comme point de départ des réflexions
Toute la matière de la discussion partirait des enfants : « Un adulte donne pas son avis et
surtout ce qui est différent, c’est que c’est les enfants qui font avancer le cours » (Brigitte
2.2), « Vous voyez vous allez chercher, partir voilà des matériaux que vous apportent les
enfants et vous allez les pousser plus loin » (Fabienne 2.2). Ainsi, en partant des apports des
élèves, les enseignants profitent d’utiliser ceux-ci pour tirer les élèves et les emmener plus
loin dans leur pensée : « aller chercher un peu le timide » (Chloé 2.2) « là tu as un rôle clé
pour essayer d’aller chez eux "et toi qu’est-ce que tu en penses? Et est-ce que tu es d’accord
avec ça? Est-ce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" » (Eléonore 2.2). Nous
retenons ainsi que dans leur procédé, les enseignants choisissent de partir des enfants pour
ensuite les tirer plus loin dans leur réflexion. L’enseignant se permet d’aller chercher en eux
des éléments faisant avancer la discussion. Il part toujours de ce que les élèves apportent.

L’enseignant en retrait mais au centre d’un bon déroulement du dialogue
De plus, les enseignants s’affirment être eux-mêmes en recherche avec les élèves lors des
dialogues. Aline affirme qu’elle fait partie de la communauté de recherche : « Je n'ai plus la
casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche » (2.1) David
lui dit qu’il possède : « Un statut de chercheur comme les élèves, mais en plus vieux ! » et
soutient « Je suis juste là non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux. »
(2.2) et affirme que c’est presque un prérecquis à ce que les élèves s’investissent « Si vous
êtes en recherche avec eux, alors là ils vont se mettre en recherche » (2.1). Aussi, le rôle de
l’enseignant semble primordial et être au centre du dialogue. « Je ne pense pas qu’on doit se
retirer de la discussion mais on est au cœur de la discussion sauf que nous on est
l’accoucheur » (Eléonore 2.1). Retenons que l’enseignant est au centre de ce qu’il se passe
autant par sa capacité à aller chercher ce qui résonne chez les élèves, qu’en s’investissant luimême dans cette recherche, sans pour autant faire part de ses idées.
B. Quelques variations du rôle de l’enseignant

L’enseignant garant de la sécurité, du cadre, du respect et de l’honnêteté philosophique
Nous retrouvons dans les paroles des enseignants, le terme « garant » qu’ils se disent devoir
être envers les élèves. Ce que nous pouvons observer de différent chez ces enseignants est la
définition qu’ils attribuent au mot « garant », terme prenant une place importante dans leur
rôle. Quatre enseignants utilisent ce mot mais tous n’y mettent pas la même idée derrière.
Certains affirment qu’ils doivent être garants des règles, du cadre et de la sécurité : « Je pense
que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre de la sécurité » (David 2.2) « je suis
garante de la sécurité des élèves » (Aline 2.1)
76
Eléonore affirmera qu’elle est garante de l’honnêteté philosophique de la discussion : « Voilà
et c’est pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur parce que justement on est
au cœur. Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philosophique. […] Ça veut dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et
pas en train de faire autre chose » (2.2)
Fabienne se dira elle garante du respect entre les élèves « vous êtes garante de ce cadre-là,
vous êtes garante du respect que les élèves s’accordent » (2.2)
Ainsi relevons que les quatre enseignants tentent de donner une authenticité dans les dialogues philosophiques mais tous n’agissent pas sur les mêmes éléments.

L’enseignant « enseignant » ? L’enseignant « élève » ? L’enseignant « animateur » ?
L’enseignant « adulte » ? Une variété d’identités…
Observons maintenant le statut qu’adoptent les enseignants lors de la discussion philosophique. Il est intéressant de noter qu’un même enseignant ne réussit pas à avoir une vision très
claire du statut qu’il possède.
Aline affirme dans les réponses aux questions 2.1 et 2.2 qu’elle « enlève [sa] casquette
d’enseignante », « je suis une adulte », « je n’ai pas une place d’élève », « ce qu’il se passe
en dialogue philo ça leur montre que je suis comme eux. Dans le sens où je lève la main
quand je veux poser une question, on est ensemble je suis comme eux je ne suis pas
l’enseignante qui dit que c’est comme ça ou qu’il faut faire d’une manière et pas autrement
ainsi de suite. », « Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d’adulte comme ça de couper le dialogue, là j’ai réagi comme ça car… » On observe bien chez cette enseignante la volonté de
quitter le rôle de l’enseignant ordinaire, ne sachant pourtant pas vraiment comme se considérer, peut-être comme un adulte occupant la même place qu’un enfant. Le rôle n’est ici pas si
clair.
Pour Brigitte, le but est de rester l’adulte et se positionner dans une place de contrôle : elle
utilise le mot « adulte » et parle d’avoir « un certain contrôle ».
Pour Chloé : « L'enseignant fait partie du groupe de recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une pensée commune, critique et argumentée ».
David affirme : « je reste l’enseignant », « vous êtes plus, il faut accepter que vous êtes plus
le maître ». Il ajoute que son rôle est de faire des liens, et que la personne qui anime possède
un statut de chercheur, comme les élèves. Ici l’enseignant arrive à se contredire en très peu de
temps, en affirmant qu’il reste l’enseignant mais m’indique lors de l’interview qu’il faut accepter de ne plus être le maître. On ressent ici une réelle volonté de vouloir se séparer du rôle
du maître ordinaire, mais en souhaitant garder son statut. Peut-être pouvons-nous ici ressentir
un réel problème de ce que l’enseignant souhaite être lors des dialogues philosophiques et ce
qu’il est réellement.
77
Eléonore dans la question 3.3 prend une autre position. Elle explique « c’est-à-dire qu’il n’y a
pas de hiérarchie voilà ». L’enseignante a donc la volonté de vouloir casser une sorte de hiérarchie qui semble être naturellement présente dans la classe.
Fabienne parlera d’une « prise de risque parfois troublante pour l’enseignant » mais ne
s’affirme ni adulte, ni enseignant ni possédant un statut d’élève. Elle reste très vague par rapport à son statut.
Finalement observons que tous ces enseignants semblent ne pas être en accord, entre eux et
avec eux-mêmes, lorsqu’ils doivent définir leur statut dans la pratique du dialogue philosophique. Aline en 1.2 résume très bien le ressenti que nous pouvons retrouver chez plusieurs
d’entre eux : « Finalement pour l’enseignant c’est parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur parce que c’est pas tout facile mais ça fait du bien un peu de pas rester, de
pas être tout le temps dans juste la transmission du savoir, cette co-construction est hyper intéressante[…] ».

L’enseignant interrogateur : pose des questions, relance et fait des liens entre les idées
des élèves
Finalement, quoi que semble être le statut de l’enseignant et l’attribut qu’on lui donne les enseignants s’accordent sur l’idée que lors des dialogues, il faut questionner. Cependant même
dans cette idée largement partagée, nous pouvons dégager deux axes différents à propos du
questionnement.
Pour tous les enseignants, il s’agit de questionner les élèves. L’enseignant est donc un poseur
de questions, le but étant de lancer plein de questions pour que « tranquillement ça émerge »
(Eléonore). L’enseignant est donc vu comme une personne posant des questions pertinentes.
Cependant, pour d’autres, il s’agit aussi d’inciter les élèves à se poser des questions, soutenir
le questionnement des élèves, les amener à se poser des questions (Aline, Eléonore et Fabienne). L’enseignant est donc poseur de questions et incite le questionnement, dans tous les cas,
il le soutient.
Question posée aux enseignants :
3.1 Quelle formation l’enseignant-e a-t-il/elle reçue ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.276 à 300
Alors moi j'ai commencé par les CRP [Communauté de Recherche Philosophique]. J'en ai fait
pendant bien 3-4 ans avant de faire quoi que ce soit dans la classe. J'ai ensuite fait des formations
au DIP [Département de l’Instruction Publique] j'en ai faite une, mais je connaissais déjà pas mal
et on apprend toujours plus finalement, y a pas de soucis, et puis j'en ai faites le week-end, pendant les vacances, car à Evolène il y des semaines philo. C'est vraiment des moments intenses et
je me rappelle très bien les habiletés de pensée, pouf, j'ai mis long pour comprendre un tout petit
78
peu ce que ça pourrait être, et j'en suis encore loin. C'est pour ça qu'il faut rester humble, pour les
élèves, et pour nous-mêmes aussi. Je me rappelle une fois, j'ai fait un dialogue philo, j'ai vu
Alexandre parce que j'étais en formation, je suis arrivée "oh Alexandre, c'était loupé, c'était n'importe quoi..." et le lendemain je suis arrivée "c'était génial!". Et je pense qu'il faut accepter ça et
parfois je pense que ça prend pas ou que c'est le sujet, les enfants ont pas envie ou le groupe,
voilà. Alors après, on peut relancer un peu. Mais c'est comme en classe. On peut donner des magnifiques leçons qui [fait un signe de "se passe pas comme attendu"] et d'autres qui sont faites
comme ça et qui vont bien. Ça dépend aussi d'eux et ce n’est pas dit que quand on nous on a
l’impression qu'il s'est pas passé grand-chose, ce n’est pas dit que dans leur tête il s'est pas passé
forcément grand chose non plus. On ne peut pas juger ça. Puis des fois ils peuvent beaucoup parler, mais que peut-être dans leur tête il n'y a pas eu grand chose non plus. Je pense qu'il faut leur
faire confiance, et moi je vois à chaque fois qu'on peut leur faire confiance, c'est vraiment important. Ils sont beaucoup plus riches que ce qu'on pourrait croire. Ça nous donne aussi une vision
parfois différente de certains élèves qui ne sont parfois pas très scolaires, ou qui en classe, n'ont
pas des remarques magnifiquement pertinentes, et vraiment qui en dialogue philo démontrent
qu'ils ont une certaine finesse, une maturité, un esprit critique quand même assez poussé. J'ai
souvent des élèves qui m'ont étonnée, c'est bien aussi de les voir comme ça, ça enrichit notre
pensée par rapport à eux aussi. Moi, je ne vois pas d'effets négatifs. Ça peut être déstabilisant.
L.318 à 321
Moi, en ce moment c'est par rapport à ces exercices sur le sophisme, tous ces exercices que l'on
peut faire et sur lesquels je ne suis pas totalement à l'aise. Moi, je pense qu'on peut toujours aller
plus loin. On est toujours en mouvement et c'est le bon côté de cette formation aussi.
Brigitte
L.226 à 227
Oui. Moi j’ai aimé ça. Je suis la seule à faire de l'école, mais d'autres le font plus dans le cadre
du conseil de classe, c'est quand même très basique.
L.264 à 266
Non, non, moi je fais ça comme ça, parce que ça m intéresse, et puis voilà. Je suis quelqu'un qui
naturellement conceptualise les choses, c’est pour ça que j’arrive à dire qu’il y a trois axes et que
dans ces axes je vais utiliser telle stratégie.
Chloé
L.326 à 335
Moi, je me suis formée avec Prophilo. J’ai participé moi, pas mal en tant qu’adulte, à des communautés de recherche et après, vu que je crochais bien, j’ai fait partie du comité de Prophilo. Et
après je suis partie en Belgique faire une formation en philo avec Michel Sasseville. Puis après,
on monte aussi des formations à Prophilo, puis on participe à nos formations et rencontrer des
gens qui pratiquent. Alexandre, il proposait les cours à IFP, qui est l’institut de formation pour
les écoles privées, donc je suis passée aussi par là. Après il en propose aussi au DIP. Après avec
C. on faisait des échanges de pratiques. Donc c’est aussi super chouette de rencontrer d’autres
personnes. Et après oui, Alexandre propose aussi un cursus de certificat d’animation, et du coup,
c’est Prophilo qui chapeaute ça et maintenant on a même un certificat d’accompagnateur dans
l’aide à l’animation.
David
270 à 275
Alors, moi j’ai fait ma fac de prof. J’ai fait une fac de philo. Ensuite, j’ai dirigé un institut où il y
avait une formation initiale pour les enseignants dans laquelle la philo était un passage obligatoire. Je me suis beaucoup formé avec Michel (Sasseville) et j’ai toujours été enseignant, car c’est
mon vrai métier, mon métier de cœur aussi et puis je dirige cet institut dans lequel je m'occupe
de la philo. Et j’ai fait un master en ingénierie pour adultes, pour comment organiser une formation, et comment vérifier si elle a été bonne, c’est plus technique.
Eléonore
L.321 à 338
Alors, j’étais stagiaire de la classe de Paule qui a commencé la philo à Genève. J’étais stagiaire
dans sa classe pendant une année et je participais au même titre que les élèves aux communautés
de recherche. J’étais souvent secrétaire, observatrice. Ensuite, je me suis formée. Donc les formations que j’ai eues avec elle, c’était vraiment des communautés de recherche. Dire qu’on travaillait sur Pixie en l’occurrence et que comme les enfants, on posait nos questions et on faisait
une communauté de recherche. Après, j’ai fait des formations avec Michel Sasseville, c'est-à-dire
qu’on est en communauté de recherche avec Sasseville qui anime, puis qui attire notre attention
sur certaines choses, mais voilà, on agit, on est dedans j’ai fait... Je n’ai pas fait de formation
avec Alexandre Herriger, par contre il et venu m’évaluer en classe et ça c’était chouette, parce
qu’il me faisait un retour sur tout ce qui c’était bien passé, sur ce qu’il y avait à améliorer etc. Et
puis là, ça fait deux ans que je fais cette formation, où là c’est un cours de philo, mais où on est
ensemble, mais qui se transforme en communauté de recherche, mais où vraiment là, on travaille
79
sur les concepts philosophiques. Mais là c’est super intéressant, car du coup, ça affine un peu
plus qu’est-ce que c’est une réflexion philosophie, qu’est-ce qu’on veut. Et cette philosophe est
elle-même formée à la méthode lipmanienne, donc elle sait ce qu’il faut faire avec, elle sait
comment on anime une communauté de recherche, donc elle insiste sur ce qu’on doit savoir faire
et ça c’est vachement riche.
Fabienne
L.595 à 600
- formation au dialogue philosophique à distance avec l’Université Laval (Québec).
- environ une dizaine de stages organisés par Prophilo et /ou l’Institut de Formation Pédagogique
de l’AGEP, entre 2007 et 2015, avec Alexandre Herriger (formateur indépendant en Suisse Romande), Michel Sasseville, professeur à l’Université Laval Québec, et Mathieu Gagnon (Professeur à l’Université Sherbrooke, Canada).
- une semaine de stage avec Michel Sasseville, en Belgique.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités dans les possibilités de formation

Initiation aux communautés de recherche scientifiques
Dans les régularités notons que les enseignants se forment eux-mêmes en passant par la pratique du dialogue philosophique entre adultes (communautés de recherche philosophique).
Aline, Chloé et Eléonore affirment prendre part à ces moments de philosophie entre adultes,
leur permettant elles-mêmes de pouvoir se plonger dans des questions qui sortent parfois lors
des dialogues avec les enfants. « Alors moi j'ai commencé par les CRP (Communauté de Recherche Philosophique) j'en ai fait pendant bien 3-4 ans avant de faire quoi que ce soit dans
la classe » (Aline). « J’ai participé moi pas mal en tant qu’adulte à des communautés de recherche » (Chloé). « Ensuite je me suis formée donc les formations que j’ai eues avec elle
c’était vraiment des communautés de recherche dire qu’on travaillait sur Pixie en
l’occurrence et que comme les enfants on posait nos questions et on faisait une communauté
de recherche. » (Eléonore). Ils suivent également des formations ou s’entraînent aux communautés de recherche philosophique via l’association genevoise ProPhilo, en Suisse, ce qui est
le cas pour Aline, Chloé et Fabienne.

Formation par des programmes proposés par des professionnels
Les enseignants font aussi souvent référence à Alexandre Herriger. « Je me rappelle une fois
j'ai fait un dialogue philo, j'ai vu Alexandre parce que j'étais en formation je suis arrivée "oh
Alexandre, c'était loupé, c'était n'importe quoi..." et le lendemain je suis arrivée "c'était génial!" » (Aline). « Alexandre il proposait les cours à l’IFP qui est l’Institut de Formation
pour les écoles Privées donc je suis passée aussi par-là » (Chloé). « Je n’ai pas fait de formations avec Alexandre Herriger par contre il est venu m’évaluer en classe et ça c’était
chouette parce qu’il me faisait un retour sur tout ce qui c’était bien passé, sur ce qu’il y avait
à améliorer etc. » (Eléonore). Fabienne a également suivi des formations avec Alexandre
Herriger : « environ une dizaine de stages organisés par ProPhilo et /ou l’Institut de Formation Pédagogique de l’AGEP, entre 2007 et 2015, avec Alexandre Herriger (formateur indépendant en CH Romande), Michel Sasseville, prof Université Laval Québec, et Mathieu Gagnon (Prof Université Sherbrooke, Canada). ». Ici sort également un deuxième nom connu
80
des formations en philosophie, celui de Michel Sasseville. Dans mon échantillon, quatre enseignants sur six disent avoir suivi des formations avec ce dernier.
Nous observons qu’il existe donc différents modes de formation, car aucune n’est pour
l’heure proposée comme socle commun dans la formation des enseignants. Cependant, nous
observons la volonté que possèdent ces enseignants à chercher et à se former de leur côté.
Ainsi, nous retrouvons une certaine régularité dans la diversité des formations proposées à
l’heure actuelle.
B. Quelques variations et autres possibilités de formation…

Se former par l’expérience
Au niveau des variations, nous avons Brigitte qui affirme n’avoir jamais suivi de formation
ou participé à des discussions philosophiques dans des communautés adultes.

Se former en parallèle avec une formation universitaire
David, pour sa part, a personnellement fait une fac de philosophie et cherche maintenant à
développer une formation privée en collaboration avec l’Université de Laval au Québec.
Question posée aux enseignants :
3.2 Préparation à priori, que fait l’enseignant-e ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.150 à 160
Alors moi, pour l'instant je trouve que c'est moyennement préparé, mais c'est ce que je veux personnellement améliorer. Je trouve difficile, j'ai demandé justement à Alexandre s'il pouvait venir
une fois dans la classe, car j'ai tous les exercices qu'on trouve dans Lipman etc., pour exercer
vraiment, et moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je trouve que quand on fait ça, on
ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma position d'enseignante. Qu'ils fassent
le lien entre ces deux choses sans ne pas arriver à faire le lien, car j'ai une position qui est complètement différente. Donc je vais voir avec Alexandre comment il fait ça, car je ne suis pas très
à l'aise avec ça. Pour l'instant, je ferai des exercices dans un autre contexte par exemple en français 1, puis après ils feraient des liens, mais à ce moment-là je suis enseignante et on fait du français 1. Mais je n'arrive pas à lier les deux, on devrait normalement le faire, mais moi personnellement je n'y suis pas arrivée car je ne suis pas à l'aise avec ça.
L.163 à 164
Oui, voir quelles habiletés de pensée ils pourraient sortir, il y a toujours une préparation en
amont. On n'arrive pas avec un thème comme ça et on verra ce qu'il sort.
L.166 à 172
C'est simplement déjà lire le texte, visionner le film ou l'image et se poser soi-même la question
"bah tiens, quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec ce texte?". Par exemple, est-ce
qu'on va parler sur le bonheur ou sur la vérité? Là, j'ai sorti un petit bout de texte avec des enfants qui jouent au foot et qui ne trouvent pas juste. Qu'est-ce que ça peut induire? Mais, on ne
peut pas rester croché non plus là-dessus, parce qu’on sait jamais où ça va nous emmener. Après
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il ne faut pas essayer de faire des relances pour que ça ramène vers où on veut. Je pense qu'il faut
leur laisser la parole.
Brigitte
L.268 à 269
Moi, je suis très mauvaise car je ne suis pas une bonne enseignante entre guillemets, car souvent
je suis dans ma voiture et je me dis « bah je vais enseigner ça » et puis j'y vais à l'arrache.
L.272 à 279
Non, sur le moment. Parce que pour moi ce qui est important, c’est les élèves qui réfléchissent et
de ce fait je fais avec ce qu’ils me donnent. Non, en fait je suis mauvaise langue, je me dévalorise, c’est faux même. Alors par exemple, pour la vidéo des jeunes garçons, je l’ai balancé comme
ça un vendredi. J’ai téléchargé la vidéo devant eux et je leur ai montrée sur mon Iphone. Mais ça
a marché. Mais si c’est une citation, je vais quand même regarder et il y a quand même souvent
des personnes intelligentes qui dissertent dessus, et ça me permet d’avoir quelques pistes. L'intelligence, typiquement au début, j’ai fait un peu à l’arrache et après je me suis dit qu’il fallait que
je vois les différentes formes d’intelligence.
Chloé
L.337 à 339
Souvent, je me fais moi ma petite communauté de recherche, parce que je sais qu’on va parler de
ça. Alors à table : « Alors en fait, qu’est-ce que vous pensez de… ? » C’est vrai qu’une bonne
préparation ça aide beaucoup.
L.341 à 344
Des relances. Mais effectivement, il faut que tu aies prévu par où ça va aller, donc euh oui, je
préparais beaucoup les relances, donc si ça va par là on peut plutôt développer ça… après il faut
savoir la lâcher et se dire que j’avais pas du tout prévu que ça parte comme ça et finalement, ça
vient avec la pratique aussi.
David
L.344 à 355
Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire. Prendre des vidéos de vous, vous écouter parler, sans arrêter, le rapport réflexif quoi. Faites-vous observer par quelqu’un qui ne connaît rien
ou qui connaît bien. Demandez de co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe.
L.362 à 379
[La discussion revient sur le programme de formation, partie non retranscrite].
Ce n’est pas parce que vous êtes dans l’accueil, dans le non-jugement, que vous derrière, vous
n’avez pas fait ce travail avec ça. C’est hyper important ça. Vous, si vous êtes pas dans l’idée
que vous êtes en train de percevoir de mieux en mieux ce qu’il y a derrière les questions des enfants, vous allez pas avancer. Donc vraiment, même si ça sert à rien ce que j’ai fait quand j’ai
travaillé sur la famille, un jour ou l’autre ça va me servir à quelque chose, et de toute façon la
question que je me suis posé en travaillant là-dessus, ça m’aide à me poser d’autres questions,
donc c‘est gagné d’avance. Vous voyez ce que je veux dire, cette idée d’apprendre sans arrêt.
L.381 à 400
Alors, vous n’êtes pas obligée d’utiliser ça. Moi, ce que j’utilise beaucoup, c’est ça, les plans de
discussion, par exemple : définition du mot correct. Bon, ça, c’est un exercice, voilà, plan de
discussion : "Est-ce que tu peux espérer ce que j’espère ? Est-ce que je pourrais souhaiter ce que
tu souhaites ?" C’est-à-dire, si vous avez ça sous la main et qu’il y a un moment vous trouvez…
là, vous pouvez avoir un jugement, vous trouvez qu’on tourne un peu en rond, paf, vous ressortez
le truc et je me dis ah tiens ça, ça pourrait être intéressant, "Est-ce qu’à votre avis...?". Ça, c’est
Lipman ou Michel Sasseville qui a fait ça. Eux, ils l’appellent Michel Lipman. Mais "Est-ce que
tu pourrais espérer ce que j’espère ? A votre avis ?". En fait, vous faites deux, trois questions, et
puis c’est incroyable comme ça relance, quoi. C’est vraiment super. Moi des fois, j’en écris que
deux, parce que des fois il y en a que je n’aime pas. Mais oui, voilà. Quelle différence entre espérer, souhaiter, je veux dire ils ont déjà travaillé. Pourquoi on s’embêterait à réinventer la roue
quoi ? Et vous avez tout par thèmes. En plus, vous avez des petites choses qui vous donnent les
notions de justice, rêves et histoires, faites-vous des rêves dans lesquels vous n’avez aucun rôle ?
Moi, je trouve les exercices pas terribles, ça je suis assez d’accord avec vous, en fait je les utilise
pas. Mais les plans de discussion, ils sont super. Les exercices, bon, je pense que vous savez ce
que c’est les enfants, que vous les connaissez bien, vous pouvez adapter, hein. J’essaie dans une
séance de toujours couper la séance, ils ont quand même 7ans…
Oui, je fais quarante minutes. A la vingtième minute, il y a toujours quelque chose qui se passe
que j’ai prévu. Ça peut être: «Ok, on va dessiner…. Il a dit que tout ce qui peut exister, qu’une
chose qui existe peut être fausse, alors ok, on essaie de dessiner quelque chose." Même s’il y a
que trois dessins, ce n’est pas grave, on s’est levé. Moi, j’avais préparé les crayons, je donne les
crayons etc. On dessine. « Vous avez 5 minutes pour le faire ». Ok, on affiche. Qu’est-ce qu’on
regarde ? «Ah, d’accord.Tu n’es pas d’accord avec ça. » Et c’est reparti. Pour le nom : « Est-ce
82
que il y en a qui aiment pas leur nom dans cette classe ? Ok. Levez-vous ceux qui aiment pas
leur nom. Et ceux qui aiment ? Et ceux qui ne se sont pas levés ? » Et paf , on leur redonne la
parole. Ils ont bougé trois minutes, mais ils ont besoin, parce que ça relance la discussion. Ça
faut trouver. Un truc que vous pouvez faire, c’est mettre les garçons d'un côté, les filles de
l’autre : "Ok, allez, on inverse pour changer de point de vue, les filles vous allez à la place des
garçons. » Puis ça brasse dans tous les sens, mais ça remue un peu les méninges, ça faut que vous
y pensiez, c'est hyper important.
Introduire, conclure, une phase au milieu, tout le reste, on se la coince, on accepte et on accueille, et surtout on va tirer la substance quoi, ça vient pas du jour au lendemain, mais…
Ça (montre la SEC), ça vous a entravé, non, mais ça vous empêche de penser. C’est ça votre problème, c’est que vous êtes toujours en train de vous dire « Zut, mon objectif, ils sont passés à
côté. Zut, ce n’est pas bien ce qu’ils disent… mettez ça de côté… Laissez-les vivre, laissez-les
penser et là, vous, vous allez trouver dix fois plus de matière que ce que vous avez imaginé. Faites-leur confiance et vous allez voir ça va transformer votre classe.
Eléonore
L.141 à 153
En général moi, ce que j’essaie de faire, c’est une, ou deux, ou trois discussions en communauté
de recherche, et la fois d’après on fait un exercice du classeur. Parce que justement, le but c’est
de développer chez les enfants les habiletés de pensée. Donc, qu’on fasse des exercices pour que
les enfants comprennent l’importance d’un exemple, d’un contre exemple, sachent ce qu’est une
hypothèse, ce qui va leur permettre de l’utiliser après dans d'autres contextes, comme dans
l’environnement, par exemple. Savoir ce que c’est une analogie, une comparaison, une métaphore, etc. Vraiment développer ces habiletés de pensée, parce qu’il s’agit pas juste d’être là en train
de débattre, faut débattre avec des outils et la philo, c’est ce qui permet aussi aux enfants de développer ces outils, et ces outils vont leur servir quand ils feront des dissertations, quand ils vont
faire des sciences. Voilà, c’est ce qui permet aussi d’entrer dans le PER. Dans le PER, il y a les
objectifs de la philosophie pour enfant, ils sont écrit noirs sur blanc. Donc, en tant qu’enseignant,
tu es autorisé à le faire, car il y a des objectifs par rapport à la pensée créative, à la pensée critique.
Fabienne
L.323 à 345
Moi, en général je prépare. Parce que, c’est vrai que, si je vais avec une thématique… C’est tellement riche dans le Petit Prince par exemple. C’est quand même bien d’avoir une idée de là où
ça pourrait aller. Surtout que des fois on arrive dans une impasse, les enfants arrivent pas à sortir
ou partent sur autre chose, ça reste pas dans la ligne de tir. C’est bien de préparer à l’avance, car
on a soi-même des pistes. Ou je présente une autre situation, ou je donne des exemples. C’est
toujours bien de savoir parce que sur le moment on a tellement de trucs sur lesquels « ok, il a dit
ça, lui ça, et lui arrête pas de bouger.. » Des fois sur le moment, bon… Du coup, le fait de se
préparer à l’avance, moi, c’est un outil. Bon, vous avez pas mal de petits textes philo dans lesquels vous avez des angles d’attaque, je ne sais pas, les petits goûters philo. Vous regardez et
vous dites, bah tiens ça serait une piste possible, on coupe et si je vous parlais de ça, vous pourriez faire des liens? Est-ce que c’est différent ou la même chose ? Vous voyez, faire des analogies. Ou y a les guides pédagogiques de Lipman, ils sont tellement riches. Et même si on ne part
pas forcément d’un texte de Lipman. Mais souvent, parce que des fois y a des exercices… et
alors dire : « voilà, ça fait deux, trois séances qu’on discute, aujourd’hui je fais un exercice précis, je travaille une habileté précise, ou on, je ne sais pas, par exemple des métaphores, en disant
« on est fort comme un ? Doux comme un ? » Voilà... Et puis tout d’un coup, ça les force à chercher des images. Et vous pouvez les mettre par groupe de deux, et alterner de temps en temps,
comme ça, et souvent c’est des exercices très terre à terre : « qu’est-ce que je serais si j’étais… »
Donc, ça peut être plutôt un côté créatif. Et à la fin d’une séance, essayer de prendre le temps de
réfléchir sur comment on a réfléchi pendant la séance, garder du temps à la fin. Alors, vous pouvez à la fois réfléchir sur les idées « est-ce que vous trouvez qu’on a eu des bonnes idées ? Est-ce
que quelqu’un pourrait redire quelles ont été les bonnes idées ? » Peut-être les noter.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités dans la préparation et la planification des séances

Partir des méthodes et des moyens existants
83
Au niveau des préparations nous retrouvons des régularités également. Les enseignants parlent d’exercices en philosophie, démontrant qu’il ne s’agit pas uniquement de discuter mais
également de s’entraîner et de renforcer quelques compétences. Par rapport aux exercices de
philosophie, Aline et David avouent qu’ils sont en difficulté à utiliser les exercices proposés
par la méthode Lipman. Aline dit : « moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je
trouve que quand on fait ça on ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma
position d'enseignante. » et David ajoute : « Moi je trouve les exercices pas terribles ça je
suis assez d’accord avec vous, en fait je les utilise pas. Mais les plans de discussion ils sont
super. ». Ces enseignants ne semblent pas être à l’aise avec ce qui est proposé. D’autres font
des exercices sans rencontrer trop de difficultés afin de pouvoir entraîner l’acquisition
d’habiletés de pensée. Eléonore dit : « ce que j’essaie de faire c’est une ou deux ou trois discussion en communauté de recherche et la fois d’après on fait un exercice du classeur. » Fabienne dit également faire des exercices en classe : « (…) parce que des fois y a des exercices
et alors dire « voilà ça fait 2-3 séances qu’on discute aujourd’hui je fais un exercice précis, je
travaille une habileté précise ou on je ne sais pas par exemple des métaphores en disant on
est fort comme un ? Doux comme un ? Voilà… et puis tout d’un coup ça les force à chercher
des images et vous pouvez les mettre par groupe de deux et alterner de temps en temps comme
ça et souvent c’est des exercices très terre à terre (…) ». Retenons donc qu’en philosophie
aussi, il y a des exercices.

Anticiper la pensée des élèves
Les enseignants tentent également de s’imaginer la communauté de recherche qui aura lieu
dans la classe, essayant d’anticiper les habiletés de pensée les élèves pourraient utiliser, lesquelles il serait intéressant de travailler et de développer avec eux. Il y a donc un intérêt de la
part des enseignants à travailler les habiletés de pensée. Aline le dit ainsi il faut : « voir quelles habiletés de pensée ils pourraient sortir, il y a toujours une préparation en amont. (…) se
poser soi-même la question "bah tiens, quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec
ce texte?" ». Eléonore aussi partage cette idée : « Parce que justement le but c’est de développer chez les enfants les habiletés de pensée donc qu’on fasse des exercices pour que les enfants comprennent l’importance d’un exemple d’un contre-exemple (…) ». D’autres imagineront le chemin que pourrait prendre la discussion en tentant d’imaginer ce que pourrait induire
les éléments apportés au cours de la discussion. Ils affirment qu’il est toujours bien de savoir
par où la discussion pourrait se diriger. Bref, avoir une idée du cheminement : « Qu'est-ce que
ça peut induire? » (Aline), « (…) il faut que tu aies prévu par où ça va aller » (Chloé), « (…)
c’est bien de préparer à l’avance car on à soi-même des pistes, ou je présente une autre situation ou je donne des exemples, c’est toujours bien de savoir (…) » (Fabienne).

Préparer des questions de relance
Aline, David et Fabienne préparent à l’avance des relances par des questions, ou des pistes de
réflexion, permettant de relancer la discussion.

Suivre la pensée de l’enfant
84
Aline et Chloé insistent par contre sur le fait qu’il faut également savoir lâcher toute préparation, car l’enseignant ne peut jamais être sûr de la direction que prendra le dialogue : « Après
il faut savoir la lâcher et se dire que j’avais pas du tout prévu que ça parte comme ça et finalement ça vient avec la pratique aussi. » (Chloé) « Mais on ne peut pas rester croché non plus
là-dessus parce que on sait jamais où ça va nous emmener » (Aline). Si l’enseignant ne lâche
pas, il est alors dans un statut qui le rend manipulateur tentant d’imposer des éléments qu’il a
préparés. Ainsi, les enseignants se renseignent au préalable mais doivent savoir se détacher de
ce qu’ils ont préparé pour suivre les idées des élèves et non imposer les leur, dans le but de
suivre leur « planification ».
B. Quelques variations dans la préparation des séances
Concernant les variations nous retrouvons une grande différence. Si la plupart des enseignants avouent préparer à l’avance en imaginant la tournure du dialogue et en proposant des
questions de relances, une enseignante affirme, elle, ne rien préparer du tout. En effet, c’est
Brigitte qui avoue : « Alors par exemple, pour la vidéo des jeunes garçons je l’ai montrée
comme ça un vendredi j’ai téléchargé la vidéo devant eux et je leur ai montré sur mon Iphone ». Elle se rattrape finalement, plus loin dans ses propos, en affirmant que si elle utilise une
citation comme point de départ d’une discussion, elle ira se renseigner sur internet afin de
voir ce que les autres personnes en pensent, pour pouvoir avoir quelques idées.
Question posée aux enseignants :
3.3 Quelle est sa place lors du débat ? (physiquement) Que fait-il/elle concrètement ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.140
Non, on va dans la salle à côté, on a une très grande table où on se met tous autour.
Je suis avec eux oui.
L.142
L.144 à 147
Oui, alors c'est eux qui choisissent, un donne la parole, un observe les hypothèses, un les exemples, les contre-exemples, qu'est-ce qui a fait avancer le dialogue puis après ça dépend ce qu'on
est en train de faire aussi, certains aiment bien relever s'il y a eu des métaphores. On a commencé
un peu les présupposés, ce n’est pas facile.
Brigitte
L.217 à 219
Dans les canapés et moi je suis en face. Ca fait une espèce de carré et les élèves se voient tous,
comme en demi rond. Mais c’est parfois plus compliqué car si c’est une classe nombreuse, il y a
en derrière d’autres et ils se voient plus.
L.125 à 141
Car mon but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dedans une posture réflexive. Et les élèves adorent. C’est vraiment que là, c'est très scolaire tout ce que j’ai vu (me
montre la SEC). Moi, je ne fais pas tout ça, ce que je fais c'est que je vais dans une salle, il y a
des canapés, on est assis, c'est en forme de U et moi je suis assise sur une chaise en face d'eux et
c'est assez relax. Toutes les questions que je pose, par exemple si je cherche le thème de la vidéo,
je vais demander au scripteur "écris le thème, deux petits points" et puis on essaie ensemble de
85
déterminer le thème. "Etes-vous tous d'accord si le thème de la vidéo est la guerre ?" "Oui, ok,
d'accord." "Ah, je vois que toi tu n’es pas d'accord, pourquoi donc? Est-ce que tu peux m'expliquer pourquoi tu es pas d'accord avec le choix de tes camarades?" "Car moi je pense que c'est
plutôt un message de paix, on est plutôt dans le thème de la paix." Et là, on est peut être qu'au
début de la discussion, mais déjà au niveau du thème ils ne sont pas d'accord, donc le fait de ne
pas donner à l'avance le contexte, et peut être déjà dans le contexte les élèves ne seront pas d'accord, et dans le débat à visée philosophique le but déjà c'est de débattre. Donc les élèves déjà, dès
le départ, ils ne seront pas d'accord et c'est en discutant avec eux, les pour, les contres… Alors, il
y a X qui dira "non, moi je ne suis pas d'accord, y a la guerre mais quand même il y a des chars
d'assaut, c'est logique quoi". Puis après il y en a un autre qui lève la main, "oui, que veux-tu dire?" "Moi, je ne suis pas d'accord avec...."
Chloé
L.346
David
L.421 à 423
Oui [assise en cercle], travailler les habiletés de pensée ça peut être intéressant aussi.
Eléonore
L.195
L.197 à 199
Oui, ils sont en rectangle parce que j'ai une petite classe.
L.201 à 210
Je donne de temps en temps mon avis, mais uniquement lorsque je considère que ça va faire
avancer le débat. Ce n’est pas forcément mon avis que je donne, mais c’est plutôt sous forme de
question, que je vais soulever quelque chose auquel ils n’avaient pas pensé, ou parce que j’ai
envie de les emmener quelque part, parce que j’ai l'exercice de Lipman sous la main qui va permettre de parler d’un truc, ou puis voilà. Mais sinon, mon avis réel, ou mon point de vue sur un
truc, non, je le donne pas. Et je trouve que ça a aucune forme d'intérêt de le donner et je trouve
dangereux, car malgré tout, je suis une adulte, donc ce que je dis peut être considéré comme vérité absolue et on n’a pas de vérité absolue, ça c’est clair. Avec les enfants, on est là pour construire ensemble et pour s'approcher le plus possible de la réalité, et ça, on va le construire ensemble,
et c’est ça qui est intéressant.
Fabienne
L.602 à 604
Dans la mesure du possible j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux, ou
alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les élèves.
Nous sommes en cercle, assis sur nos chaises. Je fais partie du cercle et je donne la parole, reprends les questions, demande des précisions, aide à faire les liens, à creuser un exemple, j'anime…
Je suis avec eux oui, on est tous ensemble. Et je suis, même si je suis animatrice, je suis à égalité
avec eux. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de, voilà, hiérarchie. On est tous ensemble dans cette communauté de recherche.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités dans le positionnement de l’enseignant lors des dialogues

L’enseignant est inclus dans la communauté
Par ces témoignages, nous observons que la pratique du dialogue philosophie est un processus
qui semble se faire de manière commune en classe autant physiquement qu’au niveau du
contenu. Nous retrouvons souvent l’expression telle que « tous ensemble » ou « on va le construire ensemble » (Eléonore) « tous autour » (Aline). Il y a donc une réelle preuve que le processus se déroule de manière commune, tous ensembles.

Disposition circulaire
86
Nous apprenons aussi que les discussions se déroulent de manière collective et prennent physiquement dans les classes une forme circulaire. Chloé affirme qu’elle est en forme de cercle,
David dit : « Nous sommes en cercle, assis sur nos chaises ». Pour Eléonore, les élèves sont
également regroupés sous forme fermée « oui ils sont en rectangle parce que j'ai une petite
classe ». « Dans les canapés et moi je suis en face. Ca fait une espèce de carré et les élèves se
voient tous, comme un demi-rond, mais c’est parfois plus compliqué, car si c’est une classe
nombreuse, il y en a derrière d’autres et ils se voient plus. » (Brigitte). « Non on va dans la
salle à côté on a une très grande table où on se met tous autour. » (Aline). Fabienne fait de
son possible pour rester dans le même type de configuration : « Dans la mesure du possible
j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux, ou alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les élèves ». Ainsi, même physiquement nous observons que les dialogues se font de manière commune, de manière à ce que
chacun puisse se voir pour pouvoir mieux partager. Les enseignants, dans ces moments, font
très souvent partie du cercle, du carré du rectangle ou autre.

Dévoluer des rôles aux élèves
De plus, les enseignants attribuent parfois des rôles aux élèves comme celui de scripteur ou
encore d’observateurs. Aline distribue la parole, de telle manière que « c'est eux qui choisissent, un donne la parole un observe les hypothèses, un les exemples, les contre-exemples ».
Brigitte utilise des scripteurs : « (…) si je cherche le thème de la vidéo je vais demander au
scripteur "écris le thème, deux petits points" et puis on essaie ensemble de déterminer le thème. ». Ainsi, en plus d’être présents dans le groupe avec les élèves, les enseignants distribuent
des rôles aux élèves.
B. Quelques variations observées par rapport au positionnement de
l’enseignant

Symétrie ou non dans la place physique
Une enseignante affirme être physiquement en face de ses élèves (Brigitte) alors qu’Aline,
Chloé, David, Eléonore et Fabienne prennent place dans le cercle.
Question posée aux enseignants :
3.4 Quelles sont ses interventions? De quel type? Dans quel but?
Réponses des enseignants :
Aline
L.174 à 181
C’est des relances oui, des « pourquoi »? Sans donner son avis. Car là, quand j'ai relu ce que
vous avez fait, vous avez beaucoup donné votre avis. "Ah c'est bien". C'est le plus difficile, c'est
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à travailler. Même quand on fait ça depuis longtemps, on peut d'un coup être pris par ça. Je trouve même que ça fait vraiment longtemps que je fais ça avec des adultes et des enfants et à un
moment donné il faut se remettre en question, pas prendre une espèce de routine. Je me demande
si parfois je suis moins bonne qu'à une autre période et il faut nous toujours être en réflexion et
toujours revenir sur ce qu’on fait et pourquoi on le fait et comment on le fait, parce qu'on peut
changer aussi les choses.
L.184 à 188
Non, alors moi souvent ce que je fais, c'est que je les cite chaque fois qu'ils apparaissent. Parce
qu'ils font tout ça, ça vient des élèves dans le dialogue. Ils donnent des exemples, des contreexemples, des hypothèses. C'est là, le rôle de le souligner: "ah ben tel et tel fait l'hypothèse que".
C'est juste ça et après petit à petit qui disent "ah ben je fais l'hypothèse que". Le passage se fait
comme ça.
Brigitte
L.510 à 511
Le sujet : « Qu'est-ce que l'amour ? » Ils étaient tous assis en cercle. Je leur ai demandé "Qu'estce que l'amour?" J'ai écrit sur une feuille Java le titre.
L.512 à 546
D'emblée, ils m'ont dit que l'amour "amitié" n'est pas le même que l'amour "papa-maman" et
l'amour "frère et sœur". J'ai cru bon de leur donner le bon vocabulaire. Je leur demandais "Comment ça s'appelle l'amour des frères et sœurs? " Evidemment, ils ne savaient pas et je leur donnais la notion: "amour fraternel". Très vite, je leur ai fait remarquer qu'il y avait différentes sortes
d'amour. On a essayé ensemble de les citer: amour filial, dans lequel on a l'amour maternel, paternel, fraternel. Amour "amitié" ; Amour "couple" ; Amour "passionnel".
En citant les différentes formes d'amour, on a vu qu'il y avait différentes manières d'exprimer
l'amour. Je leur ai demandé: citez-moi différentes manière d'exprimer l'amour? Ils m'ont vite
répondu qu'il y avait les bisous, l'écoute, les cadeaux.... J'ai essayé de faire émerger deux autres :
agir pour l'autre (aider par exemple), et complimenter. Mais ces deux-là, ils n'ont pas trouvé,
même avec des questions de relance: "mais quand on aime quelqu’un, on peut essayer de lui dire
des gentilles choses, non? Quand on aime quelqu’un un on peut l'aider, etc."
NB: pour l'amour passionnel, je leur ai expliqué qu'en latin, "passio" veut dire "douleur" et que
par extension, aimer passionnément, on serait prêt à souffrir pour l'autre. Genre Roméo et Juliette.
Plus tard, j'ai voulu leur donner encore une autre forme d'amour : l'amour altruiste. C'est aimer en
aidant les autres. Je leur ai demandé "Donnez-moi des métiers altruistes". Ils ont facilement réussi à me dire: pompier, policier, ambulancier, médecin, infirmière, etc.
Bref, voilà en gros mon cours. Pour être honnête avec toi, je ne suis pas très satisfaite de cette
leçon. En effet, je pensais que c'était une bonne idée d'enrichir le cours par des mots de vocabulaire soutenu, mais cela a impliqué que je me suis "trop" investie dans le dialogue pour faire
émerger le vocabulaire. A la fin, j'en avais clairement perdu quelques uns, donc résultat nul. Ma
crainte était de tourner en rond, à savoir l'amour c'est: papa-maman, frères et sœurs et hommefemme.
Pourtant, lors du débat, une question s'était posée : est-ce que l'amour est éternel? (question qui a
émergé lorsqu'une fille a dit : oui c'est éternel, et une autre fille a réagi en disant que non), j'aurais pu plus aller dans ce sens pour créer un VRAI débat. Je ne sais plus comment, mais je me
rappelle avoir posé la question : est-ce qu'on peut ne PAS aimer ses frères et sœurs ou ses parents ? S'en est suivi une discussion intéressante. Ceux qui étaient d'avis que même s'ils font des
"crasses", on les aimera de toute manière. D'autres n'étaient pas d'accord. Je me rappelle d'un qui
a dit : « si mon papa ou mon frère était emmené en prison, je ne l'aimerais plus".
Je ne sais plus comment ça s'est terminé, mais une chose est sûre, je suis passée à autre chose
parce que l'oncle d'un de mes élèves est en prison et cet élève était par conséquent très mal à l'aise.
Chloé
L.455 à 460
Rendre mes élèves citoyens, leur permettre de réfléchir pour et par eux-mêmes, leur communiquer la diversité des pensées tout en étant capable de poser un regard critique sur notre monde
d'aujourd'hui, leur donner enfin la parole et l'écoute, pratiquer la bienveillance. Nous pratiquons
une fois par semaine. Les enfants aiment ce moment et en parlent fréquemment à l'extérieur de la
classe, ce n'est pas un conseil de classe, nous ne réglons pas les problèmes internes, cela est fait à
un autre moment. C'est un moment pour penser, pour réfléchir.
David
L.425 à 429
(…) mes interventions sont verbales, ce sont des relances, jamais je ne donne mon avis, très souvent je repose des questions, demande des éclaircissements. Je peux aussi dessiner au tableau le
88
Eléonore
L.394 à 402
Fabienne
L.606 à 609
fil de la discussion, les idées trouvées, les échelles de nuances... Mon but est de préciser le questionnement, de l'alimenter, de le rendre accessible et fructueux, le plus possible.
Mon intervention à pour but de cadrer le débat (le recentrer si nous nous dispersons), de poser
des questions qui permettent de mieux définir les termes que nous utilisons afin d'en partager une
compréhension commune, de poser des questions qui permettent de s'approcher toujours plus
près du concept philosophique (le bien, le beau, le juste, le vrai....les questions d'ordre éthique et
esthétique). Le but étant de partir de la pensée créative pour s'approcher toujours plus de la pensée critique. L'enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Réponse ni La Vérité.
Son objectif est d'aider les enfants à devenir toujours plus expérimentés dans l’usage des habilités de pensées (exemples, contre-exemples, comparaisons, analogies, hypothèses, métaphores,
etc.), et d'affiner la rigueur intellectuelle de la pensée critique
Elles peuvent être en lien avec le contenu et visent le développement de capacités cognitives
(demander définition, raison, critère, comparaison, clarification, reformulation, etc.…) ou avec le
processus et visent plutôt des capacités sociales et affectives (respect du cadre instauré, participation équilibrée des élèves, retour sur la façon dont le dialogue s’est tenu, …).
Que retient-on ?
A. Quelques régularités observées dans les interventions des enseignants

Intervenir dans le but de relancer le dialogue
Concernant les interventions des enseignants lors des dialogues, les enseignants interrogés
nous apprennent qu’ils prennent la parole pour faire des relances : « Mes interventions sont
verbales, ce sont des relances » (David). Voir aussi question 2.2. Comme décrit plus haut et
dans cette question 2.2 également, les enseignants posent des questions dans le but notamment de faire utiliser des habiletés de pensées spécifiques ou d’approfondir la réflexion des
élèves. Ils disent par contre ne jamais prendre parti, ne pas donner leur avis : « L'enseignant
est un poseur de questions. Il ne possède pas La Réponse ni La Vérité ». (Eléonore). «Mes
interventions sont verbales, ce sont des relances, jamais je ne donne mon avis, très souvent je
repose des questions, demande des éclaircissements. » (David).
B. Quelques variations au niveau des interventions

Intervenir uniquement sur la cadre et le respect des règles
Au niveau des variations, nous observons que les enseignants n’interviennent pas de la même
manière. En effet, David fait des interventions verbales, Eléonore en fait dans le but de « cadrer le débat » et Fabienne en fait pour être en lien avec le contenu mais vise le développement des habiletés cognitives. Si tous les enseignants interviennent, nous ressentons par
contre un réel souci des enseignants à jauger leurs interventions auprès des élèves.
Question posée aux enseignants :
89
3.5 L’enseignant-e formalise-t-il/elle? Institutionnalise-t-il/elle?
Réponses des enseignants :
Aline
L.190 à 207
Il y a toujours un retour des observateurs, c'est tous les papiers que j'ai là, car il y en a toujours
un ou deux qui prennent des notes. Il y a un retour par rapport à ça et souvent, je crois que je ne
dis pas grand chose au niveau du bilan retour. Ce qu'il faut faire attention c'est prendre assez de
temps pour le bilan retour, car on est souvent pris dans le dialogue qui devient de plus en plus
passionnant. Déjà, il faut avertir, dire qui parle encore, et après on arrête. C'est le rôle de l'animateur d'être gardien du temps, parce que moi j'ai l'impression que si on donne ce rôle, comme vous
l'avez fait, je n’ai pas la science infuse, mais l'expérience m'a montré qu'un enfant va rester sur la
montre alors que l'enseignant va peut-être regarder où on en est du dialogue, savoir combien de
temps il reste en pensant au retour pour le bilan, et qu'il faut gérer tout ça, mais des fois on y
arrive pas. Et souvent, ce que je fais avant le dialogue philo, je le fais avec ma classe, par contre
pas avec celle de mes collègues, je fais un tour "ça va, ça va moyennement, ça va pas, j'ai besoin
de". Donc ça permet de ne rien régler sur le moment. Un élève dira "moi ça va pas, je me suis
fait moquer à la récré parce que je ne jouais pas bien au foot". Ok, j'ai besoin de? " Les autres
arrêtent, car c'est difficile pour moi". Mais on en reste là. Par contre, moi je note tout ça et une ou
deux fois après, selon ce qu'on est en train de faire et je cherche un texte, ou un bout de film, ou
une image, en rapport avec ça. C'est pour ça quand vous me présentez cette image (elle montre
l'image de l’homme de Tiananmen), il y a trop de choses à apprendre autour avant d'avoir des
émotions.
Brigitte
L.281 à 285
Comme il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus en général je l’écris
et quand on passe a une nouvelle question, toujours en lien avec le thème, on se rend compte que
finalement je vais faire un sous-titre « Qu'est-ce que je la liberté ? », et on écrit la liberté c’est ça.
La semaine suivante on relit le java et ça nous permet de redémarrer, il y a toujours une trace.
L.287 à 289
Pas forcement clore, mais il y a une trace. Je clos le débat en tout cas quand il n'y a plus de débat.
En tout cas je leur dis " Je suis contente, on a bien réfléchi là-dessus, je vous propose de passer à
un autre sujet ".
Chloé
L.359 à367
Oui, j’ai des javas et vu que je prends pas mal de notes aussi… mais j’ai jamais fait… J’ai une
copine qui fait de la philo, mais au cycle, alors eux ils ont un cahier de philo. Alors de nouveau,
je me demande si ce n’est pas un biais de l’enseignant qu’il faut qu’il y ait une trace de formalisation. Alors eux ils ont un cahier de philo et ils font une synthèse à la fin de ce qui est sortit, de
où on est parti, où on est arrivé et où on va partir la prochaine fois, ou de ce qu’ils ont ressenti.
Après, avec les petits, j’avais fait tout un travail sur les émotions à partir des contes d’Audrey
Anne, et ça travaille toutes les émotions et ils faisaient des dessins souvent après la séance. Voilà, c’était une espèce de synthèse par le dessin et souvent ils aiment bien faire ça. C’est vrai que
ça marche bien avec les petits, mais pourquoi pas avec les plus grands.
David
L.307 à 320
Alors comment je clôture ? « Ah, c’est l’heure ! » Mais on se prend une minute quand même
pour garder en tête ce qu’on aimerait dire pour la prochaine fois, donc on ferme les yeux. Place
aux observateurs : "Les observateurs, qu’est-ce qu’ils ont à nous dire?" "J’ai vu ça, etc. ". Et ma
question : "Est-ce que c’était une bonne séance ? Oui ? Pourquoi ? " "Parce que nanana…" C’est
jamais nominatif. Il y a beaucoup d’enfants qui ont parlé, il y en a moins qui ont parlé, il y en a
eu plus cette fois-ci qui ont donné des exemples, ou dire aujourd’hui on était plus dans l’exemple
et il y a eu moins de... voilà, etc. Les enfants on globalement respecté les règles, euh, il n’y en a
pas qui ont coupé la parole, ou il y en a beaucoup moins que la dernière fois, voilà. Et puis, ok,
"Est-ce que ce que les observateurs ont dit, vous êtes d’accord avec eux ? Est-ce que pour vous
aussi c’était une bonne séance ? Qui veut parler là-dessus ?" Ok. "C’est une bonne séance parce
que je me suis senti bien, ou j’ai bien aimé la question." Etc. J’essaie toujours de terminer sur
quelque chose de positif et de reformuler : "Ok, pour toi c’était une bonne séance. Est-ce qu’il y
en a qui sont pas d’accord avec ça ? Et ok, toi t’es pas d’accord. Ok je prends note." On en parle
et c’est tout.
L.322 à 331
Voilà, rester sur le processus. Et le début c’est pareil. "Qu’est-ce qu’on a fait la dernière fois ?"
On garde une minute pour se souvenir. "Est-ce que c’est encore important d’en parler au-
90
jourd’hui ?", etc. Ou alors : "Aujourd’hui, on va attaquer cette question-là, est-ce qu’il y a quelque chose qui est en suspend, qui est vraiment très important ?" Et il y a des enfants qui disent :
" Alors moi, j’ai cherché sur Internet telle chose… "Ah oui, une fois un enfant a dit… on travaillait sur la discrimination et on avait buté sur une voiture volante et un avion. Et il y en a un, qui a
dit que l’avion n’avait pas de roues tout le temps, et l’autre a compris qu’il n’avait pas de roues,
alors il a dit " J’ai cherché, etc. " Ok, donc il a dit : "Ah non, mais c’est pas ce que je voulais
dire, mais je voulais dire ça…" " Ah bon, alors si t’as dit ça c’est ok." Tac, on ferme le truc et on
passe à autre chose.
Eléonore
L.239 à 248
Ça m’arrive de faire par moment un petit résumé, de dire bah voilà, aujourd’hui, on a entendu tel
et tel point de vue, c’était intéressant parce que… Voilà, j’essaie de tranquillement aller vers un
concept, redire avec mes mots ce qu’il s’est passé et vers quoi on est allé aujourd’hui, mais je le
fais pas systématiquement, et je le fais vraiment quand je me sens très à l’aise de le faire, parce
que je pense pouvoir avoir une distance nécessaire. Parce que le piège c’est de trop réduire ce
qu’ils ont dit, donc vraiment, je le fais quand je me sens à l'aise de le faire et que les idées étaient
claires. Et voilà, je prends aussi des mots-clés pendant la séance et ça me permet de faire un retour et d’être active dans mon animation. Ça prend de l’énergie une animation philo, ce n’est pas
un truc, euh… on en sort on est fatigué, parce qu’il faut vraiment être ultra concentré de ce qu’il
se passe.
Fabienne
L.347 à 361
Oui, oui, le retour. Mais à la fois sur le contenu, mais aussi sur le processus. Et au début c’est
aussi donner des choses simples à observer aux enfants, parce que c’est difficile et ils ne savent
pas trop quoi dire. Ou trouver les exemples, les raisons et peut-être vous modéliser une fois :
« voilà ce que j’attends d’un observateur ». Et est-ce que c’est bien écouté ? Et se dire, peut-être,
je fais une fois la discussion un peu moins longue, ou sur la dernière fois comment ça s’est passé,
et noter et dire « voilà, moi j’ai observé qu’il y a les enfants qui s’écoutaient pas ou qui interrompaient ou qui rigolaient. Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour qu’il y ait une bonne
écoute ? » « Alors dire on se regarde, on ne parle pas, on attend », et dire « alors la prochaine
fois, il y a quelqu’un qui observe ça », ou « quelqu’un qui observe que quelqu’un a repris l’idée
de quelqu’un d’autre ». Parce que, des fois aussi, y en a un qui dit un truc et chacun dit quelque
chose et ça a plus rien à voir avec ce qui a été dit avant. Même pendant le déroulement, dire « ah,
vous avez vu ce qu’il a fait là ? » Même si ça casse la discussion, ce n’est pas grave. Et essayer
de faire réfléchir sur qu’est-ce qu'il vient de se passer dans la classe, soit sur des choses positives,
soit négatives. Et puis par exemple de dire de distribuer des rôles.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités autour de l’idée de formalisation

Pas de formalisation mais un retour sur la discussion
Lors de la formalisation, les enseignants parlent d’un léger retour qui peut être fait. Certains
laissent la place aux observateurs et leur donne la parole concernant les observations : « Il y a
toujours un retour des observateurs, c'est tous les papiers que j'ai là, car il y en a toujours un
ou deux qui prennent des notes » (Aline), « Place aux observateurs, "les observateurs qu’estce qu’ils ont à nous dire?" » (David). De plus, Aline affirme : « Il y a un retour par rapport à
ça et souvent je crois que je ne dis pas grand-chose au niveau du bilan retour. ». Ainsi, il est
important de toujours garder un moment pour un retour, qu’il soit fait par les observateurs ou
non. Eléonore aussi : « Ça m’arrive de faire par moment un petit résumé, de dire bah voilà,
aujourd’hui on a entendu tel et tel point de vue c’était intéressant ».

Un retour dans le but de suivre et anticipation d’un prochain dialogue
91
Aline et David, prennent en compte les retours comme permettant, pour la prochain période
de philosophie, de repartir de ce qui a été fait de la dernière fois afin d’assurer un suivi :
« Par contre, moi je note tout ça et une ou deux fois après, selon ce qu'on est en train de
faire et je cherche un texte, ou un bout de film ou une image en rapport avec ça. » (Aline),
« on se prend une minute quand même pour garder en tête ce qu’on aimerait dire pour la
prochaine fois, donc on ferme les yeux » (David). Ainsi, les retours permettent à ces deux
enseignants de repartir la prochaine fois dans la continuité de ce qui a été dit.
B. Quelques variations dans la manière de faire les retours

Des retours sur deux pans, le processus et le contenu
Il existe quelques variations dans le type de retours que font les enseignants. Certains font un
retour sur le contenu de ce qui a été dit : « redire avec mes mots ce qu’il s’est passé et vers
quoi on est allé aujourd’hui » (Eléonore), « faire par moments, un petit résumé » (Eléonore),
« comme il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus en général je
l’écris » (Chloé).
D’autres préfèrent faire un retour sur le processus : « les enfants ont globalement respecté les
règles […] il n’y en a pas qui ont coupé la parole […] c’était une bonne séance ? […] voilà,
rester sur le processus » (David). Les enseignants mélangent parfois les deux et font autant
un retour sur le processus que sur le contenu : « Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour
qu’il y ait une bonne écoute ? […] faire réfléchir sur ce qu’il vient de se passer dans la
classe » (Fabienne).
Relevons également que si les retours sont parfois présents ils ne se sont pas systématiques.
Eléonore le fait uniquement lorsqu’elle se sent à l’aise et qu’elle possède la distance jugée
nécessaire. Chloé se questionne et se demande si ce ne serait pas un travers de l’enseignant
d’avoir besoin systématiquement d’une trace de formalisation.
Question posée aux enseignants :
3.6 Que doit faire l’enseignant pour permettre aux élèves d’atteindre les objectifs ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.410
Brigitte
L.291 à 292
Par l'exemple et la répétition de l'inclusion des habiletés de pensée au sein du dialogue.
Chloé
L.390 à 395
Bah quand… [grand silence] Oui, tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser,
conceptualiser, à bien sûr… mais euh, je trouve que l’importance du groupe, c’est marrant moi je
Alors euh, bah justement, avec les questions de relances, proposer aux élèves qui ne disent rien
"qu'est-ce que tu en penses toi?".
92
vois moins les individus, mais je vois la communauté et vraiment est-ce qu’on atteint vraiment
une communauté…. Oui, je pense qu’effectivement, quand on a dépassé le stade de la confrontation d’idées en tout cas, et qu’on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner, à problématiser…
L.462 à 465
Se mettre en position de transmetteur et non de puits de savoirs, changement de casquette obligatoire et nécessaire qu'il n'est pas toujours facile à adopter. L'enseignant fait partie du groupe de
recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une pensée commune, critique et argumentée.
David
Non répondu
Eléonore
Non répondu
Fabienne
L.611 à 612
Ne pas intervenir pour donner son point de vue, soutenir le questionnement des enfants en apportant les outils nécessaires.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités sur la manière d’atteindre des objectifs

L’enseignant doit perpetuellement soutenir le questionnement
Pour permettre d’atteindre les objectifs, les enseignants insistent le fait de soutenir le
questionnement des élèves, même ceux qui ne prennent pas la parole : « bah justement avec
les questions de relances, proposer aux élèves qui ne disent rien "qu'est-ce que tu en penses
toi?" » (Brigitte). « Ne pas intervenir pour donner son point de vue, soutenir le
questionnement des enfants en apportant les outils nécessaires » (Fabienne).
B. Quelques variations sur la manière d’atteindre les objectifs

Le groupe et non les individus pour atteindre les objectifs
La variation principale est celle exprimée par Chloé qui voit plus l’atteinte des objectifs au
niveu du groupe qu’au niveau individuel.
Question posée aux enseignants :
4.1 Y a-t-il selon l’enseignant-e des acquis visibles chez les élèves ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.209 à 223
Quand ils commencent, les acquis c'est déjà le passage de la parole, l'écoute de l'autre, la manière
dont ils oralisent certaines choses, les questions posées qui deviennent de plus en plus fines,
moins en moins de présupposés, et de plus en plus nettes. Et je vois chez eux aussi l’acquisition
de habiletés de pensée, car à force de les manier, ils les font leurs. Ça devient quelque chose de
93
normal. Ils me disent maintenant très facilement "je fais l'hypothèse que", et après il y a un autre
qui "oui mais moi j'ai peut être une autre idée " et ça c'est énorme ce qu'ils apprennent. Car c'est
pas une discussion qu'on aurait comme ça, car ils font très bien la différence eux, ils sont dans
une posture différente, car quand on discute on argumente, autour d'une table de bistrot et on
essaie de convaincre qu'on a raison et que c'est comme ça et pas autrement, et puis tout le monde
parle un petit peu en même temps, il n'y a pas de règle par rapport au passage de la parole et tout.
Et moi, je vois de plus en plus que les élèves arrivent, avec le temps, à donner eux la parole et
pas à la donner au copain. Par contre ce que je fais, c'est que quand on fait des votations pour le
choix des questions, je les fais mettre en position hérisson. Ils ferment les yeux car c'est leur vote. Pour que eux ils fassent comme ils y sentent, et pas tiens il y a personne qui lève la main je
n’ose pas lever la main. C'est important.
Brigitte
L.305 à 308
J'avais, par exemple, une élève qui au début avait de la peine à s’exprimer, c'était toujours brouillon, on comprenait rien, et petit à petit, à force de reformuler ce quelle disait, et lui dire bon une
chose après l'autre, « que veux-tu dire par rapport à ca? », « ok, on reviendra après sur la suite ».
Chloé
L.370 à 375
Moi, je dirais que c’est plus, peut être, une qualité d’écoute. Oui, je pense que quand on fait
beaucoup, que c’est une qualité d’écoute entre eux. Et puis c’est la grande question de la transposition, parce que c’est super difficile de transposer. Mais finalement, on pourrait faire de la philo
dans tout. On fait du français, des maths, alors on y va, on fait un débat philo sur ça. C’est, je ne
sais pas, je n’ai pas vraiment… Ou peut-être dans la gestion des conflits. Moi je sais que ça m’est
utile déjà en tant que personne, j’aborde plus la même chose, les conflits.
David
L.228 à 230
Ça, c’est une question que vous, vous ne posez pas… Vous verrez après s’ils ont appris ou pas,
mais ils vont apprendre. Si vous avez confiance dans le processus, ils vont apprendre.
L.431 à435
Oui, très rapidement dans leur façon d'être, dans leur niveau d'écoute, dans leurs analyses, ils
reprennent les éléments que nous faisons observer (par exemple, au lieu de dire : « Je suis ok
avec lui », ils vont vite dire : « j'ai la même opinion que lui, je ne suis pas ok avec son exemple,
sa définition est imprécise », au lieu de je ne comprends pas..) comportement, métalangage, prise
de distance, jugement moins émotionnel etc.
L.58 à 62
C’est un processus la philosophie, vous êtes dans un processus de changement et eux aussi. La
preuve, si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début d’année et ce qu’ils sont capables
de dire en fin d’année, vous passez du « Je suis d’accord » à « Son exemple me fait changer
d’avis ou j’ai changé d’avis car le contre-exemple qu’il a donné… » Voilà, ça veut dire qu’ils ont
déjà intégré énormément de choses.
L.129 à 134
Est-ce que je suis contente de ce qu’ils ont dit ? Franchement ? Je suis toujours content de ce
qu’ils ont dit. Parce que si vous regardez plutôt le processus qui est en train de se passer, c’est
toujours positif. Après, ça pourrait mieux se passer, ce n’est pas de leur faute, c’est de la notre.
On n’a pas su. Moi, j’ai été filmé il y a pas longtemps et je me suis dit « Ah, zut, j’ai raté.
J’aurais dû lui demander pourquoi… » On ne peut pas être partout, ce n’est juste pas possible.
L.140 à 147
Mettez de côté tout ce qui vous appartient, soyez avec eux, accueillez, voyez leurs questionnements et à mon avis, ça va émerger et vous serez super contente, et soyez vous-même dans la
découverte, vous savez rien et vous êtes là comme quelqu’un de naïf, et c’est vrai, vous allez
découvrir plein de choses. Vous allez découvrir à quel point ils pensent bien, à quel point le petit
qui parle jamais et qui a l’air le dernier de la classe est hyper brillant, a une pensée hyper logique
et vous auriez jamais cru ça de lui, et c’est ça, c’est là-dessus que vous êtes. Vous n’êtes pas sur
le niveau de pensée, c'est égal ce qui est en train de se construire.
Eléonore
L.250 à 254
On va le voir au fur et à mesure des communautés de recherche. Déjà ils vont les réclamer, ils
vont avoir du plaisir, ils vont faire « oui » quand on dit que maintenant on va faire une communauté de recherche scientifique, et puis tranquillement ils vont devenir de plus en plus compétents et ça c’est vraiment… Ca ne vient pas tout de suite. C’est vraiment sur leurs compétences.
Ça se voit, mais à mon avis, ça se sent. C’est quelque chose, et effectivement je pense que c’est
une des difficultés, c’est dans l’évaluation, parce qu’évaluer la pensée de quelqu’un..., C’est facile d’évaluer des compétences précises, calculer… Mais maintenant, le fait d’être capable de donner plus de sens à son expérience de vie, ce n’est pas facile à évaluer. En revanche, si vous le
Fabienne
L.364 à 378
94
faites sur la longueur, vous allez voir tout d’un coup des élèves qui interagissent plus entre eux,
au sein du groupe. Ca vous pouvez le voir. Au début c’est vrai que, quand on commence souvent
c’est presque one-to-one, y en a un qui dit, puis il vous parle tout le temps. Si on demande de
constater que les élèves se regardent plus, d’interagir plus entre eux, que le climat de la classe est
plus… les gens, les enfants posent plus de questions. Tout d’un coup on dit « mais tu dis, mais
pourquoi tu dis ça ? » Vous voyez, c’est cette capacité, la formulation. Et y a plusieurs enseignants qui m’ont dit, la formulation, le fait qu’ils soient capables et qu’ils puissent prendre la
parole, le fait de formuler et poser des questions quand ils n’ont pas compris quelque chose ou
qu’ils essaient de comprendre. Voilà. Mais c’est vrai que d’évaluer, comme on évalue une compétence je fais une phrase avec verbe, sujet, complément ou mathématique, c’est compliqué.
L.614 à 619
Partie la plus difficile mais on peut donner des pistes : lorsque le dialogue s’instaure entre les
enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche ;
lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants prennent la parole et expriment leurs
propres idées ; lorsqu’ils sont capables de la justifier ; de les formuler au plus près de leur pensée
; lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir compte, voir
changent d’avis
Que retient-on ?
A. Quelques régularités et acquis visibles observés par les enseignants chez
leus élèves

Acquisition d’une meilleure écoute de la part des élèves
Les enseignants retrouvent plusieurs acquis chez les élèves par la pratique du dialogue philosophique en classe. Tout d’abord les élèves amélioreraient leur niveau et leur qualité
d’écoute. Aline le dit : « Quand ils commencent, les acquis c'est déjà le passage de la parole,
l'écoute de l'autre ». Chloé pense également que les élèves acquièrent une qualité d’écoute :
« Moi je dirais que c’est plus, peut-être une qualité d’écoute » David observe aussi que :
« très rapidement dans leur façon d'être, dans leur niveau d'écoute » les élèves progressent.
Fabienne le relève également : « lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et
réussissent à en tenir compte ».

