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Randonnées estivales
L’Aigle, le Cygne et la Lyre
Pour beaucoup d’entre nous, l’observation du ciel d’été évoque, pêle-mêle, température
agréable, chants des grillons, Voie lactée, soleils étincelants, sérénité…
Il suffit dès à présent de veiller un peu le soir pour voir apparaître à l’horizon Est les trois
Belles d’Été – ce célèbre Triangle composé des éclatantes Véga, Deneb et Altaïr : pas de doute, le
retour des beaux jours est imminent !
Je vous préviens : pour cette première randonnée estivale, le programme est très chargé !
Je vous invite aujourd’hui à découvrir les trois constellations qui sous-tendent le Triangle de
l’Été : la Lyre, le Cygne et l’Aigle…
1.
Origine mythologique
Les trois belles constellations d’été sont
parfois associées au sixième des douze travaux
d’Héraclès, dans le mythe des terribles oiseaux du
lac Stymphale.
On raconte que les rives boisées du lac
Stymphale, en Arcadie, étaient infestées d’oiseaux
monstrueux se repaissant de chair humaine. Les
volatiles attaquaient les humains à l’aide de leurs
plumes aux extrémités d’airain ; quant aux cultures,
elles étaient dans un bien triste état.
Pour se débarrasser de ces oiseaux, il faut
d’abord les débusquer. Héraclès parvient à les
faire sortir de leurs cachettes en agitant une
crécelle de bronze que lui a donnée Athéna, et qui
a été forgée par Héphaïstos en personne. Les
oiseaux s’envolent ; le héros réussit alors à en tuer
un très grand nombre. Trois d’entre eux seront
Stymphale
Et partout devant lui, par milliers, les oiseaux,
De la berge fangeuse où le Héros dévale,
S’envolèrent, ainsi qu’une brusque rafale,
Sur le lugubre lac dont clapotaient les eaux.
D’autres, d’un vol plus bas croisant leurs noirs
réseaux,
Frôlaient le front baisé par les lèvres d’Omphale,
Quand, ajustant au nerf la flèche triomphale,
L’Archer superbe fit un pas dans les roseaux.
Et dès lors, du nuage effarouché qu’il crible,
Avec des cris stridents plut une pluie horrible
Que l’éclair meurtrier rayait de traits de feu.
Enfin, le Soleil vit, à travers ces nuées
Où son arc avait fait d’éclatantes trouées,
Hercule tout sanglant sourire au grand ciel bleu.
José-Maria de Heredia, Les Trophées (1893)
Le sixième travail d’Hercule (mosaïque de Liria
(Espagne), première moitié du
III
e
siècle).
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élevés au rang de constellation : le Cygne, l’Aigle, et le Vautour (ancien nom de la Lyre).
Bien d’autres mythes entourent ces constellations. En voici quelques-uns, choisis parmi
les plus célèbres.
1.1.
L’Aigle
La présence de l’Aigle sur la voûte céleste trouve son
origine dans un des mythes associés à la constellation du
Verseau, que nous avons déjà évoqué : il s’agit de l’histoire
du jeune et beau berger Ganymède, dont Zeus était tombé
amoureux. Le maître des dieux envoie l’Aigle, son serviteur,
sur la Terre, avec pour mission d’en ramener Ganymède
1
: ce
dernier sera désormais l’échanson des dieux. Ganymède est à
l’origine de la constellation du Verseau.
C’est aussi l’Aigle qui porte la foudre envoyée par
Zeus. Pour ces services rendus, l’Aigle aurait été transporté
au firmament.
L’Aigle est associé à d’autres mythes plus cruels.
Ainsi, c’est l’Aigle céleste qui, chaque jour, ronge le foie de
l’infortuné Prométhée, le titan puni par Zeus pour avoir
dérobé le feu aux dieux et l’avoir donné aux hommes.
Prométhée, immortel, était condamné à une souffrance
infinie : chaque nuit, son foie se régénérait, et son supplice
pouvait recommencer… Mais Hercule tuera l’Aigle d’une de
ses flèches, et le grand oiseau sera placé dans le ciel.
