Discussion complémentaire Mangez
concernant l’opportunité d’utiliser plutôt l’une ou l’autre de ces différentes appellations,
on peut dans l’ensemble considérer que pour ce courant d’analyse cognitive des
politiques publiques, celles-ci doivent être étudiées et comprises en tant qu’elles
constituent des structures symboliques à propos de tel ou tel secteur (ou champ) de
l’action publique : « Faire une politique, ce n’est dont donc pas ‘résoudre’ un problème,
mais construire une nouvelle représentation des problèmes qui met en place les
conditions socio-politiques de leur traitement par la société, et structure par là même
l’action de l’Etat » (Muller et Surel, 1998, p.31). Dans les termes de Freeman:
« problems are what we agree them to be (de mémoire) ». « Comme l’ont souligné de
nombreux auteurs (notamment, en France, Y. Mény, J.-C. Thoenig, E. Monnier), chaque
politique est porteuse à la fois d’une idée du problème (…), d’une représentation du
groupe social ou du secteur concerné qu’elle contribue à faire exister (…) et d’une théorie
du changement social. Ce référentiel est un espace de sens qui donne à voir le monde. »
(Muller, 1996, p. 101). Notons que ce faisant, le référentiel ou le paradigme qui guide la
politique publique cache aussi tous les autres mondes possibles.
Un second principe de base de ce courant affirme que « le processus de construction
d’une matrice cognitive et normative est (…) un processus de pouvoir » au cours duquel
les différents acteurs font valoir leurs intérêts propres : il y a ainsi des « conflits » autour
de la définition de la matrice légitime : « La production de discours concurrents sur un
même phénomène implique par là même une compétition sur la qualification du
problème » (Muller et Surel, 1998, p.51, p.61). Dans ces conflits, les différents acteurs
disposent de pouvoirs d’influence inégaux qui dépendent de « facteurs structurels liés à
leurs positions dans la division du travail » et de « leur capacité à se constituer en
acteurs collectifs ». La construction d’une politique publique s’apparente alors à un
processus de lutte et de négociation à propos de la manière légitime de construire et
d’interpréter la réalité concernée. Les chercheurs du courant d’analyse cognitive
s’attachent dès lors le plus souvent « à révéler et à déconstruire la manière dont les
acteurs élaborent des argumentations concurrentes, qui visent à définir un problème
dans un "langage" qui correspond à leurs valeurs, leurs croyances, leurs positions, leurs
intérêts, les caractères de leur organisation » (Muller et Surel, 1998, p.56).
Fort logiquement, à partir de ces deux premiers principes, les auteurs caractérisent le
processus de construction des politiques publiques, dans une formulation très
bourdieusienne, comme étant indissociablement « un processus de prise de parole
(production du sens) et un processus de prise de pouvoir (structuration d’un champ de
forces)» (Muller et Surel, 1998, p.52, surlignement original). Il y a ainsi une « relation
circulaire » entre « logiques de sens et logiques de pouvoir » (idem, pp.51-52), « une
interdépendance entre configuration d’acteurs et matrices paradigmatiques » (idem,
pp.86-87). Dans les termes de Bourdieu, on pourrait reformuler cette intrication en
disant qu’il existe des relations entre les structures sociales et les structures