L`Histoire en citations

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L’Histoire en citations
Michèle Ressi
Gaule
et Moyen Âge
L’Histoire en citations
est une collection de livres numériques.
La Chronique, divisée en 10 volumes, raconte l’histoire de France des origines
à nos jours, en 3 500 citations numérotées, replacées dans leur contexte,
avec sources et commentaires.
Le Dictionnaire recense toutes les citations (et leurs auteurs), regroupées par
mots clés, mots thèmes et expressions, classés par ordre alphabétique
en quelque 6 500 entrées.
Michèle Ressi, auteur et chercheur au CNRS, a publié une vingtaine de titres – dont
L’Histoire de France en 1000 citations (Eyrolles, 2011). L’écriture théâtrale lui a
donné le goût des dialogues, et la passion des citations. CV complet sur Wikipédia.
Sommaire
Gaule
Prologue
Chronique (VIe s. av. J.C.-481)
∑
Moyen Âge
Mérovingiens et Carolingiens
Prologue
Quelques repères
Personnage de Clovis
Personnage de Charlemagne
Chronique (481-987)
Capétiens directs
Prologue
Roi et seigneurs
Chevalerie et religion
Société
Personnage de Philippe II Auguste
Personnage de Louis IX (Saint Louis)
Chronique (987-1328)
Premiers Valois
Prologue
Quelques repères
Personnage de Louis XI
Chronique (1328-1483)
∑
Index par noms
Gaule
VIe siècle av. J.-C. : Occupation de la Gaule par les Celtes
481 apr. J.-C. : Clovis roi des Francs
Les Celtes, peuplade venue de l’Est, occupent massivement l’Europe en plusieurs étapes.
Sur le territoire de la future France, ils se mêlent aux Ligures du Midi, aux Ibères du SudOuest. Cette Gaule celtique, où abondent les tribus riches en hommes et en biens, est à la
fois tentante et gênante pour les peuples voisins, Romains et Germains.
Les Romains conquièrent la Gaule cisalpine (nord de l’Italie), puis le sud de la Gaule qui
devient province romaine et colonie prospère (capitale, Narbonne), cependant que la
Celtique, Gaule transalpine, indépendante et « chevelue » (couverte de forêts), est déchirée
par les luttes entre tribus.
César, proconsul de la Province et de la Gaule cisalpine, profite des querelles entre Gaulois
et de la menace de divers envahisseurs pour soumettre avec ses légions le reste du pays
en huit campagnes annuelles (59 à 51 av. J.-C.) et mater des insurrections (dont celle
de Vercingétorix).
L’ensemble de la Gaule devient une colonie de l’Empire romain sous le règne d’Auguste.
La paix civile (pax romana) va durer trois siècles. Prospérité économique et essor culturel
caractérisent la civilisation gallo-romaine. Religion nouvelle, le christianisme pénètre peu
à peu le pays avant de devenir religion d’État.
La situation se détériore au IIIe siècle. Le Bas-Empire romain s’affaiblit dans des luttes
pour la succession impériale, les paysans libres se révoltent à la fois contre les nobles, la
misère, les impôts. Les premières invasions germaniques (Francs et Alamans) franchissent
le Rhin et ces nouveaux peuples vont s’installer en Gaule, comme cultivateurs ou soldats
au service des Romains. Les grandes invasions se succèdent au Ve siècle. La plus terrible,
celle des Huns d’Attila, est repoussée en 451 par une coalition de Romains et de Barbares.
Après la chute de l’Empire romain d’Occident (476), de vrais royaumes barbares se
constituent en Gaule : Wisigoths au sud, Burgondes le long de la Saône et du Rhône. Les
Francs, guerriers germaniques installés au nord, vont conquérir la Gaule avec leur chef
Clovis. Il deviendra roi, en 481, et les Gaulois adopteront le nom de Francs.
Gaule • Prologue
Prologue
1. « La Gaule avait été fermée et fortifiée par la nature
avec un art véritable. »
Flavius JOSÈPHE
Flavius JOSÈPHE (37-100), Guerres des Juifs
La constatation de cet historien juif du Ier siècle se retrouve chez son confrère latin Ammien Marcellin
au IVe siècle. Mais fleuves et montagnes ne sont pas infranchissables. La Gaule (lointain ancêtre de
la France) a périodiquement subi des vagues d’invasions, profitant par ailleurs d’une exceptionnelle
diversité de peuplements et de civilisations. Il faut attendre le Moyen Âge pour que le pays acquière un
territoire à peu près hexagonal, en même temps que sa cohésion, sa conscience nationale et, plus tard,
une notion précise de la frontière.
La théorie des frontières naturelles – selon laquelle Rhin, Alpes et Pyrénées doivent former les limites
continentales de la France, Océan et Méditerranée complétant l’hexagone – existe sans doute à l’état
latent dans la politique des rois de l’Ancien Régime, même si les historiens sont partagés sur ce point.
En tout cas, elle explosera sous la Révolution où « les armées victorieuses reculent les limites jusqu’aux
barrières que la nature nous a données » (Carnot), avant que Napoléon ne franchisse les bornes.
2. « Les Celtes, pensait-on à Marseille, étaient à la fois
impossibles à dompter et toujours prêts à se vendre. »
Camille JULLIAN
Camille JULLIAN (1859-1933), Histoire de la Gaule (1908-1921)
Historien de référence pour cette longue et lointaine période, Jullian rapporte cette opinion des
habitants de Marseille (Massilia), ville fondée au début du VIe siècle av. J.-C. par les Grecs de Phocée
(venus d’Asie mineure) et aujourd’hui encore appelée cité phocéenne. À la même époque, les Celtes,
venus de l’Est par vagues successives depuis déjà un millénaire, occupent massivement l’Europe et
notamment la Gaule. Ils se mêlent aux peuples déjà présents : Ligures du Midi et Ibères du Sud-Ouest,
sans créer véritablement de civilisation celtique.
Leur apport est cependant essentiel : ils ont substitué à l’usage du bronze celui du fer, métal plus solide
pour les lances, les épées, les faux, les socs de charrue, le cerclage des tonneaux de bois. Marseille, cité
opulente, à la population cosmopolite et raffinée, fut en relations constantes avec les tribus celtes de
la vallée du Rhône. Les Celtes (ainsi dénommés par les Grecs) restent dans l’histoire sous le nom que
leur donnèrent les Romains : Galli, Gaulois.
Gaule • Prologue
3. « Honorer la divinité, fuir le mal, pratiquer la bravoure. »
Maxime de sagesse des Celtes
Vies, doctrines et sentences des philosophes de l’Antiquité (multiples éditions et traductions), Diogène Laërce (ou Diogène
de Laërte), écrivain grec et compilateur du IIIe siècle de notre ère
C’est aussi un précepte druidique, et même le seul qui nous soit parvenu de cette civilisation où l’écrit
n’est pas répandu. Telles sont les qualités morales prônées par les tribus celtiques installées en Gaule.
Jérôme, docteur de l’Église qui vécut à la fin du IVe siècle et deviendra saint, confirme : « La Gaule est le
seul pays qui n’ait pas produit de monstres ; mais de tout temps elle s’est distinguée par ses hommes
avisés et éloquents. » En parlant de « monstres », il songeait à certains empereurs romains, célèbres
pour leurs folies sanguinaires, tels Néron et Caligula.
4. « Il y a dans la Gaule deux classes d’hommes qui comptent
et qui sont honorées : celle des druides et celle des chevaliers. »
CÉSAR
Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules
Les druides cumulent trois fonctions : prêtres allant cueillir le gui sacré, offrant des sacrifices et assurant
le culte de quelque 400 dieux ; éducateurs transmettant à la jeunesse aristocratique des poèmes
héroïques (non écrits) nourris de légendes gauloises et de connaissances historiques, juridiques,
astrologiques ; juges prononçant des arbitrages et des peines capitales en fonction d’un rituel précis.
Les chevaliers, soumis au roi seulement en temps de guerre, sont entourés de « clients » unis à eux par
des liens de vassalité personnelle (origine de la féodalité) et font travailler des serfs sur des territoires
comparables en étendue aux actuels cantons.
Au-dessous de ce « clergé » et de cette « noblesse », le peuple forme le « tiers ordre ». Au total, la Gaule
comptait, selon César, 10 millions d’habitants au Ier siècle av. J.-C. Les historiens modernes hésitent entre
8-9 millions, 20 et même 30 selon Camille Jullian. Les statistiques n’ont jamais été une science exacte.
5. « [Les Gaulois] ont deux passions dominantes,
être braves à la guerre et parler avec habileté. »
CATON l’Ancien
CATON l’Ancien (234-149 av. J.C.)
Histoire de la Gaule (1908-1921), Camille Jullian
Les deux qualités dont fait ici état cet homme politique et écrivain romain du IIe siècle av. J.-C. vont se
retrouver tout au long de l’histoire.
Gaule • Prologue
6. « L’infériorité des armées gauloises donna l’avantage aux Romains ;
le sabre gaulois ne frappait que de taille,
et il était de si mauvaise trempe qu’il pliait au premier coup. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Les Romains disposent en effet d’un armement supérieur à celui des Gaulois. Ce sera l’une des raisons
de leur victoire, quand ils vont être amenés à faire la conquête de la Gaule.
7. « Des tyrannies, des guerres, voilà ce qu’on trouvait dans les Gaules
jusqu’à ce qu’elles fussent rangées sous nos lois. »
Petilius CEREALIS
Petilius CEREALIS (Ier siècle)
Histoires (nombreuses éditions et traductions), Tacite, historien romain du Ier siècle
Ce général romain du Ier siècle évoque l’état du territoire, avant l’intervention romaine en deux étapes :
conquête du sud-est de la Gaule et création de la Province romaine (Provincia) avec Narbonne pour
capitale (124-118 av. J.-C.) ; conquête par César de la Gaule restée indépendante (58-51 av. J.-C.). Jules
Michelet, dans son Histoire de France, confirme : « Ce chaos bourbeux et belliqueux de la Gaule était
une superbe matière pour un tel génie [César]. »
8. « César s’était présenté comme un protecteur.
Sa conquête avait commencé par ce que nous appellerions
une intervention armée. »
Jacques BAINVILLE
Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924)
Fait capital de notre histoire. En 58 av. J.-C., la tribu des Helvètes décide d’émigrer vers la Saône pour
fuir la pression des Germains d’Arioviste. Les Éduens établis entre Loire et Saône se sentent menacés
par cette migration et appellent à leur secours César, nommé l’année précédente proconsul de la Gaule
cisalpine (Italie du Nord) et de la Province romaine. Cerealis (cité par Tacite) rappellera plus tard aux
Gaulois ce fait historique : « Si nos chefs et empereurs sont entrés dans votre pays, c’est à la requête de
vos ancêtres. »
César, fort de six légions, oblige les Helvètes à retourner chez eux (vers l’actuelle Suisse) et refoule les
Germains au-delà du Rhin. Voulant éclipser la gloire militaire de son rival Pompée, il en profite pour
conquérir en huit campagnes annuelles toute la Gaule, y compris Belgique et Suisse, avec une incursion
en [Grande-]Bretagne.
Gaule • Prologue
9. « C’est une race [les Gaulois] d’une extrême ingéniosité,
et ils ont de singulières aptitudes à imiter ce qu’ils voient faire. »
CÉSAR
Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules
S’ils ne connaissent pas de civilisation urbaine et vivent en tribus, les Gaulois sont de remarquables
éleveurs et agriculteurs qui savent « engraisser la terre par la terre » (assolement et alternances de
céréales riches et pauvres), au grand étonnement des Romains. Ils exportent jusqu’à Rome foies gras,
jambons et autres charcuteries. Leurs tissages et leurs cuirs sont de qualité, comme leurs bijoux et
leurs bronzes. Ils auraient même inventé le savon (fait de cendre végétale mélangée au suif).
Pour être conquérant, César n’en fut pas moins sensible au génie gaulois. Dans ses Commentarii de bello
gallico, il se révèle remarquable historien, et styliste. À partir du IXe siècle se multiplient les éditions et
traductions de ce grand texte, également titré Guerre des Gaules.
10. « Ces gens-là [les Gaulois] changent facilement d’avis
et sont presque toujours séduits par ce qui est nouveau. »
CÉSAR
Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules
Grand fond de vérité dans cette constatation. Richelieu, au XVIIe siècle, évoquera souvent cette
« légèreté » propre aux Français. Mais ce sera pour s’en plaindre.
11. « Et le Christ ?
— C’est un anarchiste qui a réussi. C’est le seul. »
André MALRAUX
André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937)
Sous le règne de Tibère vit en Galilée un homme dont les enseignements vont bouleverser l’histoire du
monde. De sa mort sur la croix va naître une religion qui lentement s’étendra sur l’Empire.
Pour les Romains, les premiers chrétiens ne sont qu’une secte juive, dont le fondateur passe pour un
agitateur politique. Pour les chrétiens, il est Dieu, fils de Dieu, ce Dieu étant un dieu unique, comme
celui qu’adorent les juifs.
La réussite de l’« anarchiste » qui termina sa vie comme un criminel mis en croix entre deux « larrons »
est due à ses disciples, et plus particulièrement à Paul de Tarse : il fera du message de Jésus une
religion à vocation universelle. La Gaule sera tardivement acquise : l’évangélisation des villes, puis des
campagnes, ne se fera qu’au IVe siècle, le christianisme devenant religion d’État en 391.
Gaule • Prologue
12. « Là où Attila a passé, l’herbe ne repousse plus. »
Adage symbolisant la sauvagerie des Huns
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Ce mot recueilli par Grégoire de Tours un siècle et demi après l’invasion des Huns (en 451) montre
que la mémoire était encore vive, en Gaule, de ces barbares et de leur chef, Attila surnommé Fléau de
Dieu. Beaucoup de chroniqueurs s’inspireront de ses Dix livres d’histoire – titre originel de sa somme
historique –, ce qui contribue à renforcer le mythe d’Attila.
13. « Nous dévoilons le passé infructueusement, le présent
incomplètement ; il y a, pour nous, de la honte à dire
des choses fausses, du danger à dire la vérité. »
SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE APOLLINAIRE (430-487), Lettre à son ami Léon, en 476-477
C’est dire les risques courus par l’historien : ainsi justifia-t-il son refus d’écrire l’histoire de son temps.
Sidoine Apollinaire, patricien gallo-romain, se contenta d’être écrivain, préfet, sénateur, évêque – élu
malgré lui – et saint. Ses poèmes (Carmina), ses lettres (147 réunies en neuf livres) et ses panégyriques
(discours officiels) demeurent des témoignages précieux sur cette Gaule du Ve siècle.
Gaule • Chronique
Chronique (VI siècle av. J.C.-481)
e
14. « Tu arriveras en face des Ligyes, intrépide armée, et, je le sais,
si brave que tu sois, tu verras là des combattants sans reproche. »
ESCHYLE
ESCHYLE (525-456 av. J.C.) Prométhée enchaîné, écrit entre 467 et 456 av. J.C
Dans la célèbre tragédie grecque, Prométhée parle en ces termes à Héraclès, fils de Zeus, personnage
mythique pour les Grecs, vénéré sous le nom d’Hercule par les Romains. Le héros s’apprête à traverser
la Ligurie.
Les Grecs appelaient Ligyes les Ligures, peuple qui occupait le sud-est de la France. On les trouve établis
dans ce qui deviendra la Provence, avant l’arrivée des Celtes. Ils ont acquis une réputation de bravoure
et les Romains auront d’ailleurs un certain mal à pacifier ces montagnards des Alpes méridionales.
La Gaule de l’époque est ainsi peuplée de nombreuses tribus guerrières. Certaines d’entre elles vont
même ébranler l’Empire romain au IVe siècle av. J.-C.
15. « Malheur aux vaincus. »
BRENNUS
BRENNUS (IVe s. av. J.C.), aux Romains, 390 av. J.C
Histoire romaine, Tite-Live (historien romain né en 59 av. J.-C.)
Brennus est le chef des hordes gauloises qui déferlent sur l’Italie du Nord : conquise vers 390, elle
devient la Gaule cisalpine. Rome est prise, pillée, incendiée. Catastrophe nationale et stupeur de toute
l’Antiquité : pour la première et dernière fois (avant sa chute finale, mille ans après), la capitale de
l’Empire romain tombe sous les coups d’une armée étrangère !
Brennus, vainqueur, jette son épée dans la balance où se pesait la rançon de la ville, pour augmenter
le poids d’or réclamé comme prix de son départ. Aux protestations des Romains, il répond : « Vae
Victis ». L’expression, devenue proverbe, signifie que les vaincus n’ont droit à aucune justice de la part
des vainqueurs.
Gaule • Chronique
16. « Nous ne craignons rien,
sinon que le ciel ne tombe sur nos têtes. »
Un guerrier gaulois à Alexandre le Grand, 335 av. J.C
Géographie, livre VII, Strabon (géographe grec né en 58 av. J.-C.), également citée par Arrien, historien romain
Les Gaulois, tribus nomades, ont traversé l’Europe et poursuivi leur expansion jusqu’aux rives du
Danube. Alexandre, roi de Macédoine, a convié à sa table ces guerriers. Âgé de 20 ans, déjà conquérant
dans l’âme et prêt à devenir le héros mythique de l’Antiquité, Alexandre demande durant le repas aux
Gaulois ce qu’ils craignent le plus, s’attendant naturellement à ce qu’ils répondent que c’est lui. Eh bien,
non, ces Gaulois ne craignent véritablement rien, ni personne.
17. « Le javelot romain brisa la fierté gauloise. »
POLYBE
POLYBE (vers 202-vers 120 av. J.C.), Histoire générale, livre II
Le mot de cet historien grec souligne la supériorité de l’esprit de discipline propre aux Romains sur la fougue
anarchique des Gaulois. Le retournement de l’histoire se joue en plusieurs épisodes, et sur deux siècles.
À partir de 236 av. J.-C., les Romains entreprennent la conquête du nord de l’Italie, Gaule cisalpine aux
mains de tribus gauloises – la plus importante étant celle des Boïens. Vaincus définitivement en 191, les
Boïens auraient alors émigré vers le Danube, donnant leur nom à la future Bohême.
Marseille (Massilia) attaquée par des barbares appelle Rome au secours en 154 : c’est la première
intervention des Romains sur le territoire de la France d’aujourd’hui. Nouvel appel, nouvelle intervention
en 124. Cette fois, pas question de repartir : les Romains se sentent trop heureux dans ce pays. Par
son climat, son relief, sa végétation, il leur rappelle l’Italie. Deux ans plus tard, Sextius Calvinus fonde
Aquae Sextiae (Aix-en-Provence). Ligures, Ibères, Gaulois occupent le Languedoc occidental, mais
ne résistent pas longtemps aux armes romaines. Toute la côte méditerranéenne est annexée jusqu’à
l’Espagne. Narbonne, fondée en 118, devient la capitale de la Province romaine.
La fougue anarchique des Gaulois ne pouvait résister durablement à la discipline des Romains, dont
l’Empire s’étendait sur l’Europe et au-delà. L’histoire est d’abord une interminable suite de guerres.
18. « Depuis que Rome existe, tous les sages politiques ont pensé
qu’elle n’avait point d’ennemis plus redoutables que les Gaulois. »
CICÉRON
CICÉRON (106-43 av. J.C.), Discours sur les provinces consulaires, Œuvres complètes de Cicéron
Cette remarque du célèbre orateur romain rappelle la prise de Rome par les Gaulois de Brennus, trois
siècles plus tôt, et justifie ou, tout au moins, fait comprendre le désir des Romains de soumettre un
peuple aussi turbulent.
Il s’agit à présent de dompter la Gaule demeurée indépendante, dite aussi celtique (ou chevelue, en
raison de ses vastes forêts). À l’inverse de la Province (romaine) exploitée comme une colonie, mais
où régnaient paix et prospérité, la Celtique restait le théâtre de luttes permanentes entre tribus. Nul
État constitué, en Gaule, pas de capitale ni d’administration centrale, pas même de vie urbaine – les
villes n’étaient que des places fortes où les paysans se réfugiaient en cas d’invasion. Le dernier acte des
« guerres celtiques » sera joué par César.
