Texte de Sœur Rita Gagné

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Vie religieuse au Québec, défis de voies d’avenir Bonjour à chacun, à chacune de vous. Et merci aux Pères Rédemptoristes de ma faire cette confiance. C’est pour un moi un privilège. Je ne puis m’empêcher d’ouvrir cette rencontre par les appels que nous fait la liturgie de ce jour : «Aujourd’hui le Seigneur nous appelle, suivons-­‐le sur les chemins de l’Évangile». Et dans l’évangile du jour, nous entendons des personnes dire «je te suivrai» et Jésus qui dit «suis-­‐moi». Je ne suis guère spécialiste. Mais je crois être une observatrice. Et je me promène avec une mijoteuse dans laquelle je mets tout à mijoter. Et j’essaie de flairer, dans les effluves, ce qui peut sentir l’Évangile. Je demande à Marie de l’Incarnation, qui nous fait signe sur la façade, à l’arrière de cette chapelle, et dans le chœur de la Basilique, de nous accompagner. Introduction Depuis le Concile plusieurs fois nous avons mis ce thème en chantier. Nous trouvons dans «Gaudium et Spes», dans «Vita consecrata» défis et voies d’avenir. J’entends ces mêmes appels chez beaucoup de prophètes contemporains, qu’ils soient économistes, politiciens, théologiens, ou simplement humanistes. (et voir le bulletin UISG, no 146) Les défis nous concernent et peut-­‐être nous consternent… mais les voies d’avenir nous échappent en grande partie, elles nous font lorgner du côté de l’utopie, du non encore lieu. Car «voici que je crée du neuf dont nul ne pourra dire ‘je le savais’» (Is 48). Je suis sûre cependant que dans ce qui défie notre foi (= défis), se défrichent des voies d’avenir. Nous vivons la difficile fin d’un monde. Ça craque de partout. Paul VI parlait d’une civilisation de l’amour à venir, à quels chambardements ne faut-­‐il pas nous attendre dans tous les systèmes, politiques ou religieux mis en place pour que cela arrive! Mais l’Amoureux de notre humanité nous a prévenus. Douloureux du spectacle de Jérusalem qui tue les prophètes, qui ne sait plus comment rassembler les siens et qui laisse des maisons vides1, Jésus quitte le Temple et s’en va sur la montagne2. Et il nous dit de ne pas nous alarmer mais que, dans les mêmes situations, à la vue du même cul-­‐de-­‐sac ou des mêmes déconfitures, nous avons à prendre la même décision que lui, fuir sur la montagne et entendre que cette fin d’un monde est le commencement des douleurs d’un enfantement. Quitter n’est certes pas facile et nous pouvons nous leurrer sur les lieux de sa Présence. Le passage de la rigidité à la flexibilité des rameaux est le signe qu’il nous donne d’un printemps qui vient. Mais, peut-­‐être sommes-­‐nous, à un carrefour giratoire, comme l’homme riche des évangiles. Nous avons un grand désir de continuité. Quand nous reconnaissons Jésus vivant, sous visage d’étranger ou de jardinier, car il marche avec nous, Il nous invite à nous tourner vers la Source de tout ce qui est bon puis nous rappelle ou nous demande la teneur de nos engagements. Nous confessons avoir fait notre 1
Mt 23, 37-­‐38 2
Cf Mt 24 1 possible pour les vivre depuis notre jeunesse. Alors Jésus nous regarde avec amour et nous dit que, pour entrer dans le mouvement de la vie, avec notre âge et dans la situation où nous sommes, une seule chose nous manque : échanger ce que nous avons acquis pour donner aux pauvres, qu’ainsi nous aurons un trésor à saveur de paradis…puis de le suivre jusqu’au bout de l’amour, car l’amour est la seule Parole qui ne passera point, foi de Dieu. Quitte à éprouver de la tristesse car nous avons de grands biens. Le grand défi, à mon humble flair, est d’abord d’ordre spirituel et fondamentalement humain : «imiter Dieu comme des enfants bien-­‐aimés», puiser à notre héritage pour marcher dans la voie étroite de l’amour3, car le grand drame c’est le refroidissement de l’amour. La voie exemplaire d’avenir, c’est Jésus «qui nous a aimés et s’est livré pour nous». Dans le prisme de ce défi majeur et à la lumière de cette Voie qui est Vérité et Vie, je dégage quelques défis corollaires et risque humblement certaines trouées d’avenir ou …rêves. 