Programme 8. L’islam en question
En octobre 2003, le programme « L’islam en question » a été réorganisé en deux
axes ayant des opérations de recherche, des réseaux et des financements distincts :
« L’islam en situation minoritaire Les musulmans d’Europe et d’Amérique du
Nord » et « Religion et politique dans le monde musulman ».
Axe L’islam en situation minoritaire – Les musulmans d’Europe
et d’Amérique du Nord (responsable : Jocelyne Cesari)
Problématique
L’émergence de minorités musulmanes au cœur des démocraties sécularisées est
l’une des conséquences des dernières vagues migratoires en Europe comme aux
États-Unis. Désormais près de onze millions de musulmans en Europe et six millions
aux États-Unis vivent au quotidien sinon sur un pied d’égalité politique et juridique
avec des non musulmans. La question qui sous-tend la plupart des recherches sur le
thème « est-ce que les musulmans peuvent s’adapter aux sociétés occidentales ? »
présuppose une opposition radicale entre l’islam et Occident, opposition que les
attentats du 11 septembre 2001 n’ont fait que renforcer. Afin de dépasser une telle
polarisation, le programme sur l’islam minoritaire s’est donné comme objectif de
démontrer que l’islam peut aussi être un vecteur d’intégration culturelle et politique
dans les différentes sociétés européennes et américaines. Contre une vision
essentialiste de l’islam, le programme a pris en considération dans son analyse
comparée le cadre politique et culturel proche à chaque pays hôte et les
caractéristiques des différents groupes musulmans.
Fonctionnement et résultats
L’activité des membres de l’axe « L’islam en situation minoritaire Les
musulmans d’Europe et d’Amérique du Nord » durant la période 2002-2004 s’est
exercée à travers plusieurs lieux : d’une part, le réseau NOCRIME (Réseau de
recherches comparatives sur l’islam et les musulmans en Europe) coordonné par J.
Cesari ; d’autre part l’équipe de travail sur l’islam français constituée par des
doctorants et post-doctorants membres du GSRL. Sur la période considérée, elle
s’est déroulée en lien avec plusieurs programmes de recherche financés par des fonds
européens : « Islam, citoyenneté et la dynamique de l’intégration européenne »,
« Cultes et cohésion sociale », « Islam et droits de l’homme ».
Le réseau NOCRIME composé d’une dizaine de chercheurs provenant de 7 pays
européens : France, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Italie et Espagne, a
favorisé une coopération scientifique en essayant de dépasser la juxtaposition
d’études de cas, dominante dans l’étude de l’islam en Europe afin d’initier des projets
de recherche dont les résultats puissent contribuer à une meilleure connaissance
scientifique des populations musulmanes d’Europe. Il a ainsi contribué à deux
ateliers de discussion et un colloque international durant cette période (juin 2002 :
« Islam, citoyenneté et intégration européenne », février 2003 : « L’intégration des
immigrés musulmans en Europe : aspects religieux et politiques dans le contexte de
l’après 11 septembre » et juillet 2003 : « Les musulmans européens et l’État laïque
dans une perspective comparative »). Il a permis la création et le développement d’un
site web : www.nocrime.org aujourd’hui rebaptisé www.euro-islam.info ; il va donner
lieu en 2005 à la publication d’un ouvrage collectif aux éditions Ashgate ainsi que
d’un numéro spécial du Journal of Ethnic and Migration Studies sur le thème : « Islam in
European Cities : conflict and regulation ». Quant à l’espace nord-américain, les
coopérations passent par l’Université de Harvard Jocelyne Cesari a constitué un
programme sur l’islam américain en lien avec des chercheurs américains et
canadiens ; son ouvrage When Islam and Democracy meet : Muslims in Europe and in the
United States (2004) est le premier résultat de cette recherche.
Le groupe « Islam français » s’est réuni à sept reprises de novembre 2002 à juin
2003, notamment autour d’exposés de doctorants. Il a produit un document de
travail intermédiaire destiné à servir de repérage concernant les courants de l’islam
français. Les travaux du programme ont étudié les différentes manières dont les
communautés musulmanes immigrées tentent de produire de nouvelles formes de
citoyenneté et de participation politique sur la base de leur identité religieuse : jusqu’à
quel point l’affiliation religieuse comme acteurs individuels ou collectifs les définit
comme citoyens ? La recherche commune a également porté une grande attention
aux politiques locales : jusqu’à quel point l’islam peut-il être un facteur de
coopération ou au contraire de conflit avec des municipalités (autour de la
construction de mosquées notamment) ?
