Redistribution des maladies transmises par les tiques en zone

Redistribution des maladies transmises
par les tiques en zone tempérée
C. Pérez-Eid
Unité de bactériologie moléculaire
et médicale, Institut Pasteur, Paris
cperez@pasteur.fr
Article reçu le 21 juin 2003,
accepté le 16 octobre 2003
Résumé. Depuis deux à trois décennies, de nouvelles maladies transmises par
les tiques ont été décrites en zone tempérée. Parallèlement à ces émergences,
des recherches récentes montrent qu’il faut s’attendre à une modification de la
distribution de certaines maladies, notamment de l’encéphalite à tiques, pour
laquelle la relation entre le cycle de développement des tiques et les températu-
res est très forte.
Mots clés : tique, redistribution, encéphalite à tiques, modification climatique
Summary. Since 20 or 30 years, emerging tick-borne diseases are regularly
reported. Recent data show that at the same time, we have to expect a change in
distribution of some disease as the European tick-borne encephalitis, due to the
strong relation between ticks cycle and temperatures for the transmission of
this virus.
Key words: tick, new distribution, European tick-borne encephalitis, climate
changes
La prévalence des maladies transmises par vecteurs, et
notamment par tiques, a augmenté en Europe, du fait à la
fois de maladies émergentes [1] et de l’accroissement de
l’incidence des maladies anciennes. Si, pour expliquer
cette augmentation, on oublie la plupart du temps l’in-
fluence humaine sur le milieu naturel (recul de l’agricul-
ture au profit de la forêt, augmentation de la densité du
gros gibier...), on avance souvent l’argument de l’amélio-
ration du dépistage et surtout celui de la modification cli-
matique, laquelle est en effet importante [2]. Des recher-
ches récentes tentent à montrer qu’avec cette modification
il faut aussi envisager des phénomènes de redistribution
des maladies, avec installation dans des zones jusque-là
indemnes, et disparition de certaines zones endémiques.
Parmi les modifications climatiques, la manifestation la
plus nettement perçue avec impact sur les vecteurs se res-
treint souvent à l’augmentation des températures. Il s’agit
d’un raccourci rapide, car si en effet la température est
favorable aux éclosions d’insectes et de tiques, elle de-
vient défavorable si elle s’accompagne d’une sécheresse
marquée. La même remarque vaut pour la survie des
arthropodes, également favorisée par la température, mais
très affectée par la sécheresse. De plus, simultanément à
l’impact sur l’insecte ou l’acarien, on doit prendre en
compte l’impact sur les germes abrités. La température est
favorable à l’incubation des agents pathogènes dans les
vecteurs, entraînant une augmentation de la transmission.
Cette influence positive sur l’incubation est déterminante
pour les vecteurs qui ont des repas rapprochés, puisque
chez eux le nombre de repas infectants augmente. Elle
l’est moins sur ceux dont les repas sont plus espacés, et
plus du tout sur ceux qui font des repas très espacés,
comme les tiques, qui ne s’alimentent qu’une seule fois
pas stade (larvaire, nymphal, adulte), donc environ toutes
les6à15semaines, selon les espèces et les stades.
Pour tenter de cerner toute cette complexité, des études
très approfondies sont nécessaires, intégrant le comporte-
ment des vecteurs et des germes pathogènes avec le cli-
mat, dans le plus grand nombre de ses composantes : tem-
pératures, hautes et basses, vitesse de la montée et de la
chute des températures, durée des périodes chaudes, froi-
des, pluvieuses et sèches{
L’encéphalite à tiques d’Europe
De telles études ont été faites pour l’encéphalite à tiques
d’Europe (tick-borne encephalitis ou TBE dont le virus du
genre Flavivirus appartient aux arbovirus du groupe B),
maladie qui atteint la plupart des pays d’Europe, avec
des incidences variables (http ://www.tbe-info.com/epide-
Tirés à part : C. Pérez-Eid
revue générale abc
Ann Biol Clin 2004, 62 : 253-5
Ann Biol Clin, vol. 62, n° 3, mai-juin 2004 253
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miology/endemic.html). Pour les 18 pays qui participent
au groupe international de travail scientifique sur la TBE,
le nombre de cas annuels notifiés montre que les pays les
plus atteints (hors ex URSS) sont, outre les trois pays
baltes, la République tchèque, la Hongrie, la Slovénie et
dans une plus faible mesure l’Allemagne, la Pologne
et l’Autriche (http ://www.tbe-info.com/epidemiology/
index.html).