1. Défis et voies d’avenir partagés avec nos frères et nos sœurs chrétiens. Cœur de notre foi. Alors que des hommes et des femmes de chez-­‐nous se ré-­‐approprient leur vie spirituelle, leur conscience, leur capacité de penser par eux-­‐mêmes, leur sexualité et leur mort, il importe de sortir d’un discours moral, dogmatique ou ré-­‐organisationnel, pour nous recentrer sur le cœur de notre foi: la foi en la Parole qui est foi en la résurrection. L’amour est le premier et dernier verbe de l’aventure humaine. Il est la clé de la connaissance de Dieu selon sant Jean4 et il attend un oui quotidien pour être à la racine et devenir l’accomplissement de toutes nos décisions. Notre foi n’est pas dans la restauration ni dans la conservation, mais dans la résurrection qui n’est pas un miracle qui arrive après la mort, mais le processus d’un long enfantement sous l a poussée de l’amour. On n’a qu’à relire l’histoire de l’Église pour réaliser que ce qui meurt en grand dans un endroit, repousse en petit ailleurs… La foi en la résurrection est vraiment une manière d’être et d’être au monde, une force d’espérance. Pour ouvrir une clairière, il nous faut revoir notre théologie et notre catéchèse car nous les transpirons, à notre insu, dans la liturgie et dans nos rencontres fortuites, dans notre écoute de la télé, dans notre lecture des événements du monde et des signes des temps, dans nos jugements moraux, dans notre relation à l’environnement et à tout ce qui existe. Il nous faut sortir des catégories grecques et revenir à la création qui est incarnation de la Parole vive. Ainsi la dimension spirituelle ou verticale de l’être n’est pas optionnelle5, elle est constitutive de l’être et s’exprime sous le nom d’un long désir. Nous ne reconnaitrons probablement pas ce qui va naître de notre pâque, car ce sera autrement. Notre Dieu est le Dieu des surprises. Qui donc peut, maintenant, le savoir! 3
Ep 5, 1 4
I Jn 4, 7-­‐8 5
Christian Arnsperger, Ethique de l’existence post-­‐capitaliste, Cerf 2009, p.254 2 Identité de fils et de filles de Dieu. Dans les temps difficiles, Jésus va sur la montagne pour y écouter à nouveau la Parole unique que le Père ne cesse de dire pour être entendu de tous ses enfants: «Tu es mon bien-­‐aimé fils, ma bien-­‐aimée fille en toi tout mon amour». Cette Parole qui révèle notre identité ne passera pas. Notre Père n’a pas peur de nos morts; il peut nous y abandonner. Il nous faut donc mettre l’accent, dans la formation initiale et permanente et comme motivation sans cesse renouvelée de nos engagements, sur notre identité de fils et de filles de Dieu, nés de l’Amour. L’univers même soupire et attend d’être géré par des enfants de Dieu. Notre identité chrétienne et catholique, alourdie ou encombrée par des bêtises ou mesquineries gênantes, est peut-­‐être, à certains jours comme un fardeau difficile à porter, ce qui nous rend parfois complexés ou même honteux. Mais Jésus nous appelle à lui avec notre fardeau. Il nous invite à prendre sur nous SON joug, c’est-­‐à-­‐dire son identité de fils. Car notre identité de fils ou de fille est un joug, elle nous attelle à Jésus et à quelqu’un d’autre. Dieu-­‐avec-­‐
