Journée d’Etdudes Wahhabisme
CEIFR- MSH
10 juin 2002
Quelques Mots Concernant le Wahhabisme
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Hosham Dawod (CEIFR-CNRS)
Malgré l'attention qu'on accorde aujourd'hui à la situation politico-religieuse en Arabie
Saoudite (particulièrement depuis les événements de 11 septembre 2001), je suis bien obligé
de commencer cette courte communication par un constat teinté de regret : les structures
politico-religieuses saoudiennes et leurs influences réelles ou imaginaires dans le monde
arabo-musulman demeurent peu connues en France. Si les travaux sur l'économie pétrolière et
ses corrélations avec la politique mondiale sont relativement abondants, de même les études
sur les marchés militaires; les recherches sur la société saoudienne, sur le mouvement
wahhabite, salafite ou islamiste radical, en revanche, restent rares. Pourtant, son territoire et la
pluralité de son tissu social et ethnique recèlent bien des réalités fort complexes et
inaccessibles aux sciences sociales, et demeurées à ce jour inconnu de la quasi-totalité du
public occidental.
Rendre compte d'un lieu si particulier, suppose qu'on se libère d'un certain nombre des
stéréotypes qui font de cette terre un des points forts de la modernité ou, a contrario, qui n'est
perçu que comme un désert aride et inhospitalier que traversent lentement les Bédouins et
leurs chameaux (apologie encore vivace de nos jours d'un bédouinisme dionysien). L’Arabie
Saoudite qui, géographiquement parlant, est le plus vaste pays de la péninsule arabique, a
accompli sur un quart de siècle une avancée économique et technique fulgurante. Celui qui y
met le pied pour la première fois, surtout s’il a la possibilité de comparer avec d’autres pays
de Proche-Orient, est proprement stupéfait de cette métamorphose. Mais l’impression la plus
forte provient, sans doute, des contrastes quotidiens que l’on rencontre à chaque pas dans la
vie de ce pays tout entier tendu artificiellement vers l’avenir alors qu’il ne parvient pas à
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vaincre des préjugés séculaires, tout en conservant encore vivace une culture et mille et une
traditions qui divergeant chichement avec les ordinateurs des dernières générations, de
l’Internet1, le Fax et la parabole !
Certes, devant cette méconnaissance, il faut reconnaître, quelques circonstances aussi bien
atténuantes qu'explicatives. Par son histoire contemporaine, l'Arabie Saoudite ne s'est pas
produite suite à une intervention étrangère directe. La péninsule Arabique, en particulier sa
région centrale, Najd, berceau à la fois de la dynastie d'Ibn Saoud et de la doctrine wahhabite,
n'a jamais été occupée, même pas par leurs coreligionnaires les Ottomans (sauf une courte
période au début du XIXème siècle par le terrible Sultan d’Egypte Mohammed Ali et un
siècle plus tard on signale une présence militaire ottomane, mais très éphémère). Cependant,
les wahhabites restèrent silencieux quand la population de Hedjaz s'est engagée dans la
grande révolte arabe dirigée par Lawrence, s'imaginant que des chrétiens infidèles menaient,
au nom de l'Islam, une guerre contre d'autres infidèles athées ou hérétiques (les chi'ites et les
Ottomans sunnites de l’école Hanafite!). En outre, pour le futur roi Abdel Aziz Ibn Saoud, qui
s'était allié aux Britanniques "un chrétien infidèle vaut mieux qu'un musulman qui pratique
son infidélité». Cette déclaration qui a maintes fois répétée et pratiquée depuis, reste un des
fondements qui façonne la politique interne et externe de l'Etat saoudien depuis sa fondation
en 1932. Le roi Fahd en parlait encore en janvier 1995 (devant son Comité consultatif); "Dieu,
dans sa gloire et sa grandeur, nous a aidé en nous envoyant des soldats de tous les coins du
monde".
