Revue mensuelle d'Asie du sud - Septembre 2015
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Lettre d’Asie du sud
Septembre 2015
Sommaire
Inde Le changement climatique : un frein aux ambitions agricoles indiennes
Pakistan Les régions agricoles du Punjab et du Sindh au défi de l'adaptation à un climat très chaud et
instable
Bangladesh Le riz, pilier de l'agriculture bangladaise, face à la montée des eaux
Sri Lanka A priori, des effets « neutres » sur les plantations et l'agriculture familiale
Afghanistan Un secteur fragile confronté au risque de la désertification
Népal A moyen terme des gains potentiels, à longue échéance le péril de la fonte des glaciers
Editorial Agriculture & changement climatique en Asie du sud
Les Etats d’Asie du sud figurent presque invariablement au sommet des classements internationaux évaluant la vulnérabilité
des pays face au dérèglement climatique. Pour l'Asian Developpement Bank (ADB), les risques liés au réchauffement climatique
auront des conséquences économiques significatives dans la région. Dans un rapport intitulé « Assessing the Costs of Climate
Change and Adaptation in South Asia » (juin 2014), l'ADB anticipe pour l’ensemble de la région une perte équivalente à 1,8% du
PIB en 2050 si le rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre est maintenu. Dans l'hypothèse d'un accord international
limitant l'augmentation des températures à 2°C, la zone connaîtrait tout de même un recul de 1,3% du PIB, compte tenu des
évolutions déjà en cours et de sa forte exposition au dérèglement climatique.
Ces projections pessimistes résultent pour une grande partie de la concentration de nombreux points de fragilité dans le
secteur agricole. D’une part, dans tous les pays de la zone, l'agriculture est peu résiliente aux chocs externes dans la mesure où
elle relève d’un modèle familial, souvent vivrier, s’appuyant sur de très petites exploitations. D’autre part, le dérèglement
climatique devrait affecter le potentiel de production agricole en raison de températures plus élevées qui pénaliseront les
rendements des cultures, d’une modification substantielle du régime des pluies et, pour les zones littorales, d’une élévation du
niveau de la mer qui réduirait la disponibilité en terres arables. Dans ce contexte, le changement climatique pourrait avoir un
impact sectoriel fort (baisse de production agricole, endettement des agriculteurs), susceptible de développer des effets de
bord macro-économiques (inflation alimentaire, déséquilibre de la balance commerciale) et politiques (insécurité alimentaire,
exode rural).
Face à ces menaces, chaque pays a adop des plans de lutte contre le changement climatique, qui se révèlent souvent
ambitieux sur le papier, mais décevants sur le terrain. Aussi, une nouvelle approche plus ciblée et opérationnelle apparaît
nécessaire pour moderniser les agricultures de ces pays et les préparer aux évolutions attendues du climat au cours du siècle.
La conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11
décembre 2015, devrait être de ce point de vue un moment clef pour favoriser cette prise de conscience et proposer des
options à même d’aider les Etats dans cette direction, qu’il s’agisse de moyens financiers ou d’initiatives pour une agriculture
plus durable et résiliente (notamment celles du Plan d’action Lima-Paris pour le climat).
Le SER de New Delhi
Revue mensuelle d'Asie du sud - Septembre 2015
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ASIE DU SUD Les agricultures face au
changement climatique
Selon l’Asian Development Bank, dans l’hypothèse d’un scénario «business as usual», le coût économique du
changement climatique pour l’Asie du sud s’élèverait à 1,8 % du PIB annuel en 2050, chiffre porté à 8,8% en 2100.
L’agriculture devrait être plus particulièrement affectée, alors qu’elle demeure un élément structurant de l’économie
des pays de la région, que ce soit en termes de PIB, d’emplois et de contribution aux exportations. En effet, face au
changement climatique, les secteurs agricoles de la zone partagent 3 points communs : une forte vulnérabilité, une
capacité d’adaptation limitée et un degré de préparation insuffisant à ce stade. Etat des lieux.
1. Des agricultures très exposées au changement climatique
L’Asie du sud sera très probablement l’une des régions du monde les plus affectées par le dérèglement climatique. Ce
constat se dégage des travaux de l’International Panel on Climate Change (IPCC). Il est également corroboré par l’index de
vulnérabilité établi par le cabinet Maplecroft, lequel classe les Etats sur la base de 42 critères déterminant leur exposition aux
risques liés au changement climatique. En 2011, le Bangladesh (1ère place), l’Inde (2), le Népal (4) et l’Afghanistan (8) figuraient
parmi les 10 pays les plus exposés à des risques climatiques sur un total de 170. Le Pakistan et Sri Lanka étaient également dans
le premier tiers du classement, respectivement au 16ème et 34ème rang.