Une prise de parole plus osée de la part des élèves
De plus, cette pratique augmenterait leur capacité à prendre la parole en classe, à respecter le
tour de parole et favoriserait les interactions entre élèves. « Quand ils commencent, les acquis
c'est déjà le passage de la parole » (Aline). On observe aussi des élèves parfois en difficultés
face à l’expression de leurs idées : « (…) et petit à petit à force de reformuler ce qu’elle disait
(…) » (Brigitte). Les enseignants observent aussi des progrès dans les formulations des élèves : « Vous voyez c’est cette capacité la formulation et y a plusieurs enseignants qui m’ont
dit, la formulation le fait qu’ils soient capable et qu’ils puissent prendre la parole » (Fabienne). Fabienne ajoute également qu’avec le temps, les élèves interagissent plus entre eux et se
détachent du dialogue unique présent, au début, juste entre l’enseignant et l’élève : « En revanche si vous le faites sur la longueur vous allez voir tout d’un coup des élèves qui interagissent plus entre eux (…) » (Fabienne). Ainsi, nous observons ici que prendre la parole en
classe n’est pas donné à tous et que les enseignants observent des progrès, et donc des acquis
au cours des échanges.
95

Un questionnement plus fin de la part des élèves
Par l’écoute et la prise de parole qui se développent, les élèves seraient, du coup, plus aptes à
se questionner. Les questions deviendraient plus fines : « les questions posées qui deviennent
de plus en plus fines, moins en moins de présupposés et de plus en plus nettes » (Aline). Elles
deviennent aussi plus nombreuses et leur permettraient tout simplement d’avoir un temps
pour les poser sans être jugés. Fabienne observe : « (…) le fait de formuler et poser des questions quand ils n’ont pas compris quelque chose ou qu’ils essaient de comprendre ». Les élèves acquièrent une capacité à se questionner qui évolue dans son fonctionnement aussi.

Le développement des habiletés de pensée chez les élèves
D’autres acquis se situeraient au niveau de l’acquisition des habiletés de pensée. En effet, les
élèves seraient plus aptes à les utiliser et donc à construire leurs propos de manière logique.
Aline dit « Ils me disent maintenant très facilement "je fais l'hypothèse que" et après il y a un
autre qui "oui mais moi j'ai peut-être une autre idée " et ça c'est énorme ce qu'ils apprennent ». David observe également des acquis dans cette compétence : « La preuve si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début d’année et ce qu’ils sont capables de dire en fin
d’année, vous passez du « je suis d’accord » à « son exemple me fait changer d’avis ou j’ai
changé d’avis car le contre-exemple qu’il a donné… » Voilà ça veut dire qu’ils ont déjà intégré énormément de choses ».
B. Quelques variations dans l’observation des acquis

Des acquis peu observables au début mais un processus toujours positif
Nous observons à travers les dires des enseignants d’autres positions sur les acquis effectués
par les élèves. David dit qu’il faut faire confiance au processus et que de toute façon les élèves apprendront quelque chose et que cela se verra à la fin. Il affirme que le processus sera
toujours positif et que ce qui importe n’est pas le niveau de pensée mais bien le processus.
« Ça c’est une question que vous vous ne posez pas… Vous verrez après s’ils ont appris ou
pas, mais ils vont apprendre. Si vous avez confiance dans le processus ils vont apprendre.
(…) C’est un processus la philosophie, vous êtres dans un processus de changement et eux
aussi. (…) Parce que si vous regardez plutôt le processus qui est en train de se passer c’est
toujours positif (…) Vous n’êtes pas sur le niveau de pensée, c'est égal ce qui est en train de
se construire ». David affirme lui qu’il s’agit bien du processus dans lequel il faut entrer et
non dans la richesse des idées. Pour lui, ce processus permettra toujours d’obtenir des acquis.
Cet enseignant fait totalement confiance au processus qui montrera par la suite que les élèves
ont acquis quelque chose.

Qui dit acquis dit évaluer, difficile en philosophie !
Au niveau des variations, Eléonore verra les acquis chez les élèves aussi à partir du moment
où ils auront du plaisir et que les élèves réclameront ces moments. Et Fabienne se voit mal
observer les acquis, car elle considère comme très difficile de pouvoir évaluer la pensée de
96
quelqu’un et donc juger les acquis : « C’est quelque chose et effectivement je pense que c’est
une des difficultés c’est dans l’évaluation parce que évaluer la pensée de quelqu’un..., c’est
facile d’évaluer des compétences précises, calculer mais maintenant le fait d’être capable de
donner plus de sens à son expérience de vie c’est pas facile à évaluer ». Cependant, elle affirme comme nous l’avons vu plus haut qu’elle verra des acquis au niveau des interactions
entre élèves. Nous comprenons donc ici que les acquis ne peuvent pas être jugés sur le contenu des idées mais sur la forme (habileté de pensée), sur la manière de les partager (interactions, questionnements, prise de parole) et sur la réception de ceux-ci (écoute).
Question posée aux enseignants :
4.2 Quels sont les indices permettant à l’enseignant-e d’avancer, réguler ou se rendre
compte des progrès de ses élèves ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.254 à 258
C'est dès le moment où on pense sur la pensée de chacun, mais là aussi, je pense qu'il faut être
humble. On est tous philosophes et on est tous complètement amateurs. Alors, faire de la philo,
verbe faire là... Eux, ils disent toujours, on est là pour penser ensemble. Quand je fais avec les
petits à la maison, ils rentrent et disent "aujourd'hui on a pensé ensemble". Et ce n’est pas on a
discuté, et vraiment, on pense ensemble.
L.260 à 270
Moi, je pense qu'il faut être un peu humble. Les critères, après je pense qu'on peut se les poser, il
a des questionnaires qu'on peut remplir et je pense qu'on peut être plus fins vis à vis de nousmêmes. Mais au début, je pense qu'il faut être un peu humble. Il vaut mieux faire bien et quelque
chose de petit, que de vouloir faire quelque chose de tout grand, tout parfait, et qu'en fait ça soit
monté de toute pièce et manipulé, en fait moi j'y crois pas pas trop à ça. Les dialogues philo et
communauté de recherche les plus merveilleuses que j'ai pu faire ça été souvent sur une toute
petite chose. Et souvent, j'ai fait des communautés de recherche philo, le même texte avec des
adultes et des enfants, j'ai eu la possibilité, ça c'est trouvé comme ça et j'ai très souvent vu que
les enfants avaient des questions précises, fines et que les dialogues philo qui étaient vraiment
magnifiques qui étonneraient plusieurs personnes, et ça amène à d'autres choses aussi au niveau
de la classe.
Brigitte
L.329 à 333
Oui, beaucoup des questions de relances et de reformulation. Quand un élève me parle de son
expérience, je vais essayer de tirer un concept parfois de cette expérience. "Ah, toi tu dis que tu
es intelligent car tu arrives à faire tes additions", bah, essayer de trier en disant "alors peut-on
dire que tous ceux qui font des additions sont intelligents ? » J’essaie, par des questions, de généraliser, puis de conceptualiser.
Chloé
L.381 à 388
Bah, quand ça décolle pas, quand on est dans la juxtaposition d’idées, d’exemples. Alors des
fois, c’est nécessaire parce que tu sens que là, oui c’est vrai, on travaillait une séance sur la mort
avec les petits, bon bah voilà il a fallu que je fasse un tour de groupe pour que chacun puisse dire
que quand son chien était mort ou son hamster… parce que sinon je perdais le groupe. Je sens
qu’il fallait que je passe par là, parce que sinon, oui, chacun devait être entendu et après on pouvait repartir dans les hautes sphères. Voilà. Mais il y a avait tout d’un coup un besoin concret.
Mais oui, quand tu sens que ça décolle pas et que… oui, mais de nouveau, je pense qu’au début
c’est normal de passer par là.
David
Non répondu
97
Eléonore
L.228 à 237
Je ne le dis jamais parce que je n’émets pas de jugement de valeur sur ce qui est en train de se
produire. Je suis juste la personne qui va relancer la question quand moi je considère qu’on est en
train de piétiner, ou quand on va plus dans une direction qui ressemble plus à une discussion de
bistrot. Je vais réorienter et quand on n’a plus rien à se dire, on change de sujet. Et puis, toute
façon, on a plein de questions et on va toutes les traiter. Certaines on va les regrouper, mais on va
toutes les traiter, parce qu’il n’y a pas une question qui est plus intelligente qu’une autre. Parce
que c’est important que les enfants se sentent tous respectés et valorisés, et quand on n’a plus
rien à se dire, on change de sujet. Et en plus avec Lipman, l’avantage c’est que tu sais que le
thème, il va revenir dans un chapitre, deux ou trois, et on va le réaborder, mais sous un autre angle.
Fabienne
L.381 à 433
Ça, je dois dire c’est assez au feeling. Si vous sentez que ça péclote de temps en temps, tout d’un
coup, je ne sais pas, quelqu’un fait une intervention et vous sentez que l’élève a soulevé quelque
chose d’intéressant, bah vous pouvez suivre cette piste et disons ce qu’il faut c’est éviter trop de
répétitions et éviter, si les gens ça croche pas, si vous sentez que socialement dans le groupe…
Par exemple, l’année passée on a été dans des classes de 8P qui avaient déjà fait un an en 7P.
C’était une classe fantastique. Et quand on est arrivé, on a changé d’animateur, et l’année suivante ces 8P, et la dynamique de la classe a vraiment pas mal changé, préados… et les filles, quatre,
cinq filles brillantes d’un côté, les garçons assez très silencieux de l’autre. Une dynamique vraiment… des clans entre filles… très, très difficile. Et ça a été très compliqué de les faire parler,
parce que pareil, ça a mis beaucoup de temps avant qu’il y ait quelque chose qui se passe dans le
groupe, parce que y avait ces… Ca dépend un peu du groupe et c’est à vous de sentir. Parfois
mettre plus l’accent sur… Des fois ça peut être aussi faire une activité. Di vous sentez que le
problème est social dans la classe, que y a quelque chose qui se crée pas dans le groupe, vous
pouvez même essayer de faire un petit exercice de théâtre, des choses qui… que les gens
s’expriment différemment, qu’il y ait des petits jeux de rôle, qu’il y ait... Il peut y avoir des situations, les faire travailler en petits groupes. C’est ça aussi, des fois, ils se fatiguent, parce qu’ils
ont envie de parler. Quand ils sont vingt, ou vingt-quatre des fois, on n’arrive pas à donner la
parole à tout le monde. Donc à la fin ils s’énervent, ils sont frustrés, donc faire des petits groupes, des groupes de trois ou deux, trois, quatre, après ils font un retour. Ou une fois, à partir d’un
conte, on avait discuté des bêtises. C’était un renard, un petit conte japonais, donc euh… bon il a
fait quelque chose qui c’est très, très mal terminé pour lui, à la fin il meurt et tout, parce qu’il
essaie de réparer sa bêtise. Mais enfin il l’a faite, donc c’est comme ça. Donc après, on a fait tout
une discussion sur les bêtises, et je leur ai demandé à tous d’imaginer une bêtise. J’avais amené
ma boîte à bêtises et j’ai dit : « Vous allez tous marquer sur le papier une bêtise que vous avez
envie de faire, vous n’allez pas signer c’est anonyme ». Donc évidemment, c’était de mettre du
chewing-gum, du dentifrice ou de la mayonnaise dans les chaussures de mon père, jusqu’à brûler
l’école et tuer des gens. Y avait un spectre de bêtises quand même large. Et alors du coup, je suis
revenue la semaine suivante et sur la vingtaine j’en ai pris cinq ou sept et je les ai mis par petit
groupes, et j’ai dit : « on va faire une échelle sur le tableau, puis on va mettre à 0 la chose la
moins grave et à 10 la bêtise la plus grave. Et vous allez devoir évaluer. Vous avez cinq, six bêtises chaque groupe, les mêmes. Donc, évaluez la gravité de la bêtise et vous allez nous dire pourquoi et où vous la situez sur l’échelle. » Et ils ont travaillé entre eux, et ils avaient huit ans, et
ensuite ils sont revenus. Ca c’est fait sur deux, trois séances et ils ont dû chacun placer les bêtises, et y en a qui avaient placé la bêtise, par exemple, dégonfler un pneu de vélo… alors y en a
qui l’avaient mis à 1 d’autres 8. Et l’idée c’est ça qui était intéressant. Sans dire que y en a une
qui était bonne ou pas bonne, mais c’était quelles étaient les raisons, justifier, puis après il fallait
évaluer les raisons. Déjà, il fallait voir aussi, ils étaient surpris car ils n’avaient pas tous le même
classement. Et puis justement, les raisons y en a qui disaient « Oui, mais dégonfler un pneu de
vélo ça va, ce n’est pas grave » et d’autres « oui, mais si tu abîmes un pneu de vélo que la personne va sur la route et qu’elle a un accident, et tout ça.» Et ce qui était intéressant, c’est qu’il y
avait une raison, fallait justifier la raison et donc parmi la gravité, c’était l’élément de la conséquence. Et là, la conséquence de l’école, certains avaient mis brûler l’école, mais ils n’avaient
pas tous mis au même endroit. Mais du coup c’était fantastique, parce qu’ils avaient des réflexions, parce que y avait vraiment un spectre de bêtises et il y avait vraiment des choses très
intéressantes et des choses, ou au contraire, assez innocentes : écrire une lettre en traitant de
chou-fleur la directrice de l’école… Bon, oui mais est-ce que… Voila, tout d'un coup mis face à
la conséquence ça peut vraiment faire du mal à quelqu’un. C’était super intéressant. Donc voilà,
de temps en temps, faire des activités comme ça, qui change toujours un peu parce que, voila,
des fois ça roule moins bien. Bon ça je n’avais pas trouvé dans le guide mais je me suis dis, je
98
fais ça car ça a l’air sympa, y a sûrement des trucs de pédagogique, des fois on peut faire des
trucs sur des dessins. Enfin voila, y a plein de choses…
Que retient-on ?
A. Quelques régularités sur la manière de réguler le dialogue

Réguler sur le ressenti
Concernant la régulation au cours de l’activité, Chloé, Eléonore et Fabienne parlent d’un ressenti. « Tu sens » (Chloé), « au feeling » (Eléonore) et « ça dépend un peu du groupe c’est à
vous de sentir parfois » (Fabienne). Les régulations se font donc en partie à l’aide de ce que
ressent l’enseignant lors du dialogue philosophique.

Réorienter pour ne pas s’étouffer
On observe également des démarches de réorientation de la part des enseignants, car les questions sont nombreuses et que parfois le sujet s’étouffe. Eléonore va donc réorienter jusqu’à
que le sujet de la question aboutisse : « Je vais réorienter et quand on a plus rien à se dire on
change de sujet et puis toute façon on a plein de questions et on va toutes les traiter ».
B. Quelques variations sur la manière de réguler

La gestion des anecdotes fait avancer ou reculer le dialogue
Les enseignants interviennent aussi lorsque les élèves restent sur des anecdotes et qu’ils ne
prennent pas de distance par rapport au sujet afin de conceptualiser. « Bah quand ça décolle
pas, quand on est dans la juxtaposition d’idées, d’exemples. » (Chloé). « (…) je suis juste la
personne qui va relancer la question quand moi je considère qu’on est en train de piétiner ou
quand on va plus dans une direction qui ressemble plus à une discussion de bistrot ». (Eléonore). Cependant, Chloé ajoute qu’elle est parfois obligée de passer par les anecdotes de chacun pour pouvoir ensuite mieux conceptualiser avec les élèves : « chacun devait être entendu
et après on pouvait repartir dans les hautes sphères voilà ».

L’humilité comme clé de réussite
Concernant les quelques autres variations, ou apports plus personnels, nous pouvons observer
que certains enseignants font des coupures en proposant des activités autres (classement, travail par groupes, ou autre) : « faire des petits groupes, des groupes de trois ou 2-3-4 après ils
font un retour. Donc voilà de temps en temps faire des activités comme ça, qui change toujours un peu parce que voilà des fois ça roule moins bien » (Fabienne). Aline, pour sa part,
attire l’attention sur le fait qu’ : « Il vaut mieux faire bien et quelque chose de petit que de
vouloir faire quelque chose de tout grand tout parfait et qu'en fait ça soit monté de toute pièce
et manipulé (…) ».
99
Question posée aux enseignants :
4.3 Comment observer si les objectifs sont atteints ?
Réponses des enseignants :
Aline
Non répondu
Brigitte
L.310 à 327
Oui. J’ai vu aussi une gamine très manichéenne qui était du genre… Une fois, on a parlé de
« Est-ce que les animaux valent autant que les humains ? », et il y avait eu une votation sur les
avocats pour animaux. Cette enfant était beaucoup dans "ah, ils sont méchants, les gens sont soit
méchants, soit gentils." C'était assez fatigant pour moi adulte, mais je trouve intéressant car au fil
de l'année, elle s'est rendu compte que c'était beaucoup plus subtil. Les chiens, l'euthanasie, elle
disait les gens sont méchants, et là je l'ai piquée dans le vif. Et je lui ai dit : « l’autre jour, tu as
tué l'araignée à côté de ton bureau. Tu es méchante alors?" "Mais non, pas du tout." Après voilà,
on fait avec ce qu'on est, ou si tu ne veux pas dire que tu es d'accord avec des camarades, on a vu
que ça posait un problème de tuer des chiens, mais pourquoi ça te pose pas problème de tuer une
araignée? Puis là du coup, on s'éloigne, on monte d'un niveau. « Est-ce que les animaux ont tous
la même valeur? » et on conceptualise. On se rend compte que les animaux domestiques ont plus
de droits que les animaux sauvages, mais pas tous les animaux sauvages, car si on tue un éléphant pour ses défenses, c'est horrible tout le monde crie au scandale. Mais voilà, quand on tue
une araignée, c’est aussi un animal sauvage, mais c’est admis. On est plus dans le sujet de base, à
savoir, je ne sais même plus ce que c'était. Mais voilà, ce que je trouve intéressant c’est de
conceptualiser, mais je me rends compte qu'en parlant, que ça m'arrive de m'éloigner du sujet de
base, mais ce n’est pas grave, car on monte d'un niveau et on arrive à se détacher.
Chloé
L.390 à 395
Bah quand… [grand silence] Oui, tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser,
conceptualiser, à bien sûr… mais euh, je trouve que l’importance du groupe, c’est marrant moi je
vois moins les individus, mais je vois la communauté et vraiment est-ce qu’on atteint vraiment
une communauté…. Oui, je pense qu’effectivement, quand on a dépassé le stade de la confrontation d’idées en tout cas, et qu’on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner, à problématiser…
David
Non répondu
Eléonore
L.256 à 278
Tu le vois parce que d’un coup tu te dis « waouh ». Et t’as juste des enfants qui vont commencer
à utiliser des habiletés de pensée, mais ça se fait tranquillement. Je te rassure, moi je ne commence pas par : « Aujourd’hui, nous allons parler de la comparaison.» C’est tranquillement. On
va commencer à mettre ça en place, et petit à petit, et une habileté de pensée après l’autre, ou
alors quand un enfant parle dire « Là, tu viens de faire une comparaison.» Et puis du coup, les
autres : « C’est quoi une comparaison ? Qu’est-ce qu’un tel a fait en parlant ? » « Ah bah, il a dit
que ça c’est comme ça », le comme utilisé comme comparaison ça permet de justement mettre
deux choses en balance, c’est une habileté de pensée. Ou bien relever les présupposés : «Mais
pourquoi est-ce que tu dis ça, pourquoi tu dis ça ? » « Ah, parce que je l’ai entendu ou parce que
tout le monde le dit.» Et, mais euh, « Est-ce que tu penses que c’est vrai ou c’est juste quelque
chose qui s’utilise communément ? » Et puis, à un moment donné, on utilise des choses sans
forcément réfléchir, et est-ce que ça a un sens ? Et les autres peuvent aussi réagir et… Mais si tu
veux, la seule chose où je me mets des barrières, c’est quand les enfants parlent de Dieu, parce
que je trouve, je considère que j’ai pas les outils moi, pour parler de Dieu avec les enfants, et j’ai
pas envie de mettre le doute et c’est pas mon rôle d’enseignante à commencer à mettre le doute.
Voilà, je respecte ce qu'il se passe dans chaque famille. Donc ça, c’est un sujet avec lequel je
suis pas à l’aise. Je le suis un peu plus avec les formations que je fais maintenant, d’ailleurs elle
m’avait dit ma prof : « Moi, je me sens capable de le faire parce que je suis philosophe », et tranquillement je pense que si ça devait émerger, j’aurais plus d'outils. Mais voilà, parfois il y a certains sujets qui sont périlleux, quoi. Parce qu’obligatoirement, il y a celui qui croit en Dieu et
celui qui croit pas. Et celui dans lequel sa famille on croit en Dieu et celui dans lequel, dans sa
famille, on ne croit pas en Dieu, et voilà. Donc c’est vraiment hyper délicat et il faut vraiment
savoir ce qu’on fait.
100
Fabienne
L.614 à 619
Partie la plus difficile mais on peut donner des pistes : lorsque le dialogue s’instaure entre les
enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche ;
lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants prennent la parole et expriment leurs
propres idées ; lorsqu’ils sont capables de la justifier ; de les formuler au plus près de leur pensée
; lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir compte, voir
changent d’avis
Que retient-on ?
A. Quelques régularités autour de l’observation de l’acquisition des acquis

Le temps comme ingrédient de développement et construction de l’esprit critique
Les enseignants voient évoluer des élèves en difficulté : « J’ai vu aussi une enfant très manichéenne (…) au fil de l'année elle s'est rendue compte que c'était beaucoup plus subtil » (Brigitte). « Tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser, conceptualiser »
(Chloé). Brigitte et Eléonore parlent également d’une question de temps durant lequel les objectifs sont atteints. En effet, « c’est tranquillement on va commencer à mettre ça en place
petit à petit » (Eléonore) et Brigitte a observé une de ses élèves qui a évolué au fil de l’année
dans sa manière de voir les choses et penser, puis cette élève s’est rendue compte que c’était
plus subtil.

La conceptualisation comme preuve
De manière plus objective, quelques enseignants affirment que les objectifs sont atteints à partir du moment où les élèves arrivent à conceptualiser : « (…) quand on a dépassé le stade de
la confrontation d’idées en tout cas et que on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner
à problématiser. » (Chloé), « Puis là, du coup, on s'éloigne on monte d'un niveau. (…) on
monte d'un niveau et on arrive à se détacher ». (Brigitte). La conceptualisation serait donc
une preuve d’objectif atteint. D’autres objectifs se retrouvent finalement dans la question 4.1
qui demandait aux enseignants quels étaient les acquis visibles chez les élèves.
B. Quelques variations autour de l’observation de l’atteinte des objectifs

L’autonomie du groupe, la prise de parole des élèves, l’écoute de la part des élèves et prise en compte des idées des autres comme indices
Fabienne est pour sa part la plus précise. Pour elle, les objectifs sont atteints lorsque : « le dialogue s’instaure entre les enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche (…) lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants
prennent la parole et expriment leurs propres idées (…) lorsqu’ils sont capables de la justifier (…) de les formuler au plus près de leur pensée (…) lorsqu’ils écoutent vraiment ce que
les autres ont à dire et réussissent à en tenir compte, voire changent d’avis ». Nous retrouvons, au travers des entretiens, ces idées chez beaucoup d’enseignants et ce sont des éléments
observables tout au long de l’année.
101
Question posée aux enseignants :
4.4 Comment régule l’enseignant-e avec les élèves qui ne prennent pas la parole ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.226 à 232
C'est assez rare qu'il y en ait dix qui regardent ailleurs. Il peut y en avoir un ou deux qui décrochent, mais comme nous adultes, et ils ont le droit aussi et ils n’ont pas l'obligation de parler. Et
ce n’est pas toujours ceux qui parlent qui pensent le moins, et au contraire c'est ceux qui pensent
le plus. Temps en temps, selon les élèves, je dis « est-ce que tu aurais un exemple ? », ou comme
ça, mais il faut faire attention quand on le fait, et ils ont peut-être pas envie, pour mille et une
autres raisons, car on ne sait pas non plus ce qu'ils vivent aussi parfois, et puis ça, il faut aussi
prendre conscience.
L.234 à 247
Je peux lancer une question, mais pas souvent. Il ne faut pas prendre à parti. Je pense qu'en tant
qu'animateur, on fait aussi beaucoup comme on y sent, et il faut aussi beaucoup rester là-dessus
et surtout, si on a la chance de pratiquer la dialogue philo avec des élèves qu'on connaît un peu,
on sait là où on peut ou moins. Il faut faire attention et il faut être préparé à deux choses vraiment
importantes: une, à ce que ça ne fonctionne pas. Je me rappelle d'une fois que tout le monde me
parlait qu'il faisait le feuilleton d'Hermès, que c'était super et tout, et je suis venue avec le feuilleton d'Hermès et c'était un flop complet parce que les élèves ont dit « Non, nous on aime mieux
d'autres textes ». Mais c'est aussi parce que peut-être moi je les avais plus habitués à des textes
ou des situations qui étaient peut-être plus proches d'eux, mais ça dépend de la classe. Une année
ça sera comme ça, une autre on pourra aller totalement ailleurs. Moi, souvent je montre une photo, je ne montre pas toujours un texte. Une photo ou une question au tableau, et une fois je me
suis simplement mise comme ça sur mon bureau (l'enseignante me montre une position où elle
s'avachit sur son bureau). Voilà, c'est tout, et ils ont posé des questions par rapport à ça.
Brigitte
L.151 à 156
(…)"D'accord, donc toi tu penses que c'est plutôt un message de paix. Et vous les autres que pensez vous?" Et là personne lève la main, tu vas chercher. "Qu’en penses-tu ? Plutôt une scène de
guerre ou de paix?" "Bon, bah moi, je pense que c’est la guerre, mais lui il veut que ça s'arrête,
alors du coup c'est la paix." Alors après, bah dire, bon essayez de chercher d'autres avis si on
n’arrive pas à départager, il faut peut être aidés, si on s'arrête à l'instant T, image de guerre?
L.294 à 300
Je leur demande "Es-tu d'accord avec cette idée?", et en général il est obligé de sortir quelque
chose et s'il bafouille, la reformulation là, est intéressante. "Donc si je comprends bien, là ce que
tu veux dire, c’est ça, ça et ça?" "Oui, mais pas tout à fait". "Alors, explique-moi". Et là, je suis
désolée, je suis peut-être pas d'accord avec ta formatrice, mais l'élève qui a réussi à sortir au
moins quelque chose alors que d'habitude il ne parle pas, mais là je vais le féliciter : "Bravo, je
n’avais pas vu les choses comme ça et les autres, vous en pensez quoi?" "Ah oui c'est intéressant".
L.302 à 303
Je vais les tirer quand même. Après bon, faut pas se leurrer, c’est toujours les mêmes qui parlent.
Mais essayer d'aller tirer ceux qui disent rien.
Chloé
L.304 à 324
Moi, j’essaie jamais de les forcer, mais j’essaie souvent de les chercher : « Puis toi, qu’est-ce que
t’en penses ? » Ca prend, ça prend pas, tant pis, il restera dans l’observation. Après ça peut être
« Ok, bah toi qui es pas beaucoup intervenu, qu’est-ce que tu as observé ? » « Ah bah moi, j’ai
vu ça, puis ça, mais après il s’est passé ça. » Bon, ils peuvent être complètement décrochés, on
est d’accord. Mais souvent ils observent quand même ce qu’il se passe et je sais que chez les tout
petits parfois, j’en ai qui décrochaient pas un mot et après j’ai les parents « Ah, vous avez parlé
de ça en philo, parce qu’à la maison blablabla… » Alors je me dis bon, c’est bon, ça a quand
même… et puis je pense que par contre quand tout d’un coup ils s’expriment, je leur laisse beaucoup de place, et ça effectivement j’ai vu quand Alexandre anime et quand il y a une toute timide
qui parle, il lui laisse vraiment une grande place. Et je trouve que c’est hyper valorisant parce
que sa parole est importante, mais souvent il y a des leurres. Mais avec les petits, je fais souvent
un exercice au tout début, je crois que c’est dans Pixie, avec une corde. Donc, ils sont en cercle
et avec une corde qui fait tout le cercle, et l’idée c’est ça le dialogue philo, c’est le cercle. Et
102
après je dis à un élève de tirer sur la corde, alors tous les autres, voilà, y en a un qui lâche, puis
un autre, alors du coup on voit ce qu’il se passe sur la corde, et c’est une espèce de métaphore
pour montrer ce qu’il peut se passer si y en a un qui est pas vraiment dans le groupe, ou qui tire
tout le temps dans son sens, ou si y en a trois qui lâchent, le cercle est rompu. Et ça leur permet
de visualiser d’une autre manière pourquoi on fait le cercle. Après, je sais qu’il y en a qui travaillent avec le bâton de parole et je trouve que ça marche bien, s’ils se battent pas pour l’avoir. Et
l’idée que, chaque idée a le même poids dans le cercle, ce n’est pas ton idée qui est mieux qu’une
autre.
David
L.284 à 304
Alors oui, je pense que ça, c’est quelque chose qu’on doit percevoir pour qu'ils disent au moins
quelque chose, mais pas les mettre dans la situation " Tu n’as pas parlé, tu dois parler." Donc
trouver une situation où " Tous ceux qui aiment leur prénom, levez-vous." Et puis il y en a que
cinq. Ok. « Bah dites-moi pourquoi vous n’aimez pas? ", vu que vous avez repéré qu’il y en a qui
parlent pas beaucoup. " Les filles levez-vous, vous allez me dire pourquoi …. " " Les garçons
levez-vous… " " Tous ceux qu’ont un pantalon rouge… " " Donnez-moi une définition très rapide de qu’est-ce que le respect ? " "Ou une situation où il n’y a pas eu de respect." Et du coup, ils
sont obligés de parler, mais ça se voit pas. Et le fait de parler donne envie de parler. Mais globalement, je mets jamais en face des yeux d’un enfant qu’il n’a pas parlé, car ça voudrait dire qu’il
n'a pas fait ce qu’il avait à faire, et je ne sais pas si le fait de parler ou pas parler l’empêche de
penser. Il y a des enfants qui parlent beaucoup et qui pensent peu, et il y en a qui parlent pas et
qui pensent beaucoup. Est-ce que mon présupposé c’est dire que tout le monde doit parler, comme ça je sais que tout le monde pense ? Non, je ne suis pas sûr… Mais par contre il y en a qui
ont du mal à parler, ça c’est vrai. Mais c’est une autre fonction. Donc aidons-les. Comment estce qu’on peut trouver quelles ficelles on peut tirer pour dire… et c’est assez marrant, parce que
avec certains, vous pouvez dire : dis donc toi, je t'ai vu parler avec un tel, tu aurais quelque chose
à nous dire ? « Bah oui, j’étais en train de lui dire que…. » Et c'est parti. Et ce que j’ai pu remarquer, c’est que quand ils parlent une fois, ils parlent deux fois, et ils osent après. Mais il faut accepter qu’après il y en a qui parlent jamais, mais quand ils sont observateurs, ça les oblige à parler parce qu’ils ont observé du coup… et ça, ça peut déclencher, mais je pense qu’il faut vraiment respecter.
Eléonore
L.281 à 318
Oui, je vais les chercher. Après moi, je les évalue en philo. Dans mon école. Il n’y a pas de notes.
On fait des évaluations formatives. Mais, deux fois par an, je rencontre les parents et je fais une
évaluation orale, en novembre orale et puis en fin d’année je la donne, et donc j’évalue la philo.
Et j’ai plusieurs critères, j’ai : l’écoute, la qualité de l’écoute, est-ce que l’enfant il est avec nous?
Car t’as des enfants qui ne disent rien mais qui ont une magnifique écoute. Et ça, tu le sais parce
que tout d’un coup, quand tu vas dire : « Et toi, un tel, qu’est-ce que tu en penses ? », parce que y
a des personnes qui disent jamais rien et puis elle rebondit. Si elle est timide, elle ne va pas dire
grand-chose, mais tu sens qu’elle est à l’écoute et qu’elle est là. Le deuxième critère c’est
l’argumentation, c’est la capacité à utiliser les habiletés de pensée, et puis la troisième, le respect.
Le respect de la parole de l’autre, ça veut dire que je ne coupe pas la parole et que voilà, j’écoute
et que je suis capable aussi de rebondir sur ce que dit l’autre, je ne suis pas uniquement centré sur
moi mais je peux répondre à l’autre et faire en sorte qu’il y a un vrai débat qui émerge. Voilà, ces
trois critères. Dans ma manière d’évaluer y a pas de bien, ce n’est pas bien, ce n’est pas ça. C’est
« c’est super que tu aies pu respecter l’autre, tu as une bonne écoute ou alors voilà peut-être ça
serait bien de participer un peu plus », mais voilà, il y a des élèves qui ne participent pas parce
qu’ils sont timides, parce qu’ils ont peur, parce qu’ils ont peur de dire faux, parce qu’ils ont peur
d’être bêtes, euh, mais ça faut aller les chercher, mais je n’insiste pas. « Et toi qu’est-ce que tu en
penses? » Et des fois je sens, je n’insiste pas, mais j’y retourne pour que tranquillement... et franchement les enfants, tranquillement, ils vont… il y en a, ils vont jamais prendre la parole si on ne
va pas les chercher, mais au fur et à mesure que tu vas les chercher, ils vont en dire un peu plus,
ils prennent confiance, ils se rendent compte que ce n’est pas dangereux de dire son opinion et on
ne va pas les juger. Ca c’est un truc se moquer, rire de ce qu’a dit l’autre et tout ça c’est un truc
dès l’entrée de jeu je leur dis "Non, faut qu’on se sente libre, qu’on se sente à l’aise, respecté,
c’est hyper important sinon notre communauté de recherche peut pas fonctionner". C’est vraiment le présupposé de base et puis y a une chose aussi, je les laisse dessiner. Alors je leur dis :
« voilà, vous n’êtes pas en train de faire le plus beau dessin de votre vie, vous êtes en train de
griffoner », parce que je trouve que quand les enfants peuvent s’occuper avec la main, comme
nous des fois quand on est au téléphone et qu’on griffonne un truc, pour beaucoup d'enfants ils
ont une meilleure concentration et ils sont beaucoup plus actifs que s’ils font rien pendant qua-
103
rante-cinq minutes. Donc, ça peut être faire comme ça, avec une balle en mousse, ça peut être
plier un petit bout de papier, s’occuper avec les mains. Certains, ça leur permet de mieux, après
quand il y a des séances où ils sont complètement absorbés dans leur dessin et qu’il se passe que
dalle j’enlève les feuilles de papier, et aujourd’hui bah, on fait sans. Mais du coup, la fois
d’après, ils savent. Du coup, on a des enfants qui sont comme ça autour de la table et qui de
temps en temps lèvent la main, et hop, en fait ils on une très, très bonne écoute et ils n’ont pas
forcément besoin de se regarder. Après, il y a les visuels qui ont besoin de regarder les autres.
Fabienne
L.436 à 460
Il faut essayer, des fois. C’est bien aussi de faire… On avait fait, à un moment donné dans cette
classe, où il y avait vraiment des problèmes entre personnes importants, des espèces de miniexercices de théâtre. Parfois c’est compliqué dans la classe, mais là on avait une salle de gym.
On disait, bah, par exemple : « Vous allez vous mettre dans l’ordre de naissance des mois de
l’année.» Donc ça veut dire que les gens sont obligés de se parler pour demander « t'es né en
quel mois ? Moi je suis né en… », ou par taille. Des petits trucs, ou se situer par rapport aux
pays d’où ils viennent, plus au sud au nord, est. Mais parfois je me suis rendue compte que y
avait certains élèves qui avaient beaucoup de peine et qui s’étaient jamais exprimés mais qui à
travers des exercices comme ça… ou y en a un, au milieu, avec les petits, qui fait un saut, bah
tout le monde répète. Par exemple, de faire venir l’élève qui ne parle pas beaucoup, de venir au
centre et qui fait l’encourager à faire un son. Des choses très brèves, mais le fait qu’il fasse et
que les gens répètent, ça l’insère dans le groupe, de même que le petit passage de lecture. Vous
savez Lipman fait. Le fait de faire un tour, d’entendre la voix de quelqu’un, même si ce n’est pas
fort ou comme ça, ça signale quand même la présence de la personne. Puis il ne faut pas forcer.
Donc vous pouvez dire de temps en temps : « et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que ça
t'est déjà arrivé ? Est-ce que tu aimes bien ? ». Mais bon, c’est vrai que des fois, c’est de la morue. Mais en même temps, j’ai une collègue qui m’a dit : « Moi, j’ai un élève en classe, qui pendant, je ne sais pas, un an, elle a rien, jamais jamais rien dit en classe. Et un jour, à une réunion
de parents, la mère de la fille, elles se parlent et elle lui dit « ah, mais c’est quel jour que vous
faites la philo ? », et elle dit « ah, c’est le jeudi.» « Ah, mais c’est pour ça que tous les jeudis soir
à la maison on a commencé à avoir des discussions. » Donc elle ne disait rien en classe. Mais
chez les adultes c’est pareil. J’ai une collègue chez Prophilo elle m'a dit : « moi, ça m’a pris deux
ans pour commencer à prendre la parole dans un groupe. » Des fois voilà, on peut trouver, par
des biais, ou de temps en temps, faire des choses créatives, faire des dessins, réciter un poème,
ou voilà.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités autour de la question de la prise de parole

L’enseignant comme accoucheur d’idées
Il arrive que des élèves ne prennent pas tous la parole lors des communautés de recherche et
les enseignants disent tous avoir tendance à aller chercher les élèves en question. « Temps en
temps selon les élèves je dis « est-ce que tu aurais un exemple ? » (Aline). « Et là personne
lève la main tu vas chercher : « qu'en penses-tu ? » (…) Je vais les tirer quand même. (…)
essayer d'aller tirer ceux qui disent rien (…) bon essayer de chercher d'autres avis si on
n’arrive pas à départager (…) » (Brigitte). Certains disent que c’est pour les aider : « (…)
aidons-les, comment est-ce qu’on peut trouver quelles ficelles on peut tirer » (David), d’autres
qu’il faut les tirer ou leur poser des questions directement adressées : « je vais les chercher
(…) faut aller les chercher (…) » (Eléonore).

L’enseignant comme respectueux d’un silence
Aller chercher les élèves oui, mais sans forcer. Les enseignants affirmant aller chercher les
élèves insistent sur le fait qu’il ne faut cependant pas les forcer ou insister. « Mais il faut faire
104
attention quand on le fait et ils ont peut-être pas envie pour mille et une autres raisons, car on
ne sait pas non plus ce qu'ils vivent aussi parfois » (Aline) « Moi j’essaie jamais de les forcer » (Chloé). « (…) j’insiste pas » (Eléonore) « (…) il ne faut pas forcer (…) » (Fabienne).
Cet élément semble avoir toute son importance chez ces quatre enseignants. David ajoute également : « je mets jamais en face des yeux d’un enfant qu’il n’a pas parlé car ça voudrait dire
qu’il n'a pas fait ce qu’il avait à faire et je sais pas si le fait de parler ou pas parler l’empêche
de penser ». Finalement, trois enseignants complètent en disant que l’animateur doit également accepter que parfois des participants ne prennent presque jamais la parole. « Après mais
il faut accepter qu’après il y en a qui parlent jamais » (David) « Car t’as des enfants qui ne
disent rien » (Eléonore) « (…), elle a rien jamais jamais rien dit en classe (…) » (Fabienne).

Les rôles comme développeurs de la parole
Les enseignants utilisent parfois les rôles pour permettre aux élèves ne prenant que rarement
la parole de pouvoir tout de même s’exprimer en fin d’échange. En effet, en donnant le rôle
d’observateurs, les élèves sont souvent mis à contribution en fin de séance pour pouvoir faire
part de leurs observations. « Ça prend, ça prend pas, tant pis il restera dans l’observation
(…) souvent ils observent quand même ce qu’il se passe » (Chloé). « Quand ils sont observateurs ça les oblige à parler parce qu’ils ont observé du coup » (David).

Elèves muets mais pas sourds
De plus, relevons que les enseignants observent que même si les élèves ne prennent pas la parole, ceci ne rime pas avec une « non écoute ». L’écoute est présente et peut même être de très
bonne qualité malgré l’absence de parole. En effet, certains réagissent après coup, dans leur
famille par exemple. « (…) t’as des enfants qui ne disent rien mais qui ont une magnifique
écoute (…) en fait ils ont une très très bonne écoute » (Eléonore). « Parfois j’en ai qui décrochaient pas un mot et après j’ai les parents « ah vous avez parlé de ça en philo, parce qu’à la
maison blablabla » alors je me dis bon c’est bon ça a quand même… » (Chloé). « Il y a des
enfants qui parlent beaucoup et qui pensent peu et il y en a qui parlent pas et qui pensent
beaucoup. » (David). Nous avons ici quelques exemples qui montrent bien que si les élèves ne
sont pas forcément à l’aise pour prendre la parole, ils écoutent tout de même les échanges,
voire y réagissent après coup, chez eux notamment.

Les jeux collaboratifs comme facilitateurs d’intégration dans le groupe et de prise de parole plus aisée
Afin de faciliter la prise de parole lors des dialogues philosophiques, les enseignants proposent divers jeux permettant de casser la glace, comme des minis exercices de théâtre ou des
petits exercices. Le but étant d’entendre la voix de tout le monde pour ensuite se sentir plus à
l’aise pour intervenir. « Mais avec les petits je fais souvent un exercice au tout début »
(Chloé). « (…) donc trouver une situation où " tous ceux qui aiment leur prénom levez-vous "
et puis il y en a que cinq ok " bah dites-moi pourquoi vous n’aimez pas? " » (David) « (…)
des espèces de mini exercices de théâtre (…) Le fait de faire un tour d’entendre la voix de
quelqu’un même si ce n’est pas fort ou comme ça, ça signale quand même la présence de la
personne (…) Des fois voilà on peut trouver, par des biais, ou de temps en temps, faire des
105
choses créatives, faire des dessins réciter un poème ou voilà » (Fabienne). Les enseignants
trouvent donc plusieurs astuces pour pouvoir faire s’exprimer les élèves à un moment ou à un
autre.

Patience, temps et confiance dans le groupe
David et Eléonore parlent aussi d’une question de temps et de confiance qui s’instaure au fil
des séances, permettant aux élèves de se sentir plus à l’aise. « Et ce que j’ai pu remarquer
c’est que quand ils parlent une fois, ils parlent deux fois et ils osent (…) » (David) « (…) au
fur et à mesure que tu vas les chercher ils vont en dire un peu plus, ils prennent confiance, ils
se rendent compte que ce n’est pas dangereux de dire son opinion et on ne va pas les juger
(…) » (Eléonore).
B. Peu de variations
Les enseignants sont tous d’accord sur le fait d’aller chercher les élèves lorsqu’ils ne parlent
pas. Ils ménagent par contre leur intervention afin que les élèves ne se sentent pas forcés. Il
n’y a pas de variations observées entre les enseignants.
Question posée aux enseignants :
5.1 L’enseignant-e se rappelle-t-il/elle de la première fois qu’il/elle a fait de la
philosophie en classe ? Comment était-ce ? Quelles sont différences ou similitudes avec
l’expérience ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.325 à 327
Ça commence à faire un bon moment, que j'en fais systématiquement, toutes les semaines, ça fait
8 ans. Puis avec toute l'école souvent, ça fait 8 ans, plus avec des adultes où j'anime des groupes
avec des adultes dans d'autres contextes.
Brigitte
L.335 à 344
La première fois, j'étais remplaçante, j'avais fait sur « Qu'est-ce que la peur ? », et là c'était justement très scolaire. Je leur faisais écrire des situations qui leur faisaient peur et puis j'avais vu
que c'était un sujet qui avait passablement dérangé les élèves, car c'est faire appel à des peurs, et
donc ils étaient mal à l'aise, et je m'étais arrêtée. C'était terrible. Et c'est là que je vois que j'ai
gagné en expérience. C'est quand je m'étais arrêtée aux expériences, pour finalement, oui, c'était
un cours qui me permettait de réguler leur comportement et pour ça que je suis pas d'accord de
faire un cours de philo pour réguler leur comportement, car je m'étais arrêtée du coup aux expériences pour leur dire que moi, je flippais à l'issue de mon remplacement de pas trouver un poste
fixe et que si je ne supportais pas leurs bavardages, c'est que j'étais moi-même tendue. C'était un
cours de philo de régulation de comportement.
Ca a été beaucoup, beaucoup de fois la cata…
Chloé
L.398
David
L.441 à 442
Eléonore
Pas terrible et pas que la première !! Pourquoi ? Parce que je ne faisais pas confiance au processus et aux enfants, je voulais des réponses !!
Euh, ça ressemble beaucoup à une communauté de recherche philosophique maintenant. Je pense
106
L.341 à 344
Fabienne
L.462 à 466
qu’au début c’était plus de la discussion. Mais, c’est là où petit à petit, je me suis améliorée. On
sent que je suis plus au clair avec l’objectif philosophique maintenant, que ce que je l’étais au
départ.
(Rires) Bon là, je sais plus la toute première, mais je pense que j’étais en nage. J’ai dû aller me
doucher après, j’ai dû tellement transpirer parce que, bah, ce qui est difficile c’est au début que y
a tellement de choses et on a tellement peur de se tromper, mal faire, on a tellement peur des
silences, que tout de suite on veut remplir le silence. Bon avec le temps voilà, on prend
l’habitude, on a des choses qu’on voit venir.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités dans les débuts dans la pratique

Des départs difficiles récurrents
Pour la plupart des enseignants nous observons que les première expériences n’étaient pas les
plus belles. « C’était terrible » (Brigitte), « La cata… » (Chloé), « Pas terrible » (David) « Je
pense que j’étais en nage » (Fabienne). L’animation semble difficile au début, pour une grande partie des informateurs.
On ressent également une certaine récurrence de ces moments difficiles au début. « Beaucoup,
beaucoup de fois la cata… » (Chloé) « (…) et pas que la première ! » (David).

Une amélioration certaine
Ils déclarent qu’une évolution et une amélioration de l’expérience se fait au fil du temps.
« C’est là que je vois que j'ai gagné en expérience » (Brigitte) « Mais c’est là où petit à petit
je me suis améliorée. On sent que je suis plus au clair avec l’objectif philosophique maintenant que ce que je l’étais au départ. » (Eléonore). « (…) avec le temps voilà, on prend
l’habitude on a des choses qu’on voit venir. » (Fabienne).
B. Quelques variations dans les expériences de début de pratique

Acquisition d’une confiance dans le processus et les élèves
Au niveau des apports personnels, David affirme qu’il était en difficulté: « Parce que je ne
faisais pas confiance au processus et aux enfants, je voulais des réponses !! » Pour sa part,
Fabienne complète en pointant plus précisément ses difficultés : « ce qui est difficile c’est au
début que y a tellement de choses et on a tellement peur de se tromper mal faire on a tellement peur des silences que tout de suite on veut remplir le silence ». Ainsi, pour tous, les
premiers moments, voire même malgré l’expérience acquise, la pratique du dialogue philosophique en classe ne semble pas être une activité si simple à mener. Elle relève d’un processus,
mot souvent cité par les enseignants.
107
Question posée aux enseignants :
5.2/5.3 Y a-t-il eu une évolution sur la perception de la philosophie de l’enseignant-e ? Y
a-t-il eu une évolution de la part de l’enseignante-e sur sa manière de travailler la
philosophie en classe ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.328 à 338
Je pense qu'on évolue et je pense qu'à un moment donné il faut faire un petit arrêt sur image et un
lâcher prise, se poser des questions sur notre manière de faire pour pas... car il y a une manière
de faire et je pense qu'on peut se rouiller. Moi j'observe beaucoup Alexandre, que je connais depuis un moment, au début c'était un peu mon maître, vraiment, et au début je n’intervenais vraiment pas avec les dialogues des enfants par ces petits "pourquoi ?", "as-tu des exemples ?". Mais
je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et j'ai essayé intervertir plus, car on se pose des
questions, quel impact ça a d'intervenir un peu plus, de poser plus de questions, si on a plus de
relances, et maintenant j'en suis un petit peu là. Mais après, c'est de nouveau pareil, ça dépend le
groupe, le thème du dialogue, de beaucoup de choses. Je continue bien à faire quand même
comme je le sens. Ce n’est pas anodin ce qu'on fait, mais je pense que c’est important déjà rien
que de leur donner la parole.
Brigitte
L.346 à 353
Le problème, quand on est dans la régulation de comportement, on est trop dans l'exemplification : tu as fais ci, ça va pas, ce n’est pas bien. Et puis finalement, on a rien conceptualisé. Les
élèves, certes, ont un peu réfléchi, mais ça ne volait pas haut. Moi, j'ai réalisé ça, je sais pas
comment, mais à l'issue de cette leçon, je n’étais pas forcément bien et les élèves n’ont plus parlé
de leur peur. Finalement, ils sont sortis de la classe, ils étaient dépressifs entre guillemets. Donc
pour moi, c'était zéro, zéro. Et pourtant, je m'étais basée sur un cours proposé sur internet. Ça n’a
pas amené grand chose. Et après j'ai eu ma classe, avec des 7P, et j'ai commencé avec « Qu'estce que l'amitié ? » et j'ai gagné en maturité entre temps.
Chloé
L.401 à415
Je pense qu’en fait, après c’est chaque animateur qui a ses petits trucs pour faire avancer la discussion, mais je pense que c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et plus tu en fais, plus t’es à
l’aise, plus tu sais comment, oui, comment faire avancer. Après moi, y a un stade où maintenant,
il me manque plus des compétences philosophiques de raisonnement que tel à tel raisonnement et
là ok, j’aimerais amorcer un raisonnement qui est là-dedans et je pourrais amorcer ça. Parce que,
par exemple, quand j’étais en Belgique, souvent il y a aussi des personnes qui sont philosophes
quoi, mais des fois ça passe dans les hautes sphères et je ne comprends pas un mot de ce qui est
dit « Oui, selon machin-truc… » Mais en fait, ils ont de la peine finalement, c’est toujours « selon » car ils ont l’impression qu’on va déshonorer un philosophe en prenant son raisonnement à
notre compte et il y a une sort de respect comme ça. Mais je trouve que c’est ça aussi, justement
avoir plus de compétences en philo. Et à Prophilo, on a une personne, qui est elle prof de philo
au secondaire, sur le canton de Vaud ou je sais plus où, mais c’est un puits de connaissances. Et
on monte des formations avec elle, où par exemple le moi dans la philosophie, ou oui le vrai, ou
et euh… c’est super intéressant. Et là, c’est sur Platon la formation, en ce moment. Faut prendre
quoi pour pouvoir apporter aussi…
David
L.344 à 346
Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire. Prendre des vidéos de vous, vous écouter parler, sans arrêter, le rapport réflexif quoi. Faites-vous observer par quelqu’un qui ne connaît rien
ou qui connaît bien. Demandez de co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe.
L.12 à 22
La deuxième, vous vous heurtez à un problème qu’on gère très souvent, dont on a souvent retour,
c’est les bonnes questions. Est-ce qu’ils vont poser des bonnes questions ? Et c’est marrant, parce qu’il y a une heure et demie, j’étais en train de raconter qu'une fois j’ai eu une question qui
était « Pourquoi son polo est bleu ?» Et c’est la question qui a été choisie par toute la classe. Et
quand je suis arrivé chez moi, je me suis dit "Je vais en faire quoi de cette question ?" J’étais
vraiment au début et je me disais : « c’est vraiment pas une bonne question et je vais jamais pouvoir faire quelque chose de ça.» Alors qu’est-ce qui a changé entre le moment où je pensais ça et
108
aujourd’hui ? Bon, déjà, il y a eu beaucoup de temps qui est passé, ça c’est clair. C’est la pratique, il faut faire confiance à la pratique. Elle va vous aider à comprendre et à dédramatiser, à
transformer. Vous allez être transformée par cette pratique, ça c’est clair.
L.444 à 446
Eléonore
L.346
Fabienne
L.468 à 483
Cela a tout transformé, ma vie professionnelle, mon rapport au savoir, au monde. J'ai cherché
des approches proches de celle-ci pour d'autres domaines comme la grammaire, les maths, j'ai
inventé aussi.
Oui. (elle a évolué)
Bah, voilà, on se familiarise avec la démarche. On apprend soi-même à lever le pied un peu, à
peut-être moins intervenir. Moi, je crois que c’est ça, je crois qu’une chose que j’ai vraiment
appris c’est justement de me mettre… que ce n’est pas parce que je suis un peu en retrait que je
ne suis pas présente... J’avais très peur de, et puis de temps en temps, quand j'entendais quelque
chose qui était une évidence au lieu d’être complètement faux, et pas me précipiter sur l’enfant et
de l’interroger, ou même si c’est juste quelque chose que je désapprouve, ou voilà que je... ou
une contre-vérité, c’est de questionner, ce n’est pas essayer de, voilà... Par exemple, il y avait
souvent une institutrice qui faisait avec moi, et elle était prof de français, et elle reprenait systématiquement les mauvaises formulations des enfants. Et du coup c’était difficile, et, mais ce
n’est pas grave, mais des fois tu peux oui : « Est-ce que c’est ça que tu veux dire ? » C’est chercher le sens parfois, la formulation elle n’est pas… mais on ne peut pas non plus… je dois dire…
Et puis être porté par le plaisir. Et chaque fois c’est un peu un dé lancé en l’air. Mais chaque année on peut avoir des classes juste super et des enfants preneurs et puis des fois on se dit « Mais
mon dieu…. » Et des fois, y a des jours c’est comme ça, et on a l’impression que quoi qu’on essaie on se fâche, on se fâche ou discipline. Mais je crois que la confiance elle vient et le plaisir de
découvrir aussi.
Que retient-on ?
A. Quelques régularités dans l’évolution de la pratique

Le recours à l’analyse de pratique
Avoir une réflexion sur sa propre pratique, une analyse de pratique semble être une manière
de travailler sur l’évolution de sa pratique. Deux enseignants disent avoir appris en observant
les autres faire et certains mettent en avant l’idée du temps parfois nécessaire pour se rôder à
cette pratique. « Je pense qu'on évolue et je pense qu'à un moment donné il faut faire un petit
arrêt sur image et un lâcher prise, se poser des questions sur notre manière de faire pour
pas... car il y a une manière de faire et je pense qu'on peut se rouiller » (Aline) Aline en parle également dans la question 3.4 lorsqu’elle dit qu’en tant qu’enseignante elle doit toujours
être en réflexion et revenir sur ce qu’elle a fait, pourquoi elle l’a fait et comment pour qu’elle
puisse aussi changer des choses. David lui s’analyse des vidéos : « Prendre des vidéos de
vous, vous écouter parler, sans arrêt, le rapport réflexif quoi. ». Il y a donc un réel intérêt à
être et rester réflexif sur sa propre pratique. Ne serait-ce pas une chose finalement reprise
dans toutes les disciplines par les enseignants soucieux de leur bonne pratique ?

Les échanges et partages avec d’autres animateurs
Aline et David apprennent également en voyant faire les autres : « Moi j'observe beaucoup
Alexandre » (Aline). « Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire (…) Demandez de
co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe.» (David). Les enseignants partagent
ici leur manière de s’améliorer, voir les autres ou se faire observer pour améliorer sans cesse
sa pratique. Aline faisait également référence plus haut aux échanges de pratiques organisés
109
par Prophilo, permettant aux animateurs de venir partager autour de leurs animations, les difficultés rencontrées et les autres questions qu’ils se posent à ce propos. Nous avons également
entendu plus haut qu’Alexandre Herriger se déplace volontiers pour venir observer les animateurs et leur faire ensuite un retour constructif sur leur pratique. Il existe une solidarité présente entre les enseignants ou animateurs prenant part à la pratique du dialogue philosophique en
classe dans laquelle ils échangent pour mieux construire.

Se donner liberté dans sa pratique
Aline et Chloé font référence dans leurs explications que c’est également lié à une certaine
personnalité et manière de faire de l’animateur. « Je continue bien à faire quand même comme je le sens. » (Aline) « Je pense qu’en fait, après c’est chaque animateur qui a ses petits
trucs pour faire avancer la discussion (…) » (Chloé).