nous se nomme et se manifeste dans la relation à l’autre: «Ce que vous faites au plus petit». Ce que nous appelons «nouvelle évangélisation» n’est donc pas faite seulement de beaux discours sur Dieu, ni apportée de haut, elle est surtout quelque chose de bon et de neuf qui arrive, en cours de route, par notre proximité avec les aveugles, boiteux, sourds, prisonniers, etc. La souffrance humaine n’est pas virtuelle, la révélation et la guérison non plus. Dieu n’est pas virtuel non plus, il s’est engagé à être visible par ses enfants. «Qui me voit voit le Père»! Et «allez dire : les boiteux marchent…» Dénuement et offrande. La vie traverse la mort comme le germe est la mort du grain; elle est résurrection. Sa poussée dépouille de tout ce qui nous habille, ce qui alourdit notre marche et risque de masquer la seule identité dont rien ni personne ne peuvent nous dépouiller : nous ne serons jamais des ex-­‐enfants de Dieu. Consentir au dépouillement non par résignation ou pis-­‐
aller, mais par offrande, est un défi. Transformer nos pertes en offrande pour devenir en vérité corps et sang du Christ. Encore faut-­‐il d’abord reconnaître que nous sommes riches, c’est normal, car nous avons vécu. Riches d’expériences, de bâtiments, de traditions, de connaissances, de dogmes, de rites et de croyances, de statuts, de mots et de principes, de conseils et de certitudes, de comptes en banque, d’oripeaux et de musées. Et Jésus nous appelle, non pas à donner cela directement à des pauvres, ils ne sauraient qu’en faire, mais à tout échanger pour offrir aux pauvres de notre temps et de nos milieux ce dont ils ont surtout faim : de présence, de sensé… Le plus difficile à quitter, avec nos certitudes religieuses, c’est peut-­‐être la certitude d’avoir été corrects jusqu’à présent, ce qui nous rend difficiles la vue et l’aveu de nos connivences avec les idoles du temps et nous fait pécher par déni ou par omission. Quitter le dieu des Temples pour rencontrer sur la montagne le Dieu de l’Univers à qui nous nous adressons à l’Eucharistie, c’est tout un défi. Mais c’est aussi la voie, celle qui élargit le cœur. Jésus nous avertit que pour quitter et aller sur la montagne, il faut nous déconnecter de façon radicale, car nous sommes toujours tentés de retourner en arrière prendre nos manteaux et nos affaires, nos petits oignons de certitudes. Heureux qui n’est pas en hiver ou porteur d’une autre attente quand c’est le temps de monter sur la montagne. Inutile donc de nous rassembler 3 comme des vautours sur les décombres du passé, quelles qu’elles soient. Le plus urgent est d’offrir des lieux de réconciliation et pourquoi pas des ateliers de «justice réparatrice»? Les mises à jour du Bon Dieu. Notre foi en la résurrection habilite nos yeux à reconnaître les «mises à jour» du Bon Dieu que sont les enfants et les nouvelles alternatives qui rassemblent des gens autour de ceux et de celles qui, partout dans le monde, reviennent de l’épreuve ou de l’exclusion. Ils sont des viviers d’avenir. Car Dieu, écrit Jérémie, nous donne lui-­‐même un avenir et une espérance.6 Nous n’inventons pas le nouveau, il se forme au ventre de l’humanité, il vient de Dieu et nous l’accueillons comme Joseph et les mages ou le refusons comme Hérode. Les jeunes et les personnes revenues de l’épreuve sont déroutants : nouveau vocabulaire, nouvelles intuitions, nouvelles alternatives, nouvelles attentes ou soifs, nouvelles exigences de radicalisme. Tellement de mots, symboles, rites sont muets pour eux, ils ne leur disent rien! Hors de nos lieux, des jeunes et d’autres nous font des surprises d’intériorité, de rencontre authentique de Dieu. Ils recherchent plus de sens que de salut, ont souci d’environnement et de liberté d’expression. Depuis Abraham nous savons que nous n’avons pas à immoler notre avenir sur l’autel de nos images de Dieu et de nos croyances. Le danger serait d’avoir développé des allergies de tout ce qui est nouveau et qui fait danser les jeunes! Imaginons qu’avec nos fauteuils roulants nous dansions avec les jeunes et les gens qui se battent pour un monde plus humain! 