Cette situation résulte de la combinaison en Asie du sud de plusieurs caractéristiques géographiques qui exposent plus
particulièrement cette région :
- un linéaire côtier considérable, long de 13 521 km, (du Pakistan au Bangladesh, en passant par l’Inde et Sri Lanka), qui devra
faire face à la montée progressive des eaux au cours du 21ème siècle ;
- la forte pendance à la mousson pour les apports pluviométriques (communs à tous les pays), alors même que l’évolution
du climat conduirait à un régime des pluies erratiques, marqpar la survenance plus fréquente d’inondations et de périodes
de sécheresses ;
- une très forte concentration de glaciers et un manteau neigeux d’une superficie considérable dans la chaîne de l’Himalaya
(Afghanistan, Pakistan, Népal, Inde, Bangladesh), qui risquent tous deux de se contracter au cours des prochaines décennies,
entraînant une modification majeure des bassins hydrographiques de l’Indus, du Gange et du Brahmapoutre ;
- des températures moyennes sur l’année élevées, particulièrement au Pakistan, en Inde et au Bangladesh, qui
pourraient, dans le cadre de l’élévation globale des températures, atteindre des seuils à partir desquels le veloppement
normal des cultures et de l’élevage serait compromis.
Ces quatre phénomènes, qui portent à la fois sur la disponibilité des terres fertiles, les ressources en eau et les rendements,
devraient avoir une incidence directe sur le potentiel agricole de la région, avec des intensités variables selon les pays. Avec
une altitude moyenne de moins de 10 mètres, le Bangladesh est-il ainsi plus directement concerné par l’élévation du niveau de
la mer, qui devrait amplifier les intrusions marines et la salinisation progressive d’une grande partie de la surface rizicole. Au
Pakistan comme en Afghanistan, le dérèglement de la mousson devrait probablement accentuer les zones arides. En Inde, de
même qu’au Pakistan, l'augmentation des températures réduiraient les rendements en blé et en riz, principalement en raison
du stress thermique. Certes, dans le même temps, la plus forte concentration de CO2 dans l'air devrait favoriser la croissance
des plantes. Mais cet effet positif ne semble pas de nature à contrebalancer les conséquences citées précédemment.
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Les projections sont moins pessimistes pour le Népal et le Sri Lanka. A moyen terme, le Népal devrait même bénéficier de
l'augmentation des températures, qui autoriserait notamment une amélioration des rendements et une extension des
surfaces cultivées dans les zones de collines. Mais à plus longue échéance, la fonte des glaces représente une menace
majeure susceptible de bouleverser en profondeur les différents écosystèmes du territoire népalais. Enfin, le changement
climatique pourrait se révéler « neutre » pour Sri Lanka, pays insulaire où il demeure néanmoins difficile d'évaluer
précisément les effets du dérèglement climatique en raison des nombreuses zones agro-climatiques.
2. La faible résilience des secteurs agricoles aux chocs économiques et aux aléas
climatiques
Quel que soit le pays, le changement climatique induira de manière quasi-certaine une évolution plus ou moins prononcée
des pratiques agricoles, qu'il s'agisse des périodes d'ensemencement, du choix des cultures, de la gestion de l'eau ou du
recours aux intrants (engrais et pesticides). Or en Asie du sud, les secteurs agricoles cumulent de nombreux points de fragilité
qui grèvent leur capacité d'adaptation. A l'exception des cultures de plantations et des régions héritières de la Révolution
verte (nord-ouest de l'Inde et Pakistan), l'agriculture familiale, établie dans des exploitations de petites tailles, constitue le
modèle prédominant (3 ha au Pakistan, 1,1 ha en Inde, 0,8 au Sri Lanka, 0,7 au Népal, 0,5 au Bangladesh). A cette
fragmentation du foncier, s'ajoute une faible pénétration de la mécanisation dans les campagnes, des rendements en-dessous
de la moyenne mondiale et, d'une manière générale, des revenus particulièrement bas, la part de la population sous le seuil de
pauvreté résidant majoritairement en zone rurale. Par ailleurs, les infrastructures de stockage et de transformation sont
déficientes, empêchant la constitution de filières qui consolideraient les débouchés pour les agriculteurs et généreraient de la
valeur ajoutée.
