124, juin 2005
S121
LES ONYCHOMYCOSES DES PIEDS :
UN SUJET D’ACTUALITÉ
M.N. VOGELEER,
J.M. LACHAPELLE
Correspondance :
Docteur Marie-Noëlle Vogeleer
Service de Dermatologie
Cliniques Universitaires Saint-Luc
Université Catholique de Louvain
Avenue Hippocrate, 10 - 1200 Bruxelles
RÉSUMÉ
L’onychomycose des pieds est un problème d’actualité. Un trai-
tement local isolé par amorolfine (Locéryl®) n’est indiqué que
dans des formes limitées de l’affection. Le traitement est dans la
plupart des cas systémique (associé ou non au traitement local).
Trois molécules sont actuellement disponibles : la terbinafine
(Lamisil®), l’itraconazole (Sporanox®) et le fluconazole
(Diflucan®). Leurs caractéristiques respectives sont détaillées. La
collaboration d’un podologue est souhaitable, pour assurer l’a-
brasion des parties d’ongle effritées.
Traiter l’onychomycose chez le patient diabétique ou immuno-
déprimé est particulièrement important en raison du risque
accru de complications bactériennes (érysipèle, cellulite infec-
tieuse). C’est une règle qu’il convient d’appliquer et qui fait
aujourd’hui partie de la stratégie adoptée lors des consultations
multidisciplinaires du pied diabétique.
INTRODUCTION
Les infections fongiques des ongles sont fréquentes. La préva-
lence croissante est liée à plusieurs facteurs : vieillissement de la
population ; fréquentation des piscines, saunas, salles de sport ;
accroissement des cas de déficits immunitaires (notamment induits
par des médicaments).
Rare chez l’enfant, fréquente chez l’adulte, l’onychomycose
atteint avec prédilection les personnes âgées avec une certaine pré-
pondérance masculine.
La prévalence de l’onychomycose en Europe Occidentale serait
de l’ordre de 2 à 3% de la population adulte.
Les onychomycoses ne sont pas qu’un désagrément esthétique.
Elles peuvent être à l’origine de complications infectieuses redouta-
bles, en particulier chez le patient diabétique.
L’intérêt actuel porté à cette affection va de pair avec l’avène-
ment, il y a quelques années, de nouveaux antimycosiques admi-
nistrés par voie générale permettant une prise en charge raisonnée
du problème… Cet article s’attache particulièrement aux onycho-
mycoses des pieds, en raison de leur fréquence et
des problèmes spécifiques qui leur sont liés.
En Grande–Bretagne, des directives (" guideli-
nes ") thérapeutiques ont été tracées, sous l’égide
de la British Association of Dermatologists.(1)
Elles correspondent tout à fait à la stratégie adop-
tée en Belgique en la matière.
AGENTS RESPONSABLES
Les dermatophytes (T. rubrum, T. violaceum,
T shoenleinii, E. floccosum…) représentent les
champignons les plus souvent impliqués dans les
onychomycoses.
Plus rarement on retrouve des levures ou des
moisissures, soit comme agents contaminants
secondaires (exemple de levure opportuniste :
Scopulariopsis brevicaulis) soit comme germes
directement responsables de l’infection.
Les dermatophytes se rencontrent préférentiel-
lement dans un environnement chaud et humide
(par exemple : douches, vestiaires, chaussures).
Parmi les facteurs qui favorisent leur dévelop-
pement il convient de distinguer les facteurs
locaux (troubles trophiques et circulatoires, mal-
position des orteils), et généraux (déficits immu-
nitaires, diabète ), des facteurs comportementaux
(profession , mode de vie, pratique sportive). Tous
ces facteurs, isolés ou cumulés, entraînent une
invasion, puis une prolifération du dermatophyte
dans le tissu unguéal.
CLINIQUE
Les onychomycoses peuvent être primaires ou
secondaires selon qu’elles atteignent un ongle
préalablement sain ou déjà altéré. Tous les ongles
peuvent être atteints mais le gros orteil est de loin
le plus souvent concerné.