2. Vie religieuse: crédibilité Le défi des religieux et religieuses, si Dieu appelle encore, est et sera de rendre crédibles, par la cohérence, leurs vies d’hommes et de femmes engagés dans des projets de vie fraternelle perçus comme étant l’environnement le plus favorable pour réaliser au mieux leur vocation humaine jusqu’au bout, celle de l’amour. Chacun-­‐e ayant en lui ou en elle des gènes les orientant vers tel ou tel visage ou charisme de l’amour. Plutôt que de vouloir enseigner la lettre du charisme, peut-­‐être pourrions découvrir quel aspect particulier du charisme chaque candidat porte en lui ou en elle et le faire se déployer au maximum dans un ensemble. Vocation humaine et vocation particulière, vertus et voeux. Il est important de ne plus s’accaparer certains textes d’évangile, comme ceux de l’appel des disciples, par exemple, ou de l’homme riche. Ces textes s’adressent à tout être humain appelé à suivre Jésus dans la voie étroite de l’amour pour se réaliser pleinement. L’amour, depuis l’agapè comme semence originelle, en passant par éros, philo et autres formes, jusqu’à l’accomplissement de tout en agapè, est l’unique et inépuisable richesse qui nous est confiée en héritage. Tous sont donc appelés à suivre Jésus pauvre, car tout nous est donné pour être partagé; à suivre Jésus obéissant, car l’amour est la seule Loi à accomplir, le seul pouvoir à exercer; à suivre Jésus chaste, car l’amour, dans la beauté de la sexualité, est ouverture à la fécondité, que ce soit dans le mariage ou dans le célibat. 6
Je 29, 11 (tellement beau ce chapitre!) 4 Les candidat-­‐e-­‐s à la vie religieuse auront à se situer au fur et à mesure de leur maturation, par rapport à l’amour avec ses composantes ou ses niveaux et comprendre que la fidélité essentielle, même pour les boiteux de la vie et de l’amour, est la fidélité à aimer. Car l’amour est plus grand que notre cœur même si notre cœur venait à flancher. Il est essentiel de prendre conscience que si toute personne est appelée à aimer, donc appelée à suivre Jésus pauvre, obéissant et chaste, personne n’est tenu de faire promesse publique d’investir ses énergies vitales à garder le cap sur l’amour. Faire vœu public de suivre Jésus, c’est s’engager à marcher sur la corde raide des funambules. Les vœux ne sont pas des abris frileux mais des signaux de l’urgence d’aimer. Ni abris fiscaux, ni abris de responsabilité à assumer, ni abris affectifs. Ils ne sont pas non plus, encore moins, refus ou mépris de tout ce que Dieu nous donne. Parce que publics, ils peuvent être clignotement rappelant la voie étroite à prendre et rendre capables d’indignation, de dénonciation quand l’argent et le pouvoir dictent leurs lois déshumanisantes et risquent de fausser sinon de tuer le bel élan créateur de la sexualité. N’oublions pas que la sexualité est la voie inventée par Dieu pour que l’univers demeure vivant! Les religieux et religieuses qui s’en viennent seront de ce siècle. Ils auront (c’est à souhaiter) un coup de foudre et, ignorant tout des normes du Droit Canon, ils feront peut-­‐être des fondations nouvelles, sauvages! Tout recommencera en petit et à partir de nos pauvretés consenties aujourd’hui. Ce qui restera et passera de nous sera peut-­‐être le souffle nu, mais fort, des fondations. Comprendront-­‐ils et vivront-­‐ils les vœux de la même manière? Comment s’engageront-­‐ils? Quels démêlés auront-­‐ils avec l’Église officielle pour avoir le droit d’innover, d’être ce qu’ils seront appelés à être? S’il était possible que, dans ces années où nous vivons, quelques personnes appelées se présentent, peut-­‐être faudrait-­‐il leur confier les textes fondateurs et, accompagnés d’un ou d’une de nos sages au cœur ouvert, les inviter à inventer, avec audace, la forme que doit prendre le charisme et… s’attendre à