Interview ABC Philippe Lévêque

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Les ABC, un outil d’aide à la décision pour les communes – Témoignage d’un phytoécologue, Philippe Lévêque – Préambule : Humanité et Biodiversité, avec sa fédération FNE, ont en 2010 obtenu de Chantal Jouanno, alors Secrétaire d'Etat à l'écologie, le lancement d'un programme des Atlas de Biodiversité Communale. L'idée des ABC telle que nous la défendons c'est de diagnostiquer les enjeux biodiversité sur la commune afin d'assurer leur prise en compte dans les décisions d'aménagement voire de gestion. La démarche initiée par le Ministère est, à ce stade, une opération pilote qui par ailleurs en cette année 2012 est plutôt en panne. Mais le concept reste pour nous essentiel et clef comme va vous l'exposer cet interview de Philippe Lévêque, membre du comité d’orientation de l’association, phytoécologue et praticien de ces ABC dans diverses communes lancées dans la démarche de leurs propres initiatives. Ces propos sont là pour inciter au débat. Les politiques de protection de la nature sont déjà saturées par de nombreux dispositifs aux noms compliqués. Qu’apportent de nouveau les ABC ou atlas de la biodiversité communale ? Personnellement, c’est ma pratique professionnelle au travers des études d’impact que je réalise depuis plus de 20 ans qui m’a amené à cette idée. L’étude d’impact peut être parfois un bon dispositif mais présente deux inconvénients majeurs. Tout d’abord, l’étude d’impact arrive en bout de course, quand les décisions d’aménagement sont prises au niveau des documents d’urbanisme. A ce stade, on ne peut plus modifier grand‐chose sauf remettre en cause tout le projet, ce qui est rarement le cas excepté parfois lors de contraintes réglementaires fortes comme la découverte d’espèces protégées. Dans le cas contraire, le projet est réalisé souvent sans que l’application des mesures préconisées dans l’étude d’impact soit suivie par l’administration, cette dernière se mobilisant davantage sur les projets « emblématiques », à forte pression citoyenne. La biodiversité devient alors une contrainte pour les élus et les acteurs économiques, c’est quelque chose de très négatif. Et puis les questions de conservation sont noyées dans un débat polémique opposant les « pour » et les « contre », peu propice à la prise de décisions efficaces pour la biodiversité. Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr Par ailleurs, les études d’impact ne prennent en compte qu’une partie infime des dommages subis par la biodiversité, la grande majorité des atteintes se faisant sans qu’aucun diagnostic n’ait été effectué : la biodiversité meurt avant tout du silence. Donner une information fiable et précise en amont des décisions d’aménagement sur les enjeux biodiversité des territoires, c’est pour moi le préalable indispensable pour réduire notre empreinte écologique sur les écosystèmes. Quelle est l’articulation des ABC avec la Trame verte et bleue (TVB), le grand projet biodiversité issu du Grenelle de l’environnement ? Et avec la nature dite ordinaire ? Les ABC, c’est la TVB ! Du moins c’est comme cela que nous l’entendons et que nous l’avons défendu avec l’association Humanité et Biodiversité. Les ABC permettent non seulement d’alerter sur un enjeu de manière précise et au bon moment, mais aussi d’intégrer ce que l’on appelle les « fonctionnalités écologiques » et notamment le besoin des espèces à se déplacer et échanger génétiquement. Il faut rappeler que plus de 95 % des espèces fonctionnent sur des continuités écologiques dites en archipel ou en pas japonais. Les espèces ont parfaitement la capacité de « sauter » d’île en île à travers des territoires qui ne leur sont pas propices. La fonctionnalité de trame écologique est alors dépendante de la densité d’îles favorables, la connectivité diminuant avec la distance. Le territoire est parcouru par différentes trames fonctionnelles, intégrant des espèces précises qui vont rechercher les mêmes habitats : trame des mares, trame des pelouses calcicoles dans une vallée, trame des landes dans un massif forestier… Ces trames fonctionnelles sont constituées des habitats qui régressent le plus, il y a à peu près équivalence avec les habitats d’intérêt communautaire définis par la « Directive habitats » et sont fondamentaux pour plus de 90 % des espèces. C’est pour moi la priorité des ABC. Ce qui ne veut pas dire que l’on peut tout faire dans la « matrice » présente entre ces îles qui correspond à l’appellation floue de « nature ordinaire ». Mais d’abord l’échelle ne sera pas la même : détruire 500 m² sur une chênaie‐charmaie homogène de 500 ha aura un impact très faible, détruire 500 m² sur une pelouse calcicole de 2000 m² aura un impact important. Ensuite les impacts importants en terme de superficie et donc susceptibles de toucher la nature ordinaire ou matricielle sont déjà traités par les études d’impacts. Les atteintes comme la réduction des surfaces boisées ou des terres labourables sont bien contrôlées, réduites et compensées dans un rapport souvent de 2 pour 1 pour les surfaces boisées. Ces impacts sont bien pris en compte parce que c’est la préoccupation centrale des représentants des agriculteurs et des forestiers, lobbies puissants et bien organisés. Au final le différentiel de prise en compte entre la nature ordinaire et les trames écologiques spécialisées induit concrètement une amplification quasi systématique de l’impact des aménagements sur ces dernières. Les remembrements connexes des projets et les reboisements compensatoires se font principalement sur des espaces à faible rentabilité comme les prairies humides, les coteaux calcaires ou les landes qui sont les éléments essentiels des trames spécialisées. Je parle bien sûr de rentabilité économique immédiate, sans prendre en compte la fourniture d’aménités, élément clé d’une économie verte (vraiment verte et non « greenwashée ») pour laquelle ces écosystèmes ont bien souvent Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr une valeur supérieure aux espaces économiquement plus productifs. Les zones humides naturelles contribuent plus à la biodiversité, à l’épuration des nappes et à la réduction des impacts des crues que les plantations de peupliers. Pourtant, ceux‐ci ont été massivement plantés le long de la LGV Paris‐Tours sur les prairies humides de la vallée du Loir longeant le tracé, au prétexte de la compensation des espaces déboisés ailleurs. Quelle absurdité !. Il faut arrêter de dire que la nature ordinaire doit être mieux prise en compte, elle est déjà très bien prise en compte, bien mieux que la nature spécialisée ! Les indicateurs que sont les listes rouges le démontrent. Le système des listes rouges est également conçu pour être un système de veille. En effet, les espèces et les espaces étiquetés aujourd’hui « nature ordinaire » ou « nature non menacée » (appellation qui répond à une définition objective) qui seraient amenés à « décrocher », sont repérés bien avant que la situation ne devienne réellement inquiétante. Pour en revenir aux ABC, la priorité est donc de repérer le plus exhaustivement possible les « îles » grandes ou petites impliquées dans ces trames fonctionnelles pour les préserver, voire les restaurer quand c’est possible. Quant à la traduction nationale de la TVB ce sont actuellement les schémas régionaux de cohérence écologique que les DREAL et les régions sont en train de concevoir pour la fin de 2012. Ce dispositif présente à mon sens des handicaps méthodologiques rédhibitoires. D’abord l’échelle. Ces schémas seront au 1/100 000e, échelle totalement inadaptée à l’intégration de la biodiversité dans les documents d’urbanisme qui demande une cartographie au 1/10 000e voire au 1/5 000e. Conséquence de ce choix méthodologique, en Haute‐Normandie où le SRCE en est au stade des ateliers de travail, il a été décidé de ne retenir les noyaux de biodiversité, les « cœurs de nature » que la TVB est censée connecter qu’à partir du moment où ils représentent au moins 50 ha. Matériellement, il est impossible de faire autrement : 50 ha représentent au 1/100 000e un carré de 7 mm sur 7 mm, on ne peut pas dessiner quelque chose de plus petit, c’est illisible. Ecologiquement, cela veut dire qu’aucune mare ne sera prise en compte comme noyau de biodiversité et une proportion très faible des zones humides, des landes ou des pelouses calcicoles, quasiment tous les poids lourds de la biodiversité régionale. Et puis la superficie ne peut être utilisée comme unique facteur de sélection : une pelouse calcicole de 10 ha en parfait état de