CONCORDE, 2016, N 3
Allègre cite dans son livre un fait surprenant car les catholiques en France représentent la
grande majorité des croyants et pourtant :
« Eugen Weber a établi qu'à l'Académie des sciences de Paris entre 1666 et 1866, il y eut 16
catholiques, 5 juifs et 71 protestants » ([2], p. 263).
Compte tenu de l'importance de cette information, nous citons les explications avancées :
« Pourtant, malgré la certitude de la véracité du dogme, les Églises, toutes les Églises, veulent
dans un premier temps apprivoiser la science, la domestiquer, pour asseoir la véracité de leur dogme.
La fascination des Églises pour la science est donc quasi générale...
Et pourtant cette attraction pour la science ne peut à terme qu'apporter aux tenants du dogme
des ennuis. Car la science est à l'opposé des mythes et des dogmes. Elle recherche avec passion la
vérité objective, tout en sachant que cette dernier est au mieux un idéal asymptotique ...
Le conflit est donc inévitable et il sera toujours si la croyance reste un dogme figé, immuable,
éternel. Si les religions ne comprennent pas que, liées à la société, elles doivent évoluer avec elle. »
([2], p. 251-252).
« Dans le monde catholique, les sciences ont été classées en fonction des conflits. Les sciences
nobles sont les sciences abstraites. Moins elles ont de rapport avec le réel, moins elles sont
susceptibles de contredire le dogme, plus elles sont nobles. Selon ces critères, les mathématiques sont
classées première, puis loin derrière suit la physique, parce qu'elle utiliseabondamment les
mathématiques …
Les sciences de la nature, géologie et biologie étant des sujets de conflits religieux, elles
étaient donc « inférieures » et ne méritaient pas qu'on les développât. » ([2], p. 257-258)
« Dans le monde protestant, il en allé tout autrement. La volonté de comprendre la nature pour
comprendre Dieu a donné aux sciences de la nature la priorité. Par ailleurs, le désir d'aider le
développement de la société a stimulé l'intérêt pour la technologie comme il a stimulé l'intérêt pour la
finance. Les sciences abstraites n'ont été bien considérées qu'en tant qu'outils susceptibles d'aider au
développement des sciences du concret.
Lorsqu'aujourd'hui on examine la carte mondiale du progrès scientifiques ou la liste des
« grands noms » de la science contemporaine, ceux de culture protestante et juive dominent très
largement même si les athées ou les agnostiques sont en nombre rapidement croissant. » ([2], p. 258).
« En Espagne, ou l'Inquisition et les Dominicains ont exercé une influence décisive, les
universités resteront fermées à la science comme des huîtres. Ce grand pays de 4à millions d'habitants
n'a eu dans son histoire aucun prix Nobel scientifique. Et ce contre plus de soixante à la Grande-
Bretagne ou à l'Allemagne. Quant à l'Italie, d'où tout est parti, dont les universités étaient actives et
indépendantes, où il existe une culture extraordinaire et des foyers intellectuels actifs et vivaces, la
papauté y a tout étouffé ou presque et État n'a jamais eu le courage de s'y opposer.
A contrario on peut demander pourquoi la science s'es développée dans le monde protestante.
Ni Luther, ni Calvin n'ont été des sympathisants de la science. » ([2], p. 262)
« La motivation de ceux qui rejoignaient la religion protestante n'est pas tant de suivre Luther
ou Calvin dans leur intransigeance théologique que la perspective de se libérer du joug catholique et
papal. La protestantisme est d'abord une libération. Cette aspiration va être favorisée par un second
facteur : la morcellement de l’Église en luthériens, calvinistes, anglicans, etc., qui vont eux-même se
subdiviser en chapelles multiples. Ce morcellement a naturellement favorisé les initiatives
intellectuelles. Puis Locke, Bayle, Kant et d'autres valoriseront cette liberté et du même coup en
imprégneront les universités protestantes, qui vont devenir elles aussi multiples et diverses dans leurs
styles d'enseignement et leurs liens théologiques, mais qui toutes resteront très attachées à leur
autonomie et à leur liberté d'initiative... Aussi dans le monde protestant où le clergé n'a pas la vocation
d'être intermédiaire entre Dieu et le fidèle et où l’Église n'a pas l'ambition de dire le vrai en matière
théologique, où le pasteur n'est qu'un guide mis sur pied d'égalité avec le fidèle, l'interprétation
symbolique de la Bible va progresser constamment. Ainsi par exemple, nous l'avons déjà dit, les
protestants d'aujourd'hui ne croient pas en l'Eucharistie alors que Luther y croyait. La croyance dans
les miracles est très limitée. La virginité de Marie est niée. Ces raisons ont été amplifiées par un
facteur politique. Le protestantisme devra se développer en lutte constante contre le catholicisme et, au
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