qui existe de toute éternité et qui est écrit en arabe, il est difficile de dialoguer avec les autres et de
passer outre ce qui relève, dans le Coran, des hommes et de la société arabe du VIIe siècle. Mais
l’islam comme grande tradition religieuse peut en même temps permettre de lutter contre le
djihadisme par sa capacité à fédérer les énergies positives : une personne affilée à une communauté
religieuse dispose de relais pour s’intégrer, elle peut mettre en route une relation critique avec sa
propre foi.
Faut-il espérer qu’un Luther vienne réformer l’islam ?
C’est une idée fréquente mais qui comporte un risque de contresens. La Réforme protestante avait le
projet de retrouver un texte écrit par des hommes, recouvert par la tradition de l’Église, qui privait
ainsi le peuple du rapport direct aux Écritures. Or, l’islamisme est précisément le fruit d’une volonté
de réforme de l’islam, puisqu’il préconise un retour fondamentaliste à son propre moule.
Ce dont l’islam a besoin, c’est d’une approche scientifique historico-critique qui permette de lire le
Coran comme un texte inspiré sans doute, mais qui empêche également de confondre Dieu avec la
religion des hommes.
Ce ne sera pas une réforme, mais une révolution, qui redonnera vigueur à des tendances
philosophiques et/ou mystiques minoritaires de l’islam qui ont été étouffées.
Comment cette révolution peut-elle advenir ?
C’est d’abord l’affaire des musulmans eux-mêmes. C’est ensuite l’affaire de tous de promouvoir la
connaissance des religions contre la cécité volontaire, pour cause d’économisme et de marxisme qui
n’en finit pas de mourir. Rendre populaire cet effort scientifique favorisera le débat public et fera
prendre à chacun cette distance critique sans laquelle l’islam ne pourra connaître cette révolution
dont je parle. J’ajoute que ce processus vaut pour toutes les religions, mais selon des conditions
différentes, et n’est jamais acquis définitivement.
Quelle analyse formulez-vous des attentats de Nice ?
Il me semble évident que l’attentat était prévisible mais imparable. Je pense qu’il faut distinguer
deux choses. D’une part, la colère populaire est légitime parce que les termes du pacte politique
fondamental ont été rompus. On renonce à une partie de sa liberté en échange de la prise en charge
de la sécurité collective par l’État. Si nos concitoyens ne sont plus en sécurité dans leur propre pays,
il faut s’attendre aux pires dérives. Cette donnée concerne aussi l’insécurité dans les quartiers
difficiles, où dealers et graines de djihadistes font la loi.
D’autre part, s’il est lamentable d’attaquer Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, qui sont des
hommes d’État consciencieux, déterminés, qui n’ont jamais sous-estimé les menaces dont notre pays
fait l’objet, nous devons souligner la responsabilité collective du personnel politique français –
comme de la nôtre. La droite, qui ne pense qu’à la rentabilité, avec un mélange de désinvolture et un
incroyable cynisme, ne voyait dans les immigrés qu’une force de travail, une armée d’automates qui
n’auraient eu ni la moindre culture, ni monde symbolique, ni mémoire. La gauche, elle, mélange
l’angélisme à l’hypocrisie manipulatrice, la vision du « gentil immigré » éternelle victime avec un
ethnocentrisme qui fait du travailleur d’origine arabe l’équivalent du prolétaire interchangeable qui
va apporter sa voix aux élections.
Le criminel de Nice était peut-être déséquilibré, mais il était aussi de culture musulmane, faute
d’être religieux. Comment se fait-il qu’un certain nombre d’hommes musulmans se retrouvent dans
une situation aussi critique ?