Maladie de Lyme et paralysie faciale Lyme disease and facial paralysis IP Y. Manac’h, S. Pierrot* rÉsumÉ La borréliose de Lyme est une arthropozoonose bactérienne transmise par une morsure de tique. Elle peut induire, dans sa phase de dissémination de l’infection, une paralysie faciale simulant une paralysie de Bell. La pratique d’examens sérologiques ne se justifie que sur des bases cliniques : antécédent de morsure de tique, érythème migrant, méningisme, arthralgie associée, bilatéralisation de la paralysie faciale… En dépit de son évolution spontanément favorable, cette paralysie faciale, dans le cadre de cette maladie infectieuse, nécessite une antibiothérapie. mots-clés : Maladie de Lyme - Borréliose - Paralysie faciale. Summary. Lyme disease is a bacterial arthropozoonosis secondary to a tick bite. It may induce a facial paralysis during its disseminating stage. Serological tests have to be performed on clinical associated symptoms: tick bite, erythema migrans, headache, arthralgia, bilateral paralysis… Despite its good natural course, the facial paralysis needs antibiotherapy. Keywords: Lyme disease - Borreliosis - Facial paralysis. L a maladie de Lyme, ou borréliose de Lyme, est une arthropozoonose bactérienne transmise par morsure de tique. Le vecteur en est une tique forestière, l’homme en étant un hôte accidentel. La morsure peut intervenir à n’importe quelle phase du développement de la tique, y compris à son stade de lymphe – celle-ci n’a alors que quelques millimètres de diamètre et peut donc échapper à la vigilance du sujet. Seules 3 % des morsures de tiques donneront une borréliose. ✓ Un élément saisonnier : les morsures de tiques surviennent lors de la période d’activité de ces dernières, du début du printemps à la fin de l’automne. * Service ORL, hôpital Necker-Enfants malades, Paris. ✓ Un élément géographique à base climatique : en France, la borréliose, dont l’incidence moyenne est estimée à 9,5 cas pour 100 000 habitants (1), est quasiment absente en région méditerranéenne chaude et sèche, mais son incidence est 10 fois supérieure à la moyenne nationale dans le nord-est du pays. La maladie est plus fréquente chez les jeunes enfants et chez les adultes après 45 à 50 ans. La Borrelia responsable (Borrelia burgdorferi sensu lato, ou B. burgdorferi sl) appartient comme les Leptospirosa et les Treponema à la famille des spirochètes ; ce rappel n’est pas inutile pour mémoriser la présentation clinique de la borréliose. la clinique La maladie peut être divisée en trois phases cliniques dont la connaissance est essentielle, puisque, comme nous le verrons, l’évocation d’une maladie de Lyme pour expliquer une paralysie faciale (PF) repose avant toute prescription d’examens sérologiques sur des éléments cliniques. Des chevauchements sont possibles entre ces trois phases. ac tualités sur les pathologies de l’automne a ctualités sur les pathologies de l’automne La phase précoce est celle de l’infection initiale cutanée de B. burgdorferi sl sous la forme d’un érythème migrant (EM). Cet érythème est centré par le point de morsure qui a pu être méconnu et apparaît 2 à 45 jours après la morsure. Il débute par une macule érythémateuse qui évolue de façon centrifuge pendant plusieurs semaines et prend typiquement un aspect en cocarde à centre clair et à bord érythémateux net pouvant atteindre plusieurs dizaines de centimètres de diamètre. Il est spécifique du diagnostic de borréliose de Lyme. Bien que survenant dans la majorité des cas de borréliose de Lyme (85 %), l’EM n’est pas constant. En l’absence de traitement, environ 10 % des EM seront Figure. Érythème migrant de la suivis d’une phase d’infections maladie de Lyme (photographie par le Dr D. Hamel-Teillac). disséminées. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 306-307 - septembre-décembre 2006 11 ac tualités sur les pathologies de l’automne a ctualités sur les pathologies de l’automne La phase intermédiaire correspond à la dissémination de l’infection et peut s’exprimer en plusieurs tableaux : ✓ Les tableaux neurologiques, qui apparaissent 2 à 4 semaines après l’inoculation. Ce sont des atteintes radiculaires à prédominance sensitive faites de dysesthésies systématisées dans le territoire de la morsure, de méningites lymphocytaires paucisymptomatiques à type de céphalées sans raideur méningée. Chez l’enfant, la manifestation la plus fréquente de ces neuroborrélioses est la paralysie faciale, qui se totalise en 1 à 2 jours, fréquemment bilatérale, mais alors souvent décalée dans le temps, d’évolution spontanément favorable, comme le serait une paralysie de Bell (2, 3). En Finlande, zone de forte endémie, environ 