Pour une génétique de la représentation. Prise 2. Josette Féral Les

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Pour une génétique de la représentation. Prise 2.
Josette Féral
Les premières bases de cette réflexion ont été posées dès 1998 dans l’article « Pour une
analyse génétique de la mise en scène » paru dans Théâtre/public, Paris, no 144, pp. 54-59 et
traduit par la revue Assaph de Tel Aviv la même année. Nous en reprenons ici certains aspects
parce que cette cartographie d’un champ encore fragile reste encore valable. Toutefois depuis
quelques années, plusieurs textes et recherches importantes ont paru sur le sujet en France
notamment les travaux de Jean-Marie Thomasseau, de Marie-Madeleine Mervant-Roux et de
Sophie Proust ainsi que le numéro spécial de Genesis, consacré au Théâtre, no 26, automne
2006. Du côté anglosaxon (australien ici) mentionnons les travaux de Gay McAuley qui fut une
pionnière dans le domaine et qui, depuis plus de vingt ans, observe le travail des artistes en
répétition1.
1995, prise 1. De passage à l’Université de Toronto où la Schaubuhne est en visite, la metteure en
scène Andrea Breth offre au public une master class portant sur l’une des scènes de La Mouette,
celle de la dernière rencontre entre Tréplev et Nina, celle où Tréplev découvre que Nina, revenue
pour quelque temps, abandonnée par Trigorine, ne pourra amais l’aimer. Les deux acteurs, sous la
direction de Breth, jouent la scène. Nina est allongée sur un Récamier pendant que Kostia, assis à
la tête du divan, lui serre les doigts avec force, exprimant ainsi à la fois son désespoir et sa
passion. L’actrice interrompt alors le jeu et se plaint de ce que la pression de la main de son
amoureux transi lui brise les articulations.
1998, prise 2. En visite à la Schaubuhne de Berlin, j’assiste au spectacle terminé de La Mouette
monté par Andrea Breth et constate que les deux acteurs jouent désormais cette scène à plusieurs
mètres de distance, immobiles et contenant leur émotion. La force de cet échange à distance où
les corps ne se touchent pas mais où toute la passion désespérée de Tréplev est là face à
l’indifférence de Nina, brisée par son amour, montre avec force l’irrévocable de leur séparation et
décuple ce sentiment de fatalité qui va s’abattre sur ces jeunes oubliés par la vie.
La première disposition spatiale, originellement trouvée, celle de 1995, montre ainsi ses
insuffisances. Qu’est-ce qui a amené la metteure en scène et les acteurs à cette transformation?
Quelles ont été les étapes de cet éloignement? Quelles discussions ont mené à ces choix? Ce
furent les premières étapes d’une interrogation qui m’amena à m’intéresser aux processus de
création d’une œuvre et, tout particulièrement, aux étapes de préparation d’un spectacle avant sa
cristallisation finale.
*
Toute représentation d’un spectacle étudié en vue d'une analyse ne constitue jamais qu'un
moment d'un processus qu'il faut sans cesse réaffirmer comme un instantané, saisi sur le vif, d'un
moment qui s'inscrit dans la durée et qu'il faut nécessairement lire comme tel, ce que confirment
1 Voir la revue About Performance (University of Sydney) dirigée par Gay McAuley. Ajoutons à cette liste du côté anglosaxon
Shommit Mitter, Systems of Rehearsal: Stanislavky, Brecht, Grotowski and Brook (London: Routledge, 1992); Susan Letzercole,
Directors in Rehearsal, a Hidden World (London: Routledge, 1992); Vasili Toporkov, Stanislavski in Rehearsal (London: Methuen,
2001). En France, G. Banu (ed.), Les répétitions Un siècle de mise en scène. De Stanislavski à Bob Wilson. Bruxelles, Alternatives
théâtrales 52-53-54, 1997 et réédité chez Actes-Sud dans une version révisée (2005). Cet article a été publié en introduction au
numéro spécial de Theatre Research International qui porte sur les processus de création sous le titre «Introduction : Towards a
Genetic Study of Performance-Take 2» in special issue on Genetics of Performance (Theatre research international), vol.33, no.3,
octobre 2008, pp 223-233.
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d'ailleurs les multiples oeuvres in progress dont on suit le parcours: celles de W. Mouawad,
R.Lepage, R.Wilson, P. Sellars2 pour ne citer que celles-là. L’œuvre serait ainsi toujours en train de
se faire et serait inscrite dans un processus de création constant.
