L’ISLAM ET L’ORDRE PUBLIC EUROPEEN VUS PAR LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Version 1er mai 2005 Alain Garay Avocat à la Cour de Paris Chargé d’enseignement à l’Université d’Aix-Marseille III www.garay-avocat.com Dans un récent texte de conversations, le poète Abdelwahab Meddeb nous convie à une « poétique de la mêlée » dès lors que le monde islamique se trouve écartelé entre « le non renouvellement de la tradition et l’échec de l’occidentalisation » et subit l’influence d’un « intégrisme diffus qui n’épargne pas la France ». Déclinant sa propre « identité occidentale islamique », le poète rappelle la filiation arabo-musulmane de l’Europe tel qu’en témoigne des siècles d’échanges entre la civilisation musulmane et le Vieux Continent, de Cordoue à la gestion européenne du colonialisme 1 . Cet appel traduit un malaise. Il souligne l’ampleur des malentendus et des dissensions non seulement dans le champ des interprétations et des valeurs mais aussi dans les pratiques politiques contemporaines. Confrontés aux défis de la modernité politique, quel peut donc être l’apport des mécanismes d’intégration institutionnels et de régulation jurisprudentielle européenne en présence de(s) l’islam(s) en Europe et/ou « européen » ? Cette première interrogation surgit alors que le « droit des religions », lui aussi saisi par la mondialisation 2 , n’échappe pas à la « nouvelle gestion juridique de la religion en Europe3 . L’européanisation du droit des religions, aujourd’hui marquée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après désigné CEDH), est-elle susceptible de modifier les relations 1 Sur l’Islam, élément constitutif de l’espace Europe du point de vue géographique, historique voire d’une identité culturelle partagée, lire Face à l’Islam d’Abdelwahab Meddeb ( Textuel, Paris, Conversations pour demain), Paris, 2004, mais aussi l’ouvrage collectif dirigé par Michel Wievorka initulé L’avenir de l’Islam en France et en Europe (Balland, Paris, 2003) et la contribution de Jack Goody, L’islam en Europe, histoire, échanges, conflits (La Découverte, Paris, 2004). 2 Mireille Delmas-Marty, Trois défis pour un droit mondial, Le Seuil, Paris, 1997. On lira aussi la brève synthèse de Jean-Bernard Auby intitulée La globalisation, le droit et l’Etat, Montchrestien, Clefs-politique, Paris, 2003 3 Marco Ventura, Protectionnisme et libre-échangisme – La nouvelle gestion juridique de la religion en Europe, Conscience et Liberté, Berne, n°64, 2003 1 que les musulmans et leurs institutions entretiennent avec la société civile et politique en Europe et ailleurs ? Cette nouvelle question appelle des approfondissements, récents et féconds 4 , qui ne doivent pas se limiter à un simple relevé de décisions et arrêts de la CEDH ni à un compendium. En effet, l’Europe reste le continent de toutes les influences et de l’ouverture. Son droit est par essence évolutif irrigué par de nombreuses sources 5 . S’agissant des faits religieux, la conception évolutive de la Convention européenne des droits de l’Homme, facteur de progrès démocratique et de modernité politique, a subit l’empreinte de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) dont l’arrêt fondateur rendu en matière de liberté de religion le 25 mai 1993 dans l’affaire Minos Kokkinakis contre Grèce précise que « …la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assisses d’une société démocratique au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société » 6 . Aujourd’hui alors que des millions de musulmans 7 résident dans l’Union Européenne (UE), que le débat politique sur l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie est en cours dans « une des Europe » à vingt-cinq Etats-membres « plus catholique », que le spectre du fondamentalisme, de l’intégrisme, du fanatisme, du communautarisme « islamiques » est entretenu, que le terme « islamophobie » suscite une dispute sur son contenu 8 , de nombreuses interrogations surgissent au sujet du devenir de « l’homo islamicus européen », en situation d’infériorité numérique. La question de « l’Islam européen » contemporain, de la prise en compte des populations immigrées 4 Dans le contexte européen et du point de vue des institutions européennes la matière est pour le moment peu exploré. Voir European Union and Islam, Reunion de Vienne de l’European Consortium for Church and State Research, Milan (www.church-state-europe.org), 16-17 novembre 2001 (Actes en cours de publication). 5 Mireille Delmas-Marty, Pour un droit commun, Seuil, Librairie du XXème siècle, Paris, 1994 6 Hélène Surrel, La liberté religieuse devant la Cour européenne des droits de l’Homme, RFD adm. 1995, p. 573 et s. ;.Alain Garay, Liberté religieuse et prosélytisme : l’expérience européenne, RTDH 1994, pp. 9-29 7 A défaut d’outil statistique idoine, des chiffres circulent sans que des sources éprouvées soient référencées : ainsi, par exemple, le Pr Jean Vergès mentionne la présence de 20 millions de musulmans dans l’UE (Le Monde, 27 avril 2004) alors que Le Monde, citant le quotidien La Republicca de 2001, annonce quant à lui « 8,9 millions de musulmans dans l’UE des 15 » (15-16 février 2004 , p. 5). Voir aussi les réactions de la démographe Michèle Tribalat qui dénonce avec Pierre-Patrick Kaltenback, les effets d’annonce sur les données chiffrées visant la présence des musulmans (« On a sorti d’un chapeau 5 millions de musulmans », L’Express, 4 décembre 2003, pp. 86-87). S’agissant de « musulmans », encore faut-il aussi distinguer entre les données sur la simple appartenance religieuse, le degré de participation religieuse et les pratiques, rites, etc. 8 Un intellectuel comme Pascal Bruckner a ainsi dénoncé, dans les pages du quotidien Le Figaro, « un chantage à l’islamophobie » alors qu’en France la Commission nationale Consultative des doits de l’Homme dans un rapport paru en novembre 2003 en récusant ce terme lui préfère l’expression « intolérance à l’égard de l’Islam » (voir l’article, « En France, le terme « islamophobie » suscite un débat » (Le Monde, 15-16 février 2004, p. 5) 2 musulmanes 9 à la régulation publique des pratiques musulmanes voire à sa gestion dite sécuritaire, en renouvelant le droit européen des religions interroge toutes les religions et tous les Etats. Et alors que l’identité religieuse reste l’une des données fondamentales européenne 10 , tout comme pour d’autres confessions religieuses, la question des dénominations musulmanes reste centrale. L’objet est complexe, les confusions nombreuses, en présence d’un Islam protéiforme et polysémique 11 non servi par un « appareil d’autorité centralisé » (Frank Frégosi), en pratique par une autorité religieuse représentative détentrice d’un magistère d’influence. Ces rappels doivent être faits pour aborder sereinement le sujet de cet exposé qui à partir de l’expérience et des contributions de la CEDH démontrera, que, d’une certaine façon et pour emprunter une expression d’Alain Boyer concernant la France 12 , « l’Islam est une chance pour l’Europe et l’Europe une chance pour l’Europe ». De sorte que riche de l’adhésion de 45 Etats-membres 13 à la Convention européenne des droits de l’Homme du 4 novembre 1950, le Conseil de l’Europe dont l’organe judiciaire est la Cour européenne des droits de l’Homme poursuit inlassablement sa tâche d’amélioration des procédures de consolidation et de protection des droits de l’Homme (sous l’égide du Comité d’experts désigné par son Comité directeur pour les droits de l’Homme 14 ) qui profite aux musulmans en Europe. Le contentieux européen des droits de l’Homme est-il le révélateur du débat sur le degré de compatibilité des conceptions musulmanes avec les droits de l’homme 15 ? Alors que l’axiome selon lequel « la religion vécue apparaît 9 Lire La religion et l’intégration des immigrés, Editions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, sept. 1999 dont le chapitre L’islam dans l’Union Européenne 10 Lire le récent ouvrage de Jean-Paul Willaime, Europe et religion – Les enjeux du XXIème siècle, Fayard, Coll. Les Dieux dans la cité, Paris, 2004. Voir aussi, Croyances religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne, Commissariat Général du Plan, Institut Européen de Florence, Chaire Jean Monnet d’Etudes Européennes, La Documentation Française, Paris, juin 2002. Lire Alain Garay, La liberté religieuse en Europe – restriction et protection, Conscience et Liberté, n°59, 2000, Berne. 11 Ici surgit la question de la confrontation du sens commun face à la taxinomie des faits selon que l’on traite, par exemple, « des Mahométans, des musulmans, des islamistes », etc., ou « du Coran, des traditions », etc. A cette taxinomie il faut ajouter la différenciation religieuse révélée, par exemple, par une « enquête sur ces musulmans qui inquiètent l’islam de France » (Le Monde, 13 décembre 2002). Ici comme ailleurs, tout n’est n’est pas équivalent et le meilleur côtoie le pire… 12 In L’Islam en France, PUF, Coll. Politiques d’aujourd’hui, Paris, 1998 13 Albanie, Allemagne, Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldova, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, SaintMartin, Serbie-Monténegro, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie, Ukraine. 14 Ledit Comité a adopté au mois de novembre 2003 un rapport intérimaire intitulé Garantir l’efficacité à long terme de la Cour européenne des Droits de l’Homme (infra). 