souffrir… Ils auront à devenir des artistes dans leur domaine, des créateurs, des créatrices. Beaucoup de jeunes sont peut-­‐être portés ou aidés à revenir en arrière, à fuir le monde, à prendre ce que nous avons laissé de protection et d’apparat; je ne pense pas que l’avenir de la vie religieuse soit là pour le Québec, à moins qu’ils vivent leur Pentecôte. Peut-­‐être aurions-­‐nous dû consentir à des re-­‐fondations dès après le Concile avec les nouvelles constitutions. On ne met pas du vin nouveau….Mais! Vivre ensemble et vie commune : Le plus grand défi du XXIè siècle, selon plusieurs, est d’apprendre à vivre ensemble. Tous les humains, de par une identité commune, sont appelés à vivre en solidarité. Nous avons compris cela depuis le Concile et nous avons travaillé fort, dans les diocèses, pour que les baptisé-­‐e-­‐s découvrent la dimension essentiellement communautaire de la foi. Peut-­‐être même avons-­‐nous sauvé cette dimension depuis Constatin! Tous cependant ne sont pas appelés à vivre cet appel sous la modalité qui caractérise la vie religieuse comme nous la connaissons : la vie commune. 5 Il devient urgent, me semble-­‐t-­‐il, de discerner sérieusement si chaque personne qui se présente, est appelée, non seulement à vivre les vœux, mais à les vivre sous la modalité de la vie commune. Ce qui suppose qu’il faudrait peut-­‐être inventer un signe concret d’alliance de confiance, comme font les futurs époux, avant de décider de vivre ensemble. Cette alliance, sérieuse, pourra rendre possible la croissance commune dans un milieu favorable à la fécondité de l’amour et qui suppose: capacité de dialogue entre les différences, invitation fréquente à regarder et à écouter Jésus , souci assumé par chaque membre de prendre soin de la relation, guérison mutuelle, correction fraternelle et lavement des pieds, ouverture sur le monde et souci de la terre, exercices spirituels pour prendre conscience des connivences avec l’argent, le pouvoir7, espace critique de liberté de parole visant une prise de parole concertée. Notre vie communautaire n’a pas son paradigme dans les modèles ambiants, la famille (père et/ou mère et enfant) ou autres formes (théocratie, monarchie, autocratie ou démocratie). Le modèle qui nous inspire et nous attire est celui de la Trinité : réseau de personnes libres, égales et différentes. Nous avons à déployer la certitude que nous sommes fondamentalement égaux , humains de toute race, religion, culture, sexe) et à adopter des attitudes, faire des choix quotidiens en accord avec notre foi. Les nouveaux religieux et religieuses auront à dépasser les concepts d’opposition et de complémentarité, vaincre les résistances, pour vivre l’appel à la conjugalité des dons pour la beauté et l’harmonie du monde et la réaliser dans tous les aspects de la vie du monde, d’abord dans l’Église pour qu’elle soit lumière des nations. Une voie s’impose pour notre avenir commun: en arriver à vivre, à tous les niveaux et dans tous nos engagements, l’harmonie rêvée par Dieu quand il nous fit à son image «hommes et femmes», masculin et féminin à réconcilier, à conjuguer à tous les temps. Écouter Dieu et puiser à l’évangile. Comment arriver à vivre ensemble sans écouter Dieu ensemble et nous recevoir de lui comme communauté? Décapés ou ignorants des interprétations toujours répétées et souvent figées des Écritures, les nouvelles générations auront peut-­‐être appris à écouter la Parole où elle est, d’abord et avant tout dans le cœur, dans la nature. C’est elle qui tient l’univers ensemble et en vie. Séduits par Jésus et sa vie, elles puiseront peut-­‐être aussi dans l’Évangile de nouvelles manières d’exercer le ministère de l’autorité qui ne se calqueront pas sur les modèles, tous déficients, du monde? Dans le monde sans être du monde, étant avant et après tout, citoyen-­‐ne-­‐s des cieux …L’inspiration centrale de toute la démarche amorcée et vécue dans le film «Des hommes et des dieux» est un bon indicatif, c’est la prise de conscience qu’on a obligé Christian à faire : «Christian, on ne t’a pas élu pour que tu prennes des décisions à notre place». Et Christian est devenu berger pour aider chacun de ses frères à découvrir ce que signifie, dans le vif de la chair et de son histoire, donner librement sa vie avec Jésus pour ceux qu’on aime. Ce qui suppose une grande foi dans la 7