Ce qui est vrai de l’œuvre présentée au public l’est, plus encore, de l’œuvre en gestation et s’il
n’est pas nouveau, dans le domaine de la recherche théâtrale, de s’intéresser aux étapes de
création en amont du spectacle achevé et d’interroger certains documents existants (entrevues de
metteurs en scène et d’acteurs, professions de foi, description de leur mode de travail ou de leur
vision du théâtre; étude de maquettes, de croquis, de notes diverses…), l’étude systématique de
ces documents et, plus encore, des cahiers de régie, ébauches, notes de scène (rédigées par le
metteur en scène lui-même, ses assistants ou les acteurs) qui documentent les répétitions, est
encore rare. Pourtant, analysées de façon systématique, toutes ces données permettent d’entrer
concrètement dans le mode de travail d’un créateur pour un spectacle donné et d’explorer les
étapes d’un processus de création : Comment travaille un metteur en scène? Quels conseils
donne-t-il aux acteurs? Quelles directives adopte-t-il en ce qui touche l’espace, la gestuelle?
Comment se passent les répétitions? Comment s’effectue l’entrée en salle des comédiens? À quel
moment interviennent les décors? Comment ces derniers affectent-ils la mise en place et le jeu?
Pourquoi tel accessoire de scène a-t-il été ajouté? Ces notes, toutes parcellaires qu’elles soient,
sont les seules à pouvoir rendre compte, dans leur multiplicité, des changements apportés au
spectacle au cours de sa gestation ainsi que des hésitations, ratures, découvertes et choix divers
qui accompagnent le travail.
Ces documents que nous nommerons « brouillons »3 pour désigner leur statut d’oeuvre inachevée
et incomplète comprennent à la fois tout ce qui relève de brouillons d’auteurs, de traducteurs, voire
de metteurs en scène ainsi que tous les éléments ayant servi à la composition du spectacle :
maquettes, croquis, enregistrements visuels et sonores et, plus que tout, les documents qui
permettent de retracer les différentes étapes des répétitions. Ces brouillons, qui se créent pendant
la gestation du spectacle, se divisent en deux vastes sous-ensembles selon la nature des traces
existantes : ils peuvent être textuels ou scéniques.
A. Brouillons textuels
Un premier sous-ensemble rassemble tout ce qui touche au texte proprement dit : texte ou
manuscrit de départ annoté avec en surimpression toutes les corrections, modifications,
coupures, adaptations et re-écriture qui altèrent une version de départ donnée... L’étude de ces
« brouillons » textuels peut constituer – comme nous le faisions remarquer dans l’un de nos
premiers articles sur le sujet 4 - la génétique des textes proprement dite. Créée par Louis Hay en
1968, puis systématisée par Almuth Grésillon (1994)5, la génétique des textes tente de retracer
2 Seuls , Incendies, Littoral de Wajdi Mouawad; Les sept branches de la Rivière Ota, de Robert LEPAGE. Civil Wars, de Robert
Wilson. I was looking at the ceiling and then I saw the sky de Peter Sellars, par exemple.
3 A. Grésillon donne le nom d’avant-texte à tous les documents de cette phase de la gestation d’un spectacle. Cf A. Grésillon,
Eléments de critique génétique. Lire les manuscrits modernes, Paris. PUF, 1994, p.241. Repris dans A. Grésillon et J-M.
Thomasseau, « Scènes de genèses théâtrales », Genesis, Revue internationale de critique génétique, numéro spécial consacré au
Théâtre, no 26, automne 2006, p. 21.
4 Voir article « Pour une analyse génétique de la mise en scène » in Théâtre/public, Paris, automne 1998, no 144, pp. 54-59. Paru en
anglais « For a Genetic approach to Performance Analysis », Assaph, Tel-Aviv, no 13, 1998, pp-41-54.
5 Voir le numéro de Genesis mentionné plus haut. Préparé sous la direction de Nathalie Léger et Almuth Grésillon, il tente
précisément de poser, pour la première fois en France, les bases d’une « génétique du théâtre ». Voir, de façon plus précise, l’article
de A. Grésillon et J-M. Thomasseau, « Scènes de genèses théâtrales », pp. 19-34. Quant à la génétique des textes proprement dite,
elle eut pour précurseur – comme nous le notions plus haut -, et ce, dès 1968, Louis Hay qui fut le premier à s’intéresser aux
processus de création en travaillant notamment sur des manuscrits de Heine trouvés dans un coffre. Après lui, ce fut Almuth Grésillon
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les diverses étapes menant à l’état final d’un manuscrit. Inspirée de la théorie génétique de la
littérature avec laquelle elle partage un certain nombre d’éléments méthodologiques, la génétique
textuelle se concentre sur le processus de l’écriture de l’œuvre en son moment de gestation, soit
qu’elle se fasse très en amont - l’écriture d’une pièce précédant de beaucoup sa représentation-,
soit qu’elle s’effectue dans un corps à corps avec la scène, comme peuvent l’être les pièces de
nombreux auteurs travaillant avec un metteur en scène dans l’urgence de la scène et modifiant
leur texte en cours de répétitions. La génétique s’efforce alors de suivre et de reconstituer le
processus de création du texte à partir des traces existantes notamment des annotations,
ratures, surimpositions, brouillons de toutes natures - textes manuscrits ou partitions de metteurs
en scène ou d’acteurs (voir, à ce propos, l’étude de Anne-Françoise Benhamou sur Combat de
nègres et de chiens ou celle de Marie-Madeleine Mervant-Roux sur Le square de Duras)6.
