
dimension pratique et ascétique de la philosophie. Que faut-il entendre, dès lors, par « exercices
spirituels » sinon, affirme Hadot, des « pratiques qui pouvaient être d'ordre physique, comme le
régime alimentaire, ou discursif, comme le dialogue et la méditation, ou intuitif, comme la
contemplation, mais qui étaient toutes destinées à opérer une modification et une transformation
dans le sujet qui les pratiquait » ? Comme nous le disions, cette dimension ascétique qui, nous le
verrons, est liée à l’idée de la philosophie comme sagesse, se retrouvera aussi chez des auteurs
considérés comme modernes, et chez celui qui passe pour être l’un des précurseurs de la
modernité, à savoir Descartes.
Lorsque celui-ci choisit de donner à son ouvrage de 1641 le titre de
Méditations, il sait très bien que le mot, dans la tradition de la spiritualité antique et chrétienne,
désigne un exercice de l'âme. Chaque Méditation se présente effectivement comme un exercice
spirituel à l’occasion duquel s’opère véritablement un travail de soi sur soi, qui doit être effectué
avant de passer à la méditation suivante. On pourrait ici décliner les noms d’Aristote, de Diogène
dont nous allons reparler, ou d’Érasme déclarant qu’il n’y a de philosophe que celui qui, capable
d’accorder ses actes à ses pensées et ses pensées à ses actes, vit de manière philosophique. Car ce
qui apparaît n’est rien moins que la dimension existentielle de l’activité philosophique, laquelle
dimension n’est concevable, comme nous allons tâcher de le montrer, qu’à la condition
d’admettre que la pensée peut s’exercer comme maîtrise de soi et comme action sur l’action elle-
même, entendue cette fois en son sens le plus trivial.
À l’école de la pensée et de l’action : retour aux origines
Les écoles philosophiques de l’Antiquité sont tout à fait singulières. Si l’étudiant moderne
ne fait de la philosophie que parce qu’elle est au programme de Terminale et si, dans le cas où ce
premier contact serait positif, il poursuit son travail à l’Université, il pourra rencontrer des
professeurs appartenant à des écoles différentes. S’il adhère à l’une d’entre elles, cette adhésion
sera, sauf exception, de type intellectuel. Et il clair que pour nous, la notion d’école renvoie à une
position doctrinale et théorique. Tel n’est pas, loin s’en faut, le cas des écoles grecques, et en
particulier à l’époque hellénistique. C’est ici le mode de vie qui y est pratiqué qui séduira ou
repoussera l’apprenti philosophe. Pour autant, la dimension proprement intellectuelle et
doctrinale n’est pas absente. Mais la grande originalité de ces écoles réside sans doute dans leur
effort convergent pour articuler la pensée et l’action dans la définition de ce que la postérité
nommera « sagesse ».
Cette singularité transparaît dans la distinction de deux catégories de personnes
fréquentant telle ou telle école. Il y a d’abord ceux qui viennent, pour ainsi dire, « suivre des
cours ». Et puis il y a ceux que l’on considère comme des « amis », des « familiers », des
« compagnons ». Ceux-ci sont moins des élèves, au sens moderne du mot, que des disciples qui
parfois partagent la vie du maître, vivant dans sa maison ou à proximité, et partageant
régulièrement avec lui leurs repas. La notoriété du maître tient d’ailleurs à des critères éthico-
pratiques. Sera considéré celui dont le mode de vie s’accorde aux principes qu’il enseigne, et qui
donc parvient à accorder sa vie et ses discours. Si bien que chaque école se définit moins par un
corpus de pensées que par un choix de vie initial, autrement dit une option existentielle. Ces
différences touchent moins les fins visées que les moyens d’y accéder. Dans tous les cas, ce qui
est visé est la tranquillité de l’âme, de sorte que la philosophie se présente alors comme une
thérapeutique des angoisses qui empêchent l’homme d’atteindre l'état de la tranquillité heureuse.
Qui plus est, la plupart des philosophes de cette époque considèrent que les hommes sont
plongés dans le malheur de par leur ignorance. Le mal n’est pas dans la réalité mais bien plus
fondamentalement dans les jugements que les hommes portent sur les choses. Il s’agit donc de
guérir, ou à tout le moins de soigner les hommes en changeant leurs jugements de valeur. Mais
pour opérer un tel changement, il faut travailler sur deux axes parallèles. Il faut commencer par
changer sa manière de penser, et à partir de là changer sa manière d’être. Si bien que la