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mise en place, conduites du spectacle, notes du metteur en scène aux acteurs, plans
d’éclairage, maquettes, croquis de décor, maquettes de costume. Ces documents s’enrichissent
d’autres traces, liées aux moyens de notation ou d’enregistrements actuels (bandes vidéos et
audio, notes d’observateurs extérieurs) qui permettent de revenir ainsi plus aisément sur les étapes
du travail.
I Les cahiers de régie
Par ordre d’importance et de fiabilité, nous avons tout d’abord les cahiers de régie, qui
demeurent une source intéressante de recherche, quoiqu’ils relèvent rarement du domaine
public. Ce sont, le plus souvent, les témoins des diverses étapes par lesquelles est passée la
production. Ils permettent de suivre les essais scéniques, les corrections, observations,
modifications, hésitations des uns et des autres et les choix définitifs. Très intéressants à
consulter lorsque le spectacle est terminé (voir les cahiers de régie de Roger Blin, Patrice
Chéreau, Antoine Vitez déposés à l’IMEC par exemple7), ils le sont, plus encore, lorsque la
production est encore en cours. Ils permettent alors un jeu de va et vient entre la production en
cours d’élaboration et la production achevée. Les cahiers de régie de Roger Blin ou d’Antoine
Vitez sont lumineux en ce sens8.
Si ces cahiers devenaient accessibles rapidement après la fin des répétions proprement dites, ils
permettraient des analyses plus pertinentes et plus éclairées du spectacle, des analyses qui
toucheraient directement au travail de création, liant ce dernier au résultat final. Il serait ainsi
possible de voir les étapes de création d’un metteur en scène, quelles voies il emprunte pour
effectuer ses recherches, à quel moment il retient ou élimine tel jeu de scène, tel geste, tel
déplacement, tel accessoire dans un spectacle donné. (Ces cahiers ne révèlent cependant pas
comment un metteur en scène dirige les comédiens, à quel moment et selon quelles modalités
entrent en jeu la scénographie, les costumes, les éclairages, éléments fondamentaux de toute
création théâtrale. Pour cela, il faut recourir à une observation du travail en cours).
La vision analytique portée sur la représentation par ce biais, loin de découper la mise en scène
en moments discontinus, réintègre ces derniers dans la continuité d’une démarche globale,
7 Voir aussi les notes de travail de Stanislavski (Mise en scène d’Othello de Shakespeare, Seuil 1948, 1973) ou ceux de Brecht
par exemple.
8 Cf. les journaux de travail de Vitez rendus publics grâce aux efforts de Nathalie Léger de l’IMEC et de l’éditeur P.O.L. Ceux-ci
permettent une plongée dans l’univers vitezien. Voir Écrits sur le théâtre I, II, III, IV, V, Paris, P.O.L., 1994, 1995, 1996,1997, 1998.
Voir, par exemple, les notes sur Partage de midi, qu’Antoine Vitez monte en 1975 : « 29 décembre 1974 (A Yannis Kokkos) : L’idée
du musée Claudel m’obsède…[…] Au fond, il s’agit moins du musée Claudel que de l’intérieur de la tête de Claudel au moment de sa
mort. Il y aurait là toutes les époques de sa vie, depuis 1905. Les portraits de femmes, L’Ernest-Simons (une superbe marine), les
lettres conservées, et des meubles d’époques diverses, des crucifix, un prie-dieu, un chapelet, un portrait de sa sœur Camille, une
sculpture par elle et des lampes de bureau, des meubles, des rideaux, des doubles rideaux. […]
L’autre direction […], c’est ton idée de la lumière. Un art figuratif à la limite de l’abstrait, car il ne faudrait indiquer que très peu
de choses du décor réel […] : seulement la lumière […]
10 mars 1975 (A Yannis Kokkos) : Voici l’arbre. Mais il faudrait quelque chose de plus chinois, ou plus Hokusaï.
Et d’une façon générale, je voudrais que l’image ainsi claire et fragile ait quelque chose de Hokusaï et du dessin japonais.
C’est vrai, ce que tu dis : si on encombre le plateau en pente, il aura l’air d’un dispositif. Il faut sélectionner les signes utilisés dessus –
par exemple les chaussures […].
15 août 1975. La pente. Elle doit être praticable. Il est indispensable que les meubles puissent y tenir, car les objets doivent
être la chose qui transforme l’aire de jeu en un véritable théâtre – sinon nous aurions un décor figuratif stylisé (et non point abstrait)
[…]»
Au terme de toutes ces observations dont nous ne reproduisons ici que quelques extraits, l’espace de Partage de midi créé
par Yannis Kokkos «sera composé d’un vaste demi-cercle blanc en pente traversé, de la face au lointain, d’une bande de parquet de
bois clair et fermé au fond d’un velum blanc. Quelques objets rythmaient la représentation : la maquette du steamer l’Ernest-Simons,
descendait des cintres; un mobilier de rotin : table basse, chaises, rocking-chair; un grand fauteur de pierre; un arbre stylisé,
idéogramme de la Chine.» (Écrits sur le théâtre, «La Scène», p. 7 à 27)