15 S’agissant de condition préalable au recours légitime à la légalité démocratique, en 2000, avant de recourir à une vaste consultation nationale, les autorités françaises ont posé un pré-requis aux interlocuteurs de la communauté musulmane en France qui a pris la forme de souscription d’un engagement écrit intitulé « Déclaration d’intention relative aux droits et obligations des fidèles du culte musulman en France 3 bien éloigné de la religion officielle, proposée par les hiérarchies et les institutions religieuses » 16 , quel degré d’imputabilité et de représentativité faut-il retenir en présence d’un affichage ou d’une appartenance convictionnelle à la base d’une revendication devant la CEDH (A ce jour, en langue française, aucune étude exhaustive n’a été entreprise sur le sujet, à l’exception de très rares articles de doctrine tel que « L’islam devant la Cour européenne des droits de l’Homme » de Gilles Lebreton paru dans le numéro 5 de l’année 2002 de la Revue du Droit Public et de la Science Politique en France et à l’étranger 17 ). Cet article réducteur se contente cependant de circonscrire le sujet au seul examen de l’arrêt refah Partisi contre Turquie qui de toute évidence ne permet pas d’aborder la question juridique des relations de l’Islam avec la CEDH) ? Existet-il aussi une spécificité de la jurisprudence de la CEDH en matière de prise en compte des convictions et des pratiques musulmanes ? De toute évidence, l’appel au juge européen aux droits de l’Homme, oracle contemporain de la construction démocratique européenne, suppose une reconnaissance de la fonction, du rôle et de la valeur de la jurisprudence de la CEDH en ce qu’elle dégage des principes fondamentaux européens 18 . Dans ce contexte, il semble bien que l’intégration juridique européenne, par le haut, des pratiques musulmanes participe de la socialisation des musulmans en Europe et de la structuration de leurs activités religieuses (partie I) tout en accentuant la contribution de la jurisprudence « religieuse » des droits de l’Homme à la construction démocratique européenne (partie II). 16 Lire à ce sujet, G. Michelat, J. Potel, J. Sutter, L’héritage chrétien en disgrâce, L’Harmattan, Paris, 2003 L’ouvrage de base en langue française est celui de Gérard Gonzalez, intitulé La Convention européenne des droits de l’Homme et la liberté des religions (Economica, Paris, 1997). L’article le plus récent étant signé par Michele De Salvia intitulé Liberté de religion, esprit de tolérance et laïcité dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, Bruxelles, 25 mai 2004 (l’intéressé est Jurisconsulte à la CEDH). Voir Jean-François Flauss, Les sources internationales de du droit français des religions, Les Petites Affiches, Paris, n°95, 1992 ; Jean Duffar, La liberté religieuse dans les textes internationaux, Revue de Droit Canonique, Paris, 1996, pp. 317-344 18 Sur une perspective historique de la jurisprudence, source formelle du droit, lire Antoine Leca, La génèse du droit – Essai d’introduction historique du droit (Librairie de l’Université d’Aix-Marseille, 3ème éd., 2002) 17 4 I. L’INTEGRATION JURIDIQUE, PAR LE HAUT, DES PRATIQUES MUSULMANES PARTICIPE DE LA SOCIALISATION DES MUSULMANS ET DE LA STRUCTURATION DE LEURS ACTIVITES RELIGIEUSES A. L’usage légitime à la légalité démocratique européenne, signe de respect des droits de l’Homme ? 1. La judiciarisation des pratiques islamiques devant la CEDH, signe de soumission aux droits, libertés et à l’ordre public européen L’appel aux ressources de la légalité internationale signifie aussi la soumission implicite aux limites fixées par l’ordre public européen en tant que cadre restrictif de nature étatique placé sous contrôle juridictionnel et d’interprétation jurisprudencielle 19 . « L’ordre public européen » 20 incarne de ce point de vue non seulement le cadre juridique d’exercice des libertés et des obligations auxquels sont tenus les croyants mais également les valeurs communes fondamentales telles que figurant dans le préambule de la Convention européenne des droits de l’Homme dont l’affermissement de la démocratie et de l’Etat de droit 21 . Ces développements doivent être étudiés 22 pour mieux comprendre la dynamique européenne des droits de l’Homme qui ne se résume à de simples déclarations d’intention dès lors que de nombreuses décisions ont déjà été rendues par la CEDH dans des contentieux principalement « turc, bulgare et grec » formant une véritable jurisprudence européenne appliquée aux communautés musulmanes. On observera l’évolution de l’objet de ladite jurisprudence qui s’est d’abord élaborée souvent en référence à des demandes formulées par des mouvements dits minoritaires, tel celui des Témoins de Jéhovah, pour aujourd’hui consacrer l’éclosion récente des affaires musulmanes. 19 Patrice Rolland, Ordre public et pratiques religieuses, in La protection internationale de la liberté religieuse, Ed Jean-François Flauss, Bruylant, Bruxelles, 2002 20 Frédéric Sudre, Existe-t-il un ordre public européen ?, in Quelle Europe pour les droits de l’Homme, Sous la dir. de Paul Tavernier, Bruylant, Bruxelles, 1996, pp. 39-80. Jean-Paul Costa, La Cour européenne des droits de l’Homme, in Mélanges Pettiti, Bruylant, Bruxelles, 1998 21 Patrice Rolland, Ordre public et pratiques religieuses, précité. 22 Voir l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Noëlle Redor, L’ordre public : Ordre public ou ordres publics ? Ordre public et droits fondamentaux, Actes du colloque de Caen, 11-12 mai 2000, Bruylant, Bruxelles, 2001 5 2. L’éclosion récente du « contentieux musulman » devant la CEDH ou la confirmation du refus d’une « approche impérialiste » de la liberté de religion Jusqu’à ces dernières années la jurisprudence européenne des droits de l’Homme a porté sur des pratiques religieuses ou convictionnelles dites minoritaires 23 . Les pratiques religieuses musulmanes ont progressivement à partir de 1995 subi le contrôle européen des droits de l’Homme à l’initiative principalement de personnes physiques s’estimant victimes d’atteintes graves à l’exercice de la liberté de religion. 2.1. L’affirmation du principe de laïcité comme valeur de la société démocratique européenne (affaire de la dissolution de Refah Partisi, « parti politique religieux » : deux arrêts rendus les 31 juillet 2001 et 13 février 2003) Les deux arrêts de la CEDH ont admis la position des autorités turques en ce qu’elles ont prononcé en 1998 la dissolution du Parti de la Prospérité dont le dirigeant, Necmettin Erbakan, est devenu en 1996 Premier Ministre24 . La CEDH a considéré que la dissolution du Parti de la Prospérité, parti politique dont certains dirigeants prononçaient des discours politiques, à contenu religieux et à tonalité théocratique 25 , était contraire à la défense de la démocratie, était justifié dès lors que « les chances que ce parti puisse réaliser son projet politique sont réelles et qu’il constitue donc un danger tangible et immédiat pour l’ordre public » 26 (voir infra). 23 Raymond Goy, La garantie européenne de la liberté de religion, in Droit et religion, Archives de Philosophie du droit, Sirey, 19933, tome 38, p.209 (article déjà publié dans la Revue du Droit Public en 1991, pp. 5-60) 24 Lire La Cour européenne des droits de l’Homme et les organisations antidémocratiques, Observations sous l’arrêt de la CEDH du 31 juillet 2001, Stefan Sottiaux, Dajo De Prins, RTDH 2002, pp. 983-1034 ; Lire aussi sous le titre Convention européenne des droits de l’Homme, fondamentalisme islamique et charia, la chronique parue dans la RTD civ., 4, oct-déc. 2001 ; Gilles Lebreton, précité 25 Le Parti de la Prospérité veut instaurer un système « véritable multi-juridique » (avec promotion du statut personnel musulman), appliquer la charia à la communauté nationale et recourir à la violence, à la guerre sainte, pour assurer la domination totale de la religion musulmane sur la société 26 Observations Stefan Sottiaux, Dajo de Prins, précité, p. 1034. Signalons la critique sévère de cet arrêt par le doyen Lebreton (précité) et le commentaire de la RTD civ (précité) : « L’arrêt Refah Partisi laisse donc sur une curieuse impression mêlant une vive admiration pour une attitude politiquement courageuse qui donera de solides arguments aux Etats confrontés à la menace du fondamentalisme islamique et une certaine irritation pour l’ambiguïté ou l’imprécision des arguments juridiques exploités ». 6 2.2. L’affirmation de la neutralité et de l’impartialité de l’Etat : l’affaire de la destitution étatique des fonctions de Grand mufti en Bulgarie ou la consécration du principe de l’autonomie de l’organisation interne des institutions religieuses (arrêt Hassan et Tchaouch contre Bulgarie du 26 octobre 2000) 27 Saisie d’un litige portant sur les modalités d’organisation interne de la communauté musulmane en Bulgarie, La Cour a ici souligné que « le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’Etat. En effet, l’autonomie des communautés religieuses est indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve donc au cœur même de la protection offerte par l’article 9. Elle présente un intérêt direct non seulement pour l’organisation de la communauté en tant que telle mais aussi pour une jouissance effective par l’ensemble de ses membres actifs du droit à la liberté de religion. Si l’organisation de la vie de la communauté n’était pas protégée par l’article 9 de la Convention, tous les autres aspects de la liberté de religion de l’individu s’en trouveraient fragilisés (§ 63)…Elle rappelle que, sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l’Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci. Des mesures de l’Etat favorisant un dirigeant d’une communauté religieuse divisée ou visant à contraindre la communauté, contre ses propres souhaits, à se placer sous une direction unique constitueraient également une atteinte à la liberté de religion. Dans une société démocratique, l’Etat n’a pas besoin de prendre des mesures pour garantir que les communautés religieuses demeurent ou soient placées sous une direction unique (Serif c. Grèce, n°38178/97, § 52, CEDH 1999 ». 