La distribution de l’encéphalite à tiques est caractérisée
par sa discontinuité, avec une juxtaposition de zones in-
demnes et de zones endémiques, ou foyers. Pendant très
longtemps, les raisons de cette discontinuité sont restées
énigmatiques. S’appuyant sur des travaux récents, mettant
en évidence une voie nouvelle de transmission par les
tiques, certains auteurs ont proposé une hypothèse pour
expliquer la discontinuité de la répartition et, par extrapo-
lation, ont fait des prévisions de redistribution de la mala-
die, dans la perspective de modifications climatiques.
La transmission par co-repas
chez les tiques
En matière de transmission des germes pathogènes par les
vecteurs, la règle est la nécessité d’une phase sanguine du
germe chez l’hôte vertébré, phase pendant laquelle le vec-
teur prélève les germes. Chez les tiques, des travaux expé-
rimentaux ont montré que la phase sanguine n’était pas
essentielle : en se nourrissant sur des animaux présentant
une forte virémie avec le virus de l’encéphalite à tiques,
un pourcentage de moins de 10 % de tiques s’infectent,
tandis qu’en se gorgeant sur des animaux avec une viré-
mie faible, voire nulle, le pourcentage atteint 68 % [3].
Des travaux complémentaires ont démontré que la trans-
mission du virus pouvait se faire directement de tiques à
tiques, si celles-ci se gorgeaient au voisinage immédiat les
unes des autres, d’où le terme de transmission par co-
repas (cofeeding des auteurs anglo-saxons) [4].
À partir de ces résultats expérimentaux, une approche éco-
épidémiologique nouvelle, s’est dégagée.
Simultanéité des larves et des nymphes
sur les hôtes
Pour que la circulation du virus soit assurée par co-repas,
tiques saines et tiques infectées doivent se gorger simulta-
nément au voisinage les unes des autres. Les tiques saines
sont représentées par la population des larves, qui venant
d’éclore n’ont pas encore eu l’occasion de s’infecter (la
transmission transovarienne est très faible) ; les tiques in-
fectées se trouvent parmi les nymphes, qui ayant déjà fait
un repas ont pu s’infecter.
On peut ainsi s’attendre à ce que là où existe la simulta-
néité larves/nymphes sur les hôtes, la zone soit endémi-
que, là où larves et nymphes se gorgent à des périodes
différentes, la zone soit indemne, enfin là où le chevauche-
ment des larves et nymphes sur les hôtes est faible, comme
l’Alsace, qui est aux marges de la distribution de la mala-
die [5-7], la prévalence soit faible. L’analyse comparée
d’études de dynamique des tiques, faites dans ces trois
types de zones a confirmé cette déduction [8]. Restait à
expliquer les causes de la simultanéité larves-nymphes,
forte, faible ou nulle.
Par le recours à des images satellitales, avec comme para-
mètre discriminant la température au sol (paramètre déter-
minant pour le cycle des tiques), les auteurs ont vérifié que
la simultanéité se produisait dans les zones où les tempé-
ratures chutaient brutalement au début de l’automne ; à
l’inverse, larves et nymphes sont décalées là où les tempé-
ratures descendent lentement [9]. L’explication serait que
la chute brutale des températures suspendrait l’activité des
larves, laquelle reprendrait tôt au printemps, en même
temps que celle des nymphes. Lorsque la descente des
températures est progressive, les larves se gorgent avant
l’hiver et ne sont donc pas en synchronie avec les nym-
phes au printemps.
Modification de la distribution
de l’encéphalite à tiques
Si la synchronie larves/nymphes sur les hôtes est liée de
manière aussi forte au profil des températures, il faut s’at-
tendre à une modification de la distribution de l’encépha-
lite à tiques en rapport avec les modifications climatiques
qui sont annoncées. Certains auteurs ont fait l’extrapola-
tion et abouti à des cartes de la nouvelle distribution pro-
bable en fonction de ces changements de température [10].
Ainsi, que ce soit sous l’angle de l’émergence ou de la
redistribution, les affections transmises par les tiques sont
semble-t-il appelées à retenir l’attention en médecine hu-
maine, dans les années qui viennent.
Références
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Tiques en zone tempérée
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