Observatoire Foi et Culture - Conférence des évêques de France
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Aux évêques de France
OFC 2016, n° 13
Ray Tomlinson, Andy Grove et Hilary Putnam :
Requiescant
La rubrique « Nécrologie » de nos médias a été envahie récemment par les hommages rendus
au footballeur néerlandais Johan Cruyff ou à l’académicien Alain Decaux. Quels que soient
leurs mérites, leur disparition a occulté celle de trois autres personnalités qui ont probablement
davantage « fait l’histoire ». Il s’agit d’un innieur, d’un grand patron et d’un philosophe, tous
trois aricains et les deux derniers juifs.
L’ingénieur, c’est Ray Tomlinson, né en 1941, for au MIT (Massachussetts Institute of
Technology). C’est lui qui, en 1971, alors quil avait participé à la création du réseau (militaire)
Arpanet (antre de notre Internet, permettant de relier entre eux des seaux locaux
d’ordinateurs) et qu’il était cen s’occuper d’autre chose, découvrit comment envoyer un
message d’un ordinateur à un autre et conçut les adresses où le nom de l’utilisateur est assoc
par l’arobase @ à celle d’un serveur qui reçoit et envoie des dones sur la « toile ».
L’inventeur des emails (c’est lui aussi qui lança cette appellation) resta modeste et discret,
poursuivant sa carrière dans la même entreprise de high tech qui travaille essentiellement pour
le Pentagone.
Le grand patron, cest Andrew (ou plus familièrement Andy) Grove. Son nom est lié à Intel le
microprocesseur de la plupart des ordinateurs. Andras Grof en 1936 en Hongrie sous la
dictature de l’amiral Horty, une maladie infantile le laissa partiellement sourd. Il échappa à la
Shoah quand les nazis prirent le pouvoir. À vingt ans, après lentrée des chars sovtiques à
Budapest, il ussit à passer en Autriche et de là aux États-Unis. Il apprit l’anglais, se maria à
une compatriotefugiée comme lui, à laquelle il resta fidèle toute sa vie, et s’inscrivit en génie
chimique à luniversi, d’abord à New York, puis, pour son doctorat, à Berkeley en Californie.
Devenu spécialiste des semi-conducteurs (il publia en 1967 un manuel qui est devenu un
classique), il fut un des pionniers de ce qui allait devenir la Silicon Valley à quelques encablures
de Berkeley.
Ce nest pas lui qui ca Intel, mais Robert Noyce (1927-1990) et Gordon Moore (en
1929). Le premier avait vu que lavenir était aux microprocesseurs. Le second a donson nom
à une loi qui dit que la capacides puces électroniques double tous les deux ans. Andy Grove,
immédiatement embauché pour faire tourner l’entreprise, apporta un « plus » décisif : en plus
de ses compétences technologiques et de son goût pour l’innovation perpétuelle, des qualités
de manager hors pair, non seulement dans la commercialisation et la rentabili, mais encore
dans la gestion des « ressources humaines ». Devenu richissime, il n’avait pas d’emplacement
de parking servé (pas de chauffeur non plus, et encore moins un jet privé ou une villa pour
des réceptions du genre de Gatsby le Magnifique) et travaillait dans un box qu’il trouvait libre au
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sein de l’espace collaboratif du siège de l’entreprise. La seule hiérarchie qui l’intéressait était
mesurée par la performance et concrétisée non par des grades ou des rangs, mais par de
largent (de juteuses parts de capital et pas uniquement des salaires), ou inversement des
licenciements, chacun étant invité à s’exprimer, avoir des ies, les partager et les tester.
Ce style de management est devenu un mole. Son livre de 1996, Only the Paranoid Survive
(« Seuls les paranoïdes survivent »), demeure un best-seller. La paranoïa en question est celle
qui interdit de se reposer sur ses lauriers. Il ne faudrait cependant pas prendre Andy Grove
pour un de ces milliardaires que leur succès rend omniscients et infaillibles. Il se trompa et sut
reconntre et corriger ses erreurs. Vers la fin de sa vie, il se fit l’apôtre d’une économie centrée
sur lemploi (job-centric), montrant que les délocalisations ont des effets fastes à terme et que
les start-ups, si cessaires quelles soient, ne redient au chômage que lorsquelles se
veloppent au point de devoir embaucher en masse et ainsi de soutenir et augmenter la
demande. Il n’oublia jamais non plus d’ il venait et plaida pour que l’Amérique demeure une
terre daccueil.
Ce sont des perspectives que n’aurait pas savouées Hilary Putnam, en 1926 et mort
quelques jours plus t. Il avait enseigné la philosophie à Harvard à partir de 1965. Fils de
communiste, lui-même un temps maste, il s’inscrit dans la tradition de lécole anglo-saxonne
dite analytique, attachée à l’examen critique du phénone de la connaissance et à la logique
de formulation des penes et raisonnements. Il s’inressa aux matmatiques, au langage, à
linformatique, aux neurosciences, à lesthétique, à l’éthique, changeant plusieurs de fois de
position dans ces divers domaines et se révélant un redoutable polémiste.
Ce qui émerge de ce foisonnement parfois contradictoire, c’est un dépassement résolu et peut-
être irréversible du positivisme qui veut que la philosophie ne soit rien de plus quune
ramification de la science et que la seule connaissance fiable est celle qui se forme dans lesprit
humain, et plus précisément dans le cerveau. Putnam montra que ce qui devient conscient
n’est pas indépendant de ce que d’autres expérimentent et nomment, donnant ainsi les mots
pour lidentifier. Il s’ensuit qu’il est impossible d’exclure qu’il existe autre chose que ce qui est
peu par les sens et cou dans lautonomie du cerveau. Sans aller jusqu’à un « alisme
métaphysique », le penseur non-conformiste finit par renoncer à lathéisme qui lui avait été
enseigné et quil avait professé, et il couvrit même son judaïsme, faisant sa bar mitzvah à 68
ans. Il se laissa inviter en Israël et écrivit un livre sur la philosophie juive. Son argument : la
religion n’a pas besoin de preuves ; ce qui compte, cest ce qu’elle change en lhomme.
Cest ainsi quen moins de quinze jours ont disparu trois hommes qui ont marqué la transition
du XXe au XXIe siècle, avec l’avènement de l’ordinateur et du courrier électronique, les défis de
limmigration et du cmage, et le retour du religieux.
Jean Duchesne, o.f.c.
P.S. On pourrait ajouter à cette chronique crologique Marvin Minsky (1928-2016), un autre
juif américain, mais solument athée, « inventeur » de l« intelligence artificielle » au MIT,
spécialiste des sciences cognitives et persuadé qu’il ny a pas de différence fondamentale entre
lêtre humain et les machines. Chaud partisan de la cryogénisation (préservation d’un cadavre à
19 C, permettant une animation théorique lorsque des techniques appropriées le
permettront), il a été un des pionniers du « transhumanisme ».
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