GRAVURE ANCIENNE REPRÉSENTANT a UN SAUVAGE IROQUOIS » De la lune de miel au passage à tabac... » par Claude Lévi-Strauss A cinquante-huit ans, Claude Lévi-Strauss, professeur d'anthropologie au Collège de France, est un des hommes qui exercent le plus de fascination sur la jeunesse intellectuelle. Si son recueil de souvenirs, « Tristes Tropiques », paru en 1955, l'avàit fait connaître du grand public, son oeuvre d'anthropologie n'est pas seulement connue des spécialistes. « L'Anthropologie structurale », «-la Pensée sauvage.», e le Cru et le Cuit sont des livres difficiles, mais qui ont puissamment contribué à développer, les méthodes d'analyse structuraliste en France. Les sociologues, les critiques littéraires, voire les critiques de cinéma se sont emparés du nom de Lévi-Strauss, bien malgré lui. CLAUDE LÉVIjnSTRAUSS. — Quand j'ai décidé, non pas de faire de l'anthropologie, mais de mener un genre de vie qui permette une certaine dose d'anthropologie, je n'avais pas la moindre idée de ce que c'était. Le premier et le seul qui eût évoqué cette possibilité devant moi, lorsque j'étais encore à l'Ecole normale, ç'a été Paul Nizan. Au cours d'un dîner, il m'a parlé d'un mémoire qu'il préparait sur la mort et c'est à ce momentlà que j'ai compris qu'une carrière qui passait par l'agrégation de philosophie pouvait déboucher sur autre chose. Ce qui m'attirait alors, c'était plus le genre de vie que le genre d'études que supposait la carrière d'anthropologue. Pour quelqu'un qui avait le goût du camping et des page 30 25 janvier 1967 grandes marches, c'était une solution moyenne - entre l'enseignement de la philosophie et les loisirs dirigés:Mais la vraie question que Vous posez est de savoir pourquoi, ayant mis le pied dans l'anthropologie, j'ai persisté et m'y suis trouvé à l'aise. C'est probablement à cause d'un certain absolutisme dont je ne dirai pas qu'il caractérise aujourd'hui ma pensée mais qui était très certainement une de ses composantes quand j'étais adolescent. Le laïlowoe des villes A cette époque, j'avais le sentiment qu'avec la philosophie, je m'arrêtais à mi-chemin, que je m'arrêtais à certaines formes de pensée, à une tra- Cette influence et cette pensée n'ont pas été sans provoquer également de vives réactions, notamment de la part de JeanFrançois Revel ou, récemment, de la part de Jean-Paul Sartre qui, tout en approuvant les méthodes structuralistes appliquées par Lévi-Strauss au champ de l'anthropologie, craignait d'y voir un renoncement à l'Histoire. Au moment où le professeur Claude Lévi-Strauss publie le second volume de ses « Mythologiques », consacré une fois de plus aux « mythes culinaires » sous le titre « Du miel aux cendres » (Pion), il nous a paru intéressant de lui demander de présenter ce livre à nos lecteurs. Mais nous lui avons demandé d'abord pourquoi, philosophe de formation, il avait choisi l'anthropologie. dition qui était celle de notre société occidentale, et à certains types de problèmes. Tandis que l'anthropologie me donnait, à tort ou à raison, l'impression d'aller jusqu'à l'extrême limite du possible dans l'exploration de ce qui était le but de la philosophie. Parce que l'anthropologie, au lieu de considérer une expérience humaine circonscrite dans le temps et dans l'espace, se donnait pour objet la totalité des expériences humaines connues ou possibles. Il ne s'agissait plus d'étudier seulement les penseurs de notre civilisation — celle de la Grèce et de Rome — mais de recenser toutes les formes de pensée repérées ou attestées comme étant humaines. J'avais le sentiment que si j'arrivais à comprendre ce qui était le plus - difficile, je me trouverais mieux placé pour comprendre le reste. Et quand je dis le plus difficile, c'est qu'il y a plus d'obstacles apparents à la compréhension lorsqu'il s'agit de sociétés très exotiques. Ces sociétés représentent, il ne faut pas l'oublier, 99 % de l'expérience totale de l'humanité. Après tout, la civilisation occidentale est • à la fois très tardive dans le temps et très circonscrite dans l'espace. Jusqu'au milieu du XIX' siècle, l'immense majorité de la terre était habitée par des peuples que nous appelons primitifs. Après l'agrégation de philosophie, j'ai commencé par la sociologie, et c'est une chaire de sociologie que j'ai occupée à l'université de Sao Paulo, lorsque j'y suis arnvé pour la pre-.