dilemme des musulmans de France, c`est de choisir entre un islam

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Ched rAbbas, recteur de la Grande Mosquée de Pans
dilemme des musulmans de France, c'est de
choisir entre un islam de rupture, comme celui
des fondamentalistes, et un islam intégrationniste" explique un conseiller de Matignon, inquiet
depuis la manifestation. Cet "islam tranquille",
"souple et adapté", c'est celui de Cheik Abbas, le
recteur de la Mosquée de Paris. Contrairement
aux imams de Foi et Pratique, qui insistent
parfois sur la "supériorité des musulmans",
Cheik Abbas prône la 'filiation des révélations":
chrétiens, juifs, musulmans sont tous les Yils du
même livre". Il a avec lui la grande majorité des
musulmans français et notamment les harkis et
enfants de harkis. Mai
s Cheik Abbas n'a pas
réussi à s'imposer.
Des musulmans modérés, secoués par l'affaire
Rushdie, réclament aujourd'hui un "conseil
supérieur de l'islam français". 'Us juifs ont leur
Consistoire, les protestants leur Fédération
réformée les catholiques leur Conférence épiscopale. kous, rien ! La deuxième religion de
France n'a pas de statut. Son seul représentant,
Cheik Abbas, est un étranger. Ce n'est pas
normal", dit un enseignant, pourtant proche de la
Mosquée de Paris. Le gouvernement, qui n'osait
pas toucher au statu quo de peur de déplaire au
gouvernement d'Alger, envisage désormais une
"solution à la française". "Nous sommes à un
tournant. Ou bien la communauté continue à se
morceler et elle explose. Ou bien elle s'unit
autour d'une personnalité française reconnue par
tous", dit-on dans l'entourage du Premier
ministre. Cheik Abbas — qui a rencontré, la
semaine dernière Pierre Joxe pour évoquer
justement les problèmes d'organisation de la
communauté — devrait bientôt quitter ses fonctions. L'occasion de régler le problème ? L'Algérie ne semble pas encore prête à renoncer à la
Mosquée de Paris. Pourtant il faut faire vite. Dans
la bataille des deux islams (l'islam de consensus
et l'islam de rupture), qui l'emportera ? "C'est en
France qu'ont mûri toutes les idées réformatrices
qui ont bouleversé les pays musulmans; explique
Driss El Yazami, journaliste marocain (1). Dans
les années 20, les nationalistes arabes ont fait
leurs classes à Paris. Dans les années 60, les
marxistes s'y sont réfugiés. Aujourd'hui, il n'y a
qu'ici qu'on peut débattre sereinement de la
religion." La France, une chance pour l'islam ?
Bruno Etienne, auteur de "l'Islam radical" (2),
croit que sur cette terre républicaine et laïque
peut naître une nouvelle manière d'être musulman. Celle de SOS-Racisme ou de France-Plus,
celle des musulmans qui font de leur foi une
affaire privée, des croyantes qui ne veulent pas
porter le voile, des jeunes qui prient et qui vont
danser le samedi soir... Une course de vitesse
s'engage entre extrémistes et réformateurs. Et
parfois, les partisans de l'islam le plus conservateur s'avancent masqués. La Fédération nationale des Musulmans de France, créée par un
converti, Daniel Youssef Leclerc, pour concurrencer la Mosquée de Paris, réclame un "islam
indépendant des influences étrangères". Mais en
même temps, elle prône un respect méticuleux
de la tradition. Elle a été jusqu'à demander au
ministère de l'Intérieur que les femmes musulmanes françaises puissent avoir les cheveux
couverts sur les photos des cartes d'identité!
D'autres à la FNMF veulent dispenser leurs
enfants des cours d'éducatién sexuelle, de danse
ou de musique, séparer les filles et les garçons lors
des séances d' éducation physique... La FNMF est
pour "rintégration". Mais au prix d'un aménagement des lois de la République !
Abul Farid Gabteni, l'organisateur de la
manifestation anti-Rushdie à Paris, lui aussi sait,
quand il le faut, passer des compromis avec
"l'Occident décadent". Dans la chambre de
bonne d'un immeuble parisien, sous un poster de
La Mecque, il prépare la "reconquête des
musulmans de France". A ses côtés s'activent
deux jeunes femmes au teint très blanc. Des
"dactylos" européennes converties. Elles portent
le tchador mais travaillent sur ordinateur...
FARID AICHOUNE
et MARIE-FRANCE ETCHEGOIN
(1)Auteur d'une exposition dans le cadre du Bicentenaire
de la Révolution française sur 'Terre des étrangers, terre
des libertés". A Marseille, au musée d'Histoire jusqu'au
mois de mai. Au Centre Georges-Pompidou à partir de
septembre.
(2)"L'Islam raclical", par Bruno Etienne.
23-29 MARS 1989/103
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