209997 LMed-04-Vogeleer

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LES ONYCHOMYCOSES DES PIEDS :
UN SUJET D’ACTUALITÉ
M.N. VOGELEER,
J.M. LACHAPELLE
Correspondance :
Docteur Marie-Noëlle Vogeleer
Service de Dermatologie
Cliniques Universitaires Saint-Luc
Université Catholique de Louvain
Avenue Hippocrate, 10 - 1200 Bruxelles
RÉSUMÉ
L’onychomycose des pieds est un problème d’actualité. Un traitement local isolé par amorolfine (Locéryl®) n’est indiqué que
dans des formes limitées de l’affection. Le traitement est dans la
plupart des cas systémique (associé ou non au traitement local).
Trois molécules sont actuellement disponibles : la terbinafine
(Lamisil®), l’itraconazole (Sporanox®) et le fluconazole
(Diflucan®). Leurs caractéristiques respectives sont détaillées. La
collaboration d’un podologue est souhaitable, pour assurer l’abrasion des parties d’ongle effritées.
Traiter l’onychomycose chez le patient diabétique ou immunodéprimé est particulièrement important en raison du risque
accru de complications bactériennes (érysipèle, cellulite infectieuse). C’est une règle qu’il convient d’appliquer et qui fait
aujourd’hui partie de la stratégie adoptée lors des consultations
multidisciplinaires du pied diabétique.
INTRODUCTION
Les infections fongiques des ongles sont fréquentes. La prévalence croissante est liée à plusieurs facteurs : vieillissement de la
population ; fréquentation des piscines, saunas, salles de sport ;
accroissement des cas de déficits immunitaires (notamment induits
par des médicaments).
Rare chez l’enfant, fréquente chez l’adulte, l’onychomycose
atteint avec prédilection les personnes âgées avec une certaine prépondérance masculine.
La prévalence de l’onychomycose en Europe Occidentale serait
de l’ordre de 2 à 3% de la population adulte.
Les onychomycoses ne sont pas qu’un désagrément esthétique.
Elles peuvent être à l’origine de complications infectieuses redoutables, en particulier chez le patient diabétique.
L’intérêt actuel porté à cette affection va de pair avec l’avènement, il y a quelques années, de nouveaux antimycosiques administrés par voie générale permettant une prise en charge raisonnée
du problème… Cet article s’attache particulièrement aux onycho-
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mycoses des pieds, en raison de leur fréquence et
des problèmes spécifiques qui leur sont liés.
Figure 1 – Onychomycose sous-unguéale disto-latérale.
En Grande–Bretagne, des directives (" guidelines ") thérapeutiques ont été tracées, sous l’égide
de la British Association of Dermatologists.(1)
Elles correspondent tout à fait à la stratégie adoptée en Belgique en la matière.
AGENTS RESPONSABLES
Les dermatophytes (T. rubrum, T. violaceum,
T shoenleinii, E. floccosum…) représentent les
champignons les plus souvent impliqués dans les
onychomycoses.
Plus rarement on retrouve des levures ou des
moisissures, soit comme agents contaminants
secondaires (exemple de levure opportuniste :
Scopulariopsis brevicaulis) soit comme germes
directement responsables de l’infection.
Les dermatophytes se rencontrent préférentiellement dans un environnement chaud et humide
(par exemple : douches, vestiaires, chaussures).
Parmi les facteurs qui favorisent leur développement il convient de distinguer les facteurs
locaux (troubles trophiques et circulatoires, malposition des orteils), et généraux (déficits immunitaires, diabète ), des facteurs comportementaux
(profession , mode de vie, pratique sportive). Tous
ces facteurs, isolés ou cumulés, entraînent une
invasion, puis une prolifération du dermatophyte
dans le tissu unguéal.
fait ensuite progressivement vers la région proximale.
