LE SYMPTÔME Le symptôme en psychiatrie de liaison D. Raucher-Chéné* D ans la pratique de la psychiatrie de liaison, le symptôme initialement rapporté par les patients rencontrés est somatique. Il a conduit à une hospitalisation dans un service de médecine ou de chirurgie, et c’est de ce symptôme que le patient espère être soulagé. Le symptôme psychique se révèle quant à lui durant de l’hospitalisation. Il doit être rapporté aux soignants ou perçu par ceux-ci comme pathologique pour générer une demande auprès de l’équipe de psychiatrie de liaison. Élaboration du symptôme * Pôle de psychiatrie des adultes, hôpital Robert-Debré, Reims. La première difficulté rencontrée par les équipes de psychiatrie de liaison est donc l’élaboration de ce symptôme psychique. Un trouble du comportement bruyant va attirer l’attention des soignants, par exemple : “M. A, 71 ans, hospitalisé pour chute à domicile, présente des troubles du comportement à type d’agitation et d’agressivité verbale. Urgent.” La demande urgente pour troubles du comportement, quelle que soit son origine, questionne sur la perception des troubles psychiatriques par nos confrères et, de façon plus générale, sur la représentation des patients atteints de ces troubles. Un patient agressif doit-il immédiatement rencontrer un psychiatre ? Qu’attendon de nous dans ces situations ? De plus, le risque est important de négliger une étiologie organique, dont la prise en charge pourrait pourtant être urgente. Aussi, un soutien peut être apporté à ces équipes en difficulté, en 2 temps : premièrement, les accompagner dans la prise en charge de ce patient sur le plan thérapeutique et favoriser les investigations diagnostiques ; deuxièmement, discuter 38 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 1 - janvier-février 2012 avec l’équipe de la présence de symptômes psychiques associés qui justifierait une prise en charge spécialisée. Ce partage de connaissances permet alors de renforcer les compétences mutuelles des soignants, améliorant les prises en charge ultérieures. Dans un contexte différent, la tolérance des soignants à une présentation clinique peut susciter la demande suivante : “M. B, 53 ans, hospitalisé depuis 3 mois, repris chirurgicalement à 2 reprises, présente des épisodes de pleurs fréquents.” Avant toute rencontre avec le patient ou l’équipe, cette demande suscite plusieurs questions : en quoi ces pleurs sont-ils un symptôme ? S’agit-il d’une rupture avec un état antérieur ? Ces pleurs paraissent-ils inappropriés, au vu de la souffrance du patient ? Le patient est-il isolé sur le plan familial ? L’équipe soignante craint-elle un épisode dépressif ? Cette équipe est-elle en difficulté face à ce patient ? Les réponses permettront d’établir la présence ou l’absence de signes cliniques psychiatriques et d’orienter en conséquence la prise en charge vers le patient et sa famille et/­ou vers l’équipe soignante. En effet, le symptôme rapporté peut mettre en évidence les difficultés institutionnelles des soignants dans l’accompagnement du patient sur une hospitalisation longue ; le symptôme du patient peut être compris comme celui du service de soins qui l’accueille. Un antécédent psychiatrique inscrit dans un compte-rendu antérieur peut conduire à une demande du type : “Mme C, 85 ans, diagnostic de PHC, merci de l’évaluer durant son hospitalisation en gériatrie.” C’est alors la reprise de cette demande avec le confrère somaticien qui permet de préciser l’attente de l’équipe de soins vis-à-vis de cette patiente. Parfois, ce LE SYMPTÔME diagnostic conduit les soignants à interpréter des attitudes ou des comportements (“Elle a un regard halluciné”). Le symptôme peut alors être une construction du soignant, concordant avec ses représentations de la pathologie. Seul un travail répété sur ces représentations permet d’engager un dialogue et une déstigmatisation des patients “psychiatriques”. Enfin, l’absence de signe clinique somatique objectivé peut générer ce type de demande : “Mme D, 37 ans, survenue de malaises au domicile, bilan complet biologique et d’imagerie négatif, origine psychique ?” Attribuer à un trouble une origine psychique peut être une façon de le considérer comme négligeable, ou au contraire constituer un diagnostic à part entière. Dans le premier cas, la patiente perçoit souvent négativement la rencontre avec le psychiatre de liaison (“Je ne suis pas folle”) et il va être plus difficile d’établir un premier contact, voire d’engager un suivi. Dans le second cas, la consultation avec le psychiatre de liaison s’inscrit dans une continuité de soins et, parfois, une prise en charge multidisciplinaire (par exemple, les patients présentant des crises psychogènes non épileptiques, suivis conjointement par les neurologues et les psychiatres). Au travers de ces différents exemples, le symptôme n’est pas directement accessible dans la demande formulée et le psychiatre de liaison doit favoriser son élaboration avec le patient, les familles ainsi qu’avec les équipes. Ce travail de mise au jour du symptôme permet ensuite de proposer une prise en charge adaptée. Prise en charge En psychiatrie de liaison, les diagnostics psychiatriques le plus fréquemment retrouvés sont les troubles anxiodépressifs et les troubles de l’adaptation. Ils apparaissent généralement en réaction à l’hospitalisation et à la pathologie somatique qui l’a rendue nécessaire. Les patients présentant ces troubles ont besoin d’aide pour verbaliser leur expérience et faire face aux modifications que la maladie