Une pratique qui évolue avec le temps
De plus, les enseignants insistent ici à nouveau sur le fait que le temps et l’expérience aident
à l’acquisition d’un savoir-faire : « c’est en forgeant qu’on devient forgeron et plus tu en fais
plus t’es à l’aise plus tu sais comment, oui, comment faire avancer » (Chloé) « Bon déjà il y a
eu beaucoup de temps qui est passé, ça c’est clair, c’est la pratique, il faut faire confiance à
la pratique elle va vous aider à comprendre et à dédramatiser, à transformer, vous allez être
transformée par cette pratique ça c’est clair. » (David)
B. Quelques variations, des évolutions paradoxales entre les enseigants…

De l’intervention plus fine à l’intervention moins présente
Il est ici intéressant de noter une variation mise en avant par entre deux enseignants. En observant Alexandre Herriger, Aline dit : « je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et
j'ai essayé d’intervertir plus, car on se pose des questions, quel impact ça a d'intervenir un
peu plus, de poser plus de questions, si on a plus de relances, et maintenant j'en suis un petit
peu là. ». Ici l’enseignant se dit intervenir plus afin de mieux guider les élèves et approfondir
le dialogue. Au contraire, Fabienne déclare que l’évolution dans sa pratique a été d’intervenir
de moins en moins : « Bah voilà on se familiarise avec la démarche, on apprend soi-même à
lever le pied un peu à peut-être moins intervenir. Moi je crois que c’est ça, je crois qu’une
chose que j’ai vraiment appris c’est justement de me mettre, que ce n’est pas parce que je
suis un peu en retrait que je ne suis pas présente... ». Faut-il donc intervenir de moins en
moins ou plus afin d’affiner la réflexion des enfants ? Ici encore les réponses divergent.
110
Question posée aux enseignants :
5.4 Quels conseils donnerait l’enseignant-e à un enseignant-e débutant-e souhaitant expérimenter la philosophie en classe au niveau de son rôle, sa place ?
Réponses des enseignants :
Aline
L.361 à 364
Brigitte
L.448 à 457
C'est d'être humble quoi. Et de préférer faire quelque chose de petit et simple que... de vouloir
choisir plutôt une fleur, que de prendre direct la gerbe. Voilà, c'est une métaphore, mais je peux
pas dire autre chose parce que je pense qu'avec une fleur on peut faire beaucoup, avec la gerbe
on va se perdre parmi toutes les fleurs. C'est l'idée que j'en ai, vraiment.
Donc, savoir dans quel axe on est, car si on est dans l’axe vidéo, ressortir le thème, le message.
Et puis la question que je trouve intéressante : est ce qu’on a manipulé ou pas ? Si on est dans la
citation, première chose, être sûr que les enfants ont compris tous les mots, donc là t’es obligée
de définir tous les mots de la citation, et seulement quand tout est défini tu peux commencer à
débattre. Mais ce qui est intéressant, c’est que déjà dans la définition il y a du débat, donc t’es en
philo, pour moi t’es en philo. Le concept, bah là, définir le concept, et dans le concept souvent il
y a plusieurs définitions à avoir, et ce n’est pas grave si tu prends un mois. Ce qui est important,
il me semble, c’est prendre le temps, car le but c’est que les élèves réfléchissent et qu’on arrive à
entrer dans le concept. Si ça prend un mois, ce n’est pas grave. Ton objectif est là, ils ont débattu,
réfléchi et conceptualisé.
Chloé
L.417 à 423
Je pense que c’est important d’aller voir comment ça se passe, d’aller voir comment ça se passe
et puis on est déjà hyper seuls quand on est dans une classe et des fois il manque ce côté où quelqu'un t’observe : « oui, là c’était bien si… » ou « là, tu aurais pu… » Oui, je pense que c’est important de pouvoir partager quoi. C’est ultra nécessaire, en tout cas moi au début, c’était hyper
important et enrichissant que je puisse partager avec d’autres personnes. « Non, mais là c’est
parti comme ça… » Et moi, Alexandre est venu beaucoup m’observer, et c’est hyper formateur
et enrichissant quoi, et d’observer comment il fait, et dans les deux sens quoi.
David
Non répondu
Eléonore
L.23 à 38
(…) pour démarrer, déjà, le premier conseil que je pourrais vous donner c’est, le mieux, c’est de
démarrer avec du Lipman. Parce que soi-même en tant qu’enseignant, toi ça va te former en même temps que tu vas former tes élèves. Toi, tu vas te former avec, parce que Lipman il a conçu
ses romans et surtout son gros classeur d’exercices, pour chaque roman, pour justement guider
l’enseignant qui n’est pas philosophique, pour vraiment attirer l’enseignant sur les concepts philosophiques qu’il va aborder. Et du coup, en travaillant avec du Lipman pour commencer la première année, ou même les deux premières années, ça va te donner des clés pour travailler ensuite
avec d’autres supports. Alors moi, c’est ce que je fais, c’est que je change. Au début je travaillais
qu’avec Lipman, et ensuite j’ai travaillé avec la littérature jeunesse. On est arrivé jusqu’à juste
une image, ou un film. Mais y a des années, ou de temps en temps, hop je reviens à Lipman,
même si moi je ne suis pas trop, euh… bon j’ai les 5-6P, donc c’est plutôt Pixie. Je ne suis pas
ultra enthousiasmée parfois par le texte mais voilà j’y reviens parce que je considère que ça me
remet dedans que ça attire vraiment mon attention sur les concepts que je dois travailler. Surtout
qu’un roman comme Pixie, en fait, c’est du Platon pur, c’est vraiment les pensées basées sur
l’étonnement, et puis les enfants sont vraiment là, donc c’est assez aisé en fait d’utiliser ce matériel.
Bon vous avez déjà fait des formations ?
Fabienne
L.515
L.517 à 527
Bon alors voilà. Je crois qu’il faut quand même, je pense que ça, c’est quand même indispensable. C’est parce que ce n’est pas rien comme approche. Y a beaucoup de gens qui, parce qu’ils
font du conseil de classe, qui parce qu’ils font des discussions et qui disent « bah moi je fais un
peu ça dans ma classe »… et j’ai entendu beaucoup d'enseignants qui m’ont dit "mais en fait,
moi je fais du débat", en fait pour eux c’est de la philo. Ou des gens qui disent "je lis un bouquin,
je ne sais pas si vous connaissez le livre d’Hermès… bon c’est génial, c’est un super, j’ai vraiment adoré ça et j’ai quelqu’un qui m’a dit "bah moi, je lis ça en classe ». Je dis, mais franchement, c’est génial, mais ce n’est pas du dialogue philosophie, ça a juste rien à voir. Donc y a
111
beaucoup de gens qui pensent qu’ils font ça parce que ça fait discussion, mais ce n’est pas une
discussion, c’est l’idée, c’est de faire un dialogue et je veux dire, il y a des critères pour faire un
dialogue.
Que retient-on ?
Ici, ni régularité ni variation mais quelques conseils donnés par les enseignants, comme celui
de rester humble et de préférer faire des choses plus petites que trop grandes, pour éviter de
se perdre. L’idée de prendre le temps est également suggérée tout comme celle d’aller voir
comment font d’autres animateurs ou partager sur sa pratique. Les formations et les manuels
Lipman sont aussi recommandés pour débuter.
Je ferai ici une parenthèse sur le matériel et les autres conseils que m’ont partagé les collègues. En effet, dans les transcriptions ne figure pas le matériel qui m’a été montré en classe.
Les affiches33 : les affiches comportent les éléments que l’on retrouve dans l’exercice des habiletés de pensée : exemples, contre-exemples, hypothèses, présupposés… Aline affiche parfois une ou deux de ces affiches au tableau noir lors du dialogue et demande aux élèves de se
concentrer particulièrement sur les habiletés affichées.
Les livres : Goûter philo, Les grands sages parlent aux petits sages et autres histoires… proposés par Alexandre Herriger lors de sa formation continue sur la pensée créatrice en 2016 au
Département de l’Instruction Publique.
Une citation : Brigitte part d’une citation parfois
Une vidéo : Brigitte peut également choisir une vidéo
Le guide du maître proposé par Lipman : utilisé et mis en avant par plusieurs enseignants interrogés ici.
Question posée aux enseignants :
5.5 Qu’est-ce qu’un-e enseignant-e qui pratique bien la philosophie?
Réponses des enseignants :
Note au lecteur :
Etant moi-même enseignante, cette question ironique fera sûrement soulever plus d’un sourcil
sur cette page. Mêlant jugement sur la pratique et humour, cette question permet tout de
même d’être à la quête de d’autres éléments pouvant améliorer la pratique.
33
Voir annexes : affiches utilisées par Aline en classe
112
Aline
L.341
L.343 à 352
Un bon enseignant? C'est quoi un bon enseignant déjà?
L.354 à 359
Moi je pense qu'il n'y pas de règles. S'il a une écoute assez attentive et qu'il arrive à mettre en
lien aussi les pensées de chacun et faire les relances pour que la pensée circule, ça, il me pense
que c'est top, mais c'est du travail. Et on a quand même tendance, même quand on anime, de suivre le fleuve, le cours du dialogue avec les autres, et peut-être pas savoir relancer par rapport à ce
qu'a dit une personne à la pensée d'une autre personne. Il me semble que c'est ça, mais je ne suis
pas professionnelle pour le dire.
Brigitte
L.425 à 432
Il y a autant de types d’être animateur, que de personnes. Mais, c’est vrai que quand, enfin moi,
pour en avoir fait aussi pas mal avec Michel Sasseville, bah, c’est génial parce qu’il a une manière de rendre la parole importante, et une écoute, et un poids à chaque idée que tu amènes, et chaque petite brique participe à la construction de l’édifice et de relancer subtilement. Oui, voilà,
pour moi lui c’est le King. Après, on fait des formations avec Mathieu Gagnon qui est une personne géniale, mais lui aussi il anime bien. Je pense qu’il faut pratiquer, pratiquer et pratiquer, et
je pense qu’il ne faut pas se décourager, parce qu’effectivement les grandes périodes, mais si
voilà, hésite pas à venir si tu veux aux échanges de pratiques de A.
Chloé
Non répondu
David
L.333 à 342
Celui qui se tait, celui qui accueille sans juger. Quand j’interviens, je dis : "Je me demande pourquoi Arsène nous dit qu’une chose peut exister mais être fausse. Il dit ça, mais moi je n’arrive
pas à comprendre." Voilà. Ou alors : "Moi, je me sens mal aujourd’hui parce que ça bouge beaucoup, ça parle beaucoup. Est-ce qu’on a mis une règle pour ça ?" "Euh oui, pas couper la parole
et pas faire d’aparté." "Ok, donc je comprends pourquoi je me sens pas très bien. Est-ce qu’on
arrive à aller plus loin ou est-ce qu’on arrête aujourd’hui ? " Toujours, moi, je leur remets toujours entre les mains, ça veut pas dire que moi je ne suis pas garant de tout le reste, j’en vire des
fois. « Ok, tu nous casses les pieds, tu regardes comment font les autres, ça va t’inspirer.» Mais
je dirais, il y a pas de bon ou de mauvais, il y a ce qu’on est avec peu de pratique, ce qu’on est
avec un petit peu plus de pratique et ce qu’on est voilà.
Eléonore
L.348 à 362
J’aimerais bien le savoir…. (rires) J’ai envie de dire, de toujours être au clair sur le fait que,
comme le disait Socrate : « La seule chose que je sais c’est que je ne sais pas.» Donc voilà, toujours être humble, être en recherche perpétuelle pour s’améliorer, pour être un meilleur animateur, euh se mettre le moins en avant possible et notre opinion n’intéresse pas les enfants, on
n’est pas en train de parler de mon opinion à moi, euh on est en train de faire émerger une pensée
critique chez l’enfant, c’est vraiment… Et pour finir, on s’en fout de quoi on travaille, on s’en
fout pas du tout hein, mais je veux dire l’objectif final c’est de faire émerger une pensée critique,
avec des outils pour le faire. Être vraiment outillé pour le faire et rester humble et se former en
permanence, je pense, pour être justement dans cette remise en question et s’améliorer. Et quand
y a une séance qui se passe pas bien, parce que c’était trop mou, parce qu’on était à moitié endormi, ou parce qu’on n’a pas eu ce plaisir, bah "pourquoi ? Comment ça se fait ?" Et puis pareil, quand on a eu trop de plaisir, est-ce que pour finir là on n’était pas tous au bistrot et on a eu
tellement de plaisir que la discussion est partie dans une discussion à bâtons rompus et on était
en fait plus du tout en train de faire de la philosophie? Donc, toujours garder cet objectif en tête.
Fabienne
Il n’y a jamais d’enseignant parfait. Pour moi, c’est d’avoir une grande capacité d’écoute, c’est
Un bon animateur en philo? Je pense que c'est la première chose c'est l'écoute. Puis après, une
chose qui est pas souvent facile à faire, c'est avoir une écoute suffisamment attentive pour pas
penser à ce que nous on pense, mais plutôt faire le lien entre ce que les participants disent pour
faire les bonnes relances au bon moment et je pense que c'est tout un art et qu'il y a encore du
travail. Peut-être, c'est intéressant à ce moment-là, de s’enregistrer et se dire "tiens, à ce momentlà j'aurais pu… », bon c'est un peu l'esprit escalier, mais se dire on aurait pu faire ceci, on aurait
pu relancer, mais déjà se poser ce genre de questions je pense que ça peut être intéressant. De
toute façon, les enfants évoluent, nous on évolue et on évolue avec chaque groupe, chaque groupe a sa couleur et c'est chaque fois différent et c'est ça aussi qui est intéressant. Mais je pense que
le bon animateur, c'est l'écoute.
113
L.576 à 584
d’être... de bien comprendre le processus et d’être curieux de ce que les enfants pensent, sans cet
à priori : c’est un enfant. Donc oui, c’est un enfant, mais il a quand même des pensées et ses pensées sont quand même respectables, et qu’elles sont à nourrir et évidemment elles ne sont pas
abouties, mais parfois oui. Et c’est de passa voir peur d’être remis en cause de pas... ça peut arriver, ça peut arriver à tout le monde. Mais voilà, c’est se dire, j’entre dans un domaine et
j’explore avec eux, et pas se sentir obligé d’avoir une réponse, et savoir dire « moi je sais pas ».
Parce que ça m’est arrivé d’avoir des enfants qui viennent à la fin me dire « mais en fait, c’est
quoi la réponse ? » « Je sais pas… ».
Que retient-on ?
A. Quelques régularités : une bonne pratique rimerait avec…

Une capacité d’écoute de la part de l’animateur
Plusieurs régularités ressortent. Celle d’une capacité d’écoute que doit posséder l’animateur.
Aline dit qu’il faut avoir une écoute suffisamment attentive et Fabienne ajoute que pour bien
pratiquer la philosophie avec les enfants, c’est également avoir une grande capacité d’écoute.

Une pratique régulière du dialogue philosophique
Comme il a déjà été dit précédemment, Brigitte rappelle que la pratique régulière permet de
devenir meilleur : « (…), je pense qu’il faut pratiquer, pratiquer et pratiquer (…) ». David
aussi : « Il y a ce qu’on est avec peu de pratique, ce qu’on est avec un petit peu plus de pratique et ce qu’on est voilà. »

Une prise de conscience qu’il n’y a pas de réponses ou de vérités toutes faites
Les enseignants disent aussi qu’il faut assumer qu’en tant qu’enseignant ou animateur nous ne
possédons pas toutes les réponses : « De toute façon les enfants évoluent, nous on évolue et on
évolue avec chaque groupe, chaque groupe a sa couleur et c'est chaque fois différent et c'est
ça aussi qui est intéressant » (Aline). « (…) j’explore avec eux et pas se sentir obligé d’avoir
une réponse et savoir dire moi je sais pas » (Fabienne).
B. Quelques variations sur le « bon » enseignant

Chacun est comme il est…
De manière variée, quelques enseignants ajoutent les points suivant sans pour autant utiliser
les mêmes termes. Aline dit que les enfants et l’animateur évoluent avec chaque groupe.
L’enseignant est aussi celui qui accueille sans juger (David), il ne met pas en avant ses opinions (Eléonore).
En guise de conclusion à cette partie « restitution de données », et sans pour autant encore entrer dans l’analyse, vous trouverez en page suivante un tableau récapitulatif des régularités et
variations observées dans les réponses aux questions.
114
Tableau de synthèse des régularités et variations observées pour chaque question
REGULARITES
QUESTION
VARIATIONS
1.1 Qu’est-ce que la philosophie/philosopher pour l’enseignant-e ?
-
Construction d’une pensée
Faire des liens dans différents domaines
Développer la pensée de l’enfant
Moyen pour accéder à la liberté de penser
-
utiliser les bons mots, apprendre à mieux penser
et se considérer comme personne à part entière
1.2 Pourquoi l’enseignant-e pratique-il la philosophie avec ses élèves ?
-
Valoriser la parole de l’élève
Acquérir réflexion et esprit critique
Améliorer l’estime de soi
-
Cohésion dans le groupe
Dévoluer pour faire mieux penser
Former des citoyens réflexifs
1.3 Quels sont les objectifs scolaires ?
-
Capacités transversales
Capacités langagières en français
Capacités citoyennes
Formation générale
-
Les objectifs après
Meilleure écoute des élèves
Forme d’intelligence
Rigueur intellectuelle
-
Plaisir
Répondre aux objectifs de l’école
Prendre conscience de son individualité
Philosopher pour socialiser
-
Neutre au cours du dialogue
Tentative de symétrie dans la relation
Guide
La pensée des enfants comme point de départ
L’enseignant en retrait mais au centre
Initiation aux CRP
Formation par programmes
-
Garant de la sécurité, du cadre, du respect et de
l’honnêteté philosophique
L’enseignant et une variété d’identités…
L’enseignant interrogateur
-
Par l’expérience
Formation universitaire
3.2 Préparation à priori, que fait l’enseignant-e ?
-
Partir des méthodes et des moyens existants
Anticiper la pensée des élèves
Préparer des questions de relance
Suivre la pensée de l’enfant
-
Préparation personnelle, curiosité sur le sujet
3.3 Quelle est sa place lors du débat ? (physiquement) Que fait-il/elle
concrètement ?
-
L’enseignant est inclus dans la communauté
Disposition circulaire
Dévoluer des rôles aux élèves
-
Parfois il est en face, parfois inclus dans le groupe
1.4 Quels sont les apports de cette pratique pour l’enseignant-e et les
élèves ?
2.1 Quel est la place de l’enseignant dans cette pratique ? Quelles
intentions ?
2.2 Quel est le statut de l’enseignant-e dans ces moments ? Quelle est
sa place professionnelle ?
3.1 Quelle formation l’enseignant-e a-t-il/elle reçue ?
115
3.4 Quelles sont ses interventions? De quel type? Dans quel but?
-
Intervenir dans le but de relancer le dialogue
-
Intervenir sur la cadre et le respect des règles
3.5 L’enseignant-e formalise-t-il/elle? Institutionnalise-t-il/elle?
-
Pas de formalisation mais un retour sur la discussion
Un retour dans le but de suivre et anticipation d’un
prochain dialogue
-
Des retours sur deux pans, le processus et le
contenu
3.6 Que doit faire l’enseignant pour permettre aux élèves
d’atteindre les objectifs ?
-
L’enseignant soutient le questionnement
-
Prendre en compte le groupe et non les individus
4.1 Y a-t-il selon l’enseignant-e des acquis visibles chez les élèves ?
-
Meilleure écoute de la part des élèves
Une prise de parole plus osée de la part des élèves
Un questionnement plus fin de la part des élèves
Le développement des habiletés de pensée
-
Des acquis peu observables au début mais un
processus toujours positif
Qui dit acquis dit évaluer : difficile en philosophie !
4.2 Quels sont les indices permettant à l’enseignant-e d’avancer,
réguler ou se rendre compte des progrès de ses élèves?
-
Réguler sur le ressenti
Réorienter pour ne pas s’étouffer
-
La gestion des anecdotes fait avancer ou reculer
le dialogue
4.3 Comment observer si les objectifs sont atteints ?
-
Le temps
La conceptualisation comme preuve
-
L’autonomie du groupe, la prise de parole des
élèves, l’écoute de la part des élèves et prise en
compte des idées des autres comme indices
4.4 Comment régule l’enseignant-e avec les élèves qui ne prennent
pas la parole ?
-
L’enseignant comme accoucheur d’idées
L’enseignant comme respectueux d’un silence
Les rôles comme développeurs de la parole
Elèves muets mais pas sourds
Les jeux collaboratifs comme facilitateurs
Patience, temps et confiance dans le groupe
5.1 L’enseignant-e se rappelle-t-il/elle de la première fois qu’il/elle a
fait de la philosophie en classe ? Comment était-ce ? Quelles sont
différences ou similitudes avec l’expérience ?
-
Des départs difficiles récurrents
Une amélioration certaine
-
Acquisition d’une confiance dans le processus et
les élèves
5.2/5.3 Y a-t-il eu une évolution sur la perception de la philosophie
de l’enseignant-e ? Y a-t-il eu une évolution de la part de
l’enseignante-e sur sa manière de travailler la philosophie en classe ?
-
Le recours à l’analyse de pratique
Les échanges et partages avec d’autres animateurs
Se donner liberté dans sa pratique
Une pratique qui évolue avec le temps
-
De l’intervention plus fine à l’intervention moins
présente
116
-
X
5.2 Les enjeux de l’animation des discussions à visée philosophique en classe
Selon la théorie ancrée, après avoir vu et revu, parcouru, retenu, pensé et être attiré par des
éléments captant l’attention du chercheur, il est demandé par la suite de travailler autour de
thèmes relevés dans les entretiens et faisant écho à une certaine théorie préexistante. Ainsi,
dans cette partie, je présenterai quelques thèmes ayant particulièrement retenu mon attention
dans ces entretiens, me permettant de pouvoir trouver des réponses à ma question de
recherche initiale.
5.2.1 L’importance de la parole de l’élève à l’école : un changement ?
Dans l’éducation traditionnelle, peu de place était laissée à la parole des enfants en classe. De
nos jours, il devient fréquent de rencontrer des espaces de parole mis en place en classe,
notamment par la pratique du conseil de classe, des dialogues philosophiques ou encore dans
le débat régulé.
Michel Sasseville (2016) affirme que :
Prendre la parole n’est pas toujours simple. Mais, la prise de parole peut être un instrument de
formation de la pensée qui nous permet notamment de nous défaire de l’emprise de ceux qui
voudraient nous manipuler. En ce sens, elle nous donne une plus grande liberté34.
Nous allons observer ici, à travers les apports des enseignants, dans les entretiens menés, et
par rapport à quelques éléments de théorie, que la parole de l’élève à l’école est beaucoup
questionnée et qu’elle ne semble pas si dérisoire.
Statut de la parole : vers un déplacement de celui qui la possède…
Dans les entretiens, Aline relève que la pratique du dialogue philosophique en classe : « c'est
aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe, il y a très peu
de moments où on leur donne la parole » (L.83-84). En effet, l’éducation actuelle suit un
mouvement de méthodes actives et de pédagogies coopératives suggérant aujourd’hui que les
élèves ont, ou du moins devraient, avoir plus la parole qu’autrefois. Ainsi, nous pouvons observer que « […] sans doute y a-t-il une réelle évolution du statut de la parole de l’élève en
classe ». (Perrenoud, P., 2013, p.1).
34
Consulté le 2 août 2016 sur https://philoenfant.org/2016/02/17/la-philosophie-pour-enfants-et-limportancede-la-parole-a-lecole/
117
Suzanne Mollo, en 1985, a fait des études comparatives sur la distinction du poids de la parole
de l’adulte et de l’enfant. Dans ses études, elle a pu mettre en avant le fait que la parole de
l’adulte l’emportait largement sur celle de celui qui devait « se taire ». Les muets parlent aux
sourds disait-elle. Qu’en est-il aujourd’hui ? Du « Tais-toi et écoute » présent il y a quelques
années encore à « Que penses-tu de l’amour ? Du mensonge ? Ou encore de la triche en
passant par l’écologie, parle et dis-nous ! », nous constatons un réel déplacement du poids de
la parole en faveur de celle de l’élève, cette fois-ci.
Nous relevons également d’après ce que nous dit Chloé, que cette pratique n’est pas toute
simple : « Ce n’est pas anodin ce qu’on fait mais je pense que c’est important déjà rien que de
leur donner la parole » (L.337-338). Elle relève cependant l’importance qu’elle accorde aux
élèves sur la possibilité de pouvoir s’exprimer.
Perrenoud (2013, p.2), pour sa part, observe deux obstacles à cette pratique de l’oral libre en
classe. Premièrement, celui du manque de temps. Le professeur est soucieux d’avancer dans
son programme et ne possède pas le temps de tergiverser sur des discussions ne faisant pas
partie de son curriculum. Dans ce sens, David semble rassurant : « l’objectif est tellement
transversal qu’on ne pourra jamais vous dire que ce n’est pas dans les objectifs de l’école.
L’école est un lieu pour apprendre à penser (…) » (L. 159-160).
Deuxième obstacle, celui de s’impliquer comme personne et donc mettre en jeu ses valeurs, sa
pensée, sa manière d’être. Ainsi, donner la parole aux enfants sur des sujets ouverts, demande
à l’enseignant de prendre une certaine part de risque, car il peut, dans ce cas, ne pas posséder
toutes les réponses comme nous le dit Eléonore : « L'enseignant est un poseur de questions. Il
ne possède pas La Réponse ni La Vérité » (L. 399-400).
En effet, nous retrouvons cet élément chez Perrenoud qui affirme :
[…] hors de sa discipline, le professeur n’est pas toujours informé, il ne maîtrise pas tous les
savoirs en jeu, qui relèvent de plusieurs disciplines, et il sait que, quoi qu’il dise, il s’expose à
la critique, au reproche d’être simpliste ou partisan. (2003, p.3)
David pour sa part explique que l’enseignant entre en recherche comme les élèves mais que
son rôle n’est pas celui de donner son avis ou de donner des réponses.
Si vous êtes en recherche avec eux, alors là ils vont se mettre en recherche. […] Votre rôle
c’est que faire des liens. Que faire des liens. Vous êtes là ni pour juger, alors c’est mon avis, ni
pour juger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est bonne ou pas
118
bonne peut être quelle est bonne, peut-être qu’elle n’est pas bonne enfin je dirais même que
toutes les questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on va en faire ». (David, L. 25-32).
Ce deuxième obstacle semble donc surmontable pour David, pour autant qu’il se situe dans
une position non jugeante, ne le mettant ainsi pas en porte-à-faux face aux élèves.
L’enseignant est donc présent, mais intervient moins qu’en classe, ne donne pas de règles à
appliquer mais demande aux élèves de faire l’exercice complexe qui est de s’exprimer sur un
thème, sans réponse ni avis de l’enseignant. Le maître dévolue entièrement sa parole aux
élèves, ce qui rend parfois les élèves perturbés, car se sentant seuls maîtres de la construction
de leur pensée malgré les outils que se donne l’enseignant (relance, demande
d’exemplification, reformulation et autres).
Liberté d’expression en classe, une utopie ?
La parole tente donc de se frayer une place au sein de la classe. Les enseignants l’utilisent
dans le but également de pouvoir offrir une certaine liberté de penser à leurs élèves,
importante pour la suite de leur vie citoyenne. David veut, pour sa part leur faire prendre de la
distance, les rendre capables « d’opérer des choix avec des jugements raisonnés » (L.245).
Eléonore veut que ses élèves pensent sans être influencés afin qu’ils « ne soient pas des
moutons » (L. 373-374).
Fabienne partage également cette idée :
[…] ce qui fait vraiment qu’on arrive à s’élever dans sa pensée c’est justement quand on arrive
un peu à la produire par soi-même […] à mon avis en philo c’est ce qu’on essaie de faire.
C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser
(Fabienne, L.128-133).
Plus présente, est-elle cependant plus écoutée ? Est-elle vraiment libre ? Il est vrai que la
philosophie peut être un bon moyen de promouvoir cette nouvelle pratique de l’oral rendant
ainsi au premier abord les élèves « libres » de pouvoir s’exprimer sur des sujets questionnant.
Dans cette pratique, les élèves peuvent ainsi confronter et mettre en mots leurs expériences et
avoir peut-être des réponses, plutôt que d’écouter en silence la « bonne parole » de
l’enseignant sur sa leçon, laissant peu de place à la parole, apportant finalement peu de
réponses au « pourquoi » des choses. Jacques Pain (cité par Le Run & Gane, 2007) montre
qu’à travers la philosophie, « […] la prise de parole permet de métaboliser les expériences de
la vie quotidienne et de voir le monde autrement » Ainsi, plus qu’un enseignement frontal, la
mise en avant, de nos jours, de leçons basées sur les échanges entre enseignants et élèves
119
permettent « […] à l’interlocuteur de rebondir, d’explorer de nouvelles perspectives, d’aller
vers de nouveaux horizons… » (Meirieu, P. 2013, p.17).
Cependant, Perrrenoud (2013, p.2) montre que malgré l’idée de penser la parole libre en
classe, elle reste tout de même normée. En effet, l’élève posséderait le droit d’intervenir si ses
paroles sont didactiquement acceptables dans l’interaction présente. Celui ne prenant pas la
parole en classe ou celui la prenant trop souvent pour des sujets annexes n’est alors pas admis
dans cette norme et n’est donc pas entendu par le maître, le considérant « hors contexte ». De
même, dans leur article paru au mois de mars 2016 dans l’Educateur, revue genevoise de
l’éducation, Capitanescu Benetti et Perrenoud M. se posent réellement la question du statut de
cette parole en classe, et de la manière dont elle est acceptée par les enseignants.
Les enseignants entendent-ils toutes les paroles des élèves : ceux qui parlent trop, ceux qui ne
parlent pas assez ou pas du tout, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui
comprennent vite et ceux qui comprennent moins ou plus lentement, ceux qui n’osent pas,
ceux qui osent trop, ceux qui parlent trop fort, trop vite, de façon trop peu
articulée… ? (Capitanescu Benetti & Perrenoud, M., 2016, p.14)
Bien que dans leur article ces auteurs prennent l’exemple du débat régulé, je me permettrais
de faire un rapprochement sensé avec la pratique du dialogue philosophique. En effet, lorsque
les enseignants le pratiquent en classe, ils souhaitent parfois entraîner des habiletés de pensée.
Ainsi, par cet exercice, ils tentent d’imposer l’utilisation de tournures de phrases ou de
logiques (exemples, contre-exemples, hypothèses, présupposés…). Comme le disent ces deux
auteurs pour le débat régulé oral, il existe des « conditions d’entrée dans un débat » que nous
pouvons également retrouver lors de la pratique du dialogue philosophique en classe.
Nous pouvons finalement conclure que la question d’une liberté de parole en classe reste
difficile. En effet A. Capitanescu Benetti et M. Perrenoud expliquent que la prise de parole
semblerait être plus libre lorsqu’elle est moins codifiée mais « (…) une trop forte codification
explicite des formes légitimes d’expression contredirait le principe d’une participation ouverte
à tous » (2016, p.15). Il est ainsi encore à réfléchir à la place que les enseignants disent
réellement donner à la parole des élèves en classe.
Parole de l’élève, quelle place pour l’enseignant ?
Il est également intéressant de montrer que Meirieu, dans son article « Parler et penser juste »
(2013), montre que finalement tout interlocuteur à l’enfant utilise une formule maîtresse : « Si
120
j’ai bien compris… ». C’est avec beaucoup d’humour qu’il explique dans son article que très
tôt l’enfant se demande comment transmettre sa pensée avec des mots. Meirieu explique
qu’un médiateur sera bien souvent utile pour l’enfant. En philosophie aussi, par cette
formulation maîtresse, nous observons que le médiateur tente de reformuler ce que l’enfant
dit. Quelles sont cependant les limites ? Il explique : « Avec un rien de roublardise quand
même : on va toujours un peu plus loin que l’enfant, et on sait bien qu’il va faire semblant de
se reconnaître dans ce que, en réalité, nous lui avons soufflé ! » (Meirieu, 2013, p17). Ainsi, il
explique que par le fait de reformuler, l’enseignant ouvrirait la possibilité à l’enfant
d’améliorer, même un tout petit peu, son expression. En observant les témoignages des
enseignants questionnés pour ce travail, nous nous rendons compte que ce phénomène doit
être pris en compte lors des dialogues à visée philosophique. Brigitte (L.461-462) part d’un
constat : « Un adulte ne donne pas son avis et surtout, ce qui est différent, c’est que c’est les
enfants qui font avancer le cours ». Premier stade, nous comprenons que lors de la pratique du
dialogue philosophique, toute la matière partirait des enfants. Leur rôle est donc central, car ce
serait eux qui feraient avancer le cours de la discussion. Mais les choses se précisent
finalement et nous pouvons observer un deuxième stade, durant lequel quelques limites
peuvent être observées face à l’expression de la pensée de l’enfant. Fabienne affirme : « Vous
voyez, vous allez chercher, partir voilà, des matériaux que vous apportent les enfants et vous
allez les pousser plus loin » (L.315-316).
Eléonore affirme également :
Là tu as un rôle clé pour essayer d’aller chez eux « et toi, qu’est-ce que tu en penses ? Et est-ce
que tu es d’accord avec ça ? Est-ce que tu as un exemple pour dire que ça c’est vrai ? (L. 118119)
Bien que la matière émane des élèves comme nous le montre ces trois enseignants,
l’animateur possède le rôle d’affiner et d’enrichir la pensée de l’enfant, de l’accompagner
dans ce chemin parfois ardu de l’expression orale de sa propre pensée. Meirieu (2013)
explique « En de perpétuels ricochets : l’échange permet ainsi à l’interlocuteur de rebondir,
d’explorer de nouvelles perspectives, d’aller vers de nouveaux horizons… » (p.17). Bien que
nous ayons eu ici la preuve d’une limite de l’expression de la pensée de l’enfant, celle
finalement d’une certaine manipulation par des questions de la part de l’animateur, nous
comprenons qu’elle ne se fait pas dans le cadre de la manipulation de pensée mais bien dans
le but de permettre à l’enfant de pouvoir s’exprimer de manière juste et précise. « Nous
devons leur parler avec l’exigence d’être, en permanence, au plus près du plus juste »
121
(Meirieu, 2013, p.18). Eléonore, à sa manière, reprend cette même idée. « Je ne pense pas
qu’on doit se retirer de la discussion mais on est au cœur de la discussion sauf que nous on est
l’accoucheur » (L. 109-110). Retenons que l’animateur possède donc un rôle central dans
l’animation du dialogue, par sa capacité à aller chercher ce qui résonne chez les élèves.
Pour conclure, nous observons un changement dans la prise de parole de l’élève en classe et la
manière dont l’enseignant en prend compte. Attention aux enseignants à cependant ne pas en
faire trop dans leur guidage et relances, pour ne pas dévier les idées des élèves.
5.2.2 Dialogue philosophique et contrat didactique, pédagogique et social,
un renversement ?
Dans le contrat didactique et de Brousseau, le maître est celui qui sait et l’élève est celui qui
ne sait pas. Le maître est donc celui qui pose les questions et attend des réponses de ses
élèves.
Dans l’activité d’étude, on s’attend à ce que le maître pose les questions. L’enfant
questionneur rompt donc ce contrat : soit sa question est une « mauvaise question », et il se
met en danger (il devrait « mieux écouter », « mieux réfléchir », « laisser finir le maître »,
etc.); soit c’est une « bonne question », et c’est le maître qui est interpellé (il aurait dû être
«plus complet », « plus précis », « plus clair », etc.). » (Maulini, 2001, p.7).
Nous pouvons alors nous questionner sur le rôle de l’enseignant dans la pratique du dialogue
philosophique, dont finalement le but est l’inverse. Le maître cherche à soulever des questions
chez les élèves, ne possède pas de réponse mais demande aux élèves de réfléchir. Au Québec,
la pratique de la philosophie commence dès le plus jeune âge et des professeurs universitaires
remarquent que les étudiants qu’ils reçoivent dans leurs amphithéâtres deviennent de plus en
plus dérangeants, comme ils le disent, car ils remettent sans cesse en cause les apports lors des
leçons. Bourdieu (1979) pour sa part dirait que « l’« excellente question », celle qui distingue
l’« excellent élève », doit dépasser la norme sans dépasser les bornes » (cité par Maulini,
2001, p.7). Faire de la philosophie en classe est-ce finalement un contrat égal ou différent au
travail didactique et social habituel que nous rencontrons en classe ? S’agit-il d’un autre
contrat quand ont fait de la philosophie en classe ?
Nous allons donc utiliser ici le concept de contrat didactique comme analyseur, en partant des
régularités et variations observées dans la partie restitution des données. Nous allons observer
d’une part en quoi le métier change et d’autre part en quoi il reste le même, pour l’enseignant.
122
La notion de contrat didactique
Houssaye, pour sa part, parlait d’une relation triangle entre les savoirs, l’élève et l’enseignant.
Nommée triangle pédagogique, elle s’élève en trois pôles : le pôle élève, le pôle enseignant et
le pôle savoir. Ces trois pôles sont en relation et nous trouvons entre ces pôles les éléments
suivantes : la relation enseignant-élève se caractérise par ce qu’il nomme former ; la relation
enseignant-savoir par l’enseignement ; la relation élève-savoir par apprendre.
Le triangle pédagogique n’est pas à confondre avec la notion de contrat didactique qui a été
introduite par Brousseau (1982) en didactique des mathématiques. Cette notion de contrat
didactique est différent du contrat scolaire qui peut exister (être à l’heure, demander la parole
pour parler…). Le contrat didactique prend des formes différentes selon les différents savoirs
et ne peut pas se déterminer d’une manière uniforme et générale. C’est un modèle permettant
de comprendre ce qu’il se passe dans la classe et possède une certaine distance avec la réalité.
Ce modèle n’est pas opérationnel. C’est un concept qui permet de modéliser quelque chose
d’important dans la relation didactique. Ce modèle part d’une contradiction dans
l’enseignement, liée à l’approche constructiviste qui dit que le fait que l’enseignant n’a pas
pour mission de faire en sorte que ses élèves apprennent, mais que la responsabilité de
l’apprentissage incombe aux élèves. C’est donc bien aux élèves d’apprendre. L’enseignant
met par contre en place les conditions pour que les élèves apprennent. Paradoxalement,
l’enseignant ne peut pas montrer directement le savoir et l’indiquer comme chose à apprendre,
mais doit mettre en place les conditions pour accéder à ce savoir et se donner les moyens pour
pouvoir vérifier que les élèves ont appris : « Pour que ce soit une situation d’apprentissage, il
faut que la réponse initiale que l’élève envisage à la question posée ne soit pas celle qu’on
veut lui enseigner » (Brousseau, 1988, p.14). Le problème est ici dévolué à l’élève.
Opacité dans le statut de l’enseignant et de l’élève
Cependant, cette relation n’est pas si simple dans la réalité, et Brousseau affirme qu’il existe
une certaine opacité dans le contrat didactique. Le schéma serait plutôt d’ordre bidirectionnel
entre l’élève et l’enseignant seulement. En fait, l’enseignant sait où il veut mener l’élève et
l’élève ne le sait pas. L’élève construit ses connaissances, non sur l’aboutissement de la tâche
mais par rapport aux attentes, au comportement de son enseignant. Bien que des obstacles
doivent êtres présents pour apprendre, le maître se doit de les alléger lorsqu’ils sont trop
lourds, car ils empêchent l’élève d’entrer en contact avec des connaissances, sans pour autant
123
les supprimer complètement, car la tâche s’effondrerait. Le maître ne se substitue donc pas au
savoir, mais ne laisse cependant jamais ses élèves sans appui. Brousseau (1988) utilise le
terme d’effet Topaze pour exprimer ce danger que peut rencontrer le maître. Celui-ci réunit
les conditions, transforme la tâche et prend à sa charge une grande partie du travail qui permet
d’obtenir les réponses attendues, sans que l’élève n’ait pu s’investir dans la recherche. Le
savoir disparaît presque. Le maître tente donc de faire deviner à son élève ce qu’il faut faire
sans pour autant le dire, comme lorsqu’il s’attarde et accentue la prononciation des
terminaisons ou des pluriels lors d’une dictée par exemple. Dans une situation problème
l’effet recherché est plutôt le suivant :
La « réponse-initiale » doit seulement permettre à l’élève de mettre en œuvre une stratégie de
base à l’aide de ses connaissances anciennes ; mais très vite, cette stratégie devrait se révéler
suffisamment inefficace pour que l’élève soit obligé de faire des accommodations ».
(Brousseau, 1988, p.14).
Le contrat modélise les attentes réciproques des enseignants pour les apprentissages des
élèves, et pour les élèves, de ce que l’enseignant attend par rapport à un savoir donné. Ces
attentes réciproques ne peuvent pas être explicites, car l’enseignant ne peut développer le
savoir à la place de l’élève. Le contrat didactique est donc bien implicite, est un non-dit, mais
qui permet de comprendre certains types de comportement entre les enseignants et les élèves.
Ainsi, cette relation implicite montrerait qu’un contrat préexiste à la situation d’enseignement
et la surdétermine (Astolfi, 1981). Dans le contrat, à un moment donné, l’enseignant propose
un milieu qui oppose une certaine résistance, on parle alors d’antagonisme du milieu : la
situation proposée à l’élève lui résiste mais est interactive et instable, car les acteurs sont en
recherche continue des ajustements des comportements par rapport à la situation problème
traitée. En philosophie par exemple, l’enseignant propose bel et bien un milieu antagoniste
aux élèves, une question universelle par exemple, mais dans ce cas, le maître se retrouve
également dans un milieu résistant. En effet, il ne pourra sûrement pas répondre de manière
justifiée aux questions des élèves. Le maître n’a connaissance de la direction que prendront
les idées des élèves et est également toujours alerte, afin de réajuster la discussion dans le but
de mieux guider ses élèves. Ainsi, maître et élève sont toujours en recherche d’une meilleure
adaptation à chaque situation, ce qui rend la notion de contrat comme possédant des clauses
jamais discutées, non écrites et non signées par les deux partis, et encore moins en
philosophie.
124
Astolfi le résume très bien :
Le contrat didactique met le professeur devant une véritable injonction paradoxale : tout ce
qu’il entreprend pour faire produire par l’élève les comportements qu’il attend, tend à priver ce
dernier des conditions nécessaires à la compréhension et à l’apprentissage de la notion visée.
Si le maître dit ce qu’il veut, il ne peut plus l’obtenir » (Astolfi, 1994, p.200-201).
Notons que le contrat possède un caractère évolutif. C’est un levier pour le maître qui, en
jouant sur les ruptures et progressions, permet d’étayer l’élève dans la tâche, concept
emprunté à Bruner et la lui dévoluer (Brousseau, 1988, p.15). En philosophie, le maître doit
accepter de jouer avec ces leviers et comprendre que le dialogue et la progression des élèves
au cours du temps ne se fait pas de manière linéaire. En effet, cette dernière ne passe pas par
des étapes claires et définie, mais est pourtant bien une anarchie comme centre de la
construction de la pensée de l’élève. Relevons qu’ici, la particularité du contrat didactique et
les leviers utilisés par le maître sont en lien avec sa manière de concevoir la construction des
savoirs. L’enseignant a donc une certaine marge de manœuvre sur le fait de considérer la
philosophie comme étant un moment où les élèves risquent de se perdre, mais tout en
continuant à suivre et accompagner les élèves en difficulté. Dans l’autre cas, l’enseignant
prendra moins de risques et suivra les étapes qu’il considère comme importante et n’avancera
pas tant que ses élèves seront en échec. Ainsi, la philosophie peut demander à l’enseignant de
devoir sortir de sa zone de confort dans le but d’emmener ses élèves sur les chemins de la
pensée.
Retenons quand même finalement que « […] l’enseignant a pour fonction de mettre en place
des faits, des indices que l’élève peut percevoir et comprendre, et dont le traitement est
créateur de sens » (Dictionnaire de pédagogie et de l’éducation, 2009, p.78). La rupture est
installée par la situation problématique et cette idée de rupture, de déséquilibre entraîne un
nouvel équilibre par l’acquisition de nouvelles connaissances, propre au constructivisme, que
nous retrouvons entièrement dans la pratique du dialogue philosophique.
5.2.3 Faut-il tout institutionnaliser ?
Définition
Mot phare dans la formation et la professionnalisation des enseignants, l’institutionnalisation
représente à elle-même un concept fondamental des didactiques. Reuter (2013) définit ce
concept selon deux approches.
125
La première approche est celle qu’il entend comme étant un moment où l’on donne une
importance officielle à un savoir en classe. Dans cette approche, les contenus d’apprentissage
sont clairement mis en avant, soulignés et discutés ensemble afin de mettre en avant
l’importance et la nécessité pour les élèves de se les approprier et de les apprendre. Ils
peuvent donc devenir évaluables. Ainsi, l’institutionnalisation est perçue comme un moment
particulier dans lequel l’enseignant fait part des savoirs à apprendre. Cette phase précède les
apprentissages. Ceci peut être, par-exemple, en français, la présentation des terminaisons du
verbe chanter au présent. L’enseignant met en avant le contenu d’apprentissage en amont.
Dans sa deuxième approche, Reuter montre que l’institutionnalisation peut être différente du
fait qu’elle est le processus par lequel l’enseignant amène les élèves à prendre connaissance
des apprentissages réalisés. Ici, l’enseignant met l’accent sur les savoirs appris et
l’institutionnalisation se fait à postériori des apprentissages faits. C’est une légitimation des
savoirs appris au cours des situations. L’enseignant fait donc l’état des lieux de ce que les
élèves ont découvert ou appris, afin de, collectivement, y attribuer un statut fondé et reconnu.
Prenons ici l’exemple d’une énigme de mathématiques, dans laquelle, par une
institutionnalisation commune, les élèves et le maître auront pu mettre en avant une démarche
de résolution applicable à d’autres situations.
Dans les deux approches, l’institutionnalisation est un processus s’avérant nécessaire en
classe et permettant aux élèves de prendre conscience du statut des savoirs, chose parfois non
évidente pour certains. En effet, Reuter explique que certains élèves ont de la peine à
décontextualiser les connaissances en situations pour les généraliser, et donc à retirer
l’essence même des savoirs. D’autres peuvent posséder une représentation banale de l’activité
scolaire et donc répondre aux exigences de l’enseignant sans pour autant pointer les savoirs et
les connaissances mises en œuvre dans une activité. Ainsi, par l’institutionnalisation,
l’enseignant rend les élèves responsables des savoirs qu’ils acquièrent. Reuter précise
également que l’institutionnalisation varie selon la discipline dans laquelle elle prend place.
En effet, une institutionnalisation en mathématiques semble bien différente qu’une en
philosophie par exemple. S’il semble assez évident d’institutionnaliser une méthode de
résolution de calcul arithmétiques, il semble cependant plus difficile de l’envisager lors de la
pratique du dialogue philosophique en classe, lorsque que le savoir et les connaissances sont
sans cesse remis en doute.
Nous pouvons alors nous interroger sur le sens de cette pratique lors du dialogue
philosophique et sur la manière dont il est pris en charge par les enseignants. Pour ce faire,
126
revenons-en aux entretiens. Une question était spécifiquement posée sur l’institutionnalisation
ou la formalisation des savoirs. Observons de plus près ce qu’en disent les enseignants pour la
philosophie.
Premièrement, nous observons que les enseignants n’utiliseront pas dans leurs propos les
termes d’institutionnalisation ou formalisation, mais préfèrent le mot « retour ». En effet, les
enseignants font part d’un retour ayant lieu en fin de séance. Certains laissent la place aux
observateurs comme Aline : « Il y a toujours un retour des observateurs, c’est tous les papiers
que j’ai là, car il y en a toujours un ou deux qui prennent note » (L.190-191). David demande
également à ses observateurs ce qu’ils peuvent apporter comme retour de séance. Aline
affirme aussi « Il y a un retour par rapport à ça et souvent, je crois que je ne dis pas grandchose au niveau du bilan retour » (L.191-192). Eléonore n’utilisera pas non plus le terme
d’institutionnalisation : « ça m’arrive parfois de faire par moment un petit résumé, de dire
voilà, aujourd’hui on a entendu tel et tel point de vue c’était intéressant » (L.239-240). De
tous les points de vue les enseignants ne semblent pas vouloir dire qu’ils formalisent un
savoir. Cela veut-t-il dire qu’il n’y a aucun savoir à institutionnaliser en philosophie, car les
questions n’ont souvent pas de réponses ?
Cependant, lorsque l’on analyse de plus près les propos des enseignants, nous pouvons
observer qu’il existe des variations sur les types de retours que font les enseignants en
philosophie. Il y a principalement deux types de retours.
Le premier est celui sur le contenu. Eléonore explique qu’elle redit avec ses mots vers quoi le
groupe est allé et fait par moment des petits résumés. Cholé va dans le même sens : « comme
il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus général, je l’écris »
(L.281-282). Chloé reste donc sur le contenu des idées.
Le deuxième type de retour est celui sur le processus. David explique : « les enfants ont
globalement respecté les règles […] il n’y en a pas qui ont coupé la parole […] c’était une
bonne séance ? […] (L.313-314) voilà, rester sur le processus » (L.322). Pour Fabienne aussi,
le but est de faire un retour sur le processus : « Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour qu’il
y ait une bonne écoute […] faire réfléchir sur ce qu’il vient de se passer dans la classe »
(L.359-360).
Ainsi, les enseignants font des retours soit ici, sur le contenu soit sur le processus. Pour ma
part il me semble parfois difficile à envisager une institutionnalisation sur le contenu, car ceci
demanderait à l’enseignant de juger les idées des élèves, à voir si elles étaient bonnes ou
127
mauvaises. Il me paraît par contre plus judicieux d’avancer le fait que les enseignants
procèdent bien à une institutionnalisation lorsqu’ils font un retour sur le processus du
dialogue. Pour Brousseau, « L’institutionnalisation porte aussi bien sur une situation d’action
– on reconnaît la valeur d’une procédure qui va devenir un moyen de référence – que sur la
formulation. » (1988, p.17). Nous sommes donc ici sur la valeur de la procédure et notamment
sur le respect du cadre et des règles.
Je trouve cependant étonnant que les enseignants n’aient pas partagé l’idée, qu’il aurait été
possible de faire un retour sur l’utilisation des habiletés de pensée, en mettant par exemple en
avant, les formes d’expression qui y sont liées « comme » pour des comparaisons , « je fais
l’hypothèse que… » pour la formulation d’hypothèses ou autres. Nous nous situerions ici dans
une institutionnalisation portant sur la formulation de la pensée et non sur les idées ellesmêmes. Nous pouvons peut-être parler de savoirs procéduraux et processuels.
Dans un sens, nous pouvons affirmer que les enseignants peuvent ici formaliser sur une
procédure en cours mais non sur un savoir didactique en jeu. Il y a donc bien une forme
d’institutionnalisation mais portant sur le processus et relevant de ce fait plus des objectifs des
capacités transversales. Elle est différente d’une formalisation en didactique dans le sens où
l’enseignant ne peut formaliser sur les réponses aux questions que se posaient les enfants.
Cependant, qu’en est-il des outils ? Apprendre à apprendre est également une manière
d’institutionnaliser des savoirs en jeux. Dans ce cas, les enseignants ne semblent pas
considérer les outils comme des savoirs, ils se réfugient dans les disciplines et leur
institutionnalisation propre. Il y a donc une tension avec le statut qu’il donne aux savoirs.
L’enseignant ne possédant souvent pas une réponse en philosophie, il ne peut alors donner un
statut certain à une idée, qui peut sans cesse être rediscutée. Si l’institutionnalisation sert en
quelque sorte à donner du sens aux savoirs, comment pouvons-nous nous assurer
institutionnaliser en philosophie ? Dans ce cas, il serait plus judicieux de porter une attention
au processus et à la démarche empruntée par les élèves, qui, par l’institutionnalisation, peut
être réinvestie par les élèves dans d’autres domaines. L’utilisation des outils peut donc être
également perçue comme un savoir. Finalement, jusqu’où s’arrête la notion de savoir ?
Finalement, en philosophie, comme dans d’autres domaines l’enseignant doit garder en tête le
savoir visé. Est-ce de connaître un processus ? Est-ce de savoir reformulater afin de rendre
une idée plus précise ? Processus et contenu ont tous deux leur importance dans
l’institutionnalisation et en philosophie, l’enseignant joue avec cette idée de processus mais
risques et incertitudes sur le contenu.
128
Afin de mieux observer comment peut-être fait une institutionnalisation en philosophie, cela
vaut peut-être la peine de faire un détour chez nos pédagogues philosophes. Nous prendrons
ici un exemple, le plus parlant, un exemple de fin de séance chez Lalanne.
5.2.4 Philosophie en classe et socialisation, un inévitable ?
Dans l’optique de répondre à des questions souvent universelles, nous comprenons alors la
nécessité que demande la pratique du dialogue philosophique, qui est de réfléchir
collectivement. Philosopher en classe est, comme nous l’avons compris, une activité qui se
pratique de manière commune et permet une socialisation. Pourquoi et comment ? La
socialisation est « le processus d’apprentissage au cours duquel un être humain devient
membre de la société dans laquelle il vit » (Maulini, 2016, socialisation)35. La socialisation se
découpe en deux catégories. La socialisation primaire, faite par la famille ou une communauté
restreinte de l’enfant, lui présentant le monde comme étant le sien. L’enfant se développe
dans son monde, un monde certain présenté par des personnes auxquelles il se fie. La seconde
catégorie comprend la socialisation secondaire, qui est celle qui nous intéresse dans ce cas.
Elle est prise en charge par l’école et permet de problématiser le monde de l’enfant, car elle
est prise en charge pas un sous-espace social, comme l’école ou plus précisément dans notre
cas par la communauté de recherche scientifique que propose la pratique du dialogue
philosophique. « La seconde instance secondarise cette évidence [la socialisation primaire], en
montrant que d’autres points de vue sont possibles et que ce qui paraissait jusqu’ici intangible
peut être mis en question ». (Maulini, 2016). Dans cette idée, la pratique du dialogue
philosophique en classe permet aux élèves de pouvoir s’éloigner des points de vues et des
idées qui peuvent être rattachées à la communauté restreinte de l’enfant pour pouvoir prendre
se confronter à d’autres idées, par une communauté plus large étant, dans ce cas, celle du
groupe classe.
Cette pratique est une activité sociale et commune. Dans le monde, qui n’est pas celui de
l’enfant, mais bien celui d’une société, la communauté est une base à toute interaction sociale.
La philosophie se pratique d’une manière que Lipman nomme: la communauté de recherche
philosophique. Cette nomination de « communauté de recherche philosophique », fait
référence aux communautés de recherche scientifiques, car elles font appel aux méthodologies
de recherche scientifique qui renvoient elles-mêmes à une démarche pragmatiste.
35
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/maulini/cours-tc-glo.htm#discussion
129
C. S. Peirce conçoit le pragmatisme comme une méthode de clarification d'idées,
s'appuyant sur l'utilisation de méthodes scientifiques, pour résoudre des problèmes
philosophiques. C. S. Peirce démontre ainsi que la philosophie, quand elle est
pragmatique, peut être appliquée de manière intelligente aux problèmes humains et,
ainsi, avoir une efficacité propre. » (Agostini, 2007)36.
En philosophie, nombreux sont les problèmes nécessitant de clarifier nos idées en les
confrontant à celles des autres, dans le but de trouver la meilleure résolution possible. Dans ce
même article, Agostini explique que Dewey parlera lui d’une communauté de recherche ayant
pour but de trouver un sens commun en passant par des enquêtes. Ainsi, sciences et
philosophie se rapprochent très nettement par leurs méthodes de recherche. Pour Dewey, ces
deux se rapprochent, car elles tendent vers un même but qui est celui de développer une
pensée autonome, critique et raisonnable à travers une utilisation d’une logique et d’une
rigueur scientifique. En effet pour lui, « Sans initiation à l'esprit scientifique on ne possède
pas les meilleurs outils que l'humanité ait jusqu'ici inventés pour réfléchir avec efficacité. (...)
C'est une méthode de recherche et de mise à l'épreuve » (Agostini, 2007).
En philosophie pour enfant, le procédé décrit par Lipman est le même. L’enfant ne va pas
immédiatement trouver une solution à une question donnée mais va, par essais et erreurs, à
tâtons, trouver une solution rationnelle. Il progresse au fur et à mesure des apports de ses
camarades. Ainsi, mettre en place une communauté de recherche philosophique dans sa classe
est une démarche qui demande à l’enseignant d’organiser une discussion dans laquelle,
ensemble, les élèves chercheront une solution. L’intention est ici d’initier les élèves à une
pensée logique et de l’entraîner à l’affiner par l’utilisation, par exemple, des habiletés de
pensée. Les élèves trouvent alors « les bonnes raisons » de Lipman, ressemblantes, voire
similaire au « sens commun » de Dewey.
La communauté de recherche se constitue elle-même comme étant une microsociété dans
laquelle chacun interagit. L’enfant apprend à vivre en société, à s’exprimer, faisant référence
au processus de socialisation secondaire.
Nous allons ci-dessous mettre en évidence quelques propriétés de la communauté de
recherche souvent relevées par les enseignants et permettant ainsi cette socialisation à petite
échelle dans la classe.
36
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.educ-revues.fr/Diotime/AffichageDocument.aspx?iddoc=32827
130
En aucun cas, je n’ai entendu durant ma recherche que la philosophie est une pratique
autonome et individuelle. Au contraire, elle se présente toujours sous forme collective.
Physiquement dans un premier temps. En effet, souvent les élèves sont assis en cercle, en
carré ou en forme de U, comprenant leur-e enseignant-e. La philosophie possède cette
particularité qu’elle ne fonctionne, à l’école en tout cas, que sous forme de collectivité, soit
socialement. Dans tous les témoignages recueillis durant ce travail, nous retrouvons cette idée
de circularité physique dans la classe. Chloé affirme qu’elle est en forme de cercle, David
également : « nous sommes en cercle, assis sur nos chaises » (L.421). Pour Eléonore, les
élèves sont également regroupés en forme fermée : « ils sont en rectangle parce que j’ai une
petite classe » (L.195). Brigitte aussi utilise cette disposition « ça fait une espèce de carré et
les élèves se voient tous, comme un demi-rond » (L.217-218). Aline explique qu’ils se
mettent tous autour d’une grande table, elle comprise. Fabienne ne fera pas différemment :
« Dans la mesure du possible j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux,
ou alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les
élèves » (L.602-603). Nous avons ici la preuve que cette pratique s’exerce en communauté et
non en individualité. Aussi, nous retrouvons souvent l’idée d’une « communauté », exprimée
de différentes manières par les enseignants. Nous retrouvons les expressions de « tous
ensemble » ou « on va le construire ensemble » (Eléonore), « tous autour » (Aline), mettant en
avant cette installation d’une communauté.
Par rapport à la construction d’une logique, en passant par la recherche, observons de plus
près ce que les enseignants du terrain disent. Les enseignants mettent en avant des acquis
qu’ils observent chez leurs élèves, comme notamment une capacité à utiliser et construire
leurs propos de manière plus logique, par l’utilisation des habiletés de pensée. Aline
remarque : « Ils me disent maintenant très facilement « je fais l’hypothèse que » et après il y a
un autre qui « oui mais moi j’ai peut-être une autre idée » et ça c’est énorme ce qu’ils
apprennent » (L.213-215).
David observe également des acquis dans cette compétence :
La preuve, si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début d’année et ce qu’ils sont capables de dire en fin d’année, vous passez du « Je suis d’accord » à « Son exemple me fait
changer d’avis ou j’ai changé d’avis car le contre-exemple qu’il a donné… » Voilà, ça veut dire qu’ils ont déjà intégré énormément de choses. (L.59-62).
131
Les élèves semblent développer une certaine logique sur le terrain, remarquée par leurs
enseignants au cours de leur progression dans cette pratique, ou dans la plupart des cas ils
s’inscrivent bel et bien en recherche.
Notons d’ailleurs que concernant cette deuxième partie de l’expression « communauté de
recherche » et donc le mot « recherche », elle ne s’adresse, en philosophie, pas uniquement
aux élèves. Dans les entretiens, les enseignants font remarquer, souvent, qu’ils prennent euxmêmes part à la recherche en cours et que le fait qu’ils entrent en recherche permet aux élèves
d’y entrer également (David).
Nous avons vu dans cette partie l’aspect « communauté de recherche » que permet l’école.
Par son processus de socialisation secondaire, c’est-à-dire de questionnement du monde qui
entoure les enfants et de confrontation des points de vue, nous avons pu démontrer que la
communauté de recherche est une pratique utilisée par les enseignants permettant de mettre en
place un processus d’apprentissage au cours duquel un être humain, ici un élève, devient
membre de la société dans laquelle il s’inscrit. La pratique du dialogue philosophique sur le
terrain a pu démontrer les aspects de socialisation présents dans les classes. De plus, nous
avons vu qu’elle permet également aux élèves d’entrer dans un processus de recherche dans
lesquels, ils pourront faire évoluer leur pensée.
5.2.5 Une construction de pensée commune et/ou individuelle ?
Nous avons vu l’intérêt de passer par une communauté de recherche, possédant ses bases dans
le pragmatisme de Dewey. Si la socialisation possède une part importante dans les dialogues
philosophiques, relevons tout de même que les enseignants parlent souvent d’une construction. Tous ne semblent pas êtres d’accord sur ce premier terme de construction, mais nous allons ici tout de même les mettre chacun en évidence.
En étudiant les témoignages des enseignants, nous comprenons et ce, dès le début que les élèves se situent dans une construction. En effet, nous pouvons relever quelques régularités dans
les paroles des enseignants. Pour Aline, la philosophie est l’idée d’une construction de la pensée. Pour Chloé c’est une « co-construction » et pour Fabienne c’est « une construction de
sens ». Nous observons ici que la pratique de la philosophie est une construction, de sens
ou/et de pensée, pouvant se faire au contact d’autres personnes.
132
De plus, les enseignants font souvent référence à un développement ou encore un processus
qui a lieu au cours du dialogue philosophique. Outre ceci, elle est pour certains d’entre eux la
possibilité pour les enfants de développer des capacités. Pour David et Eléonore, il s’agit de
développer les habiletés de pensée, nécessaires à la construction d’une pensée critique chez
les élèves. Nous retrouvons ici une forte référence aux mouvements de Lipman/Sasseville.
Pour Eléonore, il s’agira également de pouvoir développer sa pensée critique, « développer
l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophique » (L.372373). Fabienne, pour sa part, parle de « développer leur pensée ». Nous observons donc
l’importance de l’idée d’un développement que permettrait la philosophie chez les élèves,
même si, dans les termes, les enseignants nuancent ce qu’ils attribuent au développement.
Un autre apport serait également celui de la rigueur et d’un développement intellectuel,
qu’Eléonore et Fabienne mettent en avant. Eléonore affirme que « cette rigueur scientifique
d’une certaine manière je trouve qu’ils l’acquièrent en faisant de la philo » (L.188-190). et
Fabienne : « c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel » (L.258259). On observe ici que les élèves bénéficieraient d’un réel développement de leurs compétences.
Les enseignants partagent ici des idées appartenant au courant du socioconstructivisme. Ainsi,
la construction de connaissances se fait au contact d’autres individus : « la compétence à interagir permet aux sujets de pouvoir tirer un bénéfice cognitif des interactions et les progrès induits favorisent à leur tour le développement de la compétence interactive ». (Crahay, 1999,
p.204) Dans cette perspective, nous observons que le phénomène est le même en philosophie
pour enfants. Le savoir est construit par la recherche en discutant des différents points de vue.
Les représentations des élèves se confrontent à celle des autres : « (…) un travail interne va
s’opérer, où un langage intérieur va se développer en un « dialogue de l’âme avec ellemême » (Platon), provoquant des conflits cognitifs intra individuels médiés par des conflits
socio-cognitifs interindividuels (Vygotsky) » (Tozzi, 2003). Les élèves construisent leur réponses à l’aide des apports des autres et en se basant sur un dispositif ou les différentes interventions du maître.
Crahay (1999) affirme que cette manière de procéder correspond bien au socioconstructivisme :
133
On postule même qu’il peut y avoir une antériorité du déséquilibre interindividuel entre deux
sujets dont les réponses diffèrent et le déséquilibre intraindividuel vécu par le sujet qui prend
conscience de ce qu’un point de vue opposé au sien est possible (p.204).
Remarquons que dans le plan d’études, un objectif transversal est clairement défini à propos
de cette construction de la pensée. Quelques descripteurs montrent comment l’enfant peut se
décentrer et se remettre en question : renoncer aux idées préconçues, comparer son opinion à
celle des autres, explorer différentes opinions et points de vue possibles ou existants. Théorie
et pratique sont à nouveau très proches.
5.2.6 Quels changements observés dans le rôle du maître ?
En partant du postulat de l’intérêt des enseignants à proposer des communautés de recherche
philosophique en classe, comme nous l’avons démontré plus haut, notons cependant que cette
pratique n’est pas sans effets.
Gagnon (2005) l’explique dans les premières pages de son livre :
[…] l’enseignant doit opérer un véritable renversement de sa manière de procéder,
puisque la transformation d’une classe en CRP présuppose qu’il renonce à la formule
pédagogique magistrale de la réponse au nom d’une pédagogie dialogique du questionnement, de l’interrogation et de l’investigation, et ce, afin que les élèves puissent
s’approprier, par la pratique, les habiletés d’une pensée réflexive et critique (p.1).
Lors de la pratique du dialogue philosophique, nous comprenons que le contrat du maître
n’est pas le même que le reste du temps en classe. Les enseignants sur le terrain m’ont fait
part de ce point. Brigitte, par exemple, observe un changement avec le rôle habituel de
l’enseignant en classe : « Ce qui change c’est que l’adulte pose des questions de relances et
donne pas son avis ça c’est important » (L.460-461). David explique aussi que l’enseignant
doit accepter de ne plus être le maître : « c’est-à-dire que vous faites confiance à la fois aux
enfants et à la fois au processus et à chaque situation (…) » (L.23-24). Dans ces cas nous observons que l’enseignant n’enseigne plus, n’apprend plus.
[…] il s’est produit dans le rôle du maître un certain nombre de déplacements, voire un renversement, une rupture qui touche à la fois à l’épistémologie scolaire et au rapport au savoir, à
134
l’éthique communicationnelle dans la classe, à l’identité professionnelle de l’enseignant […]
(Tozzi, 2003)37.
Rappelons peut-être la mission première de l’enseignant dans l’animation des communautés
de recherche philosophique. Le but est : « (…) d’animer une discussion philosophique, c’està-dire d’aider un groupe de personnes qui dialoguent ensemble autour d’une question qu’ils
jugent problématique et intéressante à s’engager philosophiquement dans son exploration »
(Gagnon, 2005, p.1). Ainsi, il est peut-être intéressant ici d’observer comment se voient, ou
disons, se considèrent les enseignants face à leurs élèves dans ces moments.
Comment les enseignants se considèrent-ils ? Quelle identité s’attribuer ? Quel statut
endosser ?
Lorsques les enseignants pratiquent des dialogues à visée philosophique, j’ai pu observer
qu’ils ont de la peine à se définir et que leur identité professionnelle est en question. Je vais
reprendre ici une partie de ma restitution de données, qui me semble être un bon point de départ dans l’analyse. Dans la restitution de données nous avions retrouvé plusieurs variations
au niveau du statut que s’allouait chaque enseignant. Il est intéressant de noter qu’il est même
difficile pour un enseignant d’avoir une vision très claire du statut qu’il possède.
Aline affirme dans les réponses aux questions 2.1 et 2.2 qu’elle « enlève [sa] casquette
d’enseignante », « je suis une adulte », « je n’ai pas une place d’élève », « ce qu’il se passe en
dialogue philo ça leur montre que je suis comme eux. Dans le sens où je lève la main quand je
veux poser une question, on est ensemble je suis comme eux je ne suis pas l’enseignante qui
dit que c’est comme ça ou qu’il faut faire d’une manière et pas autrement ainsi de suite. »
(L.115-118), « Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d’adulte comme ça de couper le dialogue,
là j’ai réagi comme ça… » (L.134-136). On observe bien chez cette enseignante la volonté de
quitter le rôle de l’enseignant ordinaire, ne sachant pourtant pas vraiment comme se considérer, peut-être comme un adulte ou alors occupant la même place qu’un enfant. Le rôle n’est ici
pas si clair. Elle se considère bel et bien comme un adulte mais dit qu’elle n’a pas une place
d’élève tout en semblant dire qu’elle est comme eux.
37
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/2003/11/le-role-du-maitre-dans-la-discussion-a-viseephilosophique-a-l-ecole-et-au-college/
135
Pour Brigitte, le but est de rester l’adulte et se positionner dans une place de contrôle : elle
utilise le mot « adulte » et parle d’avoir « un certain contrôle ».
Pour Chloé : « L'enseignant fait partie du groupe de recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une pensée commune, critique et argumentée » (L.464465).
David affirme : « je reste l’enseignant », « vous êtes plus, il faut accepter que vous êtes plus le
maître » (L.22-23), il affirme aussi que son rôle est de faire des liens et que la personne qui
anime possède un statut de chercheur comme les élèves. Ici, l’enseignant arrive à se contredire en très peu de temps en affirmant qu’il reste l’enseignant mais m’indique ensuite lors de
l’interview qu’il faut accepter de ne plus être le maître. On ressent ici une réelle volonté de se
séparer du rôle du maître ordinaire mais tout en souhaitant garder son statut. Peut-être pouvons-nous ici ressentir un réel problème de ce que l’enseignant souhaite être lors des dialogues philosophiques et ce qu’il est réellement.
Eléonore dans la question 3.3 prend une autre position. Elle explique « c’est-à-dire qu’il n’y a
pas de hiérarchie voilà » (L.198-199). L’enseignante a donc la volonté de casser une sorte de
hiérarchie semblant naturellement présente dans la classe en temps normal.
Fabienne parlera d’une « prise de risque parfois troublante pour l’enseignant » (L.238), mais
ne s’affirme ni adulte, ni enseignant ni possédant un statut d’élève. Elle reste très vague par
rapport à son statut.
Finalement, observons que tous les enseignants ne semblent pas être en accord, entre eux et
même avec eux-mêmes, lorsqu’ils doivent définir leur statut dans la pratique du dialogue philosophique. Aline en 1.2 résume très bien le ressenti que nous pouvons retrouver chez plusieurs d’entre eux :
Finalement pour l’enseignant c’est parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur
parce que c’est pas tout facile mais ça fait du bien un peu de pas rester, de pas être tout le
temps dans juste la transmission du savoir, cette co-construction est hyper intéressante[…] (L.273-276).
136
Si nous retournons quelques instants à la théorie, nous observons que ce statut de l’enseignant
reste également très vague. Il est vague par la liberté finalement qui est laissée à chaque enseignant d’agir comme il le sent. Gagnon (2005) explique : « (…) le professeur est davantage
animateur, celui dont le rôle est de faciliter la délibération entre les pairs en intervenant de
manière significative et judicieuse, le plus souvent sous forme de questions » (p.1). Dans cette
explication du rôle de l’enseignant, les mots « significatif » et « judicieux » reviennent finalement aux normes que chaque enseignant se donne et au sens qu’il accorde à ces mots.
Nous avions vu dans le cadrage théorique que le degré de guidage peut être différent selon les
pédagogues. Nous observons dans notre cas des enseignants toujours présents mais intervenant différemment. Loin de l’absence d’interventions prônée par Lévine, les enseignants restent cependant mitigés sur leur manière d’intervenir. Tozzi (2003) en fait également part :
« Le maître ne devrait donc être ni dominus ni magister. On en vient alors à se demander si le
mot « maître » est bien encore celui qu’il faut employer pour ce personnage en voie
d’effacement ».
A plusieurs reprises, et autant chez Fabienne que dans la théorie, nous retrouvons le terme
« animateur » remplaçant le mot « enseignant » et rendant ainsi le statut plus neutre face aux
élèves.
Il est ici intéressant de noter une variation ressortie entre deux enseignants concernant le degré de guidage des enseignants.
En observant Alexandre Herriger38, Aline dit :
Je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et j'ai essayé d’intervertir plus, car on se pose des questions, quel impact ça a d'intervenir un peu plus, de poser plus de questions, si on a
plus de relances, et maintenant j'en suis un petit peu là. (L.333-335)
Ici, l’enseignante se dit intervenir plus afin de mieux guider les élèves et approfondir le dialogue. Au contraire, Fabienne déclare que l’évolution dans sa pratique a été d’intervenir de
moins en moins : « […] on apprend soi-même à lever le pied un peu à peut-être moins intervenir. Moi je crois que c’est ça, […] que ce n’est pas parce que je suis un peu en retrait que je
ne suis pas présente... » (L.468-470). Faut-il donc intervenir de moins en moins ou de plus en
plus afin d’affiner la réflexion des enfants ? Ici encore les réponses divergent. Dans tous les
38
Formateur et intervenant spécialisé en philosophie pour enfants
137
cas, l’enseignant est appelé à guider ses élèves, que ce soit en intervenant plus ou en intervenant moins. Cela peut aussi dépendre du groupe classe et de la manière que l’enseignant envisage son guidage. Dans tous les cas, comme le dit Tozzi (2003) : « Quel que soit son degré de
guidage, il reste en retrait sur le fond (le contenu des solutions aux problèmes) pour que les
élèves s’autorisent à penser sans être dans son désir de (bonne) réponse »39. Tozzi montre que
finalement quel que soit son intervention, le maître possède réellement un statut différent. Par
rapport à nos informateurs, nous pouvons affirmer que si ceux-ci semblent agir différemment,
cela vient de leur personnalité, élément parfois soulevé par les enseignants lors des entretiens.
Que font-ils sur le terrain ? Ce vers quoi les enseignants tendent
L’enseignant questionneur
Quoique semble être le statut de l’enseignant et l’attribut que lui donnent les enseignants, tous
convergent vers l’idée que lors des dialogues, il faut questionner. Cependant, même dans cette
idée largement partagée, nous pouvons dégager deux axes différents à propos du questionnement.
Si donner du sens aux apprentissages rime donc avec répondre aux questions des élèves, nous
pouvons ainsi mieux comprendre pourquoi tous les informateurs questionnés mettent beaucoup l’accent sur le rôle du maître comme étant celui qui reste sur le questionnement. En observant quelques propos des informateurs rencontrés dans le cadre de cette recherche, nous
comprenons que si les enseignants prennent la parole, c’est pour premièrement questionner :
« l’enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Réponse ni La Vérité » (Eléonore, L.399-400).
Tozzi (2003) fait également ce rapprochement lorsqu’il explique :
[…] le maître reste sur le questionnement […] Il est là pour accompagner le tracéméditatif de
chacun et le travail collectif de la classe, sur une question considérée comme une énigme de la
condition humaine avec laquelle chacun doit apprendre à réfléchir.
Fabienne explique également que le rôle de l’enseignant est de « (…) soutenir le questionnement des enfants en apportant les outils nécessaires » (L.611-612). Pour tous les enseignants,
il s’agit de questionner les élèves, l’enseignant est donc un poseur de questions, le but étant de
lancer plein de questions pour que « tranquillement ça émerge » (Eléonore, L.106).
39
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm
138
L’enseignant est donc vu comme une personne posant des questions pertinentes. Cependant,
pour d’autres, il s’agit aussi d’inciter les élèves à se poser des questions, soutenir le questionnement des élèves, les amener à se poser des questions (Aline, Eléonore et Fabienne).
L’enseignant est donc poseur de questions et incite le questionnement, dans tous les cas, il le
soutient. Tozzi (2003) affirme : « (…) quand il pose des questions, ce n’est pas pour avoir la
bonne réponse, mais pour faire rebondir, aller plus loin, inciter à problématiser, cheminer, et
non à conclure ». Soutenir le questionnement est alors considéré comme un aspect central
dans l’animation des discussions à visée philosophique.
L’enseignant guide et ses outils
Les enseignants semblent être d’accord sur le fait que leur rôle est aussi de relancer la
discussion par des questions. Aline explique : « je fais des relances afin d'inciter les élèves à
se poser davantage de questions » (L.413-414). Brigitte et Chloé utilisent aussi ce mot à
plusieurs reprises dans leurs réponses. De plus, il doit guider les élèves dans leurs réflexions
sans pour autant poser son savoir. En effet, ce terme est repris par Chloé (2.2) et Fabienne
(2.2). L’enseignant demande aussi souvent aux enfants de reformuler leurs pensées ou celles
d’un autre. Par ses relances et son rôle de guide, il semble avoir une place importante et est au
centre de la discussion par son animation. Les enseignants prennent également la parole pour
relancer une discussion : « Mes interventions sont verbales, ce sont des relances, jamais je ne
donne mon avis, très souvent je repose des questions, demande des éclaircissements » (David,
L.426-427).
Pour pouvoir guider au mieux leurs élèves, les enseignants à priori tentent de s’imaginer la
communauté de recherche qui aura lieu dans leur classe en tentant d’imaginer quelles
habiletés de pensée que leurs élèves pourraient utiliser, lesquelles ainsi il serait intéressant de
travailler et de développer avec eux. Il y a donc un intérêt des enseignants à travailler les
habiletés de pensée. Aline le dit ainsi : il faut « voir quelles habiletés de pensée ils pourraient
sortir, il y a toujours une préparation en amont. (…) se poser soi-même la question "bah tiens,
quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec ce texte?" » (L.163-164). Eléonore
partage cette idée : « Parce que justement le but c’est de développer chez les enfants les
habiletés de pensée donc qu’on fasse des exercices pour que les enfants comprennent
l’importance d’un exemple d’un contre-exemple (…) » (L.144-145). D’autres imagineront le
chemin que pourrait prendre la discussion en tentant de penser à ce que pourrait induire les
éléments apportés au cours de la discussion et affirment qu’il est toujours bien de savoir par
139
où la discussion pourrait se diriger. Bref, avoir une idée du cheminement : « Qu'est-ce que ça
peut induire? » (Aline, L.169), « (…) il faut que tu aies prévu par où ça va aller » (Chloé,
L.341), « (…) c’est bien de préparer à l’avance car on a soi-même des pistes, ou je présente
une autre situation ou je donne des exemples, c’est toujours bien de savoir (…) » (Fabienne,
L.328).
Aline, David et Fabienne préparent à l’avance des relances par des questions ou des pistes de
réflexion permettant de relancer la discussion. Aline et Chloé insistent par contre sur le fait
qu’il faut également savoir lâcher toute préparation, car l’enseignant ne peut jamais être sûr
de la direction que prendra le dialogue : « Après il faut savoir la lâcher et se dire que j’avais
pas du tout prévu que ça parte comme ça et finalement ça vient avec la pratique aussi. »
(Chloé, L.342-344) « Mais on ne peut pas rester croché non plus là-dessus parce que on sait
jamais où ça va nous emmener » (Aline, L.170). Si l’enseignant ne lâche pas ce qu’il a
anticipé pour suivre les idées des élèves plutôt que d’imposer les siennes, il est alors dans un
statut qui le rend manipulateur tentant d’imposer des éléments qu’il a préparés.
Gagnon (2005) tire également la sonnette d’alarme à propos de l’utilisation de plans de
discussion :
Etant donné leur structure, les guides d’accompagnement nous contraignent à toujours partir
des thèmes pour développer une idée de manière critique et créative. […] il devient probable
qu’un animateur soit tenté de diriger la discussion vers ce qui est inclus dans le guide, quitte à
ne pas suivre l’intérêt du groupe, de cesser d’intervenir de manière significative faute de
repères ou de diriger en mettant ses propres conceptions ou convictions au premier plan. (p.5)
Ainsi, une préparation trop fine ferait perdre le déroulement naturel du dialogue et pousserait
l’enseignant à diriger les paroles des élèves.
Ils proposent également des exercices aux élèves. Les informateurs parlent d’exercices en
philosophie, démontrant qu’il ne s’agit pas uniquement de discuter mais également de
s’entraîner et de renforcer quelques aspects. Par rapport aux exercices de philosophie, Aline
et David avouent qu’ils sont en difficulté à utiliser les exercices proposés par la méthode
Lipman. Aline dit : « moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je trouve que quand on
fait ça on ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma position d'enseignante. »
(L.153-154) et David ajoute : « Moi je trouve les exercices pas terribles ça je suis assez
d’accord avec vous, en fait je les utilise pas. Mais les plans de discussion ils sont super. »
(L.375-377). Ces enseignants ne semblent pas être à l’aise avec ce qui est proposé. D’autres
140
font des exercices sans rencontrer trop de difficultés afin de pouvoir entraîner l’acquisition
d’habiletés de pensée. Eléonore dit : « ce que j’essaie de faire c’est une ou deux ou trois
discussion en communauté de recherche et la fois d’après on fait un exercice du classeur »
(L.141-143). Fabienne dit également faire des exercices en classe : « (…) parce que des fois y
a des exercices et alors dire « voilà ça fait 2-3 séances qu’on discute aujourd’hui je fais un
exercice précis, je travaille une habileté précise ou on je ne sais pas par exemple des
métaphores en disant on est fort comme un ? Doux comme un ? Voilà… et puis tout d’un
coup ça les force à chercher des images et vous pouvez les mettre par groupe de deux et
alterner de temps en temps comme ça et souvent c’est des exercices très terre à terre (…) »
(L.335-341). Loin d’une posture autant en retrait que l’on pense, l’enseignant est un réel
guide pour permettre aux élèves de pouvoir mieux développer leur pensée. Sans lui, il n’y
aurait sûrement qu’opposition de points de vue où chacun défendrait son terrain.
La réflexion de l’enfant au centre
Ce principe, mis en avant par le courant de l’Education Nouvelle veut que les individus
participent activement à leur formation. Ce courant affirme qu’il faut partir des centres
d’intérêts pour pouvoir susciter un esprit de découverte et coopération. Nous retrouvons ce
principe dans les méthodes actives et par exemple dans la pratique du dialogue
philosophique, lorsque les questionnements partent de l’intérêt des élèves dans le but
d’explorer des solutions de manière commune. Ainsi, toute la matière de la discussion
partirait des enfants : « Un adulte donne pas son avis et surtout ce qui est différent, c’est que
c’est les enfants qui font avancer le cours » (Brigitte L.461-462). « Vous voyez vous allez
chercher, partir voilà des matériaux que vous apportent les enfants et vous allez les pousser
plus loin » (Fabienne, L.316). Ainsi, en partant des questionnements et apports des élèves, les
enseignants profitent d’utiliser ceux-ci pour tirer les élèves et les emmener plus loin dans leur
pensée : « aller chercher un peu le timide » (Chloé, L.302) « là tu as un rôle clé pour essayer
d’aller chez eux "et toi qu’est-ce que tu en penses? Et est-ce que tu es d’accord avec ça? Estce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" » (Eléonore L.118-119). Nous retenons
ainsi que dans leur procédé, les enseignants choisissent de partir des enfants pour ensuite les
tirer plus loin dans leur réflexion. L’enseignant se permet d’aller chercher en eux des
éléments faisant avancer la discussion. Il repart toujours de ce que les élèves apportent.
De plus, les enseignants affirment être eux-mêmes en recherche avec les élèves lors des
dialogues. Aline affirme qu’elle fait partie de la communauté de recherche : « Je n'ai plus la
141
casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche » (L. 412)
David lui dit qu’il possède : « Un statut de chercheur comme les élèves, mais en plus vieux
! » (L.448) et soutient « Je suis juste là non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche
avec eux. » (L.450-451) et affirme que c’est presque un prérequis à ce que les élèves
s’investissent « Si vous êtes en recherche avec eux, alors là ils vont se mettre en recherche »
(L.25). Aussi, le rôle de l’enseignant semble primordial et être au centre du dialogue : « Je ne
pense pas qu’on doit se retirer de la discussion mais on est au cœur de la discussion sauf que
nous on est l’accoucheur » (Eléonore, L.109-110). Retenons que l’enseignant est au centre de
ce qu’il se passe, autant par sa capacité à aller chercher ce qui résonne chez les élèves, qu’en
s’investissant lui-même dans cette recherche, sans pour autant faire part de ses idées.
L’enseignant garant
Nous retrouvons dans les paroles des enseignants le terme « garant » qu’ils se disent devoir
être envers les élèves. Ce que nous pouvons observer de différent chez ces enseignants est la
définition qu’ils attribuent au mot « garant » prenant une place importante dans leur rôle.
Quatre enseignants utilisent ce mot mais tous ne mettent pas la même idée derrière.
Certains affirment qu’ils doivent être garant des règles, du cadre et de la sécurité : « Je pense
que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre de la sécurité » (David, L.450-451) « je
suis garante de la sécurité des élèves » (Aline, L.412-413)
Eléonore affirmera qu’elle est garante de l’honnêteté philosophique de la discussion : « Voilà
et c’est pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur parce que justement on est
au cœur. Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philosophique. […] Ça veut dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et pas
en train de faire autre chose » (L.120-122)
Fabienne se dira elle garante du respect entre les élèves « vous êtes garante de ce cadre-là,
vous êtes garante du respect que les élèves s’accordent » (L.292-293)
Relevons que les quatre enseignants tentent de donner une authenticité dans les dialogues philosophiques, mais tous n’agissent pas sur les mêmes éléments.
Bien que les enseignants semblent mettre un sens différent derrière ce qu’ils appellent la garance, nous retrouvons cette idée chez Tozzi, qu’il existe d’un certain contrôle de la situation
afin de garantir un climat dans lequel les élèves pourront chacun faire part de leur idées et ré142
fléchir : « Il instaure et garantit un climat de sécurité et de confiance avec les élèves (…), et
entre les élèves eux-mêmes. »40 (2003). Tozzi explique également ce concept d’enseignant
garant : « Même non interventionniste, le maître reste présent, il est le garant des lois, des règles, de l’éthique communicationnelle par laquelle les élèves ne travaillent pas seulement à
dépasser l’opinion, mais à intérioriser des valeurs (….) »41. Dans cette recherche, nous avons
pu démontrer sur ce point que quel que soit le statut de l’enseignant et quel que soit son degré
de guidage ou d’intervention, il reste, pour les élèves, une sorte de protecteur du dialogue.
Que disent-ils ne pas faire sur le terrain ? Ce vers quoi les enseignants tendent.
Un enseignant neutre, en théorie non jugeant des positions des élèves
Les enseignants font très souvent attention à ne pas prendre parti. Nous retrouvons cette idée
dans leurs interventions :
Vous n’êtes là ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour juger, ni pour donner les réponses,
ni pour évaluer si une question est bonne ou pas peut-être qu’elle est bonne, peut-être qu’elle
n’est pas bonne enfin je dirais même que toutes les questions sont bonnes. Ca dépend de ce
qu’on va en faire (David, L.25-32).
Tozzi (2003)42 affirme : « Le maître donne un statut positif aux questions des enfants, même
et peut-être surtout celles qui l’embarrassent le plus, et qui ne vont pas sans soulever des problèmes psychologiques, éthiques, déontologiques, philosophiques sur les réactions et réponses
possibles ». Nous comprenons donc l’importance de ne pas prendre parti ou soumettre des
idées aux élèves lors du dialogue.
Eléonore explique que les interventions des enseignants doivent être neutres dans le but de ne
pas manipuler la pensée des enfants mais plutôt de les aider à penser : « on n’est pas là pour
manipuler les enfants c’est vraiment, effectivement ça peut-être un danger une personne malveillante elle peut utiliser la communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà
nous on n’est pas là pour les manipuler, pour leur imposer notre point de vue on est là pour les
aider à penser par soi-même ».
40
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm
42
Consulté le 2 août 2016 sur http://www.philotozzi.com/articles/article176.htm
41
143
Gagnon (2005) confirme ce point de vue: « l’animateur ne doit pas porter de jugements de
valeur sur les idées des jeunes, mais bien les inviter à justifier leurs pensées et à évaluer ces
justifications par et pour eux-mêmes » (p.2). De plus, nous apprenons que l’enseignant n’est
pas là pour poser son savoir : « Je suis juste là non pas pour montrer que je sais, mais que je
cherche avec eux. » (David, L.450-451). « On n’est pas là pour lui dire ce qui est vrai ou pas
vrai on est là pour respecter la pensée de chacun » (Eléonore, L.130-131).
Pour conclure ce chapitre, nous pouvons bel et bien affirmer que le rôle de l’enseignant et son
statut sont bien différents dans la pratique du dialogue philosophique. Nous avons montré
quelles étaient ces différences, que nous retrouvons autant sur le terrain, que dans la théorie.
Si le rôle et les attentes de l’enseignant sont différents, une partie du contrat didactique change. Gagnon (2005) explique : « La pratique du dialogue philosophique comporte un renversement de la procédure, en ce sens que nous devons passer d’une pédagogie de la réponse (ou
de la présentation du résultat) à une pédagogie du questionnement et de la délibération »
(p.11). De même, une enseignante nous a montré comment ce contrat pouvait changer pour
les élèves.
Du côté des élèves, Chloé fait part d’un changement dans ce que nous pourrions nommer la
part du contrat didactique que posséderait l’élève : « Tout d’un coup quand on les met face à
réfléchir eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais désarçonnés et tout d’un
coup, ils savent plus ce qu’on attend d’eux parce qu’on attend eux-mêmes » (L.254-256). Observons ici que certains élèves connaissent tellement bien leur métier d’élève qu’ils se retrouvent perturbés lors des dialogues philosophiques. Gagnon fait remarquer ceci dans un article
datant de 2015 : « En effet, puisqu’il n’est plus question à proprement parler, en CRP,
d’aboutir à une réponse prédéterminée qu’il s’agira d’apprendre par cœur, les élèves se retrouvent face à une situation dans laquelle ils doivent modifier la conception dominante qu’ils
ont développée quant à leur « métier » » (p.8). David fait remarquer que, souvent, les bons
élèves aiment beaucoup moins ces moments philosophiques, mais que par contre il observe
combien des élèves, moins doués en classe, peuvent s’avérer très bons en philosophie.
Ainsi, si un des biais est celui d’orienter la pensée des élèves, tous les enseignants questionnés
m’ont fait part de cet aspect en attirant mon attention sur le fait de devoir rester neutre et ne
pas juger les élèves, même avec le moindre levé de sourcil ou autre geste physique minime !
144
5.3 Retour sur la situation problématisante, la sagesse des six !
Dans ce chapitre, et afin de boucler la boucle, je reviens sur ma situation problématisante présentée aux enseignantes lors des entretiens. En effet, suite à ce travail, et grâce aux six sages
ayant eu la gentillesse de partager avec moi leurs pratiques de classe réelles, j’ai pu comprendre mes erreurs. Je vais alors reprendre, dans l’ordre, ma situation et développer au fur et à
mesure les points m’ayant empêché de me sentir à l’aise dans mon rôle. Vous trouverez en
annexe43 ma situation problématisante commentée par mes soins en fonction des éléments mis
en avant par les six enseignants ayant été interrogés dans ce travail.
Premièrement, David fait remarquer que dans le titre de ma situation, je semble à première
vue pas contente de mon travail effectué avec les élèves. Il est vrai que je n’étais pas fière. De
manière humoristique, il relève que je possède un problème de satisfaction face à moi-même
et me demande, si, finalement, les élèves sont là pour travailler ou pour me faire plaisir. Ainsi,
selon lui, mon titre porterait un jugement sur ma pratique, qui, n’aurait pas sa place ici.
Trois enseignantes, Aline, Chloé et Eléonore relèvent la difficulté du moment dans la semaine
où j’ai proposé cette activité. En effet, le vendredi en dernière période de l’après-midi n’est
pas un moment approprié. La pratique de la philosophie demande aux élèves d’entrer dans un
processus réflexif et de pensée, demandant aux élèves une certaine concentration, souvent
perdue à ce moment de la semaine.
David relève plus loin, à nouveau, un jugement que je m’adresse lorsque j’écris : « […] j’ai
beaucoup de peine, sur le moment, à trouver les bonnes questions […] ». Cet élément est à
nouveau lié à la satisfaction de l’enseignant qui n’a pas lieu d’être. C’est, selon lui, un jugement, car il n’y a pas de bonnes ou mauvaises questions. L’enseignant n’est pas en mesure de
juger la pertinence d’une question d’un élève. De plus, l’élève pourrait poser une question
d’apparence simple mais qui relève, dans sa tête, d’autres questionnements peut-être non exprimés par celui-ci.
La présence de la coordinatrice est relevée par deux enseignantes. Chloé affirme que la coordinatrice fait finalement peu de remarques sur ce que disent les enfants et Fabienne affirme
que la présence extérieure d’une personne « inconnue » dans une communauté de recherche
43
Voir annexe, « situation problématisante commentée et analysée en fin de recherche » p.263-265
145
ne permet pas aux élèves de pouvoir s’exprimer librement, car ils se sentent observés et
n’interviendraient pas comme ils le souhaiteraient. Notons ici que cette remarque s’applique
également à moi, car étant en train de me faire évaluer à ce moment-là par la coordinatrice,
j’ai tenté de faire toujours mieux et me suis peut-être comportée de manière différente que
d’habitude.
Deux enseignants, et aujourd’hui moi-même, sursautons à l’idée maladroite que j’ai eue, étant
d’avoir tenté d’orienter la pensée des élèves. En effet je dis : « Afin de progresser dans le
thème et faire un lien pour en arriver à la question de la paix […] ». Ici, je tente clairement
d’emmener les élèves là où j’ai prévu et ne permet pas un déroulement naturel du dialogue.
Cette orientation est une fermeture au dialogue et le fait d’avoir un cheminement prévu ne relève pas d’une démarche d’animation de dialogue philosophique.
Le support utilisé en a frappé plus d’un. La vidéo de l’homme de Tiananmen est un support
jugé comme trop difficile par Fabienne. De plus, elle ajoute que cet événement se situe trop
loin d’eux dans la passé pour qu’ils puissent d’emblée le comprendre. Au contraire, Chloé
affirme que c’est une bonne source mais que la présentation du contexte de cette vidéo est nécessaire pour que les élèves puissent la comprendre. Aline affirme aussi qu’il manque le
contexte, que c’est un événement complexe également éloigné des élèves et que c’est un sujet
lourd, éloigné de leur réalité. Ce sujet est trop lourd émotionnellement, historiquement et au
niveau de leurs connaissances. Parallèlement, Brigitte affirme, elle, que la présentation du
contexte dans cette situation n’est pas si nécessaire que cela.
Par la suite, j’explique dans ma situation que je souhaitais que les élèves réfléchissent individuellement et par écrit sur la vidéo. Aline affirme que je suis ici dans une position
d’enseignante et que ce n’est pas mon rôle en philosophie. Chloé explique également qu’il y a
ici un biais de l’enseignement et que c’est une sorte de déformation professionnelle. En effet,
suite à mon travail de recherche je me rends compte que, non seulement la philosophie est une
pratique commune en classe, mais aussi qu’il est également très difficile de pouvoir parfois
mettre ses idées par écrit et que cette manière de faire ne peut que bloquer les élèves dans la
construction de leur pensée.
Plus loin, j’affirme que les élèves sont bloqués et que je ne comprends pas pourquoi. En effet,
sur ce mot « blocage », Aline réagit en disant que cette situation demande qu’un contexte plus
précis soit présenté aux élèves. Elle explique également qu’il faut proposer des situations qui
sont proches des élèves, qui font partie de leur monde. David, avec humour attire mon atten146
tion sur ce point : il dit que c’est compliqué d’expliquer parfois ce qu’on a compris et que si je
voulais vraiment poser cette question aux élèves, j’aurais dû leur demander plutôt ce qu’ils
n’avaient pas compris.
Chloé remarque que lorsque j’ai tenté de faire deviner aux élèves ce que j’attendais d’eux, je
me situais ici aussi, dans une sorte d’orientation de la discussion, qui, comme nous l’avons
compris, ne se marie pas avec la pratique du dialogue philosophique.
Lorsque plus tard j’explique que les élèves notent des idées, Brigitte m’explique que cette tâche est trop scolaire et David affirme que le but de la pratique est la pratique du dialogue et
non celui de l’écriture.
Plus loin, Chloé affirme qu’attribuer des rôles aux élèves est une bonne idée, que les élèves
aiment bien. Cependant, Fabienne explique que le rôle de secrétaire demande une sorte de
formation aux élèves, afin qu’ils ne tentent pas de tout noter et se détacher de la discussion
par la quantité d’information à prendre en note. J’avais mis en place également le rôle de gardien du temps, qui a fait réagir quatre enseignants. Aline explique que c’est une mauvaise
idée, car l’élève restera croché à sa montre et risque de moins s’impliquer dans le débat. Brigitte me dit qu’elle n’utilise pas ce rôle, mais qu’ils utilisent le son de la cloche en classe. David me demande si l’élève est là pour garder le temps ou plutôt pour réfléchir… et Fabienne
affirme que c’est le rôle de l’enseignant de surveiller la montre.
Lorsque je demande aux élèves d’écrire en fin de séances quelques points de la discussion
qu’ils ont retenu, Chloé me dit que c’est une bonne idée, que c’est une façon de faire un bilanretour mais Fabienne rajoute qu’il serait plus intéressant qu’ils puissent le faire à plusieurs.
Nous en venons à l’avis de la coordinatrice sur ma séance. Je dis : « Elle cite quelques unes de
mes interventions […] la coordinatrice affirme que je prends position […] ». Brigitte affirme
que la prise de position dans mes interventions est inévitable. Elle affirme que dans les interactions verbales, même si la personne ne donne pas son avis, elle agit de toute façon avec des
signes physiques montrant son positionnement sur une idée qui lui plait ou non. Elle me demande même de faire l’exercice, de ne pas du tout bouger lorsqu’elle me parle. En effet, il est
presque impossible d’être de glace dans une interaction verbale. Chloé affirme que les interventions sont pourtant importantes pour valoriser la parole de l’interlocuteur mais je partage
l’idée d’Aline, qui est, que je prends maladroitement position lorsque je dis « On l’écoute, ce
qu’il dit est intéressant ».
147
Je regrette en fin de situation problématisante, le fait de n’obtenir qu’une juxtaposition d’idées
de la part des élèves, Brigitte dit que le but est tout de même que les élèves participent au dialogue et que dans son cas, elle félicitera toujours les élèves qui auront pris la parole.
En revenant du coup sur mes objectifs et en m’apercevant que j’en suis loin, David n’hésite
pas à me conseiller de les laisser de côté afin de pouvoir entrer dans le processus en ayant en
tête que celui de faire penser les élèves.
Pour conclure, je reviendrais sur la fin de ma situation problématisante dans laquelle je me
posais des questions sur la manière de gérer le groupe de discussion, de gérer mon rôle et
j’affirmais ressentir le besoin d’observer ces pratiques chez des collègues. Je souhaite aujourd’hui remercier tous les enseignants et collègues qui ont pris le temps de me recevoir, me
conseiller, me rassurer, me guider, me faire réfléchir sur ma pratique, me fournir du matériel
riche et me donner le courage de surmonter mon début difficile et me motiver d’autant plus à
continuer de faire penser les élèves en possédant maintenant de meilleurs outils
d’accompagnement.
5.4 To do & not to do
Dans cette partie et suite à l’analyse et au retour sur ma propre pratique, je propose au lecteur
un résumé en quelques points des choses à faire et à ne pas faire dans l’animation du dialogue
philosophique en classe. Sûrement pas exhaustives, ces listes permettent de regrouper les
éléments mis en évidence par les enseignants interviewés sur le terrain.
A vous qui souhaitez commencer…
12 conseils
A moi qui souhaite me corriger…
10 erreurs à éviter
1. Pratiquez régulièrement la philosophie
1. Choisir un moment plus adapté dans la semaine
2. Partez du questionnement des élèves
2. Ne pas émettre de jugement sur sa pratique ou
sur la pertinence d’une question
3. Soyez garant du respect des règles et de
l’honnêteté philosophique
3. Se détacher de sa planification et ne pas orienter
le dialogue
4. Guidez-les par des questions de reformulation
5. Intervenez par questionnement
4. Choisir un support adapté, des situations
proches des élèves
6. Adoptez un point de vue neutre
5. Contextualiser, si besoin, une situation
7. Ecoutez vos élèves
6. Sortir de la tâche scolaire et du « papiercrayon »
148
8. Préparez un plan de discussion malléable
7. Prendre le temps de choisir et d’expliquer les
rôles pertinents qui seront distribués aux élèves
9. Respectez le silence des élèves qui ne souhaitent pas s’exprimer
8. Ne pas passer systématiquement par l’écrit
10. Analysez votre pratique avec d’autres praticiens
9. Ne pas prendre position dans mes interventions
11. Restez humble
10. Ne pas me donner trop d’objectifs à la fois
12. Armez-vous de patience et faites confiance au
processus
VI. Conclusion : un enseignant perpétuellement en quête dans la
construction de la pensée de l’élève
Le but de mon mémoire était d’étudier les singularités et spécificités du rôle que possède
l’enseignant dans la pratique de la philosophie pour enfants, en mettant en parallèle théorie et
pratiques effectives de classe. Pour mieux comprendre ce qui est réellement fait sur le terrain,
je me suis penchée sur les propos des enseignants afin qu’ils puissent me préciser leurs actions.
Dans ce chapitre, j’ai tenté de regrouper les apports de chacun des informateurs dans le but
d’obtenir une vision plus globale des résultats et de pouvoir répondre à mes questions de recherche par la mise en avant de thèmes comprenant régularités et variations.
Ma question de recherche au début de ce travail était la suivante:
Au-delà des théories, comment les enseignants pratiquent-ils le dialogue philosophique
en classe ? Que font-ils et que disent-ils en faire?