2.3. L’affaire de la condamnation pénale pour usurpation de fonctions de ministre du culte d’un dirigeant musulman en Grèce (arrêt Serif contre Grèce du 14 décembre 1999) La CEDH précise que le requérant qui disposait du soutien d’une partie de la communauté musulmane de Rhodope ne pouvait être puni « au simple motif qu’il ait agi comme chef religieux d’un groupe qui le suit volontairement…La sanction pénale ne peut donc pour la CEDH passer pour compatible avec les exigences d’un pluralisme religieux dans une société démocratique. La CEH « reconnaît que des tensions risquent d’apparaître lorsqu’une communauté, 27 A rapprocher de l’arrêt en date du 17 octobre 2002 rendue par la CEDH dans l’affaire Agga contre Grèce 7 religieuse ou autre, se divise, mais c’est là l’une des conséquences inévitables du pluralisme. Le rôle des autorités en pareilles circonstances ne consiste pas à éliminer la cause des tensions en supprimant le pluralisme mais à veiller à ce que les groupes concurrents se tolèrent les uns les autres…Au vu de ce qui précèdent, la Cour considère qu’il n’a pas été démontré que la condamnation infligée au requérant… était justifiée dans les circonstances de l’espèce par un besoin social impérieux » (§ 53-54). 2.4. Les limitations à la manifestation des engagements religieux d’un officier des forces armées (arrêt Kalac contre Turquie du 1er juillet 1997) 28 En l’espèce la CEDH a tenu à valoriser la protection de la neutralité confessionnelle des forces armées en ne déclarant pas contraire à l’article 9 de la Convention la mise en à la retraite d’office d’un colonel dont le comportement et ses agissements, selon le Conseil Supérieur Militaire turc, « révélaient que celui-ci avait adopté des opinions intégristes illégales » (la CEDH se réfère ici explicitement à l’engagement et aux activités du colonel Kalac au sein de « l’ordre du Suleymanisme », mouvement qualifié de « secte »). 2.5. L’interdiction du port des tenues religieuses par les agents publics (décision d’irrecevabilité dans l’affaire Dahlab contre Suisse du 15 février 2001) Enseignante publique d’origine catholique, Lucia Dahlab s’est vu interdire en 1996 de porter un « foulard islamique » pratique qui pour les autorités entrait en contradiction avec l’article 6 de la loi suisse sur l’instruction publique dès lors qu’elle constituait un « modèle ostensible d’identification imposé par l’enseignante aux élèves, de surcroît dans le système scolaire public et laïc ». Pour déclarer « manifestement mal fondé » sa requête européenne et décider de son irrecevabilité, la CEDH a estimé qu’« il est bien difficile d’apprécier l’impact qu’un signe extérieur fort tel que le port du foulard peut avoir sur la liberté de conscience et de religion d’enfants en bas âge…Comment dès lors pourrait-on dans ces circonstances dénier de prime abord tout effet prosélytique 28 A rapprocher de la décision d’irrecevabilité rendue le 11 septembre 2001 dans les affaires Ibrahim Tepeli et autres contre Turquie (RTDH 2001, P. 274 et s.) qui porte sur l’obligation du personnel militaire de renoncer à s’engager, pour la CEDH, dans un « mouvement fondamentalisme islamique , qui a pour but et pour plan d’action d’assumer la prééminence des règles religieuses ». S’intéressant aux obligations spécifiques imposées par la discipline militaire, la CEDH remarque par ailleurs que le Conseil Supérieur Militaire « ne se fonde pas sur les convictions religieuses des requérants ni sur le port du foulard islamique de leurs épouses ou sur la manière dont ils remplissaient leurs devoirs religieux mais sur leur comportement et leurs agissements portant atteinte à la discipline militaire et au principe de laïcité ». 8 que pourrait avoir le port du foulard dès lors qu’il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunal Fédéral Suisse, est difficilement conciliable avec le principe d’égalité des sexes. Aussi, semble-t-il difficile de concilier le port du foulard islamique avec le message de tolérance, de respect d’autrui et surtout d’égalité et de nondiscrimination que dans une démocratie tout enseignant doit transmettre à ses élèves. Partant, en mettant en balance le droit de l’instituteur de manifester sa religion et la protection de l’élève à travers la sauvegarde de la paix religieuse, la Cour estime que dans les circonstances données et vu surtout le bas âge des enfants dont la requérante avait la charge en tant que représentante de l’Etat, les autorités genevoises n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation et que donc la mesure qu’elles ont prises n’était pas déraisonnable… La Cour est d’avis que la mesure litigieuse s’analyse en une mesure justifiée dans son principe et proportionnée à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre et de la sécurité publique » 29 Par ailleurs, on suivra avec attention la procédure déclarée admissible le 2 juillet 2002 par la EDH suite au dépôt d’une requête par Zeynep Tekin contre la Turquie. L’intéressée, étudiante infirmière, se plaint d’une sanction disciplinaire universitaire consécutive au port d’un foulard dit islamique au cours de travaux en clinique. Elle considère que cette mesure constitue une ingérence manifeste dans son droit à la liberté de religion (ce contentieux est à rapprocher de celui de la procédure introduite contre la Turquie devant la CEDH par une autre étudiante, Leyla Sahin, qui, entre autres se prévaut de la position du Conseil d’Etat français. La décision de recevabilité de la requête est également du 2 juillet 2002). 2.6. L’encadrement limitatif et contrôlé de l’expression du fondamentalisme religieux Par deux décisions récentes - Zaoui contre Suisse du 18 janvier 2001 et Müslüm Gündüz contre Turquie du 4 décembre 2003 – la CEDH a porté son contrôle sur la validité de sanctions nationales ayant porté atteinte à la liberté d’expression de musulmans. Dans la décision d’irrecevabilité rendue contre Ahmed Zaoui, ressortissant algérien demandeur d’asile politique en Suisse, la Cour a rejeté les prétentions de cet ancien membre du Conseil consultatif national du Front Islamique du Salut (FIS) qui avait publié trois communiquées de propagande du Conseil de Coordination à l’Etranger du FIS (CCFIS). Antérieurement, 29 Nicolas Chauvin, Le port du foulard islamique par une enseignante – à propos de la décision de la CEDH Dahlab contre Suisse, RFDA 2003, p. 536 et s. 9 l’intéressé avait été condamné en Belgique à une peine d’emprisonnement avec sursis pour association de malfaiteurs. En Suisse, le Conseil Fédéral, le 27 avril 1998, décida de lui interdire de créer des organisations, qui par leur propagande, soutiennent l’action violente en Algérie. Le Conseil ordonna également la saisie policière de ses télécopieurs et le blocage de ses raccordements électroniques dont l’accès à Internet. A. Zaoui se plaint devant la CEDH de la décision de saisie policière en excipant une entrave à sa liberté de religion et une violation de son droit à la liberté d’expression. En vain. Tout d’abord, la Cour observe que « les activités du requérant visaient principalement à diffuser des messages de propagande en faveur du FIS et ne constituaient pas l’expression d’une conviction religieuse au sens de l’article 9 de la Convention…Compte tenu du contexte dans lequel le requérant a quitté l’Algérie où il avait été condamné à mort par contumace, de son activité liée à l’opposition islamique, de sa condamnation en Belgique…des raisons de son séjour et de ses agissements en Suisse, la saisie des moyens de communication afin d’empêcher le requérant de poursuivre sa propagande pour le CCFIS peut être justifiée comme nécessaire dans une société démocratique à la sécurité nationale et à la sûreté publique ». Dans son arrêt rendu dans l’affaire Gündüz, la CEDH s’est intéressé aux suites d’une série de déclarations publiques, dans le cadre d’une émission télévisée à caractère polémique, faites par l’intéressé, dirigeant d’une communauté musulmane désignée Tarikat Aczmendi, groupe qui se qualifie de « secte islamique ». Gündüz avait qualifié les institutions contemporaines et laïques d’« impies », violemment critiqué les notions de démocratie et de laïcité et milité ouvertement pour la « charia ».Ces propos ont été sanctionnés par la Cour de sûreté de l’Etat turque dès lors qu’elles constituaient une incitation à la haine et à l’hostilité sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une religion. L’intéressé se plaint devant la CEDH d’une ingérence injustifiée à sa liberté d’expression. Pour la Cour, dans le cadre d’une émission au format polémique, sur la base de déclarations orales en direct, les propos en question de Gündüz « dénotent une attitude intransigeance et un mécontentement profond face aux institutions contemporaines de Turquie, telles que le principe de laïcité et de démocratie. Examinés dans leur contexte, ils ne peuvent toutefois pas passer pour un appel à la violence ni pour un discours de haine fondé sur l’intolérance religieuse…(§48-49)…la Cour rappelle que dans son arrêt Refah Partisi et autres contre Turquie, elle a notamment souligné qu’il était difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia...Elle rappelle toutefois que l’affaire Refah Partisi et autres précitée concernait la dissolution d’un parti politique dont l’action semblait viser l’instauration de la charia dans un Etat partie à la Convention et qu’il disposait, à la date de sa dissolution, d’un potentiel réel de s’emparer du 10 pouvoir politique. Une telle situation est difficilement comparable à celle en l’espèce. Certes, il ne fait aucun doute qu’à l’égal de tout autre propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention, des expressions visant à propager, inciter ou justifier la haine fondée sur l’intolérance, y compris l’intolérance religieuse, ne bénéficient pas de la protection de l’article 10 de la Convention. Toutefois, de l’avis de la Cour, le simple fait de défendre la charia, sans en appeler à la violence pour