Autrement dit jeudi 5 avril 2012 27 forum Pascal Boniface, directeur de l’IRIS L’eau est un enjeu stratégique, pas un facteur de guerre l’eau potable. 2,5 milliards sont sans accès à un moyen d’assainissement. Une conséquence directe sur la santé publique : 80 % des maladies dans les pays en développement seraient liées au manque d’eau de bonne qualité. Les besoins du Sud sont connus. Il y a un manque de moyens financiers et techniques aggravé par l’accroissement démographique, la hausse de la demande en produits agricoles et une urbanisation mal maîtrisée. Il y a 260 bassins transfrontaliers qui pourraient être autant de sources de conflit. Guillaume Atger / FEDEPHOTO Le sommet mondial de l’eau vient de se tenir à Marseille. La base de l’analyse géopolitique sur l’eau repose sur son inégale répartition : neuf pays se répartissent 60 % du débit annuel mondial d’eau douce ! Les tensions liées à l’accès à l’eau, la rivalité pour le contrôle de l’approvisionnement sont devenus des sujets de réflexion géopolitique. Certains n’ont pas hésité à dire que l’eau sera, au XXIe siècle, ce que le pétrole est au XXe, et qu’il y aura désormais des guerres de l’eau. Certes, lorsqu’une matière indispensable se raréfie, les risques d’affrontement se multiplient. Cette multiplication des tensions exige d’anticiper les risques, avant que ces cas ne dégénèrent en situation hydraulique belliqueuse. La première des guerres pour l’eau des temps modernes pourrait susciter des exemples négatifs. Il y a 260 bassins transfrontaliers qui pourraient être autant de sources de conflit. Pour le moment, la rivalité pour le contrôle de l’eau n’a généré aucun conflit armé direct. 200 traités ont été signés entre pays voisins sur la question du partage et de la ressource. Il n’en reste pas moins que les tensions existent bel et bien autour du partage de l’eau, à des niveaux régionaux et locaux, et ce sur tous les continents. Les points les plus sensibles sont : ▶ Les tensions entre la Turquie, la Syrie et l’Irak pour le partage du Tigre et de l’Euphrate ; ▶ Israël et ses voisins : 57 % des ressources en eau israéliennes proviennent des territoires occupés depuis 1967 ; Autour du point d’eau à Boussouma, au Burkina Faso. Un Français consomme 180 litres d’eau par jour, un Américain 300. La consommation quotidienne moyenne d’un Africain ne dépasse pas 10 litres. ▶ Les tensions entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan pour le partage des eaux du Nil ; ▶ La Chine est accusée de mener une politique unilatérale visant à détourner les fleuves importants par de grands travaux, créant des difficultés avec ses voisins indiens et vietnamiens ; ▶ Le conflit du Cachemire entre l’Inde et le Pakistan a une dimension partage des eaux. En réalité, l’eau est un élément parmi d’autres, dans les antagonismes géopolitiques. Les rivalités pour l’eau sont d’autant plus dangereuses qu’elles viennent se greffer sur d’autres rivalités. Elles vienn e nt a mp l i f i e r l e s t e n s i o n s existantes, elles ne les créent pas. L’eau n’est pas la principale composante du dossier israélo-palestinien, sino-tibétain, ou indo-pakistanais. Le véritable problème posé par l’eau est global. Si l’eau est une cause de mortalité, ce n’est pas par les guerres qu’elle peut susciter mais par l’impossibilité d’y accéder pour une partie de l’humanité. L’accès à l’eau, ou son déni, est l’un des aspects de la problématique Nord-Sud. Les pays développés qui ont les capacités techniques de faciliter l’accès à l’eau pour leurs populations sont également ceux qui sont les plus favorisés par la répartition naturelle de la ressource. Un Français consomme 180 litres par jour, un Japonais 280, un Américain 300. La consommation quotidienne moyenne d’un Africain ne dépasse pas 10 litres. 1,1 milliard de personnes sont sans accès à Dans un rapport de 2004 (« Amélioration de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement dans le monde : coûts et avantages »), l’Organisation mondiale de la santé (l’OMS) estimait que, pour atteindre l’objectif du millénaire pour le développement (OMD) en 2015, 9,5 milliards d’investissements par an étaient nécessaires. Cette somme est importante, pas inaccessible. C’est une question de volonté politique. Force est de constater qu’elle manque encore aujourd’hui. L’accès à l’eau sera garanti s’il y a une coopération des différents acteurs internationaux. Le rôle des États reste primordial. Il doit être accompagné par celui des organisations internationales, des ONG, des collectivités locales, des secteurs privés et de la société civile. opinion Haoues Seniguer, enseignant de sciences politiques