ne connaissent pas de frontières. Si nous refusons cette
fraternité aux « autres », viendra bientôt le jour où nous
nous la refuserons entre nous.
C’est tout autant notre devoir en tant que chrétiens.
Nos Églises, par la voix de nos plus hauts responsables,
ne cessent depuis des années d’appeler à l’hospitalité, au
nom du message dont elles ont à témoigner au sein de la
société. Et d’y appeler les chrétiens, au nom du Christ. Il
est frappant de constater que ces appels sont souvent
exprimés de façon œcuménique : c’est une préoccupation
qu’elles partagent ensemble. Une préoccupation qui ne va
pas seulement aux chrétiens d’Orient persécutés, mais à
tous ceux qui doivent fuir, sans discrimination.
C’est donc à un changement durable et profond dans
l’opinion publique, à commencer par nous-mêmes, qu’il nous
faut œuvrer. Non seulement quant au droit d’asile, mais
quant à l’accueil des migrants dans leur ensemble, et plus
profondément dans notre attitude à l’égard de l’étranger.
Car l’opinion publique, elle, ne fait pas de distinction entre les
réfugiés demandeurs d’asile et l’ensemble des migrants qui
cherchent ici une vie nouvelle. C’est pourquoi, même si l’ACAT
n’a pas vocation, en tant que telle, à s’occuper des migrants
en général (d’autres le font très bien), nous ne pourrons
remplir notre mandat à l’égard des réfugiés qui fuient la
violence que dans un climat qui ne soit plus dominé par la
peur, la xénophobie et la crispation identitaire.
Il nous faut alors travailler dans deux directions :
> rétablir les faits au sujet de la réalité actuelle des
migrations ;
> aider à surmonter la peur de l’étranger pour permettre
la rencontre et la découverte mutuelle.
Connaître la réalité actuelle des migrations
en Europe et en France. C’est l’objectif premier de ce
dossier : nous fournir des éléments factuels soigneusement
établis et mis à jour en juin 2016 quant à la réalité des
migrations chez nous. Il importe de récuser avec force ce
mensonge qui montre l’Europe assiégée par une horde de
Barbares. Ceux qui ont pris la dicile décision de quitter
leur pays sont dans leur immense majorité restés au plus
près de chez eux. Le Liban a ainsi accueilli sur son petit
territoire plus d’un million de réfugiés, plus du quart de sa
population… La France qui compte 65 millions d’habitants
a accordé l’asile l’an passé à moins de 20 000 personnes,
et se dit prête à en accepter 30 000, chire dérisoire, si
l’on y réfléchit. Nous avons la capacité de les accueillir et
de mettre en place les moyens nécessaires : les sommes
considérables qui sont actuellement dépensées pour les
maintenir hors de nos frontières seraient beaucoup mieux
employées à des objectifs de solidarité.
Les victimes de la torture pour lesquelles, à l’ACAT,
nous agissons, pour lesquelles nous prions, voici que,
de plus en plus souvent désormais, elles viennent
frapper à notre porte.
Nous avions écrit, plaidé, manifesté pour que cessent les
violences dont ces femmes, ces hommes étaient victimes
dans leur pays. Mais un jour est venu où eux n’avaient plus le
choix : « il fallait fuir », comme ils le disent eux-mêmes. C’est
pourquoi, depuis plusieurs années, l’ACAT a inscrit le droit
d’asile dans son mandat.
« Droit » d’asile : c’est en eet un droit fondamental
reconnu à tout être humain ; un droit que la France, comme
la plupart des pays de la planète, s’est engagée à respecter.
Et nous, qui avions soutenu ces personnes chez elles, il
nous est maintenant donné de pouvoir nous tenir auprès
d’elles ici, directement, de personne à personne, pour qu’elles
retrouvent en elles-mêmes la force de se relever et de vivre :
« Lève-toi et marche ! »
Certes, le respect eectif du droit d’asile chez nous dépend
au premier chef des pouvoirs publics français et des
instances européennes qui ont la lourde tâche de mettre en
place une véritable politique migratoire. Une telle politique a
cruellement manqué jusqu’ici, comme en témoignent toutes
ces personnes qui s’entassent dans des conditions indignes
dans les camps de réfugiés à nos portes et jusque chez nous,
comme en témoignent hélas encore plus ces milliers d’adultes
et d’enfants (avons-nous si vite oublié le petit Aylan ?) qui ont
trouvé la mort en voulant rejoindre nos rivages.
Mais l’absence d’une politique migratoire digne de ce nom en
Europe ne tient pas seulement à nos gouvernants. Elle tient
à une opinion publique qui s’aole et veut fermer ses portes,
mettre en place des barrières (y compris parfois même à
l’intérieur de l’Europe à l’égard des ressortissants d’autres
pays européens) : c’est chacun chez soi, chacun pour soi ! Et
trop de nos responsables politiques suivent l’opinion publique
plutôt que de chercher à la responsabiliser…
C’est là, face à ces tendances de l’opinion publique, que nous
pouvons et devons agir et résister.
Cela relève de notre responsabilité. Notre responsabilité
en tant que citoyens, pour résister à ce climat délétère
de xénophobie. Aussi beaucoup d’ONG de tous bords, dont
l’ACAT fait partie, se mobilisent. La politique migratoire
ne peut avoir pour seul but de stopper les migrations, de
refouler les réfugiés hors de nos frontières : c’est non
seulement totalement irréaliste, mais contraire à toutes
les valeurs sur lesquelles nos démocraties sont établies
– la solidarité, la « fraternité » inscrite dans notre devise
ÉDITO DU DOSSIER « ACCUEIL DE L’ÉTRANGER »
PAR GABRIEL NISSIM, président de l’ACAT