Dernière faiblesse structurelle, les efforts en matière de recherche et de développement au service de l'agriculture sont
notoirement insuffisants en Asie du sud. Une étude de l’Agricultural science and technology indicators, publiée en septembre
2012, démontre que l’Inde qui, pourtant dispose du plan grand réseau d’ingénieurs agronomes, a un niveau de dépenses dans
la R&D rapporté au PIB du secteur agricole (0,40%) inférieur à la Chine (0,50%) et au Brésil (1,80%). Selon cette étude, le
Pakistan (0,21) et le Népal (0,23) ont des ratios considérés comme les plus faibles chez les pays en voie de développement. Ce
retard en matière de R&D devrait préempter la faculté d'innovation nécessaire à l'identification des solutions à apporter au
dérèglement climatique.
Cet état des lieux est d’autant plus préoccupant que l'Asie du sud devra relever le défi majeur de nourrir 350 millions et plus
de 800 millions d'individus supplémentaires, respectivement à l’horizon 2030 et 2050 (par rapport à 2015). D’ores et déjà, la
région compte le plus grand nombre de personnes sous-alimentées dans le monde (280 M sur 795 M en 2015). De ce point de
vue, afin d’assurer la sécurité alimentaire de leur population, les pays d’Asie du sud sont confrontés au double impératif de
moderniser leur agriculture et d’anticiper les contraintes du dérèglement climatique.
3. Des actions de lutte contre le changement climatique sous-dimensionnées
Au cours des deux dernières décennies, l’Asie du sud a fait l’expérience d’évènements climatiques de grande ampleur, à
l’instar des inondations de 2010 au Pakistan, des cyclones qui frappent régulièrement le Bangladesh ou encore des sécheresses
en Inde (2002, 2009, 2012). A cet égard, les Etats ont déjà éprouvé la série de conséquences micro-économiques (baisse de
production, endettement des agriculteurs), macro-économiques (inflation alimentaire, déséquilibre de la balance
commerciale), et politiques (insécurité alimentaire, exode rural), qui peut en résulter. A la faveur du changement climatique,
cet enchaînement pourrait survenir de manière plus fréquente et plus aiguë.
Conscients de cet enjeu, les Etats d’Asie du sud ont adopté des plans d’action pour lutter contre le changement climatique à
leur initiative et /ou avec l’appui du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, plans d’action qui tous comportent
un volet agricole. Si ces programmes ont le mérite de poser les constats, ils ont pour défaut de ne pas être opérationnels,
d’une part, parce que les budgets requis ne sont pratiquement pas engagés, d’autre part, en raison de l’absence de suivi dans
la mise en œuvre des projets. Le Bangladesh fait figure d’exception compte tenu de la médiatisation de la menace pesant sur
ce pays et de l’afflux corrélatif de financements multilatéraux et bilatéraux. S’agissant du contenu des actions, qui sont
évidemment très variables selon les Etats, la volonde bâtir des stratégies complètes tenant compte de tous les aspects du
changement climatique sur l’agriculture a conduit à une dispersion des projets sans définir des axes prioritaires et structurants.
De fait, ces documents s’inscrivent dans une logique de catalogue d’options.
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Dernier trait commun, la plupart des plans d’actions se concentrent sur les mesures d’adaptation et négligent, hormis le
Pakistan, l’objectif d’atténuation et de réduction des émissions des gaz à effet de serre liées à l’activité agricole. Cet effort
n’est peut-être pas indispensable pour le Bangladesh, le Népal, l’Afghanistan, le Pakistan ou Sri Lanka. Néanmoins, dans ces
cinq pays, le changement d’affectation des sols se traduit par des émissions significatives, parfois supérieures à celles du
secteur agricole, ce qui souligne une dégradation inquiétante du couvert forestier et de la fonction « puits de carbone »
associée. En revanche, le niveau d’émissions de l’agriculture indienne mériterait certainement d’être inversé. En 2007, le
secteur agricole de l’Inde a émis 609 964 Gg eq CO2, soit un niveau supérieur aux émissions totales du Royaume-Uni (544 813
Gg en 2007). Mais, au nom de la sécurité alimentaire, l’Inde entend ne pas contraindre son agriculture et s’engager sur des
objectifs de réduction des émissions dans ce secteur.
