Global Footprint Network
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ATTENTION, CHÈRE SUISSE!
Trop petite pour agir,
ou trop vulnérable pour attendre?
par Mathis Wackernagel
Ceci est une proposition de plan d’action. Un plan inédit, conçu autour
de la nécessité de prendre en compte ces facteurs déterminants et
néanmoins largement ignorés qui marquent notre époque : le
changement climatique et les pressions qui s’exercent sur les
ressources naturelles. La Suisse est un modèle envié de succès
économique. Ce succès perdurera si nos choix d’action pour l’avenir
sont judicieux. Mais le seront-ils ?
ATTENTION, CHÈRE SUISSE !¦ Août 2016 ¦ Global Footprint Network Page 2 de 15
Le paradoxe actuel des ressources
En dépit de ses ressources naturelles limitées, la Suisse jouit d’une des économies les
plus compétitives et innovantes dans le monde, avec un chômage faible, une main
d’œuvre hautement qualifiée et l’un des PNB par habitant les plus élevés au monde.
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Mais est-ce que ce succès peut perdurer, compte tenu des contraintes écologiques qui
pèsent sur la planète et des multiples impacts du réchauffement climatique ?
Est-il nécessaire de maintenir l’élévation des températures en-deçà du seuil de 2°C ainsi
que le stipule l’Accord de Paris sur le climat ?
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Et si nous n’imposons pas de limites à
nos émissions de carbone, prenons-nous le risque d’accélérer le changement du climat,
aggravant les conséquences sur la disponibilité des ressources et sa volatilité ?
La Suisse est caractérisée par une forte dépendance aux ressources d’importation. Par
exemple, le pays consomme deux fois autant de produits alimentaires qu’il ne produit.
Au total, la Suisse utilise quatre fois autant de ressources naturelles que ce que ses
propres écosystèmes sont capables de régénérer.
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Ceci, alors même que l’Article 73 de
la Constitution Suisse stipule que “la Confédération et les cantons œuvrent à
l'établissement d'un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de
renouvellement, et son utilisation par l'être humain.”
Quels sont les choix qui s’imposent, dans le contexte présent de changement
climatique et de pression croissante sur les ressources naturelles, pour permettre à
la Suisse de conserver sa position économique avantageuse dans le monde ?
Les opinions divergent face à ces enjeux essentiels. La dépendance suisse aux
ressources produites à l’étranger représente-t-elle un risque significatif ? Ou bien est-ce
sans conséquence, ainsi que les politiques et modèles d’investissement actuels le
laissent supposer ? Ces questions cruciales mettent l’accent sur le fait incontournable
que la Suisse est à la croisée des chemins. Quelles sont nos options ?
Avant même de fournir des éléments de réponse, nous détaillerons d’abord dans ce
document pourquoi le status quo n’est pas viable sur le long-terme. Il est crucial de
définir une stratégie de ressources pour la Suisse qui assure de manière stable, et sur le
long terme, la satisfaction de ses besoins en nourriture, énergie et transports, et qui
soutienne aussi son développement urbain, la stabilité de son économie, son influence
positive dans le monde et toutes les autres activités qui contribuent à son succès. Or
dans un monde les ressources naturelles sont surexploitées et la demande ne
cesse d’augmenter, la souveraineté en matière de ressources est appelée à devenir un
moteur de plus en plus vital de tout économie vigoureuse.
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Les certitudes sur nos ressources
naturelles
En dépit des multiples incertitudes auxquelles
nous faisons face, nous pouvons déjà nous
appuyer sur des faits clairement établis en
matière de ressources naturelles.
i. La croissance forte de la demande à
l’échelle mondiale est une tendance
à long terme. Les tendances de fond
évoluent très lentement. Les
contraintes écologiques ne pourront
être résolues qu’aussi progressivement
qu’elles ont émergées. Ces contraintes
sont le résultat, d’un côté, de
l’affaiblissement de « l’offre » de la
planète (changement de climat,
assèchement des nappes phréatiques,
érosion des sols), et d’un autre côté, de
l’augmentation de la « demande »
(croissance démographique,
intensification des infrastructures
gourmandes en ressources). Certains
pays prennent des décisions dans le but
de renforcer leur souveraineté en
matière de ressources naturelles, en
particulier sur le front énergétique.