Le groupe « Islam français » avait comme objectif initial de mettre sur pied un
travail de terrain destiné à répertorier les grandes institutions musulmanes de façon
exhaustive à l’échelle nationale ; toutes les institutions à l’échelle de certains
départements ; les revues musulmanes existantes ou disparues ; et les principaux sites
internet, et ce dans l’objectif à terme d’établir une typologie des leaders musulmans
en France et de procéder à une analyse des discours sur l’islam dans le contexte
français.
Ce groupe a poursuivi une enquête sur le renouveau du leadership musulman en
France initiée par J. Cesari, S. Bargach et D. Moore sur les villes de Paris, Marseille et
Toulouse, enquête qui avait dégagé trois figures du leader musulman qui ont émergé
en France au cours des dix dernières années : le leader paroissial qui inscrit
prioritairement son action dans l’espace local de la mosquée ou de l’association
islamique à l’échelle d’un quartier ou d’une ville, le leader bureaucratique qui appartient
à des fédérations nationales de l’islam français voire à des institutions de pays
musulmans comme l’Algérie ou le Maroc, enfin le leader mondialisé qui inscrit son
action dans des courants islamiques transnationaux, qu’il s’agisse de la mouvance
salafie ou des confréries soufies. Il convient de préciser que les positionnements d’un
même acteur peuvent changer ou se cumuler. En particulier, un leader mondialisé
bénéficie également d’un ancrage local tout en plaçant son action dans des réseaux
d’action transnationaux comme cela est le cas par exemple pour les leaders du
mouvement Foi et Pratique. La dimension charismatique peut concerner l’une ou
l’autre de ces figures et faire toute la différence en termes d’influence et de
représentation d’un acteur. Enfin les prédicateurs ou les conférenciers n’ont pas
nécessairement d’ancrage local et s’inscrivent plutôt dans la mouvance des leaders
mondialisés.
En termes de bilan, le groupe a réfléchi sur les différentes catégories d’acteurs
musulmans (directeur de centre islamique, responsable associatif, écrivain,
intellectuel, à partir du moment l’on peut repérer de leur part la production d’un
discours sur l’islam) et sur les lieux de production du discours sur l’islam français (la
mosquée, les médias (magazine), les lieux de formation islamique). Les enquêtes en
cours, principalement à Paris, Marseille et Bordeaux, ont permis d’interroger
plusieurs leaders reconnus pour leur rôle et leur stature théologique à l’intérieur de
l’islam français ainsi que quelques voix musulmanes laïques, féminines notamment.
Le groupe s’est également interrogé sur les critères qui font qu’un individu donné se
voit reconnu un rôle de leader : production d’un discours sur l’islam ? présence d’une
aura locale ? adoubement par les médias ?. Le dépouillement des magazines et le
recensement des instances de formation et de transmission de l’islam et des
matériaux pédagogiques utilisés n’a pu encore être réalisé mais reste un des objectifs
de travail du groupe.
Membres du programme
Chercheur CNRS : Jocelyne CESARI.
Post doctorants rattachés au GSRL : Sakina BARGACH, Moussa KHEDIMELLAH, Omero
MARONGIU.
Doctorants rattachés au GSRL : Alexandre CAEIRO, Elisa DIAMANTOPOULOU, Claire
GUÉRARD-NDIAYE, Louis HOURMANT, Sabrina PASTORELLI, Mallory SCHNEUWLY
PURDIE.
Principales publications en rapport avec le programme
CESARI, Jocelyne, L’Islam à l’épreuve de l’Occident, Paris, La Découverte, 2004.
——, When Islam and Democracy meet : Muslims in Europe and in the United States, New
York, Palgrave, 2004.
——, « Islamic Minority Rights in Europe and in the USA », The Legal Treatment of
Islamic Minorities in Europe, Roberta Allufi & Giovanna Zincone, éd., Leuven,
Peeters, 2004, p. 11-29.
——, « Islam in the West: Modernity and Globalization Revisited », Globalization and
the Muslim World, Culture, Religion and Modernity, Birgit Schaebler & Leif Stenberg,
éd., Syracuse, Syracuse University Press, 2004, p. 80-92.
——, « Les identités musulmanes en Europe et aux Etats-Unis : une perspective
comparative », L’Europe des Religions, Éléments d’analyse des champs religieux européens,
Richard Friedli & Mallory Schneuwly Purdie, éd., Berne, Peter Lang, 2004, p. 69-
93.
——, « Islam français : croyance et pratiques », Cites, hors série, Paris, PUF, 2004,
p. 401-410.
——, « Muslim Minorities in the West: The Silent Revolution », Modernizing Islam:
Religion in the Public Sphere in the Middle East and in Europe, John Esposito &
François Burgat, éd., Piscataway, Rutgers University Press, 2003, p. 251-269.
——, « l’Islam français : les pratiques », Cahiers de l’Orient, 71, 2003, p. 55-64.
