Le défi environnemental 1 Un mode de croissance qui épuise les ressources naturelles 2 Une vison optimiste : la croissance est la solution 3 Le problème de l’effet rebond 4 Quand l’économie est impuissante 5 L’indispensable taxation écologique 1 Un mode de croissance qui épuise les ressources naturelles Pour mesurer l’impact écologique de l’activité humaine on utilise la notion d’empreinte écologique qui correspond à la quantité de biens naturels qu’utilise une population donnée pour produire et consommer. Cette quantité de biens naturels correspond au capital naturel : on y trouve les énergies fossiles, les ressources de la mer, de la forêt, les terres arables, l’air (l’empreinte carbone)… Cette empreinte écologique s’exprime souvent en terme de quantités d’hectares globaux (HAG) nécessaires à la production d’un pays. Pour que la planète puisse renouveler son capital naturel, on estime couramment qu’il ne faudrait pas que chaque habitant utilise plus de 2 HAG. Au-delà de cette limite, la planète puise dans ses réserves et il faudrait de plus en plus de planètes pour satisfaire les besoins humains. En 1970 l’activité humaine a atteint la capacité de la planète à renouveler son capital naturel annuel. Depuis, il faut de plus en plus de planètes pour subvenir à nos besoins : en 2015 il faut l’équivalent de 1.6 planète. On peut ainsi calculer le jour de l’année où l’humanité a épuisé son capital écologique annuel et où elle rentre en dette écologique. En 1970 c’était le 23 décembre. En 2015 le 13 Août. Et si on ne fait rien, en 2030 ce sera le 28 juin, et il faudra alors 2 planètes pour subvenir aux besoins. Ceci confirme donc ce que nous soupçonnons : il ne semble pas possible, sur le plan physique, que notre mode de croissance actuel soit durable. Dans tous les cas, nous « risquons » de laisser à nos enfants une dette écologique, c’est-à-dire une planète avec infiniment moins de ressources qu’actuellement. Globalement, si la planète n’a plus la capacité de renouveler son capital naturel, certains modes de croissance sont beaucoup plus responsables que d’autres. Le cas le plus flagrant est celui des Etats-Unis : ils ont besoin de 7 HAG par habitant. Ce qui revient à dire que si chaque habitant de la planète vivait comme chaque américain, nous aurions déjà besoin de 3.5 planètes. Dans le cas de l’Union européenne, c’est un peu moins : 5 HAG par habitant, soit 2.5 planètes. Nous en déduisons à l’évidence que le mode de consommation et de croissance à l’occidental ne peut pas être généralisé à la planète entière, d’où les réticences des pays en développement à faire des efforts. Cela peut aussi se mesurer par le nombre de pays dont les habitants d’un pays auraient besoin pour leur propre croissance. Mais comme chaque habitant d’un pays n’a que son pays pour vivre, on imagine le problème : à qui prendre ce qui manque ? Le problème écologique de la croissance économique ne se limite pas à l’épuisement des ressources naturelles : il concerne également nos rejets dans l’atmosphère des fameux GES : gaz à effet de serre. Malgré la multiplication des conférences (la COP 21 a été comme son nom l’indique la 21° conférence sur le climat) et des accords, rien ne semble vraiment enrayer ni les rejets de GES dans l’atmosphère ni la hausse des températures qui va avec. Des années 1850 aux années 1970 la température moyenne mondiale a augmenté de 0.4°, et elle s’accroît beaucoup plus vite depuis la fin des années 1970 : +0.6°. De 1910 à 2010 elle aura progressé en moyenne de 1 degré et la seule perspective est désormais d’essayer de limiter cette hausse à 2° d’ici la fin du XXI° siècle. La corrélation avec la concentration de CO2 dans l’atmosphère ne semble plus vraiment faire de doute, cette concentration a augmenté de plus d’un tiers en un siècle. 2 Une vision optimiste : la croissance est la solution. Les économistes (libéraux pour l’essentiel) ont assez vite compris le problème écologique : la notion d’externalités négatives (c’est-à-dire l’ensemble des conséquences négatives d’une activité économique) a été forgée par Alfred Marshall au début du XX° et des solutions ont été envisagées par Arthur Cecil Pigou qui posa le principe du pollueur-payeur en 1925. Les économistes libéraux sont « optimistes » : ils estiment que la croissance économique va permettre de résoudre elle-même les problèmes écologiques qu’elle engendre, et ce pour trois raisons : * ils estiment d’abord qu’il est parfaitement possible de remplacer le capital naturel par le capital technologique. Par exemple, dans l’hypothèse où les ressources énergétiques disparaissent (exemple du pétrole), la technologie nucléaire, les éoliennes, les hydroliennes, le solaire…permettront de remplacer ces ressources naturelles par