Oublions un moment la mythologie gréco-romaine,
et prenons le chemin de l’Extrême-Orient. Je ne résiste pas en effet à l’envie de vous conter ici
une très jolie légende chinoise – dont il existe des variantes au Japon et au Vietnam –, qui
explique l’origine des étoiles Altaïr, l’étoile principale de la constellation de l’Aigle, et de Véga, la
plus brillante des étoiles de la Lyre, ainsi que leur position dans le ciel par rapport à la Voie lactée.
On raconte que la princesse Chih Nu (Véga), fille du Roi Soleil, était une merveilleuse
tisserande, qui confectionnait d’admirables tapisseries. Par un beau jour d’été, elle aperçoit, par la
fenêtre entrouverte du palais, Ch’ien Niu (Altaïr), le bouvier qui est au service de son père et qui
conduit le troupeau royal le long de la Voie lactée. Elle en tombe éperdument amoureuse ; cet
amour est réciproque.
Le Roi connaît les grandes qualités de son bouvier, travailleur consciencieux et
irréprochable ; il donne donc son accord à l’union des deux tourtereaux. Chih Nu confectionne
elle-même sa robe nuptiale, dont le tissu est fait de rayons de lumière d’étoiles.
1
Dans une autre version, c’est Zeus lui-même qui se transforme en aigle.
Le rapt de Ganymède (peinture
de P.
-
P. Rubens
)
.
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Mais la passion des jeunes mariés est si intense qu’ils en oublient leurs tâches
quotidiennes. Le Roi n’a de cesse de les rappeler à leurs devoirs, mais rien n’y fait ; lassé, il décide,
à contrecœur, d’exiler le jeune homme de l’autre côté de la Voie lactée, pour qu’il s’y occupe du
troupeau ; quant à la jeune princesse, elle est condamnée à rester cloîtrée dans son palais. Le Roi,
intransigeant, refuse de revenir sur sa décision en dépit des appels répétés des jeunes époux.
Chih Nu est désespérée. Un jour, elle appelle à son aide des pies qui, prises de pitié,
décident d’établir, une fois par an – le septième jour du septième mois –, un pont céleste en
déployant leurs ailes, afin que les deux amoureux puissent à nouveau s’étreindre. Ainsi, au petit
matin de ce jour béni, une fine pluie tombe du ciel : ce sont les larmes de joie de Véga et Altaïr,
qui sont à nouveau réunis. Mais à la tombée de la nuit, la fine pluie se transforme en une très
violente averse… ce sont les larmes de chagrin de Chih Nu et Ch’ien Niu qui doivent se séparer à
nouveau pour un an.
On raconte qu’en Chine, le lendemain du septième jour du septième mois, lorsque l’on
voyait des pies dans les champs, on se réjouissait si leur plumage était souillé : c’est que les amants
célestes avaient marché sur les pauvres oiseaux et avaient été à nouveau réunis. Par contre, si
leurs plumes étaient propres, on en duisait que le mauvais temps avait empêché les oiseaux de
construire le pont céleste… On conseillait alors aux enfants de leur lancer des pierres pour les
rappeler à leur devoir !
1.2.
Le Cygne
La constellation du Cygne est associée au mythe de la naissance des jumeaux Castor et
Pollux, que nous avons rencontrés dans le n°54 de cette revue. C’est en effet en cygne que se
transforme Zeus lorsqu’il veut séduire Léda, l’épouse de Tyndare, roi de Sparte, qui donnera
naissance à Castor, Pollux, Hélène et Clytemnestre. Pour commémorer le succès de son
subterfuge, Zeus a placé le Cygne sur la voûte céleste.
Certains affirment que le Cygne n’est autre que le divin Orphée lui-même, transformé
après sa mort et placé dans le ciel auprès de sa Lyre.
1.3.
La Lyre
C’est en se promenant le
long du Nil que le dieu Hermès
découvre une carapace de tortue
aux sonorités étonnantes. Il
décide de s’en servir pour
construire une lyre merveilleuse.
Le dieu échangera cet
instrument contre le bâton
d’Apollon – qui, plus tard,
deviendra le fameux caducée
orné de deux serpents enroulés.
La musique d’Orphée apprivoise les bêtes sauvages
(tableau de Briton Rivière, 1874).
