modélisation numérique de l`impact climatique d`une augmentation

publicité
MODÉLISATION NUMÉRIQUE
DE L’IMPACT CLIMATIQUE
D’UNE AUGMENTATION
DE L’EFFET DE SERRE
M. DÉQUÉ
Le climat, qui peut être défini comme la résultante statistique des phénomènes météorologiques sur
une longue période, s’établit en fonction des caractéristiques géographiques, de la quantité
d’énergie fournie par le soleil, et de la composition de l’atmosphère. Les deux premiers paramètres
ne jouent que sur des périodes qui se chiffrent en milliers d’années. En ce qui concerne le troisième, il y a une certitude mesurable : depuis un siècle, on constate une croissance de la concentration de certains gaz, dits à effet de serre, qui ont la propriété d’absorber le rayonnement de
basse fréquence que la terre émet pour maintenir l’équilibre énergétique avec l’énergie reçue du
soleil. Cette augmentation est essentiellement imputable aux activités humaines. On peut en
conclure que le climat est en train de changer.
Pour évaluer ce changement, il suffirait donc de regarder l’évolution des mesures météorologiques
depuis plus d’un siècle. Ce n’est pas si simple, car l’évolution des techniques de mesure et de l’environnement des sites de mesure induit des changements qui sont localement supérieurs à ceux
prévus par des considérations théoriques simples. Dans les régions riches en observations météorologiques, il existe des techniques d’homogénéisation temporelle. On trouve alors des tendances
statistiquement significatives d’un réchauffement de nombreuses zones, mais on rencontre aussi
des régions du globe qui subissent un refroidissement. Quant aux précipitations, la distribution
géographique des impacts est moins uniforme. Ce constat n’est pas en contradiction avec une
évolution anthropogénique du climat. Les très nombreuses rétroactions du système atmosphèresol-océan font qu’un réchauffement ici induit un refroidissement là par le biais de la modification de
la circulation des masses d’air. De même, une augmentation des précipitations sur une zone se fera
souvent au détriment de telle zone voisine. Pour s’affranchir des effets locaux, on est donc amené
à évaluer le changement climatique sur de vastes régions. On peut dire à l’heure actuelle que la
planète s’est réchauffée en surface d’un peu moins de 1 °C depuis un siècle. On estime que l’augmentation de l’effet de serre a été en partie compensée par l’augmentation de l’interception du
rayonnement solaire par les aérosols atmosphériques.
L’observation météorologique disponible depuis le XIXe siècle en certains sites, systématisée à
partir du milieu du XXe siècle, complétée par les satellites au cours des vingt dernières années,
nous renseigne sur les évolutions locales récentes du climat. Mais rien ne prouve qu’une zone qui
est devenue plus chaude ou plus pluvieuse depuis trente ans va voir cette tendance persister en
21
Rev. For. Fr. LII - numéro spécial 2000
M. DÉQUÉ
signe et en amplitude au cours des soixante prochaines années. Le climat actuel n’est pas en équilibre, puisque le forçage radiatif (1) agit à l’échelle temporelle de la décennie, alors que l’océan met
plusieurs siècles à s’équilibrer. Pour évaluer l’évolution possible, il faut faire appel à nos connaissances des lois physiques qui régissent le système atmosphère-sol-océan. Le nombre de degrés
de liberté en jeu exclut toute approche analytique, et c’est à travers l’intégration des phénomènes
dans un programme informatique, appelé modèle numérique, qu’on peut espérer trouver une
réponse.
La communauté scientifique s’est intéressée à ce problème dès que la capacité des calculateurs a
permis de se lancer dans des simulations numériques suffisamment réalistes pour être crédibles. Le
Groupe international d’Experts sur l’Évolution du Climat (GIEC en français, IPCC en anglais) a
produit une synthèse des contributions des différents centres de recherche (IPCC, 1995). Dans le
présent article, nous nous attacherons à un scénario réalisé à Météo-France. Par rapport aux scénarios réalisés dans les autres centres de recherche, on ne peut dire qu’il soit plus proche ou plus
éloigné de ce que pourrait être la réalité du milieu du siècle prochain. Il offre une vision assez
détaillée géographiquement et compatible avec les lois de la physique. Nous présentons successivement par la suite le modèle et les conditions de l’expérience, avant de donner quelques résultats
synthétiques. Le lecteur plus spécialiste du sujet trouvera dans Déqué et al. (1998) une description
plus complète de l’expérience.