l’énergie électrique. * ils estiment donc que la croissance est nécessaire pour assumer cette transition entre capital naturel et et capital technologique : - elle fournit les moyens financiers permettant de développer la recherche et donc le progrès technique - elle fait passer l’humanité à une consommation de services, moins polluante qu’une consommation de biens -en enrichissant les hommes elle les débarrasse des soucis du quotidien et elle les fait donc prendre conscience de préoccupations plus écologiques * ils estiment enfin que le marché est capable de fixer un « vrai prix » à la pollution. Si la pollution devient vraiment insupportable, le prix le sera également, obligeant alors les acteurs à un comportement écologiquement responsable. L’ensemble de cet optimisme est représenté par la courbe de Simon Kuznets, économiste américain (1901-1985, prix « Nobel » en 1971). Cette courbe nous montre que plus le revenu par tête progresse et plus dans un 1° temps le niveau de pollution augmente : période du XIX° siècle et 1° moitié du XX°. Puis dans un second temps, grâce à l’augmentation du revenu issu de la croissance économique les comportements changent et la pollution recule. Les tenants de cette thèse font remarquer que désormais ce sont les occidentaux qui individuellement sont plus soucieux de l’environnement que les habitants des pays pauvres. Par exemple, alors que dans les pays riches la tendance est au reboisement, dans les pays pauvres la tendance est au déboisement en particulier pour le chauffage. Donc quand les pauvres s’enrichiront, disent les optimistes, les pays pauvres à leur tour adopteront des comportements écologiques : la croissance est donc bien selon eux la solution. Ce bel optimisme peut rencontrer un début de justification statistique : par exemple, depuis 1970, le PIB par habitant a été multiplié par 4, mais les émissions de CO2 n’ont été multiplié « que » par 2. Le rapport PIB/rejet de CO2 a donc diminué de moitié. On peut également constater que quand les pays se développent, leur efficacité énergétique s’accroit, donc leur intensité énergétique diminue. Dans un 1° temps (exemple des Etats-Unis : 1860-1920), il faut de plus en plus d’énergie pour produire une quantité identique : l’efficacité énergétique diminue et l’intensité énergétique augmente. Puis, grâce aux progrès technologiques, aux lois du marché, aux changements de « mentalité » et de consommation, la consommation d’énergie pour la même quantité produite diminue : l’efficacité énergétique augmente et l’intensité énergétique diminue : c’est le cas des pays développés depuis 1920. La France, par exemple utiliserait 60% d’énergie en moins pour la même production. Ce chemin « vertueux » serait suivi par tous les pays qui se développent. A terme donc la croissance économique ne serait plus un problème, mais serait donc bien au contraire la solution au problème. 3 Le problème de l’effet rebond Cette vision optimiste se heurte à une limite : si en effet pour chaque unité de PIB on utilise de moins en moins d’énergie, mais qu’on augmente massivement les unités de PIB, les effets bénéfiques d’une baisse à l’unité seront plus qu’annulés par une hausse des quantités produites. Si chaque voiture pollue et consomme moins au kilomètre parcouru, mais qu’il y a plus de voitures et qu’elles font plus de kilomètres, le total de la consommation et de la pollution sera accru. On peut le constater de deux façons : on voit bien que la consommation énergétique par habitant se stabilise à peu près. Mais il y a de plus en plus d’habitants sur la terre. Conséquence, la consommation totale d’énergie s’envole, et les ressources énergétiques s’épuisent (exemple généralisable aux ressources halieutiques). Le problème est le même en matière de rejets de GES : si chaque habitant rejette moins de CO2, mais que le nombre de personnes qui rejettent augmente, les émissions totales vont augmenter. C’est la problématique chinoise : si chaque chinois rejette autant de CO2 que chaque américain, le rejet total chinois sera de 10 500 gigatonnes (une gigatonne = 1 milliard de tonnes) contre 7400 aujourd’hui. En 2013, chaque chinois a un rejet de CO2 équivalent à chaque européen, mais le rejet total de la Chine est supérieur de 87.5% à celui de l’Union européenne. Il faudrait donc diminuer les rejets au même rythme que la croissance des populations et de la croissance économique, ce qui est pour l’instant difficile. Car derrière la Chine, d’autres pays rentrent à leur tour dans le club des pays pollueurs. La limite écologique à ces rejets risque alors d’être vite atteinte. 