conservation, très riche en espèces menacées et située dans une zone où cet habitat est peu représenté ne constitue pas un enjeu inférieur à une pelouse de 50 ha en mauvais état située dans un secteur où cet habitat est abondant assurant une bonne connectivité. Une solution est proposée pour contourner le problème consistant créer des noyaux de biodiversité incluant les habitats spécialisés et leur matrice. On revient à ce qu’on fait depuis 35 ans avec les ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique, floristique ou faunistique) avec en plus une perte de précision, les ZNIEFF étant cartographiées au 1/25 000e ,ce qui permet la prise en compte d’espaces de quelques hectares seulement. De plus, l’idée qu’il existe des grandes continuités, des « autoroutes de la biodiversité » qui permettraient à toutes les espèces de se disperser et d’échanger est une vue de l’esprit. Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr Chaque trame fonctionnelle a son réseau spécifique et le territoire est plus un enchevêtrement de trames qui se croisent et se superposent sans se mélanger. Il existe quelques continuités majeures que sont le littoral et les grandes vallées alluviales parce que plusieurs trames fonctionnelles utilisent ces continuités, mais sur le reste du territoire on est sur des réseaux plus ou moins densément maillés de connexions fines, impossibles à cartographier à l’échelle du 1/100 000e. Les « grandes continuités » issues des SRCE seront donc réductrices, lacunaires et plus ou moins arbitraires. Enfin, les informations de base seront celles déjà répertoriées dans les inventaires officiels, la nature reconnue : sites Natura 2000, aires protégées et ZNIEFF, qui ne sont pas des espaces protégés mais qui constituent le réseau actuellement le plus large des espaces reconnus comme enjeux. Or, il ne m’est jamais arrivé de travailler sur une commune sans découvrir au moins un habitat ou une espèce dit « déterminant de ZNIEFF », qui est le critère et le seul devant être pris en compte pour constituer le réseau. Dans la majorité des cas, l’ABC modifie complètement la donne comme sur Maurepas dans les Yvelines : zéro enjeu d’après l’inventaire ZNIEFF et encore moins d’espaces protégés avant l’ABC. Mais ce dernier a permis de mettre en évidence quatre habitats déterminants de ZNIEFF comme les landes humides et les boisements alluviaux, une demi douzaine d’espèces déterminantes comme le Râle d’eau et le Rougequeue à front blanc et même une découverte majeure, le Zygène de la Carniole, un papillon considéré comme disparu dans le département et extrêmement menacé en Ile‐de‐France. Sans l’ABC, tous ces espaces non repérés seraient passés à la trappe du SRCE. Les communes dont les richesses écologiques seront sous‐évaluées voire complètement négligées via le SRCE seront majoritaires. J’estime que les SRCE s’apparentent à un nouvel inventaire ZNIEFF, toujours aussi lacunaire que les précédents, avec une régression au niveau du degré de précision et que l’on combine avec quelques continuités plus ou moins arbitraires. Il est fort peu probable que cette méthode très proche de ce que l’on fait depuis 35 ans change significativement quelque chose à la crise de la biodiversité. Par contre, ils auront deux effets pervers : créer un nouveau référentiel administratif et complexifier un peu plus la jungle réglementaire nationale censée nous permettre d’aménager rationnellement le territoire. Avec plus de 40 dispositifs différents de protection de la nature, la France est championne du monde de la complexité et l’état de la biodiversité nationale n’est pas meilleur qu’ailleurs ! Et puis ils vont favoriser le rejet du dispositif TVB par les acteurs socio‐économiques. Il n’y a en effet rien de mieux pour lancer une cabale que de diffuser des cartes imprécises et mal argumentées. L’Etat refait sur ce point exactement la même erreur qu’au moment de la mise en place de Natura 2000, Comment procède‐t‐on pour réaliser un ABC ? Il faut toujours garder en tête l’objectif de l’ABC : donner à la commune une information qui va l’aider à intégrer la biodiversité dans ses choix d’aménagement ou de gestion. Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr L’ABC est avant tout un diagnostic. Il s’agit de localiser les zones à enjeux sur le territoire communal en inventoriant un certain nombre de groupes indicateurs : les habitats naturels en tant que tels (landes, pelouses calcicoles, marais, mares,…), les plantes vasculaires, les Vertébrés et 3 groupes d’Invertébrés suffisamment bien connus et considérés comme de bons bioindicateurs des trames écologiques fines : les Orthoptères (criquets et sauterelles), les Odonates (libellules) et les Lépidoptères rhopalocères (papillons de jour). L’utilisation simultanée de ces différents indicateurs montre qu’ils permettent un bon repérage des espaces à enjeux. Très peu de milieux naturels abritant des enjeux pour d’autres espèces passent entre les mailles de ces filtres si le travail naturaliste d’inventaire est bien réalisé sur ceux‐ci. Bien sûr, il est toujours possible d’ajouter des espèces menacées d’autres groupes. Par exemple, l’Escargot de Quimper, espèce endémique du sud‐ouest du Finistère, semble un passage obligé pour l’ABC de l’agglomération quimpéroise. La méthodologie et les inventaires à effectuer sont à adapter en fonction du contexte local. Par ailleurs, les points noirs écologiques de la commune sont également notés et cartographiés telle, par exemple, la présence d’espèces exotiques envahissantes ou celle de décharges sauvages. A partir de ces données collectées, on établit une hiérarchisation des espaces. Certains abritent des espèces ou des habitats considérés comme menacés par les référentiels scientifiques comme les listes rouges nationales et régionales, ces dernières souvent plus pertinentes sur un territoire aussi hétérogène que la France. Si on aménage inconsidérément les espaces jouant un rôle pour ces espèces, on aggrave leur situation à une échelle supérieure à la commune, soit en leur faisant perdre une « île » dans leur trame écologique, donc en fragilisant la connectivité des populations, soit en détruisant une partie des populations d’espèces fragilisées. C’est une responsabilité de la commune de maintenir ces populations et leurs connectivités, voire d’améliorer leur situation. D’autres espaces ne recèleront aucun habitat ou espèce menacés. Ils correspondent à ce que l’on nomme souvent nature ordinaire qui est déjà bien prise en compte comme je l’ai expliqué. Ils seront qualifiés d’enjeu local. Bien sûr, je recommande aux communes de se préoccuper prioritairement des espaces d’enjeu supra communal plutôt que des enjeux locaux : c’est là que se concentrent les espèces à risque et les potentialités écologiques. Pour les milieux d’enjeu local, les conditions écologiques inhérentes font que même avec une gestion favorable, la probabilité que l’espace accueille des espèces rares ou menacées est beaucoup plus faible. Un exemple : le bord de route Je vais prendre l’exemple d’une berme, c'est‐à‐dire un bord de route en plaine cultivée : la végétation y est réduite à un petit nombre d’espèces comme l’Ortie, le Gaillet gratteron, la Berce ou l’Anthrisque, espèces opportunistes à fort dynamisme qui bénéficient de sols saturés en azote et qui sont capable de résister au passage des herbicides. Si ce bord de route est détruit par un élargissement de la voirie, ces espèces n’auront aucune difficulté à coloniser la nouvelle berme, elles ont de populations abondantes à proximité. La Piéride du navet qui pond sur les colzas en bordure des cultures n’aura pas non plus de difficultés à utiliser la nouvelle berme. Ainsi il n’y aura pas d’impact significatif à sa destruction et aussi Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr peu d’impacts en cas d’amélioration : une diminution des phytosanitaires ne modifiera pas les conditions écologiques qui resteront toujours favorables aux mêmes espèces très concurrentielles et la probabilité qu’une espèce menacée puisse utiliser cette berme est très faible. De plus cette éventuelle réduction échappe à la commune et à l’aménagement du territoire. Il est inutile ici de demander à un maire de faire quelque chose pour laquelle il n’a aucun pouvoir. Si ma route entaille un peu plus loin une vallée creusée dans des calcaires, le bord de route restera un bord de route pour le néophyte. Mais pour l’écologue tout change : la flore est totalement différente et ce sont les espèces caractéristiques de la pelouse calcicole qui dominent comme le Brachypode penné ou le Brome