La démarche, tout en se voulant aussi rigoureuse que possible doit, bien sûr, laisser place à la
spéculation, marquant des pistes, élaborant des scénarios possibles sans certitude aucune.
Dans le domaine théâtral, les brouillons textuels peuvent, bien sûr, être étudiés indépendamment
de la représentation mais ils ne trouvent leur véritable sens que dans un jeu de va et vient entre
la scène et le texte. Par opposition à l’analyse génétique des textes proprement dite, l’analyse
génétique de la représentation, ne peut se faire sans l’étude de ces relations entre texte et
scène, en montrant comment les modifications apportées à l’ébauche textuelle conditionnent le
travail scénique et comment ce dernier détermine, à son tour, le texte et interagit avec lui. Il
serait, par exemple, instructif d’étudier les différentes phases de l’écriture des pièces de H.
Cixous en relation avec le travail de répétitions des acteurs du Théâtre du Soleil notamment
dans L’Indiade ou l’Inde de leurs rêves (Théâtre du Soleil, 1987) ou pour L’Histoire terrible mais
inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (Théâtre du Soleil,1985,1987).
Mis à part les brouillons liés au manuscrit de la pièce, il subsiste souvent bien peu de traces
aisément consultables sur les étapes qui ont mené à l’édification d’un spectacle. Le deuxième
groupe de documents constitue ce que nous appellerons les brouillons scéniques et visuels.
B- Les brouillons scéniques et visuels
Ce second vaste ensemble comprend tous les documents écrits, visuels et sonores touchant le
travail de répétition proprement dit. Ces écrits sont générés en premier lieu par les différents
concepteurs et artisans du spectacle (metteur en scène, acteur, dramaturge, scénographe,
costumier, éclairagiste, spécialiste en son, accessoiriste…). Figurent ainsi dans cette catégorie les
cahiers de régie, notes d’assistant, notes d’acteurs, cahiers du souffleur lorsqu’ils existent, plans de
qui institua la génétique des textes en France dans son livre Éléments d’une Critique Génétique (1994). C’est en prenant pour corpus
les textes que la génétique trouve le plus aisément son application et ses méthodes. Le passage de la génétique des textes à celle de
la représentation fut, pour sa part, plus lent et beaucoup plus difficile à mettre en place. L’analyse passa donc d’abord par l’étude des
transformations des pièces écrites avant de se porter sur le travail préparatoire du spectacle. Il fallut déterminer, aux premières
phases de la réflexion, non seulement la faisabilité de telles études mais aussi le corpus de documents à soumettre à l’observation du
chercheur. Du côté français, ce fut J-M. Thomasseau qui incarna le premier ces recherches en France. Ses premiers articles sur le
sujet datent de la fin des années 90. Quant aux répétitions, celles-ci constituent un champ d’investigation important en elles-mêmes et
indispensable à l’étude des processus de création. Gay McAuley, en Australie, est sans conteste celle qui fut la première à s’y
intéresser avec constance. Créant même une structure, au sein de son Université, permettant à des compagnies de venir y travailler,
elle a su mettre en place les conditions idéales d’observation rigoureuse du travail des acteurs. Voir, pour la France, Sophie Proust.
La direction d’acteurs dans la mise en scène théâtrale contemporaine. L’Entretemps, 2006.
6 Anne-Françoise Benhamou « Genèse d’un combat : une rencontre « derrière les mots » », paru dans Genesis (op.cit.), p. 51-69 qui
analyse de façon serrée et éclairante les documents présentant les annotations de Chéreau sur les textes de Koltès et notamment sur
Combat de nègres et de chiens. Voir également “The Fragility of Beginnings: The First Genetic Stratum of Le Square (M. Duras,
1956), paru dans Theatre Research International (op.cit.), automne 2008. Mervant-Roux y analyse, en particulier, les différentes
étapes par lesquelles Duras serait passée et qui l’ont menée du roman à la pièce de théâtre.
