LES ORGANISATIONS COMME
STRUCTURES POLITIQUES 2
Les organisations sont des arènes
de pouvoir. Elles fonctionnent en dis-
tribuant l’autorité et en fournissant
des occasions d’exercer de l’influence.
Elles agissent, entre autres, comme
des banques de pouvoir, allouant aux
personnes qui y oeuvrent des statuts et
ressources associés à leurs respons-
abilités et leur conférant des bases dif-
férenciées de pouvoir. Celui ou celle
qui accède à tel poste se trouve à
bénéficier de la portion d’autorité qui
y est associée par l’organisation et
cela constitue, de concert avec sa
compétence et sa personnalité, son
capital initial de pouvoir. Sera habile
celui ou celle qui saura utiliser ce cap-
ital pour atteindre les résultats
souhaités. Mieux l’on utilisera ce capital,
plus il aura tendance à s’accroître; à
l’opposé, si l’on néglige de l’utiliser
ou si l’on échoue dans ses projets, la
base initiale de pouvoir se rétrécira.
Politiques, les organisations le sont
aussi parce qu’elles se prêtent à des
rivalités pour l’obtention et la conser-
vation du pouvoir. Les fonctions de
pouvoir se trouvent en nombre limité
dans les entreprises et cela est d’autant
plus vrai qu’on s’approche du sommet
de la pyramide. Les personnes désireuses
d’avoir de l’influence sont donc sou-
vent en concurrence, soit pour la nom-
ination à un poste, soit pour l’appui
d’une personne haut placée, soit pour
l’étendue de leur champ de respons-
abilité. L’on se trouve alors en conflit
d’intérêts face à la distribution du
pouvoir, de la même façon qu’on peut
l’être pour l’attribution d’un budget
ou d’un local.
Mais le pouvoir ne vient pas seule-
ment d’en haut; pour l’exercer, les
gestionnaires ont également besoin de
l’appui de la base, plus spécifique-
ment de celui de leurs subordonnés et
collègues. Si les subordonnés secon-
dent leur patron avec enthousiasme et
efficacité, son pouvoir se trouve ren-
forcé. Si, au contraire, ils lui retirent
leur appui, ils minent progressivement
sa crédibilité aux yeux du reste de
l’organisation et, ce faisant, érodent sa
base de pouvoir. Il en va de même
pour les collègues, sans l’appui
desquels il est quasi impossible
d’exercer une réelle influence. Cela se
passe comme si la nomination, venue
d’en haut, devait être confirmée par la
base pour devenir effective.
En outre, le pouvoir dans une
organisation n’est pas la simple juxta-
position des pouvoirs individuels. Il
existe des regroupements qui, combi-
nant le pouvoir de plusieurs person-
nes, en augmentent l’effet. Dans
certains cas, on parlera de coalitions,
c’est-à-dire d’alliances délibérées for-
mées en vue de mieux atteindre les
objectifs de l’organisation. Ainsi,
dans une entreprise bien dirigée, on
observe généralement l’existence
d’une coalition entre le président ou la
présidente et l’équipe des vice-prési-
dents et vice-présidentes. Le pouvoir
se consolide alors autour d’une figure
centrale à qui l’on se veut loyal et
dans une solidarité entre les membres,
ce qui assure une unité d’action à
l’équipe de direction tout en ren-
forçant le pouvoir de chaque parte-
naire. Dans d’autres cas, il s’agit
plutôt d’une collusion, c’est-à-dire
d’une alliance qui vise non pas le bien
de l’organisation mais plutôt la
défense des intérêts de ses membres,
souvent de façon inconsciente et au
détriment de tiers.
Il est à noter que certaines circon-
stances rendent particulièrement
actives les luttes de pouvoir dans les
organisations, notamment les annonces
de compression de personnel, de
fusion d’entreprises ou de change-
ment de propriétaires. Il en va de
même lorsque le leadership est faible
ou erratique ou qu’il ne se forme pas
de véritable coalition au sommet. On
assiste alors à une recrudescence
d’intrigues et de conspirations engen-
drées par l’insécurité et le manque de
direction claire.
La vie politique des organisations
n’est cependant pas restreinte à ces
épisodes d’instabilité; elle est une
composante «naturelle» et omniprésente
de la dynamique organisationnelle.
Même si l’on remarque des dif-
férences de degrés entre les organisa-
tions et selon les périodes et les
personnes en place, c’est toujours
dans un univers politique que se
déroule une carrière en entreprise.
L’ENJEU : AVOIR DE L’IMPACT
Dans cet univers, il ne suffit pas
d’avoir de bonnes idées; il faut que les
bonnes idées deviennent des réalisa-
tions et, pour cela, qu’elles recueillent
l’appui et l’engagement des personnes
qui comptent. Or, c’est précisément à
cela que servent les habiletés poli-
tiques : à convaincre, à se faire des
alliés, à susciter des engagements en
vue d’un résultat.
Certains croient naïvement qu’une
analyse brillante, un rapport bien
rédigé ou une décision éclairée ont le
pouvoir magique de provoquer l’adhé-
sion. Ils mettent alors tous leurs tal-
ents à produire de telles réalisations
sans se soucier de les «vendre» aux
autres. Hélas, ils sont habituellement
déçus des suites données à leurs
propositions. Bien souvent, elles sont
négligées, faute d’avoir été défendues
énergiquement; parfois, elles sont
rejetées, faute pour leur auteur d’avoir
pris en compte les intérêts conflictuels
qu’elles allaient éveiller ou d’avoir
mis dans le coup ceux et celles qui
auraient pu s’en faire les avocats.
Dans tous ces cas, l’exercice se sera
avéré stérile et sans impact sur le
cours des événements. Il aura, en
outre, provoqué des frustrations, de la
tristesse et de l’agressivité.
Il faut bien reconnaître qu’à cet
égard, le monde de l’enseignement
prépare bien mal à la vie en
entreprise. À l’école, le bon rapport,
la bonne analyse, la bonne solution
entraînent la bonne note. Cela con-
tribue à créer l’impression que le
monde du travail obéira aux mêmes
règles et que, sauf dans les cas où les
patrons seront incompétents ou de
mauvaise foi, l’excellence dans
l’accomplissement d’une tâche amèn-
era automatiquement sa récompense.
Or, la vie en société ne fonctionne
pas sur le mode d’un examen objectif
classant rigoureusement des élèves
selon les mérites de leur réponse.
Gestion – Novembre 1993 47