Le nazi et le psychiatre

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Pierre-PhiliPPe GinGras
Une fascinante histoire d’après-guerre
une étrange rencontre entre le bras droit d’Hitler, Hermann göring
et un jeune psychiatre ambitieux, Douglas Kelly
18 / PHOTO POLICE, 28 mars 2014
Il n’y a pas que les phénomènes paranormaux qui sont étranges. En effet, certaines
rencontres qui peuvent sembler banales à première vue cachent parfois des éléments exceptionnels nous incitant à croire en l’étrangeté des choses. Comme ce face-à-face
historique entre un grand criminel nazi, Hermann Göring, et un psychiatre américain,
Douglas Kelly dans le cadre du célèbre procès de Nuremberg, là où les Alliés, entre le 20
novembre 1945 et le 1er octobre 1946, ont passé en jugement devant un tribunal militaire
international 24 hauts responsables et huit organisation du régime nazi, incluant la Gestapo
et les SS. Accusé de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l’humanité,
Göring faisait partie du troupeau.
NUREMBERG
longue enquêTe
C’est donc tout juste avant la tenue du
procès que Kelly fut chargé, à l’été 1945, de
déterminer si ce prisonnier haut gradé était sain
de corps et d’esprit, apte ou non à défiler devant
le tribunal de Nuremberg et faire face aux
multiples accusations portées contre lui. Sauf
que cette affaire, au départ sans conséquences
graves, allait occasionner son lot de complications
alors que le jeune médecin spécialisé en santé
mentale franchira une frontière qui lui sera fatale.
En ce sens que le maréchal du Reich Hermann
Göring fascinera si bien Douglas Kelly que celui-ci sera tenté de pousser son étude au-delà
de sa mission initiale. Parfois, en voulant fouiller
un peu trop loin, on risque de sombrer dans un
enfer imprévu et souvent mortel. Le désir du
psychiatre de vouloir s’approcher de plus en
plus du monstre nazi le conduira jusqu’à commettre l’irréparable, soit le suicide, dernier
espoir de ceux qui n’en ont plus…
C’est à l’historien et journaliste américain
Jack El-Hai, auteur prolifique s’il en est un, que
l’on doit l’ouvrage intitulé Le nazi et le psychiatre,
qui vient de paraître aux Éditions de l’Homme,
livre fascinant faisant le point sur ces rencontres
que l’on croirait d’un autre monde, là où le mieux
est l’ennemi du bien, à la recherche des origines
du mal absolu au cœur d’une personnalité nazie
susceptible d’en dérouter plus d’un!
Premier historien à se pencher sur le sujet,
Jack El-Hai a rencontré le fils aîné du psychiatre,
Doug Kelly, avant de plonger dans les archives
personnelles du père. «J’ai été comblé en découvrant qu’il possédait la collection complète
des papiers et des photos de son père retraçant
son séjour à Nuremberg, ainsi que les dossiers
concernant sa carrière en général», raconte
l’auteur de ce document unique en son genre.
«Doug m’a invité dans sa vie et a répondu à
mes questions avec beaucoup de gentillesse.
Intelligent et drôle, il a sondé ses souvenirs
d’enfance avec générosité – un exercice souvent
douloureux et déstabilisant pour le fils de Douglas
McGlashan Kelly.» C’est donc à partir de là que
Jack El-Hai a pu reconstituer les faits marquants
de la rencontre Göring-Kelly et se lancer dans
la rédaction de son livre.
L’auteur n’a pas sauté beaucoup de détails.
On a vite l’impression que tout y est, alors que
les descriptions des deux hommes suivent un
chemin logique qui conduira le lecteur à l’aboutissement final, à la mort surprenante de l’ambitieux, doué et dévoué psychiatre.
un paTienT inTriganT
L’auteur Jack El-Hai
(Photo: Elizabeth Barnwell)
Douglas Kelly s’était fixé l’objectif, à la suite
de longues heures avec des criminels nazis,
d’identifier notamment les traits de personnalité,
les attitudes ou mieux encore, les troubles
mentaux de ces prisonniers de Nuremberg, question de pouvoir mieux les comprendre et découvrir
Le nazi Hermann Göring
du même coup ce qui a bien pu se passer dans
la tête de ces bourreaux du Reich.
À l’occasion d’un examen médical approfondi, Douglas Kelly rencontre donc en premier
ce fameux Göring dont il connaît, bien sûr, tous
les faits et gestes entourant ses activités au
cours de la Seconde Guerre mondiale, d’ailleurs
un sujet qui alimentera plusieurs des conversations entre les deux hommes.
«Le prisonnier sentit probablement très
vite que ce nouveau psychiatre n’adoptait pas
à son égard l’attitude distante et pontifiante à
laquelle il s’attendait peut-être», écrit Jack ElHai. «Kelly s’exprimait sans ambages et d’une
voix forte (…) Il commença par s’intéresser au
passé médical de son célèbre patient. En vérité,
Kelly ne savait pas à quoi s’attendre.» De son
côté, Göring semblait souffrir de son isolement.
Pour un être comme lui, qui avait dû abandonner
son précieux bâton en ivoire constellé d’aigles
d’or, serti de six cent quarante diamants et de
croix gammées en platine, le fait de se retrouver
à part des autres, des grands honneurs, des
médailles et de la gloire lui faisait chaque jour
se rendre compte un peu plus que sans le
pouvoir, il se trouvait plus démuni que jamais.
«Dans l’une de leurs premières rencontres,
il (Göring) se targua de faire très attention à son
propre corps. Le Reichsmarschall décréta qu’il
possédait le physique le plus admirable d’Allemagne. Il décrivit «minutieusement toutes les
taches et cicatrices présentes sur sa peau»,
racontera Kelly, qui amorça alors un premier
historique médical de son patient», dit l’auteur
El-Hai.
TouT bascule
Les sujets de conversation entre le bras
droit d’Adolf Hitler et le psychiatre américain
allaient porter, entre autres, sur les politiques
mises de l’avant par le strict régime nazi ainsi
que ses conséquences sur l’avenir du captif
Göring.
Mais ce que le médecin allait découvrir au
fil du temps devait le perturber profondément:
l’homme qu’il avait devant lui n’était ni fou, ni
psychopathe, ni un serial killer. Il écrira que
«des personnalités semblables se trouvent très
facilement en Amérique». Il découvrira que ces
hauts dirigeants nazis avaient toutefois un point
en commun : ils étaient des ambitieux rigides
et disciplinés ainsi que des travailleurs infatigables.
Peu à peu, le jeune psychiatre se met à méditer sur sa propre capacité à faire le mal, devenant
dépendant au travail et à l’alcool, incapable de
gérer la colère qui le rongeait. On rapporte que
«le 1er janvier 1958, après une dispute avec son
épouse, le psychiatre de l’US Army Douglas
Kelley attrape une pilule de cyanure, la glisse
dans sa bouche et l’avale». «Douze ans seulement
après la fin du procès de Nuremberg, il se donne
la mort avec le même poison que l’un de ses
patients: Hermann Goering.
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