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mise en place, conduites du spectacle, notes du metteur en scène aux acteurs, plans
d’éclairage, maquettes, croquis de décor, maquettes de costume. Ces documents s’enrichissent
d’autres traces, liées aux moyens de notation ou d’enregistrements actuels (bandes vidéos et
audio, notes d’observateurs extérieurs) qui permettent de revenir ainsi plus aisément sur les étapes
du travail.
I Les cahiers de régie
Par ordre d’importance et de fiabilité, nous avons tout d’abord les cahiers de régie, qui
demeurent une source intéressante de recherche, quoiqu’ils relèvent rarement du domaine
public. Ce sont, le plus souvent, les témoins des diverses étapes par lesquelles est passée la
production. Ils permettent de suivre les essais scéniques, les corrections, observations,
modifications, hésitations des uns et des autres et les choix définitifs. Très intéressants à
consulter lorsque le spectacle est terminé (voir les cahiers de régie de Roger Blin, Patrice
Chéreau, Antoine Vitez déposés à l’IMEC par exemple7), ils le sont, plus encore, lorsque la
production est encore en cours. Ils permettent alors un jeu de va et vient entre la production en
cours d’élaboration et la production achevée. Les cahiers de régie de Roger Blin ou d’Antoine
Vitez sont lumineux en ce sens8.
Si ces cahiers devenaient accessibles rapidement après la fin des répétions proprement dites, ils
permettraient des analyses plus pertinentes et plus éclairées du spectacle, des analyses qui
toucheraient directement au travail de création, liant ce dernier au résultat final. Il serait ainsi
possible de voir les étapes de création d’un metteur en scène, quelles voies il emprunte pour
effectuer ses recherches, à quel moment il retient ou élimine tel jeu de scène, tel geste, tel
déplacement, tel accessoire dans un spectacle donné. (Ces cahiers ne révèlent cependant pas
comment un metteur en scène dirige les comédiens, à quel moment et selon quelles modalités
entrent en jeu la scénographie, les costumes, les éclairages, éléments fondamentaux de toute
création théâtrale. Pour cela, il faut recourir à une observation du travail en cours).
La vision analytique portée sur la représentation par ce biais, loin de découper la mise en scène
en moments discontinus, réintègre ces derniers dans la continuité d’une démarche globale,
7 Voir aussi les notes de travail de Stanislavski (Mise en scène d’Othello de Shakespeare, Seuil 1948, 1973) ou ceux de Brecht
par exemple.
8 Cf. les journaux de travail de Vitez rendus publics grâce aux efforts de Nathalie Léger de l’IMEC et de l’éditeur P.O.L. Ceux-ci
permettent une plongée dans l’univers vitezien. Voir Écrits sur le théâtre I, II, III, IV, V, Paris, P.O.L., 1994, 1995, 1996,1997, 1998.
Voir, par exemple, les notes sur Partage de midi, qu’Antoine Vitez monte en 1975 : « 29 décembre 1974 (A Yannis Kokkos) : L’idée
du musée Claudel m’obsède…[…] Au fond, il s’agit moins du musée Claudel que de l’intérieur de la tête de Claudel au moment de sa
mort. Il y aurait là toutes les époques de sa vie, depuis 1905. Les portraits de femmes, L’Ernest-Simons (une superbe marine), les
lettres conservées, et des meubles d’époques diverses, des crucifix, un prie-dieu, un chapelet, un portrait de sa sœur Camille, une
sculpture par elle et des lampes de bureau, des meubles, des rideaux, des doubles rideaux. […]
L’autre direction […], c’est ton idée de la lumière. Un art figuratif à la limite de l’abstrait, car il ne faudrait indiquer que très peu
de choses du décor réel […] : seulement la lumière […]
10 mars 1975 (A Yannis Kokkos) : Voici l’arbre. Mais il faudrait quelque chose de plus chinois, ou plus Hokusaï.
Et d’une façon générale, je voudrais que l’image ainsi claire et fragile ait quelque chose de Hokusaï et du dessin japonais.
C’est vrai, ce que tu dis : si on encombre le plateau en pente, il aura l’air d’un dispositif. Il faut sélectionner les signes utilisés dessus –
par exemple les chaussures […].