Lorsqu’on envisage le problème de l’onycho-
mycose des orteils, on distingue 4 variétés topo-
graphiques dépendant de la voie de pénétration
de l’agent causal.
1. La variété la plus fréquente est l’onychomy-
cose sous-unguéale disto-latérale (Fig.1).
Le champignon pénètre sous l’ongle, affecte
l’hyponychium puis la tablette inférieure de l’on-
gle. Le lit de l’ongle réagit à l’invasion, devient
hyperkératosique et entraîne un décollement de la
tablette unguéale. L’envahissement mycosique se
fait ensuite progressivement vers la région proxi-
male.
2. La variété sous-unguéale proximale (Fig.2)
est plus rare. Les lésions apparaissent sous le
repli proximal sous forme de zones blanches
et s’étendent vers la région distale de l’on-
gle. On la retrouve plus fréquemment chez
des patients à risque : diabétiques, immuno-
déprimés, mais elle peut par ailleurs se
retrouver chez des sujets sains, exempts de
tout problème de santé..
3. Une variété superficielle, caractérisée par
une attaque fongique de la face dorsale de la
tablette, se manifeste sous la forme de petits
îlots blancs, opaques, situés en surface de
l’ongle et s’effritant au grattage (Fig.3).
4. La quatrième variété est l’onychomycose
totale dystrophique, généralement secon-
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Figure 1 – Onychomycose sous-unguéale disto-latérale.
Figure 2 – Onychomycose sous-unguéale proximale.
daire à la progression des formes précéden-
tes non traitées. Une coloration jaunâtre
indique la présence de levures opportunistes
(Fig.4).
Les onychomycoses à candida, caractérisées par
une destruction unguéale à topographie proxima-
le associée à un gonflement du pourtour de l’on-
gle (périonyxis) sont exceptionnellement obser-
vées aux pieds, tandis qu’elles sont classiquement
rencontrées aux doigts. Elles ne sont donc pas
envisagées dans la présente revue.
DIAGNOSTIC
Les principaux diagnostics différentiels sont
l’onychodystrophie post-traumatique ou liée aux
troubles circulatoires ou encore le psoriasis des
ongles.
L’examen mycologique permet de confirmer le
diagnostic d’une part et d’adapter la conduite thé-
rapeutique d’autre part. Il est indispensable de le
réaliser avant d’entreprendre un traitement spéci-
fique long et coûteux.
C’est une règle absolue vis-à-vis de laquelle il
ne convient pas de transiger.
Le prélèvement unguéal est facile à obtenir. Il
se fait à l’aide d’une curette, d’un scalpel ou d’un
coupe-ongle. Idéalement, il doit comporter un
morceau de lamelle unguéale, ainsi que du maté-
riel friable sous-unguéal.
L’examen direct consiste à ajouter une goutte
d’hydroxyde de potassium (KOH à 20%) au maté-
riel recueilli afin de visualiser les filaments der-
matophytiques. Dans certains laboratoires, on y
ajoute de l’encre bleu noir Parker pour visualiser
en bleu les filaments dermatophytiques et les
levures.
La mise en culture du matériel prélevé (milieu
de Sabouraud) permet d’identifier spécifiquement
le micro-organisme causal, mais demande un
délai de 3 à 4 semaines.
Si la microscopie directe et les cultures sont
négatives et que l’indice de soupçon clinique reste
élevé, il faut répéter les cultures. Si ces dernières
demeurent négatives, on peut demander une
étude histopathologique d’une languette unguéa-
le avec coloration par l’acide périodique-Schiff
(PAS). Cet examen histomycologique peut être
demandé d’emblée, lors de la première visite.
COMPLICATIONS
Bien qu’elle ne comporte pas de risque vital,
une onychomycose peut entraîner certaines com-
plications.
En l’absence de traitement l’onychomycose des
ongles des doigts ou des orteils peut :
Entraîner des douleurs, une gêne, un
inconfort.
•Causer des dystrophies unguéales perma-
nentes (surtout chez la personne âgée ).
Rendre difficile le port de souliers ou de bas.