MODÈLE NUMÉRIQUE UTILISÉ
Le Centre national de Recherches météorologiques (CNRM, Météo-France) travaille depuis plusieurs
années avec une version climatique du modèle de circulation atmosphérique ARPEGE (Action de
Recherche Petite Échelle Grande Échelle) utilisé opérationnellement pour les prévisions météorologiques quotidiennes à 72 heures. Le modèle ARPEGE-Climat (Déqué et al., 1994) est un outil dérivé
du précédent pour simuler la réponse atmosphérique aux changements des conditions aux limites.
Dans le travail présenté ici, on utilise la possibilité offerte par le modèle ARPEGE de faire varier
dans l’espace la résolution horizontale, ce qui permet d’étudier les impacts locaux avec suffisamment de précision, sans avoir à utiliser une version à haute résolution uniforme, trop coûteuse pour
être utilisable dans des intégrations décennales.
L’idée d’utiliser une résolution élevée dans une région d’intérêt, quitte à la choisir plus faible là où
on ne regardera pas les résultats, est assez naturelle et est mise à profit avec succès depuis
quelques années à Météo-France pour la prévision à courte échéance. Le principe de la maille
variable consiste à représenter les champs dans un système latitude-longitude transformé. Le pôle
est positionné dans la zone d’intérêt, et les cercles de latitudes sont de plus en plus espacés au fur
et à mesure qu’on s’éloigne de ce nouveau pôle. On montre dans Déqué et Piedelievre (1995) que
cette méthode améliore la simulation du climat dans la zone de haute résolution sans la dégrader
ailleurs.
Nous avons donc utilisé une version à résolution variable, dont la maille varie continûment de 60 km
dans la mer Tyrrhénienne (position du nouveau pôle) à 600 km dans le Pacifique. Le coefficient
d’étirement au pôle vaut 3,5. Cette version utilise un développement en harmoniques sphériques
sur la sphère ainsi basculée et étirée jusqu’au nombre d’onde 63. Le masque terre-mer, c’est-à-dire
la distribution des points qui sont considérés comme continentaux sur la grille du modèle, permet
de distinguer les Baléares (par un unique point de grille de terre au milieu de la mer), alors que la
Nouvelle-Zélande n’est pas recoupée par cette grille.
(1) On appelle forçage radiatif l’augmentation de l’effet de serre due aux activités humaines.
22
Les changements climatiques et la situation de la forêt française
EXPÉRIENCE DE SCÉNARIO
Ce modèle a fait l’objet d’une étude d’impact de l’augmentation de la concentration en dioxyde de
carbone (CO2). Pour cela, on part d’une simulation réalisée par le service météorologique britannique (UKMO) avec un modèle global couplé océan-atmosphère de résolution horizontale d’environ
300 km (Johns et al., 1997). Cette simulation débute avec le taux de CO2 observé aux alentours de
l’année 1860, utilise les taux annuels observés jusqu’en 1990, puis se prolonge jusqu’en 2080 en
augmentant annuellement de 1 % la concentration en CO2 (voir Jones et al., 1997). Notre expérience consiste à simuler 10 ans avec le modèle à résolution variable utilisant les températures de
surface de la mer simulées de 1987 à 1996 et le taux actuel de CO2, à savoir 354 ppm volumiques (2), et 10 ans en utilisant les températures de surface de la mer simulées de 2057 à 2066 et
un taux de CO2 doublé (708 ppm). Une simulation préalable de 6 mois avec des températures de
surface de la mer climatologiques et un taux nominal de CO2 a été réalisée pour assurer grossièrement l’équilibre dynamique du modèle et éviter les dérives initiales inévitables lorsqu’on démarre
l’intégration avec des conditions initiales issues d’observations météorologiques.
IMPACT SUR LE CLIMAT DE L’EUROPE
Le réchauffement sur l’Europe est alors en moyenne de 2,0 °C en hiver et de 2,4 °C en été. En
hiver, le réchauffement est modéré sur les régions à climat océanique. Il est plus intense sur les
régions méditerranéennes. En été, on assiste plutôt à un contraste latitudinal, le réchauffement
étant supérieur à 2 °C au sud de 50 °N et dans une plage de 1-2 °C au nord de celui-ci. Au printemps et en automne, on obtient un réchauffement de l’ordre de 2 °C. Ce réchauffement est statistiquement significatif en toute saison. C’est sur les régions au sud-ouest de l’Europe que la
différence d’impact entre l’hiver et l’été est la plus marquée. La température moyenne quotidienne
est calculée comme la demi-somme de la température minimale et maximale. En fait, l’impact sur
ces deux températures n’est pas identique. En hiver, on constate que le réchauffement porte plus
sur la température minimale (impact de l’effet de serre sur le refroidissement nocturne dans une
atmosphère stable). En été, c’est sur la température maximale que le réchauffement est le plus
grand (à cause de l’assèchement du sol qui réduit la régulation par évaporation).