Quel rôle prend-il dans l'animation des dialogues philosophiques?
Ce rôle est-il différent des autres disciplines?
Comment se place l'enseignant lors de ces moments de discussion? Comment pense-t-il?
Qu’attend-il de ses élèves comme production ? Qu'attend-il que ses élèves apprennent?
Quelle est l'intervention de l'enseignant dans ces moments de discussion? Intervient-il un peu?
beaucoup? passionnément?
Est-ce que les enseignants attendent que les élèves construisent des savoirs? Quels sont ces savoirs? Formalise-t-il lui-même ou laisse-t-il cette tâche aux élèves? Institutionnalise-t-il? Par
quels moyens?
Quels sont les critères que les enseignants se donnent pour pouvoir affirmer que leurs élèves
font bien de la philosophie en classe?
Quelles compétences doit-il avoir pour savoir animer une discussion à visée philosophique ?
Que font les enseignants dans ma situation? Pourquoi font-ils ce qu'ils font? Quelles sont leurs
bonnes raisons de faire ce qu'ils font?
149
Dans les chapitres précédents, j’ai procédé par une analyse thématique des six entretiens de
recherches en gardant en tête les différents aspects du rôle de l’enseignant et les différences
avec son rôle plus ordinaire.
Ces différents points de vue m’ont permis de comprendre et d’observer le nouveau travail de
l’enseignant ainsi que la posture différente et particulière qu’il possède dans cette pratique, se
détachant de pratiques de classe plus ordinaires. De plus, la préoccupation majeure que je
possédais au début du travail était celle de l’animation des dialogues philosophiques et cette
recherche m’a permis de retenir des savoirs d’action pour la classe, que je dresserai ci-dessous
sous forme de « pistes ». Ces deux éléments, les caractéristiques du changement de rôle de
l’enseignant et les pistes retenues, sont reprises chacune ci-dessous.
6.1 Enseignant et pratique de la philosophie : un changement de rôle certain du métier d’élève et de l’enseignant
A travers les différents entretiens effectués, nous avons pu comprendre que la plupart des enseignants considèrent leur rôle comme étant différent lors la pratique du dialogue philosophique en classe. Nous avons pu ressortir sept thèmes dont trois portaient particulièrement sur
cette différence de statut. Dans cette activité de recherche commune, nous avons vu que
l’enseignant ne possède plus la responsabilité de transmettre un savoir aux élèves mais paradoxalement, par ses interventions si elles ont lieu, il met en doute les quelques présupposés
des élèves. L’investissement de l’enseignant dans cette pratique n’est pas négligeable. Il est
guide, reformulateur de pensée, questionneur, perturbateur et parfois même avocat du diable.
Or, nous l’avons vu, les enseignants rencontrent quelques difficultés à nommer et expliquer
leur rôle au-delà de cela. Adulte ? Animateur ? Pas enseignant ni élève, le statut reste vague et
les enseignants semblent vouloir se dissimuler dans un rôle particulier qu’ils ne nommeront
jamais de manière unanime. Si pour certains l’animateur/enseignant intervient que très rarement, pour d’autres, les interventions, de plus en plus fines au fil du temps, permettent dans
les deux cas aux élèves de pouvoir exercer leur esprit critique.
Ainsi, nous comprenons à travers les théories et les apports d’enseignants sur le terrain que le
rôle du maître est différent de celui qu’il a en dehors de cette pratique.
150
Premièrement, nous avons vu l’orientation de l’éducation actuelle envers de nouvelles pédagogies dites plus coopératives et donnant ainsi une place différente à la parole de l’élève en
classe. Le statut de la parole est également différent que dans les autres disciplines. L’élève
questionne et met en doute chaque idée afin de pouvoir rechercher ce qui fait sens pour chacun d’entre nous sur des questions dites universelles. Une certaine place est laissée à la liberté
d’expression dans cette pratique bien qu’elle reste cadrée et normée par des enseignants se
considérant comme garants d’une honnêteté philosophique par exemple. La parole est donc
laissée aux élèves, loin du rôle que possède l’enseignant dans une branche didactique dans
laquelle, par un cours magistral par exemple, il apporte des connaissances à ses élèves.
Deuxièmement, dans le contrat même, nous retrouvons des difficultés qu’aussi bien les élèves
que les enseignants peuvent rencontrer. Le contrat didactique, bien qu’il ne soit pas explicitement écrit possède, de base, comme nous l’avons vu, une certaine opacité pour les deux côtés
(élève et enseignant). La théorie le dit, l’enseignant n’est plus le maître et passe d’une pédagogie de la réponse à celle de la question et nous retrouvons cet élément lorsque dans les entretiens les enseignants nous affirment que les élèves se sentent parfois déroutés par cette pratique, ne sachant plus ce que leur enseignant attend d’eux. Si le contrat didactique est de base
opaque, relevons que la pratique de la philosophie le rend différent pour chaque acteur et
semble troubler les deux partis, de part le rôle différent de l’enseignant dans cette pratique.
Troisièmement, la philosophie ne permettant pas de justifier un savoir et de le prouver, nous
avons vu la difficulté que possèdent les enseignants à institutionnaliser et finalement à rendre
véridique tout apport de cette pratique. Comment alors nommer l’enseignant, cet adulte ne
pouvant apporter de réponses ? A travers les entretiens, nous avons pu comprendre que si
l’enseignant ne pouvait apporter de réponses ou de vérités, il pouvait cependant enseigner, ou
du moins pointer à un moment donné une démarche de recherche, un processus de pensée que
les élèves mettent en place au fur et à mesure. L’institutionnalisation se résume donc pour la
plupart des enseignants à faire un retour en fin de séance sur la manière dont les élèves ont pu
construire leur raisonnement. Ainsi, nous observons que la touche de formalisation dans cette
pratique est assez subtile.
Il est donc important de prendre conscience que le statut du maître est différent dans cette pratique et qu’il peut poser quelques difficultés du côté de l’enseignant et des élèves dans la perception de ce qui est à faire ou de ce qui est attendu. Bien que chaque enseignant/animateur
gère cette pratique de manière personnelle, selon les objectifs qu’il inscrit derrière, les valeurs
151
qu’il souhaite faire passer ou encore sa personnalité, nous retrouvons à travers les entretiens
que les différences dans le rôle exprimées ici sont communes et partagées par les enseignants
interviewés.
6.2 Limites de la recherche
Ce mémoire a été entrepris avec une méthodologie de type compréhensive. L’analyse peut
fournir des pistes de compréhension, mais l’échantillon des enseignants, au nombre restreint
de six personnes, ne permet pas de représenter la majorité des enseignants pratiquant le dialogue philosophique en classe. Il est possible de mettre en avant quelques tendances observées
dans les réponses aux questions mais je ne peux me permettre en aucun cas de généraliser les
réponses des enseignants comme savoir véritable.
6.3 Perspectives
Au cours de cette recherche, je me suis rendue compte qu’il pourrait être intéressant
d’effectuer des prolongements sur la question à plusieurs niveaux :
Il serait intéressant de questionner les enseignants de manière plus étendue, avec un nombre
plus grand de participants pouvant faire apparaître d’autres tendances ou d’autres variations
dans les réponses et permettant ainsi de préciser encore plus les singularités et spécificités du
rôle de l’enseignant.
L’observation de pratiques de classe réelles sur une longue période permettrait d’affiner et de
comparer dans quelle mesure mes résultats se confirment ou non. De plus, elle permettrait de
dégager des pratiques dont les enseignants n’auraient pas forcément conscience. Ainsi, suivre
un élève sur une année entière de scolarité permettrait de voir la manière dont il peut construire sa pensée en fonction des outils que l’enseignant lui met à disposition.
Questionner les enseignants sur leur rôle dans les disciplines didactiques et dans cette pratique
pourrait permettre de mettre en avant d’autres éléments de distinction ou de rapprochement
entre ces deux type d’enseignement/animation.
152
6.4 Cheminement personnel
Dans un premier temps, je mettrai en avant la chance que j’ai eue cette année de pouvoir me
plonger entièrement dans le rôle de chercheuse, posture qui attirait ma curiosité au cours de
ma formation initiale, lorsque j’ai eu l’occasion d’effectuer de petites recherches dans certains
cours. J’ai pu me plonger cette fois-ci dans une véritable recherche de théories, me faisant
prendre conscience de l’ampleur de la tâche et du nombre toujours grandissant d’études pouvant toucher à un sujet que l’on pense parfois peu exploré. J’ai pu intégrer ce rôle de chercheuse et de questionneuse auprès d’enseignants lors des entretiens, ce qui m’a permis de côtoyer de vrais professionnels m’aidant ainsi à construire des connaissances sur le sujet. Ce
travail m’a permis de répondre à de nombreuses questions que je possédais en début de pratique avec mes élèves et il m’a apporté des pistes pertinentes sur la manière dont je peux me
corriger dans ce rôle particulier. J’ai observé bien évidemment une évolution dans ma manière
de penser la philosophie pour enfants. Au début, je l’imaginais comme une discussion permettant aux élèves de dire de belles paroles et des idées touchantes. De plus, impatiente,
j’attendais trop de la part de mes élèves et il était peut-être trop tôt pour leur présenter parfois
les supports que j’ai utilisés. Aujourd’hui, je considère cette pratique comme une réelle construction de l’esprit critique avec ses composantes de logique, se rattachant à plus de choses
que je ne l’imaginais. J’observe beaucoup plus facilement les liens que présente la philosophie avec les autres compétences que demande l’école et je considère que cette pratique permet une réelle construction d’une démarche réflexive, transposable à beaucoup d’autres domaines dans la vie de l’école et de tous les jours.
Cette recherche n’a pas été sans embûches. Il m’a été difficile cette année de jongler entre cette recherche et mon entrée dans le métier, représentant également le grand saut dans la profession. Beaucoup d’éléments sont à assimiler dans l’entrée dans la profession mais la pratique
de la philosophie me laissait cependant un goût d’inachevé que je devais approfondir. Il a parfois été difficile de gérer les envies de projets que je souhaitais mettre en place dans ma classe
et cette envie, en parallèle, de creuser un sujet me portant à cœur. Je pense avoir réussi cette
année à travailler sur ces deux casquettes que je possédais, celle de chercheuse et celle
d’enseignante.
Je pense posséder aujourd’hui, grâce à cette recherche, les clés pour continuer dans
l’animation du dialogue philosophique en classe, une pratique qui pourra sans cesse
s’améliorer grâce aux échanges que j’ai pu avoir cette année avec des enseignants chevronnés.
Cette recherche m’a également permis de tisser de nombreux liens avec des enseignants et des
153
personnes extérieures, des associations ou encore des écoles me permettant ainsi d’échanger
autour du métier d’enseignant, et pour la suite de ma carrière, sur cette pratique encore peu
présente en classe.
154
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158
VIII. Annexes
159
3.1 Quelle formation
l’enseignant-e a-t-il/elle reçue ?
2.1 Quel est la place de
l’enseignant-e dans cette
pratique ? Quelles intentions ?
Grille d’entretien
3.2 Préparation à priori, que fait
l’enseignant-e
?
--ee
1.1 Qu’est-ce que la philosophie/philosopher pour
l’enseignant-e ?
1.2 Pourquoi l’enseignant-e
pratique-il/elle la
philosophie avec ses élèves ?
3.3 Quelle est sa place lors du
débat ? (physiquement) Que
fait-il/elle concrètement ?
1.3 Quels sont les objectifs
scolaires ?
3.4 Quelles sont ses interventions ? De quel type ? Dans quel
but ?
1.4 Quels sont les apports de
cette pratique pour
l’enseignant-e et les élèves ?
3.5 L’enseignant-e formalise-til/elle ? Institutionnalise-til/elle ?
5.1 L’enseignant se rappelle-til de la première fois qu’il a fait
de la philosophie en classe ?
Comment était-ce ? Quelles
sont différences ou similitudes
avec l’expérience ?
3.6 Que doit faire l’enseignant
pour permettre aux élèves
d’atteindre les objectifs ?
5.2 Y a-t-il eu une évolution
sur la perception de la
philosophie de l’enseignant ?
4.1 Y a-t-il selon l’enseignant-e
des acquis visibles chez les
élèves ?
5.3 Y a-t-il eu une évolution
de la part de l’enseignant sur
sa manière de travailler la
philosophie en classe ?
4.2 Quels sont les indices
permettant à l’enseignant-e
d’avancer, réguler ou vous
rendre compte des progrès de
ses élèves ?
4.3 Comment observer si les
objectifs sont atteints ?
4.4 Comment régule
l’enseignant-e avec les élèves
qui ne prennent pas la parole ?
2.2 Quel est le statut de l’enseignant-e
dans ces moments ? Quelle est sa
place professionnelle ?
160
5.4 Quels conseils donnerait
l’enseignant à un enseignant
débutant souhaitant
expérimenter la philosophie
en classe au niveau de son
rôle, sa place ?
5.5 Qu’est-ce qu’un enseignant qui pratique bien la
philosophie ?
Situation problématisante
Philosophie ou discussion de café ?
Depuis le début de l’année, tous les vendredis en dernière heure de l'après-midi, je fais de la
philosophie en classe, enfin, je me demande si j'en fais vraiment. J'ai décidé de faire mon
mémoire sur ce sujet et beaucoup de concepts se percutent dans ma tête : les habiletés de
pensée que propose Sasseville dans son livre, les questions de relance, les éléments à
observer, faire argumenter les élèves, contre-exemplifier, etc. Malgré une grille de relance très
complète trouvée dans ce même livre j’ai beaucoup de peine, sur le moment, à trouver les
bonnes questions afin d'approfondir les pensées qu’ont les élèves. Je laisse petit à petit tomber
cette grille pour agir le plus naturellement possible lors des discussions.
Vendredi 23 novembre, en dernière période de l’après-midi, je propose aux élèves le moment
philosophie du vendredi. La coordinatrice pédagogique est présente pour m’observer et
m’évaluer. Sa présence ne me perturbe pas beaucoup et je me sens agir comme d'habitude
face aux élèves. Avec ceux-ci, nous avons beaucoup travaillé sur les questions de violence et
de guerre en philosophie. Afin de progresser dans le thème et faire un lien pour en arriver à la
question de la paix, j’ai décidé de leur montrer la vidéo de l’homme de Tiananmen . Les
1
élèves ont visionné le film mais ne comprenaient pas bien de ce qu’il s’agissait malgré une
deuxième vision de l'extrait et une courte introduction du contexte. Après visionnage du film,
je voulais que les élèves réfléchissent individuellement à ce qu’ils avaient vu en répondant à
deux questions : « Ce que je comprends, comment je décris la scène, mes réactions » et « les
questions que je me pose ». Les élèves sont bloqués et je me demande pourquoi. Je décide
alors de dégager le thème principal avec eux. Ils m’en sortent plusieurs, pas faux mais ne me
satisfaisant pas. Je leur ai finalement fait deviner ce que j’attendais d’eux et je crois que ce
n'était pas la meilleure manière de pouvoir les engager dans une discussion.
Ensuite, pendant quelques minutes, ils ont noté des idées puis ils se sont réunis en cercle pour
discuter. Comme d’habitude j’attribue les rôles de distributeur de parole, secrétaire et gardien
du temps. Lors de la discussion il m’est arrivé d’ôter le rôle de distributeur de parole afin que
je le gère moi-même pour permettre de prendre les élèves dans l’ordre et donc de ne pas avoir
des changements d’idées trop rapide. L’élève secrétaire me dit qu’il n’arrive pas tout à noter
je lui dis alors de noter quelques idées principales. En fin de discussion, je renvoie les élèves à
un travail individuel en leur demandant d’écrire sur deux points concernant la discussion qui
161
vient d'avoir eu lieu « ce que le groupe a dit lors de la discussion » et « les nouvelles questions
que je me pose ».
Les élèves me rendent ensuite leur feuille. Les nouvelles questions qu’ils se posent sont pour
moi un appui pour proposer les fois suivante une thématique en lien avec celles-ci.
Après cette après-midi, la coordinatrice me fait un retour sur mon moment de discussion
philosophique et me demande tout d’abord mes impressions. Je lui explique qu’il est difficile
pour moi de gérer ces moments, car ils me paraissent plus compliqués que ce qu’ils en ont
l’air. Je lui explique que le plus grand défi de l'enseignant, ici, est de se retirer de la
discussion, chose que je n’arrive pas à faire au vue de mes nombreuses interventions. Elle cite
quelques unes de mes interventions lors de la discussion: "oui, très bien", "ok", "On l'écoute,
ce qu'il dit est intéressant". Ici la coordinatrice affirme que je prends position dans la
discussion et attire mon attention sur le fait qu'il manque également un contexte plus précis
pour que les élèves situent5 mieux l'événement, car finalement les élèves posaient beaucoup
de questions en relation avec le contexte. Elle affirme que ces questions sont cependant
légitimes, sinon les élèves n'arrivent pas à généraliser le problème. Selon elle, les élèves
n'exprimaient qu'une juxtaposition d'idées et je serai ici à côté de mes objectifs de
reformulation, exemplification et autre qui compose la discussion à visée philosophique. Elle
me dit que la régulation à l'intérieur de la discussion est très importante afin de prendre
conscience des déplacements, relances que j'ai permis, ou non, aux élèves. Il faudrait selon
elle décentrer les élèves le plus possible et trouver des questions qui ne sont pas jugeante de la
situation.
Suite à cette situation, je me pose plusieurs questions sur la manière de gérer un groupe de
discussion. Comment prendre en compte l'entièreté du groupe ? Comment être sûre que les
élèves apprennent quelque chose ? Comment les amener à dépasser le monde qui leur est
proche pour se poser des questions plus existentielles ? Je ressens le besoin d'observer ces
pratiques chez des collègues afin de mieux pouvoir situer le rôle des enseignants lors de ces
moments.
162
« Tank Man », quatre angles de vue pour l'icône de Tiananmen
Le Monde.fr | 04.06.2014 à 09h47 • Mis à jour le 04.06.2014 à 13h04 | Par François Bougon
et Gabriel Coutagne
C'est l’image la plus connue de la répression du mouvement démocratique de Tiananmen à
Pékin. Elle date pourtant du 5 juin 1989, soit après l'intervention de l'armée contre les
étudiants dans la nuit du 3 au 4 sur la célèbre place de Pékin. Elle est devenue un symbole : un
homme, sac plastique à la main, fait face à un char, non loin de la place, sur l’immense
avenue de la Paix-éternelle (Chang'an), qui traverse la capitale chinoise d'est en ouest. Le
surnom donné au rebelle, « Tank Man », est resté dans l'histoire, pas son vrai nom, car
personne n’a jamais su ce qu’il était devenu.
163
Philosophie
« Tank man », court extrait vidéo
Ce que je comprends, comment je décris la
scène, mes réactions.
Les questions que je me pose
Ce que le groupe en dit
Les nouvelles questions que je me pose
164
Entretien d’Aline
1
Que pensez-vous de cette situation?
2
Ce qu'il se passe c'est que, c'est normal, vous êtes gourmande au début. Déjà, juste ça [l'ensei-
3
gnante montre l'image qui accompagne la situation, celle représentant la scène de l'homme de
4
Tiananmen]. Je pense que, comment expliquer cela? C'est trop gros. Déjà, ils n'ont pas la
5
connaissance de tout ce qu'il se passe là autour et donc comme ils n'ont pas la connaissance du
6
contexte, ils vont se poser beaucoup de questions. C'est très intéressant mais c'est trop gros.
7
Trop gros dans quel sens?
8
Au niveau émotionnel, au niveau historique, au niveau de leurs connaissances. Ils ne peuvent
9
pas se baser, pour moi, sur un point précis et se mettre tous d'accord sur un point précis car là
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c'est tellement vaste... Moi, je travaillerais plutôt une photo comme ça au niveau des médias,
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c'est autre chose. Pas que c'est inintéressant mais pour la philo moi je ne prendrais jamais ça.
12
Parce qu’il me semble qu’avec mon expérience, ça fait un moment quand même que je fais
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avec tous les âges, il faut être près de leur vie, parler de choses qu'ils connaissent, qui les tou-
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chent. Parce que si vous partez avec un sujet comme ça vous aurez tout ce qu'ils auront enten-
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du de leurs parents, mais là ils n'auront rien entendu du tout car ce n’est pas leur période, pas
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leur monde. Nous on sait ce que c'est. Parce que quand vous m'avez dit ça, je me suis deman-
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dé si c'était vraiment ça [situation présentée aux élèves], puis après je me suis dit non ce n’est
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pas possible, ce n’est pas ça. C'est pour ça que je vous ai redemandé. Je vais vous montrer les
19
choses que je fais, mais il vaut mieux prendre quelque chose de simple qui a l'air tout petit sur
20
lequel ils peuvent se poser, dans lequel ils sont dans un jardin connu, un jardin dans lequel ils
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peuvent parler, avoir des émotions, parce que là, la seule émotion qu'ils peuvent avoir c'est
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l'image. "Et puis il va être écrabouillé". Du coup, moi-même je n’aurais pas réussi à gérer ce-
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ci, je le dis franchement. Parce que les enfants vont se poser beaucoup, beaucoup, beaucoup
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trop de questions annexes pour vraiment... ou alors faudrait faire ça sur dix fois.
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Voilà, je n’arrivais pas à les centrer sur un thème. Ils restaient vraiment axés sur la photo,
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l'acte…
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Mais c'est normal car nous on a la connaissance de ça mais eux pas. C'est déjà quelque chose
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qui est trop loin d'eux. C'est pas du tout inintéressant mais pas dans ce contexte là. Ou à la li-
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mite avec des adultes qui savent de quoi on parle.
165
30
Donc le problème vient plus de la source que de l'animation?
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Exactement. Déjà, dernière période de l'après-midi le vendredi ce n’est peut-être pas le bon
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moment. Et là déjà, dès le moment où vous vous mettez dans la position "ils devaient répon-
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dre à deux questions" [l’enseignante pointe sur la situation éducative complexe la phrase sui-
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vante: "Après visionnage du film, je voulais que les élèves réfléchissent individuellement à ce
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qu'il avaient vu en répondant à deux questions »], là c'est, on est clairement dans la position
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de l’enseignant, "voilà, je vous montre une histoire que comprenez-vous? Qu'est-ce que vous
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en attendez?" Comment je décris la scène, mes réactions. Ce n’est pas du tout ce qu'on ferait
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en dialogue philo. Et après [pointe à nouveau la situation complexe] "et les questions que je
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me pose" mais si on a déjà pointé tout ça avant, à cause déjà de ça (montre à nouveau le pas-
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sage de la situation), vous n’êtes pas arrivée au dialogue philo. C'est n'importe qui, qui n'y
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arriverait pas.
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Je me suis demandée si je ne posais pas les bonnes questions ou s’il y avait autre chose.
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Non. Mais de toute façon ce n’est pas à vous de poser les questions.
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Mais plutôt pour réorienter, relancer?
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Mais je veux dire, les questions peuvent être toutes simples ça peut être "pourquoi?" "Pour-
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quoi tu penses ça?", là il y a toutes les questions dans le bouquin de Sasseville. Moi, quand je
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fais une présentation philo, j'ai des petits placards que je mets au tableau quand je fais avec les
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adultes pour les former. Et là on se rend compte quand on voit toutes les questions qu'on peut
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poser et tout ce que ça cible au niveau des habiletés de pensée, vous vous rendez parfaitement
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compte que vous ne pouvez pas toutes les prendre. Il faut s'axer sur une ou deux choses c'est
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tout. "Peux-tu me donner un ou deux exemples"?
52
... ou une définition?
53
Oui, mais ce qui est bien c'est de faire sortir les critères. On va regarder après sur une retrans-
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cription (l'enseignante retranscrit certains dialogues philosophique de sa classe). Mais ça,
55
immanquablement, c'était yahou d'avance. "Les élèves sont bloqués je me demande pourquoi"
56
euh...
57
Vous n'auriez pas du tout travaillé là-dessus?
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58
Non, ah non, non. Bah, déjà c'est trop court. Je vais vous montrer des exemples et vous allez
59
voir la différence. [L'enseignante montre des exemples voir annexes fiches oranges]. Ça peut
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donner une idée pour eux par la suite, mais il ne faut jamais tout mettre en même temps. [Un
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temps de l'entretien n'est ici pas retranscrit, l'enseignante montre des exemples de ce qu'elle
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utilise en classe.] Ça [exemples qu'elle montre] arrive, c'est quelque chose qui se passe dans la
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classe. Les élèves recherchent les critères.
64
Donc là il n'y a eu aucune intervention enseignante ? (montre la retranscription).
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Non, ici très peu. Des fois il n'y a pas besoin, dès que ça les touche, il y a plus besoin. Ça ils
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ont pu tout de suite en parler. Aussi, cela fait un moment qu'ils en font avec moi et j'ai de
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moins en moins besoin d'intervenir.
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[L'enseignante montre d'autres transcriptions et regarde plus précisément ses interventions]
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Je dis "où", "pourquoi?", "Sur quels critères te bases-tu pour dire ceci?". C'est pour vous mon-
70
trer qu'il n'y a pas besoin d'avoir des choses très compliquées et c'est là que vous êtes tombée
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sur un os.
72
Si on revient d'une manière générale, la philosophie c'est quoi pour vous?
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C'est vraiment penser, penser ensemble, construction de la pensée, c'est vraiment une com-
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munauté de recherche la pensée.
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Et pourquoi vous le faites avec les élèves? Qu'est-ce qui vous tient à cœur ?
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Je trouve que déjà au niveau du groupe classe, ça amène une cohésion vraiment de classe et
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ils savent que, pendant ce petit moment-là, il y a vraiment du respect, mais pas du respect
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comme on en parle tout le temps, il faut respecter ses camarades, pour finir ça devient bateau.
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Non, le respect dans le sens où il y en a certains qui disent des choses qu'ils ne diraient pas
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autrement et ça reste dans notre bulle. Alors, je leur dis toujours qu’ils peuvent très bien en
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parler à leurs parents, car il n’y a pas de raison. Mais ils savent qu'il n'y a jamais quelqu'un qui
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va se moquer d'eux parce qu'ils ont dit quelque chose à ce moment-là. Et c'est un moment par-
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ticulier. Et c'est aussi un moment où on leur donne la parole parce que si on regarde en classe,
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il y a très peu de moments où on leur donne la parole. Et je trouve ça important.
85
Et pensez-vous qu'il y a en a qui n'ont pas la possibilité à la maison de parler comme ça?
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Je vois que souvent ça arrive qu'on fasse un dialogue philo et certains viennent me dire qu'ils
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ont un peu continué à la maison, car quand on fait un dialogue philo on est vraiment en re167
88
cherche et c'est pas dit qu'on trouve des réponses, et la plupart du temps ils repartent avec
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plein de questions, mais ils ont construit leur pensée avec celle des autres et ce qu'ils me di-
90
sent très souvent, c'est que souvent ça leur fait du bien de se rendre compte que leur pensée
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n'est pas toujours si différente de celle des autres. C'est une cohésion de pensée et ils peuvent
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aussi revenir sur ce qu'ils pensaient. Des fois ils me disent "ah moi je pensais comme ça, que
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c'était comme ça et voilà" et en fait, d'entendre les autres, ils construisent leur pensée autre-
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ment. Et je trouve qu'au niveau de l'esprit critique c'est très important, parce qu’on ne prend
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pas les choses comme ça et c'est comme ça. Non, on y pense, on recherche des critères et
96
pourquoi on pense comme ça. On donne des raisons, on fait des hypothèses, on donne des
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exemples et il y a tout de suite des contre-exemples qui font que ça remet en question et je
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trouve ça important.
99
Et concrètement, quels sont vos objectifs pédagogiques avec le PER? Est-ce plutôt éducation
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à la citoyenneté, français?
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Il y a tout.
102
Y-a-t-il pas une chose plus précise?
103
C'est les capacités transversales, c'est très, très net. Mais moi au début, avant que ça paraisse
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dans le PER, je mettais toujours dans ma planification sous français 1. Parce que de toutes les
105
manières, prendre la parole c'est au niveau oral, argumenter, alors par exemple quand je fai-
106
sais le texte argumentatif, j'ai tout d'un coup des élèves qui ont levé la main et qui ont dit que
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c'est pas du tout pareil que quand on fait le dialogue philo, parce que quand on fait argumenta-
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tif on cherche à convaincre, alors que quand on fait un dialogue philo, on cherche pas à
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convaincre, on pense ensemble et on construit ensemble une pensée qui va peut-être pas être
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commune, mais qui sera propre à chacun et qui va s'adapter dans la confiance. Mais la pensée
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critique des élèves, je pense que ça, c'est important.
112
…pour leur futur?
113
Et pour tout de suite. Puis la cohésion de classe moi j'ai souvent vu.
114
Quels sont les apports de cette pratique pour vous, mais pour les élèves aussi?
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Disons que je fais partie de la classe, ce qu'il se passe en dialogue philo ça leur montre que je
116
suis comme eux. Dans le sens où, je lève la main quand je veux poser une question, on est en-
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117
semble je suis comme eux, je ne suis pas l'enseignante qui dit que c'est comme ça ou qu'il faut
118
faire d'une manière et pas autrement, ainsi de suite.
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Et comment vous vous placez dans ces moments-là? Dans le sens où vous n'avez pas une pla-
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ce professionnelle, mais pas une place d'élève…
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Alors justement je n’ai pas une place d’élève dans le sens où je suis garante quand même...
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...de la discipline c'est ça?
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Je dirais pas la discipline, car souvent elle se fait en co-construction entre eux, car quand un
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sujet est intéressant ils n’aiment pas quand il y en a qui commencent à parler entre eux. Alors
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souvent, au bout d'un moment, on n'a plus besoin de faire de discipline, mais par contre je suis
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garante. J’ai deux exemples très nets où j'ai dû intervenir, mais au moment où je suis interve-
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nue j'ai dit "alors là j'enlève ma casquette d'enseignante, je fais partie de la communauté de
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recherche, je suis une adulte".
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C'est donc clairement dit aux élèves?
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Oui. Donc "là, vous êtes des enfants et je peux vous dire..." parce qu'ils affirmaient haut et
131
fort que toutes les femmes qui voulaient ne pas avoir d'enfants pouvaient choisir d'avoir ou ne
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pas avoir d'enfants. Et une autre fois, c’était sur les élèves dyslexiques, mais ça figure dans
133
une des transcriptions et à ces moments-là je fais arrêt sur image. Ça m'est arrivé je crois 2-3
134
fois sur 4-5 ans, donc peu. Plutôt que de vouloir prendre ce rôle d'adulte comme ça, de couper
135
le dialogue, là j'ai réagi comme ça, car ce n’était pas possible de les laisser partir avec quelque
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chose de trop gros. Mais en posant des pourquoi: "ah bon et pourquoi?" ou en posant des
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contre-exemples on arrive à les faire eux réfléchir sur le côté un peu bancal du bien fondé
138
qu'ils avancent.
139
Et donc physiquement ils sont en cercle je pense?
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Non, on va dans la salle à côté, on a une très grande table où on se met tous autour.
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Donc vous êtes avec eux?
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Je suis avec eux oui.
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Ils ont des rôles spécifiques?
169
144
Oui, alors c'est eux qui choisissent, un donne la parole, un observe les hypothèses, un les
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exemples, les contre-exemples, qu'est-ce qui a fait avancer le dialogue puis après ça dépend ce
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qu'on est en train de faire aussi, certains aiment bien relever s'il y a eu des métaphores. On a
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commencé un peu les présupposés, ce n’est pas facile.
148
Et si on entre une peu dans le "didactique" de la philosophie, que faites-vous comme prépara-
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tion avant? Est-ce que c'est très préparé? Moyennement?
150
Alors moi, pour l'instant je trouve que c'est moyennement préparé, mais c'est ce que je veux
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personnellement améliorer. Je trouve difficile, j'ai demandé justement à Alexandre s'il pouvait
152
venir une fois dans la classe, car j'ai tous les exercices qu'on trouve dans Lipman etc., pour
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exercer vraiment, et moi j'ai un peu de peine à faire ces exercices, car je trouve que quand on
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fait ça, on ne voit pas très bien comment je peux ne pas reprendre ma position d'enseignante.
155
Qu'ils fassent le lien entre ces deux choses sans ne pas arriver à faire le lien, car j'ai une posi-
156
tion qui est complètement différente. Donc je vais voir avec Alexandre comment il fait ça, car
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je ne suis pas très à l'aise avec ça. Pour l'instant, je ferai des exercices dans un autre contexte
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par exemple en français 1, puis après ils feraient des liens, mais à ce moment-là je suis ensei-
159
gnante et on fait du français 1. Mais je n'arrive pas à lier les deux, on devrait normalement le
160
faire, mais moi personnellement je n'y suis pas arrivée car je ne suis pas à l'aise avec ça.
161
Et sans les exercices Lipman, si on part sur un thème ou un goûter-philo est-ce que vous es-
162
sayez d'anticiper les réactions des élèves?
163
Oui, voir quelles habiletés de pensée ils pourraient sortir, il y a toujours une préparation en
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amont. On n'arrive pas avec un thème comme ça et on verra ce qu'il sort.
165
Les étapes-clés du coup, ça serait quoi?
166
C'est simplement déjà lire le texte, visionner le film ou l'image et se poser soi-même la ques-
167
tion "bah tiens, quelles habiletés de pensée on pourrait travailler avec ce texte?". Par exemple,
168
est-ce qu'on va parler sur le bonheur ou sur la vérité? Là, j'ai sorti un petit bout de texte avec
169
des enfants qui jouent au foot et qui ne trouvent pas juste. Qu'est-ce que ça peut induire?
170
Mais, on ne peut pas rester croché non plus là-dessus, parce qu’on sait jamais où ça va nous
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emmener. Après il ne faut pas essayer de faire des relances pour que ça ramène vers où on
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veut. Je pense qu'il faut leur laisser la parole.
173
Du coup quand vous intervenez c'est que des petites questions?
170
174
C’est des relances oui, des « pourquoi »? Sans donner son avis. Car là, quand j'ai relu ce que
175
vous avez fait, vous avez beaucoup donné votre avis. "Ah c'est bien". C'est le plus difficile,
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c'est à travailler. Même quand on fait ça depuis longtemps, on peut d'un coup être pris par ça.
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Je trouve même que ça fait vraiment longtemps que je fais ça avec des adultes et des enfants
178
et à un moment donné il faut se remettre en question, pas prendre une espèce de routine. Je
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me demande si parfois je suis moins bonne qu'à une autre période et il faut nous toujours être
180
en réflexion et toujours revenir sur ce qu’on fait et pourquoi on le fait et comment on le fait,
181
parce qu'on peut changer aussi les choses.
182
Et comment vous amenez justement ces élèves à comprendre la différence entre argument,
183
contre-argument, hypothèses, présupposés? Est-ce qu'ils les classent?
184
Non, alors moi souvent ce que je fais, c'est que je les cite chaque fois qu'ils apparaissent. Par-
185
ce qu'ils font tout ça, ça vient des élèves dans le dialogue. Ils donnent des exemples, des
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contre-exemples, des hypothèses. C'est là, le rôle de le souligner: "ah ben tel et tel fait l'hypo-
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thèse que". C'est juste ça et après petit à petit qui disent "ah ben je fais l'hypothèse que". Le
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passage se fait comme ça.
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Est-ce que vous institutionnalisez quelque chose à la fin? Ou formalisez quelque chose?
190
Il y a toujours un retour des observateurs, c'est tous les papiers que j'ai là, car il y en a toujours
191
un ou deux qui prennent des notes. Il y a un retour par rapport à ça et souvent, je crois que je
192
ne dis pas grand chose au niveau du bilan retour. Ce qu'il faut faire attention c'est prendre as-
193
sez de temps pour le bilan retour, car on est souvent pris dans le dialogue qui devient de plus
194
en plus passionnant. Déjà, il faut avertir, dire qui parle encore, et après on arrête. C'est le rôle
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de l'animateur d'être gardien du temps, parce que moi j'ai l'impression que si on donne ce rôle,
196
comme vous l'avez fait, je n’ai pas la science infuse, mais l'expérience m'a montré qu'un en-
197
fant va rester sur la montre alors que l'enseignant va peut-être regarder où on en est du dialo-
198
gue, savoir combien de temps il reste en pensant au retour pour le bilan, et qu'il faut gérer tout
199
ça, mais des fois on y arrive pas. Et souvent, ce que je fais avant le dialogue philo, je le fais
200
avec ma classe, par contre pas avec celle de mes collègues, je fais un tour "ça va, ça va
201
moyennement, ça va pas, j'ai besoin de". Donc ça permet de ne rien régler sur le moment. Un
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élève dira "moi ça va pas, je me suis fait moquer à la récré parce que je ne jouais pas bien au
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foot". Ok, j'ai besoin de? " Les autres arrêtent, car c'est difficile pour moi". Mais on en reste
204
là. Par contre, moi je note tout ça et une ou deux fois après, selon ce qu'on est en train de faire
205
et je cherche un texte, ou un bout de film, ou une image, en rapport avec ça. C'est pour ça
171
206
quand vous me présentez cette image (elle montre l'image de l’homme de Tiananmen), il y a
207
trop de choses à apprendre autour avant d'avoir des émotions.
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Et comment vous voyez les acquis chez les élèves?
209
Quand ils commencent, les acquis c'est déjà le passage de la parole, l'écoute de l'autre, la ma-
210
nière dont ils oralisent certaines choses, les questions posées qui deviennent de plus en plus
211
fines, moins en moins de présupposés, et de plus en plus nettes. Et je vois chez eux aussi
212
l’acquisition de habiletés de pensée, car à force de les manier, ils les font leurs. Ça devient
213
quelque chose de normal. Ils me disent maintenant très facilement "je fais l'hypothèse que", et
214
après il y a un autre qui "oui mais moi j'ai peut être une autre idée " et ça c'est énorme ce qu'ils
215
apprennent. Car c'est pas une discussion qu'on aurait comme ça, car ils font très bien la diffé-
216
rence eux, ils sont dans une posture différente, car quand on discute on argumente, autour
217
d'une table de bistrot et on essaie de convaincre qu'on a raison et que c'est comme ça et pas
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autrement, et puis tout le monde parle un petit peu en même temps, il n'y a pas de règle par
219
rapport au passage de la parole et tout. Et moi, je vois de plus en plus que les élèves arrivent,
220
avec le temps, à donner eux la parole et pas à la donner au copain. Par contre ce que je fais,
221
c'est que quand on fait des votations pour le choix des questions, je les fais mettre en position
222
hérisson. Ils ferment les yeux car c'est leur vote. Pour que eux ils fassent comme ils y sentent,
223
et pas tiens il y a personne qui lève la main je n’ose pas lever la main. C'est important.
224
Comment faites-vous pour réguler, avancer ou faire des relances? S'il y en a dix qui regar-
225
dent ailleurs?
226
C'est assez rare qu'il y en ait dix qui regardent ailleurs. Il peut y en avoir un ou deux qui dé-
227
crochent, mais comme nous adultes, et ils ont le droit aussi et ils n’ont pas l'obligation de par-
228
ler. Et ce n’est pas toujours ceux qui parlent qui pensent le moins, et au contraire c'est ceux
229
qui pensent le plus. Temps en temps, selon les élèves, je dis « est-ce que tu aurais un exem-
230
ple ? », ou comme ça, mais il faut faire attention quand on le fait, et ils ont peut-être pas en-
231
vie, pour mille et une autres raisons, car on ne sait pas non plus ce qu'ils vivent aussi parfois,
232
et puis ça, il faut aussi prendre conscience.
233
Donc les élèves qui ne parlent pas vous ne les forcez pas?
234
Je peux lancer une question, mais pas souvent. Il ne faut pas prendre à parti. Je pense qu'en
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tant qu'animateur, on fait aussi beaucoup comme on y sent, et il faut aussi beaucoup rester là-
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dessus et surtout, si on a la chance de pratiquer la dialogue philo avec des élèves qu'on connaît
172
237
un peu, on sait là où on peut ou moins. Il faut faire attention et il faut être préparé à deux cho-
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ses vraiment importantes: une, à ce que ça ne fonctionne pas. Je me rappelle d'une fois que
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tout le monde me parlait qu'il faisait le feuilleton d'Hermès, que c'était super et tout, et je suis
240
venue avec le feuilleton d'Hermès et c'était un flop complet parce que les élèves ont dit « Non,
241
nous on aime mieux d'autres textes ». Mais c'est aussi parce que peut-être moi je les avais plus
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habitués à des textes ou des situations qui étaient peut-être plus proches d'eux, mais ça dépend
243
de la classe. Une année ça sera comme ça, une autre on pourra aller totalement ailleurs. Moi,
244
souvent je montre une photo, je ne montre pas toujours un texte. Une photo ou une question
245
au tableau, et une fois je me suis simplement mise comme ça sur mon bureau (l'enseignante
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me montre une position où elle s'avachit sur son bureau). Voilà, c'est tout, et ils ont posé des
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questions par rapport à ça.
248
C'est vrai qu’il ne faut pas grand chose finalement…
249
Oui, c'est pour ça que c'est trop gros quoi (montre la situation éducative complexe).
250
Quels sont les indices qui montrent qu'on fait vraiment de la philo? Car la coordinatrice pé-
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dagogique me dit finalement qu'ils lancent juste des idées, mais comment être sûre que c'est
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de la philo? Est-ce que c'est à partir de ce moment où ils utilisent ces arguments, contre-
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exemples, hypothèses?
254
C'est dès le moment où on pense sur la pensée de chacun, mais là aussi, je pense qu'il faut être
255
humble. On est tous philosophes et on est tous complètement amateurs. Alors, faire de la phi-
256
lo, verbe faire là... Eux, ils disent toujours, on est là pour penser ensemble. Quand je fais avec
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les petits à la maison, ils rentrent et disent "aujourd'hui on a pensé ensemble". Et ce n’est pas
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on a discuté, et vraiment, on pense ensemble.
259
Ok donc vous n'avez pas de critères?
260
Moi, je pense qu'il faut être un peu humble. Les critères, après je pense qu'on peut se les po-
261
ser, il a des questionnaires qu'on peut remplir et je pense qu'on peut être plus fins vis à vis de
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nous-mêmes. Mais au début, je pense qu'il faut être un peu humble. Il vaut mieux faire bien et
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quelque chose de petit, que de vouloir faire quelque chose de tout grand, tout parfait, et qu'en
264
fait ça soit monté de toute pièce et manipulé, en fait moi j'y crois pas pas trop à ça. Les dialo-
265
gues philo et communauté de recherche les plus merveilleuses que j'ai pu faire ça été souvent
266
sur une toute petite chose. Et souvent, j'ai fait des communautés de recherche philo, le même
267
texte avec des adultes et des enfants, j'ai eu la possibilité, ça c'est trouvé comme ça et j'ai très
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268
souvent vu que les enfants avaient des questions précises, fines et que les dialogues philo qui
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étaient vraiment magnifiques qui étonneraient plusieurs personnes, et ça amène à d'autres
270
choses aussi au niveau de la classe.
271
Est-ce que vous en tant qu'élève, vous avez fait de la philo à l'école?
272
Non, j'en ai fait à l'uni. En fait, j'ai commencé la philo avec les adultes comme je vous
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conseille de faire en communauté de recherche. Je crois que c'est la meilleure façon.
274
Et là, qu'avez-vous suivi comme formation pour enseigner la philo? Avez-vous suivi des for-
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mations continues ou alors est-ce qu'on se forme tout seul?
276
Alors moi j'ai commencé par les CRP [Communauté de Recherche Philosophique]. J'en ai fait
277
pendant bien 3-4 ans avant de faire quoi que ce soit dans la classe. J'ai ensuite fait des forma-
278
tions au DIP [Département de l’Instruction Publique] j'en ai faite une, mais je connaissais déjà
279
pas mal et on apprend toujours plus finalement, y a pas de soucis, et puis j'en ai faites le
280
week-end, pendant les vacances, car à Evolène il y des semaines philo. C'est vraiment des
281
moments intenses et je me rappelle très bien les habiletés de pensée, pouf, j'ai mis long pour
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comprendre un tout petit peu ce que ça pourrait être, et j'en suis encore loin. C'est pour ça qu'il
283
faut rester humble, pour les élèves, et pour nous-mêmes aussi. Je me rappelle une fois, j'ai fait
284
un dialogue philo, j'ai vu Alexandre parce que j'étais en formation, je suis arrivée "oh Alexan-
285
dre, c'était loupé, c'était n'importe quoi..." et le lendemain je suis arrivée "c'était génial!". Et je
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pense qu'il faut accepter ça et parfois je pense que ça prend pas ou que c'est le sujet, les en-
287
fants ont pas envie ou le groupe, voilà. Alors après, on peut relancer un peu. Mais c'est com-
288
me en classe. On peut donner des magnifiques leçons qui [fait un signe de "se passe pas
289
comme attendu"] et d'autres qui sont faites comme ça et qui vont bien. Ça dépend aussi d'eux
290
et ce n’est pas dit que quand on nous on a l’impression qu'il s'est pas passé grand-chose, ce
291
n’est pas dit que dans leur tête il s'est pas passé forcément grand chose non plus. On ne peut
292
pas juger ça. Puis des fois ils peuvent beaucoup parler, mais que peut-être dans leur tête il n'y
293
a pas eu grand chose non plus. Je pense qu'il faut leur faire confiance, et moi je vois à chaque
294
fois qu'on peut leur faire confiance, c'est vraiment important. Ils sont beaucoup plus riches
295
que ce qu'on pourrait croire. Ça nous donne aussi une vision parfois différente de certains élè-
296
ves qui ne sont parfois pas très scolaires, ou qui en classe, n'ont pas des remarques magnifi-
297
quement pertinentes, et vraiment qui en dialogue philo démontrent qu'ils ont une certaine fi-
298
nesse, une maturité, un esprit critique quand même assez poussé. J'ai souvent des élèves qui
174
299
m'ont étonnée, c'est bien aussi de les voir comme ça, ça enrichit notre pensée par rapport à
300
eux aussi. Moi, je ne vois pas d'effets négatifs. Ça peut être déstabilisant.
301
Est-ce qu'il y a des risques de dérive je me demandais? Parce que finalement la philosophie
302
part beaucoup des valeurs de l'enseignant à la base. Est-ce que, si on extrapole un peu, est-ce
303
que quelqu'un qui ferait partie d'une secte, s'il intervient dans un sens ou guide trop vers un
304
autre, est-ce qu’on n’aurait pas des dérives?
305
Normalement, on ne devrait pas faire ça [orienter, guider], donc il ne devrait pas y avoir ces
306
dérives, mais nul n'est parfait. Moi, selon les sujets, rien qu'en me regardant, mes élèves ça
307
fait trois ans qu'ils me connaissent et des fois je les prends même plus petits, ils me connais-
308
sent ils savent. Ça me fera beaucoup de bien de changer d'école, il y a personne qui me
309
connaît, parce que je suis absolument certaine qu’on ne peut pas être lisse, et ils sont très fins
310
les enfants, ils savent exactement qui on est. Et là, il y a eu un exemple ou tout d'un coup on
311
me pose la question : "Et puis, vous? Vous êtes toujours contente de venir nous enseigner?" la
312
question, elle est venue comme ça, et boum. Donc oui, on ne va pas, disons, on me pose une
313
question, oui, je vais répondre, mais après "et vous? Vous êtes toujours contents?" tout de sui-
314
te on peut relancer la balle, on va ne pas rester là à faire une psychothérapie de groupe sur
315
l'enseignante.
316
Et toujours par rapport à la formation, si vous aviez un désir de vous former par rapport à un
317
point précis qui vous manquerait, ça serait autour de quoi?
318
Moi, en ce moment c'est par rapport à ces exercices sur le sophisme, tous ces exercices que
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l'on peut faire et sur lesquels je ne suis pas totalement à l'aise. Moi, je pense qu'on peut tou-
320
jours aller plus loin. On est toujours en mouvement et c'est le bon côté de cette formation aus-
321
si.
322
Est-ce que vous pensez que votre regard, votre manière de faire ont évolué depuis la première
323
année que vous avez commencé la philo en classe? Ou depuis votre premier moment? Est-ce
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que vous vous en rappelez? Si on le compare, y a-t-il eu une évolution?
325
Ça commence à faire un bon moment, que j'en fais systématiquement, toutes les semaines, ça
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fait 8 ans. Puis avec toute l'école souvent, ça fait 8 ans, plus avec des adultes où j'anime des
327
groupes avec des adultes dans d'autres contextes.
328
Je pense qu'on évolue et je pense qu'à un moment donné il faut faire un petit arrêt sur image et
329
un lâcher prise, se poser des questions sur notre manière de faire pour pas... car il y a une ma175
330
nière de faire et je pense qu'on peut se rouiller. Moi j'observe beaucoup Alexandre, que je
331
connais depuis un moment, au début c'était un peu mon maître, vraiment, et au début je
332
n’intervenais vraiment pas avec les dialogues des enfants par ces petits "pourquoi ?", "as-tu
333
des exemples ?". Mais je l'ai vu lui évoluer et intervenir de plus en plus. Et j'ai essayé inter-
334
vertir plus, car on se pose des questions, quel impact ça a d'intervenir un peu plus, de poser
335
plus de questions, si on a plus de relances, et maintenant j'en suis un petit peu là. Mais après,
336
c'est de nouveau pareil, ça dépend le groupe, le thème du dialogue, de beaucoup de choses. Je
337
continue bien à faire quand même comme je le sens. Ce n’est pas anodin ce qu'on fait, mais je
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pense que c’est important déjà rien que de leur donner la parole.
339
Qu'est-ce qu'un bon enseignant qui fait de la philosophie pour vous? L'enseignant type par-
340
fait?
341
Un bon enseignant? C'est quoi un bon enseignant déjà?
342
Plutôt un bon animateur?
343
Un bon animateur en philo? Je pense que c'est la première chose c'est l'écoute. Puis après, une
344
chose qui est pas souvent facile à faire, c'est avoir une écoute suffisamment attentive pour pas
345
penser à ce que nous on pense, mais plutôt faire le lien entre ce que les participants disent
346
pour faire les bonnes relances au bon moment et je pense que c'est tout un art et qu'il y a enco-
347
re du travail. Peut-être, c'est intéressant à ce moment-là, de s’enregistrer et se dire "tiens, à ce
348
moment-là j'aurais pu… », bon c'est un peu l'esprit escalier, mais se dire on aurait pu faire
349
ceci, on aurait pu relancer, mais déjà se poser ce genre de questions je pense que ça peut être
350
intéressant. De toute façon, les enfants évoluent, nous on évolue et on évolue avec chaque
351
groupe, chaque groupe a sa couleur et c'est chaque fois différent et c'est ça aussi qui est inté-
352
ressant. Mais je pense que le bon animateur, c'est l'écoute.
353
Est-ce que c'est celui qui n'intervient donc pas du tout?
354
Moi je pense qu'il n'y pas de règles. S'il a une écoute assez attentive et qu'il arrive à mettre en
355
lien aussi les pensées de chacun et faire les relances pour que la pensée circule, ça, il me pen-
356
se que c'est top, mais c'est du travail. Et on a quand même tendance, même quand on anime,
357
de suivre le fleuve, le cours du dialogue avec les autres, et peut-être pas savoir relancer par
358
rapport à ce qu'a dit une personne à la pensée d'une autre personne. Il me semble que c'est ça,
359
mais je ne suis pas professionnelle pour le dire.
176
360
Et les conseils que vous donneriez à un débutant?
361
C'est d'être humble quoi. Et de préférer faire quelque chose de petit et simple que... de vouloir
362
choisir plutôt une fleur, que de prendre direct la gerbe. Voilà, c'est une métaphore, mais je
363
peux pas dire autre chose parce que je pense qu'avec une fleur on peut faire beaucoup, avec la
364
gerbe on va se perdre parmi toutes les fleurs. C'est l'idée que j'en ai, vraiment.
365
Sinon, d'une manière plus technique, vous gardez des traces de ce qui est fait en classe? Les
366
enfants ont-ils un cahier de philosophie?
367
Non, ils n’ont pas de cahier, mais ils voient que je prends note de tout et je garde tout. Il y a
368
pas de secrétaire, mais ceux qui prennent note des observateurs, ou des hypothèses, des critè-
369
res par rapport à des définitions ou autre, mais c'est eux qui choisissent, ce n’est pas moi qui
370
leur dit de faire quoi que ce soit. Ils viennent vers moi, souvent à la fin, et ils me disent "la
371
prochaine fois, j'aimerais donner la parole, ou la prochaine fois j'aimerais...". Ceux qui veulent
372
pas trop parler parfois ils aiment bien faire ça, parce qu'ils ont la possibilité, ou de ne pas par-
373
ler du tout et de s’occuper que de ça, ou de quand même faire partie et de prendre, mais à ce
374
moment-là ils se mettent à deux. Comme ça ils peuvent s’entraider à faire le bilan. Je sais qu'il
375
y a des gens qui utilisent le cahier de philo. Mais de nouveau, s’ils passent à ce moment-là
376
trop par l'écrit, on revient de nouveau à une tâche scolaire. Tout est faisable, mais il y a des
377
choses différentes. On peut faire à un autre moment une partie écrite, ou autre. En fin d'année
378
passée, quand ils n'étaient plus aptes à faire quoi que ce soit et qu'il y avait toutes ces polémi-
379
ques avec les attentats, menaces d'attentat à Genève, je leur ai demandé de faire un journal
380
positif, je leur ai demandé de chercher dans tous les journaux. On a aussi fait des maths en
381
cherchant combien de pourcentage il y avait d'articles positifs, neutres et négatifs, et ceux où
382
on ne comprend rien aussi, car il y a un pourcentage d'articles qu'on ne comprend pas du tout.
383
Après, ils ont ressorti chacun un ou deux articles positifs, ils ont expliqué pourquoi ils ont res-
384
sorti cet article positif. C'était vraiment le travail individuel. Puis après on l'a trié, catégorisé,
385
car il y a les sports, la politique et autres. Ça leur a pris une semaine et demie à travailler sans
386
se rendre compte. Donc après, c'est ça aussi l'esprit critique. On avait travaillé aussi sur les
387
affiches des votations, pour ou contre les devoirs, voir comment c'est tourné, les verbes etc.
388
C'est une manière aussi d'aiguiser leur esprit critique. Ça amène à plein de choses et après ils
389
font des liens, car quand on fait avec des élèves le texte argumentatif voilà, comment on fait
390
des manières habituelles et que tout d'un coup on voit les enfants qui disent que c'est vraiment
391
le contraire d'un dialogue philo, moi au moment où ils m'ont dit ça, j'étais contente car ça veut
177
392
dire qu'il réfléchissaient à certaines choses et qu’ils faisaient des liens aussi ce qui entre dans
393
les capacités transversales, c'est aussi ça.
394
Avez-vous des choses à rajouter?
395
[Elle relit la situation complexe] Un contexte plus précis c'est ça. "Oui très bien", "Ce qu'il dit
396
est intéressant", c'est comme quand je vous disais quand je fais un tour « ça va - ça va pas »,
397
ou quand il y a des histoires au foot, j'ai un petit texte qui parle de trois enfants qui ont un pe-
398
tit souci avec ça. On parle du texte, mais pas de leur histoire, ils peuvent se reconnaître et ils
399
peuvent dire des choses sans parler d'eux.
400
Demande de renseignements complémentaires par mail
401
Pourriez-vous m'indiquer :
402
Le degré scolaire de votre classe actuellement ?
403
6-7-8P
404
Le nombre d'années d'enseignement total ?
405
25 ans
406
Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ?
407
8 ans
408
De plus pourriez-vous me redonner des précisions sur ces quelques points ?
409
Que faites-vous pour que les élèves atteignent les objectifs ?
410
Par l'exemple et la répétition de l'inclusion des habiletés de pensée au sein du dialogue.
411
Quelle est la place de l'enseignant dans cette pratique ?
412
Je n'ai plus la casquette de l'enseignante, mais je fais partie de la communauté de recherche. Je
413
suis garante de la sécurité des élèves et je fais des relances afin d'inciter les élèves à se poser
414
davantage de questions.
415
Quelles sont vos intentions lors du dialogue philo ?
416
L’esprit critique et surtout l'écoute, la confiance et le fait de penser ensemble, de construire
417
ensemble.
178
Entretien de Brigitte
1
Qu’en pensez-vous ?
2
Moi, j'ai travaillé la philo à l'uni. J'avais regardé de la théorie, des relances etc., mais j'ai tout
3
oublié par rapport à ça. Effectivement, après ça peut être un choix de l'enseignant, d'être com-
4
plètement retiré, ou alors... c'est un choix. L'enseignante réagit au cours de la lecture de la
5
SEC "oui, très bien, ok", moi, ça ne me choque pas. Les élèves ont besoin de ça dans une inte-
6
raction verbale, il y a aussi la gestuelle et le fait que, l'interlocuteur par sa gestuelle, elle va
7
valider ce que l'autre dit, même si elle dit rien. Pour moi c'est un détail "oui très bien", si tu le
8
dis pas, mais que tu opines du chef... Le non verbal est là quand même et l’interlocuteur, adul-
9
te ou enfant, a besoin que son interlocuteur valide ou pas ce que je dis. C'est naturel. Autre-
10
ment personne n’arriverait à parler.
11
Du coup comment ça vous fait réagir? Est-ce normal que ça ne marche pas avec les condi-
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tions qui sont là?
13
Je trouve intéressant de montrer une vidéo, est-ce que vous l'avez montrée au début?
14
Oui, sans discussion.
15
Alors, justement, quand je fais des discussions à visée philosophique, il y a pour moi trois
16
axes. Je dis les trois, peu importe l'ordre. Le premier est définir un concept : qu'est-ce que la
17
guerre, l'amour, paix ? Ensuite, le deuxième axe, c'est une citation : par exemple « la liberté
18
s'arrête là où commence celle des autres ». Généralement, il y a toujours un grand silence.
19
Troisième axe, ce que tu as fait, je montre une vidéo et je dis : « A quoi cela vous fait-il pen-
20
ser? » Et le but effectivement, c'est quand on montre une vidéo, soit on explique le contexte
21
avant, « alors voilà je vais vous montrer une vidéo qui se rapporte à la guerre qui... etc. »,
22
mais moi j’aime bien montrer aussi juste une vidéo, et que déjà le thème soit ressorti par les
23
élèves. Ca peut être intéressant, justement, que le thème soit ressorti par les élèves, qui est une
24
scène de guerre. Et c'est bien, dans un premier temps justement, de ressortir le contexte, mais
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avec les élèves. Alors qu'est ce que je fais pour ça? Alors toujours dans ces trois axes, je
26
prends une feuille java. Il y a un scripteur, pour la distribution de parole ça dépend au début
27
c'est beaucoup moi qui le faisait. Pourquoi ? Parce que souvent les enfants, il y a vingt mille
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mains levées, et on perd du temps dans la distribution de parole. Le gardien du temps je ne
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l’utilise pas, car en général, c'est la dernière heure du matin et c'est la cloche qui sonne. Je
30
vais peut-être partir plutôt d’une expérience que j'ai faite moi, ça sera plus simple. Quand jus179
31
tement … troisième axe, montrer un film : dernièrement sur les réseaux sociaux, il y a eu une
32
vidéo dans laquelle on interviewait des enfants, des jeunes garçons et puis alors, il y a une
33
jeune fille qui arrive et il y a une voix qui arrive et qui dit "dites bonjour à la fille", ils disent
34
bonjour à la fille, "faites-lui un câlin" alors ils lui font un câlin, « fais-lui une grimace », ils lui
35
font une grimace, et puis tout d'un coup la voix leur dit "gifle-la" alors les garçons sont inter-
36
loqués et tous refusent de gifler la fille. Et puis ensuite ils sont interviewés et on leur demande
37
pourquoi ils n'ont pas giflé la fille alors que tout ce qu'on vous demande avant vous l'avez fait.
38
Et les garçons, il y en a qui disent "parce que je suis croyant et ça se fait pas d'être violent". Il
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y en a beaucoup qui disent : je suis un garçon et je ne tape pas les filles. C'était ce qui ressor-
40
tait. Donc, je montre cette vidéo là et je dis aux élèves : alors voilà, première chose, toujours
41
essayer de trouver le thème, quel est le thème de la vidéo? Il y en a qui diront : bah c'est le
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rapport filles/garçons, d'autres diront que c'est la violence, etc. Et puis ensuite, on essaie de
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dire, bah voilà maintenant on voit plus ou moins le thème et maintenant à votre avis quel était
44
le but de cette vidéo? Pourquoi cette vidéo a-t-elle été créée? Alors, il y en a qui (c'était avec
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des 8P), les élèves ont répondu peut être c'est pour dénoncer la violence des hommes faite aux
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femmes, le but c'est vraiment de trouver le but de cette vidéo. Une a dit, peut être c'est pour
47
montrer que les filles ne sont pas si fragiles que ça. Alors après il y a des propositions qui se
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distancient un peu du but réel, car toi tu le connais le but réel, mais eux ne le connaissent pas
49
le but qui se rapprocherait le plus de pourquoi la vidéo a été faite. Après, c'est intéressant, car
50
il y a eu un élève qui m'a dit : moi, j'aimerais bien savoir si on a demandé aux enfants de dire
51
ce qu'ils ont dit. Donc là c'est intéressant car ils se sont distanciés. Puis après il y a une discus-
52
sion autour de ça. Est-ce que c'était pris sur le vif ou est ce que les enfants on été conditionnés
53
pour dire certaines choses ? Donc voilà, thème, but, donc objectif de cette vidéo là, « Qu'est-
54
ce qu'on en retire? Est-ce qu'il y a une morale? Etes-vous d'accord? Pas d'accord? » Ça peut
55
aussi être un axe. Après c'est vrai que comme l'enseignant est censé ne rien dire, eh bien les
56
élèves vont peut être se distancer un peu, mais pour moi, ce n’est pas forcément grave. C'est à
57
l'enseignant de ramener des fois au sujet, mais des fois je crois que c'est important de faire une
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parenthèse pour revenir au sujet principal. Je pense que des fois, on reste borné sur là où on
59
veut aller. Mais est-ce que les élèves ont été conditionnés pour dire ce qu’ils ont dit? C'est im-
60
portant, car même nous on ne sait pas si les enfants ont été conditionnés. Donc c'est important
61
d'en discuter avec les élèves et mine de rien, ça fait partie aussi du contexte. Par exemple,
62
dans la vidéo là, [vidéo présentée par l'étudiante Tiananmen] un élève aurait pu demander
63
« est-ce que c'est une vidéo historique? » ou « est-ce que cet homme-là a été mis volontaire-
64
ment là ? ». C’est important, car si les élèves n'ont pas compris le contexte. Je ne crois pas que
180
65
c'est nécessaire que l'enseignant dise lui-même le contexte, je crois que c'est important que les
66
élèves se posent des questions. Le but pour moi, dans un premier temps dans une discussion à
67
visée philosophique, c'est qu’on réfléchisse. Donc déjà, le simple fait qu’ils se posent des
68
questions sur le contexte, ça les fait réfléchir. Alors certes, on n'est pas dans un débat dans un
69
premier temps, c'est clair, que quand on s’expose des questions sur le contexte on n'est pas sur
70
un débat, mais je crois que le fait que les élèves se posent des questions ça les amène genti-
71
ment à pouvoir débattre. Ca, c'est mon avis, je me rappelle plus de la théorie mais ça condi-
72
tionne les élèves à se poser des questions et être dans une posture réflexive, après ça peut être
73
un choix de l'enseignant de donner le contexte pour passer directement au débat philosophi-
74
que, et là, tu es en plein dans l'objectif du débat philosophique. Mais selon moi, tu n’as pas
75
mis en condition les élèves en posture réflexive concrète.
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J’aurais peut-être dû les questionner sur ce qu’ils voient concrètement?
77
Toujours avec les élèves, là il y a une pub actuellement qui passe sur la télé, Molfina je crois
78
[marque de serviettes hygiéniques]. D'abord on dit, qu'est ce que courir comme une fille?
79
D'abord ce sont des jeunes adultes, où voilà et ils imitent les filles de manière très efféminée.
80
Et après, on demande à des jeunes filles de 10 ans, qu'est-ce que courir comme une fille ? Et
81
on voit qu’elles sont hyper sportives et qu’on est loin du préjugé. Moi, je souhaiterais leur
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montrer cette vidéo là et je leur demanderai : qu'est-ce que vous voyez? [L’enseignante simule
83
une discussion de classe et prend des voix d'enfants] "Ah ben moi je vois une jeune fille qui