2. La variété sous-unguéale proximale (Fig.2)
est plus rare. Les lésions apparaissent sous le
repli proximal sous forme de zones blanches
et s’étendent vers la région distale de l’ongle. On la retrouve plus fréquemment chez
des patients à risque : diabétiques, immunodéprimés, mais elle peut par ailleurs se
retrouver chez des sujets sains, exempts de
tout problème de santé..
Figure 2 – Onychomycose sous-unguéale proximale.
CLINIQUE
Les onychomycoses peuvent être primaires ou
secondaires selon qu’elles atteignent un ongle
préalablement sain ou déjà altéré. Tous les ongles
peuvent être atteints mais le gros orteil est de loin
le plus souvent concerné.
Lorsqu’on envisage le problème de l’onychomycose des orteils, on distingue 4 variétés topographiques dépendant de la voie de pénétration
de l’agent causal.
1. La variété la plus fréquente est l’onychomycose sous-unguéale disto-latérale (Fig.1).
Le champignon pénètre sous l’ongle, affecte
l’hyponychium puis la tablette inférieure de l’ongle. Le lit de l’ongle réagit à l’invasion, devient
hyperkératosique et entraîne un décollement de la
tablette unguéale. L’envahissement mycosique se
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3. Une variété superficielle, caractérisée par
une attaque fongique de la face dorsale de la
tablette, se manifeste sous la forme de petits
îlots blancs, opaques, situés en surface de
l’ongle et s’effritant au grattage (Fig.3).
4. La quatrième variété est l’onychomycose
totale dystrophique, généralement secon-
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Figure 3 – Onychomycose superficielle caractérisée
par de petits îlots blancs, opaques,
situés en surface de l’ongle.
L’examen mycologique permet de confirmer le
diagnostic d’une part et d’adapter la conduite thérapeutique d’autre part. Il est indispensable de le
réaliser avant d’entreprendre un traitement spécifique long et coûteux.
C’est une règle absolue vis-à-vis de laquelle il
ne convient pas de transiger.
Le prélèvement unguéal est facile à obtenir. Il
se fait à l’aide d’une curette, d’un scalpel ou d’un
coupe-ongle. Idéalement, il doit comporter un
morceau de lamelle unguéale, ainsi que du matériel friable sous-unguéal.
daire à la progression des formes précédentes non traitées. Une coloration jaunâtre
indique la présence de levures opportunistes
(Fig.4).
Figure 4 – Onychomycose totale dystrophique.
La coloration jaunâtre indique la présence de levures
opportunistes.
L’examen direct consiste à ajouter une goutte
d’hydroxyde de potassium (KOH à 20%) au matériel recueilli afin de visualiser les filaments dermatophytiques. Dans certains laboratoires, on y
ajoute de l’encre bleu noir Parker pour visualiser
en bleu les filaments dermatophytiques et les
levures.
La mise en culture du matériel prélevé (milieu
de Sabouraud) permet d’identifier spécifiquement
le micro-organisme causal, mais demande un
délai de 3 à 4 semaines.
Si la microscopie directe et les cultures sont
négatives et que l’indice de soupçon clinique reste
élevé, il faut répéter les cultures. Si ces dernières
demeurent négatives, on peut demander une
étude histopathologique d’une languette unguéale avec coloration par l’acide périodique-Schiff
(PAS). Cet examen histomycologique peut être
demandé d’emblée, lors de la première visite.
COMPLICATIONS
Les onychomycoses à candida, caractérisées par
une destruction unguéale à topographie proximale associée à un gonflement du pourtour de l’ongle (périonyxis) sont exceptionnellement observées aux pieds, tandis qu’elles sont classiquement
rencontrées aux doigts. Elles ne sont donc pas
envisagées dans la présente revue.
DIAGNOSTIC
Les principaux diagnostics différentiels sont
l’onychodystrophie post-traumatique ou liée aux
troubles circulatoires ou encore le psoriasis des
ongles.
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Bien qu’elle ne comporte pas de risque vital,
une onychomycose peut entraîner certaines complications.
