traditionnelle, et la forme islamique est la seule qui se prête à faire quelque chose en Europe
même, ce qui réduit les difficultés au minimum.» [4]
On regrettera que Jean-Louis Gabin ait préféré «couper» la dernière phrase de cette citation,
dans un passage (p. 43) où lui-même reproche à l’essayiste Alexandre del Valle d'employer ce
type de procédé...Certes, la bonne foi de l’auteur ne saurait être mise en doute mais cette
manière de faire dissone dans une analyse qui se veut objective : il n’est de pire préjugé
qu’une croyance excessive en cette «Boussole infaillible», pour reprendre l’expression avec
laquelle Michel Vâlsan caractérisait René Guénon .
Ceux- là mêmes qui, sous les auspices de René Guénon, envisagent les diverses religions
humaines comme autant de voies équivalentes d’une même Vérité originelle – dont elles
seraient dérivées par différenciation ethno-culturelle – sont inéluctablement amenés à soutenir
que cette Vérité non-humaine, sous-jacente à toutes les religions historiques, cette fameuse
«Tradition primordiale» guénonienne, puisqu’elle ne s’est ni révélée ni manifestée en tant que
telle, nous est directement inaccessible sinon par le support obligé et nécessaire de l’une de
ces religions historiques.L’interface dans une même tradition religieuse entre l’exotérisme et
l’ésotérisme est un pivot essentiel de la pensée guénonienne.
À ce sujet, Jean-Louis Gabin cite opportunément une lettre de René Guénon à Alain Daniélou :
«[...] je ne puis laisser dire que je suis "converti à l’islam", car cette façon de présenter les
choses est complètement fausse ; quiconque a conscience de l’unité essentielle des religions
est par là même "inconvertissable" à quoi que ce soit, il est même le seul qui le soit ; mais il
peut "s’installer", s’il est permis de s’exprimer ainsi, dans telle ou telle tradition suivant les
circonstances, et surtout pour des raisons d’ordre initiatique.» [5] L’oeuvre de Guénon permet
ainsi à Jean-Louis Gabin d’affirmer que l’expansionnisme conquérant de l’islam, si
caractéristique de son exotérisme, n’est pas confirmé par son ésotérisme. Cette contradiction
entre un islam extérieur et un islam intérieur suffirait donc à dédouaner Guénon des dérives
islamistes.
On reprochera à l’auteur d’en rester obstinément à Guénon et de ne pas s’interroger sur cette
contradiction même. Guénon, lui aussi, a préféré en appeler à la force de la Tradition plutôt que
d’envisager la question de l’émergence de l’ésotérisme islamique. Son rejet par omission de
l’interprétation proposée dans son ouvrage L’Islam christianisé par Miguel Asín Palacios, en
est la preuve.[6]La thèse de ce dernier sur la naissance de la spiritualité en islam, s’oppose aux
hypothèses concordantes de Guénon et de Massignon, l’islamologue catholique romain.
Pour René Guénon comme pour Louis Massignon, la spiritualité de la tradition islamique, le
taçawwuf, trouve sa source dans le seul Coran, Asín Palacios considère quant à lui qu’elle
provient en droite ligne de la doctrine et des techniques «hésychastes» du monachisme
chrétien d’Orient.La méthode hésychaste qui culmine avec la «méditation secrète», la prière de
Jésus transmise par les Pères neptiques, a donné lieu au cours des âges chrétiens à une lignée
spirituelle reliant les plus anciens moines aux plus jeunes.Cependant, on notera que, si la
technique hésychaste figure dans la règle du monachisme oriental de saint Basile, et qu’on la
retrouve encore chez saint Cassien, elle n’a pas été accueillie dans la règle de saint Benoît, le
père monachisme occidental. Peut-être est-ce tout simplement là qu’il faut chercher cette
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