Gaule • Chronique
19. « La liberté n’est dans leur bouche [les Germains]
qu’un prétexte spécieux. Jamais ambitieux n’a réussi à dominer,
à assujettir autrui, sinon en se servant de ce mot. »
Petilius CEREALIS
Petilius CEREALIS (Ier siècle)
Histoires (nombreuses éditions et traductions), Tacite, historien romain du Ier siècle
Ce discours daté de 70 rappelle aux Gaulois l’intervention des Germains dans les affaires de la Gaule.
Après une première invasion de Cimbres et de Teutons (vers 110 av. J.-C.) qui provoqua massacres,
pillages et ruines, l’ambitieux Arioviste, chef des Suèves (germaniques), est appelé au secours par la
tribu gauloise des Séquanes, pour vaincre la tribu rivale des Éduens en 61 av. J.-C. Arioviste vainc les
Éduens, qui appellent à leur tour César.
Cerealis, légat et général romain, oppose à juste titre les deux types d’interventions : celle des Germains
toujours attirés en Gaule par « la cupidité, l’avarice, le besoin de se déplacer, en échangeant, par votre
asservissement, leurs marécages et leurs solitudes contre votre sol fertile », alors que les Romains
font « la garde au Rhin [. . .] pour empêcher un nouvel Arioviste de s’emparer de l’empire des Gaules. »
Ajoutons que la colonisation des Romains, après une phase de combats et de pacification, amènera
cette pax romana qui va assurer trois siècles de bonheur à la Gaule, et donner la civilisation galloromaine.
20. « Nous devons nous défendre, non seulement contre les actes,
mais même contre les projets de ceux qui veulent nous nuire, nous
opposer à l’accroissement de leur puissance
avant qu’ils nous aient causé des dommages
et ne pas attendre pour nous venger qu’ils nous aient fait du mal. »
CÉSAR
Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules
Histoire romaine, Dion Cassius, historien grec du IIe siècle
César, brillant orateur autant que grand général, élu consul en 60 av. J.-C., reçoit à la fin de sa magistrature
le gouvernement de la Gaule cisalpine (nord de l’Italie) et de la Province romaine (sud de la Gaule
transalpine). Il veut profiter des luttes qui déchirent la Gaule indépendante pour soumettre des tribus
qui lui apparaissent comme une menace, et conquérir la gloire militaire. Mais les sénateurs ont toujours
reculé devant des guerres offensives : ils lui refusent le droit d’intervenir. César va cependant le faire,
quand les Éduens le rappellent au secours, cette fois contre les Helvètes migrant vers la Gaule, peu
satisfaits des conditions de vie sur leur territoire (la Suisse).
Et chaque année, jusqu’en 51 av. J.-C., César va mener campagne en Gaule.
Gaule • Chronique
21. « Mon pouvoir est de telle nature
que la foule a autant de droits sur moi que j’en ai sur elle. »
AMBIORIX
AMBIORIX (Ier siècle av. J.C.), chef des Éburons, 54 av. J.C
Histoire de la Gaule (1908-1921), Camille Jullian
Ce chef d’une tribu gauloise installée dans les Ardennes attaque des cohortes romaines. César envoie
auprès d’Ambiorix des ambassadeurs, pour lui rappeler ce qu’il doit à César qui l’a jadis aidé. Ambiorix
cherche des excuses en déclarant qu’il a été entraîné malgré lui dans cette affaire. C’était aussi une
vérité : les chefs des tribus gauloises ne disposaient que d’un pouvoir restreint.
Ambiorix le Gaulois participera ensuite activement à la révolte contre les Romains qui font dorénavant
figure d’envahisseurs et d’occupants.
22. « Quand nous ne formerons en Gaule qu’une seule volonté,
le monde entier ne pourra nous résister. »
VERCINGÉTORIX
VERCINGÉTORIX (vers 72-46 av. J.C.), à ses troupes, mai 52 av. J.C., à Gergovie
La Gaule (1947), Ferdinand Lot
Les tribus gauloises, victimes de leur désunion, viennent d’élire ce jeune noble, chef suprême d’une
coalition contre les Romains qui se veulent maîtres de l’Europe. Quand César marche vers la Loire,
Vercingétorix ordonne de brûler tous les villages pour affamer l’ennemi. Mais on ne peut se résoudre à
incendier Avaricum (Bourges), seule grande et belle ville de Gaule, puissamment fortifiée. Après deux
mois de résistance, elle tombera, le 20 avril. Dans sa Guerre des Gaules, César parle de 40 000 morts
– il a décuplé le chiffre. Mais il note, en bon observateur : « Si l’adversité diminue d’habitude l’autorité
des chefs, elle grandit de jour en jour le prestige de Vercingétorix. »
Le mois suivant, le Gaulois remporte la plus grande victoire de sa courte carrière : Gergovie (près de
Clermont-Ferrand). César doit lever le siège, minorant ses pertes à 700 légionnaires. Les statistiques
truquées nourrissent la légende ou la propagande, et l’histoire de Vercingétorix nous est surtout connue
par le récit de son adversaire, César.
23. « Prends-les ! Je suis brave, mais tu es plus brave encore,
et tu m’as vaincu. »
VERCINGÉTORIX
VERCINGÉTORIX (vers 72-46 av. J.C.), jetant ses armes aux pieds de César, fin septembre 52 av. J.C., à Alésia
Commentaires de la guerre des Gaules, Jules César
Grand stratège, César est parvenu à enfermer Vercingétorix et son armée à Alésia (en Bourgogne).
L’armée de secours, mal préparée, est mise en pièces par César qui exagère encore les chiffres : 246 000
morts chez les Gaulois, dont 8 000 cavaliers. Vercingétorix juge la résistance inutile, et se rend pour
épargner la vie de ses hommes – quelque 50 000, mourant de faim après quarante jours de siège.
La chute d’Alésia marque la fin de la guerre des Gaules et l’achèvement de la conquête romaine. Mais
le mythe demeure bien vivant, en France : Vercingétorix, redécouvert par les historiens au XIXe siècle et
popularisé jusque dans la bande dessinée, est notre premier héros national.
Gaule • Chronique
24. « Sa courte vie de combattant eut cette élégante beauté
qui charmait les Anciens et qui était une faveur des Dieux. »
Camille JULLIAN
Camille JULLIAN (1859-1933), Vercingétorix (1902)
L’auteur de la première biographie savante de Vercingétorix juge ainsi sa carrière de chef de guerre.
L’épopée n’a duré que dix mois. Emmené captif à Rome, le vaincu est jeté dans un cachot où il attendra
six ans, pour être finalement exhibé comme trophée, lors du triomphe de César, puis décapité en 46
av. J.-C. : « Vae Victis ! »
25. « Vous serez châtiés pour avoir voulu souhaiter la paix
et vous apprendrez que, moi vivant,
rien n’est plus sûr qu’une guerre, quand on m’a pour chef. »
CÉSAR
Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules
La Pharsale (La Guerre civile), Lucain, poète latin du Ier siècle
Toute la Gaule est conquise par les armées romaines, mais la ville grecque de Marseille (Massilia), alliée
du peuple romain, demeure indépendante.
Au début de l’année 49 av. J.-C., César entre en conflit avec Pompée qui a en main le Sénat. Il franchit le
Rubicon, petite rivière formant la frontière de sa province de Gaule cisalpine, en prononçant le fameux
« alea jacta est » (« le sort en est jeté »). Dans cette guerre civile qui se déclenche, Marseille voudrait
rester neutre et ménager les deux partis, voire jouer les arbitres, mais les Marseillais (Massaliotes)
ont un penchant pour les Pompéiens, chose naturelle pour une république aristocratique. César, venu
d’Italie pour se rendre par la terre en Espagne, où s’étaient fortifiés les partisans de Pompée, entreprend
le siège de Marseille (avril-mai 49 av. J.-C.). Il ne va pas la prendre personnellement, laissant à son
lieutenant Trebonius le soin d’en finir.
Marseille se rendra au bout de six mois. La grande cité méditerranéenne perd son indépendance, étant
annexée à la Province.
26. « Acta est fabula. »
« La pièce est jouée. »
AUGUSTE
AUGUSTE (63 av. J.C.-14), son mot de la fin, 14
L’École normale : journal de l’enseignement pratique, volume V (1861), Pierre Larousse
« La pièce est jouée », c’est aussi par ces mots que s’achevaient les représentations théâtrales
dans l’Empire.
Petit neveu, fils adoptif et héritier de César, Octave, sacré empereur sous le nom d’Auguste, est devenu
seul maître de l’Empire romain, en 30 av. J.-C. Il finit de pacifier la Gaule, triomphant des dernières
résistances dans les Alpes et les Pyrénées. En 27 av. J.-C., il fixe les bases administratives de la Gaule
romaine. Le pays est divisé en quatre provinces : la Narbonnaise (ancienne province au sud-est),
l’Aquitaine (au sud-ouest), la Celtique ou Lyonnaise (au centre, la plus étendue) et la Belgique au nord.
Gaule • Chronique
27. « Jamais depuis qu’elle a été domptée par le divin Jules [César],
la fidélité de la Gaule n’a été ébranlée ;
jamais, même dans les circonstances les plus critiques,
son attachement ne s’est démenti. »
CLAUDE Ier
CLAUDE Ier (10 av. J.C.-54), Discours devant le Sénat, 48
La Gaule indépendante et la Gaule romaine (1900), Gustave Bloch
Le mouvement créé par César ne s’arrêta pas après sa mort. Cent ans plus tard, l’empereur Claude, né
à Lyon, rappelle dans ce discours à quel point la Gaule est demeurée dans la « paix romaine » après
sa pacification.
À signaler cependant deux révoltes de minorités, d’ailleurs désavouées par le peuple gaulois.
En 21, soulèvement simultané de plusieurs peuples : les Trévires (sous la conduite de Julius Florus)
reprennent la lutte pour l’indépendance, alors que le danger germanique est écarté ; les Éduens,
Séquanes et autres (sous la conduite de Julius Sacrovir) s’insurgent contre les exactions, la main mise
économique et la fiscalité romaine qui écrase les Gaulois trop prospères.
En 68, Vindex, gouverneur de la Lyonnaise, se révolte contre l’empereur Néron et tente en vain de
rallier les Gaulois à sa rébellion. Après deux années de trouble au cours desquelles l’autorité de Rome
est ébranlée, un concile des Gaules (congrès tenu à Reims par les délégués des différents peuples
gaulois) doit choisir entre l’indépendance et la domination romaine. La soumission rallie les suffrages.
28. « La Paix, cette Cité qui assure les mêmes droits
aux vaincus et aux vainqueurs, aimez-la, honorez-la.
Puissent les leçons de la bonne comme de la mauvaise fortune
vous enseigner de ne pas préférer la résistance qui perd à
l’obéissance qui sauve ! »
Petilius CEREALIS
Petilius CEREALIS (Ier siècle), 70
Histoires (nombreuses éditions et traductions), Tacite, historien romain du Ier siècle
La Gaule est une colonie de l’Empire romain, depuis Auguste (Ier siècle av. J.-C.)
Parent de l’empereur Vespasien et chargé de pacifier la Bretagne, ce général romain s’adresse aux
représentants de tribus gauloises. Il leur vante la fameuse pax romana, et ajoute : « Vous partagez
l’Empire avec nous. C’est souvent vous qui commandez nos légions, vous qui administrez nos provinces.
Entre vous et nous, aucune distance, aucune barrière. » Les Gaulois peuvent en effet prétendre à toutes
les charges et tous les honneurs romains : procurateur, officier, légat. Cependant que s’épanouit la
civilisation gallo-romaine.
Gaule • Chronique
29. « Ces théâtres, ces cirques, ces aqueducs, ces voies
que nous admirons encore sont le durable symbole
de la civilisation fondée par les Romains,
la justification de leur conquête de la Gaule. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
La Gaule romanisée s’est couverte de superbes monuments qui ont aussi leur utilité. Les thermes,
aqueducs et égouts apportent le raffinement de l’eau courante. Le réseau routier rend le commerce
florissant, la production de blé augmente, la culture de la vigne se développe - le vin remplace la
bière, jusqu’alors boisson nationale des Gaulois. L’essor économique général enrichit le Trésor public :
politique d’urbanisme et politique sociale en bénéficient. La Gaule romaine fut une Gaule heureuse.
30. « [Les chrétiens] furent insultés, battus, traînés, pillés, lapidés,
enfermés ensemble ; ils endurèrent
tout ce qu’une multitude déchaînée a coutume de faire subir
à des adversaires et des ennemis. »
EUSÈBE de CÉSARÉE
EUSÈBE de CÉSARÉE (vers 265-340), Histoire Ecclésiastique
(premier document sur les débuts de l’Église, diverses éditions et traductions)
Au IIe siècle, le christianisme pénètre peu à peu en Gaule. À Lyon, au mois d’août, se tiennent des foires
où l’on vient de toutes les parties de l’Empire. En 177, à l’occasion d’un tel rassemblement de peuple,
une persécution contre l’Église de Lyon fait 48 martyrs.
31. « Son corps était épuisé de vieillesse et de maladie, mais
il conservait son âme en lui, afin que, par elle, le Christ triomphât. »
EUSÈBE de CÉSARÉE
EUSÈBE de CÉSARÉE (vers 265-340), Histoire ecclésiastique
(premier document sur les débuts de l’Église, diverses éditions et traductions)
Cet écrivain grec chrétien parle de Pothin, premier évêque de Lyon : âgé de 90 ans en 177, il aurait été
frappé et serait mort deux jours après en prison, victime de la persécution des chrétiens de Lyon. Cette
persécution ne nous est connue que par une lettre, dont Eusèbe fait état.
Gaule • Chronique
32. « Je suis chrétienne et chez nous, il n’y a rien de mal. »
BLANDINE
BLANDINE (??-177), à ses juges, Lyon, 177
Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée
Évêque, écrivain et grand érudit, Eusèbe cite la lettre d’un témoin des martyrs de Lyon, qui se complaît
dans la description des monstrueux supplices subis par 48 chrétiens. Parmi eux Blandine, jeune et
frêle esclave, montre une constance incroyable : livrée aux bêtes, qui n’en veulent pas, exposée au gril,
offerte à un taureau sauvage qui la lance en l’air avec ses cornes, elle est finalement achevée par le
glaive. Blandine deviendra sainte patronne de Lyon.
Un siècle de persécution commence, ne concernant qu’une minorité : le pays est peu christianisé au
IIe siècle, les dieux romains résistent. Les grands apôtres de la Gaule (Denis, Gatien, Martial, Hilaire)
apparaîtront à partir du IIIe siècle.
33. « Des divers peuples tu as formé une seule patrie [. . .]
Ce qui était un monde, tu en as fait un seul État. »
Claudius RUTILIUS NAMATIANUS
Claudius RUTILIUS NAMATIANUS (Ve siècle), Itinerarium
En 212, tous les sujets libres de l’Empire reçoivent la citoyenneté romaine, par l’édit de Caracalla : cela
implique nombre de privilèges, en contrepartie d’obligations fiscales.
Poète latin et préfet de Rome (en 414), Rutilius Namatianus (né en Gaule, sans doute à Toulouse)
revient au pays et fait l’apologie de l’assimilation romaine, qui s’applique notamment à cette Gaule
métamorphosée, et surtout civilisée.
34. « Tellement grande était devenue la multitude de ceux qui
recevaient en comparaison du nombre de ceux qui devaient
payer, telle l’énormité des impôts, que les forces manquaient
aux laboureurs, les champs devenaient déserts
et les cultures se changeaient en forêts. »
LACTANCE
LACTANCE (vers 260-vers 325)
Histoire de France, tome III (1837), Jules Michelet
Ce rhéteur latin converti au christianisme vers 300, précepteur du fils de l’empereur Constantin, nous
donne ce témoignage sur la crise de l’Empire romain au IIIe siècle, et les répercussions en Gaule.
Famines et misère entraînent des révoltes : les Bagaudes, bandes de paysans, chômeurs, esclaves et
déserteurs, se soulèvent contre l’administration fiscale et les grands propriétaires.
Autre tragédie du siècle : les Francs profitent d’une défense notablement relâchée le long du Rhin
pour déferler sur la Gaule à partir de 253, dévastant villes et campagnes, multipliant pendant trente
ans les raids auxquels se joignent Alamans, Burgondes. Les empereurs romains luttent contre ces
envahisseurs : ils les chassent ou les font prisonniers, les utilisant alors comme cultivateurs ou soldats.
Gaule • Chronique
35. « Quand nous aurons vaincu mille guerriers francs,
combien ne vaincrons-nous pas de millions de Perses ? »
CHATEAUBRIAND
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Les Martyrs (1809)
Dans cette épopée chrétienne, le grand romantique du XIXe siècle français fait parler les Romains
face aux Francs, guerriers à la réputation redoutable : pour se donner du courage avant la bataille, les
armées romaines entonnent ce « chant de Probus », du nom de l’empereur romain qui arrêta la première
invasion germanique, au IIIe siècle.
36. « Par ce signe, tu vaincras. »
CONSTANTIN Ier le Grand
CONSTANTIN Ier le Grand (272-337), 312
Dictionnaire philosophique (1764), Voltaire
Après l’épisode (assurément authentique) des martyrs de Lyon, le christianisme se répand, en Gaule
comme dans le reste de l’Empire.
À la fin du IIIe siècle, l’Empire est partagé en quatre grandes régions. Constantin, à la tête de la Gaule,
entre bientôt en guerre contre les autres souverains. En 312, il décide de marcher sur Rome et l’Italie,
tenue par Maxence.
Chef avisé, Constantin s’est rendu compte qu’un nombre important de légionnaires sont chrétiens. Il
fait état d’un rêve (vrai ou faux ?). Il aurait vu une croix dans le ciel et entendu une voix lui dire : « Hoc
signo victor eris » (« Par ce signe, tu vaincras »). Il met cette devise avec la croix, sur son étendard : il se
rallie ainsi les chrétiens de son armée, aussi bien que ceux de l’armée ennemie.
Voltaire cite la phrase plus complète que dans la plupart des autres sources : « Par ce signe, tu vaincras
tous tes ennemis. »
37. « Tu as vaincu, Galiléen. »
JULIEN l’Apostat
JULIEN l’Apostat (331-363), mourant en 363
Histoire de France, tome XVIII (1878), Jules Michelet
Mot de la fin du plus redoutable ennemi du christianisme naissant.
Julien a échappé au massacre de sa famille, ordonné par son cousin Constance II, fils et successeur de
Constantin Ier. Éloigné de la cour, le jeune prince se passionne pour la philosophie néoplatonicienne, alors
qu’une éducation chrétienne trop sévère lui fait prendre cette religion en horreur. Excellent guerrier, il
écrase les Alamans (hordes germaniques) à Strasbourg (357) et ses soldats le proclament empereur.
La mort de son cousin fait de lui le seul maître de l’Empire, en 361. Il se rallie les hérétiques et s’efforce
de rétablir les anciens cultes païens, d’où son surnom d’Apostat.
En guerre contre les Parthes (maîtres de l’ancien Empire perse) et en pleine débâcle de l’ennemi, Julien
est atteint par un javelot. Il se croit frappé par une main invisible : le Galiléen Jésus le châtie pour avoir
renié le christianisme.
Hormis ce règne bref, l’évangélisation des villes, puis des campagnes, se poursuit.
Gaule • Chronique
38. « Ces Gaulois qui combattirent les dieux
après les avoir adorés jadis. »
LIBANIOS
LIBANIOS (314-390), Discours pour les temples (386)
Les Celtiques : servitude et grandeur des auxiliaires bretons dans l’Empire romain (1998), Soazick Kerneis
Rhéteur et sophiste, Libanios s’adresse ici à l’empereur Théodose. La question religieuse occupe tout
le IVe siècle en Gaule. L’édit de Milan, signé par Constantin en 313, garantit aux chrétiens une tolérance
religieuse. Mis à part le règne de Julien l’Apostat, trop court pour infléchir le sens de l’histoire, le siècle
sera celui de l’évangélisation des villes (on passe de 20 à 60 évêchés), puis des campagnes, sous
l’action de Martin (saint), évêque de Tours, avec la fondation des premiers monastères.