l’établir, ne saurait passer pour un « discours de haine ». Au demeurant, l’affaire de M. Gündüz se situe dans un contexte bien particulier : d’abord, l’émission télévisée avait pour but de présenter la secte dont le requérant fut le dirigeant ; ensuite, les idées extrémistes de ce dernier étaient déjà connues et avaient été débattues par le public et notamment contrebalancées par l’intervention des autres participants au cours de l’émission en question ; enfin, elles ont été exprimées dans le cadre d’un débat pluraliste auquel l’intéressé participait activement. Dès lors, la Cour estime qu’en l’espèce la nécessité de la restriction litigieuse ne se trouve pas établie de manière convaincante » (§ 51). La Cour a finalement considéré que l’atteinte portée au droit à la liberté d’expression du requérant ne se fondait pas sur des motifs suffisants au regard de l’article 10 qui protège et garantit le droit à la liberté d’expression. Nul doute que dans cette affaire, les six voix contre une qui ont décidé qu’il y a eu violation par la Turquie de l’article 10 – voir l’opinion dissidente du juge Türmen – ont accordé au contexte médiatique télévisé un caractère déterminant. L’immédiateté de la prise de position, son caractère exclusivement oral, le format polémique de l’émission télévisée, l’absence d’explication sur le moyen de concrétiser ces intentions verbales ont pu constituer des faits justificatifs aux propos excessifs du dirigeant musulman. Cette logique exonératoire de responsabilité est, d’une certaine, conforme aux modalités procédurales du droit de la presse fortement marquée notamment en France par les questions de forme (ce formalisme est-il abusif ? Le droit de la presse en est la quintessence même !). 2.7. L’expulsion pour activité religieuse fondamentaliste (arrêt Al Nashif et autre contre Bulgarie du 20 juin 2002) La CEDH n’a ici pas voulu opérer un contrôle sur l’adéquation entre l’invocation à la liberté de religion et l’adéquation en terme de défense de la sécurité publique de la mesure d’expulsion. En revanche, elle a considéré que l’ingérence dans la vie privée et familiale de l’intéressé n’était pas prévue par la loi bulgare au sens de l’article 8-1 de la Convention européenne. 11 2.8. La répression de l’injure envers la religion musulmane actuellement soumise au contrôle européen dans l’affaire Arslan contre Turquie (décision de recevabilité du 13 novembre 2003). En l’espèce, le romancier Arslan conteste les poursuites et la condamnation pour avoir injurié par voie de publication « Allah, la Religion, le Prohète et le Livre Sacré. 2.9. Le contrôle étatique des ressources associatives musulmanes ne porte pas atteinte en lui-même à la liberté de religion (décision d’irrecevabilité rendue le 5 décembre 2002 dans l’affaire Islamische Religionsgemeinschaft e.V contre Allemagne) La décision étatique litigieuse – le placement administratif d’un don s’inscrivait dans le cadre de la réglementation générale, instaurée en RDA au cours de la période précédant la réunification, et destinée à vérifier l’origine des avoirs appartenant aux parties politiques et organisations liées, quels que soient les destinataires de ces fonds (ici la requérante bénéficia en juin 1990 d’un don de 75 millions de Marks de la RDA en provenance du Parti du Socialiste Démocratique). Faute de chercher à entraver délibérément l’activité religieuse de la requérante, pour la CEDH il est douteux que la décision litigieuse constitue une « ingérence » dans l’exercice de la liberté de religion. Selon la Cour, la mesure de placement poursuivait des buts légitimes de protection de la morale publique et des droits et libertés d’autrui et n’était pas disproportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis. B. La jurisprudence de la CEDH, facteur d’intégration-socialisation et de structuration pour l’Islam européen ? 1. La régulation jurisprudentielle, facteur d’intégration et de socialisation D’emblée, il faut préciser que les droits et libertés garantis dans les différentes déclarations et textes internationaux de protection des droits de l’Homme n’ont de sens théorique que dans leur exercice individuel. De sorte que les libertés de religion ont un fondement d’ordre idéologique individuel et individualiste 30 . Mais la liberté manifester sa religion, au terme de l’article 9 de 30 Jean Rivero, Les droits de l’homme : droits individuels ou droits collectifs ? in Les droits de l’homme : droits individuels ou droits collectifs, Annales de la Faculté de droit de Strasbourg, LGDJ 1980, tome 32, p. 17 12 la CEDH, est aussi celle du groupe dès lors qu’elle relève d’exercices qui peuvent être organisés soit seul ou en commun soit individuellement ou collectivement 31 (Les juristes s’intéressent ainsi à l’exercice des « droits de groupe » dès lors que même d’essence individualiste, les droits des personnes, condition des droits de l’Homme, opèrent sur des collectifs ou groupes d’individus 32 ). La garantie européenne de la liberté de religion, telle que fixé explicitement par l’article 9 de la CEDH, repose sur cette dialectique de la protection du « groupe » religieux en tant qu’il exprime des convictions et des pratiques individuelles exercées « collectivement, en public ou en privé ». De sorte que pour Geneviève Koubi, « les droits collectifs sont des droits individuels exercés en commun avec d’autres, des droits individuels exercées collectivement…cette distinction contraint..à freiner les dérives culturalistes, différencialistes, essentialistes de nombre de discours actuels » 33 . Le refus de l’hégémonie du droit des groupes, au nom de l’universalité des droits de l’homme, quel que soit ses origines et appartenance, explique le rejet initial par les instances judiciaires européennes des requêtes déposées par des groupes. Mais progressivement il était inévitable que la Cour prenne en considération la religion comme un fait collectif et social. La valeur pratique de la jurisprudence strasbourgeoise résulte de la libre soumission des requérants à la procédure de saisine, d’instruction et de délibération de la CEDH. De plus, elle consacre un droit bâti ou « construit » sur des faits et des réalités qui conditionnent grandement la solution du litige en raison de la méthode de jugement de la CEDH qui relève du contrôle matériel de la légalité et de la finalité de l’ingérence dans la liberté de religion. 2. Le « pouvoir d’attraction jurisprudentiel » de la CEDH, facteur de structuration des activités musulmanes 31 Geneviève Koubi, Réflexion sur les distinctions entre droits individuels, droits collectifs et « droits de groupe », Mélanges Raymond Goy, Du droit interne au droit international – Le facteur religieux et l’exigence des droits de l’Homme, Publications de l’Université de Rouen, n°251, 1998 32 Hubert Moutouh, Recherches sur un « droit des groupes » en droit public français, Thèse de la faculté de droit de l’Université de Bordeaux. Sur ce sujet théorique aux conséquences pratiques évidentes, lire Le droit et les minorités, Sous la dir. de A. Fenet, G. Koubi, I. Schultte-Tenckkoff, Bruylant, Bruxelles, 2000 ; Les minorités et leurs droits depuis 1789, A. Fenet, G. Soulier, L’Harmattan , Paris, 1989 33 Précité, p. 116 13 2.1. Justiciables et musulmans européens sous le contrôle de la CEDH, individus et groupements Chantal Saint-Blancat dans son étude sur L’Islam en diaspora : un laboratoire de gestion du pluralisme (Commissariat Général du Plan, juin 2002) 34 explique comment « l’émergence d’une conscience diasporique chez les musulmans européens fait d’eux des acteurs sociaux d’innovation qui expérimentent la gestion du pluralisme identitaire, l’autonomie culturelle et l’entrée dans l’historicité ». Elle analyse ainsi la structuration d’un éventuel islam de diaspora notamment au niveau de son insertion dans l’espace public européen en relevant que « Pour l’ensemble de musulmans européens, l’apprentissage de la citoyenneté passe par le laboratoire de la confrontation locale. Le religieux devient lieu d’identification et de différenciation, mais aussi source de contrôle social et d’échanges ». Elle pointe leur mobilisation par des recours judiciaires pour obtenir le statut de corporation publique et le droit à l’enseignement de l’islam dans les écoles allemandes qui traduit à sa façon une « exigence de visibilité dans l’espace public des société européennes ». De sorte que l’européanisation des tensions juridiques résultant de l’exercice religieux islamiques aménage une voie de crise dès lors que les acteurs ou les entrepreneurs religieux font le choix de la modalité régulatrice juridictionnelles. L’appel au juge européen par des individus, victimes personnelles d’atteintes à leurs droits et libertés, s’exerce par la voie de « requête individuelle » (cf. article 34 de la CEDH 35 ). Alors même que l’article 34 de la Convention autorise les groupes à saisir la Cour par voie de « requête individuelle », il n’instaure nullement une actio popularis (action par laquelle un requérant prétend défendre l’intérêt général) qui autoriserait tout groupe ou collectif à dénoncer une violation de ses droits devant la CEDH 36 . En effet, lorsqu’un provient d’un groupe, auteur d’une requête, la Cour examine si les membres de celui-ci ont bien un intérêt à agir 37 . La procédure juridictionnelle favorise la responsabilisation des individus, par le bas, et freine d’éventuelles stratégies d’instrumentalisation, par le haut, des Institutions, des Groupes et des « prescripteurs d’opinion » religieux musulmans. L’individualisation de la procédure juridictionnelle est facteur de socialisation. Cette modalité 34 In Croyances religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne, La Documentation Française, Paris 35 « La Cour peut être saisie d’une requête individuelle par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties Contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties Contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice effectif de ce droit ». 