Contrairement à l’impact sur la température, le comportement des précipitations en hiver est l’inverse du comportement en été. En hiver, les précipitations augmentent de 10 % sur la partie Nord
de l’Europe et de 30 % sur la partie Sud. Cet impact est statistiquement significatif. En été, on
observe une diminution de 10 % sur le Nord, et de 30 % sur la partie Sud du continent. L’évaporation augmente également en hiver, mais dans une moindre mesure ; elle diminue en été de 10 %,
ce qui conduit à un bilan excédentaire de l’anomalie de l’ordre de 40 mm/an.
L’impact sur l’humidité est assez faible. En ce qui concerne l’humidité relative de l’air, on passe de
83 % à 81 % en doublant le taux de CO2. Cet écart est très faible si on le compare à l’écart entre
l’hiver et l’été qui est 10 fois plus élevé. En fait, le réchauffement de l’air conduit à une augmentation de l’humidité saturante, conformément à la relation de Clausius-Clapeyron, et l’humidité spécifique augmente, de manière à maintenir un taux presque constant. Ainsi, la colonne atmosphérique
voit sa quantité d’eau augmenter en moyenne de 2,5 kg/m2. L’augmentation des précipitations
d’hiver n’a pas d’impact sur l’humidité des sols. En été, on assiste à un assèchement dans l’extrême Sud de l’Europe (Sud-Est de l’Espagne, Grèce, Italie du Sud). La zone d’interception racinaire
voit sa quantité d’eau diminuer de 10 kg/m2 en été et en hiver, et de 24 kg/m2 en automne, ce qui
reste modéré, comparé à la capacité moyenne de l’ordre de 400 kg/m2. Au printemps, le contenu
(2) 354 millionièmes du volume atmosphérique.
23
Rev. For. Fr. LII - numéro spécial 2000
M. DÉQUÉ
en eau est pratiquement inchangé. L’augmentation nette du bilan hydrique en surface de 40 kg/m2
sur une année se traduit essentiellement par une augmentation du ruissellement et les réserves du
sol se retrouvent plus faibles avec un doublement du CO2.
Températures minimales (°C)
20
30
10
20
0
10
0
– 10
D J
4
F M A M J
J
A S O N
D J
Températures maximales (°C)
D J
F M A M J J
A S
Précipitations (mm/jour)
3
Figure 1
MOYENNES MENSUELLES SUR L’EUROPE
DES TEMPÉRATURES MINIMALES
(en haut, à gauche),
2
DES TEMPÉRATURES MAXIMALES
(en haut, à droite),
ET DES PRÉCIPITATIONS
(ci-contre)
1
0
D J
F M A M J
J
observation
simulation de référence
simulation de scénario
A S O N D J
24
O N D J
Les changements climatiques et la situation de la forêt française
Afin d’illustrer ces changements, la figure 1 (p. 24) montre, pour chaque mois de l’année (il s’agit
d’une moyenne sur 10 ans), la moyenne sur l’Europe des températures maximales et minimales
quotidiennes et des précipitations pour l’expérience de contrôle et l’expérience de scénario. On
trouve en outre les valeurs de la climatologie observée (Hulme et al., 1995), afin de juger du degré
de réalisme des simulations : un modèle de climat représentera toujours une approximation grossière de la réalité et il serait vain d’espérer reproduire celle-ci avec précision.
CONCLUSIONS
L’utilisation d’un modèle reproduisant l’évolution atmosphérique sur le globe, avec une représentation plus détaillée des phénomènes sur l’Europe permet de fournir des données quotidiennes à une
résolution horizontale de 70 km environ sur la France. Ces données ont l’avantage d’être physiquement cohérentes. Mais ce ne sont pas des prévisions. Le but de cette technique est de fournir
des données numériques pour évaluer l’impact d’un changement climatique sur un système qui
dépend des paramètres atmosphériques, par exemple un écosystème forestier. Ainsi, on peut
passer de l’approche qualitative “il va faire plus chaud quand le taux de dioxyde de carbone aura
doublé, donc certaines espèces végétales vont être favorisées et d’autres régresser” vers une
approche plus quantitative. Il faut toutefois garder deux choses à l’esprit. Un modèle de climat ne
peut donner exactement le climat observé ; il faut donc utiliser à la fois une simulation de référence
et une simulation perturbée, et travailler en mode différentiel. Un scénario est une solution possible
et plausible au problème posé : ce n’est pas la prévision de ce qui va se passer. Dans le domaine
scientifique, il n’y a pas de prévision sans possibilité de vérification. Une étude de scénario a pour
but d’évaluer l’ampleur des risques afin de décider du degré de priorité à donner aux mesures
destinées à contrer le phénomène ou à s’y adapter. En ce qui concerne la forêt, les mesures
d’adaptation à un changement possible à l’horizon de 50 ans sont à prendre dans les années qui
viennent, compte tenu de la longue durée de vie des espèces.