Arnsperger, op.cit. pp. 183 ss 6 communauté et dans la présence du Souffle de Jésus dans chacun des ses membres pour oser les discernements communautaires… Des arches qui surnagent. La vie consacrée sous la modalité de la vie commune offrira peut-­‐
être simplement des «arches» qui surnageront la mer de consommation, des milieux de vie à taille humaine où la communion des différences sera voulue et rendue possible car on veillera à y donner bonne nourriture. À condition que la foi ait la saveur d’un sel pour la terre et qu’elle sorte des boisseaux de la peur et des certitudes, elle offrira des lieux de discernement à la lumière de l’Évangile. Des lieux de compassion qui contestent par leur seule existence. Des lieux de célébration de la vie en vérité, inventeurs de nouveaux rites pour lier la vie et le mystère. 3. Au Québec Aimer le Québec. Le premier défi est d’aimer notre terre, le Québec et de le signifier. Non pas le juger, mais l’aimer au point de se réjouir de ses joies, de se sentir partie prenante de ses maux pour les pleurer, de prendre part à ses débats comme à ses souffrances, d’assumer la lutte à mener contre le grand épouvantail de toute peur. L’amour peut faire voir et reconnaître beaucoup de traits chrétiens dans le Québec, peut-­‐être fruits bénis de notre héritage : partage généreux, nouvelles solidarités, bénévolat, maisons d’hébergements, signes de bienvenue dans les villages avant d’en voir les clochers, groupes de partage de la Parole, parents engagés dans les parcours catéchétiques, recherche spirituelle et de sens. L’amour fait aussi écouter, c’est-­‐à-­‐
dire se laisser affecter par ce que les gens de chez nous ont à dire de nous; nous faisons partie de ce peuple de Dieu, nous ne sommes pas à part, et la parole de nos concitoyens peut être parole de prophète, une grâce pour nous. Notre capacité d’écouter la critique nous donne le droit d’interpeler à notre tour. Comment lire les histoires de la Bible, si nous ne lisons la Parole à l’œuvre chez nous, dans notre histoire, dans nos histoires? Mission commune. La mission commune des hommes et des femmes c’est de plonger à la suie de Jésus dans la profondeur de la misère humaine, non pas pour prendre les gens dans des filets, mais pour délier des nœuds qui nous coupent les uns des autres, repêcher l’humain en toute situation. Mgr Romero disait que le baptême est une ordination au service de la résurrection d’un monde largement livré aux dieux de la mort. Chaque fondation religieuse est née d’un appel à partager la passion amoureuse de Dieu pour l’humanité. «Si tu m’aimes, prends soin des miens»…Jésus n’est pas venu sauver le Bon Dieu, ni l’Église de son temps, ni les ministères, il est venu sauver les êtres humains, un à un et tous ensemble. Peut-­‐être Jésus nous commande-­‐t-­‐il d’arrêter ou du moins ralentir la course au progrès à tout prix, même soi-­‐disant spirituel, et d’appeler les affamés, les sans-­‐nom, les laissés-­‐pour-­‐compte, pour en arriver à marcher ensemble sur la même route humaine. Il y a tellement d’humains à délier que personne n’a le monopole de la mission. Celle-­‐ci ne peut être qu’œcuménique en faisant appel à toutes les barques. Il y a tellement à délier dans un seul être humain en lien