dressé. Même si cette pelouse en situation de berme est peu diversifiée, ces deux graminées permettent au Demi‐deuil, un papillon menacé en Ile‐de‐France et en régression généralisée de se reproduire, des réseaux denses de petits milieux de ce type permettant à certaines vallées de maintenir des populations importantes de cette espèce. Mais le plus souvent ce bord de route va abriter beaucoup plus d’espèces que celui situé en plaine agricole : on va facilement trouver plus de 50 espèces végétales sur 100 m de linéaire, alors que sur celui situé en grandes cultures va difficilement dépasser les 15 espèces. De plus ces pelouses calcicoles en situation de bermes sont des zones refuges pour certaines espèces comme l’Orchis singe, une orchidée qui a beaucoup régressé en raison de l’embroussaillement des pelouses et pour laquelle la gestion des bords de route est plus favorable, même sans fauche tardive. Elles peuvent aussi abriter de petites populations stables d’espèces animales comme la Mante religieuse ou le Lézard vert. Toute cette communauté vivante est liée aux conditions du sol, peu épais et caillouteux mais avec quand même une couche d’humus. Sa formation résulte d’un processus long, qui a pris des dizaines d’années voire des siècles. Ainsi, si on détruit ce bord de route‐là, on affecte une communauté vivante particulièrement diversifiée qui a fortement régressé (les pelouses calcaires ont subi une régression supérieure à 50 %, voire supérieure à 80 % dans plusieurs régions, ce qui affecte forcément leurs fonctionnalités écologiques et les capacités d’échange des très nombreuses espèces qui leur sont inféodées) et cette destruction aura un effet durable voire irréversible du fait des caractéristiques du sol. L’impact sera donc important et dans la démarche ABC il est essentiel d’indiquer à la commune qu’un éventuel élargissement de voirie à cet endroit serait préjudiciable, et ceci le plus en amont possible afin qu’elle l’intègre à son Plan local d’urbanisme (PLU). Par ailleurs, si la commune veut améliorer sa gestion des bords de route pour favoriser la biodiversité, je lui conseillerai d’agir prioritairement sur la pelouse calcicole et sur d’autres espaces comparables s’ils existent. Et je recommanderai d’aller plus loin que la simple fauche tardive en ramassant les herbes fauchées : leur maintien étouffe les espèces les plus fragiles. Cela coûte cher, le ramassage étant le plus souvent manuel, c’est irréaliste de l’envisager sur l’ensemble des bords de route de la commune mais sur quelques centaines de mètres, c’est jouable. De plus, avoir une gestion optimale sur des espaces à fort potentiel aura beaucoup plus de chances de générer un bénéfice écologique, c'est‐à‐dire d’améliorer la situation d’espèces menacées, plutôt que d’instituer une simple fauche tardive sur tous les bords de route de la commune, ce qui peut favoriser des espèces exotiques envahissantes et faire plus de mal que de bien. Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr Il ne faut surtout pas penser que cette démarche aboutit à un élitisme avec des communes à enjeux et des communes « ordinaires ». Bien que je travaille beaucoup en Ile‐de‐France, région considérée globalement comme de la « nature ordinaire » (et ce même si la biodiversité est bien plus menacée actuellement dans les régions de plaines par rapport aux montagnes ou au domaine méditerranéen), je n’ai jamais rencontré une commune dépourvue d’enjeux supra‐communaux. La nature extraordinaire est partout, c’est sa densité qui varie : des communes auront moins de 5 % de leur territoire en enjeu supra‐
communal, d’autres 80 %, et ce même en régions de plaines et en secteur périurbain. Comment est reçu ce diagnostic dans les communes ? Excellemment. A la base, les communes qui sont volontaires pour entrer dans la démarche ABC ont déjà fait quelque chose pour la biodiversité. Grâce à l’impulsion de leurs élus et techniciens, elles ont souvent déjà adopté plusieurs mesures génériques comme la proscription des phytosanitaires, la gestion différenciée des espaces communaux et des actions ponctuelles allant de la pose de nichoirs à l’aménagement d’une prairie favorable aux insectes pollinisateurs. Les communes et les communautés de communes françaises sont actuellement parmi les acteurs