Né en Suisse alémanique, Martin Schläpfer dirige le Ballett am
Rhein (Düsseldorf/Duisbourg) depuis 2009 et en a fait une ré-
férence. Pour la première fois invité à se produire à Paris, il
vient avec deux pièces emblématiques, éclairant deux facettes
de son savoir-faire unanimement acclamé outre-Rhin.
Vous êtes venu à la danse grâce au patinage artistique!
MARTIN SCHLÄPFER: En effet, j’avais quinze ans quand un pro-
fesseur de ballet, Marianne Fuchs, m’a découvert lorsque je
pratiquais le patinage. Mais ma famille était fortement oppo-
sée à ce que je devienne danseur, jusqu’à ce que je sois lauréat
du prix de Lausanne. L’essentiel de ma carrière s’est déroulé
au Ballet de Bâle sous la direction de Heinz Spoerli.
De votre temps d’interprète, comment avez-vous pris vos
marques dans le paysage chorégraphique?
M. SCHL.: J’ai surtout dansé des chorégraphies de Heinz Spoerli,
et un peu de Hans van Manen ou de Balanchine, vers le début
des années 1980. Après avoir cessé de danser, j’ai ouvert une
école de danse. Ensuite je me suis installé aux États-Unis.
Comme j’étais un des rares danseurs suisses connus, on m’a
proposé de diriger le Ballet de Berne. Voilà comment je suis
devenu chorégraphe.
Dans leur rapport au mouvement, privilégiez-vous le temps,
l’espace ou la musique?
M. SCHL.: La musique, clairement. C’est elle qui va décider s’il
me faut des pointes ou le pied nu. Après ces choix, je fais des
recherches sur le compositeur et d’autres thèmes. J’accumule
du matériel, ensuite je crée la structure.
Pendant les années 1980, la scène française s’est divisée entre
le courant bauschien et le courant cunninghamien. Votre
danse, construite à partir de personnages et pourtant très
graphique, résonne telle une synthèse des deux.
M. SCHL.: On se trouve toujours confronté aux œuvres des plus
grands, et si on a de la chance, on élabore une approche per-
sonnelle à travers cet héritage. Il est essentiel qu’une création
soit portée par tout ce qui lui a précédé. Le Ballett am Rhein
donne des pièces très contemporaines et aussi du Balanchine
ou autres néoclassiques. Ces contrastes m’inspirent. La ques-
tion n’est pas de savoir si danser sur pointes est contemporain
ou pas. Ça l’est, par définition. Il s’agit uniquement du comment
et du pourquoi. Je suis connu pour des frappes violentes au
sol, ce qui confère à la ballerine un côté phallique. Mais nous
ne le faisons pas dans Forellenquintett qui est plus ludique.
On détecte dans Neither des accents spirituels, qu’il s’agisse
de la musique de Morton Feldman ou de la chorégraphie.
M. SCHL.: Cette dimension est importante. Chez Feldman, les
influences bouddhistes sont moins fortes que chez Cage, mais
elles sont présentes.
Que représentent ces pièces dans votre œuvre?
M. SCHL.: Si Forellenquintett est ma création la plus joyeuse,
Neither fait partie des pièces auxquelles j’accorde le plus d’im-
portance, puisque dans sa polyphonie effervescente, la com-
position de Feldman est absolument singulière. C’était ma
première œuvre pour toute la compagnie du Ballett am Rhein
et la première où j’ai interdit aux maîtres de ballet de « net-
toyer » la gestuelle et de parfaire les unissons. Je voulais pré-
server les différences individuelles, rendre ainsi la danse
indépendante du rythme musical et la faire vivre dans l’instant
même.
Neither est une pièce pour plus de quarante danseurs. Au
Théâtre de la Ville ce sera un événement en soi, voire une
trans gression par rapport aux codes de la maison.
M. SCHL.: Je mesure ce que Paris représente pour la danse et son
histoire. Je suis très curieux de voir les réactions. Si elles sont
négatives, je ne changerai pas forcément de métier. Je suis très
reconnaissant au Théâtre de la Ville d’avoir rendu possible la
venue d’une troupe aussi nombreuse.
Propos recueillis par Thomas Hahn
THÉÂTRE DE LA VILLE PARIS • FORELLENQUINTETT I NEITHER • SAISON 20122013
ENTRETIEN AVEC MARTIN SCHLÄPFER
MARTIN SCHLÄPFER
Directeur et chorégraphe en chef du Ballett am Rhein Düsseldorf Duisburg
Né à Altstaetten en Suisse, Martin Schläpfer a été un soliste
prodigieux du Ballet de Bâle sous la direction de Heinz Spoerli
ainsi que du Ballet Royal de Winnipeg. En 1994, il devient di-
recteur du Ballet de Berne. En 1999, il crée en Allemagne la
compagnie ballettmainz, qui est propulsée en un temps record
au premier rang des compagnies de danse allemandes. Paral -
lè lement, il crée pour le Ballet National Bavarois ainsi que
pour le Ballet National des Pays-Bas.
En 2009, il est appelé comme directeur de ballet et chorégraphe
du Ballett am Rhein Düsseldorf Duisburg, qui sous sa direc-
tion, jouit d’un triomphe unanime auprès du public comme
de la presse. La troupe est régulièrement invitée à donner des
représentations dans toute l’Allemagne, ainsi qu’à l’étranger
et dans des festivals renommés.
Après plusieurs créations de danse couronnées de succès, il
met pour la toute première fois un opéra en scène à la Deutsche
Oper am Rhein (Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau).
Après seulement une saison sous la direction de Martin Schläp-
fer, la revue de presse du magazine tanz composée de critiques
internationaux, nomme à plusieurs reprises le Ballett am
Rhein compagnie de l’année et couronne en 2010 Martin
Schläpfer chorégraphe de l’année. Par ailleurs plusieurs prix
lui sont décernés, dont le Prix d’Art du Land de Rhénanie-Pa-
latinat, le Prix de la Danse de la Fondation Spoerli, le Prix Be-
nois de la Danse en 2006 et le Prix du Théâtre allemand Der
Faust en 2009.