2 % des PF seraient secondaires à une borréliose de Lyme (4). ✓ Les tableaux rhumatologiques, qui apparaissent 1 à 6 mois après l’inoculation. Ce sont typiquement des monoarthrites ou oligoarthrites des grosses articulations, peu douloureuses, évoluant par poussées récidivantes brèves. ✓ Les autres tableaux sont moins fréquents : le lymphocytome cutané bénin, brun jaune à violacé du lobule de l’oreille, du mamelon ou du scrotum, des troubles de la conduction cardiaque, des péricardites ou myocardites, des atteintes de l’œil au niveau de n’importe lequel de ses segments. La phase tardive ou chronique apparaît en l’absence de traite- ment des phases précédentes et comporte des arthrites chroniques, des neuropathies axonales (mais il n’y a généralement pas à ce stade d’atteinte des nerfs crâniens), des manifestations neurologiques centrales (troubles de l’attention, troubles mnésiques…) enfin, une dermatite particulière, l’acrodermatite chronique atrophiante de Pick-Herxheimer. Ces manifestations tardives ou chroniques sont sans amélioration spontanée en l’absence de traitement. les eXamens comPlÉmentaires La stratégie diagnostique sérologique actuelle d’une infection à B. burgdorferi sl s’établit en deux temps (1). Un premier test immunoenzymatique de dépistage (Elisa) des anticorps anti-B. burgdorferi sl est réalisé à la recherche d’IgG et/ou d’IgM, puis, en cas de positivité, un test par immunoempreintes (Western Blot) vient confirmer ou infirmer la spécificité des anticorps initialement détectés. En cas de forte suspicion clinique, et si une première sérologie est négative, il faut réaliser une deuxième sérologie trois semaines plus tard pour objectiver une séroconversion ; en effet, les IgM ont un délai d’apparition de deux à trois semaines et les IgG de deux à trois mois après le début de l’infection locale. La présence d’IgM non suivie de séroconversion d’IgG peut être le fait de réactions croisées (virus d’Epstein-Barr, virus Herpès simplex, virus de l’immunodéficience humaine, tréponématose…) ou d’un traitement précoce. Au stade de l’infection chronique, les IgG sont souvent très élevées. Le caractère mal standardisé de ces examens biologiques explique la pratique de l’étude du liquide céphalorachidien par ponction lombaire dans les neuroborrélioses, à la recherche d’une lymphocytose et d’IgG spécifiques. 12 face À une ParalYsie faciale aPParemment a friGore, que faire ? Une étude multicentrique française, réalisée entre 1990 et 1992, exclut de réaliser systématiquement une sérologie de borréliose face à une PF qui se présenterait comme une paralysie a frigore en l’absence d’une symptomatologie associée évocatrice d’une possible borréliose (5, 6). En effet, dans cette étude, la positivité de ces examens, de 2 % en immunofluorescence et de 1,3 % en immunoempreintes, était identique à celle observée dans la population témoin (série de 293 PF apparemment a frigore, 244 sujets témoins), exprimant des réactions croisées ou une infection antérieure guérie. Toutefois, il paraît utile face à toute PF a frigore de penser à cette rare éventualité et de rechercher par l’interrogatoire, à titre systématique : – une morsure de tique en zone d’endémie ; – un érythème migrant ; – un méningisme ou des arthralgies ; – et, bien sûr, une bilatéralisation de la PF. C’est dans ce contexte clinique qu’une sérologie sanguine sera demandée : sa négativité conduira à son renouvellement trois mois plus tard ; sa positivité conduira à une ponction lombaire. le traitement Une morsure de tique ne nécessite aucun traitement (en dehors du cas de la femme enceinte), mais une simple surveillance clinique. Un érythème migrant conduit à un traitement antibiotique per os par amoxicilline, céfuroxime axétil ou érythromycine pendant une à deux semaines. Une paralysie faciale conduit à un traitement intraveineux par ceftriaxone ou céfotaxime pendant 2 à 4 semaines. ■ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. De Martino S, Jaulhac B. La borréliose de Lyme. Rev Prat 2005;55:471-7. 2. Kuntzer T, Bogousslavsky J, Peter O. Maladie de Lyme et neuroborréliose. EMC Traité de neurologie 1998:17-051-B-40. 3. Smith V, Traquina DN. Pediatric bilateral facial paralysis. Laryngoscope 1998;108:519-23. 4. Peltomaa M, Pyykko I, Seppala I, Viljanen M. Lyme borreliosis and facial paralysis: A prospective analysis of risk factors and outcome. Am J Otolaryngol 2002;23:125-32. 5. Ruel M. Borréliose de Lyme. Ann Med Interne 1998;144:117-26. 6. Rogeaux O, Bourrel M. Maladie de Lyme. EMC Traité de Maladies infectieuses 1997:8-037-E-10. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 306-307 - septembre-décembre 2006