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Apollon cède ensuite la lyre à Orphée, musicien sans égal. Lorsque Orphée tire des sons
de sa lyre, il n’est pas un seul être vivant qui ne soit subjugué. On raconte même que ses mélodies
apprivoisent les bêtes sauvages, que les rochers et les collines se déplacent et que les fleuves
changent de cours pour écouter sa musique ! Orphée et sa lyre accompagnent Jason et les
Argonautes, et leur musique les sauve du danger à plusieurs reprises : elle apaise en effet les flots
en furie et évite à ses compagnons
de succomber au chant des
sirènes.
Orphée est amoureux
d’Eurydice, qu’il épouse à son
retour en Thrace. Mais un
immense malheur s’abat sur le
couple : tentant d’échapper à un
des fils d’Apollon, Aristée, qui se
montre trop pressant, Eurydice est
mordue par un serpent au venin
mortel.
Orphée se rend alors en
Laconie ; se trouve l’entrée d’un
passage souterrain qui le conduit au Styx, aux portes
du royaume d’Hadès. Charmés par sa musique,
Charon et Cerbère le laissent passer. Le monde des
morts est fasciné. Hadès et Perséphone, émus,
décident d’accorder à Orphée une faveur unique :
Eurydice retournera à la Vie, mais à une seule
condition – elle suivra Orphée, mais en aucun cas
celui-ci ne pourra se retourner avant d’avoir
retrouvé la lumière du jour.
Ce qui devait arriver arriva... La fin du long
passage souterrain est en vue, et Orphée ne peut
résister : il se retourne pour revoir le visage de sa
bien-aimée… c’est trop tard ! À peine entraperçue,
Eurydice s’éloigne et disparaît à nouveau dans les
Enfers, à tout jamais cette fois. Même les mélodies
d’Orphée restent maintenant sans effet…
Désespéré, Orphée mène désormais une vie
de reclus, et il évite la compagnie des femmes. Sa fin
sera terrible. Les Ménades de Thrace, avec qui il
avait souvent célébré Dionysos, ragent de le voir
Orphée perd Eurydice pour la deuxième fois (tableau de George Frederick
Watts, 1869)
La lyre et la tête d’Orphée (Gustave Moreau,
1865).
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indifférent à leur charme, et elles finissent par le mettre en pièces. Seule sa tête est épargnée ; elle
tombe dans le fleuve, roulant de-ci de-là, appelant sans cesse son Eurydice. Elle finit pas atteindre
l’île de Lesbos ; les restes de son corps sont recueillis par les muses. Quant à la lyre d’Orphée, un
vautour envoyé par Zeus la saisit et la place dans le ciel ; voilà pourquoi la Lyre est souvent
représentée sur la voûte céleste enserrée dans les griffes d’un vautour !
2.
Description générale des constellations
2.1.
L’Aigle
Comme c’est le cas pour
beaucoup de constellations, il existe
plusieurs façons de relier les étoiles
entre elles pour évoquer la forme d’un
Aigle. La partie de la constellation qui
est la plus facile à repérer est celle qui
représente la tête du rapace ; elle est
constituée par Altaïr (α) et ses deux
voisines : Tarazed (γ, de magnitude
2,72), à sa droite, et Alshain (β, de
magnitude 3,1), à sa gauche. Ces trois
étoiles sont parfois appelées la
« ceinture d’Orion de l’été ».
L’aile gauche du rapace est
représentée par deux étoiles de
magnitude 3,2, θ et η – cette dernière est une étoile variable de type céphéide dont la magnitude
oscille entre 3,5 et 4,5 en un peu plus de sept jours – ; l’aile droite par les étoiles ζ et ε, qui sont
respectivement de magnitudes 3,0 et 4,0. La base des deux ailes est matérialisée par l’étoile δ, et la
queue par λ ; ces dernières sont toutes deux de magnitude 3,4.
2.2.
Le Cygne
Avec le Cygne et la Lyre, nous avons
affaire à deux constellations qui portent bien
leur nom : il ne faut pas beaucoup d’imagination
pour les reconnaître, ce qui est loin d’être
toujours le cas ! Les étoiles du Cygne ont
toujours été associées. à un volatile : la
constellation a dans le passé porté les noms de
l’Oiseau ou de la Poule.
L’étoile la plus brillante de la
constellation est Deneb (α), ce qui en arabe
signifie « la queue » ; la tête du Cygne est
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