27Autrement dit
jeudi 5 avril 2012
forum Pascal Boniface, directeur de l’IRIS
Leau est un enjeu stratégique, pas un facteur de guerre
Le sommet mondial de leau
vient de se tenir à Marseille. La
base de l’analyse géopolitique sur
l’eau repose sur son inégale répar-
tition: neuf pays se répartissent
60% du débit annuel mondial
d’eau douce! Les tensions liées à
l’accès à l’eau, la rivalité pour le
contrôle de l’approvisionnement
sont devenus des sujets de -
exion géopolitique. Certains n’ont
pas hésité à dire que l’eau sera, au
XXI
e
siècle, ce que le pétrole est au
XXe, et qu’il y aura désormais des
guerres de l’eau.
Certes, lorsqu’une matière in-
dispensable se rarée, les risques
d’affrontement se multiplient.
Cette multiplication des tensions
exige d’anticiper les risques, avant
que ces cas ne dégénèrent en si-
tuation hydraulique belliqueuse.
La première des guerres pour
l’eau des temps modernes pourrait
susciter des exemplesgatifs. Il
y a 260bassins transfrontaliers qui
pourraient être autant de sources
de conit. Pour le moment, la ri-
valité pour le contrôle de l’eau n’a
généré aucun conit armé direct.
200 traités ont été signés entre pays
voisins sur la question du partage
et de la ressource. Il n’en reste pas
moins que les tensions existent bel
et bien autour du partage de leau,
à des niveaux régionaux et locaux,
et ce sur tous les continents.
Les points les plus sensibles sont:
▶Les tensions entre la Turquie,
la Syrie et l’Irak pour le partage du
Tigre et de l’Euphrate;
▶Israël et ses voisins: 57% des
ressources en eau israéliennes pro-
viennent des territoires occupés
depuis 1967;
▶Les tensions entre l’Égypte,
l’Éthiopie et le Soudan pour le par-
tage des eaux du Nil;
▶La Chine est accusée de mener
une politique unilatérale visant à
détourner les euves importants
par de grands travaux, créant des
dicultés avec ses voisins indiens
et vietnamiens;
▶Le conit du Cachemire entre
l’Inde et le Pakistan a une dimen-
sion partage des eaux.
En réalité, l’eau est un élément
parmi d’autres, dans les antago-
nismes géopolitiques. Les rivalités
pour l’eau sont d’autant plus dan-
gereuses qu’elles viennent se gref-
fer sur dautres rivalités. Elles vien-
nent amplifier les tensions
existantes, elles ne les créent pas.
Leau nest pas la principale com-
posante du dossier israélo-pales-
tinien, sino-tibétain, ou indo-pa-
kistanais.
Le véritable problème posé par
l’eau est global. Si leau est une
cause de mortalité, ce n’est pas par
les guerres qu’elle peut susciter
mais par l’impossibilité d’y accéder
pour une partie de lhumanité.
Laccès à l’eau, ou son déni, est l’un
des aspects de la probmatique
Nord-Sud. Les pays développés qui
ont les capacités techniques de
faciliter l’accès à l’eau pour leurs
populations sont également ceux
qui sont les plus favorisés par la
répartition naturelle de la res-
source.
Un Français consomme 180 litres
par jour, un Japonais 280, un Amé-
ricain 300. La consommation quo-
tidienne moyenne d’un Africain
ne dépasse pas 10 litres. 1,1milliard
de personnes sont sans accès à
l’eau potable. 2,5milliards sont
sans accès à un moyen d’assainis-
sement. Une conséquence directe
sur la santé publique: 80% des
maladies dans les pays en déve-
loppement seraient liées au
manque d’eau de bonne qualité.
Les besoins du Sud sont connus.
Il y a un manque de moyens nan-
ciers et techniques aggrapar
l’accroissement démographique,
la hausse de la demande en pro-
duits agricoles et une urbanisation
mal maîtrisée.
Dans un rapport de 2004 («Amé-
lioration de l’approvisionnement
en eau et de l’assainissement dans
le monde: cts et avantages»),
l’Organisation mondiale de la santé
(l’OMS) estimait que, pour at-
teindre l’objectif du millénaire pour
le développement (OMD) en 2015,
9,5milliards d’investissements par
an étaient nécessaires. Cette
somme est importante, pas inac-
cessible. C’est une question de
volonté politique. Force est de
constater qu’elle manque encore
aujourd’hui.
Laccès à leau sera garanti s’il y
a une coopération des diérents
acteurs internationaux. Le rôle des
États reste primordial. Il doit être
accompagné par celui des organi-
sations internationales, des ONG,
des collectivités locales, des sec-
teurs privés et de la société civile.
Il y a 260 bassins
transfrontaliers qui
pourraient être autant
de sources de conflit.
Autour du point d’eau à Boussouma, au Burkina Faso. Un Français consomme 180 litres d’eau
par jour, un Américain 300. La consommation quotidienne moyenne dun Africain ne dépasse pas 10 litres.