36 La procédure devant la nouvelle Cour européenne des droits de l’Homme après le Protocole n°11, Bruylant,, Coll ? Droit et Justice , n°23, Bruxelles, 1999 37 Jean-Manuel Larralde, La Convention européenne des droits de l’Homme et la protection de groupes particuliers, Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme, n°56, 2003 14 procédurale cristallise les attentes des individus-requérants en fixant leurs demandes sur un corps de normes communes et démocratiques. Modèle de socialisation démocratique, la procédure européenne transcende les dynamiques d’intégration qui continuent trop souvent d’opérer selon le modèle de la compensation – des politiques publiques en faveur des « immigrés » aux mesures dites de « discriminations positives » - et non de l’égalité juridique des traitements différenciés. L’individualisation de la procédure d’accès à la CEDH renforce de ce point de vue le statut citoyen des musulmans directement issus de l’immigration qui font ainsi l’expérience de l’identité européenne civique 38 La signature à Rome le 4 décembre 2000 du Protocole 12 à la Convention européenne des droits de l’Homme est-il de nature à accentuer la très relative judiciarisation européenne des pratiques islamiques ? Ce dispositif, non entré en vigueur à ce jour, porte sur le renforcement de l’interdiction générale de discrimination au bénéfice des individus et des groupes. Les Etats-membres ont résolu d’adopter de « nouvelles mesures pour promouvoir l’égalité de tous par la garantie collective d’une interdiction générale de discrimination par la Convention… ». L’article 1 dudit Protocole intitulé « Interdiction générale de la discrimination » dispose que «1. La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée sur…la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, …, la naissance ou tout autre situation. 2. Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique quelle qu’elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe 1 ». Au cours de sa réunion plénière administrative du 6 décembre 1999, la CEDH qui sera chargé de veiller au contrôle de la mise en œuvre de ce nouveau dispositif lorsqu’il entrera en vigueur a estimé que ce document additionnel est une « mesure supplémentaire importante permettant d’assurer la garantie collective des droits fondamentaux au travers de la Convention européenne des droits de l’Homme ». Pour Jean-François Flauss, il s’agit d’une « véritable boite de pandore de nature à modifier substantiellement les tenants et les aboutissants du contentieux européen. La norme de protection consacrée présente en effet un caractère attrape-tout. Elle constitue un formidable levier qui autorisera une extension considérable du champ d’application de la Convention » 39 . Ce 38 Catherine Wihtol de Wenden, La contribution de l’immigration à la définition d’une identité européenne, in L’Islam en France et en Allemagne – Identités et citoyennetés, IFRI, Paris, 2001 39 In Actualité de la Convention européenne des droits de l’Homme, AJDA, 2000, p. 1006 15 dispositif se superpose en réalité aux garanties de l’article 14 de la Convention qui protège la jouissance des droits et libertés contenues dans la Convention, sans distinction aucune, fondée sur la religion, en renforçant cependant l’angle d’attaque des groupes et des fidèles concernés. Ainsi, on peut prévoir que la protection des droits des « groupes religieux discriminés » - réserve faite et elle est fondamentale, parce que de taille !, de la preuve des faits de discrimination….- sera l’objet du contrôle juridictionnel de la CEDH. Les groupes d’islamiques s’estimant discriminés et rapportant la preuve de l’existence d’un traitement discriminatoire saisiront-ils la CEDH ? La jurisprudence européenne jusqu’à présent à, d’une certaine façon, verrouillé les revendications et les raisonnements de groupes religieux minoritaires (voir les arrêts Kjeldsen et autres contre Danemark, Cha’are Shalom Ve Tsedekk contre France) en se refusant de devenir « l’ange gardien » des minorités religieuses et le fusible du droit à la différence… Qu’en sera-t-il demain à défaut pour des groupes islamiques de faire notamment les frais de cette politique jurisprudentielle de cantonnement de groupes jugés minoritaires parce « numériquement faibles », « excentriques », « nouveaux », etc ? En pratique le recours à la procédure judiciaire européenne contraint les croyants et leurs groupes d’appartenance à faire le choix de règles d’organisation et de fonctionnement démocratique suffisamment transparentes et lisibles pour que le contrôle juridictionnel soit effectif. En effet, la CEDH, comme toute autre juridiction, ne se satisfait ni de recours incantatoire aux grands principes ni de discours lénifiant mais inopérant en termes de victimologie ou de jérémiades ! L’approche pragmatique de la CEDH traduit une exigence de rationalité qui fait le lit de milliers de requêtes déposées à Strasbourg ne présentant aucune preuve, aucun moyen de fait et de droit. Ainsi, le pouvoir d’attraction de la CEDH peut remplir une fonction en amont de « structuration » et de mise en forme des revendications conforme aux garanties démocratiques qu’elles doivent elle mêmes respectées, condition sine qua non de la recevabilité de leurs requête (qualité et intérêt à agir, etc.). 2.2. La valeur « pédagogique » de la jurisprudence strasbourgeoise Les différentes analyses relatives à la place des religions en Europe 40 ont pour principal défaut de s’intéresser quasi-exclusivement aux relations EglisesEtats écartant de ce fait, d’une part, la dynamique d’intégration de la jurisprudence de la CEDH et, d’autre part, minimisant de ce fait les effets 40 G. Vincent , J.-P. Willaime, Religion et transformation de l’Europe, Presses Universitaires de Strasbourg, 1993 ; A. Dierkens, Pluralisme religieux et laïcités dans l’Union Européenne, Editions de l’Université de Bruxelles, 1994 ; Jean Baubérot (dir.), Religions et laïcité dans l’Europe des douze, Syros, Paris, 1994. Voir également les travaux pour partie du Consortium Européen pour l’étude des relations Eglises-Etat, publiés par les Editions Giuffré à Milan (www.church-state-europe.org) 16 juridiques des comportements et des pratiques religieuses au sein de la société civile, objet d’éventuels contrôle judiciaire nationaux soumis à la Convention européenne. Ce choix de présentation accorde ainsi la primauté à l’analyse comparée entre situation nationale et/ou étatique 41 . Il évacue la dimension individuelle et interpersonnelle des comportements et des pratiques religieux qui est pourtant la source des tensions, par le bas, que peuvent exprimer, par le haut, les institutions religieuses. Dans un exposé intitulé « l’Islam en Europe, entre dynamiques d’institutionnalisation, de reconnaissance et difficultés d’organisation » 42 , Franck Frégosi a cependant essayé, en s’affranchissant partiellement de la grille de lecture catégorielle Eglises-Etat, de repérer des « difficultés réelles, objectives et figurées qui rendent problématique son organisation pratique et ce faisant fragilisent durablement son inscription dans le paysage institutionnel européen » Cette situation explique partiellement le déficit de connaissance et de reconnaissance de la jurisprudence CEDH 43 . Or, la dynamique d’intégration européenne, porteuse de la jurisprudence de la CEDH, insuffle des valeurs communes qui ont aussi une fonction pédagogique. Cette dynamique doit être expliquée et enseignée. Elle forme à l’esprit critique et à la rationnalisation qui peuvent freiner tout intégrisme. L’apprentissage de ces valeurs communes par le prisme de la jurisprudence européenne, et non seulement par celui de « l’idéologie de la sécularisation 44 », est susceptible de limiter les visions de tous les croyants fondées sur l’exclusivisme religieux. La pédagogie des droits de l’Homme permet aussi de mettre en perspective le discours fondé sur l’antinomie de principe entre l’islam et l’Etat de droit, entre l’islam et la démocratie, entre le droit islamique et les droits de l’Homme 45 . Elle relativise les positions de principes antinomiques en ce qu’elle traduit dans les faits les « enseignements » de la jurisprudence européenne 41 Certains auteurs qui ont analysé les relations Eglises-Etat en Europe ont conclu à l’existence d’une tendance à la convergence entre systèmes organisationnels de relations Eglises-Etat en Europe (Marie-Dominique Charlier Dagras, La laïcité française à l’épreuve de l’intégration européenne, thèse pour le doctorat en droit public, Université de Toulouse I, nov. 2001, p. 261) 42 In Religions, droit et société dans l’Europe communautaire, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Collection Droits et Religion dirigée par Blandine Chelini-Pont, 2000. On lira une contribution de Blandine Chelini-Pont à ce débat intitulée Une identité religieuse ou éthique de l’Europe ? Les fonds communs et les frontières de l’Europe, in L’identité de l’Europe, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2002 (on extraira de cet ouvrage la contribution de Antoine Leca, Un droit européen avant le droit européen ? Nota à propos du ius commune) 43 On relèvera qu’à l’exception de l’ouvrage de base de Gérard Gonzalez publié en avril 1997, aucune étude en langue française n’existe actuellement (La Convention européenne des droits de l’Homme et la liberté des religions, Economica, Paris-Aix-en-Provence). 