est un « toi » ou un « nous », alors je suis un malade de l’esprit. Il y a là
un problème grave, qui se trouvait d’ailleurs au cœur de la pensée
marxiste, mais dont elle n’a pas su donner la solution et dont elle a fait
payer très cher à l’humanité sa tentative désastreuse pour y arriver :
égaliser tous les humains. Sauf que les égalisateurs, eux, se posaient
forcément en petite élite au-dessus de la masse et surtout, le plus
souvent, se remettaient entre les mains d’un grand égalisateur en chef.
Quoi qu’il en soit, l’aliénation est naturelle à une certaine époque de la
vie : l’adolescence, quand le « Je » voit naitre en lui les puissants
instincts érotiques et arétiques, quand il est assailli par eux et porté à
penser que la réalisation de ces désirs constitue la finalité de la vie
humaine. Autrement dit, l’adolescent croit spontanément qu’un homme
et une femme se définissent par leur performance dans la sphère
charnelle biologique. Le bonheur apparemment est de ce côté-là, et le
bonheur lui semble être le but de la vie.
Or, il n’en va pas ainsi, l’existence humaine est beaucoup plus complexe.
À la chair biologique s’attache une « chair » logique ou spirituelle, qui
fonctionne selon de tout autres principes. La parole ici est reine et elle
exige l’ordre, la rationalité, la vérité. Quant à l’amour, il n’est pas
seulement cette pulsion qui nous fait rechercher le plaisir avec un autre,
il apparait aussi comme la capacité de don véritable, et même, chose
surprenante, don de soi-même ! Puissance et jouissance ne
disparaissent pas dans la chair logique ou la zone culturelle, elles sont
relativisées, ne sont plus voulus pour elles-mêmes, et la notion de
bonheur doit être repensée entièrement. La dignité de sa propre
personne notamment apparait comme plus importante que lui. Et cette
dignité accompagne la liberté, qui elle aussi est plus importante que le
bonheur, si l’on définit ce dernier comme la satisfaction de ses
principaux ou plus puissants désirs. Bref, au niveau de la chair logique ou
spirituelle, le Je viscéral et égocentrique est dépassé. Il se
métamorphose en un Je personnel, créateur, libre, théocentrique, qui
vise des valeurs transcendantales plutôt que des satisfactions sensuelles
ou seulement sensibles.
Le premier « Je », programmé par la biologie, subit donc une mutation. Il
se dépasse lui-même, se transcende en s’ouvrant pour s’exprimer sur un
mode totalement nouveau. Il devient « autre », et c’est là que la formule
de Rimbaud prend tout son sens. Le vrai « Je » est un autre par rapport
au premier, qui n’est pas le vrai, qui n’est pas vraiment humain. C’est