Qualité de l`accueil: l`UNICEF classe la Suisse en queue de peloton!

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ACTUALITÉSOCIALE | POINT FORT
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Qualité de l’accueil: l’UNICEF classe
la Suisse en queue de peloton!
Texte: Michela Bovolenta, secrétaire centrale, Syndicat des services publics (ssp)
Alors que trois mères sur quatre sont
­actives professionnellement, il est désormais difficile de ne pas reconnaître que
l’accueil extrafamilial des enfants est une
nécessité. Même la droite et le patronat
semblent acquis à cette cause. Et le
monde politique semble prendre goût au
débat sur l’accueil de l’enfance. Pourtant,
il ne faut pas creuser beaucoup pour voir
que, derrière cette belle unanimité, les
avis divergent. Nombre d’acteurs politiques et économiques envisagent en effet de renforcer l’offre quantitative tout
en faisant pression sur les coûts, en particulier sur les niveaux de formation, les
conditions salariales et de travail du personnel ainsi que sur les taux d’encadrement. Pourtant, en Suisse, les structures
d’accueil ne sont de loin pas luxueuses.
Au contraire. Dans un récent rapport de
l’UNICEF1 qui fixe des «normes de base
minimales» au-dessous desquelles l’intérêt de l’enfant n’est pas garanti, la Suisse
ne remplit que 3 critères sur 10, se classant à la 22e place sur 25 pays2!
Le mauvais classement de la Suisse devrait susciter une prise de conscience en
faveur d’un investissement massif dans le
domaine de l’accueil. Or, la plupart des
initiatives et prises de position visent à
multiplier les places à moindre coût.
C’est faire fausse route, met en garde
l’UNICEF: «Il existe un réel danger que la
transition relative à la garde et à l’éducation de l’enfant suive un cours déterminé
par les besoins et les exigences du moment, sans critères de vision à long terme
ou de choix» (p. 5).
L’intérêt de l’enfant
Sur la base de récentes recherches en
neuroscience, l’importance de l’interaction précoce entre l’enfant et l’adulte
ainsi que le lien très étroit entre soins et
éducation sont mis en évidence. «La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant (…) conduira à une avancée ou à un revers» (p. 7) selon la qualité
offerte par la garde extrafamiliale. Et
d’avertir que «la garde d’enfants trop tôt
et durant trop de temps peut être nuisible» (p. 13). C’est une mise en garde nécessaire. A l’heure de la flexibilisation des
horaires de travail dans de nombreux secteurs, dont la vente par exemple, où travaillent essentiellement des femmes, la
tentation est grande d’élargir toujours davantage les heures d’ouverture des structures d’accueil. Ce serait néfaste pour les
enfants et d’autant plus pour ceux vivant
dans des milieux modestes et disposant
déjà au départ de moins d’atouts pour
réussir dans la vie.
En tenant compte des besoins de l’enfant,
il est donc essentiel de développer aussi
bien un accueil collectif de qualité que
des mesures, notamment au niveau des
congés et des horaires de travail, qui permettent aux parents de passer du temps
avec leur enfant.
Dès lors, l’UNICEF recommande une
prise en charge individualisée pour les
enfants de moins d’un an. La solution
préconisée est un congé parental d’au
moins un an, payé à au moins 50% du
salaire, dont deux semaines minimum seraient réservées au père. Avec un congé
maternité de quatorze semaines, la Suisse
se situe loin, très loin, en dessous!
Si le bébé de moins d’un an est toutefois
pris en charge dans une structure d’accueil collectif, la plupart des recommandations internationalement reconnues
s’accordent sur un taux d’encadrement
élevé, le plus souvent d’un adulte pour
trois enfants3. Dans la majorité des cantons romands, ce ratio est supérieur, soit
de cinq bébés par adulte, alors qu’il n’est
que de trois bébés par adulte dans le canton de Zurich.
Garderie: un atout pour l’enfant
La fréquentation d’une garderie devient
un atout pour le développement de l’enfant plus grand à condition que l’accueil
soit de qualité. Le rapport de l’UNICEF
met fortement l’accent sur l’importance
pour nos sociétés de ne pas rater ce tournant: «La vision précédente et étriquée de
la garde d’enfants en tant que moyen de
libérer les parents pour l’emploi est donc
en train de céder le pas à une approche
davantage centrée sur l’enfant et qui met
l’accent sur la qualité des services disponibles» (p. 17).
