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Attention(s)à deux suicidés de la société":
Pasolini et Jocaste
L’Association genevoise Sturmfrei, fondée par Maya Bösch, s’engage aujourd’hui dans un
projet en dyptique"sur deux figures damnées": Pasolini et Jocaste. Un homosexuel et une
femme. Un assassiné et une pendue. Soit deux personnages auxquels colle particulièrement
bien l’expression - à la fois terriblement vague et terriblement accusatrice - forgée pour
Artaud": des suicidés de la société. Mais alors quelle société et quelle mort consentie"?
Pour aller vite, on pourrait avancer que Jocaste est victime de la crédulité grecque envers
l’ire des dieux, et Pasolini de la crédulité bourgeoise envers les codes de bienséance
sociale. Des deux côtés, un système de préjugés impose un destin tragique à qui est soudain
perçu comme un monstre.
Est ainsi posée, au-delà des mille différences de posture et du mystère bien particulier de
chaque figure, une commune désignation monstrueuse. Parenté du regard social sur Jocaste et
sur Pasolini, à deux mille cinq cents ans de distance, et pour des raisons qui relèvent dans
les deux cas de la doxa sexuelle"du moment: on ne couche pas mère avec son garçon, on ne
couche pas garçon avec des garçons.
L’appariement de ces deux «"personnages"» est aussi favorisé par le rapprochement des deux
auteurs qui s’en sont emparés aujourd’hui": Michèle Fabien pour Jocaste, Mathieu Bertholet
pour Pasolini (signalons qu’à vingt ans de distance - Jocaste est écrit en 1980 et sAnD en
2003 - c’est le même Marc Liebens qui passe commande à chacun de ces deux auteurs sur ces
monstres-là). Or, ce sont deux écrivains qui en appellent clairement à l’influence de Heiner
Müller dans la réécriture des mythes, dans cette manière de retraverser les histoires
anciennes en se les appropriant très librement": de la distorsion entre mythe d’origine et
texte contemporain, entre passé et présent, surgissent alors des intuitions sur la situation
actuelle de l’humain et sur la situation actuelle de l’écriture.