à l’IEP de Lyon, membre du GREMMO (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient) Oser séparer le politique du religieux en terre d’islam Les mobilisations populaires auxquelles nous assistons depuis plus d’un an maintenant dans le monde arabe et majoritairement musulman, nous ont enseigné deux choses fondamentales : d’une part, la liberté (et avec elle, la dignité) est le bien commun de l’humanité sans exclusive ; et d’autre part, l’islam, quand il est érigé en religion d’État, à défaut d’être un rempart contre les autoritarismes, se révèle souvent, bon gré mal gré, leur meilleur garant. Le rôle de certains oulémas, actuellement en Syrie, démontre, à l’envi, comment, sous couvert de la religion, un blanc-seing est parfois donné à un régime exsangue. Pour s’en convaincre et caresser davantage les effets pervers d’une confusion irréfléchie entre islam et politique, il n’est qu’à parcourir les siècles d’histoire des sociétés musulmanes. Et examiner, avec minutie, les conséquences pratiques d’usages publics de la religion quand celle-ci s’invite inopportunément en politique. En effet, com- bien de pouvoirs se sont succédé, du pouvoir usent et abusent de la au fil des siècles en terre d’islam référence à l’islam en vue de courtmajoritaire qui, pour se maintenir circuiter toute tentative de mise en au sommet de l’organisation éta- cause de ses fondements réels. Pour tique, n’ont jamais hésité à exploi- que l’alternance électorale, si électer oulémas et religion : des Omeyyades aux Abbassides en passant Combien de pouvoirs se sont par les régimes contem- succédé en terre d’islam qui, porains post-indépen- pour se maintenir au sommet dantistes. Si chacun des musul- de l’État, n’ont jamais hésité mans ne raisonnait à exploiter oulémas et religion. simplement qu’en bon empiriste, l’ultraconservateur com- tions il y a, n’affecte jamais vraiment pris, il lui serait alors impossible les rapports de force au sommet de d’oser contester le fait que jusqu’à l’État. présent, l’étatisation ou l’adminisNe doit-on pas, par conséquent, tration de l’islam a seulement pro- pointer du doigt cette effroyable duit de la violence et conduit, d’une tartufferie et appeler les musulfaçon ou d’une autre, à la confisca- mans, d’où qu’ils soient, à militer tion du pouvoir par une minorité pour une séparation du politique ou autre oligarchie dynastique. Il et du religieux ? Pour que l’islam ne n’est, en l’occurrence, qu’à jeter un soit précisément plus jamais précoup d’œil sur les monarchies texte à de funestes desseins : contemporaines (Jordanie, Arabie contraindre les individus à croire saoudite, Maroc) et autres émirats et les priver de choisir, sur des criarabes dont les véritables titulaires tères rationnels, leur personnel politique en dehors de tout chantage à la foi. Pour ce faire, il n’existe pas une infinité de solutions. L’islam doit être ramené à la sphère privée dans l’exercice du pouvoir pour couper court aux mécanismes hégémoniques de domination politique à cause notamment de sa constitutionnalisation. Il ne s’agit évidemment pas, par là même, de brider les expressions religieuses de l’homme ordinaire. Mais seulement d’en appeler à l’autonomisation des sphères religieuse et politique en vue d’éviter un choc perpétuel et insoluble. Il y a, au demeurant, un magnifique révélateur des impasses mortifères de cette confusion séculaire entre religion et politique que les révoltes arabes ont portée à leur incandescence : les élites islamistes, pourtant idéologiquement adeptes invétérées d’une telle confusion, manifestent de plus en plus, le désir, réel ou supposé, de distinguer autorités civile et spirituelle. N’est-ce pas là, inconsciemment, la reconnaissance de ces impasses et l’acceptation, sans oser l’avouer, de l’excellence de la laïcité bien comprise ? Laïcité étant encore associée, de façon erronée, dans l’imaginaire musulman en général et l’imaginaire islamiste en particulier, à athéisme ou à incroyance. Il s’agirait de se réapproprier la laïcité et non d’en imiter les modèles historiques Si cette laïcité parvenait à faire son chemin, sans méprise, il pourrait peut-être s’entrevoir, une double libération : une libération spirituelle et une libération politique des chaînes de l’autoritarisme seule à même de pacifier les espaces sociaux dans des sociétés mondialisées et donc, forcément, en contact les unes avec les autres. Les révolutionnaires arabes se sont soulevés non pour réclamer plus d’islam ou de religion de la part de l’État mais en vue de recouvrer leur pleine souveraineté et accéder, plus que jamais, au statut de citoyens d’un État de droit démocratique.