L’UNICEF se positionne en faveur de services universels qui «favorisent le brassage d’enfants en provenance de divers
environnements (…)» alors que «trop
souvent des services destinés aux pauvres
sont synonymes de services médiocres».
Et d’avertir que «certains centres privés
sont tentés de réduire les dépenses les
moins apparentes comme celles relevant
de la formation, du salaire ou des conditions de travail» (p. 18).
Comme de très nombreuses études le
montrent, l’inégalité dans la réussite scolaire est fortement liée au milieu social et
familial de l’enfant. La manière dont l’enfant vit ses premières années de vie est
essentielle pour son développement futur, en particulier au niveau scolaire. Ainsi des pays comme la Finlande, qui arrivent régulièrement en tête de classement
en ce qui concerne les performances des
élèves plus âgés, ont développé un bon
système de prise en charge des enfants en
âge préscolaire, soit de 0 à 6 ans, puisque
l’école commence relativement tard chez
eux.
Qualité et personnel:
indissolublement liés
Garantir l’accès aux structures d’accueil
au détriment de la qualité est donc une
très mauvaise idée, qui peut même
constituer un revers et contribuer à dé­
favoriser encore davantage les enfants
pauvres. Il faut dès lors miser sur la qualité.
Et la qualité «dépend avant tout de la capacité du personnel d’établir des rapports
avec les enfants et de contribuer à créer
un climat de sécurité, de continuité, de
sensibilité, stimulant et gratifiant» (p. 23).
Pour cela il est nécessaire d’avoir du personnel formé en nombre suffisant et bénéficiant de bonnes conditions de travail.
C’est rare d’entendre cela en Suisse. Et
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pour cause. En moyenne nationale, la
moitié du personnel qui travaille dans
une crèche ou garderie n’est pas formé.
Dans le canton de Zurich, 40% du personnel est constitué par des apprenante-s, non encore diplômé-e-s, et par des
stagiaires! Le niveau moyen suisse ne
peut dès lors constituer un point de repère utile lorsqu’on mise sur la qualité et
non pas sur un service low cost! N’en déplaise aux radicaux vaudois, qui considèrent les normes cantonales d’un «dangereux perfectionnisme vaudois»4!
Cela vaut la peine de prendre en considération le point de vue de l’UNICEF dans
les trois domaines qui concernent le personnel: le niveau de la formation, le taux
d’encadrement et les conditions de travail.
Le niveau de formation
Pour les services de la petite enfance, le
rapport préconise que la moitié au moins
du personnel puisse justifier de trois ans
de formation de niveau tertiaire. Au niveau national, la Suisse ne répond pas à
ce critère. C’est le cas par contre du canton de Vaud, le cadre de référence vaudois prévoyant que deux tiers du personnel ait une formation ES/HES5. Loin d’un
quelconque «perfectionnisme», cela correspond tout juste au niveau minimal indiqué par l’UNICEF! Imposer un nivellement par le bas sous prétexte que le
­niveau est inférieur ailleurs en Suisse,
Vers un service public de
l’enfance!
Le Syndicat des services publics (ssp) a publié
récemment deux brochures sur le thème de l’accueil des enfants. La première, parue en 2008 et
intitulée Pour un service public de l’enfance! Analyse, thèses et revendications du ssp, est née de la
réflexion de la Commission fédérative des
femmes: pour réaliser l’égalité, il faut que les
femmes puissent avoir droit à l’emploi et dès lors
que les enfants soient pris en charge pendant les
heures de travail des parents. Parallèlement, il
faut davantage de droits pour les parents qui
travaillent, notamment des congés, par exemple
lors de la naissance ou d’une maladie. Mais cela
ne suffit pas. Rapidement la question de la qualité de l’accueil s’est aussi posée. L’enfant n’est
pas un paquet dont on se débarrasse pendant
quelques heures. Une deuxième brochure a donc
été publiée en 2009: Lignes directrices du ssp:
pour un accueil de jour de qualité.
Les deux textes sont disponibles gratuitement
au secrétariat du ssp, 021 340 00 00 ou
[email protected], ou peuvent être
téléchargés sur le site www.ssp-vpod.ch.
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­ otamment en Suisse alémanique, c’est
n
faire fausse route. Par ailleurs, dans plusieurs pays, les éducateurs et éducatrices
qui s’occupent d’enfants en bas âge doivent disposer d’une formation universitaire – c’est le cas de la Suède et de la
Finlande – ou d’une formation professionnelle supérieure, comme au Danemark et en Allemagne.