4 Quand l’économie est impuissante Les économistes ont imaginé que le marché pouvait être alors une solution au problème écologique : il faut « internaliser » les externalités : en bref, dissuader par un coût de production supplémentaire les pollueurs de polluer (et les gaspilleurs de gaspiller). Il faut alors fixer un prix à la pollution, et c’est le marché qui devrait montrer quel est le niveau de pollution que nous sommes prêts à accepter. Ce principe a été mis en application à l’occasion du fameux protocole de Kyoto en 1997. Mais pour l’instant, seule l’Union européenne a mis en place un véritable marché du carbone : le système communautaire de quotas d’émissions : le SCEQE. Pour une période de 5 ans, chaque pays européen se voit attribuer une quantité maximale de rejet de GES. Cette quantité est ensuite ventilée à l’intérieur des pays à des sites industriels (1 200 en France). A partir de 2013 ces sites doivent désormais en grande partie acquérir aux enchères des quantités maximales de rejets par an. S’ils en ont trop, ils peuvent les vendre sur le marché, s’ils n’en ont pas assez, ils doivent les acheter : se forme ainsi un prix international de la tonne de carbone. Pour la période 2013-2020, le total des émissions européennes devrait être de 4 200 millions de tonnes par an (mais le Parlement européen a rejeté cette proposition). On remarquera que les quotas alloués ne concernent que la moitié du total des émissions. L’efficacité du marché dans la lutte contre les rejets de GES repose bien entendu sur le prix de la tonne : si ce prix est trop faible, le rejet n’est pas dissuasif, et au contraire la vente de quotas non utilisés n’a pas d’intérêt. Les experts pensaient en 2009 qu’en 2020 le prix devrait être compris entre 45.7 € la tonne et 30.3 € la tonne. Pour un pays qui se voit allouer comme la France 132 millions de tonnes, le marché devrait alors représenter entre 6 milliards € et 4 milliards € ! Mais les experts se sont totalement trompés : le prix de la tonne de carbone n’a pas cessé de diminuer pour atteindre hier 3.50 la tonne ! A ce prix là il n’est absolument plus « rentable » pour entreprise de se livrer à une réduction des émissions de carbone et encore moins d’essayer de les vendre. Il faut remarquer que le principe du marché de carbone n’a pas été repris dans « l’accord » sur la COP 21, ce qui en dit long sur son efficacité. La raison de l’effondrement est simple : l’attribution des quotas est trop généreuse et les industriels ne les utilisent pas tous. La France, par exemple, n’utilise en moyenne que 83% de son quota. On peut alors se demander pourquoi on ne parvient pas à diminuer davantage les quotas (le 16 avril 2013 le Parlement européen a refusé de diminuer les quotas de 900 millions de tonnes). La réponse est simple : si les quotas sont diminués et que leur prix remonte, on peut craindre une diminution de la rentabilité des entreprises européennes, alors que les entreprises américaines, chinoises, brésiliennes…ne sont pas soumises à ces quotas et n’ont pas encore (?) commencé à instaurer un marché des droits. Les entreprises européennes font alors pression, relayées par les Etats. D’autant plus que dans le cas de la France, le fait d’avoir trop de quotas permet de les vendre, or la vente est soumise à TVA, ce qui rapporte quelques rentrées fiscales. Le marché seul ne peut donc pas permettre de réaliser les objectifs. Une autre limite à ce marché est le risque de voir des pays du sud se spécialiser dans la vente de leurs quotas plutôt que d’essayer de se développer : par définition, les pays en développement sont pour l’instant peu polluants, et ils peuvent le rester…. s’ils ne développent pas trop sur le plan industriel. Le marché des émissions risque alors de devenir un autre moyen pour permettre le développement de quelques uns, au détriment des autres. Et ceci profitera principalement aux dirigeants de ces pays. Le bilan est donc moyen, et il y a assez loin entre les objectifs annoncés et les réalisations. Si on prend le cas de l’Union européenne elle devrait réduire ses émissions de 25.7% entre 2012 et 2030 et elle aurait du les réduire de 80% entre 1990 et 2050. Mais au rythme actuel elle ne les réduira que de 40%. Et on se rend compte qu’aux Etats-Unis la réduction semble plus efficace quand les états ne participent pas un marché de carbone. L’économie livrée à elle-même semble donc peu capable d’atteindre les objectifs permettant d’éviter un réchauffement climatique majeur. Ce qui est plus inquiétant, c’est que même si on atteint les objectifs de réduction de GES d’ici 2030, cela n’empêchera probablement pas la température moyenne mondiale d’augmenter d’au moins 2°. Mais si on ne fait vraiment rien, c’est le scénario d’une hausse moyenne de 5° qui se dessinerait. 