Michel DÉQUÉ
MÉTÉO-FRANCE
Centre national de Recherches météorologiques
42, avenue Coriolis
F-31057 TOULOUSE CEDEX 01
BIBLIOGRAPHIE
DÉQUÉ (M.), DREVETON (C.), BRAUN (A.), CARIOLLE (D.). — The ARPEGE/IFS atmosphere model : a contribution to the French community climate modelling. — Climate Dynamics, vol. 10, 1994, pp. 249-266.
DÉQUÉ (M.), PIEDELIEVRE (J.P.). — High resolution climate simulation over Europe. — Climate Dynamics,
vol. 11, 1995, pp. 321-339.
DÉQUÉ (M.), MARQUET (P.), JONES (R.). — Simulation of climate change over Europe using a global variable
resolution General Circulation Model. — Climate Dynamics, vol. 14, 1998, pp. 173-189.
HULME (M.), CONWAY (D.), JONES (P.D.), JIANG (T.), BARROW (E.M.), TURNEY (C.). — Construction of a 196190 European climatology for climate modelling and impacts applications. — International Journal of Climatology, vol. 15, 1995, pp. 1333-1363.
25
Rev. For. Fr. LII - numéro spécial 2000
M. DÉQUÉ
IPCC : Climate change 1995. The science of climate change. Contribution of Working Group I to the second
assessment report of the IPCC / Houghton, Meira Filho, Callander, Harris Kattenberg and Maskell Eds. —
Cambridge University Press, 1995. — 572 p.
JOHNS (T.C.), CARNELL (R.E.), CROSSLEY (J.F.), GREGORY (J.M.), MITCHELL (J.F.B.), SENIOR (C.A.),
TETT (S.F.B.), WOOD (R.A.). — The second Hadley Centre coupled ocean-atmosphere GCM : model description, spin up and validation. — Climate Dynamics, vol. 13, 1997, pp. 103-134.
JONES (R.G.), MURPHY (J.M.), NOGUER (M.), KEEN (B.). — Simulation of climate change over Europe using a
nested Regional Climate Model. Part II : comparison of driving and regional model responses to a doubling
of carbon dioxide. — Quarterly Journal of the Royal Meteorological Society, vol. 123, 1997, pp. 265-292.
MODÉLISATION NUMÉRIQUE DE L’IMPACT CLIMATIQUE D’UNE AUGMENTATION DE L’EFFET DE SERRE
(Résumé)
Un modèle numérique de simulation du climat est utilisé pour évaluer la réponse de l’atmosphère à un doublement de la concentration en dioxyde de carbone. Ce modèle calcule l’évolution temporelle des paramètres atmosphériques sur le globe, mais la résolution horizontale est maximale sur l’Europe. Deux simulations de dix ans
chacune sont effectuées, l’une avec le taux de concentration actuel et l’autre le double de cette valeur. Dans les
deux cas, la température de surface de la mer résulte d’une expérience similaire réalisée avec un modèle couplé
d’océan-atmosphère. Les résultats montrent un réchauffement de 2 °C en moyenne sur l’Europe. Les précipitations augmentent en hiver et diminuent en été.
NUMERICAL MODELLING OF THE IMPACT ON CLIMATE OF AN INCREASE IN THE GREENHOUSE EFFECT
(Abstract)
A numerical model for climate simulation is used to estimate the atmospheric response to doubling the carbon
dioxide concentration. This model calculates how atmospheric parameters evolve over time all over the globe,
but horizontal resolution is maximum over Europe. Two 10-year simulations are carried out - one using the
present rate, the other at twice that rate. In both cases, the sea surface temperature comes from a similar experiment with an ocean-atmosphere coupled model. The results show a temperature increase of about 2 ºC over
Europe. Precipitation increases in winter and decreases in summer.
26
Téléchargement