•Contaminer d’autres parties du corps ou
d’autres membres de la famille.
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Figure 3 – Onychomycose superficielle caractérisée
par de petits îlots blancs, opaques,
situés en surface de l’ongle.
Figure 4 – Onychomycose totale dystrophique.
La coloration jaunâtre indique la présence de levures
opportunistes.
Peut servir de porte d’entrée à des bactéries
pouvant entraîner des complications sévères,
essentiellement un érysipèle, une cellulite
infectieuse ou une ostéomyélite.(2)
Il va de soi que l’onychomycose est souvent
associée à un pied d’athlète mycosique (tinea
pedis).
DIABÈTE ET ONYCHOMYCOSE
Il ressort de plusieurs études (3,4) que la pré-
valence de l’onychomycose est plus élevée dans la
population diabétique que dans la population non
diabétique.
Le risque serait de 2,77 fois plus élevé pour un
patient diabétique d’être atteint de cette infection
fongique (3). Le patient diabétique est également
plus à risque de développer une complication bac-
térienne (érysipèle ou ostéomyélite) au départ
d’une onychomycose (2). L’onychomycose est
ainsi à l’origine de certaines complications sévères
du pied diabétique. La raison de ce risque accru
réside dans le fait que le patient diabétique, en
particulier le patient âgé, est atteint de neuropa-
thie qui favorise l’apparition de petites érosions
ou plaies périunguéales qui peuvent passer
inaperçues.
Il convient donc de ne pas négliger cette affec-
tion chez le patient diabétique et d’entreprendre
systématiquement un traitement.
La littérature récente est particulièrement clai-
re sur ce point.
TRAITEMENT
Avant d’entamer un traitement n’oublions pas :
de rechercher d’autres foyers mycosiques (pied
d’athlète, atteinte des plis inguinaux, des plantes
des pieds), de rechercher des facteurs prédispo-
sants (microtraumatismes,humidité,…), d’interro-
ger le patient à la recherche d’une maladie sous-
jacente (diabète, immunosuppression, insuffisance
vasculaire…),
Les traitements peuvent être répartis en 2
grands groupes : les antifongiques locaux et les
antifongiques systémiques.
Un traitement local a des indications limitées,
mais précises.
Il ne doit être utilisé isolément qu’en cas d’at-
teinte disto-latérale qui se limite au 1/3 distal ou
en cas d’atteinte superficielle (limitée). Il consiste
en l’application d’un vernis à base d’amorolfine
(Locéryl®), en suivant scrupuleusement le mode
d’emploi qui figure sur la notice explicative.
L’inconvénient est la durée du traitement : 3 à
6 mois pour les mains, 6 à 12 mois pour les gros
orteils. Le taux de guérison fluctue selon les étu-
des entre 20 et 70%.
Dans la majorité des cas le traitement doit être
systémique.
La terbinafine (Lamisil®), l’itraconazole
(Sporanox®) et le fluconazole (Diflucan®) sont à
l’heure actuelle les trois traitements recommandés
dans le traitement de l’onychomycose.
La tolérance à ces antifongiques est bonne,
lorsqu’on la compare aux anciennes molécules :
griséofulvine et kétoconazole. Il est intéressant de
noter pour les patients diabétiques que les interfé-
rences médicamenteuses avec les médicaments du
diabète ne sont pas majeurs, bien qu’il faille gar-
der une certaine vigilance en la matière. Cette
vigilance doit être accrue chez le sujet âgé souvent
" polymédiqué ".
D’après plusieurs études, la terbinafine est
considérée comme le traitement de choix (1), sur
base de 2 arguments : dose minimale d’efficacité
in vitro et pourcentage réduit de récidives à l’arrêt
du traitement. La terbinafine exerce une effet fon-
gicide. Elle se prescrit à la dose de 250 mg per os
1x/j pendant 6 semaines pour les mains et 12
semaines pour les pieds. Le spectre d’action se
limite aux dermatophytes ; la terbinafine ne cons-
titue dès lors pas le premier choix si l’infection
mycosique comporte des levures opportunistes..