84
singe finalement les filles" A votre avis, bon le thème est assez évident, mais après il faut aller
85
plus loin et se dire bah « quelle est la morale de cette vidéo ? » Il y a une morale, un message.
86
Alors, il y en a qui vont dire, je suppose que ça va sortir assez rapidement, bah le préjugé sur
87
les filles. Après si ça sort pas, il faut poser des questions "alors toi X, tu en penses quoi de cet-
88
te vidéo? Tu cours comme ça?" Alors si, par exemple, tu connais tes élèves, tu prends la spor-
89
tive de la classe et tu lui demandes. Alors pour moi, l'enseignant, il est actif dans la discus-
90
sion, pas pour donner son avis mais pour relancer. Si, par exemple, on voit que ça patauge et
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que les élèves n'arrivent pas à sortir que c'est des préjugés sur les filles et qu’il faut bannir les
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préjugés, il faut poser des questions qui va les amener. Alors évidemment, c’est des questions
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ciblées. C'est clair qu'avec les questions on arrive à avoir ce qu'on veut, c'est logique, mais je
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trouve intéressant. Ce que je fais, c'est que je pose la question qui les emmène où je veux,
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mais je vais prendre le contrepied, par exemple : à une sportive "alors toi, tu cours comme
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ça?" "Bah non, je cours pas comme ça, c'est débile". "Ah, et pourquoi tu dis que c'est débile?"
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Reprends toujours les mots, ça peut aider "Ah, si je comprends ce que tu veux dire, c'est que
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tu trouves que c'est pas très chouette de singer les filles?" Après tu peux t’adresser au garçon
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un peu macho de la classe et lui dire "toi, tu es d'accord avec ça?" Alors là, il sera peut être
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gêné, et il dira « oui, bah c'est ça, c'est les tapettes qui courent comme ça " « Toi tu penses que
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c’est les garçons qui courent comme ça? Les garçons homosexuels?" Donc ce que je fais, c'est
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vraiment poser les questions, en reprenant les termes de l'enfant, ou alors si l'élève dit "ah,
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c'est les PD qui courent comme ça", reformuler "ah, si je comprends bien, pour toi ce sont les
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homosexuels. » Donc, replacer quand même le vocabulaire et après si un autre dit "oui, les
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PD", "Rappelle-toi, il y a un autre mot pour dire ça. » Après, c'est peut être trop dirigé, c'est
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peut être pas la bonne posture de l'enseignant. Pourtant, quand on est enseignant, on doit utili-
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ser les bons mots, car le but dans un débat philosophie, c'est qu'on soit maître de ce qu'on dit.
108
Philosophie, philo c'est en grec, aimer la sagesse. Donc pour moi, c'est également aimer utili-
109
ser les bons mots.
110
J’ai vu une enseignante la semaine dernière qui m'a dit quelle intervenait le moins possible,
111
les questions doivent sortir des élèves, et je ne dois pas les orienter vers ce que j'attends et
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c'est différent.
113
Après faut voir ce que c'est, là je te parle de la vidéo, il y a un message et ce qui est génial
114
avec cette pub Molfina, c'est que c'est censé susciter un débat. Soit c'est carrément une cita-
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tion, soit basé sur un texte et là je leur demanderais s'ils ont déjà compris le texte, et je de-
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manderais aux enfants s'ils ont déjà des questions par rapport au texte. Et puis après, c'est vrai
117
qu'il y a plusieurs manières de voir la chose, après il y a des élèves qui poseront des questions
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liées à la compréhension du texte et d'autres des questions plus générales. Les élèves vont
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peut être se distancer du texte pour trouver une question générale.
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Mais si après ils n’arrivent pas? Est-ce que je peux leur insuffler moi un peu?
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Dans un premier temps c'est important qu'ils comprennent le texte et que... oui, je vois ce que
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tu veux dire, après leur demander s'ils sont d'accord ou non avec, par exemple, une action d'un
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personnage, il a dit ça, est-ce que vous êtes d'accord? Forcément là, ça suscite le débat.
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Et du coup, pourquoi vous faites de la philosophie avec vos élèves?
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Car mon but c'est justement qu'ils acquièrent la réflexion, qu'ils soient dedans une posture ré-
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flexive. Et les élèves adorent. C’est vraiment que là, c'est très scolaire tout ce que j’ai vu (me
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montre la SEC). Moi, je ne fais pas tout ça, ce que je fais c'est que je vais dans une salle, il y a
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des canapés, on est assis, c'est en forme de U et moi je suis assise sur une chaise en face d'eux
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129
et c'est assez relax. Toutes les questions que je pose, par exemple si je cherche le thème de la
130
vidéo, je vais demander au scripteur "écris le thème, deux petits points" et puis on essaie en-
131
semble de déterminer le thème. "Etes-vous tous d'accord si le thème de la vidéo est la guerre
132
?" "Oui, ok, d'accord." "Ah, je vois que toi tu n’es pas d'accord, pourquoi donc? Est-ce que tu
133
peux m'expliquer pourquoi tu es pas d'accord avec le choix de tes camarades?" "Car moi je
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pense que c'est plutôt un message de paix, on est plutôt dans le thème de la paix." Et là, on est
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peut être qu'au début de la discussion, mais déjà au niveau du thème ils ne sont pas d'accord,
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donc le fait de ne pas donner à l'avance le contexte, et peut être déjà dans le contexte les élè-
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ves ne seront pas d'accord, et dans le débat à visée philosophique le but déjà c'est de débattre.
138
Donc les élèves déjà, dès le départ, ils ne seront pas d'accord et c'est en discutant avec eux, les
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pour, les contres… Alors, il y a X qui dira "non, moi je ne suis pas d'accord, y a la guerre
140
mais quand même il y a des chars d'assaut, c'est logique quoi". Puis après il y en a un autre
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qui lève la main, "oui, que veux-tu dire?" "Moi, je ne suis pas d'accord avec...." Ah! » Entre
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parenthèses, éviter que les élèves disent « je suis pas d'accord avec… », là, il faut reprendre :
143
« c'est pas que tu n'es pas d'accord avec X, mais tu n'es pas d'accord avec l'idée." C'est impor-
144
tant d'expliquer ça aux élèves, car après, quand on fait des conseils de classe, ça permet aussi
145
de s'éloigner un peu et prendre de la hauteur sinon on est trop dans le guidon, on n’est pas
146
dans le jugement de l'un ou l'autre. Obliger les élèves à dire "je ne suis pas d'accord avec cette
147
idée" plutôt que "je ne suis pas d'accord avec machin", ça change tout, car ça permet aux élè-
148
ves de ne pas avoir peur de parler. Fermer la parenthèse. Donc, euh, "ah, toi tu lèves la main
149
oui?" " Bah moi, je ne suis pas d'accord avec l'idée de la guerre, car il y a un mec qui vient
150
devant, euh c'est pour leur dire d'arrêter de faire la guerre, donc c'est la paix." "D'accord, donc
151
toi tu penses que c'est plutôt un message de paix. Et vous les autres que pensez vous?" Et là
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personne lève la main, tu vas chercher. "Qu’en penses-tu ? Plutôt une scène de guerre ou de
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paix?" "Bon, bah moi, je pense que c’est la guerre, mais lui il veut que ça s'arrête, alors du
154
coup c'est la paix." Alors après, bah dire, bon essayez de chercher d'autres avis si on n’arrive
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pas à départager, il faut peut être aidés, si on s'arrête à l'instant T, image de guerre? Attention
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à image et message. Le message est de paix mais l'image? "L’homme s'est mis devant le char,
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que va-t-il se passer après?" "Bah là, il va s'arrêter donc ils vont tous s'arrêter, c'est la paix." "
158
Oui mais, pourtant là, à l’instant T où il se met devant, on est dans la guerre ou la paix?" Je
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pense que ce qui est bien dans un débat à visée philosophique, c'est qu'il faut débattre, mais
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qu'il faut aussi trouver un consensus dans le groupe, donc se mettre d'accord. Donc à l'instant
161
T, on est dans la guerre ou la paix? Bah, dans la guerre. Mais le message de cette vidéo? Le
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162
but du gars c'était quoi? "Ah, bah, c'était pour la paix". "Ah ok, donc thème la guerre, message
163
la paix".
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J'ai pensé à l'exploiter comme ça mais on avait déjà beaucoup traité du thème de la guerre et
165
je la trouvais bien pour passer au thème de la paix.
166
Mais tu peux la prendre "on n’a pas assez exploité cette vidéo, j'aimerais qu'on y revienne."
167
Peut être que là, je t'ai simulé un débat, mais essayer de rapprocher de ça.
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Et les objectifs que vous mettez derrière ça? Plutôt français...?
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Alors euh, moi, ça dépend le sujet abordé, si le but c'est de parler de la paix… ça c'est plutôt
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d’ailleurs la suite : "C’est quoi la paix?" La vidéo a certes permis de passer là, mais là tu pas-
171
ses au concept, qu'est-ce que la paix ? Et tu fais écrire. Après moi, il me semble que quand on
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est en philo, je vais quand même donner l’orthographe, mais s’il y a une faute d'accord, hon-
173
nêtement je ne vais pas le souligner. Après si c'est un titre « Qu'est ce que la paix ? », je re-
174
prends quand même. Pour moi, ça dépend du thème abordé. La paix, tout ça, on est typique-
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ment dans la citoyenneté. Moi je place la philo dans la formation générale, je la mets pas dans
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le français.
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Formation générale ou capacités transversales?
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Formation générale donc soit citoyenneté, car on est vraiment dedans. Mais « qu'est ce que
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l'amitié » on est pas totalement dans la citoyenneté, mais pour moi on est plus dans la généra-
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lité, et dans ce ça là, ça sera pour moi dans la formation générale, et ce qui permet de passer la
181
semaine suivante au conseil de classe, car une semaine sur deux je fais conseil de classe ou
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philo, et pendant un conseil de classe on peut revenir : "rappelez-vous, la dernière fois en phi-
183
lo on a parlé de l'amitié, pensez-vous vraiment que le comportement que vous avez adopté
184
avec l'autre classe sur le terrain de foot était un comportement amical?" Pour moi, ça dépend
185
du thème abordé. J'essaie d'aborder des thèmes en lien avec la citoyenneté, et des fois plus des
186
thèmes dans le savoir-être, savoir être ami avec quelqu'un pour moi c'est un savoir-être, le
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respect, savoir-être ou être citoyen. Dans citoyenneté je verrais plus des questions en relation
188
avec le droit, avec des 8P, et faut voir où et comment. Par exemple des thèmes sur les vota-
189
tions peuvent être dangereux, mais il y a 10 ans, le thème sur les congés maternité ça va, mais
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le thème de votation sur le renvoi des étrangers, ça peut vite être dangereux. Si tout d’un coup
191
il y a un sujet de votation qui peut être abordable avec des 8p, je le prends immédiatement et
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je suis entre guillemets, toujours à l’affût, bon entre guillemets. Mais quand je vois un truc à
184
193
la télé, immédiatement ça tilte. Sur les réseaux sociaux cette vidéo, donne lui une baffe, bah je
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ne vais pas gifler ma copine, pour moi c'est tout de suite et des fois quand je suis à cours
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d'idée et des fois je vais directement sur internet et il y a des vidéos larmoyantes. Pour moi, il
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y a pas forcément un message dans une vidéo d'un niveau terre à terre et parfois, d'un niveau
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plus élevé, par eux-mêmes les élèves arrivent des fois à prendre du recul et l'élève qui me de-
198
mande si les enfants ont été conditionnés dans la vidéo, je pense que c’est une question que je
199
pourrais poser : est-ce qu'on a obligé ces enfants à répondre ca? Ce que je trouve génial, c’est
200
que les élèves ont réussi à me dire que c'est peut être une vidéo propagande. C'est manipulé et
201
j’ai trouvé génial et ils s’étaient entièrement extraits du sujet. Nous, adultes, on voit une vidéo
202
et on se dit parfois « Ah, c'est mignon. » Mais les élèves, ont eux-mêmes réussi à dire que
203
c'était peut être une vidéo manipulée, ou alors ils ont gardé dans la vidéo uniquement les en-
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fants qui allaient dans le sens du message, car comme par hasard on voit aucun garçon taper la
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fille, il y en a au moins un qui a dû taper la fille et ça, ça peut être une discussion à avoir. Et
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même se dire "Et si ça avait un garçon?", après rien n’empêche que tu puisses montrer une
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autre. La fleur dans le fusil c'est très connu.
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Ca a quoi comme apports pour les élèves ou pour vous de faire de la philosophie ?
209
Il y a plusieurs choses. Il y a les capacités transversales, au niveau du savoir être : se taire
210
quand il faut écouter, demander la parole, si un élève fait une remarque qui n'a rien à voir je
211
lui demande s’il a compris de quoi on parle ou je lui demande ce qu’il voulait dire car peut
212
être qu’on ne voit pas la posture réflexive. Et aussi après, on peut la placer dans français, car y
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a capacité à s'exprimer. Parfois, c’est difficile de mettre en mots ce qu’on pose, il y a aussi en
214
termes de français : utiliser les connecteurs, ces mots clés qui permettent de débattre, car, je
215
suis d'accord, je ne suis pas d'accord, certes...
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Et votre place physiquement?
217
Dans les canapés et moi je suis en face. Ca fait une espèce de carré et les élèves se voient
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tous, comme en demi rond. Mais c’est parfois plus compliqué car si c’est une classe nombreu-
219
se, il y a en derrière d’autres et ils se voient plus.
220
Et vos intentions et vos buts lorsque vous êtes face à eux?
221
C’est avoir un certain contrôle. Pour les élèves ça permet de s’adresser en face de son interlo-
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cuteur et ce qui est sympa aussi, c’est que je mets les scripteurs à côté de moi et je vois ce
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223
qu’ils écrivent et je peux corriger parfois l’orthographe et ça permet pour les élèves qui sont
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en face de voir ce qui est écrit.
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A l'uni vous n'avez pas été formée? C’est venu de vous?
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Oui. Moi j’ai aimé ça. Je suis la seule à faire de l'école, mais d'autres le font plus dans le cadre
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du conseil de classe, c'est quand même très basique. Est-ce qu’on a des droits? Ou des de-
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voirs? A la récré, tu as fait ça tu penses que tu avais le droit de la faire? Beaucoup font les
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goûter philo dans le but de réguler un comportement, c’est souvent comme ça que c’est fait.
230
Moi, mon but c’est pas de réguler un comportement aux élèves, mais c’est dans un but de ré-
231
fléchir et pratiquer un débat. D'ailleurs dans COROME ça a un nom, le débat régulé, c’est vrai
232
que moi j’ai pas l’objectif de vouloir réguler les comportements, c’est réfléchir sur le sujet.
233
Finalement, je reste très peu de temps sur la situation elle-même, j’essaie vraiment par des
234
questions de relances, de prendre une hauteur sur le sujet, et finalement arriver au concept. On
235
a une situation de base, mais le but est vraiment de conceptualiser la chose. Quand on est, par
236
exemple dans le concept, j’ai d’abord avec les élèves, c’est prétentieux de ma part, si vous
237
savez philosopher dans ma classe vous saurez disserter au collège. Par exemple, la citation
238
"La fin justifie les moyens." Qu'est-ce que la fin? On décortique la citation, première chose.
239
Car il n'y a plus de contexte, car on n’est pas dans une vidéo, là on est dans l'axe citation. Là
240
je vais dire la fin justifie les moyens, la fin qu'est-ce que c’est ? Je vais d’abord définir tous
241
les mots de la citation de façon à ce qu'on se mette d’accord avec tout le monde sur quoi on
242
parle. Souvent quand on parle d’une citation, les élèves savent pas de quoi on parle et souvent,
243
c’était mon problème au collège je savais pas sur quoi disserter. Donc première chose, et si on
244
fait ça au collège ça marche à tous les coups, définir la citation. D’ailleurs, c’est ce qu’on fait
245
aussi à l'uni pour un mémoire. « La liberté s'arrête là où commence celle des autres.» Alors
246
déjà là tu as beaucoup, si vraiment tu veux faire correctement, ça prend deux, voir trois pério-
247
des. Qu'est ce que la liberté ? Après, seulement, on discute et des fois ça arrive que, dans la
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définition de la citation, ça nous amène à d’autres sujets, toujours liés, mais on se rend compte
249
qu’il faut peut-être conceptualiser et définir d’autres points avant de vraiment pourvoir débat-
250
tre de la citation. La liberté c’est tellement grand, on est obligé d’en parler. Il y a l’axe aussi
251
concept "Qu'est ce que l'intelligence, développez." Il y en a qui diront, bah l'intelligence c’est
252
quand je réussis bien en maths, et puis du coup tes élèves vont donner plein d'exemples. Après
253
le but c’est de conceptualiser et prendre la hauteur sur le sujet, je vais leur dire : maintenant,
254
on arrête avec les exemples, ce n’est pas très intéressant finalement car ce n’est pas un débat
255
de raconter sa vie. L'intelligence, ça peut être par exemple, être bon en mathématiques. Alors
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256
l'intelligence ça peut notamment être bon en maths, alors comment on peut appeler ça ? "Ah,
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moi je suis bon en maths, mais seulement en additions et soustractions, par contre moi l'espa-
258
ce, je comprends rien." "Donc si on dit l’intelligence mathématique, ce n’est pas assez fin",
259
après c’est du vocabulaire, mais faudrait essayer de réussir de faire sortir pour les élèves qu’il
260
peut y avoir l'intelligence spatiale. Et en fait, avec les élèves, ça m’avait pris trois périodes et
261
on est arrivé facile à une vingtaine d’intelligences. On fait 45 minutes, mais des fois le sujet
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dure 15 jours, un mois.
263
Vous avez suivi des formations continues?
264
Non, non, moi je fais ça comme ça, parce que ça m intéresse, et puis voilà. Je suis quelqu'un
265
qui naturellement conceptualise les choses, c’est pour ça que j’arrive à dire qu’il y a trois axes
266
et que dans ces axes je vais utiliser telle stratégie.
267
Vous préparez avant?
268
Moi, je suis très mauvaise car je ne suis pas une bonne enseignante entre guillemets, car sou-
269
vent je suis dans ma voiture et je me dis « bah je vais enseigner ça » et puis j'y vais à l'arrache.
270
Mais vous n’allez pas imaginer les réponses que pourraient donner les élèves? Comme on a
271
vu avant?
272
Non, sur le moment. Parce que pour moi ce qui est important, c’est les élèves qui réfléchissent
273
et de ce fait je fais avec ce qu’ils me donnent. Non, en fait je suis mauvaise langue, je me dé-
274
valorise, c’est faux même. Alors par exemple, pour la vidéo des jeunes garçons, je l’ai balancé
275
comme ça un vendredi. J’ai téléchargé la vidéo devant eux et je leur ai montrée sur mon Ipho-
276
ne. Mais ça a marché. Mais si c’est une citation, je vais quand même regarder et il y a quand
277
même souvent des personnes intelligentes qui dissertent dessus, et ça me permet d’avoir quel-
278
ques pistes. L'intelligence, typiquement au début, j’ai fait un peu à l’arrache et après je me
279
suis dit qu’il fallait que je vois les différentes formes d’intelligence.
280
A la fin vous formalisez ou institutionnalisez?
281
Comme il y a le scripteur, le thème et on discute et quand il y a un consensus en général je
282
l’écris et quand on passe a une nouvelle question, toujours en lien avec le thème, on se rend
283
compte que finalement je vais faire un sous-titre « Qu'est-ce que je la liberté ? », et on écrit la
284
liberté c’est ça. La semaine suivante on relit le java et ça nous permet de redémarrer, il y a
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toujours une trace.
187
286
… une conclusion?
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Pas forcement clore, mais il y a une trace. Je clos le débat en tout cas quand il n'y a plus de
288
débat. En tout cas je leur dis " Je suis contente, on a bien réfléchi là-dessus, je vous propose
289
de passer à un autre sujet ".
290
Vous faites quoi pour permettre aux élèves d’atteindre ces objectifs de réfléchir?
291
Alors euh, bah justement, avec les questions de relances, proposer aux élèves qui ne disent
292
rien "qu'est-ce que tu en penses toi?".
293
Ok, donc ceux qui ne parlent pas...
294
Je leur demande "Es-tu d'accord avec cette idée?", et en général il est obligé de sortir quelque
295
chose et s'il bafouille, la reformulation là, est intéressante. "Donc si je comprends bien, là ce
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que tu veux dire, c’est ça, ça et ça?" "Oui, mais pas tout à fait". "Alors, explique-moi". Et là,
297
je suis désolée, je suis peut-être pas d'accord avec ta formatrice, mais l'élève qui a réussi à sor-
298
tir au moins quelque chose alors que d'habitude il ne parle pas, mais là je vais le féliciter :
299
"Bravo, je n’avais pas vu les choses comme ça et les autres, vous en pensez quoi?" "Ah oui
300
c'est intéressant".
301
Donc on va forcer quand même les enfants?
302
Je vais les tirer quand même. Après bon, faut pas se leurrer, c’est toujours les mêmes qui par-
303
lent. Mais essayer d'aller tirer ceux qui disent rien.
304
Est-ce qu'il y a des acquis chez les élèves?
305
J'avais, par exemple, une élève qui au début avait de la peine à s’exprimer, c'était toujours
306
brouillon, on comprenait rien, et petit à petit, à force de reformuler ce quelle disait, et lui dire
307
bon une chose après l'autre, « que veux-tu dire par rapport à ca? », « ok, on reviendra après
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sur la suite ».
309
Le fait de reformuler lui a donc permis de mieux organiser ses idées?
310
Oui. J’ai vu aussi une gamine très manichéenne qui était du genre… Une fois, on a parlé de
311
« Est-ce que les animaux valent autant que les humains ? », et il y avait eu une votation sur les
312
avocats pour animaux. Cette enfant était beaucoup dans "ah, ils sont méchants, les gens sont
313
soit méchants, soit gentils." C'était assez fatigant pour moi adulte, mais je trouve intéressant
188
314
car au fil de l'année, elle s'est rendu compte que c'était beaucoup plus subtil. Les chiens, l'eu-
315
thanasie, elle disait les gens sont méchants, et là je l'ai piquée dans le vif. Et je lui ai dit :
316
« l’autre jour, tu as tué l'araignée à côté de ton bureau. Tu es méchante alors?" "Mais non, pas
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du tout." Après voilà, on fait avec ce qu'on est, ou si tu ne veux pas dire que tu es d'accord
318
avec des camarades, on a vu que ça posait un problème de tuer des chiens, mais pourquoi ça
319
te pose pas problème de tuer une araignée? Puis là du coup, on s'éloigne, on monte d'un ni-
320
veau. « Est-ce que les animaux ont tous la même valeur? » et on conceptualise. On se rend
321
compte que les animaux domestiques ont plus de droits que les animaux sauvages, mais pas
322
tous les animaux sauvages, car si on tue un éléphant pour ses défenses, c'est horrible tout le
323
monde crie au scandale. Mais voilà, quand on tue une araignée, c’est aussi un animal sauvage,
324
mais c’est admis. On est plus dans le sujet de base, à savoir, je ne sais même plus ce que
325
c'était. Mais voilà, ce que je trouve intéressant c’est de conceptualiser, mais je me rends
326
compte qu'en parlant, que ça m'arrive de m'éloigner du sujet de base, mais ce n’est pas grave,
327
car on monte d'un niveau et on arrive à se détacher.
328
Et au niveau de la régulation sur le moment, c’est tout dans les relances en fait?
329
Oui, beaucoup des questions de relances et de reformulation. Quand un élève me parle de son
330
expérience, je vais essayer de tirer un concept parfois de cette expérience. "Ah, toi tu dis que
331
tu es intelligent car tu arrives à faire tes additions", bah, essayer de trier en disant "alors peut-
332
on dire que tous ceux qui font des additions sont intelligents ? » J’essaie, par des questions, de
333
généraliser, puis de conceptualiser.
334
Et la première fois que vous avez fait de la philo en classe, ça s'est passé comment?
335
La première fois, j'étais remplaçante, j'avais fait sur « Qu'est-ce que la peur ? », et là c'était
336
justement très scolaire. Je leur faisais écrire des situations qui leur faisaient peur et puis j'avais
337
vu que c'était un sujet qui avait passablement dérangé les élèves, car c'est faire appel à des
338
peurs, et donc ils étaient mal à l'aise, et je m'étais arrêtée. C'était terrible. Et c'est là que je vois
339
que j'ai gagné en expérience. C'est quand je m'étais arrêtée aux expériences, pour finalement,
340
oui, c'était un cours qui me permettait de réguler leur comportement et pour ça que je suis pas
341
d'accord de faire un cours de philo pour réguler leur comportement, car je m'étais arrêtée du
342
coup aux expériences pour leur dire que moi, je flippais à l'issue de mon remplacement de pas
343
trouver un poste fixe et que si je ne supportais pas leurs bavardages, c'est que j'étais moi-
344
même tendue. C'était un cours de philo de régulation de comportement.
189
345
Et du coup qu'est-ce qui a évolué depuis cette fois jusqu'à aujourd'hui ?
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Je finis juste avec ça. Le problème, quand on est dans la régulation de comportement, on est
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trop dans l'exemplification : tu as fais ci, ça va pas, ce n’est pas bien. Et puis finalement, on a
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rien conceptualisé. Les élèves, certes, ont un peu réfléchi, mais ça ne volait pas haut. Moi, j'ai
349
réalisé ça, je sais pas comment, mais à l'issue de cette leçon, je n’étais pas forcément bien et
350
les élèves n’ont plus parlé de leur peur. Finalement, ils sont sortis de la classe, ils étaient dé-
351
pressifs entre guillemets. Donc pour moi, c'était zéro, zéro. Et pourtant, je m'étais basée sur un
352
cours proposé sur internet. Ça n’a pas amené grand chose. Et après j'ai eu ma classe, avec des
353
7P, et j'ai commencé avec « Qu'est-ce que l'amitié ? » et j'ai gagné en maturité entre temps.
354
Dans quel sens ?
355
En fait, j'avais commencé avec la citation de la liberté et j'avais trouvé riche, car j'ai vu que je
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tirais les élèves vers le concept et dans un débat. J'étais vraiment comme un chef d'orchestre et
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même gestuellement : « Oui, d'accord. Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? » Et quand on fait
358
écrire les élèves, ça permet certes, déjà de positionner l'élève dans la réflexion, oui, ça peut-
359
être un départ.
360
Je partais donc avec trois colonnes : qu'est-ce que je définis, donc qu'est-ce que la guerre
361
pour moi, « les questions que je me pose » et « ce que le groupe en dit ». Ils devaient marquer
362
quelques idées du groupe et les questions que je me pose encore, et avec cette dernière colon-
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ne, je me suis dit que ça pouvait me permettre de réguler, de relire pour un départ, mais ils
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étaient quand même beaucoup bloqués à l'écrit.
365
Oui, le problème c'est qu’on a de la peine des fois. On a une idée et c'est finalement très diffi-
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cile d'en faire autre chose que ce qu'on sait déjà. Et justement, ce que je trouve intéressant,
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j'aurais dit aux élèves : « qu'est-ce que la guerre ? » Et on avait passé une période à parler de
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ca. Et là, c'est intéressant, car il y en a qui auraient dit : « bah, la guerre c'est quand il y a des
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chars d'assaut », puis après leur poser une question : « est-ce que, aujourd'hui en 2016, est-ce
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qu’on est en guerre ? La France est-elle en guerre ? » « Ah, bah non » « Non ? Et le 8 février
371
ou je sais plus », « Il y a eu trois explosions, notamment au Bataclan. » « Ah oui. » « Mais
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pourtant il n'y avait pas de chars d'assaut. » Essayez donc de proposer, bon si ça vient pas es-
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sayez de proposer une situation et leur dire vous en pensez quoi de ça ? Une question de re-
374
lance, ce n’est pas que l'enseignant réfléchit à la place des autres, parce qu’il ouvre des pers-
375
pectives. Pour moi, c'est différent que de dire « Oui, mais attends, là ce que tu dis n'a pas de
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sens ». Là l'enseignant prend position. Mais dire : « Ok, on est d'accord la guerre, c'est quand
190
377
il y a les chars d'assaut, les fusils, d'accord, allons plus loin. Comme cette explosion à Paris,
378
est-ce que c'est la guerre ? » Alors il y en a qui diront : « bah non, il n'y a pas de chars d'as-
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saut, donc ce n’est pas la guerre », et d'autres diront « bah oui, car il y a eu des morts ». Puis
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après on arrive « Alors ça voudrait dire, est-ce que pour vous la guerre peut être sous différen-
381
tes formes ? » Bon, alors ça, ça peut être difficile, mais ça peut être intéressant, tu vois, fina-
382
lement, il y a différentes formes de guerre. Il y en a qui diront « ah oui, j'ai entendu, il y a eu
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une guerre chimique, je crois » , « et la guerre froide, ça vous dit quelque chose ? » « Pour-
384
quoi ? Froide ça veut dire quoi ? », « Guerre chaude c'est quoi ? » Essayez de voir que poser
385
des questions pour qu'ils se rendent compte que chaude, c'est quand il y a corps à corps, avec
386
des armes, et froide il n'y a plus tout ça, on parlait de guerre froide après 45. Mais c'est parce
387
que les états, en gros, il y avait les communistes contre les libéraux, et puis enfin voilà, je ré-
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fléchis à haute voix. Ça, ça fait déjà beaucoup, tu peux parler pendant 45 minutes de la guerre.
389
As-tu exploité ce qu’ils ont écrit ?
390
La dernière fois j'ai fait sous une autre forme, dans Le petit prince, ils parlaient des grandes
391
personnes et des petites personnes puis j'ai dit : « vous avez deux post-it de chaque couleur.
392
Sur le rouge vous écrivez « qu'est ce qu'un adulte ?», et sur le jaune « qu'est-ce qu'un en-
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fant ». Et après, comme départ, ils lisaient ce qu'ils ont écrit. Donc, il y a une fille qui m'a dit
394
« bah, un enfant c'est une porte ouverte sur l'imagination, et un adulte du coup c'est quand on
395
ferme la porte sur l'imagination ».
396
Alors moi j'ai fait sur qu'est-ce qu'un adulte. Ca a pris trois périodes, juste sur qu'est-ce qu'un
397
adulte.
398
Mais comment trouver ces bonnes questions de relances ?
399
Il faut prendre le temps. On part d'un texte, bon alors moi je vous propose, car finalement Le
400
petit prince permet de démarrer, mais ça va pas plus loin. On discute qu'est-ce qu’un adulte,
401
un adulte c'est quand on est grand, « ok, bon bah, moi je suis petite »...
402
Ils m'ont dit un adulte, c'est quand on a 18ans.
403
Alors voilà, mais en général ce qui sort très rapidement « c'est quand t’es grand » , « oui, mais
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moi je fais un mètre 58 et donc on voit que la taille n'est pas un critère », « c'est quand on a 18
405
ans », « ah ça c'est un critère social, quand t’as 18 ans, t’es adulte ». « Ok d'accord, mais toi tu
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sais que ce n’est pas quand t’as 18 ans que t'es adulte, est-ce que vous êtes tous d'accord ? »
407
« Quoi encore ? » « Quand on est adulte c’est quand on a des enfants. » « Est-ce que vous êtes
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408
d'accord avec ça ? » Alors s’ils sont toujours d'accord... le but c'est un débat philosophique,
409
toi tu dois créer le débat, donc tu peux dire : « Moi, je suis désolée de vous dire, mais carré-
410
ment parler des collègues, Madame X n'a pas d'enfants, ça veut dire qu'elle est pas adulte ? »
411
Et tu dis carrément, ouvrons une parenthèse, juste c'est quoi raisonnable ? « Bah moi, c'est
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quand j'économise et je ne sais pas je peux m'acheter un beau truc. J'avais envie d'acheter,
413
mais j’ai été raisonnable. » Être raisonnable, c’est vrai, on peut effectivement dire qu’un adul-
414
te est raisonnable, et ainsi de suite. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de faire des parenthè-
415
ses, mais le signifier. Ou alors « ok, ok, d'accord, je crois qu’on a bien défini ce que c’est
416
d'être raisonnable et maintenant on va retourner au sujet qu'est-ce qu’un adulte ». Et revenir à
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la question de base. Donc moi, j'aurai fait, j’ai fait avec les 8P, trois périodes pour définir ce
418
qu’est un adulte.
419
Avec une citation ? Une vidéo ?
420
Non, je suis arrivée directement avec « Qu'est-ce qu'un adulte ? »
421
Et après ? Les deux leçons suivantes ?
422
Bah, on relit le java. On a vu cet axe là, il y en a d'autres. Si on a eu l'aspect social, et bien
423
moi je vous dis « qu'être adulte c’est encore autre chose, mais quoi d'autre ? ». Ou même oser
424
dire une idée « les adultes, c’est tous ceux qui ont des enfants » et là, il y en a un ou deux qui
425
vont réagir et dire : « ah ben non, ma voisine elle n’a pas d'enfants mais elle est quand même
426
adulte. » Donc, avoir des enfants c’est pas forcément un critère ? Donc là, le but est vraiment
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dans le concept, car on essaie de trouver le critère qui détermine ce qu’est un adulte. Il y en a
428
qui m’ont dit « c’est quand tu vis dans ton propre chez toi », et là si personne réagit, tu peux
429
dire « Mais si on donne de l'argent pour payer l'appartement, c’est vraiment être adulte ? »
430
« Ah ben non. » « Donc est-ce qu’avoir son propre chez soi est un critère ? », « Non », et on
431
élimine. Ce qu’on peut faire, je l'ai pas fait comme ça, mais tout noter ce qu’ils disent et après
432
discuter, et on débat, on voit que ce n’est pas un critère, on le barre. 18 ans, bah oui, c’est vrai,
433
c’est un fait. On voit que d'un point de vue social, c'est vrai, mais pas dans le concept adulte.
434
Alors là on mettra social. Ok, mais dans le concept adulte, non, on n’est pas ok et ainsi de sui-
435
te. Mais on ne va pas demander « qu'est-ce qu'un enfant », car forcément on sera à contrario,
436
mais voila. Après on revient au sujet de base.
437
Oui, justement après ils sont partis dans raisonnable, responsable.
438
Oui, c’est bien.
192
439
Du coup, j'avais trop…
440
C’est pour ça qu’il faut écrire « Adulte, c’est être raisonnable, responsable », paf, paf, et tu
441
reprends : bon raisonnable, tu prends une autre feuille java qu'est-ce qu'être raisonnable ? Et
442
puis ça peut prendre 3 semaines, un mois, deux mois. S’il faut définir tous ces concepts, quitte
443
à revenir trois mois après, et dire : « bah dis donc, maintenant on a vu tous ces concepts » et
444
faire une espèce d’institutionnalisation, bah voila être adulte, c’est ça, ça, ça, ça.
445
Ils gardent une trace ?
446
Non, je garde les feuilles java simplement, et il m'arrive de les ressortir
447
Et quels conseils vous donneriez à une enseignante comme moi ? Qui commence ?
448
Donc, savoir dans quel axe on est, car si on est dans l’axe vidéo, ressortir le thème, le messa-
449
ge. Et puis la question que je trouve intéressante : est ce qu’on a manipulé ou pas ? Si on est
450
dans la citation, première chose, être sûr que les enfants ont compris tous les mots, donc là
451
t’es obligée de définir tous les mots de la citation, et seulement quand tout est défini tu peux
452
commencer à débattre. Mais ce qui est intéressant, c’est que déjà dans la définition il y a du
453
débat, donc t’es en philo, pour moi t’es en philo. Le concept, bah là, définir le concept, et dans
454
le concept souvent il y a plusieurs définitions à avoir, et ce n’est pas grave si tu prends un
455
mois. Ce qui est important, il me semble, c’est prendre le temps, car le but c’est que les élèves
456
réfléchissent et qu’on arrive à entrer dans le concept. Si ça prend un mois, ce n’est pas grave.
457
Ton objectif est là, ils ont débattu, réfléchi et conceptualisé.
458
Le rôle de l'enseignant change-t-il par rapport à une leçon de math ou français ? Qu’est-ce
459
qui change ?
460
Ce qui change c’est que l'adulte pose des questions de relance et donne pas son avis, ça c’est
461
important, un adulte donne pas son avis. Et surtout, ce qui est différent, c’est que c’est les en-
462
fants qui font avancer le cours. C’est les élèves qui parlent, nous est on est là juste pour relan-
463
cer, ou reformuler, et que ça soit clair pour les autres camarades. Je ne sais pas si ce que je dis
464
est juste, si ça va avec la théorie.
465
C'est intéressant. J'ai vu aussi une autre enseignante et puis ils sont beaucoup plus théori-
466
ques, où elle a des questions précises pour la conceptualisation pour argumenter, contre
467
exemplifier, faire des hypothèses et après les hypothèses il y avait les présupposés aussi et
193
468
c’était vraiment beaucoup plus, pas plus poussé, mais tout ça sans qu’elle intervienne, c’est
469
vraiment intéressant. Mais c’est intéressant de voir aussi un autre point de vue.
470
Oui, moi je dis la théorie je l’ai vue plus ou moins, mais je garde en tête les objectifs et si les
471
élèves arrivent à réfléchir, conceptualiser et débattre ça me suffit. Après peut être que ce n’est
472
pas assez loin, hein, je ne sais pas. Pour moi, c’est important qu’ils conceptualisent, qu’ils
473
prennent de la hauteur sur le sujet et qu’on ne soit pas seulement dans l'exemple, sinon ce
474
n’est pas réfléchir, c’est juste raconter sa vie. C’est vraiment dans un but de conceptualiser un
475
sujet, une notion. Le truc, c’est que toi tu connais déjà ton sujet. Soit je prépare, car je ne
476
connais pas le sujet, soit tu connais quand même et tu relances de façon à ce qu’ils réfléchis-
477
sent plus loin. Etre adulte, c’est grand oui, mais on va plus loin que ça, quoi.
478
Du coup là c’était plutôt une mauvaise animation ? Ce n’est pas une question de jugement,
479
hein, c’est vraiment pour trouver le point clé qui pose problème.
480
Moi, le contexte pose pas problème, ce n’est pas grave si l’enseignante pose pas le contexte.
481
Par contre ça aurait dû être discuté. Vous voyez cette image... tu peux ne rien dire, ce n’est
482
pas ça qui me choque. J'aurais fait comme ça d'ailleurs, je leur aurais montré une image,
483
qu'est-ce que vous en pensez ? Quel est le thème ? Et puis là, ben le débat commence déjà,
484
hein. Quel est le message ? Le thème, la guerre, message, la paix. Jai pas la science infuse et
485
puis je trouve bien l'idée, mais je l’aurais pas fait, je n’aurais pas fait écrire. Mais la colonne :
486
« qu'est-ce que la guerre ? » j’aurais fait avec eux, j’aurais conceptualisé. Tu peux commencer
487
comme ça, montrer la vidéo et dire le thème c’est la guerre, mais avant de passer au message
488
dire : « on va d’abord réfléchir qu'est-ce que la guerre », et c’est avoir en tête qu’il y en a plu-
489
sieurs formes. Car quand on dit guerre, les gens pensent mitraillette, char d'assaut, point. Mais
490
en fait, on se rend compte que là, pour moi, on est dans une guerre une troisième guerre mon-
491
diale, car il y a quand même une idée qu’il y a un état contre un autre, l'état islamique contre
492
l'état occidental et il y a quand même un conflit. Il y a des gens qui meurent. Après voilà, il
493
faudrait voir, mais je trouve intéressant de conceptualiser. Mais, à ta place, je reprendrais ça
494
avec eux, et leur dire « vous vous rappelez, je vous avais montré l'image », soit commencer
495
par qu'est-ce que le thème, ou alors reprendre la feuille et on va travailler sur le concept de la
496
guerre. Et tu dis le mot « concept ». « Est-ce que vous savez ce qu'est un concept ? » « Un
497
concept c’est quand on essaie de définir une notion, un peu comme un dictionnaire quoi, et
498
donc de s'éloigner des exemples.» Peut être ça va t'amener gentiment à « qu'est-ce que la
499
paix ».
194
Demande de renseignements complémentaires par mail
500
Pourriez-vous m’indiquer
501
Le degré scolaire de votre classe actuellement ?
502
6p
503
Le nombre d'année d'enseignement total ?
504
2 et ½
505
Le nombre d'année de pratique du dialogue philosophique en classe ?
506
2 et ½
507
De plus pourriez-vous me redonner des précisions sur ces quelques points ?
508
Quelles sont vos interventions lors du dialogue philo et dans quel but ?
509
Suite à notre discussion, je me suis un peu auto-analysée.
510
Le sujet : « Qu'est-ce que l'amour ? » Ils étaient tous assis en cercle. Je leur ai demandé
511
"Qu'est-ce que l'amour?" J'ai écrit sur une feuille Java le titre.
512
D'emblée, ils m'ont dit que l'amour "amitié" n'est pas le même que l'amour "papa-maman" et
513
l'amour "frère et sœur". J'ai cru bon de leur donner le bon vocabulaire. Je leur demandais
514
"Comment ça s'appelle l'amour des frères et sœurs? " Evidemment, ils ne savaient pas et je
515
leur donnais la notion: "amour fraternel". Très vite, je leur ai fait remarquer qu'il y avait diffé-
516
rentes sortes d'amour. On a essayé ensemble de les citer: amour filial, dans lequel on a l'amour
517
maternel, paternel, fraternel. Amour "amitié" ; Amour "couple" ; Amour "passionnel".
518
En citant les différentes formes d'amour, on a vu qu'il y avait différentes manières d'exprimer
519
l'amour. Je leur ai demandé: citez-moi différentes manière d'exprimer l'amour? Ils m'ont vite
520
répondu qu'il y avait les bisous, l'écoute, les cadeaux.... J'ai essayé de faire émerger deux au-
521
tres : agir pour l'autre (aider par exemple), et complimenter. Mais ces deux-là, ils n'ont pas
522
trouvé, même avec des questions de relance: "mais quand on aime quelqu’un, on peut essayer
523
de lui dire des gentilles choses, non? Quand on aime quelqu’un un on peut l'aider, etc."
524
NB: pour l'amour passionnel, je leur ai expliqué qu'en latin, "passio" veut dire "douleur" et
525
que par extension, aimer passionnément, on serait prêt à souffrir pour l'autre. Genre Roméo et
526
Juliette.
195
527
Plus tard, j'ai voulu leur donner encore une autre forme d'amour : l'amour altruiste. C'est aimer
528
en aidant les autres. Je leur ai demandé "Donnez-moi des métiers altruistes". Ils ont facile-
529
ment réussi à me dire: pompier, policier, ambulancier, médecin, infirmière, etc.
530
Bref, voilà en gros mon cours. Pour être honnête avec toi, je ne suis pas très satisfaite de cette
531
leçon. En effet, je pensais que c'était une bonne idée d'enrichir le cours par des mots de voca-
532
bulaire soutenu, mais cela a impliqué que je me suis "trop" investie dans le dialogue pour faire
533
émerger le vocabulaire. A la fin, j'en avais clairement perdu quelques uns, donc résultat nul.
534
Ma crainte était de tourner en rond, à savoir l'amour c'est: papa-maman, frères et sœurs et
535
homme-femme.
536
Pourtant, lors du débat, une question s'était posée : est-ce que l'amour est éternel? (question
537
qui a émergé lorsqu'une fille a dit : oui c'est éternel, et une autre fille a réagi en disant que
538
non), j'aurais pu plus aller dans ce sens pour créer un VRAI débat. Je ne sais plus comment,
539
mais je me rappelle avoir posé la question : est-ce qu'on peut ne PAS aimer ses frères et sœurs
540
ou ses parents ? S'en est suivi une discussion intéressante. Ceux qui étaient d'avis que même
541
s'ils font des "crasses", on les aimera de toute manière. D'autres n'étaient pas d'accord. Je me
542
rappelle d'un qui a dit : « si mon papa ou mon frère était emmené en prison, je ne l'aimerais
543
plus".
544
Je ne sais plus comment ça s'est terminé, mais une chose est sûre, je suis passée à autre chose
545
parce que l'oncle d'un de mes élèves est en prison et cet élève était par conséquent très mal à
546
l'aise.
547
Qu'est-ce que serait un enseignant qui pratique bien la philosophie en classe avec ses élèves ?
548
Peut-être que certaines questions ont été traitées lors de notre entretien, mais je désire les
549
reposer de manière plus précise.
550
Je commence toujours mes cours sous trois axes différents:
551
1. Une question de concept: Qu'est-ce que l'amour?
552
2. Une citation: "Examine si ce que tu promets est juste et possible, car la promesse est une
553
dette". (Confucius).
554
- poser des questions de vocabulaire pour s'assurer que tous aient compris le sujet de débat.
555
- débattre : pour ou contre. Etayer ses arguments. But : essayer de convaincre son interlocu-
556
teur et exercer une autocritique de ce qu'on pense.
557
3. Lire un texte philosophique, ou regarder une photo, ou regarder une vidéo. Exemple : pub
558
Molfina http://www.famili.fr/,la-nouvelle-pub-always-lutte-contre-les-stereotypes,444747.asp
196
559
- En ressortir le thème, qui est le destinataire, qui est l'émetteur, quel est le message, quelle est
560
la morale ... question subsidiaire: visée du publicitaire? Est-ce qu'on a dicté le comportement
561
des enfants filmés? Pourquoi un message moralisateur pour une pub ? Etc.
562
Je ne sais pas véritablement ce qu'est "BIEN" pratiquer la philosophie. Je sais qu'il y a plu-
563
sieurs courants de pensée.
564
Celle de J. Lévine : les enfants doivent s’identifier comme un sujet pensant, ayant une pensée
565
propre. L’enseignant n’interviendra que très peu car les dispositifs reposent sur l’expérience
566
du cogito.
567
Celle d'Oscar Brénifier : dans cette méthode, qui se base sur le questionnement, l’enseignant
568
guide énormément les élèves pour les amener à une réflexion progressive et logique. Ceux-ci
569
expriment une pensée et se questionnent eux-mêmes sur sa validité, grâce aux sources des re-
570
présentations.
571
Celle d’Alain Delsol : les finalités de cette méthode se rapprochent de celles de la méthode
572
Lipman. Les élèves expriment leur pensée avec le soutien d’un groupe de pairs. A l’intérieur
573
de ce groupe, des fonctions d’animation précises sont mis en place, comme la répartition de la
574
parole, la reformulation d’idées et le soulèvement des questions. Ils ont pour but de probléma-
575
tiser la discussion, de la conceptualiser et de l’argumenter.
576
Jean-François Chazerans : cette méthode est similaire à la méthode socratique, c’est-à-dire
577
que les élèves apprennent à philosopher en discutant avec des pairs, mais la présence d’un
578
philosophe est nécessaire pour susciter le questionnement philosophique.
579
Je crois que je m'inscris dans celle de Brenifier. Mon idée est que, par mes questionnements,
580
les élèves arrivent à construire une idée critique et d'autocritique sur une situation ou un
581
concept donné. Et peu à peu, ils arrivent également à élaborer un concept autour d'un mot, tel
582
que "l'amour", l'intelligence", "la liberté", etc.
583
Pour arriver à cela, je pratique presque tout le temps la stratégie discursive d'étayage.
584
Le concept d'étayage se rapporte à la théorie de Jérôme Bruner et à l'intervention de l'adulte
585
dans l'apprentissage de l'enfant. On entend, par le terme étayage : « l’ensemble des interac-
586
tions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin
587
de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ». Les diverses
588
interventions des adultes sont donc des stratégies discursives d'étayage qui s'inscrivent dans
589
une activité langagière co-construite avec l'enfant. L'adulte intervient lorsque l'enfant ne peut
590
faire face à une difficulté dans sa prise de parole et doit faire en sorte de l'aider, grâce à des
591
stratégies discursives étayantes, afin que l'enfant puisse continuer à être actif dans le dialogue.
197
592
Les reformulations consistent à reprendre des énoncés antérieurs de l'enfant et d'en perfec-
593
tionner la forme ou d'en préciser la signification. L’enseignant doit formuler les pensées des
594
élèves de façon plus claire. Ainsi, contrairement aux reprises-répétions les reformulations exi-
595
gent la modification d'un énoncé qui se retrouve alors « paraphrasé ».
596
Les questions servent, par la demande de l'adulte, un contrôle syntaxique, sémantique et
597
pragmatique. Elles permettent d'obtenir une meilleure planification. Les questions sont toutes
598
les phrases marquées par une interrogation, et les actes de questionnements marqués par une
599
intonation montante à la fin des phrases. Elles jouent un rôle important en ce qui concerne
600
l'étayage à travers l'acte de questionner et elles sont une stratégie d'étayage dominante pour
601
faire avancer l'activité discursive.
602
On peut distinguer diverses sortes de questions selon leur degré d’ouverture et leur visée. Les
603
questions ouvertes définissent un champ large. Le but des questions ouvertes est de faire
604
avancer l'activité discursive. Les questions partielles définissent un champ topical délimité et
605
questionne, entre autres, autour du « où », « quand », « comment », « pourquoi ». Ces ques-
606
tions visent l’information ou la clarification et contraint, par conséquent, des précisions. Ces
607
questions sont utilisées dans le déroulement des activités pour viser une meilleure explication.
608
Les questions fermées sont distinguées par une réponse en oui ou non. Celles-ci permettent de
609
vérifier l’intercompréhension et constituent des relances. Les questions à visée suggestive
610
proposent des éléments topicaux à l’interlocuteur. Elles consistent à inclure la réponse atten-
611
due dans la question. Et pour finir les questions à visée confirmative permettent d’assurer une
612
intercompréhension maximale entre les interlocuteurs. Ce sont des reprises de l’un des inter-
613
locuteurs sous forme interrogative.
198
Entretien de Chloé
1
Donc, quelles réactions ?
2
Alors moi, j’ai une première question, c’est 45 minutes ?
3
Oui
4
Alors, la première remarque que je ferais, c’est que c’est beaucoup. Tu demandes beaucoup.
5
Après, j’aime beaucoup l’idée de passer de la vidéo, parce que d’utiliser plusieurs supports
6
c’est intéressant, surtout aujourd’hui avec l’accès qu’ils ont à l’information, au niveau
7
d’internet où oui, ils sont là- dedans depuis qu’ils sont nés. Et puis ça apporte un autre regard,
8
parce que l’image peut percuter différemment aussi je trouve. Donc ça, c’est super intéressant.
9
En plus c’est une image hyper marquante. Bon, ils la connaissaient pas, c’est ça dont tu t’es
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rendue compte. Donc effectivement, peut-être qu’il aurait fallu décrire le contexte. En même
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temps, des fois, voilà, on peut montrer quelque chose et je suis pas sûre que l’entièreté du
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contexte soit nécessaire, enfin bon, après ça c’est mon point de vue.
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Après, c’est vrai que tu es assez directive, parce que de ce que je comprends, tu veux vraiment
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qu’ils aillent dans une direction. On peut. Après, je trouve que ce qui est important de saisir,
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c’est que y a pas de juste, y a pas de faux, on peut aussi je veux dire, on peut donner une di-
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rection et voir comment ça va, pour moi y a pas de juste, pas de faux. Mais c’est vrai que du
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coup, t’aurais pu aussi dire : je vais voir comment ils réagissent par rapport à ça et je file dans
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le chemin qu’ils choisissent eux. Parce que c’est vrai que quand on a un pré-requis et qu’on
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veut qu’ils aillent là, du coup ça ferme, car tu les orientes, c’est normal, et là je peux aussi fai-
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re le lien avec la posture de l’enseignant, car c’est clair que quand on est enseignant, on veut
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aller là. On veut que ça soit cette notion qui soit apprise, qu’on a un but didactique c’est
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d’aller là. En philo, c’est vrai qu’on ne sait pas vraiment où on va aller, et suivant les ques-
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tions y a pas de réponses justes, y a pas de réponses fausses et puis on est dans… l’important
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c’est le chemin finalement, plus que l’arrivée. Après, de nouveau, c’est mon interprétation.
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Du coup là, voilà, tu les orientes. Mais ça peut se faire aussi parce qu’on peut se dire : ok, moi
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j’ai envie de travailler cette thématique là et je vais quand même orienter le chemin pour aller
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là. Ici, ils ont une vidéo, ils doivent quand même saisir à l’intérieur d’eux ce qu’il se passe,
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parce que c’est vrai que c’est quand même troublant cette vidéo, elle a suscité aussi pas mal
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de… et du coup ça a dû fuser aussi je pense, pourquoi il fait ça, pourquoi il y a des tanks etc.
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Du coup, il aurait fallu peut-être passer par un détour d’explications de la scène, « ok qu’est199
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ce que vous voyez ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi cet homme prend cette décision
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d’être seul devant des chars ? », et puis on est pas obligé de faire tout un historique. « Est-ce
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que vous avez déjà vu cette image ? Est-ce que vous en avez entendu parler ? » Etc.
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Et puis après alors, tu leur fais deviner, ça veut dire que tu as fait comment ? Tu as orienté des
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questions pour qu’ils arrivent à ce que tu voulais ?
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Oui, je leur demandais « mais quels thèmes on pourrait ressortir de là ? »
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Et ils avaient de la peine à faire des liens avec ce que vous aviez fait avant en fait ?
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Oui, moi je pensais que c’était une bonne vidéo, car elle était entre la guerre et la paix fina-
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lement et on avait parlé pas mal de la guerre et puis je voulais passer à autre chose et je
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trouvais que c’était une bonne transition sur la question de la paix : « qu’est-ce que la
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paix ? » etc.
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Parce que du coup ça, c’était quand même sorti dans vos discussions d’avant, non ? Ils par-
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laient déjà de la paix ?
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Non, ils étaient plus sur violence / non-violence. Le fait que la coordinatrice dit que je prends
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position en hochant la tête… ?
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Bon, c’est un petit peu extrême je trouve.
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Parce que j’ai essayé de refaire la semaine dernière sans bouger, c’est difficile. Enfin auto-
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matiquement on va dire : oui, je ne sais pas…
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Mais ne serait-ce que pour valoriser la parole de l’enfant, il me semble que c’est nécessaire
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de… Parce qu’on peut imaginer un élève qui ne prend jamais la parole et d’un coup va es-
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sayer de s’exprimer, si tu lui montres un tout petit peu que tu es écouté par le groupe, que le
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groupe est là pour que ta parole soit entendue, euh bon il risque de dire « bon j’ai lâché ma
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phrase et y a rien qui… », enfin voilà. Alors je pense que ca aurait été plus flagrant si t’es en
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accord avec sa pensée « oui, oui, c’est très bien, oui », que si tu es pas d’accord « ah non, non,
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alors ça non, ce n’est pas juste », et il me semble que t’as pas été là-dedans quand même. Et le
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« on l’écoute ce qu’il dit est intéressant (lis la phrase de la SEC) c’est….
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Là, elle disait que ça voulait dire que ce qu’un autre disait ce n’était pas forcément intéres-
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sant par rapport à lui.
200
59
Alors, je ne suis pas sûre que derrière c’était forcément… et puis de nouveau, c’est dans l’idée
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du respect de la parole. Moi, je trouve qu’il y a quelque chose de super important quand on
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fait des ateliers philo, c’est que c’est un moment justement d’écoute, et puis là tu as des 7-8P
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ça prend longtemps en plus d’installer ça. Et ils n’en avaient jamais fait non ?
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Oui, mais de temps en temps.
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Oui, épisodiquement. Donc là, toi, tu fais vraiment un processus où tu les as tous les vendre-
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dis. Parce que de nouveau, si on fait de la philo là, de manière épisodique, ah tiens j’ai 45 mi-
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nutes je sais pas quoi faire, ah tiens je vais faire de la philo… non le dialogue philosophique
67
ça se construit et c’est quelque chose qui est long et lent surtout… enfin, quand tu lis, que ça
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soit Mathieu Gagnon au Québec, enfin ils ont des programmes qui s’étendent sur toute la sco-
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larité donc ça fait 7-8 ans que les enfants, voilà… et c’est une fois par semaine, mais ils ont
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baigné là-dedans. Et ne serait-ce que s’écouter les uns les autres. Au début c’est difficile. Je
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veux dire, ils sont tous autocentrés : c’est moi, moi, moi, moi je, moi je, moi je. On a une jux-
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taposition comme ça de points de vue et y a aucun lien qui est fait. Ca ne tombe pas du ciel
73
comme ça. Pour le faire aussi avec des adultes, avec les adultes y a moins ces phases là, parce
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qu’ils savent les parties prenantes, il sait l’adulte quand il va à une CRP, je vais là-bas pour
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ça. Un enfant qui est à l’école, il n’a pas vraiment le choix d’être à l’école. Donc d’un coup on
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fait du français, d’un coup des maths ou de la philo… donc ça prend du temps à instaurer.
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Après moi je pense qu’il faut quand même faire avec ce qu’on est aussi. Enfin, au vu des in-
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terventions que tu fais, pour toi c’est important de valoriser la parole contenue… moi, je te
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dirais qu’il faut être aussi avec comme on est, parce que si maintenant tu te bloques, les en-
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fants le sentent aussi.
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Après moi, le moment de la semaine où tu le fais… Alors voilà, on a les horaires qu’on a, on
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fait comme on peut, mais c’est sûr que le vendredi en dernière période y a mieux. Parce que
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forcément, ils sont peut être pas… après de nouveau, on peut se dire « alors ça voudrait dire
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qu’on doit faire de la philo entre telle et telle heure », mais on sait que cette période en règle
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générale, c’est une période où ils ne sont pas super productifs et ils ont qu’une envie c’est que
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ça sonne, et voilà, donc peut être que tu ne réunis pas toutes les conditions déjà avant pour
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que ça se passe. Après de nouveau, tu fais ça depuis le début de l’année, là on est en février et
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j’ai aussi vécu des grands, grands moments de solitude. Tu finis ta séance et tu te dis : qu’est-
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ce qu’on a fait là ? Et quand tu reviens après, y a des fois où ça marche super, des fois où ça
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marche pas, et des fois où c’est dur de dire exactement que ça a pas marché. Et moi, je me
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souviens quand je discutais avec Alexandre Herriger, bah on a tous un peu ce même constat
201
92
des fois on est là « waouh, c’est bon ça a trop bien marché », et des fois « ohlala, noooon ».
93
Mais là, tu connais le film « Ce n’est qu’un début » ?
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Oui, je l’ai vu.
95
Bah là de nouveau, tu vois la prof des fois elle sort à la récréation, elle dit « waouh, c’était
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génial, parce que lui a dit ça et l’autre a rebondi sur ça», et des fois elle est là « oh non ! » Je
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pense que ça, voilà, des fois y a un côté où y a un lâcher prise qui est nécessaire et des fois ça
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prend des fois pas et ça dépend des thèmes qu’on aborde et toi déjà t’avais l’impression que le
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thème s’essoufflait un peu et y a plein de choses en lien avec ça.
100
Après, j’aime bien l’idée que tu donnes des rôles : distributeur de parole, le secrétaire, le gar-
101
dien du temps, et en plus ils adorent.
102
Bon là, j’ai dû retirer parce que le secrétaire me disait « oula, je note quoi, il y a trop ».
103
Oui, mais de nouveau, ça prend du temps qu’ils apprennent à savoir, et ça dépend des enfants,
104
de ce qui est important ou pas. Et même nous quand on le fait, moi souvent je prends beau-
105
coup de notes dans la séance et des fois, c’est sûr, que tu fais forcément un tri, et après y a
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toujours l’idée d’utiliser un tableau ou une feuille java etc. Euh c’est sympa à faire quand tu
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fais de la co-animation, parce que quand t’es deux à animer, il y en a une qui peut gérer le
108
tour de parole et tout, l’autre qui pendant ce temps note, et après t’as une trace, c’est sympa
109
aussi. Après, le faire seul, je le fais parfois, mais faut gérer parce que finalement t’es de dos à
110
certains moment, puis t’es pas dans le groupe, des fois oui. Il y a vraiment des pour et des
111
contre et après ça dépend aussi si on est, ça à nouveau c’était une discussion avec Alexandre,
112
où pour lui il n’utilise pas le tableau car déjà c’est illisible, et après il en met partout sur le ta-
113
bleau et y a personne qui comprend rien, enfin on a chacun sa… moi, je sais que je suis assez
114
visuelle, et ça m’aide. Mais de nouveau là, c’est ta manière de faire. Moi, je sais que j’écris
115
avec des flèches partout, et ils s’habituent, ils savent que moi je fonctionne comme ça, j’aime
116
bien et ils vont dire « ah non, mais là rajoutez un lien à ça parce qu’on avait dit que … » De
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nouveau, c’est des manières de fonctionner, mais ça vaut la peine de tester. Tu peux te dire un
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jour, bon bah ok, là on fait, euh, on y va : un fait - un truc sur le tableau, on verra bien ce que
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ça donne. Moi je fais des dessins, enfin on se trouve avec… mais ils aiment bien, après il faut
120
aussi se dire : bon je garde pour la séance d’après, est-ce qu’il y a des nouvelles choses qui
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peuvent sortir ? Et ce qu’on peut reprendre. Ok, on a vu que ce lien là était super intéressant,
122
est-ce qu’on creuse encore là-dedans ou est-ce que… mais ça, ça peut être une idée, aussi tu
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peux essayer une fois… il faut essayer finalement, faut faire des tests quoi, faut tester. Puis-tu
202
124
va te dire, non c’est pas du tout pour moi, je gère pas du tout parce que s’il faut donner la pa-
125
role, s’il faut en plus que j’écrive au tableau, enfin voilà. Et du coup ça, on peut se dire aussi
126
que quand la gestion de la parole se fait vraiment hyper bien et que j’ai presque même plus
127
besoin de donner la parole et que C. par exemple, elle t’a peut-être parlé, mais elle bientôt…
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elle est complètement, c’est assez génial parce qu’ils sont tellement habitués à en faire que la
129
parole circule super bien, donc là, elle, d’ailleurs elle prend des notes, elle a des cahiers gigan-
130
tesques de ce qu’il se passe dans ses séances, mais voilà… C’est parce que aussi ça fait des
131
années qu’elle en fait et ses élèves ils l’ont pendant trois ans, donc ils savent exactement.
132
C’est le gros problème et c’est un des points noirs de la philosophie pour enfants, c’est qu’il
133
faudrait réussir à ce que ça soit inscrit : il faut former les gens. C’est un challenge, c’est un
134
vrai challenge. Donc de nouveau, si tu as l’occasion de voir Michel Sasseville ou Mathieu
135
Gagnon, alors eux voilà, c’est des programmes. Après eux, au Québec, c’est comme en Belgi-
136
que, ils ont une heure dans le programme qui est pour ce qu’ils appellent la morale où voilà,
137
du coup la philo s’est instaurée là-dedans, et nous on a cette heure de formation générale voi-
138
là. Mais pour l’instant, il y en a qui font des conseils de classe ou alors qui leur manque une
139
heure de français, je suis la première à le faire, hein. Mais c’est vrai que l’idée que c’est un
140
processus, et c’est lent, et des fois c’est frustrant. On a envie de se dire, là ça va marcher su-
141
per, et blablabla, et puis non et il faut… Et puis au début, y a un côté quand je commençais,
142
aussi je voulais que ça aille comme ça, mais ça c’est une déformation finalement, c’est une
143
déformation professionnelle, euh on est formaté pour qu’on sache qu’ils fassent ce chemin,
144
celui-là et qu’ils arrivent. Puis là, et ben en philo, tu ne peux pas faire ça. Et une qui est hyper
145
à l’aise là-dedans c’est C., parce qu’elle a vraiment un lâcher prise où, mais en même temps,
146
c’est un lâcher prise certes, mais l’idée ce n’est pas que ça soit une discussion de café, parce
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qu’on n’est pas au café du commerce : et puis moi ma grand-mère, et moi c’était mon grand-