GUILLAUME ATGER / FEDEPHOTO
opinion Haoues seniguer,
enseignant de sciences politiques à l’IEP de Lyon, membre du GREMMO
(Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient)
Oser séparer le politique du religieux en terre dislam
Les mobilisations populaires aux-
quelles nous assistons depuis plus
d’un an maintenant dans le monde
arabe et majoritairement musul-
man, nous ont enseigdeux choses
fondamentales: d’une part, la li-
berté (et avec elle, la dignité) est le
bien commun de l’humanité sans
exclusive; et d’autre part, l’islam,
quand il est érigé en religion d’État,
à défaut d’être un rempart contre
les autoritarismes, se révèle souvent,
bon gré mal gré, leur meilleur ga-
rant. Le rôle de certains oulémas,
actuellement en Syrie, démontre, à
l’envi, comment, sous couvert de la
religion, un blanc-seing est parfois
donné à un régime exsangue.
Pour sen convaincre et caresser
davantage les eets pervers d’une
confusion irrééchie entre islam et
politique, il n’est qu’à parcourir les
siècles d’histoire des sociétés mu-
sulmanes. Et examiner, avec minu-
tie, les conséquences pratiques
d’usages publics de la religion
quand celle-ci s’invite inopportu-
nément en politique. En eet, com-
bien de pouvoirs se sont succédé,
au l des siècles en terre d’islam
majoritaire qui, pour se maintenir
au sommet de lorganisation éta-
tique, n’ont jamais hésité à exploi-
ter oulémas et religion:
des Omeyyades aux
Abbassides en passant
par les gimes contem-
porains post-indépen-
dantistes.
Si chacun des musul-
mans ne raisonnait
simplement qu’en bon
empiriste, l’ultraconservateur com-
pris, il lui serait alors impossible
d’oser contester le fait que jusqu’à
présent, l’étatisation ou l’adminis-
tration de l’islam a seulement pro-
duit de la violence et conduit, d’une
façon ou d’une autre, à la consca-
tion du pouvoir par une minorité
ou autre oligarchie dynastique. Il
n’est, en l’occurrence, qu’à jeter un
coup dœil sur les monarchies
contemporaines (Jordanie, Arabie
saoudite, Maroc) et autres émirats
arabes dont les véritables titulaires
du pouvoir usent et abusent de la
référence à l’islam en vue de court-
circuiter toute tentative de mise en
cause de ses fondementsels. Pour
que l’alternance électorale, si élec-
tions il y a, n’aecte jamais vraiment
les rapports de force au sommet de
l’État.
Ne doit-on pas, par conséquent,
pointer du doigt cette eroyable
tartufferie et appeler les musul-
mans, d’où qu’ils soient, à militer
pour une séparation du politique
et du religieux? Pour que l’islam ne
soit précisément plus jamais pré-
texte à de funestes desseins:
contraindre les individus à croire
et les priver de choisir, sur des cri-
tères rationnels, leur personnel
politique en dehors de tout chan-
tage à la foi.
Pour ce faire, il n’existe pas une
innité de solutions. L’islam doit
être ramené à la sphère privée dans
l’exercice du pouvoir pour couper
court aux mécanismes hégémo-
niques de domination politique à
cause notamment de sa constitu-
tionnalisation. Il ne s’agit évidem-
ment pas, par là même, de brider
les expressions religieuses de
l’homme ordinaire. Mais seulement
d’en appeler à lautonomisation des
sphères religieuse et politique en
vue d’éviter un choc perpétuel et
insoluble.
Il y a, au demeurant, un magni-
qu
e révélateur des impasses mor-
tifères de cette confusion séculaire
entre religion et politique que les
révoltes arabes ont portée à leur
incandescence: les élites islamistes,
pourtant idéologiquement adeptes
invétérées d’une telle confusion,
manifestent de plus en plus, le désir,
réel ou supposé, de distinguer au-
torités civile et spirituelle. Nest-ce
pas là, inconsciemment, la recon-
naissance de ces impasses et l’ac-
ceptation, sans oser l’avouer, de
l’excellence de la laïcité bien com-
prise? Laïcité étant encore associée,
de façon erronée, dans l’imaginaire
musulman ennéral et l’imaginaire
islamiste en particulier, à athéisme
ou à incroyance. Il s’agirait de se
réapproprier la laïcité et non d’en
imiter les modèles historiques
Si cette laïcité parvenait à faire
son chemin, sans méprise, il pour-
rait peut-être sentrevoir, une double
libération: une libération spirituelle
et une libération politique des
chaînes de l’autoritarisme seule à
même de pacier les espaces so-
ciaux dans des sociétés mondialisées
et donc, forcément, en contact les
unes avec les autres.
Les révolutionnaires arabes se
sont soulevés non pour réclamer
plus d’islam ou de religion de la part
de l’État mais en vue de recouvrer
leur pleine souveraineté et accéder,
plus que jamais, au statut de citoyens
d’un État de droit dé
mocratique.
Combien de pouvoirs se sont
succédé en terre dislam qui,
pour se maintenir au sommet
de lÉtat, nont jamais hésité
à exploiter oumas et religion.
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