cause dans leur environnement. L’hospitalisation peut également révéler une pathologie psychiatrique antérieure, le psychiatre de liaison ayant alors pour rôle de conduire le patient vers une prise en charge adaptée, en lien avec le service de psychiatrie de secteur. Le travail d’élaboration à partir de la demande peut également aboutir au constat de l’absence de symptôme psychiatrique chez le patient. Il faut alors pouvoir reprendre avec l’équipe demandeuse les circonstances de la demande. En effet, l’absence de symptôme ne signifie pas que cette demande était injustifiée, mais plutôt qu’elle révèle les attentes d’une équipe face à une situation jugée difficile (conflits, précarité sociale). Enfin, il est parfois impossible de distinguer une pathologie psychiatrique d’une pathologie somatique, et chaque équipe doit pouvoir s’adapter à une symptomatologie mixte, atypique et nécessitant un travail conjoint renforcé. Mots-clés Symptôme, Psychiatrie de liaison, Comorbidité, Pluridisciplinarité Keywords Symptom, Consultation-liaison psychiatry, Comorbidity, Multidisciplinarity Rôle d’expertise de la psychiatrie de liaison Dans la diversité du travail du psychiatre de liaison, les consultations programmées en amont d’interventions chirurgicales sont un exemple intéressant d’intervention sans symptôme. Les patients parkinsoniens en attente d’une implantation d’un stimulateur cérébral profond sont évalués sur le plan psychiatrique, dans le cadre de leur bilan préopératoire, afin que soient anticipées leurs éventuelles ressources ou, au contraire, les risques de décompensation psychique qu’ils encourent. Le travail du psychiatre de liaison s’apparente en l’occurrence à une expertise, qui peut déboucher sur une prise en charge ultérieure. La coordination avec les équipes associées à la chirurgie est alors primordiale afin d’établir un discours cohérent et d’équilibrer les bénéfices et les risques liés à la chirurgie ; d’autant que la chirurgie, en elle-même, peut être révélatrice d’une vulnérabilité antérieure, difficile à anticiper. Dans le cadre des greffes d’organes, il est parfois demandé au psychiatre d’estimer la probabilité d’une adhésion satisfaisante au traitement antirejet ultérieur. En pratique, dans ce contexte, le psychiatre ne peut que promouvoir l’alliance thérapeutique, sachant que l’absence d’alliance est prédictive de complications somatiques. La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 1 - janvier-février 2012 | 39 LE SYMPTÔME Conclusion Au final, le lien entre les différents acteurs du soin est primordial afin de garantir au patient une prise en charge adaptée à ses besoins. Dès lors, la définition de la psychiatrie de liaison de R. Zumbrunnen (1), évoquant “la partie de la psychiatrie et de la psychologie clinique qui s’occupe des troubles psychiatriques se manifestant chez les patients atteints de pathologies somatiques”, ne semble pas recouvrir tout le champ de cette discipline. On lui préférera cette définition de S.M. Consoli : “La psychiatrie de liaison consiste à mettre à la disposition des services de médecine, chirurgie, obstétrique d’un hôpital général les compétences de professionnels, experts dans le domaine de la souffrance psychique et de la santé mentale, pour répondre aux besoins des patients, de leur entourage ou des soignants qui en ont la charge” (2). La psychiatrie de liaison se situe en effet au confluent de plusieurs disciplines : de la psychiatrie générale et de la psychosomatique, dont elle est issue, mais aussi de la psychologie médicale, voire de la psychologie de la santé. Le terme anglais de consultation-liaison distingue d’une part la consultation ou l’entretien individuel réalisé avec le patient, et d’autre part la liaison, qui implique un travail en réseau avec les équipes médicales (3). L’Association européenne de psychiatrie de liaison et de psychosomatique et l’Académie de la médecine psychosomatique se sont rassemblées afin d’établir un consensus sur les pratiques et les compétences des psychiatres travaillant en liaison (4). Elles insistent sur l’importance du rôle de lien qu’a le psychiatre de liaison, à l’interface entre plusieurs institutions, et mettent en évidence la nécessité pour cette spécialité de construire son identité. Un des enjeux actuels de cette jeune discipline est l’amélioration de la transmission afin de changer la représentation des malades et certains des comportements des équipes somatiques en situation d’interaction avec leurs patients (2). Le symptôme est, dans ce contexte, ce qui lie les différents protagonistes dans une lecture multidisciplinaire et globale, enrichissant la prise en charge du sujet. ■ Références bibliographiques 1. Zumbrunnen R. Psychiatrie de liaison. Paris : Masson, 1991. 2. Consoli SM. La psychiatrie de liaison. Quelle actualité, quelles perspectives ? Ann Med Psychol 2010;168:198-204. 3. Lloyd G, Guthrie E. Handbook of liaison psychiatry. Cambridge : Cambridge University Press, 2007. 40 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 1 - janvier-février 2012 4. Leentjens AF, Rundell JR, Wolcott DL, Guthrie E, Kathol R, Diefenbacher A. Reprint of: Psychosomatic medicine and consultation-liaison psychiatry: scope of practice, processes, and competencies for psychiatrists working in the field of CL psychiatry or psychosomatics. A consensus statement of the European Association of Consultation-Liaison Psychiatry and Psychosomatics (EACLPP) and the Academy of Psychosomatic Medicine (APM). J Psychosom Res 2011;70:486-91.