En 391, le christianisme devient religion d’État : l’empereur Théodose Ier interdit le culte des idoles et
ferme les temples païens – le mot pagani naît en 368, pour désigner les sujets non chrétiens de l’Empire.
39. « Bienheureux ceux qui n’ont pas attendu
pour vendre leurs biens l’arrivée des Barbares. »
Romains louant Dieu, 410
Saints et patrons : les premiers moines de Lérins (2004), René Nouailhat
La Gaule a vécu au IVe siècle sa dernière période de calme. Le Ve siècle est celui des Grandes
Invasions barbares.
Vandales, Suèves, Alains, Wisigoths, Francs, Burgondes, Huns déferlent sur l’Europe et vont entraîner
la chute de l’Empire romain. Ainsi les Romains se félicitent-ils d’avoir vendu leurs biens et de s’être
réfugiés en Afrique, avant l’arrivée du roi des Wisigoths, Alaric, qui ravage la campagne romaine,
jusqu’à la prise de Rome (24 août 410).
40. « Le roi Athaulf, chef des Goths, avait d’abord aspiré
avec ardeur à effacer le nom romain. Mais les Goths étaient
incapables d’obéir à des lois à cause de leur barbarie sans frein
[. . .] Il a préféré alors rehausser le nom romain
avec le concours des Goths, pour figurer auprès de la postérité
comme le restaurateur de l’empire romain. »
JÉRÔME
JÉRÔME (vers 347-420)
Histoires (Contre les Païens), Orose
Les barbares Germains qui fuient devant les Huns sont attirés par les richesses de l’Empire romain : les
Goths de l’Ouest (Wisigoths) sont venus dans l’idée de piller et détruire. Mais bientôt, nombre d’entre
eux se romanisent, tel cet Athaulf dont parle le futur saint Jérôme.
Roi des Wisigoths de 410 à 415, Athaulf épouse la sœur de l’empereur romain Honorius et conduit ses
troupes en Gaule, où il refoule d’autres barbares (Alains, Suèves et Vandales). Avec l’accord de Rome, il
fonde un royaume en Aquitaine, d’où il tente d’imposer son hégémonie à la Gaule et à l’Espagne, avant
de finir assassiné.
Gaule • Chronique
41. « Que d’autres villes soient menaçantes par leur situation,
fondées sur des hauteurs par d’humbles puissances ;
que des remparts édifiés sur des crêtes abruptes se glorifient
de n’avoir jamais été abattus ; toi, ce sont tes blessures
qui te font aimer et le siège que tu as subi a rendu publique
ta ferme loyauté. »
SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE APOLLINAIRE (430-487), faisant l’éloge de Narbonne
Carmina, XXIII, Lettre au noble narbonnais Consentius, en 465-466, Sidoine Apollinaire
Cet auteur gallo-romain et chrétien du Ve siècle fait allusion au siège de la ville, capitale de la province
narbonnaise, prise en 436 par Théodoric Ier, roi des Wisigoths. Quinze ans après, on retrouvera Théodoric
allié aux Romains, pour vaincre les Huns aux champs Catalauniques.
42. « Cette race [les Huns] dépasse toutes les formes de la sauvagerie
[. . .] Ils sont affreusement laids. On dirait des bêtes à deux pattes.
Ils ne se nourrissent pas d’aliments cuits au feu ni assaisonnés,
mais de racines de plantes sauvages
et de chairs demi crues d’animaux de toute sorte qu’ils échauffent
quand ils sont à cheval entre leurs cuisses. »
AMMIEN MARCELLIN
AMMIEN MARCELLIN (vers 330-vers 400), Res Gestae (Histoires)
C’est le plus grand historien de cette Antiquité tardive, le dernier à écrire en latin et l’un des derniers
auteurs païens. Le 31e et dernier livre nous conte des événements dont il est contemporain : la fuite des
Goths devant les Huns.
Peuplade turco-mongole, très provisoirement unifiée par Attila en un vaste empire, les Huns massacrent
les autres barbares, pillent l’Empire d’Orient, et envahissent la Gaule en 451 : « Là où Attila a passé,
l’herbe ne repousse plus. »
Gaule • Chronique
43. « Déjà les habitants se préparaient à évacuer leurs murs ;
ils en sont dissuadés par les assurances prophétiques
d’une simple bergère de Nanterre, Geneviève, devenue, depuis,
la patronne de la capitale. »
Louis-Pierre ANQUETIL
Louis-Pierre ANQUETIL (1723-1806), Histoire de France (1851)
L’historien Jules Michelet, lyrique pour évoquer Jeanne d’Arc, ne consacre qu’une ligne à cette première
grande résistante de l’histoire : « Paris fut sauvé par les prières de Sainte Geneviève. » En réalité, Paris
n’est encore que Lutèce, bourgade de 2 000 habitants, dédaignée par Attila qui vient de piller Metz,
Reims et Troyes, et fonce sur Orléans, en 451.
Mais Geneviève sauvera réellement Paris de la famine, lorsque les Francs assiégeront la ville en 465.
Elle organise une expédition au moyen de bateaux qui, par la Seine, vont chercher le ravitaillement
jusqu’en Champagne. Clovis et Clotilde lui voueront une grande vénération. Elle mourra à près de
90 ans. La sainte patronne de Paris est fêtée le 3 janvier.
44. « Ce fut une lutte atroce, pleine de péripéties, furieuse,
opiniâtre, telle que l’Antiquité n’en avait jamais vue. »
JORDANÈS
JORDANÈS (VIe siècle), Histoire des Goths (551)
Après avoir pillé la Gaule, Attila s’apprête à retourner vers le Rhin.
Aetius, général romain d’origine barbare, a pris la tête d’une armée composée de Romains, Wisigoths,
Burgondes et Francs – Mérovée, roi des Francs saliens et grand-père de Clovis, est de cette aventure
et donnera bientôt son nom à la première dynastie des rois francs. La coalition inflige aux Huns d’Attila
une sanglante défaite aux champs Catalauniques, situés dans la région de Troyes (juillet 451). La défaite
laisse quand même les Huns assez nombreux et forts pour déferler sur l’Italie du Nord l’année suivante,
n’épargnant Rome à la demande du pape Léon Ier que moyennant tribut. Seule la mort subite d’Attila,
en 453, met fin à cette chevauchée sanglante.
Gaule • Chronique
45. « Allons, enfant du Nord scythique [Hun], toi qui ne montres
ta rage et ta bravoure que pour tuer un homme sans armes,
viens te mesurer avec un homme armé. Déjà, ma colère
t’a beaucoup accordé : je t’ai donné bataille et je veux
que tu te défendes ; il me plaît de n’immoler qu’un combattant. »
AVITUS
AVITUS (Ve siècle), provoquant un guerrier hun en combat singulier
Panégyrique d’Avitus (456), Sidoine Apollinaire
Sénateur d’Auvergne, Avitus a combattu les Huns. Son beau-fils, Sidoine Apollinaire, patricien romain
illustre par son éloquence, même auprès des Barbares, fait le panégyrique du nouvel empereur, lors de
son couronnement à Rome le 1er janvier 456, en rappelant ce fait héroïque.
Le panégyrique est un genre rhétorique en vogue sous l’Antiquité et jusqu’au début du Moyen Âge :
dans un discours public, on loue les vertus ou les actions d’un personnage. Au XXe siècle, le plus célèbre
exemple est le discours d’André Malraux, lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon
(19 décembre 1964). Reste enfin le traditionnel éloge du prédécesseur, prononcé dans tout discours de
réception à l’Académie française.
46. « Finie la guerre, rendez-nous nos charrues ! »
Guerrier goth à Avitus, porteur d’accords de paix, 456
Panégyrique d’Avitus (456), Sidoine Apollinaire
Gallo-romains et peuples barbares aspirent naturellement à la paix, suite à cette période des Grandes
Invasions du Ve siècle.
Mais après la chute de l’Empire romain d’Occident (476), de vrais royaumes barbares se constituent
en Gaule : les Wisigoths au sud, les Burgondes le long de la Saône et du Rhône, et les Francs, guerriers
germaniques installés au nord, prêts à conquérir le pays en plein chaos, avec leur chef, Clovis, qui va
devenir roi en 481. Les Gaulois prendront alors le nom de Francs.
47. « Vous évitez les barbares, parce qu’ils ont la réputation
d’être méchants ; moi, je les évite, même s’ils sont bons. »
SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE APOLLINAIRE (430-487), Lettre à son ami Philagrius, Lyon, 469-470
Sidoine Apollinaire (1960), Saint Sidonius Apollinaris, André Loyen
Poète gallo-romain chrétien, préfet de Rome en 468, profondément attaché à la culture antique, il
tente de la préserver face aux envahisseurs Wisigoths, Francs et autres barbares, pour la grossièreté
desquels il n’a qu’aversion. Il fait figure d’exception dans le siècle, esprit délicat, attaché à la valeur
de l’homme, comme en témoignera son discours à l’évêque de Bourges Perpetuus, lui-même venant
d’être nommé évêque de Clermont en 471 : « S’il faut juger de l’état des villes moins par le périmètre
de leurs murailles que par l’illustration de leurs citoyens, j’ai commencé par savoir qui vous étiez, avant
de savoir où vous étiez. »
Gaule • Chronique
48. « Maintenant, en effet, qu’ont été abolis les degrés des dignités
grâce auxquelles on avait l’habitude de distinguer
les grands des humbles, le seul signe de noblesse sera désormais
la connaissance des lettres. »
SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE APOLLINAIRE (430-487), Lettre à son ami Johannes, Clermont, vers 478
Sidoine Apollinaire (1960), Saint Sidonius Apollinaris, André Loyen
L’établissement des royaumes barbares (Francs, Burgondes, Wisigoths) a balayé les traditions de la
société romaine. Romulus Augustulus, dernier empereur d’Occident, est déposé en 476. Ainsi s’achèvent
six siècles de domination romaine en Gaule.
L’évêque de Clermont demeure malgré tout patriote romain, viscéralement attaché à cette culture au
sens le plus large, à tout ce que comprenait de gloire, de traditions et de souvenirs ce grand nom de
Rome. Cela prouve la force de la civilisation romaine, qui a marqué toutes les nations soumises à son
empire. Les dernières paroles inspirées de ce patriotisme, c’est l’évêque de Clermont qui les prononce.
Et la terre gauloise, qui lutta avec tant d’énergie contre les légions de César, est aussi la dernière à
résister, au nom de Rome, à l’invasion et à la conquête barbares.
L’évêque, également poète, tire une conclusion malgré tout optimiste de cette fin : le savoir va devenir
la suprême dignité. Les nouveaux « nobles » seront les clercs qui vont transmettre les connaissances
antiques, à travers la nuit du premier Moyen Âge. Témoin de cette histoire dont il est en même temps
victime, pasteur veillant sur son troupeau de chrétiens en désarroi moral et matériel, résistant avec
courage face aux barbares, il leur rend d’une certaine manière hommage, dans ses poèmes.
49. « La mort seule les fait succomber, jamais la crainte.
[Les Francs] restent sur place invaincus et leur courage survit,
pour ainsi dire, à leur dernier souffle. »
SIDOINE APOLLINAIRE
SIDOINE APOLLINAIRE (430-487), Carmina, V
Histoire de la chrétienté d’Orient et d’Occident (1995), Jacques Brosse
Les Francs, peuple germanique, ont déjà fait des incursions en Gaule au IIIe siècle, avant de participer
aux Grandes Invasions du Ve siècle. Installés au nord, profitant de la désagrégation de l’Empire romain
d’Occident et du chaos général en Gaule, ils tirent parti de leurs évidentes qualités guerrières et de
l’exceptionnelle valeur de leurs chefs – surtout Clovis, devenu roi des Francs en 481.
Ils vont finalement imposer leur hégémonie aux autres peuples de la Gaule. Les Gaulois prendront
alors le nom de Francs – ce qui veut dire « errant » (wrang) ou « brave » (frak) en francique, langue des
anciens Francs. Ainsi se prépare lentement la naissance de la France.
Moyen Âge
481 : Clovis, roi des Francs
30 août 1483 : Mort de Louis XI
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens
Mérovingiens et
Carolingiens
481 : Clovis, roi des Francs
21 mai 987 : Mort de Louis V, dernier Carolingien
Mérovingiens et Carolingiens sont les deux premières dynasties des rois francs qui
gouvernèrent la France.
Clovis est le premier roi mérovingien (petit-fils de Mérovée). C’est un Barbare qui va se faire
chrétien avec ses 3 000 soldats, au lendemain de sa victoire à Tolbiac contre les Alamans
(496). Il est baptisé à Reims (comme tous les rois de France après lui) par l’archevêque de
la ville, le futur saint Rémi.
L’Église facilite la prise de contrôle du pays par les Francs. Paris devient leur capitale. Clovis
est bien accepté ou très redouté. Mais après lui, selon une coutume franque, le royaume
est partagé entre ses quatre fils (511), devenant bientôt enjeu d’une guerre ouverte. Le
conflit entre Grands et roi commence : il va durer des siècles.
Situation dramatique quand les « rois fainéants » (en fait, des enfants ou des malades)
doivent régner dans un pays livré aux guerres civiles et fratricides, aux révoltes fiscales,
aux épidémies de peste.
Après la mort du roi Dagobert (639), le déclin de la dynastie mérovingienne se précipite :
ducs, princes, maires du palais se disputent le pouvoir.
Les Arabes prennent l’Espagne et menacent la France. Charles Martel les repousse à
Poitiers (732) : cette première défaite infligée par l’Occident à une armée musulmane
confère un immense prestige à ce maire du palais. Son fils, Pépin le Bref, en profite et se
fait élire roi, puis sacrer (752) : voilà les Mérovingiens éliminés au profit des Carolingiens,
avec la bénédiction de la très puissante Église. Le chef franc est devenu roi de droit divin.
Le plus illustre Carolingien sera Charles le Grand, dit Charlemagne, fils de Pépin. Roi en
768, il étend le royaume, tente de l’unifier par la langue, la religion, la justice, l’impôt, et
se fait couronner empereur par le pape en 800 : apothéose personnelle de Charlemagne,
mais empire éphémère.
À sa mort (814), Bretons, Saxons, Aquitains contestent l’autorité de son fils, Louis Ier dit le
Débonnaire (ou le Pieux), tandis que des pirates venus du Nord (appelés Normands ou
Vikings) commencent à envahir le pays, en remontant les fleuves.
Les trois fils de Louis Ier se disputent l’empire, puis font la paix. Au traité de Verdun (843),
Charles le Chauve reçoit en partage la partie occidentale, future France, sans les provinces
de l’Est (Lorraine) données à Lothaire.
Charles le Chauve, premier roi de France, donne pour prix de leurs services aux Grands du
royaume fiefs et bénéfices transmissibles à leurs fils. Des familles peuvent ainsi avoir plus
de puissance que le roi. Le temps de la féodalité commence.
Le temps des invasions revient : les Vikings pillent églises et troupeaux, dévastant une
France morcelée, également menacée par les Hongrois et les Sarrasins. Rollon, glorieux
chef viking, fait la paix en 911 avec le roi Charles le Simple qui lui donne sa fille et une riche
région dont il devient duc : la Normandie.
Louis V meurt en 987. C’est le dernier Carolingien. L’assemblée des Grands élit le fils d’un
puissant maire du palais : Hughes, surnommé Capet, devient roi. Sa dynastie va régner
jusqu’à la Révolution de 1789.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Prologue
Prologue
Quelques repères
50. « Les Francs commençaient alors à se faire craindre.
C’était une ligue de peuples germains qui habitaient le long du Rhin.
Leur nom montre qu’ils étaient unis par l’amour de la liberté. »
BOSSUET
BOSSUET (1627-1704), Discours sur l’histoire universelle (1681)
Les Francs apparurent vers la fin du IIIe siècle. Peuple germanique composé de diverses ethnies (Saliens,
Sicambres, Ripuaires, etc.), ils s’établissent à l’embouchure du Rhin, puis entre Meuse et Escaut et sur le
Rhin, avant de pénétrer en Gaule (romaine) entre 430 et 450, dans la vague des Grandes Invasions. De
ce peuple sont issues les deux premières dynasties des rois de France : Mérovingiens et Carolingiens.
51. « “Les Francs dont nous descendons.” Eh ! mon ami,
qui vous a dit que vous descendez en droite ligne d’un Franc ?
Hildvic ou Clodvic, que nous nommons Clovis, n’avait
probablement pas plus de vingt mille hommes [. . .] quand il
subjugua environ huit ou dix millions de Welches ou Gaulois. »
VOLTAIRE
VOLTAIRE (1694-1778), Dictionnaire philosophique (1764)
Judicieuse remarque du philosophe des Lumières, quand il définit le terme de Francs. Saluons au
passage l’esprit de Voltaire historien. Dans le même esprit, on a chansonné, mais aussi remis en question
« nos ancêtres les Gaulois ».
52. « Ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent. »
Évêques ADALBÉRON de Reims et ANSELME
Évêques ADALBÉRON de Reims (vers 925-988) et ANSELME (1033-1109)
Histoire de France, tome II, Le Temps des principautés. De l’An mil à 1515 (1992), Jean Favier (entre autres sources)
Cette claire définition des trois ordres sociaux représente le fondement de la société médiévale telle
que la concevaient les envahisseurs germaniques - et ils vont l’imposer à l’Europe.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Prologue
53. « Aucune terre ne pourra être dévolue par héritage à une femme ;
toute la terre appartiendra aux héritiers de sexe viril. »
Loi salique
Les Barbares (1997), Louis Halphen
Le plus célèbre des articles de cette loi dite aussi « loi des Francs saliens », dont la première rédaction
remonte au règne de Clovis : code de procédure criminelle et code de la famille, bases de la société
franque. Quelque peu oublié par la suite, on l’exhumera au XIVe siècle, pour exclure du trône un roi
anglais : ce sera l’origine de la guerre de Cent Ans.
54. « Le roi te touche, Dieu te guérit. »
Formule prononcée par le roi de France touchant les écrouelles, après son sacre
Traité des écrouelles (1609), André Laurent (médecin d’Henri IV)
La tradition fait remonter cette pratique au sacre de Clovis. Le roi dûment sacré a le pouvoir de faire
des miracles, notamment de guérir les écrouelles – fistules d’origine tuberculeuse, sur les ganglions du
cou. À partir de Louis XV, la formule change, l’affirmation n’est plus qu’un souhait : « Le roi te touche,
Dieu te guérisse. »
Qu’en est-il en réalité ? Louis IX (Saint Louis) est connu pour avoir accompli des miracles quotidiens
(après la messe), Louis XIII et Louis XIV auraient certaines guérisons à leur actif. L’historien Marc Bloch
a consacré un livre aux Rois thaumaturges (1924).
55. « Le régime mérovingien est une monarchie absolue
tempérée par l’assassinat. »
FUSTEL de COULANGES
FUSTEL de COULANGES (1830-1889), Histoire des institutions politiques de l’Ancienne France
Cet historien du XIXe définit de façon lapidaire le pouvoir de Clovis et de ses descendants : conflits
dynastiques et guerres fratricides emplissent leurs règnes de bruit et de fureur.
56. « Désormais, le monde se fait vieux,
la pointe de la sagacité s’émousse en nous. »
GRÉGOIRE de TOURS
GRÉGOIRE de TOURS (538-594), Histoire des Francs (Historia Francorum)
Évêque de Tours et futur saint, il est surtout l’auteur de Dix Livres d’histoire, plus tard renommés
Histoire des Francs, ou Geste des Francs, somme écrite en latin et qui fait de lui le « Père de l’histoire
de France ».
Cette réflexion désabusée s’applique à son temps, la fin du VIe siècle. La situation sera pire encore,
quelques décennies plus tard.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Prologue
57. « La maison de Clovis était tombée dans une faiblesse déplorable :
de fréquentes minorités avaient donné occasion de jeter les princes
dans une mollesse dont ils ne sortaient point étant majeurs. »
BOSSUET
BOSSUET (1627-1704), Discours sur l’histoire universelle (1681)
C’est la décadence des Mérovingiens, avec les fameux « rois fainéants » de la seconde moitié du
VIIe siècle. Les maires du palais, les ducs et les princes prennent peu à peu plus de pouvoir que ces rois
des Francs.