44 La tentation est grande d’expliquer notre modernité en référence à la thèse de la sécularisation de la société européenne. Voir René Rémond, Religion et société en Europe – Essai sur la sécularisation des sociétés européennes aux XIXème et XXème siècles, Seuil, Paris, 1998 45 Voir la liste non exhaustive des publications sur le sujet recensées par le Centre de Recherches et d’Etudes sur les Droits de l’Homme et le Droit Humanitaire (CREDHO) de l’Université de Paris-Sud. Ce recensement figure à l’entrée Bibliographie puis Islam et Droits de l’Homme ([email protected]) 17 relative au champ et aux limites de l’expression des convictions religieuses musulmanes 46 . Il est par exemple significatif de constater que les travaux du Groupe de Travail Euromesco (Euromesco Working Group) ont suscité des propositions pour parvenir à des convergences dans le cadre du Partenariat euroméditerranéen en matière de droits de l’Homme telles que la création d’une « Cour Euro-méditerranéenne des droits de l’Homme », garante du contrôle et de la mise en œuvre d’une « Charte euro-méditerranéenne des droits de l’Homme » 47 II. LA JURISPRUDENCE DES DROITS DE L’HOMME APPLIQUEE AUX PRATIQUES MUSULMANES CONSOLIDE LA CONSTRUCTION DEMOCRATIQUE EUROPEENNE A. La fonction tribunitienne de la CEDH mise à contribution par les musulmans 1. Le magistère d’influence et l’expertise des juges européens en présence de questions intéressant l’Islam Jean-Paul Willaime dans sa conclusion intitulée Les religions et l’unification européenne a expliqué que « Le Conseil de l’Europe, comme les instances étatiques de toute démocratie pluraliste préfère les versions soft des religions, celles qui, précisément, acceptent le minimun d’autorelativisation nécessaire à l’inscription dans un espace pluraliste » 48 . Cette perception doit donc être mise en perspective avec les conditions d’accès au Conseil de l’Europe d’Etat tels que la Turquie, la Bulgarie, la Grèce qui comptent d’importante ou majoritaires populations musulmanes. Or, le processus d’adhésion à ce forum démocratique européen qui ouvre ensuite la porte à l’accession à l’Union Européenne, repose sur l’étude et l’examen des conditions politiques et juridiques qui garantissent l’affermissement démocratique et la consolidation de l’Etat de droit. Les conditions d’adhésion obéissent de la sorte à une évaluation technique qui porte notamment sur l’organisation et le fonctionnement des institutions nationales mais également sur les conditions d’exercice des droits et 46 Lire V. S. A. Aldeeb Abu-Salieh, Les mouvements islamistes et les droits de l’Homme, RTDH 1998, p. 251 et s. 47 Voir l’exposé Les droits de l’Homme en Islam et en Occident du Pr Mustapha Benchemane, membre du Conseil Scientifique de la Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques (FMES), politologue à l’Université René Descartes – Paris V (Séminaire à Tunis, 10-11 octobre 2003). 48 In Identités religieuses en Europe, Sous la dir . de Grace Davies et Danièle Hervieu-Léger, Ed. La Découverte, 1996 18 libertés protégées et garanties par la Convention européenne des droits de l’Homme. Le travail d’évaluation et d’expertise est traditionnellement confié à des juges à la CEDH qui conduisent ainsi de véritables opération d’audit démocratique et, à ce titre, examinent aussi la pratique nationale des droits et libertés de religion dans les pays candidats à l’adhésion au Conseil de l’Europe. les rapports d’étude transmis par les « juges-enquêteurs », membres de la CEDH en mission, portent souvent sur les conditions concrètes d’exercice des activités cultuelles et de la liberté d’expressions et de manifestations religieuses en s’assurant de l’état des protections et des garanties offertes par ces Etats en voie de consolidation démocratique. Tel a été le cas récemment, après 1989, pour les anciens Etats membres du bloc soviétique. L’expertise et la contribution technique des « juges-enquêteurs » européen confèrent à l’institution dont ils sont membres un prestige très important qui se superposent de la sorte à l’audience dont elle bénéficie dans toute l’Europe. Le magistère d’influence des juges est à ce point important que toutes les réformes institutionnelles importantes dans le cadre de la construction européenne sont également soumises à leur expertise et à leur consultation, par exemple, dans le cadre des instances chargées d’élaborer le projet la future « Constitution » européenne. C’est de la sorte reconnaître l’importance de la fonction juridictionnelle exercée par les juges dans le cadre de l’élaboration des conditions juridiques de l’élargissement européen. Ce magistère d’influence est susceptible d’avoir des conséquences sur le débat et le cadre de l’intégration de « l’islam européen ». Un exemple récent permet de mesurer l’impact de ces contributions de la CEDH et de ses membres ainsi chargés de « dire le droit », en aval dans le cadre de la résolution des litiges contentieux, et en amont lors des procédures d’expertise et de consultation qui précèdent la prise de décision politique et publique européenne mais également nationale. 19 2. La « caution intellectuelle » au plan national : l’exemple de l’intervention du juge européen Jean-Paul Costa et ses effets dans le débat politique français ayant précédé le vote de la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics 49 Assez souvent dans certains pays européens, lorsque sont abordées des questions liées aux droits fondamentaux on est frappé par l’absence relative de référence à la jurisprudence européenne des droits de l’Homme et la relative faiblesse de pénétration dans les esprits des prescripteurs d’opinion et autres leaders d’opinion. Ceci posé, en France, le récent travail de la Commission chargée de mener une réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République (décret du 3 juillet 2003), présidée par Bernard Stasi, par ailleurs Médiateur de la République, a permis l’audition du juge français à la CEDH, Jean-Paul Costa. Les travaux en question ont également porté sur les incidences européennes et la prise en compte de la jurisprudence européenne des droits de l’Homme. Auditionné le 17 octobre 2003 par ladite Commission sur l’éventualité de légiférer en matière de port à l’école de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse l’intéressé a expliqué que « Si une telle loi était soumise à notre Cour, elle serait jugée conforme au modèle français de laïcité, et donc pas contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme ». Pour le quotidien Le Monde (28 octobre 2003), le juge Costa ne se serait pas contenté de cette seule « confession juridique » 50 . Véritable pièce maîtresse technique en raison du crédit attaché à sa fonction européenne, l’intéressé s’est avancé en soutenant que « Si l’on veut interdire le foulard, il faut une loi ». Les journalistes ne s’y sont pas trompés en relayant à profusion cette position « magistérielle », déclinée dans les Palais de la République et cependant démentie dans les enceintes universitaires ou professionnelles (ainsi notamment par les professeurs Jacques Robert et JeanFrançois Flauss au cours du colloque organisé à Paris, à la Maison du Barreau au mois de novembre 2003, sur la liberté de religion et la Convention Européenne des droits de l’Homme). De toute évidence, l’impact symbolique et matériel de la prise de position du juge européen a durablement influencé l’état de l’opinion publique en France alors que la presse écrite et radio-télévisée 49 Sur ce débat, lire Alain Garay, Emmanuel Tawil¸ Tumulte autour de la laîcité, Dalloz, 29 janvier 2004 D’aucuns expriment l’avis technique selon lequel le compte rendu public des déclarations du juge européen, par ailleurs vice-président de la CEDH, a pu compromettre l’obligation de réserve à laquelle est tenue tout magistrat susceptible de statuer dans ce domaine si sensible… 50 20 n’hésitait pas expliquer qu’« une loi interdisant le port du voile ne serait pas contraire à la Convention européenne ». On aura ainsi fait l’expérience de l’importance et de l’impact d’une prise de position européenne dans l’espace public et politique national a l’aune de cet épisode français qui a pu de la sorte légitimer la décision du législateur en date du 15 mars 2004 votant, « comme un seul homme », en faveur d’un dispositif légal de restriction du port et de la tenue de signes manifestant une appartenance religieuse en France à l’école publique. B. L’appel au juge européen par les musulmans, garantie fondamentale du droit européen des religions et de l’ordre juridique européen 1. Les effets positifs de la jurisprudence strasbourgeoise en présence de questions musulmanes 1.1. La valeur de la pesée juridictionnelle et des précédents judiciaires européens Le contentieux européen des droits de l’Homme est à sa façon symbolique des enjeux et des effets des décisions de justice internationales. Par l’écho qu’il suscite et qu’il rencontre, il entraîne par capillarité une série de réactions dans l’espace européen. D’abord, le test démocratique des nouveaux Etats-membres. Ensuite, la méthode et l’approche de la justice européenne a valeur d’exemple et de modèle pour les Etats. Confronté à certaines tension et à l’invocation de violation du droit applicable, la CEDH recherche d’abord s’il y a ingérence dans les droits des intéressés et, dans l’affirmative, si cette ingérence est prévue par le droit applicable, puis si elle poursuit un but légitime, enfin, si elle est nécessaire dans une société démocratique. En outre, la CEDH considère que s’il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté de religion de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes religieux entre eux ou de l’Etat, il lui revient d’apprécier si la restriction en cause correspond à un besoin social impérieux et si elle est proportionnée au but légitime visé. En outre, tel que régulièrement rappelé par elle, il s’agit pour la CEDH d’examiner si la mesure en cause relève aussi du pouvoir d’appréciation des Etats dans le cadre de la marge qu’elle leur reconnaît : « Il faut reconnaître aux Etats contractants