L’impact de leurs efforts, néanmoins,
est très lent à se manifester en raison
de l’inertie inhérente aux
infrastructures bâties et des délais
propres aux évolutions
démographiques. En matière d’action
globale, la faiblesse actuelle de la coopération internationale semble rendre tout
réel effort improbable aujourd’hui.
ii. En dépit des intentions affichées dans l’Accord de Paris sur le climat, les
efforts de décarbonisation tardent encore à émerger à la rapidité et à
l’échelle nécessaires pour atteindre les objectifs visés.
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Par exemple, un plan
clairement défini et des efforts concertés pour s’émanciper de l’économie
carbone font toujours défaut. Il s’agit là pourtant des conditions minimales pour
espérer instaurer un mode de développement durable de la planète, de conserve
avec la réduction de la consommation actuelle des ressources biologiques.
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La
demande de l’humanité son Empreinte Ecologique
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est actuellement
supérieure de 60% à ce que la planète peut renouveler sans même prendre en
Le postulat de Paris
L’Accord de Paris sur le climat signé
en décembre 2015 l’a clairement
énoncé : le réchauffement du climat
ne doit pas excéder 2°C, voire si
possible 1.5°C, au-dessus des niveaux
de température pré-industriels.
Selon les simulations des modèles
climatologiques réalisées par le GIEC,
cela signifie que la concentration
atmosphérique de CO2e doit rester
largement en-deçà de 450ppm.
En 2016, l’atmosphère contient 407
ppm de CO2. Si on inclut les gaz à effet
de serre autre que le CO2, la
concentration pourrait s’élever déjà à
470 ppm CO2e, selon les estimations.
Et l’activité humanité aggrave cette
concentration de 2.1ppm par an.
Autrement dit, au rythme actuel, il
nous reste entre -10 et 20 ans pour
atteindre le plafond énoncé à Paris.
« -10 » signifie que les émissions de
gaz à effet de serre auraient dû cesser
il y a 10 ans.
A Paris, la Suisse a proposé de réduire
ses émissions de CO2 de 50% d’ici
2030 par-rapport aux niveaux de
1990. En 2012, elles étaient
inférieures de 3% aux niveaux de
1990.
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compte le fait que 10 à 100 millions d’espèces animales avec lesquelles nous
coexistons sur la Terre ont également besoin d’espace et de ressources pour
vivre. Compte tenu des niveaux actuels de ses différents types de demande sur la
nature, l’humanité n’opère plus aujourd’hui dans un environnement sûr.
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iii. Le changement du climat et la raréfaction des
ressources font de l’économie mondiale un
jeu à somme négative. Consommer davantage
que ce que la planète peut régénérer de manière
durable conduit inévitablement à entamer le
capital naturel. Or un capital naturel amoindri
conduit à son tour à la réduction de la capacité
de régénération des ressources de la planète.
Autrement dit, c’est le moteur même de
l’économie mondiale qui est affaibli. Ainsi,
paradoxalement, continuer à développer une
économie mondiale gourmande en ressources
est le plus sûr chemin pour menacer la capacité
de cette économie à fonctionner. L’économie
mondiale devient un jeu à somme négative.
iv. La « Tragédie des Biens Communs » est
tragique mais pas communautaire, dans le
contexte actuel. Il ne fait aucun doute que ce jeu
à somme négative par la liquidation des
ressources présente des aspects de la « Tragédie
des Biens Communs »
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, comme les émissions de
CO2 causées par les énergies fossiles ou la
destruction des ressources halieutiques dans les
eaux internationales. Néanmoins, les
dynamiques mondiales de gestion des
ressources sont régies aussi en grande partie par
des facteurs qui ne ressortissent pas de la Tragédie des Biens Communs. Par
exemple, la surexploitation des ressources écologiques sur le territoire national,
ou encore le développement d’infrastructures gourmandes en ressourcessi
elles ne peuvent être transformées, ces dernières seront vraisemblablement
vouées à un avenir d’avoirs délaissés.
Même s’il est difficile de prédire à quelle échéance ces transitions auront lieu, les
conséquences en elles-mes sont déjà prévisibles. Il n’en demeure pas moins
qu’une action ciblée est un pas d’autant plus difficile à franchir que son impact
induira des coûts immédiats alors que les bénéfices n’apparaîtront que plus tard.