58. « Du temps de Charlemagne, on était obligé,
sous de grandes peines, de se rendre à la convocation
pour quelque guerre que ce fût. »
MONTESQUIEU
MONTESQUIEU (1689-1755), L’Esprit des Lois (1748)
Cette remarque se fonde sur une lettre de Charlemagne à l’abbé de Saint-Quentin : « Tu te présenteras
[au lieu de rendez-vous] avec eux [ses hommes], prêt à entrer en campagne dans la direction que
j’indiquerai avec armes, bagages et tout le fourniment de guerre en vivres et vêtements ».
Après un siècle de décadence dynastique, c’est le « coup de force » de Pépin le Bref, maire du palais
élu roi par les Grands du royaume et sacré par les évêques ; puis le règne de Charles le Grand, devenu
l’empereur Charlemagne.
59. « Que tout homme libre prenne dans notre royaume
le seigneur qu’il veut, nous-même ou l’un de nos fidèles. »
Capitulaire de Meerseen (847)
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
S’il paraît laisser la plus grande liberté pour le choix d’un suzerain, ce capitulaire est l’un des fondements
de la société médiévale : chacun dépend d’un suzerain, ou d’un maître s’il est serf. L’état d’anarchie
dans lequel est retombé le royaume après le partage de l’Empire de Charlemagne entre ses petits-fils
obligea le faible à se donner au fort. Comme on l’a dit : « Il se donna à l’un des Grands pour n’être pas
à la merci de tous les Grands. »
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Prologue
Personnage de Clovis
60. « Tout lui réussissait,
parce qu’il marchait le cœur droit devant Dieu. »
GRÉGOIRE de TOURS
GRÉGOIRE de TOURS (538-594), Histoire des Francs (Historia Francorum)
Il parle en historien, mais juge aussi en évêque. La religion imprègne sa vie, de même qu’elle marque
fortement toute cette époque. Et Clovis, roi converti, se montre assez ardent dans sa nouvelle religion
pour que l’évêque de Tours parle ainsi de cet ancien barbare.
61. « Clovis fit périr tous les petits rois des Francs
par une suite de perfidies. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Clovis est le petit-fils de Mérovée qui s’illustra dans la guerre contre les Huns, à la tête des Francs saliens.
Il va fonder la première dynastie des rois francs, dits Mérovingiens. Mais il aura bien du mal à affirmer
son pouvoir et à organiser son royaume, dans une Gaule divisée, à peine sortie des Grandes Invasions.
62. « Il avait reçu une peuplade barbare,
il a laissé une grande nation chrétienne. »
Mathieu Maxime GORCE
Mathieu Maxime GORCE (1898-1979), Clovis (1935)
La remarque de cet historien français (citant l’historien belge G. Kurth) définit bien l’apport de Clovis.
Héritier d’un modeste royaume entre mer du Nord, Escaut et Cambrésis, il l’agrandit considérablement
au terme d’une série de grandes victoires sur les Alamans, les Wisigoths et autres barbares.
Par ailleurs, s’étant converti au catholicisme, il gagne l’appui de ses sujets gallo-romains et favorise
l’expansion de la religion, qui procure à la royauté, avec ses grands évêques et ses puissants abbés, un
ferment d’unité. Sous son règne – et la tendance se confirmera sous ses successeurs – se produit un
double mouvement : la « barbarisation » de la romanité et la « romanisation » des barbares. Et la France
en naîtra.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Prologue
Personnage de Charlemagne
63. « Il respirait dans toute sa personne, soit qu’il fût assis ou debout,
un air de grandeur et de dignité. »
ÉGINHARD
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
« Ayant formé le projet d’écrire la vie, l’histoire privée et la plupart des actions du maître qui daigna
me nourrir, le roi Charles, le plus excellent et le plus justement fameux des princes, je l’ai exécuté en
aussi peu de mots que je l’ai pu faire ; j’ai mis tous mes soins à ne rien omettre des choses parvenues
à ma connaissance, et à ne point rebuter par la prolixité les esprits qui rejettent avec dédain tous les
écrits nouveaux. »
Ainsi commence la préface de cette biographie en deux parties : les guerres menées par Charlemagne ;
le portrait de l’empereur, la vie à la cour, son testament. Très précieux document, contemporain des
faits et gestes relatés.
Secrétaire et ministre de Charlemagne, Éginhard nous décrit dans sa Vita Caroli magni imperatoris
l’illustre Carolingien, « gros, robuste, d’une taille élevée mais bien proportionnée [. . .] les yeux grands
et vifs, le nez un peu long, une belle chevelure blanche, une physionomie avenante et agréable ». Mais
nulle allusion à la légendaire « barbe fleurie ».
64. « Il savait résister à l’adversité et éviter,
quand la fortune lui souriait, de céder à ses séductions. »
ÉGINHARD
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Le portrait moral du héros ne le cède en rien au portrait physique. Il paraît avoir méprisé le luxe des
vêtements, si l’on en juge par le témoignage du moine de Saint-Gall qui nous a laissé une vie de
Charlemagne (De gestis Caroli Magni). À des invités vêtus de soie, trempés par la pluie, il dit : « Insensés,
quel est maintenant le plus précieux et le plus utile de nos habits ? Est-ce le mien que je n’ai acheté
qu’un sou, ou les vôtres qui vous ont coûté des livres pesant d’argent ? »
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Prologue
65. « Passionné pour la science, il eut toujours en vénération
et comblait de toutes sortes d’honneurs ceux qui l’enseignaient. »
ÉGINHARD
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Charlemagne mène une véritable politique culturelle, au point que l’on voit en son siècle une « Renaissance
carolingienne ». Lui-même est fort savant, quoique autodidacte, ayant appris la rhétorique, la dialectique,
le grec, le latin, l’astronomie ; il compose même une grammaire de la langue franque. Se fondant sur
une remarque d’Éginhard, mal traduite (du latin) et mal comprise, certains vulgarisateurs ont prétendu
qu’il savait à peine écrire. En réalité, cette remarque signifie que même à un âge avancé, l’empereur
s’exerçait à la calligraphie, pour atteindre cette perfection propre aux scribes avec lesquels il ne put
cependant rivaliser.
66. « J’aimais justement en vous
ce que je vous voyais chercher en moi. »
ALCUIN
ALCUIN (vers 735-804), Derniers mots d’une lettre à Charlemagne
Alcuin et Charlemagne (1864), Francis Monnier
Moine anglais originaire de Northumbrie, considéré par Éginhard comme l’« homme le plus savant de
son temps ». Charles (qui n’est encore que roi des Francs) le place à la tête de l’école palatine d’Aixla-Chapelle, en 782. Véritable maître à penser du monde franc, Alcuin promeut l’enseignement des
arts libéraux et les ateliers de copies, permettant la diffusion des textes sacrés et profanes. Il laisse de
nombreux traités de pédagogie et de théologie, et une version de la Bible révisée.
Ami et conseiller de Charles, il lui écrit en ces termes : « Je savais le vif intérêt que vous portiez à la
science et combien vous l’aimiez. Je savais que vous excitiez tout le monde à la connaître et que vous
offriez des récompenses et des dignités à ceux qui l’aimaient comme vous, pour les engager à venir
s’associer à votre généreuse entreprise. Vous avez bien voulu m’appeler, moi le moindre serviteur de
cette science sainte, et me faire venir du fond de la [Grande-]Bretagne. Ah ! que n’ai-je apporté dans
le service de Dieu autant d’empressement et de zèle que j’en ai mis à vous seconder ! C’est que j’aimais
justement en vous. . . »
67. « Ne nous laissons pas engourdir dans un repos
qui nous mènerait à la paresse. »
CHARLEMAGNE
CHARLEMAGNE (742-814)
De gestis Caroli Magni, moine de Saint-Gall
L’empereur est avant tout un homme d’action, comme en témoigne le mot que ce biographe anonyme
met dans sa bouche. C’est au sortir de la messe, un dimanche, alors qu’il se trouve à Aquilée, en Italie,
qu’il invite ainsi ses courtisans parés de beaux atours à le suivre sans plus tarder à la chasse.
Charlemagne est surtout un guerrier sans cesse en campagne (jusqu’en 800, où ses fils le relaient
souvent), un remarquable organisateur militaire et un grand politique.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Prologue
68. « Vainqueurs, vaincus, ils faisaient des déserts
et dans ces déserts, ils élevaient quelques places fortes,
et ils poussaient plus loin, car on commençait à bâtir. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Irrésistible avancée de Charlemagne et ses hommes, et avant lui de son père Pépin le Bref, occupant,
matant, soumettant, massacrant, déportant, en un mot conquérant : Saxe et Bavière, Armorique
(Bretagne) et Normandie, avec des expéditions en Espagne et en Italie.
Comme l’écrit son biographe anonyme (moine de Saint-Gall, De gestis Caroli Magni), c’est « le glorieux
Charles, capable d’écraser par les armes ceux que le raisonnement ne pouvait dompter, et de les
contraindre bon gré mal gré à faire leur salut ».
69. « Les royaumes sans la justice
ne sont que des entreprises de brigandage. »
CHARLEMAGNE
CHARLEMAGNE (742-814) faisait sienne cette formule de saint Augustin
Charlemagne et l’empire carolingien (1995), Louis Halphen
D’après Éginhard : « Si le comte du Palais lui signalait un procès qui réclamait une décision de sa part,
il faisait aussitôt introduire les plaideurs et, comme s’il eut été au tribunal, écoutait l’exposé de l’affaire
et prononçait la sentence. » On croirait presque voir Louis IX, futur Saint Louis.
70. « Charles, savant, modeste [. . .] maître du monde,
bien-aimé du peuple [. . .] sommet de l’Europe [. . .]
est en train de tracer les murs de la Rome nouvelle. »
ANGILBERT
ANGILBERT (vers 740-814) parlant de Charlemagne en 799
Encyclopædia Universalis, article « Europe »
Poète et historien, ministre, conseiller et ami de Charlemagne, Angilbert épousera en secret sa sœur
Berthe (sa fille selon d’autres sources) et se retirera dans un monastère où elle le suivra. Il finira saint.
C’est l’un des principaux acteurs de cette Renaissance culturelle.
À cette époque, la « Rome nouvelle » désigne l’Empire d’Occident reconstitué, soit en gros ce qui
deviendra bien plus tard les six premiers pays du Marché commun, ancêtre de l’Union européenne.
Charlemagne, béni et sacré par le pape en 800, exerce sur ce vaste territoire une influence personnelle
en tout domaine. Cependant, son empire ne restaure qu’en apparence l’Empire romain. Gouverné d’Aixla-Chapelle, hétérogène, mais avant tout franc, c’est une entité politique appuyée sur le christianisme
et sur l’équilibre des forces. La suite de l’Histoire montrera sa fragilité.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
Chronique (481-987)
71. « Tu n’auras rien, si ce n’est par la justice du sort. »
Un de ses soldats à Clovis, vers 486, après la bataille de Soissons
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Le « Père de l’histoire de France » relate ce fait, l’un des plus célèbres de notre histoire. Révélateur des
mœurs du temps et du caractère de Clovis, il va se jouer en deux actes.
Clovis et ses guerriers pillent églises et couvents. Ils vont se partager le butin par tirage au sort, comme
il est de coutume après la bataille. Le chef, Clovis, réclame pour lui un vase sacré – sans doute pour
le rendre à l’évêque de Reims. Et le soldat lui lance cette impertinente réplique, après avoir brisé (ou
bosselé) l’objet précieux d’un coup de sa francisque (hache).
72. « Souviens-toi du vase de Soissons. »
CLOVIS
CLOVIS (vers 465-511), vers 486
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Clovis n’a pas pardonné l’affront qui lui a été infligé après la bataille, quand il passe ses troupes en revue
et reconnaît l’insolent. Lui reprochant la mauvaise tenue de ses armes, il jette au sol sa francisque. Le
soldat se baissant pour la ramasser, Clovis lui brise le crâne d’un coup de hache, en prononçant ces
paroles. Selon une autre version, il lui aurait crié : « Voilà ce que tu as fait au vase de Soissons. »
73. « Il a été baptisé au nom de votre Christ.
Il faudra donc qu’il meure, comme meurt tout ce qui est voué
à ce malfaisant personnage. »
CLOVIS
CLOVIS (vers 465-511), à Clotilde
Sainte Clotilde (1905), Godefroy Kurth
En 493, Clovis a épousé Clotilde, nièce de Gondebaud le roi des Burgondes. Chrétienne, elle fait baptiser
leur fils né l’année suivante. L’enfant meurt bientôt, ce qui attire à la reine cette remarque de son époux,
encore farouchement païen. Mais dans l’histoire, une victoire vaut bien une messe. . .
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
74. « Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire,
je me ferai chrétien. »
CLOVIS
CLOVIS (vers 465-511), invoquant le Dieu de sa femme chrétienne, bataille de Tolbiac, 496
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Le mot est peut-être légendaire, mais nombre de mots, présumés apocryphes, ont une valeur symbolique
et méritent d’être cités.
Clovis s’apprête à repousser les Alamans (futurs Allemands), tribu germanique qui ne cesse de faire
des incursions sur la rive gauche du Rhin. L’affrontement des deux armées tourne au massacre, et
Clovis redoute la défaite. D’où ce mot lancé au Ciel.
Ce premier roi du Moyen Âge semble avoir avec Dieu les mêmes rapports que le dernier, mille ans plus
tard : Louis XI, fort superstitieux et en constant marchandage avec la Vierge ou saint Michel archange.
75. « Quand tu combats, c’est à nous qu’est la victoire. »
AVIT
AVIT (vers 450-vers 518), à Clovis, à Tolbiac, 496
Histoire de France, tome I (1835), Jules Michelet
Par ces paroles, l’évêque de Vienne (futur saint) encourage Clovis, qui a promis de se faire baptiser s’il
est vainqueur. En fait, c’est la mort du chef ennemi qui a provoqué la déroute inespérée des Alamans.
76. « Cesse de faire périr notre peuple, car nous sommes à toi. »
Les Alamans à Clovis, Tolbiac, 496
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Après la bataille, les vaincus se rendent au vainqueur et demandent grâce.
Cependant que la très chrétienne Clotilde va faire en sorte que son royal époux ne puisse plus différer
la cérémonie. Elle convie en secret Rémi, évêque de la ville de Reims. Qui parle à son tour à Clovis,
lequel s’apprêtera au baptême pour le prochain jour de Noël.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
77. « Courbe la tête, fier Sicambre, adore ce que tu as brûlé,
brûle ce que tu as adoré. »
RÉMI
RÉMI (vers 437-vers 533), à Clovis, 25 décembre 496
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Clovis, comme promis, va donc se faire chrétien, après la victoire de Tolbiac. Et 3 000 de ses hommes
vont se convertir avec lui. Il est baptisé à Reims, comme tous les rois de France à sa suite. Après qu’il a
déposé ses armes et sa cuirasse, Rémi, archevêque de Reims, apôtre des Francs et futur saint, procède
à la cérémonie. Le mot très souvent cité est peut-être apocryphe – Sicambre étant le nom donné à une
ethnie des Francs. Il n’en exprime pas moins l’autorité religieuse sur le pouvoir royal, et ce rapport de
force moral de l’évêque sur le roi.
La religion va désormais marquer l’histoire de France en maints épisodes, et jusqu’au XXe siècle.
78. « Tu crains le peuple, ô roi. Tu ignores donc qu’il doit suivre
ta foi et que tu ne dois point te montrer favorable à ses faiblesses,
car tu es le chef du peuple et le peuple n’est pas ton chef. »
AVIT
AVIT (vers 450-vers 518), à Gondebaud, roi des Burgondes
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
L’évêque de Vienne s’adresse à l’oncle de Clotilde, femme de Clovis. Gondebaud, qui est arien, voudrait
« confesser que le Christ, fils de Dieu, et le Saint-Esprit sont égaux au Père » (dogme catholique de la
Trinité rejeté pas les ariens qui mettent le Père au-dessus des deux autres entités). Mais il ne peut s’y
résoudre, par crainte d’une révolte de ses sujets. Il restera donc arien publiquement, jusqu’à sa mort.
Mais en édictant la loi Gombette qui laisse la liberté du culte aux évêques catholiques, Gondebaud
manifesta cependant sa faveur aux catholiques.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
79. « Si on ne les élève pas sur le trône,
j’aime mieux les voir morts que tondus. »
GONDIOQUE
GONDIOQUE (VIe siècle), à Arcadius, 532
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Par ces paroles, la mère condamne ses fils à mort. C’est le terme d’une longue histoire de famille.
En 511, à la mort de Clovis, Clotaire Ier, son quatrième fils, reçoit en partage la Neustrie (nord-ouest de
la France depuis Soissons et Amiens jusqu’à l’Atlantique). L’aîné, Clodomir, hérite des régions couvrant
le centre de la France. Il est tué en 524 au cours d’une guerre contre les Bourguignons (Burgondes).
Clotaire s’entend avec Childebert Ier, troisième fils de Clovis qui a reçu la région de Paris et l’ouest de
la France, pour faire périr les enfants de Clodomir et s’emparer de son royaume. Ils envoient alors
Arcadius portant des ciseaux et une épée nue, donnant à la mère des enfants le choix : les enfermer
dans un couvent (donc, tondus) ou les mettre à mort sur-le-champ. Le choix de Gondioque. . .
Ses frères morts sans héritier, Clotaire Ier se trouve en 558 à la tête du royaume franc réunifié. Mais
quand il meurt en 561, le royaume est à nouveau disloqué, et partagé entre ses quatre fils.
80. « Si quelqu’un de nous, ô roi, a voulu s’écarter
des sentiers de la justice, il peut être corrigé par toi.
Mais si tu y manques, qui te reprendra ? Car nous te parlons,
et tu ne nous écoutes que si tu veux,
mais, si tu ne le veux pas, qui te condamnera,
si ce n’est celui qui a déclaré être lui-même la justice ? »
GRÉGOIRE de TOURS
GRÉGOIRE de TOURS (538-594), à Chilpéric Ier, roi de Neustrie, 576
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Le célèbre évêque de Tours s’adresse en ces termes au fils de Clotaire Ier. Ce roi, poussé par sa nouvelle
épouse Frédégonde, fait fi de toute justice pour perdre son fils Mérovée, né d’une précédente épouse.
On voit que Grégoire n’hésite pas à critiquer les rois mérovingiens de son époque, les invitant souvent
à s’inspirer du règne de Clovis. Rappelons qu’il finira saint, comme beaucoup de noms cités.
81. « Si quelqu’un suit la justice, qu’il vive.
Si quelqu’un méprise la loi et nos commandements, qu’il périsse,
afin que le blâme encouru ne puisse rejaillir plus longtemps sur nous. »
GONTRAN
GONTRAN (525-593), roi de Bourgogne et d’Orléans, aux ducs et chefs de son armée, vers 587
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Le deuxième fils de Clotaire Ier veut en finir avec l’anarchie qui règne en ses États. Ce Mérovingien sera
sanctifié après sa mort par les évêques de son royaume.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
82. « Accourez, je vous prie, accourez,
voilà ma maîtresse que sa mère étrangle. »
Cris d’une servante de Rigonthe (vers 593)
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Cette servante va sauver sa maîtresse, fille de Chilpéric Ier et de Frédégonde, quand sa propre mère
tentait de l’étrangler, ayant rabattu sur son cou le couvercle d’un grand coffre. Mais, poursuit Grégoire de
Tours, « après cela éclata entre les deux femmes de violentes inimitiés [. . .] il y avait entre elles querelles
et coups ». Bel exemple de la férocité propre à cette Frédégonde : elle fit assassiner, exécuter, supplicier
un nombre considérable de personnes, notamment sa belle-sœur Brunehaut, qui périt attachée à la
queue d’un cheval lancé au galop.