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père, et moi mon chat. L’idée c’est vraiment de dépasser le particulier pour arriver à générali-
149
ser et à faire des liens. Et y a toutes ces habiletés de pensée qui sont décrites et on se dit «oh,
150
mais comment faire ? Est-ce que là, il m’a donné un contre-exemple ? » Après, moi ça m’est
151
arrivé aussi, alors pour ça les romans de Lipman, c’est vrai que je les adore pas parce que je
152
trouve que la traduction est pas bien faite, que parfois c’est un peu vieillot et qu’ils ont quand
153
même un peu de la peine à s’identifier car il y a beaucoup de choses qui sont par rapport à
154
l’Amérique ou Amérique du nord. Je crois que c’est dans Harry où il y a un lever de drapeau
155
et ils te regardent tous « un lever de drapeau ? », et il y en a un qui refuse de se lever au lever
156
de drapeau et les élèves te demandent « de quoi il cause ? » Et des fois, voilà, il y a des situa-
157
tions, voilà… Mais par contre ils ont été conçus pour que ces habiletés de pensée puissent être
203
158
exercées et aborder les grands thèmes de la philosophie. Donc c’est vrai que ça c’est aidant,
159
parce que finalement ce n’est pas que ca émerge tout seul, mais ça va émerger. Et je ne sais
160
pas si tu as vu les guides didactiques, mais pour chaque roman c’est un machin comme ça, et
161
il y a des tonnes d’exercices de relances et de choses que tu peux tu peux utiliser toi pour pré-
162
parer tes séances et qui sont super riches quoi. Et puis au moins, tu sais que si tu veux travail-
163
ler tel truc ça va t’aider, tu vas avoir du matériel, et moi ça m’arrive pour des séances de faire
164
des exercices où on cherche des contre-exemples, oui, ou voilà. Ou on fait des distinctions. Je
165
me rappelle une fois, avec des petits, on travaillait sur, on avait fait toute une séance sur les
166
distinctions et du coup on appuie vraiment là-dessus. Là du coup, c’est vrai que t’es hyper di-
167
rectif et tu fais un entrainement et là t’as plus la casquette de l’enseignant car tu veux qu’il y
168
ait quelque chose qui sorte. Mais des fois j’aime bien faire ça aussi et qu’ils voient que, et voir
169
les répercussions « ah, mais là on a fait une distinction », « ah, il a donné un contre-exemple.»
170
Donc moi, je sais que je fais aussi, ça m’arrive d’entraîner les habiletés de pensée et je te ca-
171
che pas après, que y en a que moi je ne maîtrise pas, puis t’es pris dans le truc, alors tu dois
172
gérer pour les entraîner vers ça. Enfin voilà, on n’a pas en plus une formation philo, donc
173
c’est vrai que c’est quand même un plus d’avoir quand même dans la tête et c’est souvent
174
dans les relances.
175
Voilà, les relances c’est ce qui me bloque. On a fait la semaine derrière sur « Qu’est-ce qu’un
176
adulte ou un enfant ?» Et sur un post-it rouge ils devaient écrire ce qu’est un enfant et sur le
177
jaune ce qu’est un adulte. Enfin c’était avec Le Petit Prince où il disait les grandes person-
178
nes, en fait, arrivent pas à imaginer ce que les enfants imaginent. Puis après, un élève m’a dit
179
« un adulte, c’est quand on a 18 ans », et du coup on m’a sorti ça et je voulais dire non, mais
180
oui, mais j’étais bloquée et j’ai dit « qu’est-ce qu’on pourrait dire d’autre ? ».
181
Bah, des fois c’est juste d’ouvrir : « Alors pourquoi toi tu considères qu’un adulte c’est juste à
182
18 ans, est-ce que …pourquoi ? » Moi, je sais que je m’étais fait une liste des mots interroga-
183
tifs qui aident, et moi quand j’anime souvent, j’ai plein de matos autour de moi. Parce que oui,
184
puis j’ai ma petite feuille, et voilà ça t’aide juste à faire ta relance et finalement dans la prépa-
185
ration aussi de se dire : bon ok, si ça va dans ce sens là, j’amène ça, ça, ça. Et si ça va dans un
186
autre, alors j’amène ça. Moi souvent aussi ce que je fais et d’ailleurs j’aime bien, parce que tu
187
fais quand même une synthèse, hein ? Ils ont fait un truc écrit. Ca, c’est super intéressant, car
188
à mes débuts, je sais que c’était ça mon gros problème. C’est que j’étais prise par le temps,
189
puis cinq minutes avant la cloche : « stop, on arrête et vite retour » et ça sonne, au-revoir.
190
C’est que souvent, j’étais souvent prise par le temps pour faire un retour, mais que parfois les
204
191
retours, ils sont même plus intéressants que la séance en elle-même. Et puis des fois, même
192
quand tu vois que la séance prend pas ou que voilà, ou qu’il y a une mauvaise écoute, bah
193
stop, on arrête voilà et puis, mais pourquoi ? Pourquoi ça ne marche pas ? Qu’est-ce qu’il se
194
passe ? Et souvent ils savent assez bien te dire. Après oui, mais c’est parce que machin fait
195
que gnagna, ou autre. Mais ça peut être intéressant parfois de « ok, qu’est-ce que vous avez
196
ressenti par rapport à cette séance ? » Et moi j’aimais bien « Avec quoi vous repartez ? » Pas
197
forcément « Qu’est-ce que vous avez appris ?» Mais du coup là, on tourne dans le scolaire.
198
Donc « avec quoi vous repartez ? », et puis effectivement ouvrir sur la question d’après, et
199
après ça dépend de toi, comment t’as géré. Et ce qui est intéressant, c’est que quand tu travail-
200
les sur un texte, souvent y a plein, plein, plein de questions qui sortent et puis on peut se dire
201
on passe, soit on peut se dire on fait la première question, on les fait dans l’ordre ou on vote
202
pour la question qui a le plus de… et ça de nouveau, c’est à l’animateur de voir comment il
203
fait et puis voilà est-ce que on les prend toutes, il y en a une qui est sortie est-ce que on prend
204
les autres pour la séance d’après ? Ou on a fait le tour de cette question et puis on dit après,
205
bon c’est bon, on passe a autre chose mais euh je sais que C., elle quand elle anime avec E.
206
elles font ça. Une séance c’est la question qui a eu le plus de vote, puis après une autre, et el-
207
les tournent sur plusieurs séances avec le même thème. Après, tu peux aussi, ils peuvent
208
s’épuiser, enfin pas s’épuiser, mais ça peut aussi tourner en rond. Et moi je sais que mon fils
209
il était dans une des classes dans laquelle C elle allait, et il me disait « oui, mais moi
210
j’aimerais connaître la suite de l’histoire parce que là c’est bon.» Mais euh, oui c’est ça, je
211
pense que ça c’est des tests à faire et la prochaine fois un vote, la prochaine fois c’est moi qui
212
choisis la question, ou « ok cette fois-ci on part sur tel thème ». D’ailleurs dans « ce n’est
213
qu’un début » c’est toujours elle qui amène le thème. Mais après, c’est vrai que du coup,
214
l’idée vient pas d’eux. Après, t’en as des purs Lipmaniens qui diront que non, ce n’est pas
215
bien. Mais je pense que déjà, à partir du moment qu’on essaie de faire quelque chose, puis
216
qu’on peut faire plein de choses différentes, et que y a pas un courant qui s’oppose à un autre,
217
et puis euh… Et puis, par exemple Tozzi lui, les rôles sont super définis et puis c’est intéres-
218
sant. Pourquoi pas essayer aussi de faire une séance comme ca ? Brenifier lui, tout d’un coup,
219
il prend un élève et puis [fait un bruit d’échange intense], puis avec un autre. Pourquoi pas ?
220
Enfin voilà, c’est des manières différentes de faire la même chose. Puis ta CP [coordinatrice
221
pédagogique] elle fait beaucoup de philo ?
222
Je ne sais pas. Elle en a fait un peu quand elle enseignait, mais je n’en sais pas plus.
205
223
Elle fait finalement peu d’interventions sur les enfants finalement, elle te fait beaucoup sur ta
224
posture en tant qu’animatrice
225
Et sinon, comment tu définirais la philosophie pour enfant ? Une petite définition courte…
226
Pour moi, c’est l’idée de faire des liens avec les idées des autres et puis de co-construire quel-
227
que chose. Et je pense que c’est ultra nécessaire dans le monde dans lequel on vit et pour eux,
228
en tant que citoyens, de réussir de se décentrer, de réussir à prendre ses propres décisions, de
229
pas être influencé forcément par ce qu’il se passe et puis c’est pas facile de mettre en doute
230
ses propres idées, et je trouve que c’est ça qui est intéressant dans la philo pour enfant. « Ok
231
tu penses ça, mais est-ce que c’est vrai ? Est-ce que ce n’est pas vrai ? Et est-ce que c’est vrai
232
parce que c’est papa qui l’a dit ? Est-ce que, enfin, est-ce que c’est seulement vrai parce que
233
c’est papa qui l’a dit ? » Ou oui, de réussir de se décentrer et de prendre en considération les
234
idées des autres, et pourquoi il n’a pas les mêmes idées que moi ? Et est-ce qu’il fait un bout
235
et moi un bout dans ma réflexion et finalement on voit qu’on arrive quand même à construire
236
ensemble.
237
Et du coup pourquoi tu fais de la philosophie avec tes élèves ?
238
Alors moi, à la base j’ai fait de la philo pour enfants totalement par hasard, parce qu’en fait
239
celle qui était responsable de ça dans mon école, elle partait vivre au Canada. Puis elle était
240
tellement positive sur ça, et je l’entendais tout le temps parler de ça, que je me suis dis : bon,
241
je vais aller voir de quoi ça en retourne parce que j’ai un peu la bougeotte, et je suis un peu
242
curieuse de tout. Puis quand même, ça me titillait cette histoire de faire de la philo avec les
243
enfants et quand j’ai vu, quand j’ai participé aux séances avec les enfants, je me suis dis :
244
« non, mais c’est juste magnifique. Il se passe des choses merveilleuses. Et puis les enfants
245
ont la parole, ce qu’à l’école ils n’ont pas. » Et c’est, clair là-dessus, les enfants on leur impo-
246
se tout et l’autre jour on a fait une séance sur la liberté et à un moment donné, bah il y a en a
247
un qui dit : « bah à l’école, on est pas libres. » Et puis je me suis dit « Est-ce qu’il y a des
248
moments à l’école quand même où vous vous sentez libres ? » Evidemment, à la récréation, à
249
la gym, je m’attendais un peu à ça, quand je fais du dessin ok. C’est marrant, quand je fais des
250
maths y a personne qui m’a dit ça. Euh après y en a quand même qui m’a dit « quand je fais
251
mes devoirs », alors là, bon [rires], non je ne suis pas enseignante là. Tu sais certains ils ont,
252
je fais un détour, ils ont tellement bien compris le rôle de l’école et leur posture en tant
253
qu’élèves qu’ils doivent se formater aux attentes de l’enseignante, qui doivent répondre parce
254
que je veux être dans le plaisir de l’enseignante, dans ce qu’elle désire, que tout d’un coup
206
255
quand on les met face à réfléchir eux-mêmes, ils sont totalement perdus, pas perdus mais dé-
256
sarçonnés, et tout d’un coup ils savent plus ce qu’on attend d’eux, parce qu’on attend eux-
257
mêmes. En fait moi, j’ai remarqué, très, très souvent, que c’est les élèves les plus scolaires, les
258
meilleurs, qui aiment pas participer, et puis bah y a un moment donné y a un de mes petits ter-
259
ribles de ma classe qui dit « non, mais on va arrêter avec ça parce qu’à l’école on est pas libre,
260
on est dans un cadre toute la journée, alors faut arrêter de dire qu’on est libre à l’école, c’est
261
pas vrai.» Ensuite, on a pu enchaîner là-dessus, mais ça m’étonnait juste pas que ca vienne de
262
lui. Mais c’est des moments où lui il arrive à exprimer… et souvent il fait avancer la discus-
263
sion, parce qu’il n’est pas dans la réponse attendue aussi. Donc moi, pourquoi je fais de la
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philo, c’est aussi pour ça. Je me souviens aussi de, c’est Michel Sasseville qui racontait ça, il
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a été faire une présentation dans une école je sais plus où et il avait fait un moment de philo
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avec les élèves et les profs regardaient. Ca se passait super bien et d’un coup y a une prof qui,
267
à la fin de la séance part en larmes, puis bon, il était un peu gêné, et elle disait « oh mais c’est
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Kevin, Kevin… » Et il dit « oui, mais qu’est-ce qu’il se passe avec Kevin, c’était super effec-
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tivement… » C’était un petit chou qui avait vraiment fait, voilà, et elle lui dit « ah, mais vous
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vous ne rendez pas compte, tous les problèmes qu’il me pose, il est en échec, j’ai toutes les
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peines du monde à le faire entrer dans la tâche, il met les pieds au mur pour tout.» Et puis en
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fait, juste de le voir autrement, ça l’avait tellement touchée qu’elle en était aux larmes et je
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crois que c’est aussi ça, ça apporte un autre regard. Et puis finalement, pour l’enseignant c’est
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parfois dérangeant d’être dans cette posture d’animateur, parce que c’est pas tout facile mais
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ça fait du bien un peu de pas rester, de pas être tout le temps dans juste la transmission du sa-
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voir, cette co-construction est hyper intéressante. Et moi je ne sais pas, je suis comme les élè-
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ves, je ne sais pas plus que toi et je ne viens pas avec mes savoirs « alors l’amour c’est tatata-
278
ta… » Et puis finalement, c’est aussi intéressant pour eux de se rendre compte que ok, l’adulte
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sait pas tout le temps tout, et puis l’admettre : « attends, moi je sais pas plus que toi, mais on
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va aller ensemble, on va y arriver. » Et puis je trouve que ça c’est hyper intéressant qu’ils
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aient du recul là aussi.
282
Et puis les objectifs que tu mets derrière ? Parce qu’il y en a qui le mette dans français,
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d’autres dans citoyenneté, formation générale.
284
Alors, y en a qui le mettent, oui c’est du débat oral, on est dans le français 1 ou débat réflexif,
285
confrontation d’idées. Oui, je pense que je le mettrais plus là dedans. Mais il y a plein de liens
286
qui peuvent être faits avec approches transversales aussi : penser sur ses idées, réfléchir sur
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son savoir, d’où je sais ce que je sais ? Et ne serait-ce que, j’ai fait des séances où on travail207
288
lait juste sur la formulation de la question, soulever tous les implicites. Donc oui, je pense que
289
si on peut faire des liens, c’est plus avec le français, ce qui est induit, explicite, implicite et
290
puis les différents types de raisonnement qu’on peut avoir.
291
Et après, au moment clé de l’animation, tu te places comment ? C’est quoi tes intentions ?
292
Moi, je trouve que l’animateur est là pour guider, relancer, reformuler et la reformulation est
293
super importante, parce qu’elle permet de faire un point à un moment donné. « Ok, on en est
294
là, on a eu ça comme idée et ça, mais on a vu ça aussi, ça serait peut être intéressant de pous-
295
ser par là.» Donc la reformulation, je trouve que ça c’est une des clés de l’animation souvent.
296
Reformulation, oui, j’ai mis en évidence pour faire avancer la discussion, recentrer, approfon-
297
dir, développer, affiner : « Mais là, qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis nanana ? » Voilà,
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c’est pas : « Est-ce que tu veux dire que nanana ? » C’est : « Toi, qu’est-ce que tu veux dire
299
quand tu dis qu’on est un adulte quand on a moins de 18 ans ? » Ca, ça serait peut être la pha-
300
se d’avant. Et puis finalement, en faisant une reformulation et synthèse, ça rebondit forcé-
301
ment, ça relance forcément, il y a des nouveaux questionnements. Après, je pense surtout au
302
début, le donneur de parole c’est important aussi d’aller chercher un peu le timide.
303
Justement l’élève timide, est-ce qu’on le force d’un côté ?
304
Moi, j’essaie jamais de les forcer, mais j’essaie souvent de les chercher : « Puis toi, qu’est-ce
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que t’en penses ? » Ca prend, ça prend pas, tant pis, il restera dans l’observation. Après ça
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peut être « Ok, bah toi qui es pas beaucoup intervenu, qu’est-ce que tu as observé ? » « Ah
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bah moi, j’ai vu ça, puis ça, mais après il s’est passé ça. » Bon, ils peuvent être complètement
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décrochés, on est d’accord. Mais souvent ils observent quand même ce qu’il se passe et je sais
309
que chez les tout petits parfois, j’en ai qui décrochaient pas un mot et après j’ai les parents
310
« Ah, vous avez parlé de ça en philo, parce qu’à la maison blablabla… » Alors je me dis bon,
311
c’est bon, ça a quand même… et puis je pense que par contre quand tout d’un coup ils
312
s’expriment, je leur laisse beaucoup de place, et ça effectivement j’ai vu quand Alexandre
313
anime et quand il y a une toute timide qui parle, il lui laisse vraiment une grande place. Et je
314
trouve que c’est hyper valorisant parce que sa parole est importante, mais souvent il y a des
315
leurres. Mais avec les petits, je fais souvent un exercice au tout début, je crois que c’est dans
316
Pixie, avec une corde. Donc, ils sont en cercle et avec une corde qui fait tout le cercle, et
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l’idée c’est ça le dialogue philo, c’est le cercle. Et après je dis à un élève de tirer sur la corde,
318
alors tous les autres, voilà, y en a un qui lâche, puis un autre, alors du coup on voit ce qu’il se
319
passe sur la corde, et c’est une espèce de métaphore pour montrer ce qu’il peut se passer si y
208
320
en a un qui est pas vraiment dans le groupe, ou qui tire tout le temps dans son sens, ou si y en
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a trois qui lâchent, le cercle est rompu. Et ça leur permet de visualiser d’une autre manière
322
pourquoi on fait le cercle. Après, je sais qu’il y en a qui travaillent avec le bâton de parole et
323
je trouve que ça marche bien, s’ils se battent pas pour l’avoir. Et l’idée que, chaque idée a le
324
même poids dans le cercle, ce n’est pas ton idée qui est mieux qu’une autre.
325
Et sinon au niveau de la formation ? Comment tu t’es formée ?
326
Moi, je me suis formée avec Prophilo. J’ai participé moi, pas mal en tant qu’adulte, à des
327
communautés de recherche et après, vu que je crochais bien, j’ai fait partie du comité de Pro-
328
philo. Et après je suis partie en Belgique faire une formation en philo avec Michel Sasseville.
329
Puis après, on monte aussi des formations à Prophilo, puis on participe à nos formations et
330
rencontrer des gens qui pratiquent. Alexandre, il proposait les cours à IFP, qui est l’institut de
331
formation pour les écoles privées, donc je suis passée aussi par là. Après il en propose aussi
332
au DIP. Après avec C. on faisait des échanges de pratiques. Donc c’est aussi super chouette de
333
rencontrer d’autres personnes. Et après oui, Alexandre propose aussi un cursus de certificat
334
d’animation, et du coup, c’est Prophilo qui chapeaute ça et maintenant on a même un certifi-
335
cat d’accompagnateur dans l’aide à l’animation.
336
Et quand tu prépares une leçon, tu penses à quoi ? A l’avance…
337
Souvent, je me fais moi ma petite communauté de recherche, parce que je sais qu’on va parler
338
de ça. Alors à table : « Alors en fait, qu’est-ce que vous pensez de… ? » C’est vrai qu’une
339
bonne préparation ça aide beaucoup.
340
D’accord, mais qu’est-ce qu’on prépare ?
341
Des relances. Mais effectivement, il faut que tu aies prévu par où ça va aller, donc euh oui, je
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préparais beaucoup les relances, donc si ça va par là on peut plutôt développer ça… après il
343
faut savoir la lâcher et se dire que j’avais pas du tout prévu que ça parte comme ça et finale-
344
ment, ça vient avec la pratique aussi.
345
Puis au moment de la discussion, tu es dans le cercle avec eux ?
346
Oui, travailler les habiletés de pensée ça peut être intéressant aussi.
347
Et ton rôle c’est juste de relancer, reformuler ?
348
Souvent c’est moi qui donne la parole.
209
349
Dans l’ordre ? Ou par élève pour qui tu penses qu’ils auront le meilleur rebondi ?
350
Alors, j’essaie dans la mesure du possible, que ça soit dans l’ordre. Mais si on est sur une
351
thématique, quelqu’un qui dit « Oui, mais moi, là… » Alors oui, je dis oui. D’ailleurs y a, tu
352
peux faire l’expérience aussi, mais ils ont, et c’est aussi dans Lipman, ils ont comme des car-
353
tons de couleurs différentes et s’ils ont une question c’est telle couleur, ça peut être avec les
354
différentes habiletés de pensée, mais ça peut être aussi genre rouge car je dois dire quelque
355
chose maintenant, enfin pas rouge car c’est violent, mais telle couleur c’est parce que mon
356
intervention doit être maintenant sinon ça ira plus dedans.
357
Et quand tu formalises et institutionnalises, c’est comme on a dit avant, tu fais un petit retour
358
en fait sur ce qui a été dit ? Tu gardes des traces ?
359
Oui, j’ai des javas et vu que je prends pas mal de notes aussi… mais j’ai jamais fait… J’ai une
360
copine qui fait de la philo, mais au cycle, alors eux ils ont un cahier de philo. Alors de nou-
361
veau, je me demande si ce n’est pas un biais de l’enseignant qu’il faut qu’il y ait une trace de
362
formalisation. Alors eux ils ont un cahier de philo et ils font une synthèse à la fin de ce qui est
363
sortit, de où on est parti, où on est arrivé et où on va partir la prochaine fois, ou de ce qu’ils
364
ont ressenti. Après, avec les petits, j’avais fait tout un travail sur les émotions à partir des
365
contes d’Audrey Anne, et ça travaille toutes les émotions et ils faisaient des dessins souvent
366
après la séance. Voilà, c’était une espèce de synthèse par le dessin et souvent ils aiment bien
367
faire ça. C’est vrai que ça marche bien avec les petits, mais pourquoi pas avec les plus grands.
368
Est-ce que tu vois des acquis chez les élèves ? Quand est-ce que tu te dis « Ah, là ils ont com-
369
pris ou acquis quelque chose ? » Est-ce que ça se voit ou c’est implicite ?
370
Moi, je dirais que c’est plus, peut être, une qualité d’écoute. Oui, je pense que quand on fait
371
beaucoup, que c’est une qualité d’écoute entre eux. Et puis c’est la grande question de la
372
transposition, parce que c’est super difficile de transposer. Mais finalement, on pourrait faire
373
de la philo dans tout. On fait du français, des maths, alors on y va, on fait un débat philo sur
374
ça. C’est, je ne sais pas, je n’ai pas vraiment… Ou peut-être dans la gestion des conflits. Moi
375
je sais que ça m’est utile déjà en tant que personne, j’aborde plus la même chose, les conflits.
376
Du coup ça t’apporte quoi ? Une cohésion ?
377
Oui, et d’argumenter de manière correcte, d’écouter les arguments de l’autre, de construire
378
avec la personne qui est en face de toi.
210
379
Et sinon au cours de la discussion, qu’est-ce qui te permet de dire, bah là je régule, ça avance
380
pas bien, je pars sur autre chose ?
381
Bah, quand ça décolle pas, quand on est dans la juxtaposition d’idées, d’exemples. Alors des
382
fois, c’est nécessaire parce que tu sens que là, oui c’est vrai, on travaillait une séance sur la
383
mort avec les petits, bon bah voilà il a fallu que je fasse un tour de groupe pour que chacun
384
puisse dire que quand son chien était mort ou son hamster… parce que sinon je perdais le
385
groupe. Je sens qu’il fallait que je passe par là, parce que sinon, oui, chacun devait être enten-
386
du et après on pouvait repartir dans les hautes sphères. Voilà. Mais il y a avait tout d’un coup
387
un besoin concret. Mais oui, quand tu sens que ça décolle pas et que… oui, mais de nouveau,
388
je pense qu’au début c’est normal de passer par là.
389
Quand est-ce que tu sais s’ils ont atteints les objectifs ?
390
Bah quand… [grand silence] Oui, tu remarques que certains ont plus de peine à problématiser,
391
conceptualiser, à bien sûr… mais euh, je trouve que l’importance du groupe, c’est marrant
392
moi je vois moins les individus, mais je vois la communauté et vraiment est-ce qu’on atteint
393
vraiment une communauté…. Oui, je pense qu’effectivement, quand on a dépassé le stade de
394
la confrontation d’idées en tout cas, et qu’on arrive à généraliser ce qu’on a vu, à raisonner, à
395
problématiser…
396
Et est-ce que tu te rappelles de la première fois que tu as fait de la philo avec tes élèves ?
397
Comment c’était ?
398
Ca a été beaucoup, beaucoup de fois la cata…
399
Qu’est-ce qui était beaucoup plus difficile au début et moins maintenant ? Qu’est-ce qui a
400
évolué ?
401
Je pense qu’en fait, après c’est chaque animateur qui a ses petits trucs pour faire avancer la
402
discussion, mais je pense que c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Et plus tu en fais, plus
403
t’es à l’aise, plus tu sais comment, oui, comment faire avancer. Après moi, y a un stade où
404
maintenant, il me manque plus des compétences philosophiques de raisonnement que tel à tel
405
raisonnement et là ok, j’aimerais amorcer un raisonnement qui est là-dedans et je pourrais
406
amorcer ça. Parce que, par exemple, quand j’étais en Belgique, souvent il y a aussi des per-
407
sonnes qui sont philosophes quoi, mais des fois ça passe dans les hautes sphères et je ne com-
408
prends pas un mot de ce qui est dit « Oui, selon machin-truc… » Mais en fait, ils ont de la
211
409
peine finalement, c’est toujours « selon » car ils ont l’impression qu’on va déshonorer un phi-
410
losophe en prenant son raisonnement à notre compte et il y a une sort de respect comme ça.
411
Mais je trouve que c’est ça aussi, justement avoir plus de compétences en philo. Et à Prophilo,
412
on a une personne, qui est elle prof de philo au secondaire, sur le canton de Vaud ou je sais
413
plus où, mais c’est un puits de connaissances. Et on monte des formations avec elle, où par
414
exemple le moi dans la philosophie, ou oui le vrai, ou et euh… c’est super intéressant. Et là,
415
c’est sur Platon la formation, en ce moment. Faut prendre quoi pour pouvoir apporter aussi…
416
Et quels conseils donnerais-tu à une enseignante débutante qui commence la philo en classe ?
417
Je pense que c’est important d’aller voir comment ça se passe, d’aller voir comment ça se pas-
418
se et puis on est déjà hyper seuls quand on est dans une classe et des fois il manque ce côté où
419
quelqu'un t’observe : « oui, là c’était bien si… » ou « là, tu aurais pu… » Oui, je pense que
420
c’est important de pouvoir partager quoi. C’est ultra nécessaire, en tout cas moi au début,
421
c’était hyper important et enrichissant que je puisse partager avec d’autres personnes. « Non,
422
mais là c’est parti comme ça… » Et moi, Alexandre est venu beaucoup m’observer, et c’est
423
hyper formateur et enrichissant quoi, et d’observer comment il fait, et dans les deux sens quoi.
424
Qu’est-ce que serait l’enseignant qui fait bien de la philosophie avec ses élèves ?
425
Il y a autant de types d’être animateur, que de personnes. Mais, c’est vrai que quand, enfin
426
moi, pour en avoir fait aussi pas mal avec Michel Sasseville, bah, c’est génial parce qu’il a
427
une manière de rendre la parole importante, et une écoute, et un poids à chaque idée que tu
428
amènes, et chaque petite brique participe à la construction de l’édifice et de relancer subtile-
429
ment. Oui, voilà, pour moi lui c’est le King. Après, on fait des formations avec Mathieu Ga-
430
gnon qui est une personne géniale, mais lui aussi il anime bien. Je pense qu’il faut pratiquer,
431
pratiquer et pratiquer, et je pense qu’il ne faut pas se décourager, parce qu’effectivement les
432
grandes périodes, mais si voilà, hésite pas à venir si tu veux aux échanges de pratiques de A.
Demande de renseignements complémentaires par mail
433
Pourriez-vous m’indiquer :
434
Le degré scolaire de votre classe actuellement ?
435
6P
212
436
Le nombre d'années d'enseignement total ?
437
10 ans
438
Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ?
439
5 ans
440
Ecole privée ou publique ?
441
Aujourd'hui dans le public depuis 2 ans, sinon dans le privé.
442
Quelles est la place de l'enseignant dans la pratique du dialogue philosophique ? Quelles
443
sont ses intentions ?
444
Il s'agit d'utiliser la capacité naturelle qu'ont les enfants à se questionner sur le monde, le bien,
445
le mal, le beau, le juste, le vrai... dans le but de développer une pensée critique et créative. Le
446
dialogue philo avec les enfants présuppose que l'on est plus intelligent à plusieurs et que le
447
dialogue permet la construction d'une pensée articulée, argumentée dans un cadre d'écoute et
448
de respect des opinions différentes des siennes. Pour moi, la philo pour enfant renforce les
449
enseignements faits à l'école et fait complètement partie des compétences transversales déve-
450
loppées dans le PER. Il s'agit de développer des habiletés de pensée, comme par exemple, fai-
451
re la différence entre hypothèse et certitude, donner des exemples, des contre-exemples, défi-
452
nir des présupposés, faire des comparaisons, des analogies, trouver des critères. Tout cela
453
permet de développer un discours cohérent qui peut être communiqué à d'autres.
454
Quelles sont vos interventions ? De quel type ? Dans quel but ?
455
Rendre mes élèves citoyens, leur permettre de réfléchir pour et par eux-mêmes, leur commu-
456
niquer la diversité des pensées tout en étant capable de poser un regard critique sur notre
457
monde d'aujourd'hui, leur donner enfin la parole et l'écoute, pratiquer la bienveillance. Nous
458
pratiquons une fois par semaine. Les enfants aiment ce moment et en parlent fréquemment à
459
l'extérieur de la classe, ce n'est pas un conseil de classe, nous ne réglons pas les problèmes
460
internes, cela est fait à un autre moment. C'est un moment pour penser, pour réfléchir.
461
Que doit faire l'enseignant pour permettre aux élèves d'atteindre les objectifs ?
462
Se mettre en position de transmetteur et non de puits de savoirs, changement de casquette
463
obligatoire et nécessaire qu'il n'est pas toujours facile à adopter. L'enseignant fait partie du
213
464
groupe de recherche, il est un médiateur, un facilitateur mais participe à l'élaboration d'une
465
pensée commune, critique et argumentée.
214
Entretien de David
1
Comment ça vous fait régir en deux trois mots ?
2
Je pense que vous rencontrez les mêmes problèmes qu’on a tous rencontrés lorsqu’on a com-
3
mencé, donc il n’y a pas de soucis. On est tous passé par ces situations là. C’est-à-dire cette
4
idée où on a tous été formatés dans nos études, de faire des belles leçons, avec de beaux ob-
5
jectifs qui atteignent ce qu’on veut, et là ce qu’on vous propose en pratique de la philosophie
6
selon Lipman, c’est justement complètement le contraire. C’est être capable d’accueillir tout
7
ce qu’on vous demande, ce qu’on vous propose, pardon, et d’en faire quelque chose et cons-
8
truire avec les enfants. Et ça c’est compliqué, parce que le schéma qu’on a dans la tête c’est
9
plutôt le maître vers les élèves, et là on ne se retrouve pas dans le même schéma. On se re-
10
trouve nous avec eux. Et parfois c’est compliqué de se détacher de ça. Donc voilà, ça c’est ma
11
première réaction.
12
La deuxième, vous vous heurtez à un problème qu’on gère très souvent, dont on a souvent
13
retour, c’est les bonnes questions. Est-ce qu’ils vont poser des bonnes questions ? Et c’est
14
marrant, parce qu’il y a une heure et demie, j’étais en train de raconter qu'une fois j’ai eu une
15
question qui était « Pourquoi son polo est bleu ?» Et c’est la question qui a été choisie par tou-
16
te la classe. Et quand je suis arrivé chez moi, je me suis dit "Je vais en faire quoi de cette
17
question ?" J’étais vraiment au début et je me disais : « c’est vraiment pas une bonne question
18
et je vais jamais pouvoir faire quelque chose de ça.» Alors qu’est-ce qui a changé entre le
19
moment où je pensais ça et aujourd’hui ? Bon, déjà, il y a eu beaucoup de temps qui est passé,
20
ça c’est clair. C’est la pratique, il faut faire confiance à la pratique. Elle va vous aider à com-
21
prendre et à dédramatiser, à transformer. Vous allez être transformée par cette pratique, ça
22
c’est clair. Mais il y a une chose aussi qui change, c’est que vous êtes plus, il faut acceptez
23
que vous n’êtes plus le maître. C'est-à-dire, que vous faites confiance, à la fois aux enfants et
24
à la fois au processus. Et à chaque situation, si à la fois vous savez que vous savez, eux ils ne
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vont rien faire. Si vous êtes en recherche avec eux, alors là, ils vont se mettre en recherche.
26
C'est-à-dire, votre rôle ce n’est pas de leur donner une quelconque réponse à quoique ce soit,
27
c’est d’être, de prendre ce qu’a dit Léonard pour dire « Dis donc toi, quand tu dis ça, tu ne
28
trouves pas qu’il y a quelque chose qui se ressemble ? », et sans arrêt. Votre rôle c’est que fai-
29
re des liens. Que faire des liens. Vous êtes là, ni pour juger, alors c’est mon avis, ni pour ju-
30
ger, ni pour donner les réponses, ni pour évaluer si une question est bonne ou pas bonne. Peut
215
31
être quelle est bonne, peut-être qu’elle n’est pas bonne, enfin je dirais même que toutes les
32
questions sont bonnes. Ça dépend ce qu’on va en faire.
33
Donc là il n’y a pas un point particulier qui a fait tout pécher ?
34
Pour moi, il y a un point qui pèche et c’est hyper classique, c’est que vous n’arrivez pas à lâ-
35
cher votre rôle et ça c’est évident. Et même le fait de donner… Alors déjà, un, vous choisissez
36
le film. Deux, vous leur demandez ce qu’ils ont compris avant de leur demander ce qu’ils
37
n’ont pas compris. Et je pense qu’il vaut mieux leur demander ce qu’ils n’ont pas compris,
38
parce que ça, ça va les intéresser. Ce qu’ils ont compris, ils ont compris, on en parle juste pas
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et ce qu’ils ont compris, ils vont vous le dire dans ce qu’ils n’ont pas compris. Ça veut dire
40
que s’il y a un tel qui n’a pas compris, si l’autre a compris il va le lui dire. Donc vous n’avez
41
pas besoin de ce qu’ils ont compris. En plus, moi je fais jamais écrire quelque chose sur la
42
philo, je considère… et d’ailleurs, ils adorent quand les enfants sont malades à la maison : je
43
l’ai vu deux fois cette année, le parent revenir avec l’enfant qui a de la fièvre, mais l’enfant
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avait tellement dit «C’est l’heure de la philo, je veux y aller, etc. » que le père me dit « Est-ce
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que je peux vous le laisser une heure, il y a la philo et après je viens le récupérer ? » Puis je
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dis « Mais il ne serait pas mieux dans son lit? » et il dit « Non, non, il me fait une vie incroya-
47
ble, il voulait être là.» Pourquoi ? Parce qu’en fait ce n’est pas du tout scolaire. On leur de-
48
mande de parler d’eux, de dire où ils en sont, d’accepter la parole de l’autre, de la transformer
49
et se transformer eux-mêmes. Et très souvent moi, j’ai des enfants qui me disent « Bah, tu
50
vois là, j’ai changé d’opinion, je ne pensais pas qu’un tel serait capable de me faire changer
51
d’opinion.» Alors du coup, il y a l’estime de soi qui monte, celui qui a eu une bonne idée est
52
tout fier, et c’est comme ça que finalement tout le monde progresse. Et je dirais que là, vous
53
avez tendance à en faire quelque chose de trop scolaire, à mon avis. Est-ce que c’est de la phi-
54
losophie ou est-ce que c’est de l’expression écrite ? Et je pense que là, vous êtes entrain de
55
vous court-circuitez vous-même, et c’est dommage. Laissez à la philo ce qui appartient à la
56
philo. C’est la pratique du dialogue, ce n’est pas la pratique de l’écriture. Ça, c’est mon avis.
57
Nous, on le fait jamais par contre, je sais que tout ce qu’on fait en philo, je le retrouve partout.
58
Donc, ayez confiance en ça. C’est un processus la philosophie, vous êtres dans un processus
59
de changement et eux aussi. La preuve, si on regarde ce qu’ils sont capables de dire en début
60
d’année et ce qu’ils sont capables de dire en fin d’année, vous passez du « Je suis d’accord » à
61
« Son exemple me fait changer d’avis ou j’ai changé d’avis car le contre-exemple qu’il a don-
62
né… » Voilà, ça veut dire qu’ils ont déjà intégré énormément de choses.
63
Sur quoi je peux réagir encore ?
216
64
La question du contexte. Parce que j’ai interrogé déjà plusieurs enseignants et ils sont assez
65
mitigés. Là, j’ai donné la vidéo sans parler du contexte. Alors il y en a qui me disent que le
66
contexte est indissociable de cette vidéo, qu’il faut leur expliquer dans quel contexte ça
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s’inscrit et puis j’en ai qui me disent : « mais en fait moi aussi j’aurais donné cette vidéo
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comme ça et demander aux élèves comment ça vous fait réagir »…
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Moi, ce n’est pas ça qui me pose problème, parce que oui le contexte, mais non en fait, on
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peut se poser : "qu’est-ce que ça évoque chez nous ?" Qu’est-ce qu’évoque cette vidéo ? Enfin
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j’imagine que vous aviez envie de parler de la guerre…
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C’était pour faire le lien, le passage, car on était beaucoup sur la guerre et on voulait passer
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à la paix. Je trouvais que c’était une bonne vidéo pour… parce que finalement c’est une ima-
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ge de guerre mais c’est un message de paix.
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C’est votre message d’adulte. Je ne sais pas si c’est, j’ai l’impression, mais peut être que je
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me trompe, mais vous n’êtes pas très contente de la situation ?
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Ah non, pas du tout.
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D’accord. Et vous avez l’impression que les enfants ont pas appris grand-chose ? (L’étudiante
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acquiesce) J’ai l’impression dans ce que vous racontez que…
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Que je ne sais pas ce qu’ils en retiennent finalement.
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Alors, on est très tenté de laisser les romans de Lipman à côté, ça nous agace, on en a marre
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de Pixie, on trouve que c'est mal écrit, il y a plein de bonnes raisons et je les comprends et j’ai
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fait la même chose. Ce que je vous dirais c’est que j'ai tenté de faire la littérature jeunesse
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avec les enfants, de prendre des vidéos, des films… Déjà, ça bouffe un temps pas possible,
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parce que faut les préparer, faut les trouver, etc. A chaque fois, j’ai jamais eu autant de ques-
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tions aussi diversifiées que quand je travaillais avec les outils de Lipman, ce qui fait que je
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suis revenu à Lipman en me disant : « Ok, t’aimes pas le roman, les gamins ils aiment bien, ce
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n’est pas ton problème. S’ils adhèrent au roman, s’ils adhèrent bien, si ça leur fait poser des
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questions, après tout le roman dure très peu de temps et ce qui m’intéresse c’est les ques-
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tions. » Alors moi, mon conseil, c’est dire : revenez sur le roman et vous verrez. Revenez sur
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le roman, mettez deux observateurs, arrêtez de faire écrire aux enfants ce qu’il se passe car ce
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n’est pas évident pour eux. Le président de séance c’est quand même vous, pour que votre
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rôle c’est quand même donner la parole à chacun et faire les liens, parce que si vous donnez la
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présidence à un enfant, il y a forcément un moment où vous allez lui passer au-dessus et du
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coup, vous lui donnez un pouvoir sans pouvoir faire respecter le pouvoir. Vous lui donnez pas
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le pouvoir, c’est vous qui l’avez, mais vous le partagez avec tout le monde. C’est encore
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mieux. Et du coup, vous ne parasitez pas les messages. Et puis le troisième, il fait quoi ? Il est
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gardien du, ah oui… C’est pas mal mais, est-ce qu’ils sont là pour penser ou garder le temps ?
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Est-ce qu’ils sont là pour écrire, ou pour penser ? Moi, je dirais, mettez-les tous dans le bain et
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s'ils sont dans le bain de la pensée, dans le bain de la réflexion, utilisez-les simplement pour
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être observateurs de la pensée des autres, pour que eux intègrent les choses qui marchaient
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pas. Donc vous pouvez prendre observateur de la prise de parole, exemple, contre-exemple et
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définition, et puis on s’arrête là. Et du coup, vous allez voir comment ça s’intègre à l'intérieur.
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Si vous voulez parler de la paix, c’est pas forcément en montrant des situations de paix ou de
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guerre qu’on va parler de la paix. On peut parler du respect et ça parle de la paix aussi. Donc
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cette entrée là est plus thématique que philosophique, et on est dans cette approche en ce mo-
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ment-là. Oui, les romans de Lipman c’est pénible, mais franchement, moi je suis en train de
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les faire réécrire, et je suis vraiment d’accord avec ça. Mais dans les romans de Lipman, vous
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avez pratiquement dans chaque ligne des concepts philosophiques qui appartiennent à des
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grands penseurs. Est-ce que dans... Dans quoi on va retrouver ça ? Dans la littérature jeunesse
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vous avez un ou deux concepts qui sont balayés, vous n’en avez pas des tonnes. Là, c’est
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vraiment d'une grande richesse, et vous avez, tout le processus dans votre formation ?
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Oui, on l’a vécu.
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Alors moi, je dirais, essayez de… Là, vous avez choisi un chemin qui n’est pas facile. Vous
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essayez déjà de vous distancier du chemin alors que celui-ci est très confortable, il a été
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éprouvé et ça fonctionne. Donc, si vous avez vous, en vous, envie d’avoir le moins de pro-
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blèmes possibles, mettez-vous dans ces chaussure là, ces pantoufles, et après vous pourrez
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construire avec les enfants. Mais là, vous vous êtes mis beaucoup de problèmes à la fois. Vous
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avez mis les enfants en situation scolaire plutôt qu’en situation de penser, vous leur avez don-
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né des rôles alors qu’il est court-circuité du rôle de penseur alors que vous leur avez demandé
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ça, vous leur avez demandé ce qu’ils ont compris alors que nous ce qui nous intéresse c’est ce
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qu’ils ne comprennent pas. Et vous dites : « Les élèves sont bloqués et je me demande pour-
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quoi. » Ils sont bloqués parce que justement, c’est compliqué de dire ce qu’on n’a pas com-
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pris, par contre ce qu’on ne comprend pas on va trouver les mots, on va trouver l’énergie. Et
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vous dites, il y a aussi chez vous la notion de « Je suis satisfait ou pas ». Et en fait, est-ce
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qu’ils sont là, ou travaillent, pour vous faire plaisir ? Je pense que non, je pense qu’ils sont là
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pour partager une aventure en philo notamment, et je pense que si on émet un jugement sur
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quoique ce soit qui vient d'eux ça peut freiner la pensée, ça peut freiner l’expression. Donc ça
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rejoint la bonne question et la mauvaise question. Est-ce que je suis contente de ce qu’ils ont
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dit ? Franchement ? Je suis toujours content de ce qu’ils ont dit. Parce que si vous regardez
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plutôt le processus qui est en train de se passer, c’est toujours positif. Après, ça pourrait mieux
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se passer, ce n’est pas de leur faute, c’est de la notre. On n’a pas su. Moi, j’ai été filmé il y a
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pas longtemps et je me suis dit « Ah, zut, j’ai raté. J’aurais dû lui demander pourquoi… » On
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ne peut pas être partout, ce n’est juste pas possible. Et puis, à mon avis, ce qui vous pose pro-
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blème c’est la posture, c’est comment vous êtes par rapport à ça. Je pense que c’est difficile
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pour vous de pouvoir lâcher, vous avez envie mais, euh, est-ce que ça va être une bonne le-
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çon? Est-ce qu’ils vont poser des bonnes questions ? Ce n’est pas grave, si vous faites ça, po-
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sez vous pas la question. D’ailleurs, regardez (l’enseignant montre le titre de la SEC) : « phi-
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losophie ou discussion de café ? » Ça prouve que vous n’êtes pas tellement contente de ça et
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je pense que vous vous êtes mis certainement des entraves pour le faire. Mettez de côté tout ce
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qui vous appartient, soyez avec eux, accueillez, voyez leurs questionnements et à mon avis, ça
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va émerger et vous serez super contente, et soyez vous-même dans la découverte, vous savez
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rien et vous êtes là comme quelqu’un de naïf, et c’est vrai, vous allez découvrir plein de cho-
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ses. Vous allez découvrir à quel point ils pensent bien, à quel point le petit qui parle jamais et
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qui a l’air le dernier de la classe est hyper brillant, a une pensée hyper logique et vous auriez
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jamais cru ça de lui, et c’est ça, c’est là-dessus que vous êtes. Vous n’êtes pas sur le niveau de
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pensée, c'est égal ce qui est en train de se construire.
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Et qu’est-ce que je vu encore… Ah, là, vous parlez d’objectifs. Honnêtement, laissez-les de
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côté, laissez-les de côté, gardez-les pour les maths par exemple, mais donnez-vous cet espa-
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ce…
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Donc là, il n’y a pas d’objectifs ? Il y en a qui le mettent dans français, d’autres dans ci-
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toyenneté…
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Vous les mettrez après… mais pour eux, vous n’avez pas d’objectifs. L’objectif, c’est de pen-
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ser et penser mieux. Donc votre objectif à vous c’est « Donne-moi des exemples quand tu dis
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ça. Est-ce que quelqu’un a un contre-exemple ? Est-ce que ça vous fait penser à quelque cho-
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se ? Est-ce que c’est en lien avec ce qu’il a dit ou pas ? Qui n’est pas d’accord ? Dis donc toi,
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ton opinion c’était ça, ce n’est pas la même opinion que lui, est-ce que tu es d’accord mainte-
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nant avec les éclairages qu’il a donnés ? Il arrive pas à s’exprimer, qui peut l’aider ?". C’est
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juste ça l’objectif, et ça c’est un objectif tellement transversal qu’on pourra jamais vous dire
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que ce n’est pas dans les objectifs de l’école. L’école est un lieu pour apprendre à penser,
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donc laissez-les de côté, après vous allez les mettre. Ça, on sait faire nous les pédagogues, on
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sait les trouver. Si on vient vous inspecter : «Oui, bien sûr, moi je suis là-dedans.» Mais les
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enfants, il y en a pas, c’est juste apprendre à penser, et c’est déjà tellement compliqué de met-
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tre toute notre énergie de pédagogue dedans. Alors si en plus vous avez les objectifs de refor-
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mulation, d’exemplification, et autres qui composent la discussion à visée philosophique…
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Vous les enregistrez les discussions ?
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Non.
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Ça vaudrait le coup, parce que vous êtes hyper étonnée après. Vous dites « Oulala, il a dit
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ça ? » Vous allez voir, vous êtes tellement concentrée sur ce que… Mettre des liens, pour moi,
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c’est que ça notre rôle, mettre des liens : «Tu es d’accord avec lui, ok. Alors, qu’est qu’il a
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fait ?», que vous avez du mal à avoir une vue d’ensemble, et quand vous vous réécoutez vous
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dites «Alors là.. » Et le fait de vous réécouter vous donne l’eau au moulin pour la suite. Il
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m’arrive de passer trois heures sur une seule question en disant : «Voilà, la dernière fois il y
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avait une question, il y a un tel qui a dit ça, c’est très intéressant et on n’a pas repris son idée
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et je trouve que c’est tellement une bonne idée, que c’est vraiment dommage, et qu’est-ce que
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vous en pensez ? Est-ce que vous êtes d’accord qu’on reprenne ça ? » Et moi, c’est hyper im-
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portant que tout le groupe soit d'accord avec ça. «Vous êtes d'accord qu’on travaille encore
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sur cette question là ? J’aimerais qu’on travaille encore une heure en plus, c’est ok pour
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vous ?» En général ils disent : « Bah oui, on est d’accord. » Alors « Tu veux bien nous redire
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pourquoi tu disais ça ? Qu’est-ce que tu entendais par… » Puis là, il y a un nouveau film qui
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se libère, c’est incroyable. Et en général, même si vous préparez, il y a jamais rien qui est prêt.
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Moi, j’ai préparé des questions la semaine dernière j’avais l'impression qu’on allait partir sur
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la famille, donc j’avais préparé beaucoup de choses sur la famille… On est parti sur le respect
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et c’était incroyable ce qu'il s’est passé. Je me suis dit : c’est incroyable même des adultes
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sont incapables de dire ça. Et y a un enfant à un moment, donc on disait le respect c’est aussi
186
dire les choses correctement, «Si ma mère me dit que mon dessin est moche, je vais mal le
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prendre parce que c’est ma mère.» Alors, on a déjà vu «Et si c’est quelqu’un que je ne connais
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pas bien, oui il a le droit de le dire.», et un autre «Oui, mais il pourrait le dire d'une autre fa-
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çon : "Ce dessin est joli mais ce n’est pas dans mes goûts ". » Alors on a fait une ligne en di-
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sant : "Bon ok, on peut dire c’est moche, ce n’est pas dans mes goûts et au milieu il y aurait
191
quoi ?" On a essayé de graduer, de nuancer comment on pouvait dire les choses et c’était
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vraiment intéressant. Et à la fin, il y en a un qui a dit « Finalement, le problème ce n’est pas
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193
dans le fait de nuancer. Peut-être le problème c’est la façon dont on dit les choses, mais aussi
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dont celui qui les entend les reçoit.» Donc après, j’ai utilisé ça en disant «Il y a Arsène qui a
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dit que la responsabilité, ce n’est pas seulement celui qui dit les choses, mais c’est une cores-
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ponsabilité, celui qui dit la chose et celui qui la reçoit. Est-ce que je vous avez des exem-
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ples ? » Et ils en ont plein… et là j'avais prévu, on a travaillé une heure là-dessus.
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Donc il n’y a pas vraiment de préparation à priori en fait ?
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Moi, j’utilise beaucoup le classeur de Lipman. Ils ont 12 ans. Vous faites Pixie avec eux ?
200
Donc, il y a un classeur qui est là [il va le chercher]. Donc ce classeur est le guide d'accompa-
201
gnement. Moi, je fais deux chapitres par an, je n’arrive pas à faire plus. Après, ils posent les
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questions, chapitre 1, chapitre 2, après on vote pour les questions. Ce qui est important c’est
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que toutes les questions soient traitées. Alors des fois on se dit « Ah, il y avait cette question
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là, est-ce qu’on l’a traitée ? Est-ce que ça vaut le coup de la traiter ? Alors eux-mêmes ils
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trouvent et donc en fonction de la question, je cherche les thématiques qui peuvent sortir, et
206
donc c’est une mine ce truc-là, parce qu’on ne peut pas tout inventer, on n’a pas tous un doc-
207
torat de philo. Il y a des thèmes « Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? » Il y a des
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exercices, des plans de discussion et ça vous simplifie vraiment la vie et là vous restez vrai-
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ment dans les discussions de bon niveau et justement pas des discussions de café. Parce que
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vous-même, faut être clair avec les concepts qu’il y a derrière. Par exemple, on a travaillé
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beaucoup sur le vrai et faux, et évidemment un jour, il y en a un qui a dit : «Il y a des choses
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qui paraissent vraies mais qui sont fausses.» « Par exemple ? » « Bah les fleurs et les fausses
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fleurs, quand on les voit de loin on dirait qu’elles sont vraies, mais elles sont fausses.» Ok,
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donc on a nuancé, qu’est-ce qui parait vrai mais qui est faux ? Et du coup j’ai passé cinq, six
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heures, sur ce qui est vrai et ce qui est faux. Et c’est génial, parce que donc on a commencé à
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travailler avec des dessins, après les enfants ont dit que je ne suis pas trop d’accord avec ça
217
parce que voilà, on a beaucoup, beaucoup travaillé avec Mancraft [jeu vidéo], parce que cette
218
idée de virtuel est compliquée, parce que le jeu existe mais à l’intérieur du jeu c’est faux. Les
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films aussi posent beaucoup de problèmes aux enfants. Les acteurs sont vrais, mais le film est
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une fiction. Donc, est-ce que une fiction est vraie ou pas ça ? C’est aussi très compliqué, donc
221
si vous vous êtes pas au clair avec ce qui est vrai ou faux, vous pouvez pas tout inventer, c’est
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des philosophes qui ont inventé ça et en un mot, vous vous êtes compliquée la vie et ça aurait
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pu être beaucoup plus simple que ça et vous avez dû ramer quand même…
221
224
Mais essentiellement, il faudrait vous former, si vous êtes passionnée par ça il faudrait vous
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former [l’enseignant parle ici un moment du nouveau microgramme qui a des unités de valeur
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universitaire, partie non retranscrite].
227
Et donc, vos questions, c’est comment prendre en compte l’entièreté du groupe ? Bon ça, je
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crois que j’ai répondu… Comment être sûr que les élèves apprennent quelque chose ? Ça,
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c’est une question que vous, vous ne posez pas… Vous verrez après s’ils ont appris ou pas,
230
mais ils vont apprendre. Si vous avez confiance dans le processus, ils vont apprendre. Com-
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ment les amener à dépasser le monde qui leur est proche pour se poser des questions plus
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existentielles ? Ça, c’est une vision d’adulte. Ils vont partir forcément de leur vécu. Par contre
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vous, votre travail, c’est de partir du singulier pour en faire du général, et c’est là que vous
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allez réussir à les sortir d’eux-mêmes, c’est-à-dire « Ok, toi tu penses que tous les Français
235
ont du mal à apprendre l’anglais.» « Ok, comment tu sais ça ? » « Ah bah ma voisine… » «
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Ok, mais tous les français c’est ta voisine ? » « Ah bah non.» « Alors, est-ce que tu peux redi-
237
re ta phrase ? » « Ma voisine, je pense qu'elle a du mal à apprendre l’anglais.» Alors, est-ce
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que pour autant tous les Français ont du mal ? Alors peut-être que c’est vrai, mais juste les
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faire relativiser et voir que leurs mots, leur choix des mots a une importance.
240
Et sinon des questions plus précises : Qu’est-ce que la philosophie pour vous ? Comment
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vous pourriez la définir en quelques mots ?
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Apprendre à mieux penser. Donc c’est développer des habiletés de pensée, ça c’est clair. Mais
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c’est le truc qu’on voit partout, développer une pensée critique, ça c’est important. « Qu’est-
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ce qui te permet de dire ça ? Pourquoi ? " Ça c’est hyper important pour en faire des citoyens
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libres, libres parce qu’ils seront capables d’opérer des choix avec des jugements raisonnés et
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non pas avec la bonne idée de machin qui a une bonne tête et qui est copain avec un tel.
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Vraiment c’est leur faire prendre la distance. Vous verrez que petit à petit ça va coloniser tout
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ce que vous allez faire dans la classe, vous pourrez plus faire les maths de la même façon. Et
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souvent, les enfants me disent "Mais attends, on fait des maths ou de la philo ?" "Non, non, on
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fait des maths." « Mais en maths aussi on peut se poser des questions.» « Oui, oui. » Et vous
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ferez des choix qui iront dans ce sens-là.
252
Et donc pourquoi vous faites de la philo avec les enfants et qu'est-ce que ça leur apporte fina-
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lement ?
254
Alors, si on a développé cette école pilote, on est persuadé que le rôle de l'école c’est faire
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mieux penser les enfants. Ca c’est clair que bien souvent, on leur demande pas de penser,
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256
mais ce qu’on leur dit de faire, et puis de raconter ce qu’ils ont compris, de raconter les faits
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mais avec assez peu de connexions avec des concepts. Qu’est-ce qui m’a fait choisir ça ? Je
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me suis dit que ça allait me faciliter la vie, que de toute façon ils allaient être plus efficaces
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dans leur raisonnement, que de toute façon en maths ça allait se retrouver, en grammaire ça
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allait se retrouver, s'ils aimaient la philosophie ça leur donne une autre vision de l’école et ça
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les aide d'avoir une estime d'eux même qui va augmenter. Et j'ai des vidéos où les enfants di-
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sent "La philosophie ça m'aide à avoir confiance en mathématiques", et on lui dit "Pourquoi?"
263
"Car je sais que quand je fais de la philo je suis intelligente et du coup j’ai moins peur de faire
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des maths". Donc je pense que tout cet aspect « estime de soi » est important.
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Et quelles sont vos intentions à ce moment-là ?
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Pendant les cours ? J’en ai pas, c’est juste qu’ils apprennent à bien penser. Moi, je suis juste là
267
pour les aider à œuvrer dans ce sens là. C’est-à-dire questionner. Je n’ai pas d’intentions pré-
268
cises si ce n’est qu’une intention globale, bien évidemment.
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Et vous, vous avez reçu quoi comme formation ?
270
Alors, moi j’ai fait ma fac de prof. J’ai fait une fac de philo. Ensuite, j’ai dirigé un institut où
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il y avait une formation initiale pour les enseignants dans laquelle la philo était un passage
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obligatoire. Je me suis beaucoup formé avec Michel (Sasseville) et j’ai toujours été ensei-
273
gnant, car c’est mon vrai métier, mon métier de cœur aussi et puis je dirige cet institut dans
274
lequel je m'occupe de la philo. Et j’ai fait un master en ingénierie pour adultes, pour comment
275
organiser une formation, et comment vérifier si elle a été bonne, c’est plus technique.
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Et sinon, au moment du débat, est-ce que vos intervention sont nombreuses ou pas ? Parce
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que Lévine dit « on laisse discuter les enfants »…
278
Oui, alors Lévine c’est un psychanalyste. Lui, c’est complètement l'opposé de ce qu’on fait.
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Lévine c’est "Le bonheur c’est quoi ?" Et on se tait. Moi, je pense que ça ne fonctionne pas.
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J’ai vu des vidéos de ça et franchement j'avais mal pour les enfants. J’ai vu aussi Brenifier qui
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fait ça et j’ai vu des enfants se faire engueuler parce qu’ils touchaient leur trousse alors que ça
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les intéressait pas, c’est tout. Je pense que notre rôle c’est questionner, animer la situation.
283
Et puis les enfants qui ne parlent pas, on les laisse ? On va les chercher ?
284
Alors oui, je pense que ça, c’est quelque chose qu’on doit percevoir pour qu'ils disent au
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moins quelque chose, mais pas les mettre dans la situation " Tu n’as pas parlé, tu dois parler."
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286
Donc trouver une situation où " Tous ceux qui aiment leur prénom, levez-vous." Et puis il y
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en a que cinq. Ok. « Bah dites-moi pourquoi vous n’aimez pas? ", vu que vous avez repéré
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qu’il y en a qui parlent pas beaucoup. " Les filles levez-vous, vous allez me dire pourquoi
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…. " " Les garçons levez-vous… " " Tous ceux qu’ont un pantalon rouge… " " Donnez-moi
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une définition très rapide de qu’est-ce que le respect ? " "Ou une situation où il n’y a pas eu
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de respect." Et du coup, ils sont obligés de parler, mais ça se voit pas. Et le fait de parler don-
292
ne envie de parler. Mais globalement, je mets jamais en face des yeux d’un enfant qu’il n’a
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pas parlé, car ça voudrait dire qu’il n'a pas fait ce qu’il avait à faire, et je ne sais pas si le fait
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de parler ou pas parler l’empêche de penser. Il y a des enfants qui parlent beaucoup et qui
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pensent peu, et il y en a qui parlent pas et qui pensent beaucoup. Est-ce que mon présupposé
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c’est dire que tout le monde doit parler, comme ça je sais que tout le monde pense ? Non, je
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ne suis pas sûr… Mais par contre il y en a qui ont du mal à parler, ça c’est vrai. Mais c’est une
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autre fonction. Donc aidons-les. Comment est-ce qu’on peut trouver quelles ficelles on peut
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tirer pour dire… et c’est assez marrant, parce que avec certains, vous pouvez dire : dis donc
300
toi, je t'ai vu parler avec un tel, tu aurais quelque chose à nous dire ? « Bah oui, j’étais en train
301
de lui dire que…. » Et c'est parti. Et ce que j’ai pu remarquer, c’est que quand ils parlent une
302
fois, ils parlent deux fois, et ils osent après. Mais il faut accepter qu’après il y en a qui parlent
303
jamais, mais quand ils sont observateurs, ça les oblige à parler parce qu’ils ont observé du
304
coup… et ça, ça peut déclencher, mais je pense qu’il faut vraiment respecter.
305
Et est-ce qu’à la fin, vous institutionnalisez quelque chose ? Ou formalisez quelques chose ?
306
Comment on clôt ce moment ?
307
Alors comment je clôture ? « Ah, c’est l’heure ! » Mais on se prend une minute quand même
308
pour garder en tête ce qu’on aimerait dire pour la prochaine fois, donc on ferme les yeux. Pla-
309
ce aux observateurs : "Les observateurs, qu’est-ce qu’ils ont à nous dire?" "J’ai vu ça, etc. ".
310
Et ma question : "Est-ce que c’était une bonne séance ? Oui ? Pourquoi ? " "Parce que nana-
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na…" C’est jamais nominatif. Il y a beaucoup d’enfants qui ont parlé, il y en a moins qui ont
312
parlé, il y en a eu plus cette fois-ci qui ont donné des exemples, ou dire aujourd’hui on était
313
plus dans l’exemple et il y a eu moins de... voilà, etc. Les enfants on globalement respecté les
314
règles, euh, il n’y en a pas qui ont coupé la parole, ou il y en a beaucoup moins que la dernière
315
fois, voilà. Et puis, ok, "Est-ce que ce que les observateurs ont dit, vous êtes d’accord avec
316
eux ? Est-ce que pour vous aussi c’était une bonne séance ? Qui veut parler là-dessus ?" Ok.
317
"C’est une bonne séance parce que je me suis senti bien, ou j’ai bien aimé la question." Etc.
318
J’essaie toujours de terminer sur quelque chose de positif et de reformuler : "Ok, pour toi
224
319
c’était une bonne séance. Est-ce qu’il y en a qui sont pas d’accord avec ça ? Et ok, toi t’es pas
320
d’accord. Ok je prends note." On en parle et c’est tout.
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C’est plus sur le processus que sur le contenu ?
322
Voilà, rester sur le processus. Et le début c’est pareil. "Qu’est-ce qu’on a fait la dernière
323
fois ?" On garde une minute pour se souvenir. "Est-ce que c’est encore important d’en parler
324
aujourd’hui ?", etc. Ou alors : "Aujourd’hui, on va attaquer cette question-là, est-ce qu’il y a
325
quelque chose qui est en suspend, qui est vraiment très important ?" Et il y a des enfants qui
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disent : " Alors moi, j’ai cherché sur Internet telle chose… "Ah oui, une fois un enfant a dit…