une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence et de l’étendue de la nécessité d’une ingérence, mais elle va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent… La tâche de la 21 Cour consiste à rechercher si les mesures prises au niveau national se justifient dans leur principe, c’est à dire si les motifs invoqués pour les justifier apparaissent « pertinents et suffisants », et sont proportionnées au but légitime poursuivi (arrêt Sunday Times C. Royaume-Uni du 26 novembre 1991, série A n°217)… Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour doit considérer les décisions judiciaires litigieuses sur la base de l’ensemble du dossier » L’empirisme de l’approche juridictionnelle européenne est souvent draconien en ce qu’il peut décevoir les attentes des fidèles qui, au nom de l’invocation aux seuls principes, croient à la pertinence de leurs demandes au juge européen des droits de l’Homme, nouvel oracle contemporain pour des millions d’européens aux marges du rêve démocratique dans certains Etats acceptés au sein du Conseil de l’Europe mais dont chacun admet les graves carences juridiques et juridictionnelles. En revanche, semble acquis l’enrichissement démocratique, même fragile, fondé sur la « sédimentation jurisprudentielle » constituée par le développement récent du contentieux des « droits de l’Homme religieux » dont on a signalé l’importante contribution des « affaires musulmanes ». L’appel au juge européen par des musulmans participe de la sorte à l’édification et à la consolidation de l’espace démocratique continental – l’Europe du Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne – mais également à la promotion et au soutien des valeurs européennes en ce qu’elles portent sui generis un modèle de développement politique universel fondé sur l’équilibre des nations, la paix et la tolérance. Cette contribution des musulmans est à la hauteur de leur niveau d’intégration sociétale, reflet de la confiance en l’Etat de droit , enjeu de leur degré d’acceptabilité des règles de la vie en société européenne. 1.2. Le « profil bas » de la politique juridictionnelle et jurisprudentielle de la CEDH, facteur d’équilibre à l’heure des « surenchères culturalistes » ? Historiquement, la jurisprudence strasbourgeoise en présence de faits religieux est empreinte de prudence. Le Pr Jean-François Flauss a ainsi observé que « la Cour n’entend pas entrer dans une logique d’exacerbation du droit à la différence. Si la liberté de religion constitue l’une des assises d’une société démocratique au sens de la Convention, la Cour n’a pas pour autant versé dans une politique jurisprudentielle fondée sur une conception hypertrophiée de la liberté de religion…La Cour n’entend pas aller aussi loin dans la valorisation du respect des convictions religieuses…En optant pour un contrôle européen à profil bas, la Cour entend à l’évidence ne pas s’engager dans une politique jurisprudentielle qui risquerait de mettre à mal les options constitutionnelles 22 ou/et législatives retenues par les Etats en matière d’exercice de la liberté religieuse » 51 L’arrêt Refah Partisi rendu le 31 juillet 2001, même exposé au feu de la critique universitaire (Lebreton, Jean-Pierre Marguénaud et Jacques Raynard dans la Revue Trimestrielle de Droit civil, précités), a apporté une contribution d’autant plus importante que le « fondamentalisme religieux » et les discours et représentations à son sujet inquiètent et exaspèrent ceux qui prennent garde à l’instrumentalisation des démocraties soumises à la « dictature de la peur » par les terroristes des idéologies de la mort et de la pensée. Les caricatures et amalgames honteux circulent sur « l’Islam ». Le fourre-tout idéologique globalise et stigmatise. Si l’on n’y prend garde, la défaite de la pensée démocratique est au coin de la rue. Le doyen Lebreton qui en appelle à une « lecture humaniste » de la charia tente, en expliquant sans trop convaincre la triple trahison de l’Islam par la CEDH, de distinguer « islam politique » et « fondamentalisme islamique » (précité). La tâche est généreuse mais ardue tant les préjugés sont coriaces et certains faits liés aux pratiques musulmanes têtus. « L’option idéologique de la CEDH » semble ailleurs. Elle en appelle à un sursaut démocratique marqué, comme elle en est coutumière, par le recours au respect de la démocratie et de ses formes contemporaines : procédures de l’Etat de droit, respect des formes et du droit, neutralité des Etats et des responsables politiques du point de vue convictionnel, hommage à l’histoire laïque de certains Etats – ici la Turquie – en tant que mode de différenciation des sphères étatiques et religieuses. En aucun cas, la CEDH, même si certains de ces raisonnements étonnent (voir le paragraphe 64 de son arrêt du 31 juillet 2001 qui opère un rapprochement hasardeux entre « mise en place d’un régime théocratique » et la circonstance que la grande majorité de la population turque soit musulmane… ), ne semble pas vouloir porter un jugement de valeur contraire aux intérêts de l’Islam pratiqué par des milliers d’Européens. En revanche, il ne fait pas de doute, en plein contentieux de la dissolution de certains partis politiques turcs, quant à sa politique jurisprudentielle de cantonnement des dérives illégales musulmanes. De sorte que dans la même affaire, saisie sur renvoi (article 43 de la Convention), la Grande Chambre de la CEDH a pleinement confirmé cette solution juridictionnelle et cette politique jurisprudentielle 52 . A cette occasion la Grande Chambre a consacré l’extension de la notion d’ordre public européen comprenant les valeurs et principes de la Convention européenne, opposable à des jugements étrangers fondés sur des normes religieuses discriminantes. Le 51 In Actualité de la CEDH, AJDA, 20 décembre 2000, PP. 1015-1016 Jean-François Flauss estime que « l’arrêt de la Grande Chambre….reprend à son compte les idées forces formulées par la chambre, en les solennisant et même en les amplifiant à l’occasion » (AJDA 31 mars 2003, p. 610). 52 23 statut personnel des individus mêmes « religieux » s’arrêtent, pour la CEDH, là où commence l’ordre public européen des principes et des valeurs consacrés, sous son contrôle, par la Convention. Cette volonté juridictionnelle incarne d’une certaine façon la suprématie du « politique » sur le « religieux » à partir du moment où le « religieux », outil d’une « politique », devient un cheval de Troie menaçant pour les valeurs et principes communs de la « Maison Europe » et de la vision européenne. Le droit à la différence et le statut personnel religieux ne peuvent dès lors être invoqués utilement pour satisfaire, selon l’expression de Jean-François Flauss, « le confort personnel » de certains requérants à Strasbourg. L’autre enseignement de l’arrêt de la Grande Chambre consacre le « principe de laïcité » - dont la définition polysémique est objet-enjeux de « politique » - constitue une valeur de la société démocratique en tant que paramètre d’émancipation de la tutelle religieuse sur l’Etat et la nation, mais également de facteur de libération des régimes théocratiques ou du fondamentalisme religieux. Au total, l’affaire Refah Partisi, d’une grande richesse, constitue incontestablement après l’affaire Kokkinakis un seuil jurisprudentiel qui de la sorte a confirmé le statut démocratique de « l’Islam modéré » en Europe. Le principe cardinal en la matière reste cependant celui du respect et du maintien du pluralisme religieux ou des idées dans un esprit de tolérance, « condition sine qua non de la sauvegarde d’une société démocratique » (Michele De Salvia). Mais de toute évidence, la politique jurisprudentielle de la CEDH, en demi-teinte, reflète incontestablement la recherche d’un équilibre toujours plus difficile à trouver en présence d’aspirations contradictoires, de tensions conflictuelles exacerbées au sein des groupes religieux eux-mêmes, des crises sur les valeurs communes, d’un déficit des pratiques démocratiques au sein de groupes religieux qui projettent leurs comportements et leur présent sur le devenir de « théocraties annoncées ». La CEDH ne saurait être un refuge ni une cachette contre la tempête religieuse qui agite certains espaces européens au gré des crises politiques et des incertitudes de l’intégration européenne, du centre à la périphérie. Confrontés aux surenchères culturalistes et à « l’islamophobie », l’Islam européen bénéficie aujourd’hui des acquis bâtis en particulier depuis 1993 et la jurisprudence emblématique Kokkinakis et de la mesure avec laquelle la CEDH à construit sa jurisprudence dans ce domaine c’est à dire en esquivant des questions d’une très grande complexité – par exemple en évitant de définir un statut religieux européen uniforme – tout en aménageant des solutions jurisprudentielles équilibrées en présence de graves violations des droits fondamentaux. Les procédures européennes exigent cependant une mobilisation 24 et une pratique c’est à dire l’exercice des voies de droit qui combinées avec les décisions de la CEDH constituent d’utiles rempart contre les atteintes aux droits, libertés et obligations des croyants. 