avec son environnement, que la mission ne pourra être qu’en partenariat 7 avec tous ceux et celles qui ont à délier un aspect ou l’autre de la personne, dans son corps, son cœur ou son âme. Jésus partage très bien le don de faire les œuvres qu’il fait avec chacun de ses membres, chacune de ses institutions. Regarder où et par qui il guérit, libère, ressuscite aujourd’hui. À qui fait cela aujourd’hui, de façon naturelle, inconscient de le faire pour le corps du Christ, Dieu, sans faire de différence entre les gens, dira un jour : «Ce que tu as fait au plus petit des miens…» Des communautés créées pour répondre aux besoins d’un temps vont certes mourir si ce besoin n’existe plus ou est assumé par d’autres. Pour ma part, si j’avais à fonder une communauté, je fonderais une communauté en roulotte ou en petit bateau!!! Descendre à Capharnaüm, traverser la Samarie. Aimer passionnément, c’est suivre Jésus qui descend à Capharnaüm et qui traverse la Samarie. Quels sont, quels seront, pour les nouvelles générations, les «capharnaüm» du Québec comme lieux privilégiés d’insertion et de présence? Qui consent présentement à être présence d’amour dans ces «capharnaüm» des villes et des villages, qui sont ceux et celles qui s’y battent pour un monde plus humain? Il est certes difficile de vivre avec les pauvres, mais encore plus de passer pour «être comme» parce qu’on est avec. Et pourtant… Jésus l’a fait. Quelles sont les «Samarie» à traverser au Québec pour puiser ensemble au même puits d’eau vive? Comment y devenir des «entrepreneurs relationnels » pour faire advenir un monde nouveau par le bon, le beau, le bien? Il faudra, dans la logique de l’amour, trouver dans la foi trinitaire moyen, force et courage de dépasser les accommodements raisonnables et favoriser toutes les expériences d’alliance de confiance au prix de nos vies. Notre société sera de plus en plus métissée. Il y a des signaux d’urgence dans ce domaine et trop d’attentes devant les tribunaux pour régler des conflits humains. Relations de base entre hommes et femmes d’abord, relations entre religions, cultures, droite et gauche dans le monde et dans le cerveau, orient et occident, intérieur et extérieur etc. Car « tout est créé deux pas deux, en vis-­‐à-­‐vis pour qu’une chose souligne l’excellence de l’autre»8. Une seule condition : être ancré-­‐e-­‐s dans l’identité que nous partageons avec tous, plus que dans les dogmes, les traditions qui érigent des murs sachant que toutes les religions ont leurs mystiques et leurs martyres! Je sens très fort qu’il y a de l’espace pour un avenir d’engagement chrétien radical au Québec! Qui sera appelé-­‐e? Qui répondra? Je ne le sais pas! Conclusion : Je termine avec une intuition qui peut paraître bizarre ou inadaptée et pourtant! 1. Redécouvrir l’Eucharistie Il est urgent, dans notre maintenant, que nous trouvions des lieux pour découvrir ensemble dans quel réalisme et espace sans murs nous entraîne l’Eucharistie. Loin d’être un culte figé, l’Eucharistie est le repas de l’urgence de faire corps pour vivre nos douloureux passages. Elle est 8
Sir 42, 24-­‐25 8 une voie privilégiée d’avenir et d’espérance. C’est le repas d’une communauté en route qui célèbre la certitude de sa croissance et qui se nourrit de résurrection pour avoir la force de continuer sa marche. La vérité de l’eucharistie est que nous consentions à être et à faire, en mémoire de Jésus, ce que nous aimons de lui. C’est le plus bel hommage que nous puissions lui rendre. À ce signe on reconnaîtra que nous sommes des disciples : l’amour mutuel qui circule librement et qui nourrit toute faim, qui guérit toute maladie, qui se donne tout entier à manger. L’œuvre eucharistique, c’est le bon-­‐à-­‐manger pour toute forme de la faim9! J’en arrive à désirer de tout mon cœur que