***
L’interaction changement climatique / agriculture est au croisement de trois enjeux majeurs : la sécurité alimentaire,
la viabilité de l’activité agricole et, partant, la lutte contre la pauvreté. A conditions constantes, la capacité des pays
d’Asie du sud à relever ces défis est sujette à caution compte tenu des effets attendus du dérèglement climatique
dans la zone. A défaut, l’impact sur les paramètres macroéconomiques - rythme de croissance, inflation, balance
commerciale - pourrait être significatif à long terme, donnant crédit à l’estimation de l’Asian Development Bank.
L’inversion de cette tendance nécessiterait une approche résolument opérationnelle, un meilleur ciblage des actions
destinées à renforcer la résilience des secteurs agricoles et, bien sûr, un effort financier conséquent. A cet égard,
dans la perspective de la COP 21, les pays d’Asie du sud sont logiquement demandeurs d’un instrument financier
ambitieux et de dispositions favorables aux transferts de technologies.
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INDE Le changement climatique : un
frein aux ambitions agricoles indiennes
Alors que l'Inde devrait connaître, selon les projections de l'ONU, un pic de population à 1,7 milliard d'individus en
2060, ce pays risque d'être confronté au défi d'assurer sa sécurité alimentaire avec un secteur agricole affecté par
les effets du changement climatique. De ce point de vue, le dérèglement climatique ajouterait une difficulté
supplémentaire à l’objectif de développer et de moderniser l’agriculture indienne. Loin d'être nié, ce constat est bien
intégré par les autorités indiennes. Mais la stratégie élaborée en 2008, laquelle d’ailleurs passe sous silence les
aspects liés à l’atténuation des émissions du secteur, n’est en pratique pas mise en œuvre.
1. Place de l’agriculture dans l’économie de l’Inde
L’Inde est une puissance agricole de premier plan. Ce pays possède la 4ème surface agricole au monde et dispose du plus grand
cheptel bovin du monde avec 298,4 M de têtes. La grande diversité des conditions agro-climatiques offre un potentiel de
production tout au long de l’année d’une large variété de fruits, légumes et céréales. Il s’agit du premier producteur mondial de
lait, de protéagineux, de bananes et d’épices. L’Inde est au second rang pour le blé, le riz, le coton, le sucre, le thé ou les fruits et
légumes. De plus en plus présent sur les marchés mondiaux, ce pays est également le 1er exportateur mondial de riz, de viande
bovine et d’épices.
Un peu plus de 600 millions d’Indiens dépendent directement ou indirectement de ce secteur. Si la part de l'agriculture dans
le PIB est en baisse, passant de 30% en 1990-91 à 13,8% en 2014, l’agriculture reste le premier employeur du pays (54,6% des
actifs). La sécurité alimentaire demeure par ailleurs un enjeu crucial dans un pays comprenant près de 190 millions de
personnes en situation de sous-alimentation. L’Inde doit à cet égard nourrir 17,5% de la population mondiale avec moins de
4% des ressources mondiales en eau et 4% des terres agricoles. Pour y parvenir, des gains de productivité apparaissent
indispensables. Or les rendements sont faibles, la mécanisation peu développée et la taille moyenne d’exploitation très réduite,
à peine supérieure à 1 ha (1,16 ha en 2011). L’autre point de fragilité de l’agriculture indienne tient à sa dépendance à la
mousson, laquelle contribue en moyenne à 80% des précipitations annuelles.
2. Vulnérabilité aux effets du changement climatique
L’Inde sera certainement l’un pays des pays les plus affectés par le changement climatique dans la mesure son territoire
serait susceptible d’être impacté fortement par une mousson devenue moins régulière et des épisodes de sècheresse et
d’inondations plus aigus et plus fréquents. La période cente a d’ailleurs été marquée par une série de catastrophes naturelles
d’une grande ampleur : inondations dans l’Uttarakhand (juin 2013), cyclone Phailin (octobre 2013), grêles dans le Maharashtra
et le Madhya Pradesh (mars 2014), pluies diluviennes dans la partie nord-ouest du pays (mars 2015).
A conditions constantes, la capacité du pays à nourrir la population, laquelle comprendra 230 millions de personnes
supplémentaires en 2025, pourrait être abaissée par un recul de la production dans les principales filières. Aujourd’hui le seuil
limite de tolérance au stress thermique pour le blé et le riz respectivement 30 à 35°C et 35 à 38°C - est pratiquement atteint
en Inde. Dès lors, une hausse de 2°C devrait se traduire pour les cultivars actuels par une baisse des rendements comprise entre
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