Des « modèles » selon le mot de Bresson, fidèles complices de Quesne
occupent le plateau, avec cette fois-ci en solo Gaëtan Vourc’h dans la peau de
Serge, personnage de la fiction. Vourc’h, en cosmonaute, annonce au public le
protocole des productions du Vivarium Studio : « en général, on commence les
spectacles par la fin du spectacle d’avant ; l’année dernière je jouais dans
D’Après
Nature
, un spectacle qui se terminait comme ça, j’étais en cosmonaute. On était
d’ailleurs plusieurs à être en cosmonaute. Là je vais jouer
L’Effet de Serge
, un
spectacle autour de la vie de Serge et qui se passe chez lui ». Il présente le lieu de
vie de Serge, artiste concepteur de projets.
Que signifie la pratique d’un artiste qui bricole chez lui des mini-spectacles à peu
de frais devant un auditoire amical ? Quesne porte un regard amusé sur ce qui
pourrait être une tendance actuelle du discours des professionnels, une apologie
des projets conçus avec peu d’argent (alors que sur certaines scènes perdure un
excès de moyens) ? Malheureusement cet encouragement au bricolage ne sous‐
tend pas le principe esthétique, disons d’un post théâtre pauvre, dont la pauvreté
consistait à réduire les artifices du théâtre au profit d’une poétique du jeu de
l’acteur, mais constitue un argument économique de la politique culturelle. Serge
est sans effets mais le spectacle de Quesne fait son effet. Comme toujours
Quesne produit un théâtre critique, jubilatoire, qui travaille autant les codes
esthétiques de la théâtralité que les problématiques contemporaines. A l’heure
actuelle, les premiers pas sur le plateau de Gaëtan alias Serge en cosmonaute est
une entrée hautement signifiante : l’artiste appartiendrait-il à une autre planète,
tant il semble considéré par ses Pairs comme un être à part affranchi de toutes
préoccupations matérielles?
Pascale Gateau
À PROPOS DU SPECTACLE
Vivarium studio /
Philippe quesne
En 2003, j’ai fondé l’association Vivarium Studio, afin de concevoir et mettre en
scène mes propres créations et d’interroger le théâtre comme un art
d’assemblage, un art hétérogène. Mon premier spectacle,
La démangeaison des
ailes
, a été inventé avec un groupe de travail composé d’acteurs, de plasticiens,
d’un danseur-musicien, d’un régisseur de cinéma et d’un chien. Riche de cette
première aventure, l’expérience se prolonge depuis sept ans maintenant avec ces
mêmes collaborateurs, auxquels se joignent ponctuellement des invités ou des
figurants qui viennent enrichir en France et à l’étranger chacune de nos créations.
Depuis ma première pièce, mes projets mettent en relation un thème et un mode
de narration approprié : le désir d’envol et la chute (
La démangeaison des ailes
)
,
l’hébétude face aux risques du futur (la série
Des expériences
), les menaces
environnementales et notre incapacité à y remédier (
D’après Nature
), la capacité
de l’être humain à être artiste et à inventer (
L’Effet de Serge, La Mélancolie des
dragons, Big Bang
). En considérant que le théâtre de textes existe, qu’il est
primordial, mais n’est pas seul apte à interroger notre monde, je conçois des
spectacles qui cherchent à développer une dramaturgie contemporaine à partir de
problématiques qui nous habitent. Les sujets abordés, souvent avec une douce
ironie, le sont via différents types de texte (interviews, articles, poèmes,
chansons, listes de mots) qui contribuent à la cohérence narrative de la scène en
se combinant avec d’autres éléments du théâtre (corps, son, lumière, vidéos).
Ce principe d’écriture scénique repose également sur une relation privilégiée
entre l’espace de jeu, la scénographie et les corps qui y sont mis en scène. Je
conçois des dispositifs scéniques qui sont autant des décors que des ateliers de
travail, des « espaces vivarium » pour étudier des microcosmes humains. Mes
spectacles se nourrissent de références hétéroclites puisées dans la littérature,
les sciences humaines, les arts plastiques, la musique, le cinéma, etc. Dans le
cadre de certains projets, j’utilise des matériaux empruntés au « réel » (collectes
de témoignages, interviews). L’idée de départ est souvent prétexte à des
expérimentations, du processus de création à la représentation, préservant
l’ambiguïté vrai/faux, réel/artificiel, illusion/vérité. Le flottement du vivant…
Philippe Quesne