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on travaillait sur la discrimination et on avait buté sur une voiture volante et un avion. Et il y
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en a un, qui a dit que l’avion n’avait pas de roues tout le temps, et l’autre a compris qu’il
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n’avait pas de roues, alors il a dit " J’ai cherché, etc. " Ok, donc il a dit : "Ah non, mais c’est
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pas ce que je voulais dire, mais je voulais dire ça…" " Ah bon, alors si t’as dit ça c’est ok."
331
Tac, on ferme le truc et on passe à autre chose.
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Et du coup qu’est-ce que serait un bon enseignant de philosophie ? Les ingrédients du…
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Celui qui se tait, celui qui accueille sans juger. Quand j’interviens, je dis : "Je me demande
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pourquoi Arsène nous dit qu’une chose peut exister mais être fausse. Il dit ça, mais moi je
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n’arrive pas à comprendre." Voilà. Ou alors : "Moi, je me sens mal aujourd’hui parce que ça
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bouge beaucoup, ça parle beaucoup. Est-ce qu’on a mis une règle pour ça ?" "Euh oui, pas
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couper la parole et pas faire d’aparté." "Ok, donc je comprends pourquoi je me sens pas très
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bien. Est-ce qu’on arrive à aller plus loin ou est-ce qu’on arrête aujourd’hui ? " Toujours, moi,
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je leur remets toujours entre les mains, ça veut pas dire que moi je ne suis pas garant de tout le
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reste, j’en vire des fois. « Ok, tu nous casses les pieds, tu regardes comment font les autres, ça
341
va t’inspirer.» Mais je dirais, il y a pas de bon ou de mauvais, il y a ce qu’on est avec peu de
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pratique, ce qu’on est avec un petit peu plus de pratique et ce qu’on est voilà.
343
Et qu’est-ce qui fait évoluer ?
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Voir les autres, que quelqu’un vous regarde faire. Prendre des vidéos de vous, vous écouter
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parler, sans arrêter, le rapport réflexif quoi. Faites-vous observer par quelqu’un qui ne connaît
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rien ou qui connaît bien. Demandez de co-animer, ou à quelqu’un d’animer avec votre classe.
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[La discussion revient sur le programme de formation, partie non retranscrite].
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Ce n’est pas parce que vous êtes dans l’accueil, dans le non-jugement, que vous derrière, vous
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n’avez pas fait ce travail avec ça. C’est hyper important ça. Vous, si vous êtes pas dans l’idée
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350
que vous êtes en train de percevoir de mieux en mieux ce qu’il y a derrière les questions des
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enfants, vous allez pas avancer. Donc vraiment, même si ça sert à rien ce que j’ai fait quand
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j’ai travaillé sur la famille, un jour ou l’autre ça va me servir à quelque chose, et de toute fa-
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çon la question que je me suis posé en travaillant là-dessus, ça m’aide à me poser d’autres
354
questions, donc c‘est gagné d’avance. Vous voyez ce que je veux dire, cette idée d’apprendre
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sans arrêt.
356
Mais là, l’histoire de se détacher du scolaire, il y a quand même pas mal d’exercices dans
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cette méthode.
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Oui.
359
Donc on revient quand même à du scolaire ?
360
Non, parce que vous les avez vus les exercices ?
361
C’est une liste de phrases où il faut trouver les présupposés ou non, par exemple.
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Alors, vous n’êtes pas obligée d’utiliser ça. Moi, ce que j’utilise beaucoup, c’est ça, les plans
363
de discussion, par exemple : définition du mot correct. Bon, ça, c’est un exercice, voilà, plan
364
de discussion : "Est-ce que tu peux espérer ce que j’espère ? Est-ce que je pourrais souhaiter
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ce que tu souhaites ?" C’est-à-dire, si vous avez ça sous la main et qu’il y a un moment vous
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trouvez… là, vous pouvez avoir un jugement, vous trouvez qu’on tourne un peu en rond, paf,
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vous ressortez le truc et je me dis ah tiens ça, ça pourrait être intéressant, "Est-ce qu’à votre
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avis...?". Ça, c’est Lipman ou Michel Sasseville qui a fait ça. Eux, ils l’appellent Michel Lip-
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man. Mais "Est-ce que tu pourrais espérer ce que j’espère ? A votre avis ?". En fait, vous fai-
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tes deux, trois questions, et puis c’est incroyable comme ça relance, quoi. C’est vraiment su-
371
per. Moi des fois, j’en écris que deux, parce que des fois il y en a que je n’aime pas. Mais oui,
372
voilà. Quelle différence entre espérer, souhaiter, je veux dire ils ont déjà travaillé. Pourquoi
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on s’embêterait à réinventer la roue quoi ? Et vous avez tout par thèmes. En plus, vous avez
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des petites choses qui vous donnent les notions de justice, rêves et histoires, faites-vous des
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rêves dans lesquels vous n’avez aucun rôle ? Moi, je trouve les exercices pas terribles, ça je
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suis assez d’accord avec vous, en fait je les utilise pas. Mais les plans de discussion, ils sont
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super. Les exercices, bon, je pense que vous savez ce que c’est les enfants, que vous les
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connaissez bien, vous pouvez adapter, hein. J’essaie dans une séance de toujours couper la
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séance, ils ont quand même 7ans…
226
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Ils font quoi ? 45 minutes ?
381
Oui, je fais quarante minutes. A la vingtième minute, il y a toujours quelque chose qui se pas-
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se que j’ai prévu. Ça peut être: «Ok, on va dessiner…. Il a dit que tout ce qui peut exister,
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qu’une chose qui existe peut être fausse, alors ok, on essaie de dessiner quelque chose." Mê-
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me s’il y a que trois dessins, ce n’est pas grave, on s’est levé. Moi, j’avais préparé les crayons,
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je donne les crayons etc. On dessine. « Vous avez 5 minutes pour le faire ». Ok, on affiche.
386
Qu’est-ce qu’on regarde ? «Ah, d’accord.Tu n’es pas d’accord avec ça. » Et c’est reparti. Pour
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le nom : « Est-ce que il y en a qui aiment pas leur nom dans cette classe ? Ok. Levez-vous
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ceux qui aiment pas leur nom. Et ceux qui aiment ? Et ceux qui ne se sont pas levés ? » Et paf
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, on leur redonne la parole. Ils ont bougé trois minutes, mais ils ont besoin, parce que ça re-
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lance la discussion. Ça faut trouver. Un truc que vous pouvez faire, c’est mettre les garçons
391
d'un côté, les filles de l’autre : "Ok, allez, on inverse pour changer de point de vue, les filles
392
vous allez à la place des garçons. » Puis ça brasse dans tous les sens, mais ça remue un peu les
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méninges, ça faut que vous y pensiez, c'est hyper important.
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Introduire, conclure, une phase au milieu, tout le reste, on se la coince, on accepte et on ac-
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cueille, et surtout on va tirer la substance quoi, ça vient pas du jour au lendemain, mais…
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Ça (montre la SEC), ça vous a entravé, non, mais ça vous empêche de penser. C’est ça votre
397
problème, c’est que vous êtes toujours en train de vous dire « Zut, mon objectif, ils sont pas-
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sés à côté. Zut, ce n’est pas bien ce qu’ils disent… mettez ça de côté… Laissez-les vivre, lais-
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sez-les penser et là, vous, vous allez trouver dix fois plus de matière que ce que vous avez
400
imaginé. Faites-leur confiance et vous allez voir ça va transformer votre classe.
401
Et les conseils de classe vous en faites ?
402
C’est très complémentaire. On est sur la relation, alors que là on est sur la pensée. Des fois la
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relation déborde sur la philo, évidemment. "Pourquoi t'es pas mon ami? Qu’est-ce qui fait que
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t’es pas mon ami?". Et là je dis stop, on va se la garder pour demain, mais vous verrez c’est
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génial, enfin vous sentez bien que c’est génial.
406
Mais franchement, vous en ferez ce que vous voulez, mais mon conseil c’est, prenez Pixie et
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prenez le classeur, et vous allez voir, ça va vous ouvrir. Après, vous pourrez vous en détacher
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si vous avez envie, mais il y a ces phases où on a plus envie. Mais honnêtement, je vois plein
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d’enseignants qui reviennent à ça, car c’est infesté de concepts, donc forcément vous êtes de-
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dans et ça modélise la pensée adulte. Ils ont six ans et "elle pense comme moi", essayez fran-
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chement avec Pixie, ça va vous transformer la vie.
227
Demande de renseignements complémentaires par mail
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Pourriez-vous m'indiquer :
413
Le degré scolaire de votre classe actuellement ?
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Classe 4 (8, 9 ans)
415
Le nombre d'années d'enseignement total ?
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30 ans
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Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ?
418
15 ans
419
De plus, pourriez-vous me redonner des précisions sur ces quelques points ?
420
Quelle est votre place (physiquement) lors du débat ? Que faites-vous concrètement ?
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Nous sommes en cercle, assis sur nos chaises. Je fais partie du cercle et je donne la parole,
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reprends les questions, demande des précisions, aide à faire les liens, à creuser un exemple,
423
j'anime…
424
Quelles sont vos interventions ? De quel type ? Dans quel but ?
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Pour compléter ce que j'ai dit plus haut, mes interventions sont verbales, ce sont des relances,
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jamais je ne donne mon avis, très souvent je repose des questions, demande des éclaircisse-
427
ments. Je peux aussi dessiner au tableau le fil de la discussion, les idées trouvées, les échelles
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de nuances... Mon but est de préciser le questionnement, de l'alimenter, de le rendre accessi-
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ble et fructueux, le plus possible.
430
Y a-t-il des acquis visibles chez les élèves ?
431
Oui, très rapidement dans leur façon d'être, dans leur niveau d'écoute, dans leurs analyses, ils
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reprennent les éléments que nous faisons observer (par exemple, au lieu de dire : « Je suis ok
433
avec lui », ils vont vite dire : « j'ai la même opinion que lui, je ne suis pas ok avec son exem-
434
ple, sa définition est imprécise », au lieu de je ne comprends pas..) comportement, métalanga-
435
ge, prise de distance, jugement moins émotionnel etc.
436
Quels sont les apports pour vous et pour vos élèves ?
228
437
Pour le prof, moi, c'est continuer à s'émerveiller devant l'intelligence des enfants, devant leur
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potentiel mis en lumière, c'est continuer de se questionner, c'est le même chemin pour les en-
439
fants.
440
Vous rappelez-vous de votre première animation ? Comment était-ce ?
441
Pas terrible et pas que la première !! Pourquoi ? Parce que je ne faisais pas confiance au pro-
442
cessus et aux enfants, je voulais des réponses !!
443
Y a-t-il eu une évolution sur votre manière de travailler en classe ?
444
Cela a tout transformé, ma vie professionnelle, mon rapport au savoir, au monde. J'ai cherché
445
des approches proches de celle-ci pour d'autres domaines comme la grammaire, les maths, j'ai
446
inventé aussi.
447
Quel est le statut de l'enseignant dans ces moments ?
448
Un statut de chercheur, comme les élèves, mais en plus vieux !!
449
Quelle est sa place professionnelle ?
450
Je pense que je reste l'enseignant, gardien des règles, du cadre, de la sécurité. Je suis juste là,
451
non pas pour montrer que je sais, mais que je cherche avec eux.
229
Entretien d’Eléonore
1
Vous avez quelles réactions ?
2
Bah, déjà la première, c’est que dernière heure du vendredi après-midi, ça me paraît dange-
3
reux. Dans le sens où, la philo ça demande quand même vachement de concentration. Moi,
4
j’évite de le faire l’après-midi. Mais si je dois le faire l’après-midi, c’est en début d’après-
5
midi. Voilà, ils sont encore frais, dispos, parce que sinon le problème c’est qu’on risque d’en
6
perdre, un qui soit fatigué qui va pas être concentré, et on va tous s’ennuyer, et il va rien se
7
passer, c’est ça. Donc fin de matinée plutôt si on veut prendre une dernière heure, parce que
8
voilà, on considère qu’il y a quand même le programme de maths, de français, etc. Dernière
9
heure du matin c’est pas mal. Les dernières quarante-cinq minutes c’est suffisant, les derniè-
10
res quarante-cinq minutes avant de se quitter. Voilà, ça c’est la première chose.
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La deuxième chose, une communauté de recherche philosophique ça se construit, donc ça
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vient pas tout de suite, ça prend du temps. D’où l’importance de le faire de manière hebdoma-
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daire. Avec la régularité, les élèves tranquillement se mettent dedans, commencent à com-
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prendre ce qu’il se passe. Et au départ, la première fois, ça se passe pas comme par magie.
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C’est vraiment, ils doivent comprendre ce qu’il se passe, ils voient beaucoup de mots, ils sont
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dans l’anecdotique, faut que tranquillement l’animateur les amène à dire, bah voilà : "Qu’est-
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ce que toi tu en penses ? Est-ce que tu as un avis ?", que l’enfant comprenne que, voilà, on va
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faire de la philosophie, on ne va pas raconter comme ça la dernière anecdote de la semaine
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passée. Donc, c’est normal que la première fois, les enfants n’ont pas vraiment l’habitude, ils
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sont un peu paumés et ils ne savent pas trop ce qu’on attend d’eux. Du coup, moi, je trouve
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super de vouloir travailler sur un film, mais je pense qu’il faut travailler sur un film avec des
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élèves expérimentés en philo, qu’ils comprennent ce qu’on va faire de ce matériel. Parce que
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pour démarrer, déjà, le premier conseil que je pourrais vous donner c’est, le mieux, c’est de
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démarrer avec du Lipman. Parce que soi-même en tant qu’enseignant, toi ça va te former en
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même temps que tu vas former tes élèves. Toi, tu vas te former avec, parce que Lipman il a
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conçu ses romans et surtout son gros classeur d’exercices, pour chaque roman, pour justement
27
guider l’enseignant qui n’est pas philosophique, pour vraiment attirer l’enseignant sur les
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concepts philosophiques qu’il va aborder. Et du coup, en travaillant avec du Lipman pour
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commencer la première année, ou même les deux premières années, ça va te donner des clés
30
pour travailler ensuite avec d’autres supports. Alors moi, c’est ce que je fais, c’est que je
31
change. Au début je travaillais qu’avec Lipman, et ensuite j’ai travaillé avec la littérature jeu230
32
nesse. On est arrivé jusqu’à juste une image, ou un film. Mais y a des années, ou de temps en
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temps, hop je reviens à Lipman, même si moi je ne suis pas trop, euh… bon j’ai les 5-6P,
34
donc c’est plutôt Pixie. Je ne suis pas ultra enthousiasmée parfois par le textem mais voilà j’y
35
reviens parce que je considère que ça me remet dedans que ça attire vraiment mon attention
36
sur les concepts que je dois travailler. Surtout qu’un roman comme Pixie, en fait, c’est du Pla-
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ton pur, c’est vraiment les pensées basées sur l’étonnement, et puis les enfants sont vraiment
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là, donc c’est assez aisé en fait d’utiliser ce matériel. Donc voilà, ça c’est la première chose.
39
Donc je pense que si tes élèves se sont retrouvés bloqués c’est quem voilà, bon, déjà ces deux
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raisons, qu’ils étaient peu expérimentés et qu’ils se posent des questions sur un film ça dure
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quand même un moment. Et puis ça a duré combien de minutes en fait (le film) ?
42
Deux minutes environ.
43
Ah voilà, si ce n’est pas vingt minutes ça va. Mais c’est vrai qu’ils n’avaient pas trop compris.
44
C’est sur un film et puis voilà. Et l’autre chose que je vois dans ce compte rendu, c’est la
45
coordinatrice pédagogique qui observe, et ça je ne pense pas que ça soit une très bonne chose,
46
parce que pour pouvoir se sentir libre de s’exprimer en philo, il ne faut pas qu’il y ait un adul-
47
te observateur extérieur. Il peut y avoir le rôle de l’observateur dans la communauté de re-
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cherche, soit entre eux, soit entre adultes, mais voilà, la personne elle est incluse. Moi, il me
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semble à chaque fois que y a des adultes qui viennent, je leur dis : « Ok, vous venez, mais
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vous participez, vous faites partie de la communauté de recherche.» Et du coup, ça permet que
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chacun se sente à l’aise. Et même si cette personne elle vient pour t’observer toi, les enfants
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vont toujours avoir l’impression qu’ils seront observés et ça, ça peut aussi les bloquer, voilà.
53
Après, aussi ce qui est important, c’est que quelque soit le type de support sur lequel tu bos-
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ses, le moment des questions est crucial, et c’est un moment où il faut les laisser totalement
55
libres. C’est-à-dire que, même si tu trouves que franchement la question de l’enfant elle ne
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vole pas très, très haut, bah… « Pourquoi le mec sur l’image a un pantalon bleu ? », ça paraît
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un peu trivial, mais c’est important de noter cette question, de donner autant d’importance, au
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même titre, parce que ça permet justement à l’enfant de se sentir à l’aise, se détendre et pas
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avoir peur de dire des choses bêtes. Car c’est ça aussi, on a tout le temps peur quand on est
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enfant de dire des choses bêtes, parce qu’on est dans une société qui valorise pas tout le temps
61
les choses bonnes, on est tout le temps en train de critiquer ce qui va pas, mais on valorise très
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peu ce qui va. Donc, si on ne laisse pas cette liberté à chacun de s'exprimer, on risque de les
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brider, de les bloquer. Après, ça m’arrive souvent avec une question qui a priori paraît pas tri-
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viale, de faire une communauté de recherche mais magnifique, parce qu’en fait derrière la
231
65
question très très banale, l’enfant en a une autre, ou quelqu’un rebondit, ou bien toi tu peux
66
aller, je sais pas, demander pourquoi il a un pantalon bleu, et puis parler des vêtements com-
67
munistes, de l’obligation de ramener l’uniforme, et puis qu’est ce que l’uniforme… euh, par
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rapport au développement de la personne, être une personne en tant qu’individu dans la socié-
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té… Je ne sais pas, après tu peux aussi avoir un truc très trivial et partir sur quelque chose de
70
très intéressant, alors ça, je trouve important.
71
Après, bon moi j’ai des élèves plus jeunes, je n’ai pas de secrétaire, euh, après oui avec des
72
plus grands, c’est pas mal d’être secrétaire, mais ça demande une petite formation. C’est-à-
73
dire, vraiment le secrétaire il écrit, mais ok, il n’écrit pas toutes les phrases. Il s’en sort pas
74
donc, euh, je pense que ça demande une petit formation de : qu’est-ce que c’est d’être secré-
75
taire ? Même juste vingt-cinq minutes et discuter dans une communauté de recherche : "Ok,
76
c’est quoi d’être secrétaire ?" Euh oui, distributeur de parole, je pense que c’est à l’animateur
77
de le faire, parce que, enfin voilà, les enfants faut leur laisser de la disponibilité pour leurs
78
questions, raisonnements, l’écoute des autres, moi, je suis personnellement, c’est moi qui
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donne la parole, voilà.
80
Après, l’idée du travail individuel, c’est une bonne idée, mais moi je ferais pas à la fin. C’est,
81
on commence ensemble, après on peut les séparer, soit individuellement, soit en petit groupes.
82
Des fois, c’est pas mal aussi par deux ou trois par exemple, même pour chercher des questions
83
tu vois. Et là, tu disais qu’ils ont eu de la peine à trouver des questions, bon bah, mettez-vous
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par trois, discutez ensemble et choisissez une question, après on prend chaque groupe et on va
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noter les questions de chacun. Ca peut être pas mal. Mais ensuite il faut qu’il y ait un retour
86
avec le groupe, parce que l’idée de la communauté de recherche c’est vraiment construire
87
ensemble, c’est partir du principe qu’on est plus intelligent à plusieurs, que seul justement, et
88
que c’est en s’enrichissant des pensées des autres, en confrontant sa propre pensée à celle des
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autres, qu’on va tranquillement aller vers une vérité, ou en tout cas construire quelque chose.
90
Donc, euh oui, c’est important qu’il y ait un aller retour. Moi, je leur fais souvent dessiner.
91
Parce que je trouve que des fois, aussi juste de faire un croquis… Voilà, une fois on discutait
92
de ce que c’était d’être triste, je leur ai demandé de dessiner le visage d’une personne triste et
93
puis après on a affiché au tableau chaque image et les enfants on décrit pourquoi ils avaient
94
dessiné leur visage de cette manière, et c’était vraiment chouette car y a un enfant qui avait
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dessiné un visage qui riait, et donc on lui a demandé pourquoi il avait fait un visage qui rit et
96
il a dit : "Parce que des fois on est très, très triste, mais on a pas envie que les autres le voient,
97
donc à la place on rit". Et puis, toujours expliquer qu’on fait un moment seul, mais après il y a
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le retour en groupe, ça me semble très important.
232
99
Alors, faire deviner, ça c’est pas mal. C’est aussi le travail de l’animateur. Mais ce n’est pas
100
faire deviner, dans le genre « dans le ciel il y a des nu nu… nuages », c’est vraiment poser les
101
questions qui vont permettre aux enfants, à la communauté de recherche, de pouvoir poser
102
quelque chose et "pourquoi est-ce que tu penses ça? Qu’est ce qui te fait penser ça ? Est-ce
103
que tu as un exemple ? Est-ce que ce que tu dis c’est une hypothèse ou une certitude? Est-ce
104
qu’il y a quelqu'un qui est d’accord ou pas d’accord avec ce qu’un tel a dit et pourquoi ?" En-
105
fin voila, le rôle de l’animateur c’est vraiment de faire avancer et lancer plein, plein de ques-
106
tions, pour que tranquillement ça émerge. Et puis après, s’il y a une idée, ça peut être "un tel a
107
dit ça, mais est-ce qu’on pourrait imaginer le contraire ?" Tu peux aussi développer un peu
108
plus.
109
Alors moi, je ne pense pas qu’on doit se retirer de la discussion, mais on est au cœur de la dis-
110
cussion, sauf que nous on est l’accoucheur, c’est vraiment Socrate, c’est ce qu’il faisait. C’est
111
des communautés de recherche mais en beaucoup plus modeste, parce qu’on est pas Socrate.
112
Mais l’idée c’est d’être au cœur de la discussion et faire que les enfants s'écoutent, réussissent
113
à répondre, parce que des fois tu peux avoir des communautés de recherche où chaque enfant
114
est centré sur soi, sur ce qu’il a envie de dire, il écoute pas les autres et du coup on n’avance
115
pas. Donc vraiment, être au cœur de ça pour qu'il y ait une vraie discussion, qu’il y ait quel-
116
que chose qui circule entre les enfants et les amener à se poser des questions, pourquoi ils sont
117
bloqués, ou qu’ils sont en train de réciter la pensée de papa et maman, tu peux justement... Là,
118
tu as un rôle clé pour essayer d’aller chez eux : "Et toi, qu’est ce que tu en penses? Et est-ce
119
que tu es d’accord avec ça? Est-ce que t’as un exemple pour dire que ça c’est vrai?" etc. Voi-
120
là, et c’est pour ça que c’est un rôle extrêmement difficile animateur, parce que justement, on
121
est au cœur. Et on est en même temps garant vis-à-vis des enfants d’une honnêteté philoso-
122
phique. Ça veut dire qu’on est garant qu’on est bien en train de faire de la philosophie et pas
123
en train de faire autre chose, donc c’est assez crucial. Après, justement toi, t'es pas avec tes
124
amis en train de débattre de ton préposé point de vue. Ca c’est sûr, on n’est pas là pour mani-
125
puler les enfants, c’est vraiment, effectivement, ça peut être un danger une personne malveil-
126
lante. Elle peut utiliser la communauté de recherche pour manipuler les enfants, mais voilà
127
nous on n’est pas là pour les manipuler, pour leur imposer notre point de vue. On est là pour
128
les aider à penser par soi-même et ce qui est intéressant, c’est quand il y a dans une commu-
129
nauté de recherche pour enfants, certains qui pensent pas du tout comme nous. C’est là où ça
130
devient difficile, mais c’est là où ça devient hyper intéressant. Parce que nous, on n’est pas là
131
pour lui dire ce qui est vrai ou pas vrai, on est là pour respecter la pensée de chacun. Mais par
132
contre, voilà, faire en sorte que les enfants réfléchissent pleinement, et "Pourquoi c’est ça ? Et
233
133
qu’est-ce qui nous permet de dire ça, etc. Est ce que c’est juste ? Est-ce qu’à un moment don-
134
né…?" Voilà. C’est bien. Je n’aime pas trop mais "est-ce que c’est juste ?" En plus, les en-
135
fants adorent ce qui est juste, pas juste. Et puis après c’est plus que prendre… Déjà moi, je
136
pense que le rôle de l’enseignant ce n’est pas apprendre, c’est aider les enfants à apprendre.
137
Moi, je n’utiliserais pas le verbe apprendre. Je voudrais dire qu’ils développent leurs pensées.
138
Il faut les aider à développer leur esprit critique, à savoir quand ils sont en train de réfléchir, à
139
savoir ce qu’ils sont en train de faire. Donc ça, c’est aussi toute la deuxième partie de ces
140
communautés de recherche, d’où l’importance d’utiliser le matériel de Lipman, y compris
141
quand on utilise un autre support. En général moi, ce que j’essaie de faire, c’est une, ou deux,
142
ou trois discussions en communauté de recherche, et la fois d’après on fait un exercice du
143
classeur. Parce que justement, le but c’est de développer chez les enfants les habiletés de pen-
144
sée. Donc, qu’on fasse des exercices pour que les enfants comprennent l’importance d’un
145
exemple, d’un contre exemple, sachent ce qu’est une hypothèse, ce qui va leur permettre de
146
l’utiliser après dans d'autres contextes, comme dans l’environnement, par exemple. Savoir ce
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que c’est une analogie, une comparaison, une métaphore, etc. Vraiment développer ces habi-
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letés de pensée, parce qu’il s’agit pas juste d’être là en train de débattre, faut débattre avec des
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outils et la philo, c’est ce qui permet aussi aux enfants de développer ces outils, et ces outils
150
vont leur servir quand ils feront des dissertations, quand ils vont faire des sciences. Voilà,
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c’est ce qui permet aussi d’entrer dans le PER. Dans le PER, il y a les objectifs de la philoso-
152
phie pour enfant, ils sont écrit noirs sur blanc. Donc, en tant qu’enseignant, tu es autorisé à le
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faire, car il y a des objectifs par rapport à la pensée créative, à la pensée critique.
154
Donc ça, tu mettrais là-dedans ? Car il y en a qui mettent dans français - argumentation ou
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citoyenneté, donc où c’est que tu le places ?
156
Moi, je le place dans habiletés transversales. Pour moi c’est du transversal, car tu peux
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l’utiliser en mathématiques, tu fais des hypothèses en mathématiques. Tu peux l’utiliser en
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environnement, en français, euh voilà. Après, c’est vrai que concrètement, dans mon horaire
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de la semaine, c’est une heure de français. Parce que plutôt que de perdre du temps, enfin ça
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c’est mon avis personnel, j’ai de la chance de travailler à l’école XY (nom d'emprunt) qui est
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une école privée alternative où on est libre de faire le programme à notre manière, à partir du
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moment où on remplit les objectifs du PER. Moi, je ne perds pas mon temps à travailler le
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texte argumentatif avec mes élèves, du genre « je suis d’accord parce que, je ne suis pas
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d’accord parce que », « en revanche etc. ». Moi, personnellement, ça ne m’intéresse pas. Je
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trouve plus riche de former les enfants à la philosophie et du coup ils sont capables
234
166
d’argumenter, mais de manière totalement naturelle. Ils savent ce que c’est d’argumenter par-
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ce qu’ils le font une fois par semaine.
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Et du coup, pourquoi tu fais ça avec tes élèves ?
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Je le fais pour développer leur esprit critique, parce que je considère que c’est important dans
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l’époque dans laquelle on vit d’avoir un regard dans le monde, sur les médias, sur les images.
171
On a des images partout, sans forcément des commentaires, on a des images à la télévision
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avec des commentaires qui sont pas forcément... Je pense que c’est un outil essentiel et
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d’ailleurs Michel Sasseville l’explique très bien. Il dit que ça fait, je crois depuis une vingtai-
174
ne d’années que ça a été introduit à l’école au Québec, et on peut pratiquement généraliser
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dans toutes les écoles, je crois que c’est obligatoire dans le programme québécois. Il se re-
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trouve à l’université avec des étudiants qui sont vachement plus malléables qu’avant, ils ont
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des étudiants qui remettent en question ce que dit le prof, voilà. Donc le prof ne peut plus ar-
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river sur sa chaise et balancer sa vérité absolue. Il peut plus et tant mieux, parce que ça per-
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met, il me semble une plus grande honnêteté scientifique, et du coup ça donne des citoyens
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qui peuvent déranger, car c’est des citoyens qui remettent en question et pas des citoyens qui
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croient tout ce qu’on leur dit.
182
Et du coup toi, dans ta classe, ça t’apporte quoi ?
183
Alors, moi ça m’apporte que j’ai des enfants qui, du coup, quand ils écrivent un texte, je trou-
184
ve qu’ils articulent beaucoup mieux leur texte. Et puis quand on fait des sciences, on utilise
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l‘hypothèse, la certitude, l’exemple, le contre-exemple, la comparaison et ils savent exacte-
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ment de quoi on parle.
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C’est une sorte de schéma qu’ils gardent, une synthèse…
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Exactement. Cette rigueur scientifique, d’une certaine manière, je trouve qu’ils l’acquièrent
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en faisant de la philo, parce qu’on ne discute pas n’importe comment et il y a vraiment une
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rigueur intellectuelle quoi, donc voilà. Et puis, ça apporte aussi autre chose, ça apporte du
191
plaisir, c’est des enfants qui ont du plaisir à faire ce moment de philosophie, ils s’éclatent. Et
192
moi, en tant qu’enseignante, j’observe juste des enfants qui sont intelligents, avec la racine du
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mot inter-legere : lire entre, être capable d’aller voir un peu plus loin que la simple apparence.
194
Et toi, lors des moments philo, je pense que les enfants sont en cercle ?
195
Oui, ils sont en rectangle parce que j'ai une petite classe.
235
196
Et tu es avec eux dedans ?
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Je suis avec eux oui, on est tous ensemble. Et je suis, même si je suis animatrice, je suis à éga-
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lité avec eux. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de, voilà, hiérarchie. On est tous ensemble dans cette
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communauté de recherche.
200
Et tu donnes ton avis de temps en temps ?
201
Je donne de temps en temps mon avis, mais uniquement lorsque je considère que ça va faire
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avancer le débat. Ce n’est pas forcément mon avis que je donne, mais c’est plutôt sous forme
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de question, que je vais soulever quelque chose auquel ils n’avaient pas pensé, ou parce que
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j’ai envie de les emmener quelque part, parce que j’ai l'exercice de Lipman sous la main qui
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va permettre de parler d’un truc, ou puis voilà. Mais sinon, mon avis réel, ou mon point de
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vue sur un truc, non, je le donne pas. Et je trouve que ça a aucune forme d'intérêt de le donner
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et je trouve dangereux, car malgré tout, je suis une adulte, donc ce que je dis peut être consi-
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déré comme vérité absolue et on n’a pas de vérité absolue, ça c’est clair. Avec les enfants, on
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est là pour construire ensemble et pour s'approcher le plus possible de la réalité, et ça, on va le
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construire ensemble, et c’est ça qui est intéressant.
211
Au niveau de la préparation d'une discussion, qu’est-ce que tu fais avant ?
212
Alors ce que je fais, bah j’utilise beaucoup le manuel de Lipman. Donc cette année je suis
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avec Pixie, et avant de commencer un chapitre, je vais lire le chapitre explicatif pour le prof
214
dans le manuel, je vais sélectionner des exercices qui m’intéressent, et après j’ai toujours le
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classeur d'exercices avec moi pendant la séance, parce que tout d’un coup il peut se passer un
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truc et je vais aller chercher l’exercice et ça nécessite que je sois aussi en connaissance des
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exercices qu’il y a dedans. Après, tu peux aussi aller piocher dans d’autres chapitres si des
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fois il y a un thème qui émerge et qu’il y a pas d’exercices dans les autres chapitres. Il y a par-
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fois dans les autres manuels, des autres romans, donc du coup, quand j'utilise d'autres sup-
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ports, comme des films, comme la littérature ou des images, ça m’arrive d'aller aussi piocher
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des exercices chez Lipman. Je vais dans le lexique par thème, et je vais trouver un chapitre sur
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le respect, un chapitre sur le jugement. Je ne sais pas, je vais regarder et j’utilise beaucoup,
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beaucoup, ces exercices et je vais beaucoup lire ce que Lipman en a dit. Parce que ça me per-
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met d’aller chercher un peu des ressources. Et après, j’ai les formations que je fais qui me
225
permettent d’agiter les neurones.
236
226
Et au cours de la discussion, comment est-ce que tu régules, tu dis là ça avance bien, ou là ça
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avance plus on va changer de sujet ?
228
Je ne le dis jamais parce que je n’émets pas de jugement de valeur sur ce qui est en train de se
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produire. Je suis juste la personne qui va relancer la question quand moi je considère qu’on est
230
en train de piétiner, ou quand on va plus dans une direction qui ressemble plus à une discus-
231
sion de bistrot. Je vais réorienter et quand on n’a plus rien à se dire, on change de sujet. Et
232
puis, toute façon, on a plein de questions et on va toutes les traiter. Certaines on va les regrou-
233
per, mais on va toutes les traiter, parce qu’il n’y a pas une question qui est plus intelligente
234
qu’une autre. Parce que c’est important que les enfants se sentent tous respectés et valorisés,
235
et quand on n’a plus rien à se dire, on change de sujet. Et en plus avec Lipman, l’avantage
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c’est que tu sais que le thème, il va revenir dans un chapitre, deux ou trois, et on va le réabor-
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der, mais sous un autre angle.
238
Et à la fin, est-ce que tu formalises, institutionnalises quelque chose ?
239
Ça m’arrive de faire par moment un petit résumé, de dire bah voilà, aujourd’hui, on a entendu
240
tel et tel point de vue, c’était intéressant parce que… Voilà, j’essaie de tranquillement aller
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vers un concept, redire avec mes mots ce qu’il s’est passé et vers quoi on est allé aujourd’hui,
242
mais je le fais pas systématiquement, et je le fais vraiment quand je me sens très à l’aise de le
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faire, parce que je pense pouvoir avoir une distance nécessaire. Parce que le piège c’est de
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trop réduire ce qu’ils ont dit, donc vraiment, je le fais quand je me sens à l'aise de le faire et
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que les idées étaient claires. Et voilà, je prends aussi des mots-clés pendant la séance et ça me
246
permet de faire un retour et d’être active dans mon animation. Ça prend de l’énergie une ani-
247
mation philo, ce n’est pas un truc, euh… on en sort on est fatigué, parce qu’il faut vraiment
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être ultra concentré de ce qu’il se passe.
249
Et comment on peut être sûr que les élèves ont acquis quelque chose ?
250
On va le voir au fur et à mesure des communautés de recherche. Déjà ils vont les réclamer, ils
251
vont avoir du plaisir, ils vont faire « oui » quand on dit que maintenant on va faire une com-
252
munauté de recherche scientifique, et puis tranquillement ils vont devenir de plus en plus
253
compétents et ça c’est vraiment… Ca ne vient pas tout de suite. C’est vraiment sur leurs com-
254
pétences.
255
Et comment on le voit avec le début ?
237
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Tu le vois parce que d’un coup tu te dis « waouh ». Et t’as juste des enfants qui vont com-
257
mencer à utiliser des habiletés de pensée, mais ça se fait tranquillement. Je te rassure, moi je
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ne commence pas par : « Aujourd’hui, nous allons parler de la comparaison.» C’est tranquil-
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lement. On va commencer à mettre ça en place, et petit à petit, et une habileté de pensée après
260
l’autre, ou alors quand un enfant parle dire « Là, tu viens de faire une comparaison.» Et puis
261
du coup, les autres : « C’est quoi une comparaison ? Qu’est-ce qu’un tel a fait en parlant ? »
262
« Ah bah, il a dit que ça c’est comme ça », le comme utilisé comme comparaison ça permet de
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justement mettre deux choses en balance, c’est une habileté de pensée. Ou bien relever les
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présupposés : «Mais pourquoi est-ce que tu dis ça, pourquoi tu dis ça ? » « Ah, parce que je
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l’ai entendu ou parce que tout le monde le dit.» Et, mais euh, « Est-ce que tu penses que c’est
266
vrai ou c’est juste quelque chose qui s’utilise communément ? » Et puis, à un moment donné,
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on utilise des choses sans forcément réfléchir, et est-ce que ça a un sens ? Et les autres peu-
268
vent aussi réagir et… Mais si tu veux, la seule chose où je me mets des barrières, c’est quand
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les enfants parlent de Dieu, parce que je trouve, je considère que j’ai pas les outils moi, pour
270
parler de Dieu avec les enfants, et j’ai pas envie de mettre le doute et c’est pas mon rôle
271
d’enseignante à commencer à mettre le doute. Voilà, je respecte ce qu'il se passe dans chaque
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famille. Donc ça, c’est un sujet avec lequel je suis pas à l’aise. Je le suis un peu plus avec les
273
formations que je fais maintenant, d’ailleurs elle m’avait dit ma prof : « Moi, je me sens capa-
274
ble de le faire parce que je suis philosophe », et tranquillement je pense que si ça devait émer-
275
ger, j’aurais plus d'outils. Mais voilà, parfois il y a certains sujets qui sont périlleux, quoi.
276
Parce qu’obligatoirement, il y a celui qui croit en Dieu et celui qui croit pas. Et celui dans le-
277
quel sa famille on croit en Dieu et celui dans lequel, dans sa famille, on ne croit pas en Dieu,
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et voilà. Donc c’est vraiment hyper délicat et il faut vraiment savoir ce qu’on fait.
279
Et puis les enfants qui ne prennent pas la parole ? Est-ce que tu vas les chercher ou est-ce
280
que tu les laisses ?
281
Oui, je vais les chercher. Après moi, je les évalue en philo. Dans mon école. Il n’y a pas de
282
notes. On fait des évaluations formatives. Mais, deux fois par an, je rencontre les parents et je
283
fais une évaluation orale, en novembre orale et puis en fin d’année je la donne, et donc
284
j’évalue la philo. Et j’ai plusieurs critères, j’ai : l’écoute, la qualité de l’écoute, est-ce que
285
l’enfant il est avec nous? Car t’as des enfants qui ne disent rien mais qui ont une magnifique
286
écoute. Et ça, tu le sais parce que tout d’un coup, quand tu vas dire : « Et toi, un tel, qu’est-ce
287
que tu en penses ? », parce que y a des personnes qui disent jamais rien et puis elle rebondit.
288
Si elle est timide, elle ne va pas dire grand-chose, mais tu sens qu’elle est à l’écoute et qu’elle
238
289
est là. Le deuxième critère c’est l’argumentation, c’est la capacité à utiliser les habiletés de
290
pensée, et puis la troisième, le respect. Le respect de la parole de l’autre, ça veut dire que je ne
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coupe pas la parole et que voilà, j’écoute et que je suis capable aussi de rebondir sur ce que dit
292
l’autre, je ne suis pas uniquement centré sur moi mais je peux répondre à l’autre et faire en
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sorte qu’il y a un vrai débat qui émerge. Voilà, ces trois critères. Dans ma manière d’évaluer y
294
a pas de bien, ce n’est pas bien, ce n’est pas ça. C’est « c’est super que tu aies pu respecter
295
l’autre, tu as une bonne écoute ou alors voilà peut-être ça serait bien de participer un peu
296
plus », mais voilà, il y a des élèves qui ne participent pas parce qu’ils sont timides, parce
297
qu’ils ont peur, parce qu’ils ont peur de dire faux, parce qu’ils ont peur d’être bêtes, euh, mais
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ça faut aller les chercher, mais je n’insiste pas. « Et toi qu’est-ce que tu en penses? » Et des
299
fois je sens, je n’insiste pas, mais j’y retourne pour que tranquillement... et franchement les
300
enfants, tranquillement, ils vont… il y en a, ils vont jamais prendre la parole si on ne va pas
301
les chercher, mais au fur et à mesure que tu vas les chercher, ils vont en dire un peu plus, ils
302
prennent confiance, ils se rendent compte que ce n’est pas dangereux de dire son opinion et on
303
ne va pas les juger. Ca c’est un trucm se moquer, rire de ce qu’a dit l’autre et tout ça c’est un
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trucm dès l’entrée de jeu je leur dis "Non, faut qu’on se sente libre, qu’on se sente à l’aise,
305
respecté, c’est hyper important sinon notre communauté de recherche peut pas fonctionner".
306
C’est vraiment le présupposé de base et puis y a une chose aussi, je les laisse dessiner. Alors
307
je leur dis : « voilà, vous n’êtes pas en train de faire le plus beau dessin de votre vie, vous êtes
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en train de griffonner », parce que je trouve que quand les enfants peuvent s’occuper avec la
309
main, comme nous des fois quand on est au téléphone et qu’on griffonne un truc, pour beau-
310
coup d'enfants ils ont une meilleure concentration et ils sont beaucoup plus actifs que s’ils
311
font rien pendant quarante-cinq minutes. Donc, ça peut être faire comme ça, avec une balle en
312
mousse, ça peut être plier un petit bout de papier, s’occuper avec les mains. Certains, ça leur
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permet de mieux, après quand il y a des séances où ils sont complètement absorbés dans leur
314
dessin et qu’il se passe que dalle j’enlève les feuilles de papier, et aujourd’hui bah, on fait
315
sans. Mais du coup, la fois d’après, ils savent. Du coup, on a des enfants qui sont comme ça
316
autour de la table et qui de temps en temps lèvent la main, et hop, en fait ils on une très, très
317
bonne écoute et ils n’ont pas forcément besoin de se regarder. Après, il y a les visuels qui ont
318
besoin de regarder les autres.
319
Et donc au niveau de ta formation, toi, tu as commencé sans formation et après tu t’es for-
320
mée ?
239
321
Alors, j’étais stagiaire de la classe de Paule qui a commencé la philo à Genève. J’étais stagiai-
322
re dans sa classe pendant une année et je participais au même titre que les élèves aux commu-
323
nautés de recherche. J’étais souvent secrétaire, observatrice. Ensuite, je me suis formée. Donc
324
les formations que j’ai eues avec elle, c’était vraiment des communautés de recherche. Dire
325
qu’on travaillait sur Pixie en l’occurrence et que comme les enfants, on posait nos questions et
326
on faisait une communauté de recherche. Après, j’ai fait des formations avec Michel Sassevil-
327
le, c'est-à-dire qu’on est en communauté de recherche avec Sasseville qui anime, puis qui atti-
328
re notre attention sur certaines choses, mais voilà, on agit, on est dedans j’ai fait... Je n’ai pas
329
fait de formation avec Alexandre Herriger, par contre il et venu m’évaluer en classe et ça
330
c’était chouette, parce qu’il me faisait un retour sur tout ce qui c’était bien passé, sur ce qu’il
331
y avait à améliorer etc. Et puis là, ça fait deux ans que je fais cette formation, où là c’est un
332
cours de philo, mais où on est ensemble, mais qui se transforme en communauté de recherche,
333
mais où vraiment là, on travaille sur les concepts philosophiques. Mais là c’est super intéres-
334
sant, car du coup, ça affine un peu plus qu’est-ce que c’est une réflexion philosophie, qu’est-
335
ce qu’on veut. Et cette philosophe est elle-même formée à la méthode lipmanienne, donc elle
336
sait ce qu’il faut faire avec, elle sait comment on anime une communauté de recherche, donc
337
elle insiste sur ce qu’on doit savoir faire et ça c’est vachement riche.
338
Et si tu repenses à la première fois que tu as fait de la philo dans ta classe ? Par rapport à
339
aujourd’hui, qu’est-ce qui a évolué ?
340
Euh, ça ressemble beaucoup à une communauté de recherche philosophique maintenant. Je
341
pense qu’au début c’était plus de la discussion. Mais, c’est là où petit à petit, je me suis amé-
342
liorée. On sent que je suis plus au clair avec l’objectif philosophique maintenant, que ce que
343
je l’étais au départ.
344
Donc ta vision déjà de la philosophie pour enfant en elle-même elle a évolué ?
345
Oui.
346
Et ça serait quoi un bon enseignant de philosophie? Les ingrédients clés ?
347
J’aimerais bien le savoir…. (rires) J’ai envie de dire, de toujours être au clair sur le fait que,
348
comme le disait Socrate : « La seule chose que je sais c’est que je ne sais pas.» Donc voilà,
349
toujours être humble, être en recherche perpétuelle pour s’améliorer, pour être un meilleur
350
animateur, euh se mettre le moins en avant possible et notre opinion n’intéresse pas les en-
351
fants, on n’est pas en train de parler de mon opinion à moi, euh on est en train de faire émer240
352
ger une pensée critique chez l’enfant, c’est vraiment… Et pour finir, on s’en fout de quoi on
353
travaille, on s’en fout pas du tout hein, mais je veux dire l’objectif final c’est de faire émerger
354
une pensée critique, avec des outils pour le faire. Être vraiment outillé pour le faire et rester
355
humble et se former en permanence, je pense, pour être justement dans cette remise en ques-
356
tion et s’améliorer. Et quand y a une séance qui se passe pas bien, parce que c’était trop mou,
357
parce qu’on était à moitié endormi, ou parce qu’on n’a pas eu ce plaisir, bah "pourquoi ?
358
Comment ça se fait ?" Et puis pareil, quand on a eu trop de plaisir, est-ce que pour finir là on
359
n’était pas tous au bistrot et on a eu tellement de plaisir que la discussion est partie dans une
360
discussion à bâtons rompus et on était en fait plus du tout en train de faire de la philosophie?
361
Donc, toujours garder cet objectif en tête.
362
Et finalement, le rôle de l’enseignant se résume à relancer, poser des questions… ?
363
Oui, c’est surtout un poseur de questions. T’es allé voir sur le site de l’école XY (nom d'em-
364
prunt) ? Y a un film qu’Arte avait fait avec des interviews de Michèle Sasseville. Et là, vrai-
365
ment, il parle du rôle de l’animateur. Tu as sur le site de l’école XY, tu vas sous philo, et là il
366
y a un petit film Arte, qui est avec Paule qu’est décédée maintenant, mais qui était la première
367
à faire de la philo à Genève et où il y a des interviews de Michel Sasseville qui explique vrai-
368
ment clairement quel est le rôle de l’animateur. Je t’invite à aller voir.
369
Ok, super, je vais aller voir. Peut-être une toute dernière question. C’est quoi pour toi la phi-
370
losophie pour enfants ? Si tu devais la définir ?
371
Développer l’esprit critique et les habiletés de pensée qui permettent une rigueur philosophi-
372
que, dans tous les domaines. Et voilà, faire en sorte que les enfants ne soient pas des moutons,
373
mais les considérer comme des personnes à part entière, comme le disait Dolto. Ca reste des
374
enfants, donc on est là pour les aider à développer sa pensée critique.
375
Mais tu penses que ça devrait devenir une discipline en soi ou pas ? Parce que j’ai l'impres-
376
sion que quand ça devient une discipline, il y a des questions d’évaluations, d’objectifs…
377
Oui… mais pourquoi pas. Je pense que c’est essentiel, parce que c’est essentiel pour tous les
378
autres champs à l’école. Et je pense que c’est vraiment un outil pour rendre les enfants auto-
379
nomes, et avant d’être autonomes physiquement je pense qu’il faut être autonome intellectuel-
380
lement. Parce que, tu peux être en chaise roulante, mais intellectuellement tu peux t’en sortir.
381
Mais en revanche si tu es sain de corps mais que tu n’es pas intellectuellement autonome, je
382
pense que c’est plus difficile. Je trouve que cette autonomie intellectuelle est importante. Et,
241
383
au-delà de l’autonomie intellectuelle, c’est aussi l’écoute de l’autre, de développer le fait
384
qu’on peut ne pas être d’accord et que ce n’est pas un drame, mais qu’au contraire, ça enrichit
385
le débat et la vie de pas être d’accord, pas avoir les mêmes croyances, pas penser la même
386
manière. C’est « waouh, tu penses ça ? C’est incroyable j’avais jamais vu les choses sous cet
387
angle.» Et bah voilà, « Toi, tu n’es pas d’accord, alors on va en discuter et au bout du compte
388
on sera toujours pas d’accord mais on l’aura entendu, on saura que ça existe et on est capable
389
de respecter l’autre, on doit, car on a aussi envie soi-même qu’on soit respecté dans ce qu’on
390
pense et dans ce qu’on croit. »
Demande de renseignements complémentaires par mail
391
J'ai une 5P-6P. Cela fait 12 ans que j'enseigne à l'Ecole Active où je pratique la philo depuis le
392
début. Me former en philo était d'ailleurs une condition à mon engagement dans cette école.
393
Mon intervention à pour but de cadrer le débat (le recentrer si nous nous dispersons), de poser
394
des questions qui permettent de mieux définir les termes que nous utilisons afin d'en partager
395
une compréhension commune, de poser des questions qui permettent de s'approcher toujours
396
plus près du concept philosophique (le bien, le beau, le juste, le vrai....les questions d'ordre
397
éthique et esthétique). Le but étant de partir de la pensée créative pour s'approcher toujours
398
plus de la pensée critique. L'enseignant est un poseur de questions. Il ne possède pas La Ré-
399
ponse ni La Vérité. Son objectif est d'aider les enfants à devenir toujours plus expérimentés
400
dans l’usage des habilités de pensées (exemples, contre-exemples, comparaisons, analogies,
401
hypothèses, métaphores, etc.), et d'affiner la rigueur intellectuelle de la pensée critique.
242
Entretien de Fabienne
1
Est-ce que vous avez des réactions par rapport à tout ça ?
2
Alors, qu’est-ce que je dirais ? Alors, peut-être y a deux choses qui me frappent au début. La
3
première, c’était la façon dont vous décrivez, la façon dont vous avez présenté, il me semble
4
que vous avez déjà en tête, vous voulez vous-même amener les élèves à quelque part… Donc,
5
vous avez présenté un support, ça c’est peut-être une deuxième difficulté, mais vous avez pré-
6
senté un support mais il y a un raisonnement implicite que vous avez fait entre ce support et là
7
où vous vouliez arriver. Donc ça, je dirais, c’est la première chose peut-être qui est en décala-
8
ge avec la démarche, c’est qu’en principe la démarche c’est que vous allez là où les élèves
9
vous guident. Ce qui ne veut pas dire que vous n’avez pas des thèmes que vous aimeriez que
10
les élèves abordent, mais ce qui vous interpelle et vous surprend, à mon avis, c’est que vous
11
avez un raisonnement et un chemin précis que vous voulez que les élèves empruntent. C’est
12
mon impression. Parce que, pour vous, c’est une évidence, il y a un lien, vous avez déjà un
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raisonnement qui fait un lien entre l’image et là où vous voulez arriver. Ca veut dire qu’il y a
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jamais une idée d’un jugement moral, de ce qui et bien ou pas bien, de ce qu’il faut faire ou
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pas faire. Donc, à mon avis, là, il y a une difficulté. C’est qu’à mon avis, vous avez là déjà un
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objectif dans ce que vous voulez, ce qui est un petit peu contraire à la démarche philo, car la
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démarche philo : on présente quelque chose qui potentiellement est un peu ambiguë ou pro-
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blématique, mais est-ce que les enfants s’en saisissent ou pas ? Est-ce que finalement ils vont
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arriver là où vous voulez qu’ils arrivent ? Ce n’est pas du tout dit. Donc, ce qu’il faut, c’est
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justement leur présenter quelque chose qui peut être problématique et dire « C’est quoi ?
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Qu’est-ce que tu penses que ça pourrait être ? Est-ce que vous pourriez imaginer une situation
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où ça se passe ? Qu’est-ce qui pourrait faire pour que des gens réagissent comme ça ? Qu’est-
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ce qui pourrait se passer après ? » Donc, à partir de questionnements comme ça, vous allez
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pousser les enfants à réfléchir, parce que votre objectif ce n’est pas d’arriver à une opinion sur
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ce qui est bien ou pas bien. L’idée, vous les stimulez à se poser des questions, à réfléchir sur
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des choses, donc « qu’est-ce qui pourrait paraître étonnant sur cette image ? » Parce que, de
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là à les faire élaborer sur une vision de la liberté, de la démocratie, ou des choses, c’est un peu
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ambitieux. Et ils sont petits encore, donc déjà… Alors ça, c’est l’idée dans ce que je lis, c’est
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que quelque part vous avez envie qu’ils arrivent à quelque chose, et donc là, il y a une tension
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avec la démarche.
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La deuxième chose, c’est qu’effectivement je pense que le choix du support… Ils sont très
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jeunes, donc je pense que cette image ils la connaissent pas. Ca ne leur rappelle rien. Donc le
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danger, c’est qu’effectivement, ils partent sur la question du contexte. Mais au fond, l’idée ça
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ne serait même pas de parler du contexte, parce que vous avez parlé du contexte pour expli-
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quer la situation, pour qu’ils arrivent à entrer dans la démarche que vous vouliez. Donc, à mon
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avis, vous pourriez présenter cette situation en disant : « Un jour ça s’est passé quelque
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part… » Mais sans le contexte, parce que l’idée c’est que eux doivent chercher, donc on n’est
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pas en train de faire une leçon d’histoire, on n’est pas en train de…. Mais si vous voulez
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qu’ils réfléchissent là-dessus, vous pourriez commencer par dire « Bah, est-ce qu’il y a quel-
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que chose qui vous surprend ? » Alors on pourrait dire « Bah oui, comment ça se fait qu’il est
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là le monsieur ? » Là, vous pourriez justement les faire réfléchir : « Qu’est-ce que ça pourrait
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être ? » Il y en a un qui pourrait dire : « Ca pourrait être un défilé militaire.» Et puis alors, si
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tout le monde par exemple, parce que comment faire entrer tout le monde dans la question
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« Alors qu’est-ce que ça peut être selon vous ? » Alors il y en a un qui dit : « Peut-être c’est
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un… » « Faites une hypothèse », alors un dira « peut-être que c’est un défilé, puis c’est quel-
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qu’un qui leur montre comment il faut défiler », et si personne trouve autre chose vous pour-
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riez dire « bah en fait ce n’est pas un défilé, c’est une vraie image et ce n’était pas ça, est-ce
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que vous pourriez trouver autre chose ? » « Bah, en fait c’est quelqu’un qui s’est mis là pour
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empêcher de faire passer les… » « Qu’est-ce qui peut se passer dans cette situation ? » Il y a
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« peut-être ils vont pas arriver parce que s’ils veulent tourner enfin… » Simplement, tout d’un
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coup, leur faire imaginer ce que ça pourrait être, et tout d’un coup de se dire comment il fait
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pour se mettre contre ? Qu’est-ce qu’il faut pour se mettre dans une situation comme ça ? Si
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c’est pas un défilé, c’est quelqu’un qui proteste. « Est-ce qu’on peut imaginer la situation dans
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laquelle, qu’est-ce qu’il risque ce monsieur ? » Commencer à lancer d’autres questions pour
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que, si vous présentez l’image comme ça, c’est vrai qu’à priori ce n’est pas forcément pro-
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blématique. Soit vous pouvez les faire partir de quelque chose qui est pas problématique et de
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leur montrer qu’au fond, et ce qui est intéressant, c’est la démarche, qu’une photo qui a l’air
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quelque chose de non problématique est en fait quelque chose de problématique. Donc ça
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c’est le premier pas. Donc vous voyez, c’est assez loin des objectifs que vous vous êtes, vous
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vouliez sûrement parler de la liberté, la paix, parce qu’à priori ce n’est pas forcément une si-
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tuation de guerre voyez ? Donc le début de la démarche, ça serait déjà ça. Après, vous pour-
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riez préparer quelques types de questions, vous voyez par exemple, ce qui est intéressant
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quand vous êtes dans des situations où tout le monde est d’accord, si tout le monde est
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d’accord c’est un peu ennuyeux, du coup c’est à vous de poser une question « Et si je vous dis
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que c’est un monsieur qui proteste et c’est pas un défilé militaire, parce qu’il n’avait pas le
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droit de faire ça ça et ça, donc voilà les gens ont commencé à défiler dans la rue et l’armée a
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été envoyée. Qu’est-ce que vous pensez qu’il risque ce monsieur ? Ou que pourraient décider
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les gens qui sont contre ce monsieur, ou qu’est-ce que lui il a envie de dire ? ».
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Oui, j’avais de la peine à les sortir du contexte, ils me demandaient « mais c’était où? », etc.
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Oui, alors là c’est cuit. Ca, c’est peut-être ce support là. Ca pourrait être intéressant, mais ça
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pourrait être intéressant dans une deuxième étape. Vous pourriez commencer avec un support
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plus simple, parce que du coup c’est un support qui vous donne pas beaucoup d’éléments
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d’accroche à vous, alors je ne sais pas si vous partez peut-être d’un texte, d’une devinette ou
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qu’est-ce que vous utilisez comme matériel ?
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Là, je suis partie sur le Petit Prince et ça va nous faire un bon bout de chemin. Mais sinon
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j’utilisais, il y a pas mal de livres « Pourquoi fait-on la guerre ?» Des fois on partait juste
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d’une page où il y avait des questions, ou comme ça, ou des fois juste en parlant de violence /
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non-violence et je les écrivais au tableau : qu’est-ce qu’on met dans violence ?
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Ils arrivaient à mettre beaucoup de choses et dans non violence, il y avait moins de choses qui
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sortaient. Et là je voulais partir un peu sur la paix et je trouvais que c’était un bon passage
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entre deux, mais ça n’a pas passé.
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Cela dit, des fois, il n’y a pas de formule magique. Parfois, il y a des groupes, ils trouvent un
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chemin et ils s’engouffrent, et tout d’un coup avec certains groupes, on a beau donner des pis-
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tes, mais voilà, disons bon… L’idée c’est que la limite, si vous devez passer trop de temps à
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expliquer le contexte en fait, ça perd du sens, et vous n’atteignez pas non plus l’objectif qui
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est de les pousser dans leur questionnement, à chercher des hypothèses, voyez. Vous pouvez
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chercher d’autres exemples, en disant « Bah là, c’est un homme qui s’oppose » et d’un coup
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ça pourrait être une histoire du faible contre le fort "Est-ce que il a raison?" « Est-ce que vous
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trouvez qu’il y raison de s’opposer comme ça ? Est-ce qu’y a d’autres façons ? » « Oui, on
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pourrait prendre des armes. » « Alors est-ce que vous auriez des exemples ? » Vous voyez,
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sans moraliser, en leur disant c’est bien ou pas bien, parce que l’idée c’est qu’ils réfléchissent
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là-dessus. « Qu’est-ce que vous pensez qu’il essaie de faire ? De dire ? ». Donc ça, voilà,
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c’était vraiment les deux choses.
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L’idée, et le piège dans lequel vous êtes un peu tombée, c’est voilà, je veux qu’ils arrivent là,
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et finalement il y a un chemin implicite, et c’est un peu le réflexe de prof. On veut qu’ils arri-
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vent à la solution et on veut qu’ils arrivent. C’est toute la difficulté du dialogue philo. Disons
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que la didactique de faire la philo avec les enfants, du philosopher, c’est justement se laisser
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mener là où va la discussion et c’est eux, le processus et vous êtes là pour soutenir le proces-