Mais, l'application de ce principe dans la société saoudienne d'aujourd'hui, qui connaît la plus
grave crise de son histoire, ne va pas sans hanter la famille royale. Plus grave encore, la
guerre du Golfe a exposé le pays, en tant que berceau de l'Islam et gardien des Lieux Saints, à
la terrible accusation islamique de Fitna - la dissension, l'opposition entre musulmans. Aux
yeux des nombreux néo-wahhabites radicaux, le roi Fahd a libéré des démons que même ses
1 Joshua Teitelbaum, Dueling for Da’wa : State vs. Society on the Saoudi Internet, in, Middle East Journal, vol.
56, n° 2, 2002, pp: 222-239
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alliés les plus proches l'ont désapprouvés (des mouvances islamistes en Afrique de Nord, au
Moyen-Orient ou en Asie Centrale et massivement dans la diaspora) qui ont bénéficié pendant
de longues années de la largesse saoudienne : recrutements des jeunes pour des guerres saints
(en particulier durant la période de pèlerinage), construction des mosquées, formation des
Imams -prêcheurs religieux-, création et financement des revues, des livres et des
bibliothèques islamistes, etc. Pis encore, le déferlement soudain de demi-million de soldats, la
plupart des Américains donc « infidèles », sur le territoire saoudien continue (aujourd’hui
encore) d'exciter le ressentiment des puritains et alimente encore la rhétorique de l'opposition
néo-wahhabite. Devant une telle situation, peut-on parler d'un péril que court la famille royale
saoudienne ? Je laisse cette question aux politologues et aux analystes de la réalité politique
actuelle de l’Arabie Saoudite pour me tourner brièvement vers notre sujet d’étude, le
Wahhabisme et sa spécificité.
LA SPECIFICITE DU WAHHABISME
Il me semble capital de situer ce courant dans son trajectoire historique de longue durée tout
en observant ses traits de continuité, mais aussi des différences qui le distinguent des autres
vagues islamiques depuis plus d’un siècle. Sans un tel retour nous serons dans l'incapacité de
comprendre la portée et les limites du modèle wahhabite dans le monde musulman en général.
D'emblée et par un pure procédé de schématisation méthodologique, on peut distinguer
historiquement trois moments de vagues islamiques modernes, chacune avec leurs propres
contextes macro (régional, international) et micro (local) et ses traits distinctifs.
La première phase (XIXème siècle, début XXème siècle) est connue sous le nom de
"mouvement de réforme", la réforme de l'Islam pour assumer la modernité en termes culturel,
politique, économique et social. Sa caractéristique générale est la purification et l'innovation
de l'Islam. En matière politique, il tournait autour d'un mot clé: le constitutionnalisme.
La deuxième phase de l'islamisme, au cours de la première moitié du XXème siècle, s'est
efforcée de préserver l'Islam d'une perte culturelle, et les musulmans de la domination des non
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musulmans (Hindous, Juifs, Chrétiens); Ses expressions politiques clés en étaient: soit
"rétablir le califat" (aboli par Atatürk en 1924), soit l'application de la Shari’a au sein de
l'Etat.
La troisième phase, la contemporaine, tourne autour de l'idée d'un Etat islamique, de la
réunion de la religion et de la politique, présumées avoir été séparées par les modernistes.
Comparé au modèle classique, on a l'impression que ce dernier consistait en une
modernisation de l'Islam, alors que le cas contemporain est une islamisation de la modernité.
Allons plus loin. La réforme classique apparaît dans les écrits arabes contemporains sous la
forme da la "renaissance de la pensée" (nahda = réveil). Le type d'Islam qu'elle a façonné est
bien connu en tant qu'islam réformé. Le mouvement s'appelle aussi mouvement "salafî", le
terme "salaf" désignant littéralement les "ancêtres". Mais dans sa connotation religieuse, cela
signifie la revivification de l'islam originelle, celui des pieux ancêtres, pour le débarrasser de
l'altération qu'il avait subi, afin qu'il retrouve sa pureté initiale. Certains chercheurs appliquent
aussi ce même qualitatif « Salafi » de début du XXe siècle au mouvement Wahhabite, en
évoquant entre autre, que au Moyen-Orient le modernisme débutant avec Muhammad Abduh
(1849-1905) et particulièrement avec Rashid Rida (1885-1935) fit jonction avec les « Khwans
- frères » d’Arabie et propagea une doctrine religieuse très proche du wahhabisme sous le
nom de Salafiyya.