——, « Questions de violence : Qu’en est-il de la ville ? », Raisons Politiques, 9, 2003,
p. 113-124.
——, « Islam in France: The Shaping of a Religious Minority », Muslims in the West,
from Sojourners to Citizens, Yvonne Yazbeck- Haddad, éd., Oxford, Oxford
University Press, 2002, p. 36-51.
——, éd., « Musulmans d’Europe », numéro spécial de la revue Cemoti, 33, 2002.
Thèse soutenue
Richard FILAKOTA, Les associations islamiques et le courant réformiste sunnite au sud du Sahara
à la fin du 20e siècle (1980-2000) : le cas de la Centrafrique, 1 juillet 2003, EPHE, sous
la direction de Jean-Paul Willaime.
Axe Religion et politique dans le monde musulman (responsable
Pierre-Jean Luizard)
Problématique
Initialement, le programme « L’islam en question » s’est constitué à partir du
constat que, à partir de 2001, plusieurs chercheurs du GSRL avaient pour terrain des
pays musulmans et/ou, pour objet de leur recherche, un aspect de l’islam dans des
pays à majorité musulmane : pays arabes du Moyen-Orient, Algérie, Afrique sub-
saharienne ou, dans un contexte minoritaire particulier, la Russie. Cependant, le
programme a consacré beaucoup d’efforts à résoudre les problèmes
épistémologiques liés à la pertinence du « monde musulman » comme thème de
recherche fédérateur. « Islam, démocratie, laïcité et questions d’identité », qui était le
thème commun retenu, a é remis en cause : plusieurs anthropologues du
programme proposant de remplacer le mot « islam » par « monde arabo-musulman »
du fait du nombre des chercheurs travaillant sur des sociétés à majorité musulmane,
mais sans avoir l’islam comme centre de leur problématique. L’intitulé finalement
retenu est « Religion et politique dans le monde musulman ». Il s’agissait notamment
de ne pas répondre à une demande politique « qui fait de l’islam, avec un grand I, un
fonds de commerce facile ». Finalement, il est apparu que le thème commun des
travaux interdisciplinaires (historiens, politologues, anthropologues) du programme
tournait autour de la question suivante : la séparation de la politique et de la religion
est-elle une idée colonialiste, ou à tout le moins introduite dans le contexte colonial ?
Fonctionnement et résultats
Outre son séminaire régulier, largement consacré aux questions épistémologiques
propre à l’approche de « l’islam » et du « monde musulman », et aux débats entre les
disciplines représentées parmi ses membres, le programme s’est attaché à rendre
compte publiquement de son questionnement entre politique, religion et colonisation
au travers de manifestations scientifiques d’importance croissante au cours des quatre
années. Une table ronde autour du thème « Les processus de sécularisation dans le
monde musulman » a été organisée le 9 octobre 2003. Cette manifestation a montré à
la fois la richesse du terrain et son éclatement, à la fois géographique et disciplinaire,
les perspectives anthropologiques privilégiant une vision « de l’intérieur » et celles des
historiens et politologues, « de l’extérieur » ne s’accordant pas aisément sur les
mêmes concepts permettant d’appréhender la sécularisation (notion « extérieure » s’il
en est) et le rapport entre religion et politique.
A partir de ce constat, le programme s’est orienté vers des manifestations plus
largement ouvertes vers l’extérieur, et les commémorations de la séparation des
Églises et de l’État en 1905 sont apparues comme la meilleure occasion de le faire. Il
a é cidé alors d’organiser un grand colloque international autour du thème :
« Colonisation, laïcité et sécularisation dans le monde musulman » (Paris, 22-25
novembre 2004 : annexe 2D). La question du rapport entre domination coloniale et
importation d’idéaux laïques et/ou sécularisés est en effet au cœur des
problématiques qui fondent aujourd’hui les questionnements sur l’islam. La
manifestation la plus éclatante de ce rapport est la politique religieuse de la France en
Algérie. L’utilisation (non prévue) par les musulmans de la loi de 1901 sur les
associations et la non-application de la loi de 1905 aux musulmans d’Algérie
montrent que la France républicaine et laïque s’avançait au nom de non-dits qui
firent que la majorité des musulmans n’étaient que « sujets français » les
chrétiens et les juifs avaient la citoyenneté française « naturellement ». Un musulman
ne pouvait devenir citoyen français, à moins d’abandonner ce qu’il considérait
comme « sa religion », c’est-à-dire le statut personnel coranique. Il faut rappeler que
le crime d’apostasie est puni de mort en islam, à plus forte raison dans un contexte de
confrontation politique et religieuse. Sous d’autres cieux, cela fait irrésistiblement
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