L’idée qu’il n’y a pas «pas besoin d’être
bardées de diplômes pour savoir torcher
des enfants»6 reste malheureusement fort
répandue. Le fait qu’il s’agisse d’un métier historiquement et quantitativement
féminin, de même que la comparaison
avec une mère qui n’a pas besoin d’un
­diplôme pour s’occuper de ses enfants ne
sont pas étrangers à cette vision des
choses. Qui est pourtant passéiste et qu’il
est urgent de dépasser.
Le taux d’encadrement
Pour les enfants de 4 à 5 ans, le rapport
fixe comme minimum un adulte pour
quinze enfants. C’est un des trois petits
points que la Suisse récolte7. Il ne serait
donc pas très intelligent de péjorer la situation comme cela s’est par exemple fait
dans le canton de Neuchâtel au début de
2008 dans le cadre de mesures d’austérité! Le ssp a rassemblé les principales recommandations internationales et les a
résumées dans une brochure (voir encadré). Ce qui ressort très clairement de
toutes les études menées au niveau international, c’est que le jeune enfant a besoin d’une prise en charge individualisée,
de soins et d’attention. Dès lors, si un
seul adulte doit s’occuper de trop d’enfants, la qualité de l’accueil s’en trouve
remise en cause.
Les conditions de travail
Pour l’UNICEF, l’enfant a besoin non seulement d’un personnel qualifié, mais aussi d’un personnel stable. Pour stabiliser le
personnel, rien ne vaut d’avoir de bonnes
conditions de travail. Le rapport considère que les salaires et les conditions
d’emploi des éducateurs et éducatrices de
l’enfance doivent s’aligner sur ceux des
enseignant-e-s et des éducateurs-trices
sociaux-ales. Cette position vient apporter de l’eau à notre moulin. Ce qui est
suffisamment rare pour être précieux. La
position défendue par l’UNICEF montre
bien que de bonnes conditions de travail
sont un élément essentiel d’un accueil de
qualité axé sur l’enfant. Et de conclure:
«De meilleurs salaires et conditions de
travail constitueraient un progrès évident
vers un changement des mentalités et
une valorisation de la profession» (p. 26).
Economiser c’est faire fausse route
Alors que les trois quarts du budget d’une
structure d’accueil pour les enfants sont
constitués de frais de personnel, économiser sur ce point c’est faire fausse route.
Le rapport recommande aux Etats de
consacrer au minimum 1% du produit
intérieur brut (PIB) à l’accueil des enfants
en âge préscolaire. La Suisse ne consacre,
en moyenne nationale, qu’environ 0,2%
du PIB, soit cinq fois moins que le niveau
minimal proposé! Etrange comme le petit
enfant semble peu digne de l’intérêt de
notre société lorsqu’il s’agit d’investir des
moyens financiers pour garantir son développement et son épanouissement en
tant qu’être humain en devenir. A se demander si, dans notre société marchande,
l’enfant n’est roi que lorsqu’il s’agit d’en
faire un consommateur précoce et vorace!
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Note
1 UNICEF, La transition en cours dans la garde et l’éducation de
l’enfant, Bilan Innocenti 8, 2008, www.unicef-irc.org
2 Pays pris en compte dans l’ordre du classement: Suède,
­Islande, Danemark, Finlande, France, Norvège, Belgique, Hongrie, Nouvelle-Zélande, Slovénie, Autriche, Pays-Bas, RoyaumeUni, Allemagne, Italie, Japon, Portugal, République de Corée,
Espagne, Etats-Unis, Mexique, Suisse, Australie, Canada,
­Irlande
3 Voir la brochure du ssp Lignes directrices du ssp pour un
­accueil de jour de qualité, www.ssp-vpod.ch
4 Frédéric Borloz, député radical, PRD, no 6/2009
5 Le cadre de référence vaudois prévoit 80% de personnel
­formé, dont les deux tiers doivent avoir une formation de
­niveau ES/HES et un tiers une formation de niveau CFC.
6 Luc Barthassat, conseiller national PDC, in La Tribune de
­Genève, 3.11. 2006
7 Les deux autres critères sont: une formation initiale pour
80% de toutes les personnes s’occupant de petits enfants, y
compris nourrices et voisinage et un taux de pauvreté des enfants inférieur à 10%.
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