Reste à savoir la nature du wahhabisme et ce qu'il le distingue du mouvement des réformes. Il
est vrai que le Wahhabisme2 possède des ressemblances dans le domaine de la théologie avec
d’autres courants islamistes ; l'idée de l'unicité absolue de Dieu (tawhid), le rejet du soufisme
et des pratiques d'intercession ou de la médiation et les cultes des saints, l'appel à un Islam des
pieux ancêtres "al salaful salih", à l'islam originel, pur de la Mecque et de Médine. Mais les
divergences sont considérables.
Le wahhabisme insiste surtout sur le rejet de tout ce qui sort du texte de l'Islam des origines,
en le qualifiant de (bid’a), innovation non basée sur le Coran et la Sunna. Il s'agissait d'un
2 Mouvement réformiste rigoriste, initié par Muhammad Ibn 'Abd al-Wahhab, originaire de Najd (l’Arabie
centrale) et qui dû sa fortune -la réciproque étant aussi vraie- à l'alliance conclue (1744) avec l'émir tribal
Muhammad Ibn Saoud, dont les descendants fonderont l'Arabie Saoudite (1932).
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Islam orienté contre les Musulmans eux-mêmes (takfir et quital), et en premier lieu contre les
Musulmans du Najd, isolés et en grande partie nomades, plongés dans leurs propres pratiques
cultuelles. De même, les Wahhabites partaient en guerre contre les chi’ites à l’Est de l’Arabie
et Sud de l’Irak et l'Islam moins fragmenté et plus ouvert de Hedjaz, dont le « laxisme » en
termes de religion apparaissait presque comme un blasphème, voire même un acte terrifiant.
En un mot, la pensée wahhabite, au moins dans sa phase initiale, était un système d'exclusivité
solitaire, une intériorité culturelle, un bastion traditionnel et une aliénation à la fois de
l'animisme des bédouins et de la religiosité ouverte des citadins (Hedjaz), du soufisme et de
toutes sortes d’innovations.
En revanche, les même idées de purification de la religion, de l'unicité de Dieu, le besoin de
revenir à l'islam des origines furent les instruments théologiques utilisés au cours de la quête
de l'opposé: l'innovation, ou plus précisément, l'ouverture à l'Ouest, le besoin de percer les
murs culturels de l'islam hérités de l'histoire, qui faisaient obstacle à la modernisation des
sociétés islamiques. Le wahhabisme originel a précédé la réforme conduite par Jamal Aldin
al-Afghani, Muhammad 'Abduh et Kawakibi3. Ajoutons à cela que l'islam réformé a aussi été
touché par l'innovation laïque et libérale qui gagnait en importance dans l'Empire Ottoman,
depuis le Tanzimat, et un peu plus tard en Turquie et dans certaines régions de l'Inde
britannique et de l'Iran des Qadjar. D'une certaine manière, il s'agissait de l'islamisation de
concepts occidentaux, d'un processus d'une importance culturelle immense.
Les concepts de la science posée comme étant différente de la religion, de la démocratisation
des régimes politiques, de constitutionnalisme élaboré par l'homme, et d'autres, paraissent
encore trop étranges pour être acceptés même de nos jours, par les normes wahhabites (on a
dit que les réformes saoudiennes d'après la guerre du Golfe, à savoir un organe consultatif
nommé par le roi, qu'elles devaient être limitées aux traditions de l'islam). C'est peut-être
pourquoi (entre autres facteurs importants) le nationalisme dit islamiste "al-qawmiyya al-
islâmiyya" de Hassan al-Banna, d'exclusivité culturelle de la deuxième moitié XX siècle a
critiqué la réforme islamique du XIXème siècle et s'est rangé, sur le plan idéologique, aux
côtés du wahhabisme.
3 Principales figures du courant réformateur, originaires, respectivement, d'Afghanistan (1838-1898), d'Egypte
(1849-1905), de Tripoli, le futur Liban (1849-1902).
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