5 L’indispensable taxation écologique. Si l’économie par elle-même ne peut pas résoudre les problèmes qu’elle engendre, que faire ? Tout le monde comprendra que faire appel au bon sens et au civisme des acteurs n’a aucune chance d’être efficace, et ce pour une raison simple : chaque acteur individuellement n’a pas l’impression que son action contribue vraiment au problème écologique. En sciences sociales, nous connaissons bien également le principe du « passager clandestin » : chacun pense qu’il peut laisser les autres faire des efforts à sa place et tirer individuellement bénéfice de cette action des autres. L’éducation est bien entendu un moyen efficace : mais il faudra beaucoup de temps (et de conviction) pour parvenir à un résultat. La COP 21 a pris acte de cet état de fait et en a conclu que seule la taxation écologique était vraiment efficace pour relever le défi environnemental. Il faut donc inciter des acteurs à adopter un comportement responsable sur le plan climatique en taxant les comportements « pollueurs » et en récompensant les comportements adéquats. On retrouve ici le principe du bonus-malus écologique pour les véhicules, mais également pour les modes de chauffage des résidences particulières. Il s’agit également du principe de l’écotaxe : des transporteurs routiers (ou n’importe qui d’autre) sont taxés à chaque fois qu’ils font rouler camions ou voitures : c’est la taxe carbone. Le produit de ces taxes doit en principe être entièrement consacré au financement d’activités moins polluantes (transport par voie ferrée par exemple). On voit tout de suite que les pays n’en sont pas du tout au même point sur cette fiscalité et le projet de la COP 21 est de parvenir « par le haut » à cette harmonisation. On pourra remarquer que si la France taxait autant que la Suède, elle pourrait percevoir 4.050 milliards € x 16.8 soit 68.04 milliards €. Mais la taxation écologique se heurte à deux limites essentielles : *Elle est tout d’abord jugée très inégalitaire : un certain nombre de personnes risquent d’être taxées pour leur pollution, alors qu’elles ne peuvent pas vraiment faire autrement. On pourra prendre ici deux exemples : - celui du chauffage : le chauffage au fuel est beaucoup plus polluant que le chauffage électrique (surtout à partir de panneaux photovoltaïques) ou que le chauffage au gaz. Il sera donc taxé. Mais la plupart des personnes qui se chauffent au fuel n’ont absolument pas les moyens de changer de chauffage (le temps de rentabilité, même avec un bonus écologique, sera trop long), et dans certains cas (chauffage collectif) ils seront taxés pour quelque chose sur lequel ils n’ont pas de pouvoir de décision. - celui de l’automobile : on retrouve le problème du coût du changement de véhicule, plus celui de l’éloignement des centres économiques : les ruraux, par exemple, ont besoin de leur véhicule : ils risquent donc d’être plus taxés que les urbains. *La taxation écologique pose un vrai problème de distorsion de concurrence entre les entreprises de pays voisins. Si par exemple la France taxe ses transporteurs routiers mais que les pays voisins ne le font pas ceci peut avoir une double conséquence : - les transporteurs routiers des autres pays peuvent proposer des tarifs plus avantageux (surtout si on combine cet « avantage » avec du dumping social). Il y a alors risque de chômage en France. - des transporteurs peuvent souhaiter se détourner de la France (ou rouler discrètement sur des routes non taxées, ou moins) ce qui ne réduira en rien la pollution collective. C’est dans ce sens que la COP 21 s’est engagée dans deux directions : - que les pays les plus riches financent à partir de 2020 les pays les plus pauvres pour les aider dans leur transition écologique, cette politique devant également être adoptée à l’intérieur des pays concernés. Une vaste redistribution doit alors avoir lieu. - l’harmonisation des taxations : la COP 21 a défini 4 groupes de pays qui doivent parvenir d’ici 2030 à des taxations égales à l’intérieur de chaque groupe : les pays développés, les pays émergents, les pays en développement et les pays exportateurs de matières premières carbonées. Il s’agit donc d’un objectif ambitieux qui a au moins le mérite de prendre acte de la nécessaire régulation des activités économiques. On pourra néanmoins regretter que la COP 21 ne se soit pas interrogée davantage sur les finalités de notre mode de croissance : croître toujours plus, même en essayant de polluer moins et d’économiser les ressources planétaires, est ce vraiment une finalité qui nous rend plus heureux ? Et il ne faut pas oublier la différence juridique entre signature et ratification : en particulier les Etats-Unis n’ont jamais ratifié le protocole de Kyoto qu’ils avaient pourtant signé, et il n’est pas sûr du tout qu’un congrès à majorité républicaine accepte cette ratification.