15 août 1975. La pente. Elle doit être praticable. Il est indispensable que les meubles puissent y tenir, car les objets doivent
être la chose qui transforme l’aire de jeu en un véritable théâtre – sinon nous aurions un décor figuratif stylisé (et non point abstrait)
[…]»
Au terme de toutes ces observations dont nous ne reproduisons ici que quelques extraits, l’espace de Partage de midi créé
par Yannis Kokkos «sera composé d’un vaste demi-cercle blanc en pente traversé, de la face au lointain, d’une bande de parquet de
bois clair et fermé au fond d’un velum blanc. Quelques objets rythmaient la représentation : la maquette du steamer l’Ernest-Simons,
descendait des cintres; un mobilier de rotin : table basse, chaises, rocking-chair; un grand fauteur de pierre; un arbre stylisé,
idéogramme de la Chine.» (Écrits sur le théâtre, «La Scène», p. 7 à 27)
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réinscrivant le choix spécifique de tel mouvement, tel déplacement, tel geste, tel objet, dans le fil
d’un processus amorcé dans le temps. Le présent se profile ainsi sur les virtualités d’un passé
dont la principale vertu est celle d’avoir été oublié. C’est pourtant sur les traces et les ombres
laissées par ce passé que peuvent le mieux se lire les choix délibérés du présent et ce qui est
préservé.
Une question se pose néanmoins : celle de l’interprétation de ces cahiers de régie puisqu’il
n’existe pas de système uniforme de notation pour inscrire les choix de mise en scène pas plus
que pour noter les changements qui interviennent au cours du processus de création. Qu’inscrit
tel metteur en scène dans ses cahiers? Selon quelles règles? En privilégiant quels détails? Les
réponses diffèrent selon les artistes. Pour un Vitez dont les notes sont très détaillées, maints
autres metteurs en scène demeurent beaucoup plus sobres et moins systématiques.
Une autre difficulté surgit par ailleurs: en effet, la plupart des metteurs en scène ont tendance à
gommer les étapes antérieures d’une production, ne préservant par écrit que leurs derniers choix.
Comment donc retrouver ces étapes pour réussir à inscrire en palimpseste les traces des
déplacements antérieurs? Dans tous les cas, l’analyste reste tributaire du mode de notation que
chaque assistant a forgé pour ses besoins.
L’on sait, par exemple, pour les écrits de l’assistant metteur en scène, qu’aucune méthode de
notation n’existe et que chaque assistant, non seulement adopte un mode de prise de notes qui lui
est propre mais choisit – selon les impératifs du metteur en scène ou les siens propres – de noter
certains détails plus que d’autres9.
Le résultat en est que, pour qui aimerait suivre les diverses options ébauchées avant que le travail
de sélection final n’ait opéré, la chose est souvent impossible car les versions antérieures notées
par l’assistant sont gommées la plupart du temps au profit de l’option en cours10.
En effet, il ne subsiste, le plus souvent, aucune trace des divers choix antérieurs qui ont ponctué la
production.
Les cahiers de régie deviennent donc ainsi des palimpsestes impossibles à déplier car les
nouvelles versions se surimposent aux précédentes n’en laissant rien subsister. Ils appauvrissent
d’autant l’analyse génétique
Il va de soi que les modalités de recherche et de travail des metteurs en scène différent non
seulement en fonction de chaque artiste mais également en fonction des spectacles et des
conditions spatiales et temporelles dans lesquelles ils se déroulent. Chaque spectacle constitue
un cas unique, chaque scène un cas de figure particulier.
L’étude génétique appliquée au théâtre n’étudierait donc pas la totalité d’une mise en scène mais
choisirait certains moments privilégiés qu’elle analyserait pour mettre en lumière les étapes qui y
ont mené. Elle tenterait ainsi d’éclairer les modalités de création d’une scène donnée, d’un geste,
d’un déplacement afin de tracer en pointillé les ombres sur lesquels le travail de gestation se
construit, la façon dont opèrent les renoncements, les rectifications, les changements de
trajectoire; autrement dit toutes les étapes préliminaires ayant mené aux choix définitifs.
9 Voir à ce propos Sophie Proust. La direction d’acteurs dans la mise en scène théâtrale contemporaine. L’Entretemps, 2006. Voir
aussi le mémoire de maîtrise de Andreas Yandl, « En Quête d’une Vérité: Analyse Herméneutique de la Genèse d’Urfaust, Tragédie
Subjective; Mise en Scène de Denis Marleau, Théâtre UBU », Montréal, UQAM: 2001. Voir enfin les divers articles de Gay McAuley
sur le travail de répétitions.
10 Les diverses étapes d’improvisation du personnage de Valère dans le film Au Soleil même la nuit constituent un rare exemple des
différentes étapes de recherche , tout comme le film Claude Régy, Le Passeur réalisé par de Elisabeth Coronel et Arnaud de
Mezamat (1997) consacré au travail de création de Régy ou encore le film réalisé par Stéphane Metge sur le travail de Chéreau
autour de Phèdre .
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