2. La régulation par le haut a des effets directs au plan national : l’exemple des affaires Kokkinakis contre Grèce, Union des Athées contre France, Eglise Métropolitaine de Bessarabie contre Moldova Dans ces trois contentieux européens, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, par son activité de suivi et de contrôle des décisions de la CEDH, a suscité des réactions positives de la part des trois Etats impliqués de nature à satisfaire avec les constats de violations des droits des confessions religieuses mises en cause. Dans la première affaire dite de répression pénale prosélytisme religieux des Témoins de Jéhovah – arrêt du 25 mai 1993 Kokkinakis contre Grèce – le Gouvernement Grec a fait savoir au Comité des Ministres qu’une lettrecirculaire du Ministère de la Justice avait été transmise le 3 août 1993 aux autorités judiciaires et policières grecques afin qu’elles mettent un terme aux poursuites engagées jadis contre ces prédicateurs. Dans la seconde affaire de refus à l’association Union des Athées d’autorisation administrative de percevoir en 1983 un legs d’une valeur de 2000 francs, la Commission européenne des droits de l’Homme a dans son rapport du 6 juillet 1994 considéré que la situation réservée par les autorités françaises, au regard du régime administratif et fiscal consenti aux associations cultuelles, était contraire au dispositif de l’article 14 de la Convention et partant discriminatoire. En 2000, le Gouvernement français a finalement précisé au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe que la somme de 2000 francs avait finalement été versé à l’association spoliée 53 . Dans l’affaire Eglise Métropolitaine de Bessarabie contre Moldova jugée le 13 décembre 2001 sur la base d’un constat de violation des droits de ladite institution lié au refus de reconnaissance administrative de ses statuts associatifs, le Gouvernement moldave a répondu au Comité des Ministres que cette Eglise a pu s’enregistrer le 12 juillet 2002 (affaire examinée lors de la 798ème réunion du Comité des Ministres les 11 et 12 juin 2002). 53 Alain Garay, « Dieu comme un mythe » sous l’angle de la Convention européenne des droits de l’Homme, Gazette du Palais, 2002, n°37-38 25 L’examen de ces trois dossiers prouvent effets positifs, efficaces et pratiques, des décisions rendues par la CEDH. Confrontés à des refus et des sanctions, les croyants n’ont souvent comme seul espace d’action que celui du recours aux procédures juridictionnelles qui font leur preuve. L’Islam européen à la chance de pouvoir emprunter ses passerelles pour franchir les obstacles qui se présentent à lui comme pour d’autres groupements de croyants. Les mécanismes de régulation par le haut ne doivent donc jamais être sous-estimés dès lors qu’ils accompagnent la dynamique des droits de l’Homme. CONCLUSION Gardienne de la Convention européenne des droits de l’Homme, qualifiée par la CEDH d’« instrument constitutionnel de l’ordre public européen », est confrontés au succès de son audience qui la conduit à crouler sous l’avalanche des requêtes (De 1955 à 1988, le nombre de requêtes individuelles déposées devant la CEDH était de 44 199. Pour la seule année 2003, 38 435 requêtes ont été introduites…) et au faiblesse de ses moyens face aux défis qui sont les siens : 45 Etats-membres du Conseil de l’Europe, « hétérogènes », conflits territoriaux, actions terroristes, résurgences de la xénophobie et de forme aggravées d’intolérance de masse, etc… Si la CEDH est victime d’un engorgement, véritable « chronique d’une mort annoncé », lié à son succès d’estime et à son autorité c’est principalement parce que les juridictions nationales sont, dans une certaine mesure, déficientes en évitant de motiver leurs décisions en référence expresse à la Convention européenne. « L’Islam, même turc, ne sera jamais européen ». Ce titre du quotidien istambouliotte Yeni Safak 54 est révélateur d’un débat polémique sur la place de l’Islam en Europe 55 . Franck Frégosi, quant à lui, soutient « L’Europe : nouvel horizon de l’Islam ! » 56 . De quelle Europe, celle de l’Union Européenne, du Conseil de l’Europe ? De l’Europe géographique ou de l’Europe des valeurs démocratiques ? De quel Islam 57 ? Quels musulmans ? De toute évidence 54 Cité in Courrier International, n°705, 6-12 mai 2004, p. 41 Pour sa part, Henri Tincq, dans le cadre d’un dossier sur « Nos voisins turcs » (Le Monde, 15-16 décembre 2002), sous le titre d’un article « Un islam soluble dans la laïcité », explique que « La religion musulmane, circonscrite à l’espace privé par la République, a fait la preuve qu’elle était compatible avec les institutions démocratiques ». 56 Dossier L’avenir du religieux, Revue des Deux Mondes, Paris, juin 1999 57 Voir les travaux de François Dassetto dont La construction de l’islam européen – Approche socioanthropologique, L’Harmattan, Montréal, 1996. Voir aussi Paroles d’islam, Maisonneuve et Larose, Paris, 2000, et, avec B. Maréchal, J. Nielsen, Convergences musulmanes. Aspects contemporains de l’islam dans l’Europe élargie, L’Harmattan-Paris, Bruylant-Bruxelles, 2001. On lira l’ouvrage dirigé par Rémy Leveau, Islam(s) en 55 26 « l’européanisation » de l’Islam au pire inquiète au mieux irrite dès lors que la sortie de l’isolement des musulmans en Europe est suspecté 58 Au discours sur le « déficit d’image » de l’Islam 59 la construction européenne apporte une contribution à la préservation des équilibres par le prisme de la jurisprudence de la CEDH (voir l’article de Rostane). L’Europe institutionnelle constitue sans nul doute un cadre émancipateur des droits et des obligations des croyants quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent. Cet espace de liberté profite aux modernes et aux anciens en faisant l’économie d’un débat stérile sur la modernité de l’Islam façonné par l’histoire indiscutable de ses relations avec l’Europe. L’importance des enjeux juridiques, la politique jurisprudentielle de la CEDH, n’ont pas conduit à faire de celle-ci ni un « paradis judiciaire offshore », ni contrairement aux annonces journalistiques fantaisistes un « secours des islamistes » 60 . Il semble que la prudence de la Cour Européenne s’agissant des faits religieux reste tributaire de la façon dont elle a abordé historiquement les affaires. En effet, d’aucuns ont signalé que la Cour a suscité une « certaine timidité dans les applications ou les conséquences concrètes…les critères concrets mettant en œuvre les principes fondamentaux n’étaient pas toujours adaptés ou cohérents 61 ». A ce constat, s’ajoutent celui de la montée de critiques sur le fonctionnement et les modalités de règlement expéditifs de requêtes jugées irrecevables par un Comité de trois juge sans qu’un examen au fond soit entrepris 62 Europe, Centre Marc Bloch , Berlin, 1998, mais également Tariq Ramadan, Etre musulman européen – Etude des sources islamiques à la lumière du contexte européen, Ed. tawhid, Lyon, 1989 58 Par exemple, les « démonstrations européenne »de Tariq Ramadan sont souvent dénoncées au nom du refus d’un Islam-cheval de Troie (voir la description des « attentes » en question : celle de Mohammed Arkoun, Dans l’attente de l’Europe, et de Tariq Ramadan, Les musulmans du Vieux Continent sortent de l’isolement, in L’offensive des religions, Manière de Voir 48, Le Monde Diplomatique, nov-Déc. 1999). 59 Par exemple, voir le « parti-pris des médias français » dans le cadre du traitement de « l’Islam » qui, pour Thomas Deltombe, auteur d’un article intitulé L’Islam au miroir de la télévision (Le Monde Diplomatique, nov. 2003), explique ainsi « la traque médiatique des « incidents » mais également « une mise en scène binaire ». A mettre en perspective avec les résultats du sondage réalisé en 2001 pour Le Monde, Le Point et Europe 1 qui reflète une « image plus positive de l’islam dans l’opinion française » (Le Monde, 5 octobre 2001). 60 Cf. L’Evènement du Jeudi du 6-12 octobre 1994, rendant compte de l’arrêt Otto-Preminger-Institut contre Autriche du 24 septembre 1994, titrait « L’Europe judiciaire au secours des islamistes ? Les barbus pourront s’adresser à la Cour Européenne des droits de l’home et celle-ci pourrait leur donner raison… ». 61 Patrice Rolland, Le fait religieux devant la Cour européenne des Droits de l’Homme, Mélanges Raymond Goy, précité, p. 285. 62 Voir les critiques « symptomatiques, de Victor Haïm, Faut-il supprimer la Cour européenne des Droits de l’Homme, Dalloz, 2001, n°37 ; Laurence Burgorgue-Larsen, De l’art de changer de cap – Libre propos sur les « nouveaux » revirements de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, in Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, Bruxelles, 2004. Lire les actes du colloque de Strasbourg des 21 et 22 juin 2001 sur le thème Quelle réforme pour la Cour européenne des droits de l’Homme ?, Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme, vol. 14, n°7-8, 16 décembre 2002 27 La gestion internationale des crises religieuses contemporaines exige un effort de compréhension constant dans une perspective globale et différencié 63 . L’internationalisation 64 et l’appel à la résolution judiciaire des tensions suscitées par l’exercice des convictions islamiques constituent-ils un facteur d’intégration susceptible de rompre l’isolement ou le cantonnement des islamiques en Europe ? L’Europe, « à un tournant » 65 et « espace mental du cosmopolitisme » 66 , chance pour l’Islam et pour la modernité musulmane ? 63 Voir les travaux publiés en 1996 sous le titre Religious Human Rights in global Perspective, ed. Johan D. Van Der Vyver, John Witte JR ; Martinus Nijhoff Publishers, La Haye (Dans cet ouvrage, on lira Jeremy Gunn, Adjucaticating Rights of Conscience Under the European Convention on Human Rights). Lire aussi Carolyn Evans, Freedom of Religion Under the European Convention on Human Rights, Oxford University Press, 2001 ; Javier Martinez-Torron, Religious Liberty in European Jurisprudence, in Religious Liberty and Human Rights (ed. par Mark Hill), The University of Wales Press, 2002 64 Pour une présentation complète de la bibliographie sur ce sujet, voir la bibliographie « sélective » (en 32 pages !) contenue dans l’ouvrage dirigé par Jean-François Flauss intitulé La protection de la liberté religieuse (Bruylant, Bruxelles, 2002) 65 Religion : L’Europe à un tournant, Yves Lambert, Futuribles, Paris, juillet-août 2002. L’auteur explique les enquêtes récentes sur le religieux au sein de la société européenne. 66 L’expression est de Blandine Chelini-Pont, précité, p.385 28