83. « C’est peu d’être roi quand d’autres le sont ;
mais c’est beaucoup d’être catholique
quand les autres ne participent pas à cet honneur. »
GRÉGOIRE le Grand
GRÉGOIRE le Grand (vers 540-604), Lettre à Childebert II, vers 595
Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours
Ces mots du pape à Childebert, fils de Brunehaut, roi d’Austrasie, témoignent de l’ingérence grandissante
de la papauté dans les affaires des royaumes barbares.
84. « La famille des Mérovingiens [. . .] avait déjà perdu
toute vigueur depuis longtemps et ne se maintenait plus que par
ce vain titre de roi. La fortune et la puissance publique étaient
aux mains des chefs de sa maison qu’on appelait maires du palais. »
ÉGINHARD
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Les derniers Mérovingiens ayant effectivement régné sont Clotaire II, qui réunifia le royaume franc
en 613, et son fils, Dagobert Ier, immortalisé par une chanson enfantine. Ordre et prospérité relative
marquent leur règne. Mais à la mort de Dagobert (639), voici le royaume franc de nouveau partagé,
menacé d’anarchie par la faiblesse des derniers Mérovingiens dont parle Éginhard et qui sont restés
dans l’histoire sous le nom de « rois fainéants ».
Les maires du palais s’imposent peu à peu. Premier à passer à la postérité, Pépin de Herstal, prenant le
titre de dux et princeps francorum : c’est en fait la future dynastie carolingienne qui prend le pouvoir,
un demi-siècle avant de prendre la couronne.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
85. « Tout mérovingien est père à quinze ans, caduc à trente.
La plupart n’atteignent pas cet âge. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
L’historien du XIXe siècle rejoint celui du IXe et explique, dans un passage célèbre : « Le symbole de cette
race, ce sont les énervés de Jumiège, ces jeunes princes à qui l’on a coupé les articulations et qui s’en
vont sur un bateau au cours du fleuve qui les porte à l’océan. Qui a coupé leurs nerfs et brisé leurs os,
à ces enfants des rois barbares ? C’est l’entrée précoce de leurs pères dans la richesse et les délices du
monde romain qu’ils ont envahi. La civilisation donne aux hommes des lumières et des jouissances.
Les lumières, les préoccupations de la vie intellectuelle, balancent, chez les esprits cultivés, ce que les
jouissances ont d’énervant. Mais les barbares qui se trouvent tout à coup placés dans une civilisation
disproportionnée n’en prennent que les jouissances. Il ne faut pas s’étonner s’ils s’y absorbent et y
fondent, pour ainsi dire, comme la neige devant un brasier. » On reconnaît le style romantique d’un des
plus célèbres historiens français.
86. « Tel au combat sera ce grand Martel
Qui, plein de gloire et d’honneur immortel,
Perdra du tout par mille beaux trophées
Des Sarrasins les races étouffées,
Et des Français le nom victorieux
Par sa prouesse enverra jusqu’aux cieux. »
RONSARD
Pierre de RONSARD (1524-1585), La Franciade (1572)
Dans son épopée inachevée, le plus célèbre poète de la Renaissance présente ainsi Charles Martel,
fils de Pépin de Herstal, maire du palais qui doit son surnom (« Martel » signifiant marteau) à l’énergie
déployée pour imposer sa politique. Il reste dans l’histoire pour avoir arrêté l’avancée impétueuse des
Arabes à la bataille de Poitiers (732). Ses dépenses de guerre sont telles que pour y faire face il procède
à une vraie spoliation des biens de l’Église (déjà riche) – mais d’un autre côté, il soutient la politique
d’évangélisation de Rome.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
87. « Les soixante ans de guerre,
qui remplissent les règnes de Pépin et de Charlemagne,
offrent peu de victoires, mais des ravages réguliers, périodiques ;
ils usaient leurs ennemis plutôt qu’ils ne les domptaient,
ils brisaient à la longue leur fougue et leur élan. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
C’est parfaitement résumer la manière dont les deux premiers Carolingiens, Pépin le Bref, fils de
Charles Martel, et son fils Charles, futur empereur Charlemagne, vont se tailler l’un des plus grands
empires qu’ait connu l’Europe.
88. « Lequel mérite d’être roi,
de celui qui demeure sans inquiétude et sans péril en son logis,
ou de celui qui supporte le poids de tout le royaume ? »
PÉPIN le Bref
PÉPIN le Bref (vers 715-768), Lettre au pape Zacharie, 751
Nouvelle histoire de France (1922), Albert Malet
Maire du palais de Childéric III, Pépin veut s’assurer de l’appui du pape. Il dépose ensuite le dernier roi
mérovingien, se fait élire roi au « champ de mai » de Soissons. Il sera sacré en 752 par les évêques, et une
seconde fois en 754 (avec ses fils Charles et Carloman), à Saint-Denis par le pape Étienne II, qui interdit
aux Grands de se choisir à l’avenir un roi d’une autre lignée. En recevant l’onction d’huile sainte (saint
chrême) qui fait de lui l’Élu du Seigneur, le Carolingien cesse d’être un laïc et devient à la fois un roi et un
prêtre, dont la fonction sera de conduire, par la justice, le peuple de Dieu vers la paix et la concorde.
89. « Allez et délivrez le taureau ou bien tuez le lion. »
PÉPIN le Bref
PÉPIN le Bref (vers 715-768), vers 751
La Légende de Pépin le Bref, Gaston Paris
Pépin le Bref, dit aussi le Nain, sait que les principaux chefs francs le méprisent en raison de sa petite
taille. Après une victoire, il veut affirmer son autorité de roi et prouver sa force. Il fait amener un taureau
et un lion, le combat des deux bêtes féroces commence, et quand l’énorme fauve renverse le taureau
et va l’étrangler, il met au défi tous les grands : « Allez. . . » Aucun ne se risque, et Pépin, en un seul
coup d’épée, tranche la tête du lion. . . et du taureau. La scène fait naturellement forte impression sur
les hommes.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
90. « Tout le peuple sait pour quels triomphes
ce très noble vainqueur est honoré, combien il a étendu les frontières
de notre empire, avec quel dévouement il a organisé
la religion chrétienne dans son royaume et tout ce qu’il a fait
pour la défense de la Sainte Église auprès des nations étrangères. »
ALCUIN
ALCUIN (vers 735-804), Oraison funèbre de Pépin le Bref, 24 septembre 768
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Devenu abbé de Saint-Martin de Tours, il résume ainsi tout l’apport de Pépin le Bref, premier roi
carolingien. On lui doit la fin de la reconquête de la Septimanie (sud de la Gaule) s’achevant par la
prise de Narbonne aux Sarrasins et le rattachement de l’Aquitaine au royaume franc. Il paya par ailleurs
l’appui pontifical en faisant donation à la papauté de territoires conquis sur le royaume lombard.
91. « Les Francs ayant fait solennellement une assemblée générale,
les prirent tous deux pour rois, à cette condition
qu’ils partageraient également tout le corps du royaume. »
ÉGINHARD
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
À la mort de Pépin le Bref, le royaume est non pas réellement partagé, mais donné en héritage à ses
deux fils, Carloman et Charles, le futur Charlemagne. Il n’y a qu’une seule administration centrale,
le royaume étant cependant divisé en deux apanages pour la perception des taxes. À la mort de
Carloman, le 4 décembre 771, Charles régnera seul.
92. « Quand vous verrez la campagne se hérisser comme d’une
moisson de lances, quand les flots assombris du Pô et du Tessin,
ne réfléchissant plus que le fer des armes, auront jeté
autour des remparts de nouveaux torrents d’hommes couverts de fer,
alors vous reconnaîtrez que Charles est proche. »
Duc OTKZE
Duc OTKZE (VIIIe siècle), à Desiderius, roi des Lombards, 773
De gestis Caroli Magni, moine de Saint-Gall
Le biographe anonyme de Charlemagne trouve un ton shakespearien pour donner à voir la puissance
de Charles et de ses troupes, partant à la conquête de la Lombardie. Le plus illustre des rois carolingiens
mérite son nom de Charles le Grand, ou Charlemagne, empereur un quart de siècle plus tard.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
93. « Les derniers corps de l’armée royale furent massacrés dans
ce passage des Pyrénées. Je n’ai pas à rapporter le nom des morts,
ils sont assez connus. »
L’Astronome du Limousin, biographe anonyme de Louis le Débonnaire
Charlemagne (1877), Alphonse-Anatole Vétault, Léon Gautier
L’Astronome narre ici la destruction de l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne, attaquée dans le
défilé de Roncevaux par les montagnards vascons (basques), alors que le souverain rentrait d’une
campagne contre les Maures en Espagne, le 15 août 778.
Éginhard, biographe de Charlemagne, donne plus de détails, avec quelques noms de chefs francs :
« Là périrent, entre autres, Eggihard, sénéchal du roi, Anselme, comte du palais, et Rothland [Roland],
gouverneur de la marche de Bretagne. » Selon les sources, les Francs se battent ici contre une milice
basque et/ou contre les Sarrasins.
94. « Ce revers ne put être vengé sur-le-champ, parce que
les ennemis, le coup fait, se dispersèrent si bien que nul
ne put savoir en quel coin du monde il eut fallu les chercher. »
ÉGINHARD
ÉGINHARD (vers 770-840), Vie de Charlemagne (écrite dans les années 830)
Allusion au massacre de Roncevaux : défaite transformée en haut fait d’armes, par un de ces miracles
dont l’histoire littéraire ne nous livre pas le secret.
95. « La Chanson de Roland [. . .] est le plus ancien monument
de notre nationalité [. . .] Ce n’est pas seulement la poésie française
qu’on voit naître avec ce poème. C’est la France elle-même. »
Louis PETIT de JULLEVILLE
Louis PETIT de JULLEVILLE (1841-1900), l’un des traducteurs de la Chanson de Roland (anonyme)
L’escarmouche entre les Vascons (Basques) et l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne va donner
naissance, trois siècles et demi plus tard, à la première chanson de geste en (vieux) français, poème
épique de quelque 4000 vers, maintes fois traduits, et célèbre bien au-delà de la France.
Passage héroïque, celui où le preux Roland refuse de sonner du cor, ce que lui conseille le sage Olivier,
préférant se battre et risquer la mort, plutôt que d’alerter Charlemagne et de trouver le déshonneur.
« Olivier dit : “Les païens viennent en force, / Et nos Français, il me semble qu’ils sont bien peu. / Roland,
mon compagnon, sonnez donc votre cor : / Charles l’entendra et l’armée reviendra.” / Roland répond :
“Ce serait une folie ! / En douce France j’en perdrais ma gloire. / Aussitôt, de Durendal, je frapperai de
grands coups ; / Sa lame en saignera jusqu’à la garde d’or. / Les païens félons ont eu tort de venir aux
cols : / Je vous le jure, tous sont condamnés à mort.” »
Mais Roland va périr avec son compagnon, et toute l’arrière-garde des Francs. Charlemagne le vengera
en battant les païens (Sarrasins) avec l’aide de Dieu ; et le traître Gamelon, beau-frère de Charlemagne et
beau-père de Roland, qui a organisé le guet-apens par jalousie, sera jugé, condamné à mort et supplicié.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
96. « Si, dans l’avenir, un membre de la nation saxonne demeure
non baptisé, se cache et refuse le baptême, voulant rester païen,
qu’il soit puni de mort. »
CHARLEMAGNE
CHARLEMAGNE (742-814), Premier capitulaire saxon (782)
Les Sociétés en Europe, du milieu du VIe à la fin du IXe siècle (2003), Alain Stoclet
Parti en guerre contre les Saxons restés « païens » (non chrétiens), il marche jusqu’à la Weser où il porte
les limites de son royaume, obligeant ensuite les vaincus à se convertir, à la pointe de l’épée.
Les termes de cette ordonnance témoignent d’une volonté farouche d’imposer sa religion au reste du
monde. Dans le cadre de l’alliance de Charlemagne avec la papauté, qui l’aide à établir sa domination
sur l’Occident, l’évangélisation devient à la fois le but de ses conquêtes et un moyen de les consolider.
Guerre et religion se retrouvent associées.
97. « Si quelqu’un viole le saint jeûne de carême
par mépris pour la religion chrétienne et mange de la viande,
qu’il soit puni de mort. »
CHARLEMAGNE
CHARLEMAGNE (742-814), Premier capitulaire saxon (782)
Capitulatio de partibus Saxoniae (vers 785)
La prescription est modérée par ce codicille : « Les prêtres examineront pourtant s’il n’y a point été
forcé par un motif de nécessité. »
98. « À cette époque [vers 790], la supériorité de gloire
dont brillait Charles avait amené les Gaulois et les Aquitains,
les Aeduens [Burgondes] et les Espagnols, les Allemands
et les Bavarois à se glorifier, comme d’une grande distinction,
de porter le nom de sujets des Francs. »
NOTKER de Saint-Gall
NOTKER de Saint-Gall (vers 840-912), Vie de Charlemagne
Le drame de Roncevaux est une défaite sans lendemain, et l’empire de Charlemagne ne cesse de
s’étendre. Charlemagne a soumis les Bretons, les Saxons, les Bavarois, ses armées occupent le nord de
l’Espagne et le nord de l’Italie. Du royaume dont il hérita, il a fait un empire.
Quant à l’auteur de cette biographie, Notker dit le Bègue, moine bénédictin à l’abbaye de Saint-Gall en
Suisse, il ne faut sans doute pas le confondre avec le « moine de Saint-Gall », anonyme et paradoxalement
plus connu, puisque plus souvent cité. Dans son Histoire de France, François Guizot disserte de cette
question aujourd’hui encore non résolue.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
99. « Sachez bien quelle est notre ordonnance au sujet des deniers,
qu’en tout lieu, dans toute cité, ainsi que dans tout marché,
les nouveaux deniers aient cours et qu’ils soient perçus par chacun,
pourvu qu’ils portent la marque de notre nom
et qu’ils soient d’argent pur et de plein poids. »
CHARLEMAGNE
CHARLEMAGNE (742-814), Capitulaire de 794
Charlemagne (1877), Alphonse Vétault, Léon Gautier
Dès 781, Charlemagne entreprit une réforme monétaire, pour généraliser l’emploi de la monnaie royale
dont il garantissait la qualité. En 794, il promulgue une ordonnance qui se poursuit ainsi : « Si quelqu’un
refuse [les pièces royales] dans un lieu ou une transaction d’achat ou de vente, l’homme libre nous
paiera une amende de quinze sous ; l’esclave, s’il agit pour lui, perdra l’objet de la transaction ou sera
fouetté nu en public. . . »
100. « Ayez le Franc pour ami, mais non pour voisin. »
Proverbe grec (byzantin)
Histoire de France, volume I (1861), Jules Michelet
Charlemagne et son armée progressent si rapidement vers l’Est que les Byzantins feront de cette
expression un proverbe. C’est dire la crainte que peut inspirer un si grand souverain !
Le conquérant a certes des relations avec Byzance et notamment avec le puissant califat d’Haroun alRachid, célèbre par les contes des Mille et Une Nuits. Mais en réalité, jamais Charlemagne ne porte si
loin ses armes. C’est seulement plus tard que les récits épiques français et italiens le feront guerroyer
aux limites du monde connu. Ainsi se forme la légende.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
101. « À Charles Auguste couronné par Dieu,
grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »
Acclamations en l’honneur de Charlemagne, 25 décembre 800
Encyclopædia Universalis, article « Charlemagne »
La cérémonie est relatée dans les Annales royales, équivalent sous les Francs de nos Archives nationales.
Au sommet de sa gloire et de sa puissance, voilà Charlemagne couronné empereur auguste dans la
basilique Saint-Pierre de Rome, par le pape Léon III. C’est la renaissance de l’Empire romain, d’où naîtra
la notion de Saint Empire romain germanique.
Alcuin, savant théologien, conseiller de Charlemagne et l’un de ses plus proches collaborateurs, salue
en lui « un chef à l’ombre duquel le peuple chrétien repose dans la paix et qui, de toute part, inspire
la terreur aux nations païennes, un guide dont la dévotion ne cesse, par sa fermeté évangélique, de
fortifier la foi catholique contre les sectateurs de l’hérésie ».
Apothéose personnelle de Charlemagne, cet empire unifié par la langue (le latin), la religion, la justice
et l’impôt sera éphémère. En 1814, son fils Louis le Pieux lui succède et maintient le prestige et l’unité
de l’empire carolingien. Mais à la mort de Louis, ses trois fils vont se partager l’Empire, et bientôt se le
disputer. D’où guerre, anarchie, misère.
102. « Nous n’avions vu encore que des hommes de terre,
aujourd’hui nous en voyons d’or. »
Ambassadeurs musulmans, Aix-la-Chapelle, fête de Pâques, 807
De gestis Caroli Magni, moine de Saint-Gall
Mots attribués par le biographe anonyme de Charlemagne aux envoyés du calife de Bagdad. Ces
ambassadeurs sont éblouis par la richesse de la cour et les somptueux vêtements de l’empereur. Et le
calife reconnaît les droits de Charlemagne sur les Lieux saints.
103. « Prévoir, ordonner, disposer avec le plus grand soin
sans se préoccuper d’autre chose que de la volonté de Dieu
et de l’ordre du roi. »
CHARLEMAGNE
CHARLEMAGNE (742-814), Consignes à ses missi dominici
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
L’une des institutions qui remonte aux Mérovingiens, mais Charlemagne va lui conférer toute sa force. Ces
missi (envoyés du maître) sont délégués dans les provinces pour surveiller la qualité de l’administration
et surtout de la justice. Ils vont toujours par deux, un comte (compagnon du roi) et un évêque ou abbé.
Ils se surveillent mutuellement - pour plus de prudence.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
104. « Sous cette pierre repose le corps de Charles,
Grand et orthodoxe empereur, qui noblement
Accrut le royaume des Francs et pendant XLVII
Années le gouverna heureusement.
Mort septuagénaire l’an du Seigneur DCCCXIV. »
Inscription gravée sur la tombe de Charlemagne
Les Classiques de l’histoire de France au Moyen Âge (1923), Louis Halphen
Charlemagne meurt le 28 janvier 814.
De ses trois fils, l’aîné, Charles est mort l’année précédente et Pépin, roi d’Italie, en 810. Seul survivant,
Louis le Pieux, son troisième fils, roi des Aquitains depuis 781, lui succède à la tête de l’Empire.
105. « Que chacun apprenne ici que celui qui commet la folie
de négliger l’intérêt public et se livre en insensé à ses désirs
personnels et égoïstes, offense par là à tel point le Créateur
qu’il rend tous les éléments eux-mêmes contraires à son extravagance. »
NITHARD
NITHARD (vers 800-vers 845), Histoire des fils de Louis le Pieux
Louis Ier dit le Pieux maintiendra l’unité et le prestige de l’empire carolingien. À sa mort, ses trois
fils, Charles II le Chauve, Louis le Germanique et Lothaire se partagent l’Empire et se battent pour le
réunifier chacun à son profit. L’anarchie et la misère s’installent à la suite de ces guerres.
D’où la réflexion désabusée de Nithard, chroniqueur français du temps, lui-même petit-fils de
Charlemagne – fils naturel de sa fille Berthe, et du poète Angilbert, surnommé l’Homère de la cour.
Ce partage de l’empire carolingien est à l’origine des guerres entre Français et Allemands pour la
possession de la Lotharingie, future Lorraine.
106. « Je secourrai ce mien frère Charles par mon aide. »
LOUIS II le Germanique
LOUIS II le Germanique (vers 804-876), Serment de Strasbourg, 14 février 842
Histoire de Strasbourg, des origines à nos jours, volume II (1982), Georges Livet, Francis Rapp
« Si salvarai eo cist meon fradre Carlo » (dialecte dérivé du latin). Ce serment fonde l’alliance des
deux frères cadets (petits-fils de Charlemagne et fils de Louis le Pieux) : Louis le Germanique et
Charles le Chauve. Un serment équivalent est prononcé par Charles en faveur de Louis.
L’année suivante, les serments de Strasbourg aboutiront au traité de paix de Verdun, entre eux et leur
frère aîné Lothaire, d’où un partage de l’empire en trois royaumes.