les plus actifs dans l’appropriation de l’enjeu biodiversité, mais elles sont souvent un peu perdues dans la jungle des informations qui circulent, des dispositifs et des réglementations. L’ABC, c’est simple, c’est stratégique et c’est concret. Les équipes municipales s’intéressent à l’ABC dans une phase de réflexion sur l’avenir du territoire, notamment dans le cadre de la révision de leurs documents d’urbanisme. Dans ce contexte, elles sont très réceptives à la notion de responsabilité environnementale. Rien à voir avec l’état d’esprit qui prévaut dans une étude d’impact où les découvertes des naturalistes signifient avant tout que leur ZAC et les années de travail de montage de leur dossier risquent de partir en fumée ! L’ABC, c’est l’outil pour passer à la vitesse supérieure avec une vision stratégique de la biodiversité sur un territoire où elles ont le pouvoir de faire bouger les choses. Pour faire adhérer les acteurs et les habitants à la démarche, il faut montrer les enjeux, expliquer pourquoi ils sont là, faire comprendre la structuration écologique du territoire. Emmener le conseil municipal en safari sur sa commune ou faire des réunions publiques est essentiel. Les gens sont fascinés de découvrir qu’il y a à deux pas de chez eux un petit crapaud dont le mâle prend soin de ses œufs en les enroulant sur ses pattes arrière ou que pousse la Myrtille qu’ils associent à des espaces lointains. L’ABC c’est aussi une partie de l’archéologie du paysage, on retrouve les traces, parfois infimes, mais suffisantes pour indiquer des usages anciens. Il raccroche la commune à son histoire. La population adhère très bien, ce qui permet de passer rapidement à des actions dont le résultat sera significatif sur la biodiversité. Un bon exemple est la mise en place d’un plan de veille sur les espèces végétales exotiques envahissantes. Les habitants qui détectent des « aliens » indésirables signalent leur localisation aux services techniques qui interviennent. Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr Et à présent ? A l’origine, ce sont des Parcs Naturels Régionaux qui les premiers ont appliqué le dispositif. Puis, on est passé au volontariat. Depuis cette année, la région Ile‐de‐France a décidé de subventionner les ABC en prenant en charge la majeure partie du diagnostic. De grandes fédérations régionales comme Nature Centre s’investissent directement sur leur réalisation. Tout ceci se fait sur la base du volontariat, sans réelle coordination nationale, sans obligation réglementaire vis‐à‐vis des documents d’urbanisme mais c’est finalement plus créatif. A moyen terme, un système de péréquation financière est nécessaire au niveau national ou au sein des régions et entre les régions elles‐mêmes, le volume financier n’est pas insurmontable : équiper les 36000 communes de France d’un ABC coûte l’équivalent de quelques dizaines de kilomètres de LGV. La vraie limite, ce sont les compétences. Les naturalistes compétents ne sont pas légion, et le développement des formations naturalistes est un engagement Grenelle resté au fond du puits. Et puis, bien sûr, il faudra que Humanité et Biodiversité continue son action de lobbying pour que l’Etat s’implique vraiment dans le dispositif et que l’on aboutisse à terme à une obligation de maintenir voire de restaurer les continuités essentielles, mais pour cela il faut avant tout disposer de diagnostics fiables. Dans cette perspective, quel peut être le rôle d’un adhérent de Humanité et Biodiversité ? Tout d’abord, vous pouvez suggérer à votre maire de se pencher sur la question, surtout dans les régions où il peut recevoir des subventions. Ensuite, vous pouvez vous impliquer dans le diagnostic si vous avez des compétences naturalistes ou dans les actions de mise en œuvre de mesures découlant du diagnostic de l’ABC. En effet, toutes les bonnes volontés sont à prendre et particulièrement dans les petites communes ! Enfin vous pouvez vous émerveiller en partant à la découverte des trésors cachés de votre territoire… Volontaires, n’hésitez pas à rejoindre la communauté de ce site pour échanger et petit à petit devenir des ambassadeurs des ABC ! Philippe Lévêque, phytoécologue Ce texte a été publié sur le site www.humanite‐biodiversite.fr 
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