La terbinafine est en général bien tolérée. Les
effets indésirables sont des manifestations gastro-
intestinales, des réactions cutanées, une altération
du goût. Rarement, elle peut entraîner une dys-
fonction hépato-biliaire. Chez les patients ayant
une fonction rénale altérée il y a lieu d’adapter la
dose à la clairance de la créatinine.
La terbinafine inhibe le cytochrome CYP 2D6,
il faut donc être vigilant lors de la prescription
concomitante de médicaments dépendant de ce
même cytochrome.
L’itraconazole constitue également un excel-
lent choix. Bien que considéré comme fongista-
tique, il peut atteindre des concentrations fongici-
des. Son spectre d’action est plus large et s’étend
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aux levures. Il est donc recommandé en cas d’in-
fection mycosique mixte. Le schéma posologique
est celui d’une thérapie dite pulsée (" pulse thera-
py ").
Il s’agit de cures répétées d’une semaine de
traitement (à raison de 4 co à 100mg /j) suivies de
3 semaines d’interruption thérapeutique.
Le traitement d’une onychomycose des mains
nécessite 2 cures alors que pour les pieds il en faut
3 à 4.
Les effets indésirables, rares, sont similaires à
ceux de la terbinafine. L’hépatotoxicité est plus
importante que celle de la terbinafine . Quant aux
interactions médicamenteuses, l’itraconazole est
principalement métabolisé par le CYP3A. Chez le
diabétique, afin d’éviter des " pics d’interaction
médicamenteuse " par la thérapie pulsée, certains
recommandent la prise d’itraconazole selon un
schéma continu (2 co à 100 mg/jour).
Pour ces deux antimycosiques systémiques le
taux de guérison varie d’une étude à l’autre entre
80 et 90 % pour les ongles des mains et entre 70 et
80 % pour celles des pieds.
La troisième alternative est la prise de flucona-
zole (Diflucan®) à la posologie de 200 mg (1 cap-
sule) 1 x/semaine. Le fluconazole a d’incontesta-
bles succès à son actif dans le cadre de l’onycho-
mycose. Le dossier scientifique est moins étoffé
que celui des deux autres antimycosiques préci-
tés, dans la mesure où contrairement à ceux-ci il
ne comporte pas d’étude comparative entre anti-
mycosiques.
Son efficacité est néanmoins indéniable au long
cours lorsqu’on le compare à un placebo (7). Selon
l’expérience des dermatologues en Belgique, le
succès de ce traitement n’est envisageable que s’il
est suffisamment prolongé (1 an ?), ce qui consti-
tue sa particularité. Des échecs peuvent s’observer
en dépit de cette attitude thérapeutique volonta-
riste.
Un traitement local par amorolfine (Locéryl®)
peut compléter la prise en charge par antimyco-
siques systémiques (5,6), en particulier chez les
patients diabétiques.
En plus de prescrire la médication appropriée
aux patients, il peut être indiqué de procéder à
l’exérèse de la partie pathologique de l’ongle dans
le but d’augmenter la réponse thérapeutique et de
diminuer le risque de récidive. La collaboration
étroite avec un podologue s’avère sur ce point
particulièrement bénéfique.
L’échec thérapeutique existe ; les causes les
plus probables sont l’erreur diagnostique, le
manque de compliance , la distribution insuffisan-
te de l’antimycosique dans l’ongle, l’immunosup-
pression, la résistance éventuelle de certains ger-
mes et notamment de levures opportunistes.
Il faut savoir aussi que malgré un traitement
bien conduit l’ongle peut rester dystrophique; ceci
est surtout vrai chez la personne âgée ou le patient
diabétique avec des troubles circulatoires périphé-
riques. Aussi, certaines équipes recommandent
des cures prolongées, bien au delà de 3 ou 4 mois,
" à la demande " selon l’évolution clinique, et ici
encore, tout particulièrement chez le patient dia-
bétique.
En prévention des récidives le savonnage régu-
lier avec la povidone iodée (isoBétadine Savon
Germicide®) peut être utile.
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820.
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