Pour que le traité soit compris de chaque peuple concerné, le latin est remplacé par les langues vulgaires
– le roman, pour la partie occidentale de l’empire. Selon Michelet, « l’histoire de France commence avec
la langue française. La langue est le signe principal d’une nationalité. Le premier monument de la nôtre
est le serment dicté par Charles le Chauve à son frère, au traité de 843. »
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
107. « L’unité de l’Empire carolingien était rompue.
De cette rupture, il allait mourir. »
Jacques BAINVILLE
Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924)
Le traité de Verdun (843) sanctionne le démembrement de l’empire de Charlemagne, mais crée la
France dont le premier roi est Charles le Chauve.
108. « Hélas ! où est-il cet empire qui s’était donné pour mission
d’unir par la foi des races étrangères ? [. . .] Il a perdu son honneur
et son nom [. . .] Au lieu d’un roi, il y a un roitelet ;
au lieu d’un royaume, des fragments de royaume. »
FLORUS de Lyon
FLORUS de Lyon (??-vers 860), Querela de divisione imperii
Charlemagne, empereur et roi (1989), Georges Bordonove
Écrite par un diacre entre 840 et 860, cette complainte sur le démembrement de l’Empire après
Louis Ier le Pieux reflète la nostalgie des élites intellectuelles devant la fin d’un empire qu’ils auraient
voulu éternel. Faire renaître l’Empire de Charlemagne sera le but plus ou moins avoué de Napoléon, de
certains révolutionnaires et des Européens les plus ardents.
En attendant, la France à peine née est fort malmenée !
109. « Les invasions des païens et les mauvais desseins des gens qui ne
sont chrétiens que de nom détruisirent l’effet des capitulaires que
[Charlemagne] avait faits pour maintenir l’ordre. »
CHARLES II le Chauve
CHARLES II le Chauve (823-877), vers 875
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Constatation désabusée du petit-fils de Charlemagne, peu avant sa mort : royaume ravagé par les
Normands et les Sarrasins, désordres aquitains, révoltes bretonnes, brigandage généralisé. À quoi
s’ajoute l’arrogance des Grands, qui marque le début de la féodalité.
À la fin du IXe siècle, conséquence de partages successoraux, guerres et sécessions, l’ancien Empire
sera divisé en sept royaumes indépendants.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
110. « Apprends, Germain, à venir au secours de tes serviteurs. »
Les défenseurs de Paris à saint Germain, février 886
Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon
Germain fut évêque de Paris au VIe siècle, et la cité se fait gloire de posséder le corps du saint.
L’anarchie règne déjà, quand survient une nouvelle calamité pour le royaume : les vaisseaux normands
(ou vikings), venus de Scandinavie, remontent par les fleuves à l’intérieur des terres des Francs.
Ainsi, après la prise d’Amiens en 883, c’est le siège de Paris en 886. Les Parisiens invoquent leur saint
protecteur pour sauver leur ville, déjà deux fois prise et incendiée, entre 856 et 861.
111. « Lève-toi, laisse là les craintes qui te font trembler,
renonce à fuir, vois tous ces gens prêts à la bataille. »
Saint GERMAIN
Saint GERMAIN (vers 496-vers 576), à un malade
Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon
Miracle relaté par Abbon, moine de Saint-Germain des Prés, dans son livre devenu un petit classique
de l’histoire de France, régulièrement réédité.
L’homme interpellé est un noble dont la chair se gangrène et qui ne peut se lever pour combattre les
Normands. Le saint lui apparaît, lui parle. Aussitôt les plaies se guérissent et il peut reprendre le combat.
112. « Tuez-moi. Voici ma tête ; ni pour or ni pour argent
je ne marchanderai ma vie quand ceux-ci sont morts.
Pourquoi me laisser vivre ? Votre cupidité en est pour ses frais. »
Dernières paroles d’un défenseur de l’une des tours de Paris, 6 février 886
Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon
L’homme est entouré par les Normands (les Vikings), maîtres de la tour qu’il a défendue avec ses
compagnons, tous morts en combattant. Ce guerrier préfère la mort à la captivité, qui aurait pu se
terminer par le versement d’une rançon.
Les « mots de la fin » ponctuent l’histoire, ultimes actes d’héroïsme dans les circonstances les
plus dramatiques.
113. « Partons, l’heure est venue
où nous nous saurons gré d’être partis d’ici. »
SIEGFRIED
SIEGFRIED (seconde moitié du IXe siècle), chef des Normands qui ont remonté la Seine jusqu’à Paris, mars 886
Le Siège de Paris par les Normands (posthume), Abbon
Devant la farouche résistance des Parisiens, et ayant déjà reçu une somme de 60 livres d’argent pur,
Siegfried entraîne ses guerriers à lever le siège de la ville, craignant un revers du sort.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
114. « En peine et en malice tu as usé ton âge,
Tu as vécu des larmes d’autrui et du pillage.
Maint homme as exilé et tourné en servage
Et mis par pauvreté mainte femme au putage [. . .]
Tu prends soin de ton âme comme bête sauvage [. . .]
Mue ta mauvaise vie et change ton courage.
Reçois la Chrétienté et fais au roi hommage. »
FRANCON
FRANCON (seconde moitié du IXe siècle), archevêque de Rouen, au chef normand Rollon (ou Rou ou Robert)
Roman de Rou (écrit entre 1160 et 1170), Robert Wace
Telles sont les belles paroles que prête à Francon le poète anglo-normand, dans sa chronique sur les
ducs et le duché de Normandie, dédiée à Aliénor d’Aquitaine et Henri II d’Angleterre.
L’archevêque morigène le Normand qui, repoussé de Paris, ravage le pays chartrain. Les Francs, sous
le commandement du comte de Paris, vont lui infliger, le 20 juillet 911, une sanglante défaite. Rollon
accepte de faire hommage au roi de France, Charles V le Simple, petit-fils de Charles le Chauve, mais
de telle façon qu’on va voir un des rares « gags » de l’histoire du Moyen Âge. . .
115. « Rou devint homme au roi et ses mains lui donna.
Quand dut baiser le pied, baiser ne le daigna,
Tendit sa main en bas, du roi le pied leva,
Le tira à sa bouche et le roi renversa ;
Tous en rirent assez ; le roi se redressa. »
Robert WACE
Robert WACE (1110-vers 1180), Roman de Rou
Rollon (Rou) se fait finalement baptiser par l’archevêque de Rouen et reçoit en fief la Normandie, par
le traité de Saint-Clair-sur-Epte, qu’il signe avec Charles le Simple, en octobre 911.
L’intégration des Normands dans le royaume de France va se révéler à terme une grande réussite
politique : la seule du règne de Charles le Simple.
Moyen Âge • Mérovingiens et Carolingiens • Chronique
116. « Trêve à nos tentatives de discordes !
Discutons d’un commun accord du choix d’un prince. »
HUGUES le Grand
HUGUES le Grand (vers 898-956), 936
Histoire de France (991-998), Richer de Reims
Intitulée aussi Quatre livres d’histoire, c’est la meilleure chronique pour le Xe siècle, écrite à nouveau
par un moine – comme la plupart de ses confrères, Richer a pour lui le temps, la culture, et une certaine
indépendance face aux princes.
Hugues est le fils de Robert Ier qui a pris la place du roi Charles le Simple, avant d’être tué à Soissons
en 922. Incapable d’imposer sa tutelle et résigné à en finir avec l’anarchie, il reconnaît implicitement le
tort de son père.
117. « Rappelez d’outremer le fils de Charles, Louis,
et choisissez-le, comme il convient, pour votre roi. »
HUGUES le Grand
HUGUES le Grand (vers 898-956), 936
Histoire de France (991-998), Richer de Reims
Hugues le Grand, surnommé le faiseur de rois, propose donc, après une période d’anarchie, de reconnaître
le roi légitime, surnommé Louis d’Outremer – sa mère, la reine Ogive, l’ayant emmené en Angleterre à
la déposition de son mari Charles le Simple. D’où la (seconde) restauration carolingienne, en 936.
118. « Au roi de France, le comte d’Anjou.
Sachez, Seigneur, qu’un roi illettré est un âne couronné. »
Comte d’ANJOU
Comte d’ANJOU (910-958), Lettre à Louis IV d’Outremer
Le Pouvoir de Foulque II le Bon, comte d’Anjou de 941 à 960 (2010), Denis Piel
Le comte répond au roi qui s’est moqué de son habitude de chanter la messe avec les choristes dans sa
chapelle, comme s’il était prêtre. Un demi-siècle de luttes incessantes, notamment pour la possession de
la Lorraine, va marquer les règnes de Louis IV d’Outremer, Lothaire et Louis V, dernier des Carolingiens.
Moyen Âge • Capétiens directs
Capétiens directs
3 juillet 987 : Élection d’Hugues Capet à la royauté
1er février 1328 : Mort de Charles IV, dernier Capétien direct
Hugues Capet, premier roi capétien, est élu avec l’aide de l’archevêque Adalbéron, qui le
sacre. La même année (987), le roi fait élire et sacrer par anticipation son fils Robert qu’il
associe au trône : la monarchie est devenue héréditaire et indivisible.
Robert II le Pieux (996-1031) sera un bon souverain, renforçant l’autorité royale malgré
bien des épreuves : famines, épidémies, chaos féodal, début du catharisme, conflit avec
le pape.
Le XIe siècle est le temps des seigneurs : fiers de leurs châteaux, forts de leurs vassaux, liés
à leurs suzerains, mais souvent oppresseurs des paysans et en révolte contre le roi.
En 1006, le duc de Normandie, Guillaume le Bâtard, conquiert l’Angleterre et se fait sacrer
roi de ce pays. À la tête de l’État anglo-normand, Guillaume devenu « le Conquérant », bien
que vassal du roi de France par le duché de Normandie, est bien plus puissant que lui.
L’Église, très influente, institue en deux conciles la paix de Dieu (989), puis la trêve de
Dieu (1027). Le pape Urbain II prêche la première croisade et Jérusalem est reprise aux
musulmans par les chrétiens (1099). Mais l’ « hérésie » cathare se développe dans le Midi
de la France. L’Église la combat par la prédication, puis la répression. Ce sera la terrible
croisade contre les Albigeois, au début du XIIIe siècle.
Le redressement capétien, qui a commencé au XIIe siècle avec Louis VI et Louis VII, coïncide
avec de grands progrès économiques et commerciaux, prémices du monde moderne.
Mais le divorce de Louis VII et d’Aliénor d’Aquitaine, suivi de son remariage avec Henri
Plantagenêt, est porteur d’une grave menace pour la dynastie française. Henri, devenu roi
d’Angleterre, se retrouve, avec l’Aquitaine, à la tête du tiers de la France.
Philippe II, surnommé Auguste (1180-1223), triomphe de ses vassaux coalisés contre lui
avec l’ennemi anglais : Bouvines (1214) marque la défaite de la haute féodalité. La France
s’agrandit : par mariage ou héritage et par conquête aux dépens du roi d’Angleterre, Jean
sans Terre (Normandie, Maine, Anjou, Poitou). Le roi impose sa justice et sa monnaie. Paris
sa capitale attire les étudiants de toute l’Europe.
Le siècle suivant est marqué par le règne de Louis IX (1226-1270). La couronne est assez
forte pour surmonter la crise de minorité de l’enfant-roi : sa mère régente, Blanche de
Castille, déjoue les révoltes féodales et inculque au futur Saint Louis les vertus chrétiennes
qui animent la France des cathédrales.
Le roi agrandit encore le domaine dont l’économie prospère, il développe les organes
du gouvernement central (Parlement, Conseil, Chambre des comptes) et acquiert une
autorité morale unique en Europe.
Philippe IV dit le Bel (1285-1314) est le dernier grand Capétien à affirmer la souveraineté du
roi : progrès dans la législation, la justice, la fiscalité ; création des états du royaume, futurs
états généraux, où les trois ordres sont consultés simultanément. Le règne est cependant
troublé par le conflit avec le pape Boniface VIII et la guerre contre Anglais et Flamands,
entaché par les mutations monétaires de ce roi « faux-monnayeur » et par la liquidation
de l’ordre des Templiers, au terme d’un mauvais procès fait à ces moines soldats surtout
coupables d’être trop riches.
La crise économique et sociale brise ensuite l’élan du « beau Moyen Âge ». Une crise
dynastique est réglée par l’application du principe de masculinité (loi salique) : les barons
de France choissent pour roi Philippe VI de Valois, fils du frère de Philippe le Bel, afin
d’écarter celui qui en est le petit-fils par sa mère, Édouard III, roi d’Angleterre. Ce sera
l’origine de la guerre de Cent Ans.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
Prologue
Roi et seigneurs
119. « Si veut le Roi, si veut la Loi. »
Abbé SUGER
Abbé SUGER (vers 1081-1151)
Manuel de plusieurs règles du droit coutumier et le plus ordinaire de la France ou Institutes coutumières (1607),
Antoine Loysel (ou Loisel)
Ministre et ami de Louis VI le Gros, puis de Louis VII, Suger développe l’autorité royale en favorisant la
naissance des communes urbaines contre le pouvoir des nobles, et assure une meilleure justice.
120. « Toute justice émane du roi. »
Antoine LOYSEL
Antoine LOYSEL (1536-1617)
Dictionnaire de français Littré, au mot « justice »
Cet adage fait écho à « Si veut le Roi, si veut la Loi » et reflète la suprématie de la justice royale sur
les justices seigneuriales ou municipales. Il devient plus vrai à mesure que des rois comme Louis IX et
surtout Philippe le Bel renforcent l’État royal.
Loysel, avocat, puis procureur général à Paris, humaniste et disciple de Cujas, est considéré comme
le premier penseur de droit français. Il met quarante ans à rédiger son Manuel (1607), recueil de 958
maximes : dans une forme élégante, il fixe les bases du droit français en fusionnant les règles du droit
romain et de nombreuses coutumes.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
121. « Laissez passer la justice du roi ! »
Inscription sur les sacs où l’on met les condamnés à mort préalablement étranglés, avant d’être jetés à l’eau
Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’à la Révolution (1839), Louis-Pierre Anquetil
La formule remonte assurément au règne de Charles VI le Fol, en pleine guerre de Cent Ans. Mais elle
a (au moins) deux origines possibles.
En 1417, le roi apprend que son épouse Isabeau de Bavière, dont il eut 11 enfants, le trompe avec un
certain chevalier Louis de Bourdon (ou Bois-Bourdon, ou Bosredon). Le chroniqueur Enguerrand de
Monstrelet en fait état : « Le roi envoya après lui le prévôt de Paris [. . .] Il fut par le commandement du
roi très fort questionné, et depuis noyé en Seine. » Pratique inédite pour un crime hors norme, car on
exécutait jusqu’alors les condamnés par décapitation, bûcher ou pendaison. Avant la noyade, le corps
aurait été mis dans un sac, avec la fameuse inscription.
Autre version, moins romanesque : en mars 1382, le peuple de Paris refuse de payer une taxe nouvelle
sur les victuailles et se mutine. Des émeutiers pillent l’Hôtel de Ville, s’emparent de maillets et forcent
les portes de la prison du Châtelet : c’est la « révolte des maillotins ». On punit les coupables, mais
on renonce à des exécutions publiques trop nombreuses, qui risquent de provoquer le peuple. Les
condamnés seront jetés à la Seine, de nuit, dans des sacs portant la mention : « Laissez passer la justice
du roi ! »
122. « Le roi de France ne meurt jamais. »
Dicton marquant la pérennité de la dynastie royale, au-delà de la personne du roi
Histoire de la Révolution de France (1820), Antoine Fantin-Desodoards
D’où la célèbre expression, pour saluer l’avènement du successeur du roi défunt : « Le roi est mort, vive
le roi ».
123. « Châtelains, vavasseurs, citoyens, vilains sont soumis à ceux que
le roi a pour hommes et tous sont sous la main du roi. »
Livre de justice et de plaids (1234)
Histoire de la France, volume II (1993), André Burguière, Jacques Revel
Le système féodal au temps de Louis IX prétend imposer la suprématie royale sur tous les sujets
et vassaux.
124. « Nulle terre sans seigneur. »
« Nul seigneur sans titre. »
Maximes
Recueil alphabétique des questions de droit (1810), Philippe-Antoine Merlin
La première formule est la maxime des Francs du nord de la France, à laquelle répond la seconde,
élaborée par les seigneurs du Midi. L’une et l’autre expriment le fondement de la société médiévale,
basée sur la puissance territoriale des seigneurs.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
125. « Fier comme château sur motte. »
Proverbe du XIe siècle
Dictionnaire de français Littré, au mot « motte »
En ce temps de tumultes, le château fait la force et la fierté des seigneurs.
126. « La France fut faite à coups d’épée. La fleur de lys, symbole
d’unité nationale, n’est que l’image d’un javelot à trois lances. »
Général de GAULLE
Charles de GAULLE (1890-1970), La France et son armée (1938)
Formule lapidaire, mais vérité historique : les rois, en particulier les Capétiens, ont dû combattre d’abord
les puissants vassaux, ensuite les nations frontalières, pour créer la France.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
Chevalerie et religion
127. « Tu croiras tout ce qu’enseigne l’Église
et observeras tous ses commandements. »
Premier des dix commandements du parfait chevalier
L’Église et le droit de guerre (1920), Pierre Batiffol, Paul Monceaux, Émile Chénon
Un chevalier doit suivre un code de conduite et respecter une éthique propre à la chevalerie, sous peine
de perdre son statut de chevalier. Loyauté, courtoisie, honneur, fierté, bonne foi, bravoure, recherche
de gloire et de renommée, obéissance à la hiérarchie et respect de la parole donnée, telles sont les
valeurs chevaleresques.
Ce code de la chevalerie se résume en dix commandements, comme le décalogue de l’Église. La
première règle est la plus importante. Qui n’est pas chrétien ne peut devenir chevalier. Mais la religion
inspire plus ou moins directement la majorité des dix commandements.
(Selon les sources et les traductions, on trouve quelques variantes mineures.)
128. « Tu auras le respect de toutes les faiblesses
et tu t’en constitueras le défenseur. »
Troisième commandement du parfait chevalier
Revue des deux mondes (1884), François Buloz, Charles Buloz, Ferdinand Brunetière
Ce commandement sanctionne le rôle traditionnel du chevalier.
129. « Tu feras aux Infidèles une guerre sans trêve et sans merci. »
Sixième commandement du parfait chevalier
La Chevalerie (1960), Léon Gautier
Le Moyen Âge, époque de foi et temps des cathédrales, va vivre sous le signe des croisades, appelées
aussi guerres saintes : huit au total, de 1095 à 1270.
130. « Tu t’acquitteras exactement de tes devoirs féodaux
s’ils ne sont pas contraires à la loi de Dieu. »
Septième commandement du parfait chevalier
La Chevalerie (1960), Léon Gautier
Le respect des lois de la féodalité est un des fondements de la société médiévale, mais la primauté
reste à la loi divine.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
131. « Tu seras partout et toujours le champion du Droit et du Bien
contre l’Injustice et le Mal. »
Dernier des dix commandements du parfait chevalier
L’Église et le droit de guerre (1920), Pierre Batiffol, Paul Monceaux, Émile Chénon
Ce code de la chevalerie propose un idéal difficile à observer continuellement, et tous les chevaliers ne
seront pas des Saint Louis ou des Bayard. Mais il sert assurément de frein à des hommes qui, sans ces
règles, auraient été sauvages et indisciplinés.
132. « Noblesse vient de bon courage
Car gentillesse de lignage
N’est point gentillesse qui vaille
Si la bonté de cœur y faille. »
Jean de MEUNG
Jean de MEUNG (vers 1240-vers 1305), Roman de la Rose (vers 1275)
Ces vers soulignent que la véritable noblesse tient non pas à un titre héréditaire, mais aux qualités
du cœur et de l’esprit. C’est l’aboutissement de la chevalerie et de la courtoisie qu’expriment si bien
troubadours et trouvères – Chrétien de Troyes restant le plus célèbre, au XIIe siècle.