En l’absence de traitement l’onychomycose des
ongles des doigts ou des orteils peut :
• Entraîner des douleurs, une gêne, un
inconfort.
• Causer des dystrophies unguéales permanentes (surtout chez la personne âgée ).
• Rendre difficile le port de souliers ou de bas.
• Contaminer d’autres parties du corps ou
d’autres membres de la famille.
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• Peut servir de porte d’entrée à des bactéries
pouvant entraîner des complications sévères,
essentiellement un érysipèle, une cellulite
infectieuse ou une ostéomyélite.(2)
Il va de soi que l’onychomycose est souvent
associée à un pied d’athlète mycosique (tinea
pedis).
DIABÈTE ET ONYCHOMYCOSE
Il ressort de plusieurs études (3,4) que la prévalence de l’onychomycose est plus élevée dans la
population diabétique que dans la population non
diabétique.
Le risque serait de 2,77 fois plus élevé pour un
patient diabétique d’être atteint de cette infection
fongique (3). Le patient diabétique est également
plus à risque de développer une complication bactérienne (érysipèle ou ostéomyélite) au départ
d’une onychomycose (2). L’onychomycose est
ainsi à l’origine de certaines complications sévères
du pied diabétique. La raison de ce risque accru
réside dans le fait que le patient diabétique, en
particulier le patient âgé, est atteint de neuropathie qui favorise l’apparition de petites érosions
ou plaies périunguéales qui peuvent passer
inaperçues.
Il convient donc de ne pas négliger cette affection chez le patient diabétique et d’entreprendre
systématiquement un traitement.
La littérature récente est particulièrement claire sur ce point.
TRAITEMENT
Avant d’entamer un traitement n’oublions pas :
de rechercher d’autres foyers mycosiques (pied
d’athlète, atteinte des plis inguinaux, des plantes
des pieds), de rechercher des facteurs prédisposants (microtraumatismes,humidité,…), d’interroger le patient à la recherche d’une maladie sousjacente (diabète, immunosuppression, insuffisance
vasculaire…),
Les traitements peuvent être répartis en 2
grands groupes : les antifongiques locaux et les
antifongiques systémiques.
Un traitement local a des indications limitées,
mais précises.
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Il ne doit être utilisé isolément qu’en cas d’atteinte disto-latérale qui se limite au 1/3 distal ou
en cas d’atteinte superficielle (limitée). Il consiste
en l’application d’un vernis à base d’amorolfine
(Locéryl®), en suivant scrupuleusement le mode
d’emploi qui figure sur la notice explicative.
L’inconvénient est la durée du traitement : 3 à
6 mois pour les mains, 6 à 12 mois pour les gros
orteils. Le taux de guérison fluctue selon les études entre 20 et 70%.
Dans la majorité des cas le traitement doit être
systémique.
La terbinafine (Lamisil®), l’itraconazole
(Sporanox®) et le fluconazole (Diflucan®) sont à
l’heure actuelle les trois traitements recommandés
dans le traitement de l’onychomycose.
La tolérance à ces antifongiques est bonne,
lorsqu’on la compare aux anciennes molécules :
griséofulvine et kétoconazole. Il est intéressant de
noter pour les patients diabétiques que les interférences médicamenteuses avec les médicaments du
diabète ne sont pas majeurs, bien qu’il faille garder une certaine vigilance en la matière. Cette
vigilance doit être accrue chez le sujet âgé souvent
" polymédiqué ".
D’après plusieurs études, la terbinafine est
considérée comme le traitement de choix (1), sur
base de 2 arguments : dose minimale d’efficacité
in vitro et pourcentage réduit de récidives à l’arrêt
du traitement. La terbinafine exerce une effet fongicide. Elle se prescrit à la dose de 250 mg per os
1x/j pendant 6 semaines pour les mains et 12
semaines pour les pieds. Le spectre d’action se
limite aux dermatophytes ; la terbinafine ne constitue dès lors pas le premier choix si l’infection
mycosique comporte des levures opportunistes..