l’Eucharistie, comme tous les autres signes de Présence du ressuscité, soit rendue à la communauté de pécheurs non plus rattachée à la personne d’un ministre du culte, puisque nous partageons le même sacerdoce avec le Christ. Plusieurs groupes sont dans un long samedi saint où il n’y a pas de célébration ou de célébration vraiment signifiante parce qu’on en sort comme on y est entrés, sans plus d’espérance ou de communion. À l’Eucharistie, nous proclamons pourtant ce qui est en train de mourir dans notre monde, notre Église, nos Instituts, nous célébrons ce qui veut et est en train de ressusciter et nous attendons l’accomplissement du Corps de Dieu par l’amour qui travaille patiemment le monde, comme un levain, comme la plus petite de toutes les semences. Dans ce que nous offrons du don reçu de Dieu, travaillé par la terre et par les humains, depuis plus de 2000 ans et encore aujourd’hui Jésus reconnaît son corps et son sang et les livre pour la vie du monde… L’Eucharistie n’est pas un mime répété, c’est un mémorial qui nos rend contemporain-­‐e-­‐s de la dernière Cène… et qui fait de l’univers, corps de Dieu, un espace sacré. 2. Des modèles pour nous Comme sentier d’avenir, je vois l’urgence d’aimer les enfants jusqu’à investir pour ceux de la famine et de l’exploitation. Aimer les jeunes, sans vouloir les récupérer ou qu’ils soient nos clones, apprendre avec eux à faire des alliances de confiance, à communiquer sans violence, à bâtir des ponts, leur transmettre simplement notre sagesse ou ce qui nous fait vivre, laisser traîner nos signes sans les imposer, favoriser l’ouverture et l’attention à leur soif spirituelle dans un monde qui vit la sortie des religions…Nous ouvrir avec eux à la beauté des arts, cette voie privilégiée d’expression qui a toujours porté et traduit l’évangile en mots du jour. Et consentir à accueillir de la jeune génération, à force d’être avec et de l’écouter, la nouveauté qui nous vient de Dieu. Nous avons, comme le prophète Élie, à nous ajuster à la taille des enfants; alors nous pourrons les aimer assez pour être leurs mentors… Que de parents nous disent que leurs enfants les ont mis au monde! Peut-­‐être pourrions-­‐nous prendre comme modèle Syméon et Anne. L’un, écouteur de la Parole à domicile et en attente de consolation, se rend au temple, poussé par l’Esprit, et prend l’enfant dans ses bras, lui fait donc une place bien réelle, reconnaît que son avenir vient de Dieu 9
Maurice Bellet, La chose la plus étrange, DDB 199, p. 191 9 par un pauvre couple de Nazareth, et que lui peut partir en paix non sans avoir averti Marie qu’elle aura à souffrir, car chaque génération remet en question la génération qui la précède, c’est la condition pour rester en vie. L’autre, Anne, la gracieuse, veuve permanente au Temple, s’en va parler de l’enfant à tous ceux et celles qui attendent non pas seulement une consolation mais une délivrance, une nouvelle naissance, une résurrection. Beaux modèles pour nos communautés engagées dans la voie du «ralentissement accéléré».Quelqu’une disait, lors des nombreux et importants chapitres d’aggiornamento, que si nous avions accueilli chaque génération de novices avec ce qu’elle avait de nouveau pour nous de la part de Dieu, nous n’aurions pas eu besoin du long rattrapage dans les mises à jour… Un jour, comme ce fut le cas pour la dernière génération née dans les 70 ans d’exil à Babylone, quand nos enfants demanderont : «racontez-­‐nous», qui pourra leur dire ce que ça nous a donné de croire, d’où vient notre résilience, là où nous avons puisé la force de passer à travers…? Et ils ou elles écriront la suite de la Bible comme l’a fait la génération revenue d’exil. Rita Gagné, osu 1213, rue du Monument St-­‐Majorique, Qc G4X 6T5 10 
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