133. « Dieu a mis au ciel deux grands luminaires : le soleil, et la lune
qui emprunte sa lumière au soleil ; sur la terre, il y a le pape,
et l’empereur qui est le reflet du pape. »
GRÉGOIRE VII
GRÉGOIRE VII (vers 1020-1085)
Histoire de France, tome II (1833), Jules Michelet
Pape resté célèbre pour avoir humilié l’empereur d’Allemagne, Henri IV, à Canossa, en 1077. De façon
plus générale, il est le promoteur de la réforme dite « grégorienne », visant à purifier les mœurs
ecclésiastiques (interdiction du mariage des prêtres) et à émanciper l’Église du pouvoir temporel.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
134. « La foi toujours pure des rois de France [. . .] leur a mérité
l’honneur d’être appelés Très Chrétiens et fils aînés de l’Église,
par la commune voix de toute la chrétienté. »
BOSSUET
BOSSUET (1627-1704), Abrégé de l’histoire de France
Connu surtout pour ses Sermons et ses Oraisons funèbres, Jacques-Bénigne Bossuet, évêque de Meaux,
est également un grand théologien, et quasiment l’oracle de l’Église au XVIIe siècle.
À ses débuts, la royauté en France s’appuya sur l’Église pour asseoir son autorité. En échange, elle a
aidé l’Église à acquérir un pouvoir temporel, en créant les États pontificaux (pris aux Lombards par
Pépin le Bref, donation confirmée par Charlemagne). Les relations entre deux pouvoirs de plus en
plus forts et jaloux de leur autorité ne pouvaient se poursuivre sans accrocs, sinon sans drames. Le
gallicanisme est la manifestation la plus policée de ces tensions. La tentative d’enlèvement du pape à
Agnani, sous Philippe le Bel, en sera l’expression la plus violente.
135. « Si quelqu’un entre de force dans une église et en enlève
quelque chose, qu’il soit anathème ! Si quelqu’un vole le bien des
paysans ou des autres pauvres, sa brebis, son bœuf, son âne, etc.,
qu’il soit anathème ! Si quelqu’un frappe un diacre ou un clerc,
qu’il soit anathème ! »
Concile de Charroux (989)
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Des guerres privées causent maints dommages en Aquitaine. La violence prime le droit, pour le plus
grand malheur des plus faibles. Dans ce contexte, l’Église intervient pour « discipliner » plutôt que pour
supprimer la guerre. Le concile provincial réuni en l’abbaye de Charroux est la première intervention
collective, et fera date.
« Assemblés au nom de Dieu », les évêques prononcent l’anathème (damnation éternelle) contre trois
catégories de malfaiteurs. Il s’agit de protéger les premières victimes de l’anarchie de l’époque : les clercs
– leurs personnes et leurs biens –, les paysans – leurs personnes et leur bétail –, et les « autres pauvres ».
Ils instaurent ce que les historiens nommeront « la paix de Dieu », l’une des institutions les plus bénéfiques
du Moyen Âge, qui interdit de faire la guerre aux non-combattants. Mais l’anathème ne suffit pas, il faut
des « ligues de paix » pour faire respecter ces interdits.
136. « Il est interdit d’assaillir son ennemi depuis la neuvième heure
du samedi jusqu’à la première heure du lundi. »
Concile d’Elne (1027)
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Il établit la trêve de Dieu « afin que tout homme puisse rendre ce qu’il doit à Dieu pendant la journée
dominicale ». Ce concile ne fait que confirmer un ancien état de fait dans le monde chrétien. La trêve est
ensuite étendue du mercredi soir au lundi matin par l’assemblée de Nice en 1041. Puis à de nombreuses
périodes de fêtes religieuses par des conciles ultérieurs.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
Société
137. « Oh ! Paris, tu prends les âmes à la glu ! »
Pierre de (la) CELLE
Pierre de (la) CELLE (1115-1183), 1164
La Revue de Paris, volume III (1896), Marc Le Goupils
Dès la fin du XIe siècle, les rois de France vont faire de Paris l’un des plus prestigieux centres intellectuels
de l’Europe. Un peu plus tard, Philippe de Harvengt s’exclame : « Heureuse cité [Paris] où les étudiants
sont en si grand nombre que leur multitude vient presque à dépasser celle des habitants ! » À la faculté
des Arts, située entre la place Maubert et la rue du Fouarre, viendront étudier et enseigner les plus
grands penseurs des XIIe et XIIIe siècles.
Pierre de la Celle a lui-même étudié sur la montagne Sainte-Geneviève, il devient moine au cloître de
Cluny, puis renonce à une école de Paris trop mondaine. Le futur évêque de Chartres dénonce un lieu
de tentations à fuir : « Oh ! Paris, comme tu es fait pour séduire les esprits et les décevoir. C’est chez toi
que résident les réseaux du vice et les chausse-trappes du Malin ; c’est chez toi que la flèche de l’enfer
traverse les cœurs des insensés. . . »
138. « Après la panse vient la danse. »
Dicton populaire
Dictionnaire de l’Académie française (1694), au mot « panse »
On mange, on boit, on s’amuse bien au Moyen Âge, au château comme au village, hors les temps de
famine, de peste, de guerre.
139. « Ô France, tourmentée par les agents du fisc,
tu as eu à supporter de dures lois et de terribles moments ! »
GILLES de Paris
GILLES de Paris (1162-1220)
Étude sur la vie et le règne de Louis VIII (1975), collectif
Fameuse apostrophe lancée au début du XIIIe siècle par le précepteur du fils de Philippe Auguste,
Louis VIII de France, dit le Lion. La politique d’expansion de Philippe Auguste est coûteuse, mais en
plus de quarante ans de règne, il fait de la France le plus puissant royaume de l’Occident chrétien.
Cette récrimination sur la lourdeur des impôts reviendra comme un refrain tout au long de notre histoire,
allant jusqu’à déclencher la Révolution de 1789.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
140. « C’était une croyance universelle au Moyen Âge,
que le monde devait finir avec l’an mille de l’incarnation [. . .]
Cette fin d’un monde si triste était tout ensemble
l’espoir et l’effroi du Moyen Âge. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Cette croyance en une fin du monde pour l’an mille aurait fortement marqué les esprits de cette époque.
Elle se fonde sur le millénarisme, doctrine selon laquelle le Jugement dernier devait avoir lieu mille ans
après la naissance du Christ, d’après une interprétation du chapitre XX de l’Apocalypse de saint Jean
(Nouveau Testament). Certes, la foi est grande alors, et les superstitions plus encore. Mais la majorité
des contemporains, illettrés, ne sont pas sensibles aux dates.
Il faut ajouter que les auteurs romantiques du XIXe siècle auront contribué à renforcer ce mythe de la
Grande Peur de l’an mille, sur la foi de quelques textes douteux, mal interprétés, et parfois postérieurs.
L’an deux mille déclenchera moins de fantasmes, mais leur diffusion se fera à la vitesse d’Internet, et
l’obsession des dates est une nouvelle religion au XXIe siècle.
141. « La millième année après la Passion du Seigneur [. . .]
les pluies, les nuées s’apaisèrent, obéissant à la bonté et la
miséricorde divines [. . .] Toute la surface de la terre se couvrit
d’une aimable verdeur et d’une abondance de fruits. »
RAOÛL le Glabre
RAOÛL le Glabre (985-avant 1050), Histoires
Ce moine historien décrit ainsi la fin des terreurs du tournant millénariste. Rien ne s’est passé, comme
il en a toujours été pour ce genre de superstition.
Lui qui a craint le pire et contribué à la Grande Peur, il témoigne, en termes poétiques, d’un renouveau
de civilisation : « Comme approchait la troisième année qui suivit l’an Mil, on vit dans presque toute
la terre, mais surtout en Italie et en Gaule, rénover les basiliques des églises ; bien que la plupart, fort
bien construites, n’en eussent nul besoin, une émulation poussait chaque communauté chrétienne à
en avoir une plus somptueuse que celle des autres. C’était comme si le monde lui-même se fut secoué
et, dépouillant sa vétusté, ait revêtu de toutes parts une blanche robe d’église. » Georges Duby, grand
médiéviste du XXe siècle, appelle cela « le printemps du monde ».
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
Personnage de Philippe II Auguste
142. « L’entreprise de paver Paris doit être comptée
parmi les actions les plus louables de Philippe Auguste. »
Simonde de SISMONDI
Simonde de SISMONDI (1773-1842), Histoire des Français (1821-1844)
« Dans aucune autre entreprise peut-être il n’eut plus en vue l’utilité publique, la santé et l’aisance de
tous les habitants », remarque l’historien. Paris lui doit aussi le Louvre, et une nouvelle enceinte (avec
la tour de Nesle).
De façon plus générale, l’historien voit en lui « le premier des rois [. . .] qui semble avoir senti que sa
dignité lui imposait quelques devoirs envers son peuple et que l’argent qu’il recueillait ne devait pas
être uniquement employé à ses plaisirs ou à ses caprices ».
143. « Il fut jaloux et amoureux de la foi chrétienne
dès les premiers jours de sa jeunesse ; il prit le signe de la croix [. . .]
et le cousit à ses épaules pour délivrer le sépulcre,
et puis souffrit peines et travail pour Notre Seigneur. »
Grandes Chroniques de France, Éloge funèbre de Philippe Auguste (1223)
Allusion à sa participation à la troisième croisade, en 1189, et à la prise de Saint-Jean-d’Acre, en
Terre sainte.
144. « On pouvait se demander si le roi aimait son peuple plus que
son peuple n’aimait son roi. Il y avait entre eux comme une
émulation amoureuse. On ne pouvait savoir lequel des deux
était le plus cher à l’autre [. . .] tant était tendre l’affection
qui les unissait l’un à l’autre par des liens parfaitement purs. »
GUILLAUME le Breton
GUILLAUME le Breton (vers 1165-1226), La Philippide
Ainsi s’exprime le chroniqueur, quelque peu courtisan, dans cette épopée écrite après la victoire de
Bouvines (1214), dont il fut témoin.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
145. « Il accrût et multiplia merveilleusement le royaume
de France ; il soutint et garda merveilleusement la seigneurie
et le droit et la noblesse de la couronne de France. »
Grandes Chroniques de France, Éloge funèbre de Philippe Auguste (1223)
Le règne s’est soldé, en fait, par le quadruplement du domaine royal, l’assainissement de la trésorerie
(confiée aux Templiers), la fortification des villes et la lutte contre les féodaux. Un contemporain
impartial, Gilles de Paris, précepteur du fils de Philippe Auguste, confirme : « Personne ne peut nier
qu’il ait été un bon prince. Sous sa domination, le royaume s’est fortifié, la puissance royale a fait de
grands progrès. »
146. « S’il avait montré un peu de modération, s’il avait été
moins intolérant et emporté, aussi calme qu’il était actif,
aussi prudent qu’il était ardent à satisfaire ses désirs,
le royaume n’en serait qu’en meilleur état. »
GILLES de Paris
GILLES de Paris (1162-1220), Le Carolinus
Philippe Auguste et son temps (réédité en 1980), Achille Luchaire
Jugement porté au moment de la mort du roi, par le précepteur du futur roi, Louis VIII de France.
Philippe dit Auguste fut par ailleurs un roi aux manières rudes, peu soigné de sa personne – surnommé
le « maupigné », autrement dit le mal peigné. Il n’était guère amateur des trouvères et autres poètes et
musiciens, d’habitude entretenus par les princes. Réaliste, il aura été fort habile à éviter les coalitions ou
à démanteler celles qui se nouent. Énergique, décidé, il reste dans l’histoire comme un bon et grand roi.
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
Personnage de Louis IX (Saint Louis)
147. « Je voudrais être marqué d’un fer chaud, à condition
que tous vilains jurements fussent ôtés de mon royaume. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270)
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Très pieux, le roi a en horreur les jurons et blasphèmes. Le chroniqueur nous rapporte que, ayant passé
vingt-deux ans en sa compagnie, jamais il ne l’entendit jurer par Dieu.
148. « J’aime mieux que l’excès des grandes dépenses que je fais
soit fait en aumônes pour l’amour de Dieu,
qu’en faste ou vaine gloire de ce monde. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270)
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Malgré sa grande générosité envers les pauvres, le roi n’en dépense pas moins largement pour sa
maison et sa cour.
149. « Gardez-vous donc de faire ni de dire à votre escient
nulle chose dont, si tout le monde le savait,
vous ne puissiez faire l’aveu et dire : J’ai fait ceci, j’ai dit cela. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270)
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Le fidèle chroniqueur rapporte une remarque similaire du roi, à propos d’un entretien tenu à voix
basse avec Robert de Sorbon (fondateur du collège de la Sorbonne, vers 1250), lors d’un repas pris à
la table royale en compagnie d’autres pairs : « Parlez haut, fit-il, car vos compagnons croient que vous
pouvez médire d’eux. Si vous parlez, en mangeant, de choses qui nous doivent plaire, parlez haut, ou
sinon, taisez-vous. »
Moyen Âge • Capétiens directs • Prologue
150. « Jamais ne vis si beau chevalier sous les armes,
car il dominait toute sa suite des épaules,
son heaume doré sur le chef, son épée en la main. »
Sire de JOINVILLE
Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis
Il admire ici le guerrier - à la bataille de Mansourah, en 1250. Joinville accompagne Louis IX en Égypte,
lors de la septième croisade (1248). C’est plus tard, à la demande de la reine Jeanne (femme de Philippe
le Bel) qu’il dictera cette histoire de Saint Louis, achevée en 1309.
151. « Maintes fois il lui arriva, en été, d’aller s’asseoir
au bois de Vincennes, après avoir entendu la messe ;
il s’adossait à un chêne et nous faisait asseoir auprès de lui ;
et tous ceux qui avaient un différend venaient lui parler
sans qu’aucun huissier, ni personne y mît obstacle. »
Sire de JOINVILLE
Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis
Jean, sire de Joinville en Champagne, a suivi son seigneur, Thibaud de Champagne, à la cour du roi.
Très pieux, il décide de partir avec les chevaliers chrétiens pour la septième croisade en Égypte, et c’est
alors que Louis IX l’attache à sa personne, comme confident et conseiller.
La partie anecdotique de sa chronique, la plus touffue, se révèle aussi la plus riche, et cette page, l’une
des plus célèbres de l’œuvre. L’historien, témoin direct des faits rapportés, campe un roi vivant et vrai,
humain et sublime à la fois. Il sera très utile, après la mort du roi, pour l’enquête qui va suivre, à la
demande du pape Boniface VIII, et aboutira au procès en canonisation.
152. « Chère fille, la mesure par laquelle nous devons Dieu aimer,
est aimer le sans mesure. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270), Dernière lettre écrite à sa fille, 1270
Histoire de France, tome II (1833), Jules Michelet
Outre le roi guerrier à la tête des croisés, et l’administrateur veillant au bon état du royaume, c’est
surtout l’image d’une exceptionnelle piété qui reste, maintes fois attestée par Joinville. Lors du procès
en canonisation (1297), un témoin résuma le personnage en ces mots : « Il avait exercé à la manière d’un
roi le sacerdoce, à la manière d’un prêtre la royauté. »
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
Chronique (987-1328)
153. « Puisque Louis de divine mémoire a quitté cette terre
sans laisser d’enfants, il a fallu chercher après mûre délibération
quelqu’un pour le remplacer [. . .] Quelle dignité peut-on conférer
à Charles [. . .] qui a eu la stupidité de s’abaisser
au point de servir un roi étranger sans en rougir ? »
ADALBÉRON de Reims
ADALBÉRON de Reims (vers 925-988), Discours, 987
Histoires (chronique du temps, posthume), Richer de Reims
À la mort du jeune Louis V (suite à un accident de chasse), l’archevêque de Reims veut éliminer Charles
de Lorraine, oncle du défunt, qui s’était rallié à l’empereur germanique Othon II.
154. « Souhaitez-vous le bonheur ou la ruine de la république ?
Si vous voulez son malheur, vous devez promouvoir Charles ;
si vous voulez sa prospérité, couronnez comme roi
l’éminent duc Hugues. »
ADALBÉRON de Reims
ADALBÉRON de Reims (vers 925-988), Discours, 987
Histoires (chronique du temps, posthume), Richer de Reims
L’archevêque de Reims indique ici le « bon choix » pour le trône ! Il faut logiquement éliminer Charles de
Lorraine, qui malgré sa légitimité héréditaire, a démérité. Il plaide donc pour Hugues Capet, fils d’Hugues
le Grand, maire du palais et homme de pouvoir sous Louis V. Il précise : « Le trône ne s’acquiert point par
droit héréditaire et l’on ne doit mettre à la tête du royaume que celui qui se distingue non seulement
par la noblesse corporelle, mais encore par les qualités de l’esprit, celui que l’honneur recommande,
qu’appuie la magnanimité. »
Couronné à Reims par Adalbéron, le 3 juillet 987, le duc Hugues, devenu Hugues Ier, est proclamé roi des
Gaulois, Bretons, Danois (Normands), Aquitains, Goths, Espagnols et Gascons. En réalité, il ne régnera
jamais que sur un royaume s’étendant de l’Oise à Orléans.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
155. « Dans la personne de Hugues Capet s’opère une révolution
importante : la monarchie élective devient héréditaire ;
en voici la cause immédiate : le sacre usurpa le droit d’élection. »
CHATEAUBRIAND
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848), Analyse raisonnée de l’histoire de France (1845)
Le grand écrivain romantique projetait une Histoire de France qui ne verra jamais le jour, mais il a
publié quelques essais et réflexions, sur les deux thèmes qui lui tiennent le plus à cœur : la religion, et
la monarchie.
C’est l’un des apports capitaux du règne d’Hugues Capet : il fonde une nouvelle dynastie et pour en
assurer la pérennité, le jour de Noël suivant (25 décembre 987), il s’empresse de faire élire et sacrer par
anticipation son fils Robert dit le Pieux, qu’il associe au trône.
156. « Qui t’a fait comte ?
— Qui t’a fait roi ? »
HUGUES Ier et ADALBERT de Périgord
HUGUES Ier (vers 941-996) et ADALBERT de Périgord (968-995), vers 990-993
Chroniques (rédigées entre 1024 et 1029), Adémar de Chabannes
Le roi, légitimé par le sacre de Reims et créateur de la dynastie (dite plus tard) capétienne, apostrophe
le comte Adalbert qui a envahi la Touraine et refuse de lever le siège de Tours. Le comte réplique
en insultant son suzerain dont il met en cause l’autorité, mais aussi la légitimité. Hugues Capet a
en effet pris la place de Charles de Lorraine, carolingien descendant de Charlemagne, personnage
devenu légendaire.
Cet échange de propos illustre les relations tendues entre le roi et ses grands vassaux, souvent plus
puissants que lui : levant les impôts, faisant eux-mêmes la justice et menant leur propre guerre. L’hérédité
de la couronne va leur enlever une part importante de leurs attributions et de leurs pouvoirs.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
157. « Le roi de France qui, malgré l’interdiction apostolique,
a épousé sa parente, doit se rendre auprès de nous
pour nous donner satisfaction, de même que les évêques
qui ont autorisé ces noces incestueuses ;
s’ils refusent de venir, qu’ils soient privés de la communion. »
GRÉGOIRE V
GRÉGOIRE V (973-999), synode à Pavie, 998
Histoires d’amour de l’histoire de France, tome I (1954), Guy Breton
Le pape fulmine contre Robert II le Pieux. Malgré son surnom et sa piété, le roi de France l’a bravé en
répudiant sa première femme Rosala, qui a vingt-deux ans de plus que lui : un mariage politique et
malheureux. Dès la mort de son père, le jeune prince, passionnément épris, épouse sa cousine, la trop
belle comtesse de Blois, Berthe de Bourgogne.
C’est l’excommunication, dont les conséquences, à cette époque, peuvent être graves. Le pape ajoute
l’anathème, autrement dit la damnation éternelle. Mais il meurt en 999. Son successeur, le moine Gerber,
ancien maître du roi, devient pape sous le nom de Sylvestre II : il supprime l’anathème, mais maintient
l’excommunication. Le roi devra renvoyer Berthe, en 1001. Il épouse une troisième femme, Constance
d’Arles, qui fait de sa vie un enfer ! Berthe, exilée, garde son titre de reine, et les deux amants continuent
de se voir. Ils mourront trente ans après, elle d’abord, et lui quelques mois après, inconsolable.