La terbinafine est en général bien tolérée. Les
effets indésirables sont des manifestations gastrointestinales, des réactions cutanées, une altération
du goût. Rarement, elle peut entraîner une dysfonction hépato-biliaire. Chez les patients ayant
une fonction rénale altérée il y a lieu d’adapter la
dose à la clairance de la créatinine.
La terbinafine inhibe le cytochrome CYP 2D6,
il faut donc être vigilant lors de la prescription
concomitante de médicaments dépendant de ce
même cytochrome.
L’itraconazole constitue également un excellent choix. Bien que considéré comme fongistatique, il peut atteindre des concentrations fongicides. Son spectre d’action est plus large et s’étend
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aux levures. Il est donc recommandé en cas d’infection mycosique mixte. Le schéma posologique
est celui d’une thérapie dite pulsée (" pulse therapy ").
Il s’agit de cures répétées d’une semaine de
traitement (à raison de 4 co à 100mg /j) suivies de
3 semaines d’interruption thérapeutique.
Le traitement d’une onychomycose des mains
nécessite 2 cures alors que pour les pieds il en faut
3 à 4.
Les effets indésirables, rares, sont similaires à
ceux de la terbinafine. L’hépatotoxicité est plus
importante que celle de la terbinafine . Quant aux
interactions médicamenteuses, l’itraconazole est
principalement métabolisé par le CYP3A. Chez le
diabétique, afin d’éviter des " pics d’interaction
médicamenteuse " par la thérapie pulsée, certains
recommandent la prise d’itraconazole selon un
schéma continu (2 co à 100 mg/jour).
Pour ces deux antimycosiques systémiques le
taux de guérison varie d’une étude à l’autre entre
80 et 90 % pour les ongles des mains et entre 70 et
80 % pour celles des pieds.
La troisième alternative est la prise de fluconazole (Diflucan®) à la posologie de 200 mg (1 capsule) 1 x/semaine. Le fluconazole a d’incontestables succès à son actif dans le cadre de l’onychomycose. Le dossier scientifique est moins étoffé
que celui des deux autres antimycosiques précités, dans la mesure où contrairement à ceux-ci il
ne comporte pas d’étude comparative entre antimycosiques.
Son efficacité est néanmoins indéniable au long
cours lorsqu’on le compare à un placebo (7). Selon
l’expérience des dermatologues en Belgique, le
succès de ce traitement n’est envisageable que s’il
est suffisamment prolongé (1 an ?), ce qui constitue sa particularité. Des échecs peuvent s’observer
en dépit de cette attitude thérapeutique volontariste.
Un traitement local par amorolfine (Locéryl®)
peut compléter la prise en charge par antimycosiques systémiques (5,6), en particulier chez les
patients diabétiques.
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En plus de prescrire la médication appropriée
aux patients, il peut être indiqué de procéder à
l’exérèse de la partie pathologique de l’ongle dans
le but d’augmenter la réponse thérapeutique et de
diminuer le risque de récidive. La collaboration
étroite avec un podologue s’avère sur ce point
particulièrement bénéfique.
L’échec thérapeutique existe ; les causes les
plus probables sont l’erreur diagnostique, le
manque de compliance , la distribution insuffisante de l’antimycosique dans l’ongle, l’immunosuppression, la résistance éventuelle de certains germes et notamment de levures opportunistes.
Il faut savoir aussi que malgré un traitement
bien conduit l’ongle peut rester dystrophique; ceci
est surtout vrai chez la personne âgée ou le patient
diabétique avec des troubles circulatoires périphériques. Aussi, certaines équipes recommandent
des cures prolongées, bien au delà de 3 ou 4 mois,
" à la demande " selon l’évolution clinique, et ici
encore, tout particulièrement chez le patient diabétique.
En prévention des récidives le savonnage régulier avec la povidone iodée (isoBétadine Savon
Germicide®) peut être utile.
RÉFÉRENCES
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