Des ajustements rapides et automatiques de la consommation des ressources en
Suisse sont également improbables, puisque les moteurs du changement sont
dépendants de lourds facteurs d’inertie tels que la structure urbaine, l’intensité
énergétique des bâtiments, l’infrastructure des transports et les tendances
démographiques.
Biocapacité: l’ultime ressource
L’Empreinte Ecologique est la
surface biologiquement
productive qui est requise pour
satisfaire aux besoins de
l’humanité: fruits et légumes,
viande, produits de mer, bois,
fibre, absorption de dioxyde de
carbone, espaces pour les
bâtiments et les routes.
La biocapacité est la surface
productive disponible où sont
régénérées les ressources
naturelles consommées. Si les
énergies fossiles cessent un jour
d’être utilisées—ainsi que de
nombreux scénarios l’anticipent—
la biocapacité sera essentielle non
seulement pour nous nourrir, mais
aussi pour nous vêtir et satisfaire
dans une certaine mesure à nos
besoins en énergie. Aussi, analyser
la dépendance matérielle dune
économie à la biocapacité va
devenir crucial pour appréhender
la dépendance matérielle de cette
économie.
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ATTENTION, CHÈRE SUISSE !¦ Août 2016 ¦ Global Footprint Network Page 5 de 15
v. Faire mieux que tout le monde en matière de respect de l’environnement
n’est pas une assurance sur l’avenir. Contrairement à la croyance populaire, la
Suisse n’est pas nécessairement un champion mondial en matière de respect de
l’environnement. Un rapport réalisé par BakBasel et Global Footprint Network
pour le gouvernement suisse, et qui a comparé la Suisse à 13 pays de l’OCDE, en
atteste notamment.
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En admettant que nous faisions effectivement mieux que
tous ces pays,
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cela ne suffirait pas néanmoins à protéger automatiquement la
Suisse contre les risques liés à l’approvisionnement en ressources écologiques.
vi. L’essentiel dans la course mondiale à la biocapacité est le PNB relatif. En
admettant que la sécurité des ressources soit défendue via les échanges
commerciaux plutôt que par des moyens militaires, remporter la victoire dans la
concurrence actuelle entre nations pour les ressources écologiques limitées de la
planète dépend de la capacité à maintenir, voire à accroître, le niveau de son
revenu national par-rapport à ceux des autres pays. Même si l’économie
mondiale demeure stable et que l’OMC se comporte en arbitre raisonnable des
échanges commerciaux internationaux,
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les enchères autour des ressources
écologiques de la planète vont devenir de plus en plus tendues.
Maintenir l’accès à un capital naturel situé hors des frontières nationales et qui
se réduit comme peau de chagrin, va devenir de plus en plus difficile pour les
économies nationales dont le revenu diminue relativement à celui du reste du
monde. Ce cas de figure s’applique déjà à la plupart des pays à haut revenu par-
rapport aux économies émergentes. Le contribuable suisse empoche
aujourd’hui une portion du revenu mondial qui est inférieure de 30% à ce
qu’elle était il y a 25 ans, et 45% en-deçà de ce qu’elle était il y a 35 ans. Aussi
la Suisse se trouve-t-elle dans une situation a priori inextricable : ses agents
économiques disposent de moyens en perte de puissance relative alors même
qu’ils se trouvent confrontés à une concurrence de plus en plus forte pour des
ressources en diminution.
vii. Viser une victoire perpétuelle au jeu du PNB relatif est une stratégie
fragile. Peut-être la Suisse est-elle capable de remporter la victoire économique
contre les autres pays pour encore de nombreuses décennies. Mais elle n’a
aucune garantie de pouvoir maintenir sa position sur le long-terme.
viii. Quitter le jeu actuel comporte également des risques et des coûts
significatifs. Choisir de ne pas participer à la compétition internationale signifie
quitter l’économie mondiale. Or cela empêcherait la Suisse d’avoir accès aux
ressources dont elle a besoin pour fonctionner, et de produire les relations de
bonne volonté dont les échanges commerciaux de la Suisse dépendent. Comment
la Suisse peut-elle continuer à jouer un rôle actif dans le monde tout en réduisant
sa dépendance ?
ix. La Suisse ne peut pas se reposer sur des mécanismes d’autocorrection. Les
forces de marché ne fournissent pas nécessairement de retour suffisant pour
assurer des résultats économiques robustes. Quatre mécanismes significatifs
d’autocorrection du marché sont : les prix, les technologies, le niveau de
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