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sus de questionnement. « Pour quelles raisons ? Quelles pourraient être les conséquen-
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ces ? Est-ce que vous avez des exemples de gens qui se sont battus ? Est-ce que vous pensez
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que c’est une bonne façon de se battre ? Est-ce que vous pensez qu’il y aurait d’autres façons
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de se battre ? Est-ce que vous pensez qu’il a raison ? Que les gens en face ont raison ? » En-
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fin, vous voyez, ce genre de, et c’est comme ça qu’ils élaborent, et maintenant savoir qu’est-
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ce qu’ils vont retenir, ce monsieur est stupide ou ça y a pas de position à priori.
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Et sinon la philosophie pour enfant, dans ce cadre là, comment vous la définissez ? En quel-
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ques mots…
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En quelques mots ? (rires)
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Non, alors, en beaucoup de mots…
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Pour moi justement, l’idée c’est de permettre aux élèves de développer leur pensée. Alors,
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comment est-ce qu’on essaie de développer leurs idées ? On essaie de donner du sens à des
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choses qui nous entourent. En philo pour enfant, l’idée c’est de leur permettre de se construi-
112
re du sens par rapport aux choses, aux événements, aux situations de leur environnement ou
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des choses qu’eux vivent tous les jours. Donc c’est pour ça que c’est important de partir de
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leurs questionnements et de soutenir ce processus là, qui est un processus qui se fait dans la
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mise en commun des différente expériences et des différentes pensées, qui sont les différentes
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réflexions des élèves. Tout d’un coup, l’objet dont on parle commence à prendre une épais-
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seur et c’est dans cette épaisseur là qu’on trouve du sens, parce que quand le sujet, si les gens
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partent du début de la leçon ou la fin de la leçon de l’idée que la guerre c’est ça et la paix c’est
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ça, c’est probablement un peu pauvre, parce que c’est plus complexe. On sent bien que la si-
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tuation, la guerre, la violence la paix ça peut être un continuum, y a des moments où ça casse
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et le fait de complexifier la notion je trouve que c’est ça qui est important et tout d’un coup on
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se rend compte qu’il y a des dimensions éthiques, de différents ordres, des dimensions politi-
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ques, stratégiques. Il y a beaucoup de dimensions. C’est un phénomène qui est quand même
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social, qui existe partout, parce que la guerre c’est la violence, c’est la même chose. Donc
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c’est en densifiant le phénomène qu’on commence à mieux comprendre de quoi il s’agit, par-
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ce que si c’est un truc clair et net, c’est une fois pour toutes on a une définition claire et nette,
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c’est oui, c’est peut-être un petit début de quelque chose, mais ce qu’il faut c’est enrichir cette
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pensée. Donc, bien sûr il y a des connaissances qu’on peut apporter, mais ce qui fait vraiment
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qu’on arrive à s’élever dans sa pensée, c’est justement quand on arrive un peu à la produire
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par soi-même. Aussi, quand on arrive à l’alimenter avec des choses, les choses prennent tout
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leur sens, on fait des liens qu’entre les choses et à mon avis, en philo, c’est ce qu’on essaie de
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faire. C’est vraiment de permettre aux enfants de justement exercer cette capacité à penser.
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Et vous mettez quoi comme objectifs scolaires derrière ?
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Alors, j’ai eu la chance de pratiquer dans les écoles privées. Alors, je n’avais pas… y avait
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pas un objectif particulier. Mais pour être en train de justement faire mon mémoire et voir
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comment les enseignants l’utilisent, donc ils l’utilisent soit pour des questions de formation
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générale, en lien avec le PER, donc c’est dans tout ce qui est formation générale, donc le vivre
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ensemble, éducation à la citoyenneté, euh… mais c’est aussi les compétences transversales, la
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collaboration, pensée critique et créatrice. Et puis autrement, beaucoup dans tout ce qui est
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formulation, donc plutôt en français, compétences orales, en français, et c’est vrai le fait de
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formuler ou de formuler avec ses propres mots, de comprendre, d’écouter les explications,
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d’essayer de mettre en mots sa pensée, ça exerce ce genre de compétences.
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Et vous, quand vous en aviez fait, vous mettiez plutôt pensée réflexive derrière ?
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Bah, à mon avis c’est tout travaillé ensemble, parce que le fait de formuler par exemple,
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j’étais avec une classe d’élèves de cinq ans. On partait d’un poème de Prévert. Ca s’appelle,
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c’est l’histoire du bonhomme de neige, une chanson pour les enfants en hiver, c’est un bon-
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homme de neige qui court dans la nuit. Il est poursuivi par le froid et on parlait du fait d’être
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poursuivi, qu’est-ce que ça veut dire d’être poursuivi ? Déjà, comme notion ce n’était pas
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clair. Ils avaient cinq ans donc, euh, et qu’est-ce qu’on ressent quand on est poursuivi ? Alors,
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y a des fois ça peut être un jeu, on se poursuit dans la cour. Ou des fois, comme à la télé, y a
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des gens qui peuvent avoir peur. Alors on a parlé de la peur : « c’est quoi la peur ? » Et l’idée
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c’était déjà de définir ce qu’était la peur. Donc, souvent les définitions au début, c’est « bah,
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c’est quand j’ai peur.» Oui, mais « est-ce qu’on pourrait trouver une autre façon de décrire,
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parce que là on ne comprend pas, c’est tautologique et l’idée c’est qu’on cherche avec
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d’autres mots. » Donc on a cherché ça, puis après on a dit que ce n’était pas évident de trouver
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une définition et après on a dit « alors est-ce qu’on peut la décrire ou donner des exemples de
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ce que c’est ? » Alors il y a des exemples précis. Y en a qui disaient « bah c’est quand j’ai des
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poils qui se dressent, j’ai la chaire de poule ou j’ai le ventre qui fait glouglou ou je commence
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à transpirer ou je n’arrive pas à parler ou j’ai envie de pleurer. » Et puis après je disais, par
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exemple, « mais est-ce que tout le monde a peur ? Les grands, les petits ? » Alors voilà, il y a,
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à la fois le côté oral, parce que les enfants doivent s’exprimer, faire des phrases, des phrases
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cohérentes, en disant : « écoute, je n’ai pas compris. Est-ce que tu pourrais redire, ou quel-
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qu’un pourrait l’aider ? » Alors, il y a tout ce travail là et puis après quelqu’un disait : « est-ce
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que les adultes ont peur ? Les animaux aussi ? » Alors je dis : « Est-ce qu’on peut lutter contre
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la peur ? » Et y a une fille qui lève la main et qui dit : « bah non, on ne peut pas, parce que la
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peur est trop grande, elle est trop forte. » Et là y a un petit garçon qui dit « mais moi je ne suis
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pas d’accord.» « Ah bon, est-ce que tu pourrais nous expliquer ? » « Bah moi je m’entraîne à
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me battre contre ma peur. » « Tu fais ça comment ? » « Bah moi, des fois, les soirs avec ma
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sœur, je me mets au salon et puis je prends mon épée laser, et puis du coup je lui demande
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d’éteindre la lumière et après quand je suis seul dans le noir avec mon épée, bah je m’entraîne
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à me battre contre ma peur. » Donc tout d’un coup, c’était clair que les gens se disaient que
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d’un coup, c’est possible il y a peut-être quelque chose de vrai là-dedans, et en fait peut-être la
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peur c’est quelque chose contre laquelle on peut trouver des moyens. C’est à la fois penser sur
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sa propre pensée, au vu de ce que disent les autres « Ah bah tiens, je n’avais pas pensé à
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ça, peut-être que je pourrais aussi faire comme ça.» La formulation ou l’imagination, remettre
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en question ses propres opinions, changer d’avis, exprimer un désaccord mais dans la collabo-
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ration et pas en disant c’est nul. Il avait quand même cinq ans et il a réussi à dire « Moi, je
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n’étais pas d’accord avec ce qu’a dit telle. » Et c’était extrêmement intéressant, car on les voit
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participer et c’est quelque chose qui leur parle, voyez… C’est comme, c’est parce que… c’est
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une expérience et ce qui est difficile et aussi peut être dans votre approche ça me fait penser à
181
ça, c’est que parler théoriquement de la paix, c’est compliqué pour des enfants d’avoir une
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opinion théorique sur ce qu’est la paix. Parce que oui, ils peuvent avoir des images à la télé,
183
mais au fond si on fait appel à leur expérience, ils ont probablement une expérience de paix et
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de guerre parce qu’ils ont parlé, parce qu’eux-mêmes ont vécu, donc évidemment à leur
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échelle… Mais si on… Il faut essayer de s’appuyer sur ce bout d’expérience qu’ils ont et qui
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leur parle, et d’ailleurs peut-être dans laquelle ils n’ont pas encore fait sens de cette situation,
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parce que ils sont des enfants qui se battent de temps en temps à la maison, mais peut-être ja-
188
mais en pensant qu’ils étaient en train de se battre contre leur peur. Est-ce qu’ils savaient déjà
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que c’est en parlant dans cette discussion que le gamin s’est dit : « Au fond, moi je me bats,
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c’est exactement ce que je fais.» Est-ce qu’il avait déjà mis des mots dessus, ou pris conscien-
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ce ? Et du coup, de prendre conscience de quelque chose et donner du sens à quelque chose,
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ça nous enrichit et enrichit notre expérience qui nous renforce, et qui nous insère, et intègre, et
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tisse un tissu plus dense avec notre expérience et notre environnement.
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194
Et qu’est-ce que ça apporte aux élèves ? Et à l’enseignant ?
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A mon avis, aux élèves, ça leur apporte, bah… Le fait de prendre conscience qu’on a une pen-
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sée. Parce que déjà quand on est enfant, ce n’est pas évident. Il y en a pas beaucoup, il y en a
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quelques uns qui savent, mais c’est souvent pas la majorité, de prendre conscience qu’on a
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une parole, que cette parole elle peut valoir quelque chose. C’est pas parce qu’on est petit,
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c’est pas parce qu’on est pas adulte, c’est pas parce qu’on est une fille, ce n’est pas parce
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qu’on est étranger, que tout d’un coup on a rien à dire. Et ce que moi j’ai souvent eu comme
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retours d’enfants, c’était de dire, des enfants qui participaient très peu en classe et puis en fait
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qui prenaient vraiment la parole, pour la première fois peut-être dans la classe, et l’enseignant
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disait : c’est peut-être étonnant parce que c’est un enfant qui participe jamais en classe, parce
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que c’est des choses qu’on parle jamais et que c’est des choses qui nous touchent. Donc, le
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fait que ça fait appel à leur expérience, tout d’un coup, ça veut dire et c’est dans l’idée de, si
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on a quelque chose qui nous touche pas, des fois c’est difficile de donner du sens à un appren-
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tissage qui ne nous touche pas, qui ne fait appel à rien de connu. Après, y a des enfants qui
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sont intellectuellement curieux qui, mais on peut être intellectuellement curieux mais si ça n’a
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rien à voir avec notre expérience à la maison, que les échanges avec les parents c’est peut-être
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un univers avec lequel on a de la peine à tisser un lien… Mais ça, justement, c’est une prati-
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que qui peut-être ce pont. C'est-à-dire de tisser un lien entre ce qu’on fait et nos apprentissa-
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ges. Et ça peut donner du sens pour les apprentissages, ça donne de la confiance en soi, parce
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que tout d’un coup… Une fois, une discussion avec des ados, on a eu un passage de 1984, et
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donc à un moment donné, bon, il y a cette partie sur le racisme au début du passage. Mais on
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sent bien que c’est une question d’antisémitisme. Le pouvoir passe un film dans lequel des
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gens se font jeter à la mer, etc. et il y avait un garçon qui était d’origine asiatique en classe, et
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puis on a parlé de cette discussion, et voilà, de gens qui étaient mal considérés et puis finale-
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ment il y en a qui arrêtait pas de l’appeler « le chinois » ou je sais pas, et puis c’est un truc
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qu’il prenait toujours sur le ton de la blague et puis finalement c’est arrivé plusieurs fois dans
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l’atelier et il a dit : « Mais en fait, moi, ça me dérange qu’on m’appelle comme ça.» Et du
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coup, c’est vrai que c’est une chose qui avait jamais été dite en classe, mais qui là est ressor-
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tie, en disant que ça c’était un peu la même chose, que y a des liens qui étaient faits et que
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pour lui c’était assez méprisant d’être appelé comme ça. Et voilà, y a des choses d’expérience
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et le fait de pouvoir le dire, ça veut dire que tout d’un coup on prend sa place dans le groupe.
225
Donc ça, c’est pour les élèves.
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Et pour l’enseignant, je trouve que c’est, voilà, découvrir un aspect des enfants qu’on ne
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connaît pas, c’est de découvrir avec eux, parce qu’on est dans une démarche où même… oui,
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on sait ce que c’est la guerre, la paix, ces phénomènes… Mais si on va au fond des choses, on
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se retrouve vite nous-mêmes dans des situations où on ne peut pas répondre aux questions.
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Donc c’est vrai que s’engager dans ce processus, c’est aussi très, très enrichissant pour
231
l’enseignant. Ca permet justement de voir comment se construit la pensée et c’est de voir pour
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les enfants, je reviens à eux, mais c’est de voir que y a le processus de la pensée, voir com-
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ment ça s’élabore, qu’on ne passe pas du point A au point B, comme dans un cours. On peut,
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mais pas tout le temps. Pour que la pensée soit quelque chose de vivant, de riche et qui fasse
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du sens, c’est un peu quelque chose d’itinérant. On fait un pas en avant, un pas en arrière, puis
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on part à gauche, puis c’est en tâtonnant aussi, c’est en cherchant qu’on construit quelque
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chose. Je trouve qu’il y a ce, cette prise de risque qui est parfois un peu troublante pour
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l’enseignant. On se dit « Oula ! Dans quoi je m’engage ? Et où est-ce que je vais ? » Donc, y
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a, à la fois, le processus, puis le contenu forcément. Et les enfants... Moi, je suis toujours
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émerveillée de voir, et comme dans n’importe quoi, y a des fois des cours où il se passe rien
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du tout, et de temps en temps, et même assez souvent, je suis épatée de voir les intuitions fon-
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damentales, essentielles sur le sens de la vie, les choses, les mystères de la vie des enfants,
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parce qu’ils ont des capacités de se poser des questions. Parce quand un enfant se dit : « Mais
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moi en fait, ma mère j’ai toujours l’impression que c’est deux personnes, parce que des fois
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elle est très, très gentille et parfois elle est très sévère. » Quelque part, ce qu’il disait, c’est
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qu’il ne comprenait pas comment les deux choses pouvaient cohabiter en une personne. Mais
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c’est quelque chose de philosophique, de fondamental, comme le bien et le mal. Comment
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est-ce qu’ils peuvent être réunis quelque part au sein d’une même chose ? Parce qu’ils sont de
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nature tellement différente que, comment ça peut coexister, cohabiter ensemble ? D’où on
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vient ? Enfin voilà. De qui on est sur Terre, de quel est le sens de la vie, de ce qu’est la justi-
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ce, de comment des choses bonnes et voilà… Et je trouve tellement dommage de gâcher ce
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potentiel, parce qu’il me semble qu’aujourd’hui, avec le recul, si moi j’avais eu ça en tant
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qu’enfant, j’aurais eu sûrement moins de certitudes. Ca m’aurait apporté une perspective très
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différente sur la vie et je regrette de ne pas avoir eu ça. Alors, l’idée ce n’est pas de faire de la
255
philo tout le temps, hein. On n’est pas en train de dire qu’il faut faire de la philo 24/24, mais
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d’entrer et de stimuler les enfants, voilà, moi en tant qu’adulte je sais plus de choses, j’ai la
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capacité à poser le cadre mais après c’est aussi à vous… Qu’on se sente d’un coup qu’on est
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capable, c’est un formidable outil de développement intellectuel et personnel, de se sentir ca-
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pable d’une pensée, de l’exprimer, d’être entendu, voir de faire changer l’opinion des autres
260
parce que notre idée était une bonne idée ou parce qu’on a eu un bon raisonnement. C’est un
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élément d’estime de soi formidable.
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Et finalement l’enseignant lors de ces moments de philo il fait quoi ? C’est quoi sa place ?
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Son statut ? Son rôle ?
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Sa place c’est de guider, c’est de poser aux enfants des questions qui sont pertinentes.
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Est-ce qu’il guide beaucoup ? Est-ce qu’y a beaucoup de questions ?
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L’idée, c’est de petit à petit…Lles enfants vont le prendre en charge. Ca se fait petit à petit.
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Mais c’est vrai qu’au début, y a quand même beaucoup de guidage. Vous allez, ou quelqu’un
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va dire : « les filles, les garçons, c’est pareil », ou « c’est différent ». Oui, alors voilà, est-ce
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que tu pourrais me donner, ou cherchons les différences entre les filles et les garçons. Alors
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tout le monde commence à donner des différences, où au bout de cinq, six, sept, on va passer
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à autre chose. Alors, on a regardé les choses différentes, maintenant on va voir les choses qui
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sont pareilles. Et c’est là que vous intervenez, parce que vous n’allez pas laisser le groupe par-
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ler une heure sur des exemples. Et puis après, vous allez chercher des contre-exemples, dans
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une différence. Ils vont vous donner une différence et vous allez essayer de chercher peut-être
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un contre –exemple, et dans ce cas là, « les filles ont les cheveux longs », « oui, mais alors
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moi je connais tel sportif… » « Alors, des fois il pourrait… Alors est-ce qu’on peut générali-
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ser ou il faudrait dire que parfois … » Vous faites la nuance, pour dire voilà, ça c’est qu’on
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appelle une nuance. Vous nommez ce qu’ils sont en train de faire, par exemple. Ou alors dire
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« Là tu es en train de faire une hypothèse ». Soit vous intervenez en nommant ce qu’ils sont
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en train de faire, ou en dirigeant le questionnement, et si on pense oui les filles sont meilleu-
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res, les garçons moins : « ah bon, mais pourquoi ? » Et « alors, si on pense que les gens sont
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meilleurs, quelles sont les conséquences ? » Ca veut dire que, alors on pense que les meilleurs
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doivent toujours avoir les meilleurs, et que les autres viennent après. Élaborer sur ce genre de
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choses, vous êtes là pour faire élaborer. Et il y a le cadre social aussi, que les gens se respec-
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tent, que si quelqu’un dérange tout le temps de dire : « bah, y a des règles pour faire partie du
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cadre. » Alors si y a quelqu’un qui cherche, qui provoque, eh ben vous pouvez l’avertir une
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fois, deux fois s’il faut, faut le sortir du groupe. Et une stratégie, de temps en temps, c’est de
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dire toi tu vas observer les élèves qui dérangent souvent, qui interviennent tout le temps, soit
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qui perturbent, soit les élèves qui veulent tout le temps prendre la parole. Parce qu’il y en a
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aussi et ils laissent moins la parole aux autres. Et l’idée c’est de dire : « voilà, aujourd’hui tu
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vas observer. » Donc ça, vous êtes garante de ce cadre là, vous êtes garante du respect que les
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élèves s’accordent auquel cas bah : « sois un peu respectueux avec les autres ». Et il y a des
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choses qu’on a le droit de faire, ça c’est la première chose. Et la deuxième, c’est de soutenir le
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questionnement, et suivant où ça part, se dire bon là, être sûr que, ou faire des exercices où il
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y a plein de contre-exemples par exemple. Ou alors, on va essayer de trouver des raisons :
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« Tu as trouvé ça, d’accord. Mais est-ce qu’on peut trouver une autre raison pour faire une
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action ?» Et parfois ils disent : « Oui, mais il l’a fait à cause de ça », et quelqu’un dit « Ah
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non, je suis pas d’accord avec toi. » « Ah bon, alors on va essayer de trouver quelles seraient
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les raisons pour lesquelles on ferait ou quelqu’un ment ? » Quelqu’un dirait : « Il est mé-
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chant » ou « Bah non, il fait ça pour le protéger.» « C’est quoi les situations où l’on pourrait
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mentir ? » Et puis après, vous listez cinq, six situations, et après : « Est-ce qu’il y en a que
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vous trouvez bonnes ? Est-ce qu’il y en a que vous trouvez mauvaises ? » Mentir pour proté-
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ger quelqu’un par exemple, ou mentir pour se protéger soi-même. Parce que quelqu’un qui
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veut vous offrir un bonbon fermenté dans sa voiture, vous allez lui dire « Non, j’ai maman qui
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m’attend. » Est-ce que c’est bien ou pas bien ? Tout d’un coup, vous les mettez dans le
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contexte, vous voyez ? Mais ce n’est pas vous qui dites, vous ne donnez pas forcément les ar-
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guments, si vous voyez que les enfants sont en panne à ce moment-là, vous essayez de trouver
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un angle pour dire soit « on va chercher des exemples », soit « alors dans cette situation, vous
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pensez ça, mais alors du coup la violence et la guerre, c’est la même chose ? » Et puis, y en a
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ils vont vous dire oui. Mais alors « par exemple, quand y a des gens au foot, à la télé, qui se
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donnent un coup de pied, les joueurs, est-ce que c’est la guerre ? » Donc vous voyez ? « Est-
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ce que quand y a des gens et une manifestation, et qu’ils se tapent dessus, est-ce que c’est la
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guerre ? » Y en a qui vont dire oui, y en a qui… « Pourquoi tu penses ça ? » Et ils vont trou-
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ver. Vous voyez, vous allez chercher, partir, voilà, des matériaux que vous apportent les en-
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fants, et vous allez les pousser plus loin. Et de temps en temps vous allez leur dire : « cher-
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chez plutôt une définition. C’est quoi ? » Si on ne trouve pas une définition bah, on cherche
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des critères. Qu’est-ce que c’est un critère ? C’est une raison mais qui est particulièrement une
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bonne raison. Est-ce que vous trouvez que ça c’est un bon critère ? Par exemple, si tout d’un
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coup on peut en proposer un aussi, mais vous n’êtes pas là pour dire « à la fin, je veux qu’ils
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arrivent à telle conclusion ». Parce que ça, c’est quelque part, une sorte de manipulation.
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Et qu’est-ce qu’on fait comme préparation avant ? Est-ce qu’on prépare ou non ?
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Moi, en général je prépare. Parce que, c’est vrai que, si je vais avec une thématique… C’est
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tellement riche dans le Petit Prince par exemple. C’est quand même bien d’avoir une idée de
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là où ça pourrait aller. Surtout que des fois on arrive dans une impasse, les enfants arrivent pas
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à sortir ou partent sur autre chose, ça reste pas dans la ligne de tir. C’est bien de préparer à
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l’avance, car on a soi-même des pistes. Ou je présente une autre situation, ou je donne des
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exemples. C’est toujours bien de savoir parce que sur le moment on a tellement de trucs sur
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lesquels « ok, il a dit ça, lui ça, et lui arrête pas de bouger.. » Des fois sur le moment, bon…
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Du coup, le fait de se préparer à l’avance, moi, c’est un outil. Bon, vous avez pas mal de petits
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textes philo dans lesquels vous avez des angles d’attaque, je ne sais pas, les petits goûters phi-
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lo. Vous regardez et vous dites, bah tiens ça serait une piste possible, on coupe et si je vous
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parlais de ça, vous pourriez faire des liens? Est-ce que c’est différent ou la même chose ?
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Vous voyez, faire des analogies. Ou y a les guides pédagogiques de Lipman, ils sont tellement
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riches. Et même si on ne part pas forcément d’un texte de Lipman. Mais souvent, parce que
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des fois y a des exercices… et alors dire : « voilà, ça fait deux, trois séances qu’on discute,
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aujourd’hui je fais un exercice précis, je travaille une habileté précise, ou on, je ne sais pas,
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par exemple des métaphores, en disant « on est fort comme un ? Doux comme un ? » Voilà...
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Et puis tout d’un coup, ça les force à chercher des images. Et vous pouvez les mettre par
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groupe de deux, et alterner de temps en temps, comme ça, et souvent c’est des exercices très
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terre à terre : « qu’est-ce que je serais si j’étais… » Donc, ça peut être plutôt un côté créatif.
341
Et à la fin d’une séance, essayer de prendre le temps de réfléchir sur comment on a réfléchi
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pendant la séance, garder du temps à la fin. Alors, vous pouvez à la fois réfléchir sur les idées
343
« est-ce que vous trouvez qu’on a eu des bonnes idées ? Est-ce que quelqu’un pourrait redire
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quelles ont été les bonnes idées ? » Peut-être les noter.
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Donc là c’est plus le retour ? Formalisation à la fin ?
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Oui, oui, le retour. Mais à la fois sur le contenu, mais aussi sur le processus. Et au début c’est
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aussi donner des choses simples à observer aux enfants, parce que c’est difficile et ils ne sa-
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vent pas trop quoi dire. Ou trouver les exemples, les raisons et peut-être vous modéliser une
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fois : « voilà ce que j’attends d’un observateur ». Et est-ce que c’est bien écouté ? Et se dire,
350
peut-être, je fais une fois la discussion un peu moins longue, ou sur la dernière fois comment
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ça s’est passé, et noter et dire « voilà, moi j’ai observé qu’il y a les enfants qui s’écoutaient
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pas ou qui interrompaient ou qui rigolaient. Qu’est-ce que vous pensez qu’il faut pour qu’il y
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ait une bonne écoute ? » « Alors dire on se regarde, on ne parle pas, on attend », et dire « alors
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la prochaine fois, il y a quelqu’un qui observe ça », ou « quelqu’un qui observe que quelqu’un
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a repris l’idée de quelqu’un d’autre ». Parce que, des fois aussi, y en a un qui dit un truc et
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chacun dit quelque chose et ça a plus rien à voir avec ce qui a été dit avant. Même pendant le
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déroulement, dire « ah, vous avez vu ce qu’il a fait là ? » Même si ça casse la discussion, ce
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n’est pas grave. Et essayer de faire réfléchir sur qu’est-ce qu'il vient de se passer dans la clas-
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se, soit sur des choses positives, soit négatives. Et puis par exemple de dire de distribuer des
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rôles.
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Et puis comment on peut être sûr, qu’on voit que les élèves ont acquis quelque chose, par la
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pratique du dialogue ?
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Ça se voit, mais à mon avis, ça se sent. C’est quelque chose, et effectivement je pense que
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c’est une des difficultés, c’est dans l’évaluation, parce qu’évaluer la pensée de quelqu’un...,
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C’est facile d’évaluer des compétences précises, calculer… Mais maintenant, le fait d’être
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capable de donner plus de sens à son expérience de vie, ce n’est pas facile à évaluer. En re-
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vanche, si vous le faites sur la longueur, vous allez voir tout d’un coup des élèves qui intera-
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gissent plus entre eux, au sein du groupe. Ca vous pouvez le voir. Au début c’est vrai que,
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quand on commence souvent c’est presque one-to-one, y en a un qui dit, puis il vous parle
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tout le temps. Si on demande de constater que les élèves se regardent plus, d’interagir plus
371
entre eux, que le climat de la classe est plus… les gens, les enfants posent plus de questions.
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Tout d’un coup on dit « mais tu dis, mais pourquoi tu dis ça ? » Vous voyez, c’est cette capa-
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cité, la formulation. Et y a plusieurs enseignants qui m’ont dit, la formulation, le fait qu’ils
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soient capables et qu’ils puissent prendre la parole, le fait de formuler et poser des questions
375
quand ils n’ont pas compris quelque chose ou qu’ils essaient de comprendre. Voilà. Mais c’est
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vrai que d’évaluer, comme on évalue une compétence je fais une phrase avec verbe, sujet,
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complément ou mathématique, c’est compliqué.
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Étudiante : Et comment on régule au cours de la discussion ? On se dit là on a assez parlé, on
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passe à autre chose, à un autre thème, comment on régule tout le…
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Ça, je dois dire c’est assez au feeling. Si vous sentez que ça péclote de temps en temps, tout
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d’un coup, je ne sais pas, quelqu’un fait une intervention et vous sentez que l’élève a soulevé
382
quelque chose d’intéressant, bah vous pouvez suivre cette piste et disons ce qu’il faut c’est
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éviter trop de répétitions et éviter, si les gens ça croche pas, si vous sentez que socialement
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dans le groupe… Par exemple, l’année passée on a été dans des classes de 8P qui avaient déjà
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fait un an en 7P. C’était une classe fantastique. Et quand on est arrivé, on a changé
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d’animateur, et l’année suivante ces 8P, et la dynamique de la classe a vraiment pas mal
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changé, préados… et les filles, quatre, cinq filles brillantes d’un côté, les garçons assez très
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silencieux de l’autre. Une dynamique vraiment… des clans entre filles… très, très difficile. Et
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ça a été très compliqué de les faire parler, parce que pareil, ça a mis beaucoup de temps avant
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qu’il y ait quelque chose qui se passe dans le groupe, parce que y avait ces… Ca dépend un
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peu du groupe et c’est à vous de sentir. Parfois mettre plus l’accent sur… Des fois ça peut être
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aussi faire une activité. Di vous sentez que le problème est social dans la classe, que y a quel-
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que chose qui se crée pas dans le groupe, vous pouvez même essayer de faire un petit exercice
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de théâtre, des choses qui… que les gens s’expriment différemment, qu’il y ait des petits jeux
395
de rôle, qu’il y ait... Il peut y avoir des situations, les faire travailler en petits groupes. C’est ça
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aussi, des fois, ils se fatiguent, parce qu’ils ont envie de parler. Quand ils sont vingt, ou vingt-
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quatre des fois, on n’arrive pas à donner la parole à tout le monde. Donc à la fin ils s’énervent,
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ils sont frustrés, donc faire des petits groupes, des groupes de trois ou deux, trois, quatre,
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après ils font un retour. Ou une fois, à partir d’un conte, on avait discuté des bêtises. C’était
400
un renard, un petit conte japonais, donc euh… bon il a fait quelque chose qui c’est très, très
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mal terminé pour lui, à la fin il meurt et tout, parce qu’il essaie de réparer sa bêtise. Mais en-
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fin il l’a faite, donc c’est comme ça. Donc après, on a fait tout une discussion sur les bêtises,
403
et je leur ai demandé à tous d’imaginer une bêtise. J’avais amené ma boîte à bêtises et j’ai dit :
404
« Vous allez tous marquer sur le papier une bêtise que vous avez envie de faire, vous n’allez
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pas signer c’est anonyme ». Donc évidemment, c’était de mettre du chewing-gum, du denti-
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frice ou de la mayonnaise dans les chaussures de mon père, jusqu’à brûler l’école et tuer des
407
gens. Y avait un spectre de bêtises quand même large. Et alors du coup, je suis revenue la se-
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maine suivante et sur la vingtaine j’en ai pris cinq ou sept et je les ai mis par petit groupes, et
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j’ai dit : « on va faire une échelle sur le tableau, puis on va mettre à 0 la chose la moins grave
410
et à 10 la bêtise la plus grave. Et vous allez devoir évaluer. Vous avez cinq, six bêtises chaque
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groupe, les mêmes. Donc, évaluez la gravité de la bêtise et vous allez nous dire pourquoi et où
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vous la situez sur l’échelle. » Et ils ont travaillé entre eux, et ils avaient huit ans, et ensuite ils
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sont revenus. Ca c’est fait sur deux, trois séances et ils ont dû chacun placer les bêtises, et y
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en a qui avaient placé la bêtise, par exemple, dégonfler un pneu de vélo… alors y en a qui
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l’avaient mis à 1 d’autres 8. Et l’idée c’est ça qui était intéressant. Sans dire que y en a une
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qui était bonne ou pas bonne, mais c’était quelles étaient les raisons, justifier, puis après il fal-
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lait évaluer les raisons. Déjà, il fallait voir aussi, ils étaient surpris car ils n’avaient pas tous le
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même classement. Et puis justement, les raisons y en a qui disaient « Oui, mais dégonfler un
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pneu de vélo ça va, ce n’est pas grave » et d’autres « oui, mais si tu abîmes un pneu de vélo
420
que la personne va sur la route et qu’elle a un accident, et tout ça.» Et ce qui était intéressant,
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c’est qu’il y avait une raison, fallait justifier la raison et donc parmi la gravité, c’était
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l’élément de la conséquence. Et là, la conséquence de l’école, certains avaient mis brûler
423
l’école, mais ils n’avaient pas tous mis au même endroit. Mais du coup c’était fantastique,
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parce qu’ils avaient des réflexions, parce que y avait vraiment un spectre de bêtises et il y
255
425
avait vraiment des choses très intéressantes et des choses, ou au contraire, assez innocentes :
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écrire une lettre en traitant de chou-fleur la directrice de l’école… Bon, oui mais est-ce que…
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Voila, tout d'un coup mis face à la conséquence ça peut vraiment faire du mal à quelqu’un.
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C’était super intéressant. Donc voilà, de temps en temps, faire des activités comme ça, qui
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change toujours un peu parce que, voila, des fois ça roule moins bien. Bon ça je n’avais pas
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trouvé dans le guide mais je me suis dis, je fais ça car ça a l’air sympa, y a sûrement des trucs
431
de pédagogique, des fois on peut faire des trucs sur des dessins. Enfin voila, y a plein de cho-
432
ses…
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Et puis les enfants qui ne parlent pas, on va les chercher ou est-ce qu’on les laisse dans leur
434
coin ?
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Il faut essayer, des fois. C’est bien aussi de faire… On avait fait, à un moment donné dans cet-
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te classe, où il y avait vraiment des problèmes entre personnes importants, des espèces de
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mini-exercices de théâtre. Parfois c’est compliqué dans la classe, mais là on avait une salle de
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gym. On disait, bah, par exemple : « Vous allez vous mettre dans l’ordre de naissance des
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mois de l’année.» Donc ça veut dire que les gens sont obligés de se parler pour demander
440
« t'es né en quel mois ? Moi je suis né en… », ou par taille. Des petits trucs, ou se situer par
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rapport aux pays d’où ils viennent, plus au sud au nord, est. Mais parfois je me suis rendue
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compte que y avait certains élèves qui avaient beaucoup de peine et qui s’étaient jamais ex-
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primés mais qui à travers des exercices comme ça… ou y en a un, au milieu, avec les petits,
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qui fait un saut, bah tout le monde répète. Par exemple, de faire venir l’élève qui ne parle pas
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beaucoup, de venir au centre et qui fait l’encourager à faire un son. Des choses très brèves,
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mais le fait qu’il fasse et que les gens répètent, ça l’insère dans le groupe, de même que le pe-
447
tit passage de lecture. Vous savez Lipman fait. Le fait de faire un tour, d’entendre la voix de
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quelqu’un, même si ce n’est pas fort ou comme ça, ça signale quand même la présence de la
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personne. Puis il ne faut pas forcer. Donc vous pouvez dire de temps en temps : « et toi,
450
qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce que ça t'est déjà arrivé ? Est-ce que tu aimes bien ? ». Mais
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bon, c’est vrai que des fois, c’est de la morue. Mais en même temps, j’ai une collègue qui m’a
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dit : « Moi, j’ai un élève en classe, qui pendant, je ne sais pas, un an, elle a rien, jamais jamais
453
rien dit en classe. Et un jour, à une réunion de parents, la mère de la fille, elles se parlent et
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elle lui dit « ah, mais c’est quel jour que vous faites la philo ? », et elle dit « ah, c’est le jeu-
455
di.» « Ah, mais c’est pour ça que tous les jeudis soir à la maison on a commencé à avoir des
456
discussions. » Donc elle ne disait rien en classe. Mais chez les adultes c’est pareil. J’ai une
457
collègue chez Prophilo elle m'a dit : « moi, ça m’a pris deux ans pour commencer à prendre la
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458
parole dans un groupe. » Des fois voilà, on peut trouver, par des biais, ou de temps en temps,
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faire des choses créatives, faire des dessins, réciter un poème, ou voilà.
460
Et la première fois que vous avez fait de la philo en classe ?
461
(Rires) Bon là, je sais plus la toute première, mais je pense que j’étais en nage. J’ai dû aller
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me doucher après, j’ai dû tellement transpirer parce que, bah, ce qui est difficile c’est au début
463
que y a tellement de choses et on a tellement peur de se tromper, mal faire, on a tellement
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peur des silences, que tout de suite on veut remplir le silence. Bon avec le temps voilà, on
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prend l’habitude, on a des choses qu’on voit venir.
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Oui et qu’est-ce qui change dans le temps justement ?
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Bah, voilà, on se familiarise avec la démarche. On apprend soi-même à lever le pied un peu, à
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peut-être moins intervenir. Moi, je crois que c’est ça, je crois qu’une chose que j’ai vraiment
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appris c’est justement de me mettre… que ce n’est pas parce que je suis un peu en retrait que
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je ne suis pas présente... J’avais très peur de, et puis de temps en temps, quand j'entendais
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quelque chose qui était une évidence au lieu d’être complètement faux, et pas me précipiter
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sur l’enfant et de l’interroger, ou même si c’est juste quelque chose que je désapprouve, ou
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voilà que je... ou une contre-vérité, c’est de questionner, ce n’est pas essayer de, voilà... Par
474
exemple, il y avait souvent une institutrice qui faisait avec moi, et elle était prof de français, et
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elle reprenait systématiquement les mauvaises formulations des enfants. Et du coup c’était
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difficile, et, mais ce n’est pas grave, mais des fois tu peux oui : « Est-ce que c’est ça que tu
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veux dire ? » C’est chercher le sens parfois, la formulation elle n’est pas… mais on ne peut
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pas non plus… je dois dire… Et puis être porté par le plaisir. Et chaque fois c’est un peu un dé
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lancé en l’air. Mais chaque année on peut avoir des classes juste super et des enfants preneurs
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et puis des fois on se dit « Mais mon dieu…. » Et des fois, y a des jours c’est comme ça, et on
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a l’impression que quoi qu’on essaie on se fâche, on se fâche ou discipline. Mais je crois que
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la confiance elle vient et le plaisir de découvrir aussi. Tout à coup, par exemple l’année pas-
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sée, j’étais en classe avec des enfants et j’étais avec un prof de biologie qui commençait à…
484
enfin il faisait de la biologie et y a eu toute une discussion sur, d’abord les poupées, les dou-
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dous et les personnes vivantes. « C’est quoi une personne vivante ? », « c’est quoi une pou-
486
pée ? » et dire, finalement, c’est quoi la différence entre l’un et l’autre et c’était assez long
487
pour eux de chercher et un disait « oui, les poupées ne marchent pas. » Et une fille disait
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« moi, j’ai une poupée à pile et elle marche.» Ca marche pas, alors on disait « Les poupées,
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elles ne mangent pas.» « Ah bah si, moi j’ai une poupée qui mange, fait pipi, caca.» Et bref,
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490
« elle parle pas.» « Non, y a des poupées qui parlent.» Donc, essayer de trouver, et finalement,
491
c’était vivant et « qu’est-ce qui est vivant ? » Déjà essayer de trouver, puis après essayer de
492
dire : bah vivant, c’est quelque chose qui se déplace. Alors tout le monde était d’accord, mais
493
quelqu’un a dit « oui, mais les arbres ? » « Ah oui, les arbres… » Voilà cette capacité…
494
Quelqu’un dit, enfin bon, et à la fin le prof disait : « c’est fou, parce que ça fait trois mois
495
qu’on étudie les animaux, leur habitat, leur reproduction, ce qu’ils mangent », et finalement
496
notion de vivant, il se rend compte qu’il l’a pas abordée, etc. c’est fondamental et c'est vrai
497
que c’était très, très….
498
Oui, là je me rends compte, plus on avance, plus ils arrivent en dix minutes à changer de thè-
499
me et à chaque fois je n’arrive pas à dire : « on reste sur celui-là car l’autre est aussi telle-
500
ment intéressant que... »
501
Alors, c’est là où peut être la préparation peut vous aider. Puis, vous dites si je fais sur la paix,
502
par exemple, bah est-ce que la paix. « Comment est-ce qu’on pourrait faire la paix entre des
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pays ? » « Et vous comment vous faites la paix si vous êtes entre vous ? » Essayez de trouver
504
des situations, puis y aura peut être des suggestions. Après vous pourrez peut-être les évaluer :
505
« est-ce que c’est des bonnes suggestions ? Où est-ce que ça marche ? Dans tous les contex-
506
tes ? » « Est-ce que vous pensez qu’entre les enfants et les adultes il pourrait y avoir la même
507
chose ? Comment les enfants font la paix et comment les adultes font la paix ? » Et si quel-
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qu’un part dans un truc, dire « écoute, tu sais, on pourrait faire une boîte à suggestions. »
509
Vous lui laissez dire son idée mais, à un moment donné, vous coupez parce que ça part dans
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tous les sens et y a pas de profondeur, parce qu'on fait des sauts de puces entre un truc et
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l’autre, et l’idée c’est quand même intéressant d’explorer toutes ces dimensions.
512
Et quels conseils vous donneriez à quelqu’un qui commence la philosophie ? Qui n'a jamais
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pratiqué et qui essaie de s’en sortir ?
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Bon, vous avez déjà fait des formations ?
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J’ai eu la première la semaine dernière.
516
Bon alors voilà. Je crois qu’il faut quand même, je pense que ça, c’est quand même indispen-
517
sable. C’est parce que ce n’est pas rien comme approche. Y a beaucoup de gens qui, parce
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qu’ils font du conseil de classe, qui parce qu’ils font des discussions et qui disent « bah moi je
519
fais un peu ça dans ma classe »… et j’ai entendu beaucoup d'enseignants qui m’ont dit "mais
520
en fait, moi je fais du débat", en fait pour eux c’est de la philo. Ou des gens qui disent "je lis
258
521
un bouquin, je ne sais pas si vous connaissez le livre d’Hermès… bon c’est génial, c’est un
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super, j’ai vraiment adoré ça et j’ai quelqu’un qui m’a dit "bah moi, je lis ça en classe ». Je
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dis, mais franchement, c’est génial, mais ce n’est pas du dialogue philosophie, ça a juste rien à
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voir. Donc y a beaucoup de gens qui pensent qu’ils font ça parce que ça fait discussion, mais
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ce n’est pas une discussion, c’est l’idée, c’est de faire un dialogue et je veux dire, il y a des
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critères pour faire un dialogue.
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Donc ça serait quoi les critères pour que ça soit bien un dialogue philosophique ?
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Le fait qu’il y ait un dialogue, c’est que les gens s’écoutent, se répondent et qu'ils soient ou-
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verts à être changés par l’idée de l’autre. Ça demande une sacrée disposition pour faire ça et
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ça demande d’exercer toutes ces choses dont on a parlées avant. Donc l’objectif c’est ça. Si-
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non, faire une discussion y a pas besoin d’avoir une formation. Je veux dire, on peut se mettre
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à table, dire "t’en penses quoi?" et voilà, mais ce n’est pas de la philo. Et le côté philosophi-
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que, c’est explorer ces dimensions. Là c’est-à-dire, on explore ces dimensions, "qu’est-ce que
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sont les choses ?" Y a le côté métaphysique, la définition de ce que sont les choses, les gens,
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les êtres, les idées, "comment est-ce qu’on sait qu’on sait ?" Ca c’est l’épistémologie. Y en a
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un qui va dire « la guerre c’est ça » , « bon ok, mais…. » Ou « la science c’est ça… » Ou
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Dieu : « Dieu c’est ça » « Comment tu le sais ? » « Bah, on me l’a dit. » « Ok, est-ce que y a
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des façons de connaître la réalité? » C’est par la croyance, la foi, par une expérience person-
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nelle, par la science, donc tout ça c’est l’épistémologique. La logique pour dire que tous les
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chats sont des animaux, c’est juste, mais que tous les animaux sont des chats, c’est faux.
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Donc, y a des choses du point de vue du langage, et la conception des choses… Donc définir,
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comme ça peut être de la tautologie et ce n’est pas forcément un argument valable. C’est très
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important, parce que quand on a des arguments, faut trouver des critères, des raisons qui sont
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suffisamment bonnes et rationnelles et réfléchies pour pouvoir en porter la vérité. Si on peut
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dire n’importe quoi sur n’importe quoi, toutes les opinions se valent et y a plus de critères de
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sélection. Et si on se dit, tiens, ça c’est une bonne idée, parce que c’est réfléchi, parce que ça
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fait sens, parce que c’est fondé euh, voilà, parce que c’est quelque chose qui découle d’un rai-
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sonnement, à ce moment-là ça a de la valeur. Donc ça, c’est la question de la logique. Ensuite,
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il y a la question de l’esthétique "Est-ce que les choses sont belles ou pas belles? Qu’est-ce
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qui vaut la peine?…" Vous voyez et puis le bien et le mal, les questions éthiques c’est ça
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qu’on... « Est-ce que quand tu fais c’est bien ? » « Pourquoi on pourrait penser que c’est pas
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bien ? Quelles seraient les raisons ? Est-ce qu’on pourrait trouver une autre façon de faire qui
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serait mieux ? » C’est en réfléchissant sur ces dimensions là qu’on développe ces habiletés de
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pensée. Disons, ce que dit Lipman est un peu sa grande nouveauté, le fait d’utiliser de la philo
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et ce type de questionnement, ça permet d’entrer dans le questionnement des disciplines, par-
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ce que les questions qu’on se pose en philosophie c’est des questions génériques. C’est-à-dire
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de comprendre comment on construit une connaissance, c’est très important savoir comment
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se construisent les connaissances historiques. Et tout ça c’est pas la même chose qu’une
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connaissance scientifique de comprendre qu’il y a différents moyens, et puis que y a des espè-
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ces de consensus qu’on atteint, qu’on peut attendre dans une communauté philosophique, ou
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consensus global sur la croyance de quelque chose, et puis tout à coup, bah, de comprendre,
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c’est fondamental. Mais évidemment on ne comprend pas toujours le lendemain, mais ça se
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construit, et ce que lui il dit en philosophie, par les questions qu’on pose à la philosophie en
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fait, on commence à mettre en place un certain type de capacités pour comprendre les ques-
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tions qui vont se poser ensuite dans les disciplines, les problèmes qui se posent dans les disci-
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plines. Mais y a beaucoup de gens qui ne font pas ça. Enfin, voilà, discussion, ils font une dis-
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cussion, et ça a rien à voir au dialogue philo. Donc le conseil que je pourrais vous donner,
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c’est vous former, parce que ça demande de la formation. Ce n’est pas quelque chose qui
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s'improvise. C’est d’utiliser le matériel. Et l’autre chose, c’est d’éventuellement vous faire
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accompagner en classe par quelqu’un de Prophilo. Donc, y a des gens qui sont certifiés, donc
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accompagnateurs, et puis si vous avez besoin d’être soutenue dans votre pratique y a quel-
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qu'un qui peut vous aider soit à préparer le cours, venir en classe, vous observer, vous faire un
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retour après, ou co-animer avec vous. Voilà, ça, c’est les possibilités.
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Étudiante : Et les ingrédients pour avoir l’enseignant parfait en philosophie ?
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Il n’y a jamais d’enseignant parfait. Pour moi, c’est d’avoir une grande capacité d’écoute,
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c’est d’être... de bien comprendre le processus et d’être curieux de ce que les enfants pensent,
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sans cet à priori : c’est un enfant. Donc oui, c’est un enfant, mais il a quand même des pensées
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et ses pensées sont quand même respectables, et qu’elles sont à nourrir et évidemment elles ne
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sont pas abouties, mais parfois oui. Et c’est de pas avoir peur d’être remis en cause de pas...
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ça peut arriver, ça peut arriver à tout le monde. Mais voilà, c’est se dire, j’entre dans un do-
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maine et j’explore avec eux, et pas se sentir obligé d’avoir une réponse, et savoir dire « moi je
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sais pas ». Parce que ça m’est arrivé d’avoir des enfants qui viennent à la fin me dire « mais
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en fait, c’est quoi la réponse ? » « Je sais pas… ».
Demande de renseignements complémentaires par mail:
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Le degré scolaire de votre classe actuellement ?
260
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Je n’ai pas de classe cette année.
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Le nombre d'années d'enseignement total ?
587
Je ne suis pas enseignante de formation et de métier.
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Je suis intervenue dans des écoles pour faire spécifiquement de la philo.
589
Le nombre d'années de pratique du dialogue philosophique en classe ?
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6 ans.
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École privée ou publique ?
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Les deux, toujours en primaire.
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Quelle formation avez-vous reçue ?
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- formation au dialogue philosophique à distance avec l’Université Laval (Québec).
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- environ une dizaine de stages organisés par Prophilo et /ou l’Institut de Formation Pédago-
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gique de l’AGEP, entre 2007 et 2015, avec Alexandre Herriger (formateur indépendant en
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Suisse Romande), Michel Sasseville, professeur à l’Université Laval Québec, et Mathieu Ga-
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gnon (Professeur à l’Université Sherbrooke, Canada).
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- une semaine de stage avec Michel Sasseville, en Belgique.
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Quelle est votre place (physique) au moment du dialogue ? Que faites-vous concrètement ?
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Dans la mesure du possible j’essaie de mettre les enfants en cercle et je m’installe avec eux,
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ou alors dans une configuration dans laquelle je partage l’espace de discussion avec les élè-
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ves.
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Quelles sont vos interventions ? De quel type ? Dans quel but ?
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Elles peuvent être en lien avec le contenu et visent le développement de capacités cognitives
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(demander définition, raison, critère, comparaison, clarification, reformulation, etc.…) ou
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avec le processus et visent plutôt des capacités sociales et affectives (respect du cadre instau-
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ré, participation équilibrée des élèves, retour sur la façon dont le dialogue s’est tenu, …).
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Que doit faire l'enseignant pour permettre aux élèves d'atteindre les objectifs ?
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Ne pas intervenir pour donner son point de vue, soutenir le questionnement des enfants en ap-
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portant les outils nécessaires.
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Comment observer si les objectifs sont atteints ?
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Partie la plus difficile mais on peut donner des pistes : lorsque le dialogue s’instaure entre les
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enfants et que l’animateur intervient seulement pour guider le questionnement et la recherche
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; lorsqu’un climat de confiance est établi et que les enfants prennent la parole et expriment
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leurs propres idées ; lorsqu’ils sont capables de la justifier ; de les formuler au plus près de
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leur pensée ; lorsqu’ils écoutent vraiment ce que les autres ont à dire et réussissent à en tenir
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compte, voir changent d’avis.
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Affiches utilisées par Aline en classe
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Situation problématisante commentée et analysée en fin de recherche
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