158. « Celui qui l’a pris en avait sans doute plus besoin que moi. »
ROBERT II le Pieux
ROBERT II le Pieux (vers 970-1031), à sa femme Constance
Histoire des Français (1821-1844), Simonde de Sismondi
Un jour de fête, à Étampes, Robert a fait entrer quelques pauvres dans la salle où il soupe, et il leur
donne à manger par terre comme à des chiens que gâte leur maître. Après leur départ, on s’aperçoit
qu´ils ont coupé les franges d´or du manteau royal. La reine, fort en colère, regrette les belles franges,
mais le roi excuse le larcin.
Une autre fois, devant un voleur pris sur le fait, il dit : « Ne prends pas tout. Il faut qu’il en reste pour
tes camarades. » Les pauvres, qui savent la grande charité du roi Robert, en abusent quelquefois. Les
chroniqueurs racontent plusieurs anecdotes du même genre.
En fait, le roi est conscient de l’état pitoyable du royaume et de la misère de ses sujets : famines,
épidémies, luttes féodales, début du catharisme. La principale réussite du règne est l’annexion de la
Bourgogne au domaine royal.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
159. « Vous êtes, je crois, venus trop tard ; votre entreprise
est un échec ; c’est bien manqué ; le duc s’en va et il vous rendra
la pareille, pour votre honte et pour votre malheur.
Si vous lui faites passer une mauvaise nuit, il vous fera passer
un mauvais jour. Et que puissent les traîtres aller à mauvaise fin ! »
GOLÈS
GOLÈS (XIe siècle), 1046
Chronique des ducs de Normandie (1836) Benoît de Sainte-More
Un « fou » du nom de Golès s’adresse à Guy de Bourgogne et à des chevaliers ennemis de Guillaume,
duc de Normandie (le futur Conquérant) : les conjurés espéraient le surprendre, alors qu’il dort dans
une maison de Valognes. Averti par le vacarme fait par le fou, Guillaume réussit à s’enfuir et à se
réfugier dans le château de Falaise.
160. « De Cotentin partit la lance
Qui abattit le roi de France. »
Dicton (1047)
Histoire du château et des sires de Saint-Sauveur-Le-Vicomte (1867), Léopold Delisle
Ce roi de France est Henri Ier, fils de Robert le Pieux, suzerain et allié du jeune duc de Normandie
Guillaume, venu lui demander appui contre ses barons normands révoltés.
Les armées de Guillaume et du roi de France se heurtent aux révoltés près de Caen, au Val-des-Dunes.
Parmi les barons, un chevalier du Cotentin désarçonne le roi – d’où ce dicton. Mais il est aussitôt tué
par les chevaliers entourant le roi. Guillaume et Henri Ier l’emportent, et le duc de Normandie reprend
le contrôle de son duché.
Inquiet de la puissance de son vassal, le roi se retournera contre lui, ce qui lui vaudra plusieurs défaites
(Mortemer en 1054, Varaville en 1058).
161. « Celui-là sans aucun doute triomphera de son ennemi
qui a l’audace de disposer des biens
qui sont en la possession de son ennemi comme des siens propres. »
GUILLAUME le Conquérant
GUILLAUME le Conquérant (vers 1027-1087), à ses hommes, 1066
Histoire de Guillaume le Conquérant (biographie inachevée), Guillaume de Poitiers, historien contemporain
Le futur « Conquérant » galvanise ses hommes au courage défaillant, en leur faisant miroiter la
perspective du pillage des richesses ennemies, alors qu’il prépare sa flotte à l’embouchure de la Dive
(fleuve côtier de Normandie), pour faire voile vers les côtes anglaises.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
162. « Par les splendeurs de Dieu ! Cette terre, voilà que je l’ai saisie
dans mes mains. Elle ne nous échappera plus ! »
GUILLAUME le Conquérant
GUILLAUME le Conquérant (vers 1027-1087), débarquant en Angleterre, 29 septembre 1066
Histoire de Guillaume le Conquérant (biographie inachevée), Guillaume de Poitiers, historien contemporain
Trébuchant sur le rivage anglais entre Eastbourne et Hastings, et tombé sur le sable, il veut ainsi
conjurer le mauvais sort.
Guillaume de Normandie, dit le Bâtard, aura besoin de beaucoup de chance et de courage, avant de
devenir Guillaume le Conquérant, à la victoire de Hastings (14 octobre 1066), et de continuer l’aventure.
163. « Nous marchons à la victoire. »
HAROLD II
HAROLD II (vers 1022-1066), roi des Saxons, à Guillaume de Normandie, octobre 1066
Histoire de Guillaume le Conquérant (biographie inachevée), Guillaume de Poitiers, historien contemporain
Le futur « Conquérant » a envoyé un messager à Harold, pour lui proposer de régler le différend en
combat singulier. Harold répond par ces mots, pour refuser, puis ajoute : « Que le Seigneur décide
aujourd’hui entre moi et Guillaume selon la justice ». Harold sera tué lors de la bataille d’Hastings.
164. « Vous désertez la victoire et la gloire impérissable
pour courir à votre perte et à l’opprobre éternel !
En fuyant, nul d’entre vous n’échappera à la mort. »
GUILLAUME le Conquérant
GUILLAUME le Conquérant (vers 1027-1087), à ses soldats, Hastings, 14 octobre 1066
Histoire de Guillaume le Conquérant (biographie inachevée), Guillaume de Poitiers, historien contemporain
Ses hommes le croient mort ; il vient au milieu d’eux, les frappe de sa lance, ôte son casque pour se faire
reconnaître et les ramène au combat par cette exhortation.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
165. « Aucun jour ne brilla pour [la Normandie] plus joyeux
que celui où elle apprit [. . .] que son prince, auteur de la paix dont
elle jouissait, était devenu un roi. Villes, châteaux, domaines,
monastères se félicitaient grandement de sa victoire
et plus encore de sa royauté. »
GUILLAUME de Poitiers
GUILLAUME de Poitiers (vers 1020-1090)
Histoire de Guillaume le Conquérant (biographie inachevée), Guillaume de Poitiers, historien contemporain
Le biographe peint la joie des habitants de la Normandie apprenant la nouvelle : leur duc, Guillaume le
Bâtard, devenu le Conquérant, après la victoire d’Hastings, est également Guillaume Ier roi d’Angleterre,
sacré dans l’abbaye de Westminster, la même année à Noël – 25 décembre 1066.
Guillaume devra guerroyer longtemps encore en Angleterre, avant de s’imposer aux seigneurs saxons
et de constituer ainsi un État anglo-normand. La puissance de cet État porte ombrage au roi de France
Philippe Ier, qui reprend contre Guillaume la lutte de son père Henri Ier. Elle dure dix ans, le plus souvent
à l’avantage du roi de France, et se termine avec la mort de Guillaume devant Mantes (1087).
Ses trois fils se partagent son royaume : il s’ensuit des guerres au cours desquelles la Normandie
change souvent de maître. Elle ne sera reconquise par la France qu’en 1204, l’Angleterre n’y renonçant
officiellement qu’au traité de Paris de 1259.
166. « Il y avait bien longtemps que ces deux cœurs,
ces deux moitiés de l’humanité, l’Europe et l’Asie,
la religion chrétienne et la musulmane, s’étaient perdues de vue,
lorsqu’elles furent replacées en face par la croisade,
et qu’elles se regardèrent. Le premier coup d’œil fut d’horreur. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome II (1833)
L’historien du XIXe siècle évoque la première croisade (1096-1099). L’événement épique sollicite
naturellement le lyrisme et le romantisme d’une œuvre infiniment riche, basée sur une documentation
rigoureuse, et relative non seulement aux faits, mais aussi à tous les aspects de la vie du passé.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
167. « Ils deviendront des soldats, ceux qui, jusqu’à ce jour,
furent des brigands ; ils combattront légitimement contre
les barbares, ceux qui se battaient contre leurs frères et leurs cousins ;
et ils mériteront la récompense éternelle,
ceux qui se louaient comme mercenaires pour un peu d’argent. »
URBAIN II
URBAIN II (vers 1042-1099), Concile de Clermont, 1095
Les Croisades (1934), Frantz Funck-Bretano
Ce pape, par ailleurs grand orateur, commence à prêcher la première croisade. Il s’agit d’abord de
la « délivrance des Lieux saints » – notamment Jérusalem et le tombeau du Christ – occupés par
les musulmans. Le pape encourage cette entreprise militaire, en promettant aux croisés le paradis
(indulgence plénière).
Guibert de Nogent, dans son Histoire des croisades, dit l’effervescence qui suivit : « Dès qu’on eut terminé
le concile de Clermont, il s’éleva une grande rumeur dans toutes les provinces de France et aussitôt
que la renommée portait à quelqu’un la nouvelle des ordres publiés par le pontife, il allait solliciter ses
parents et ses voisins de s’engager dans la voie de Dieu. »
168. « Dieu le veut ! »
Cri de guerre et de ralliement des croisés, lancé dès la première croisade
Dictionnaire historique, géographique et biographique des croisades (1852), Édouard d’Ault-Dumesnil
Deux expéditions se succèdent, de nature bien différente.
La « croisade populaire » part en 1096, conduite par Pierre L’Hermite et Gautier sans Avoir. Foule de
pèlerins à peine armés, indisciplinés, bientôt malades et affamés, ils traversent l’Europe en massacrant
les juifs et en pillant pour vivre. Ils seront anéantis en Anatolie.
La croisade des barons part en 1097, forte de 30 000 hommes et de quatre armées qui convergent
sur Constantinople, chacune par son chemin. Ces chefs ont pour nom Godefroy de Bouillon, Baudoin
de Flandre, Hugues de Vermandois, frère du roi de France, Robert Courteheuse, duc de Normandie,
Raymond de Toulouse et Bohémond de Tarente. Une campagne de deux ans les mènera à la prise
d’Antioche, d’Édesse et de Jérusalem (1099).
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
169. « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même
et qu’il prenne sa croix et me suive. »
JÉSUS
JÉSUS (vers 4 av. J.C.-vers 28)
Bible, Nouveau Testament, Évangile de Matthieu
Ces paroles deviennent symbole de ralliement pour les croisés. Elles sont citées par un chevalier croisé,
chroniqueur anonyme de la Gesta Francorum.
L’un des grands absents de la première croisade est le roi de France Philippe Ier, excommunié par
Urbain II pour avoir répudié Berthe, sa première femme et s’être remarié. Donc, interdit de croisade.
Au lieu d’aller guerroyer au loin, il continue d’agrandir le domaine royal par intrigue, donation et achat
(Gâtinais, Vexin, Berry).
170. « La folie des croisades
est ce qui a le plus honoré la raison humaine. »
Léon BLOY
Léon BLOY (1846-1917), La Femme pauvre (1897)
Catholique ardent, visionnaire et mystique, il encense les croisades que, de son côté, Nietzsche qualifie
d’« entreprises de haute piraterie ».
171. « Pourquoi, malheureux, massacrez-vous l’armée du Christ,
qui est aussi la mienne ?
Je n’ai pourtant aucune querelle avec votre empereur. »
BOHÉMOND Ier
BOHÉMOND Ier (1057-1111), prince normand, janvier 1097
Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
Futur prince d’Antioche, participant à la première croisade et l’un de ses chefs, il apostrophe des Turcs
au service de l’empereur de Byzance, qui ont attaqué l’armée des croisés.
À quoi ils répondent : « Nous ne pouvons pas agir autrement : nous nous sommes loués à la solde de
l’empereur, et tout ce qu’il nous ordonne, il nous faut l’accomplir. »
La Gesta Francorum et aliorum Hierosolimitanorum (Geste des Francs et des autres peuples lors du
pèlerinage à Jérusalem) ou Histoire anonyme de la première croisade (version française) est un récit
écrit entre 1099 et 1101 par un chevalier qui vit l’événement au quotidien. C’est l’une des rares sources
originales, témoignage pris sur le vif, naïf, sincère, évidemment partial.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
172. « Si aujourd’hui ils veulent prendre part à la lutte,
qu’ils viennent vaillamment. »
BOHÉMOND Ier
BOHÉMOND Ier (1057-1111), prince normand, juillet 1097
Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
Ce prince forme avec ses Normands l’avant-garde de l’armée des croisés. Il est attaqué par les Turcs
à Dorylée (actuelle Eskisehir). Bohémond envoie alors des messagers vers le gros des armées pour
demander secours.
173. « Soyez de toute manière unanimes dans la foi du Christ et
dans la victoire de la Sainte Croix, car aujourd’hui,
s’il plaît à Dieu, vous deviendrez tous riches. »
Chefs croisés venus au secours de Bohémond, Dorylée, 1097
Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
C’est le double argument de la foi et du pillage. Dorylée reste dans l’histoire comme la victoire de
Godefroy de Bouillon sur les Turcs.
174. « Entrons ensemble et pillons la ville :
que celui qui aura la plus grosse part la garde
et que celui qui pourra prendre prenne. »
BAUDOIN
BAUDOIN (1058-1118), frère de Godefroy de Bouillon, à Tancrède, neveu de Bohémond, septembre 1097
Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
Tancrède, parvenu avec les croisés en Turquie, assiège Tarse. Les bourgeois de la ville, tous chrétiens,
lui proposent de lui remettre les clés de leur cité. Le comte Baudoin (futur Baudouin Ier, premier roi
de Jérusalem) et son armée arrivent, la garnison turque s’enfuit – et les bourgeois remettent les clés.
Mais les deux chevaliers se disputent : Baudoin appelle toujours au pillage, Tancrède s’y refuse, et
abandonne à Baudoin la ville et sa seigneurie. La ville ne sera pas pillée.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
175. « Sache que cette guerre n’est pas charnelle, mais spirituelle. Sois
donc le très courageux athlète de Christ ! »
BOHÉMOND Ier
BOHÉMOND Ier (1057-1111), au connétable Robert, février 1098
Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
Les croisés sont parvenus en vue d’Antioche, mais une armée turque de secours est annoncée.
Bohémond, seigneur franc et l’un des chefs de la première croisade, vient attendre l’ennemi près du lac
d’Antioche (à une trentaine de kilomètres de la ville).
Attaqués par des forces supérieures, les croisés commencent à reculer, quand Bohémond adresse ces
mots à son connétable : « Va aussi vite que tu peux comme un vaillant homme. Secours avec énergie la
cause de Dieu et du Saint-Sépulcre et sache que cette guerre n’est pas charnelle. . . » Les Turcs, chargés
par les croisés, sont mis en déroute.
176. « Si la grâce de Dieu nous favorise,
c’est cette nuit que nous sera livrée Antioche. »
BOHÉMOND Ier
BOHÉMOND Ier (1057-1111), aux chefs croisés
Gesta Francorum, Histoire de la première croisade, anonyme
Les autres chefs lui ont promis qu’il serait prince d’Antioche, s’il prenait la ville. Bohémond s’est entendu
avec un amiral turc de la cité, Firouz, qu’il persuade de lui ouvrir les portes. Ce qui est fait dans la nuit
du 2 au 3 juin 1098. Les croisés prennent ainsi la ville, par trahison, et sans combat.
177. « Si vous désirez savoir ce qu’on a fait des ennemis trouvés à
Jérusalem, sachez que dans le portique de Salomon et dans
le temple, les nôtres chevauchaient dans le sang immonde
des Sarrasins et que leurs montures en avaient jusqu’aux genoux. »
ADHÉMAR de MONTEIL, GODEFROY de BOUILLON et RAYMOND de SAINT-GILLES
Lettre au pape Urbain II, après la prise de Jérusalem, 15 juillet 1099. Signée par ADHÉMAR de MONTEIL (??-1098), légat du
pape, GODEFROY de BOUILLON (1061-1100), RAYMOND de SAINT-GILLES (1042-1105), comte de Toulouse
Recueil des cours, volume LX (1937), Hague Academy of International Law
La population de Jérusalem fut massacrée par les croisés. Le « temple » (esplanade de l’ancien temple
d’Hérode) et les rues de la ville ruisselèrent de sang, selon l’auteur de l’Histoire anonyme de la première
croisade. Les chroniqueurs chrétiens donnent le chiffre de 80 000 morts musulmans.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
178. « Godefroy de Bouillon n’eut pas plus tôt la Terre sainte
qu’il s’assit découragé sur cette terre,
et languit de reposer dans son sein. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome II (1833)
La couronne de roi de Jérusalem lui est proposée après la prise de la ville, mais il la refuse, ne pouvant
porter une couronne d’or, là où Jésus Christ dut porter une couronne d’épines. Le chef de la croisade
se déclare modestement « avoué du Saint-Sépulcre » et se contente du titre de baron. Ce choix signifie
qu’il considère la Terre sainte, Jérusalem avant tout, comme la propriété du Christ et par extension, du
Saint-Siège. Il se pose ainsi en serviteur et en défenseur de l’Église.
Il meurt l’année suivante. Son frère Baudouin lui succède, et prend le titre de roi de Jérusalem, en 1100.
179. « Gardez-vous bien de différer encore le moment
de nouer le lien conjugal [. . .] Qu’il sorte bientôt de votre chair
celui qui doit rendre vaines les espérances des ambitieux
et fixer sur une seule tête l’affection changeante de vos sujets ! »
YVES de Chartres
YVES de Chartres (1040-1116), au roi Louis VI le Gros
Louis VI le Gros : annales de sa vie et de son règne, 1081-1137 (1890), Achille Luchaire
L’évêque de Chartres encourage le roi à quitter sa vie de veuf joyeux : « Ce mariage n’aura pas seulement
pour effet d’apaiser les mouvements charnels et les désirs illicites : il forcera encore au silence la haine
de vos détracteurs. »
Louis va épouser en 1115 Adélaïde de Savoie, fille du comte de Maurienne, qui lui donnera six fils
et une fille. Durant près de trente années de règne, Louis VI dit le Gros affermit le pouvoir royal : il
soumet par les armes des vassaux rebelles et pillards et développe les communes, au détriment des
seigneuries laïques et ecclésiastiques. Le crédit moral de la Couronne en est rehaussé, et le sentiment
national émerge de la féodalité. Une plus grande sécurité des routes et voies d’eau favorise l’essor du
commerce. Seule ombre au tableau de cette France : la guerre avec l’Angleterre pour la possession de
la Normandie. Louis VII le Jeune, son deuxième fils, succédera au roi Louis VI le Gros.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
180. « Vous avez commandé, et j’ai obéi, et votre autorité a fait
que mon obéissance a produit de bons effets ; car j’ai annoncé,
j’ai parlé, et il s’est assemblé un nombre infini de gens.
Les villes et les villages ne sont plus que des déserts ;
et à peine sept femmes y trouvent-elles un seul homme,
tant il y a partout de veuves, dont les maris vivent. »
BERNARD de Clairvaux
BERNARD de Clairvaux (1090-1153), au pape Eugène III, 1146
Lettres, volume I (1702), Saint Bernard (de Clairvaux), Joseph François Bourgoing de Villefore
Le célèbre cistercien, fondateur de l’abbaye de Clairvaux (1115), prêche la deuxième croisade à Vézelay,
à la demande du pape. Immense sera le succès : plus de 100 000 hommes prennent la croix.
Mais l’expédition est une suite de dissensions entre chefs, et de défaites militaires. Au cours de cette
croisade va éclater la mésentente entre Louis VII et sa jeune épouse Aliénor d’Aquitaine. Le mariage sera
finalement annulé et Aliénor épousera en 1152 Henri Plantagenêt (futur roi d’Angleterre), lui apportant
son fief d’Aquitaine.
181. « Les basiliques sont sans fidèles, les fidèles sans prêtres,
les prêtres sans honneur, il n’y a plus que des chrétiens sans Christ. »
BERNARD de Clairvaux
BERNARD de Clairvaux (1090-1153), pendant sa tournée en Languedoc, 1147
L’Albigéisme aux XIIe et XIIIe siècles (1907), Bibliothèque historique du Languedoc
Moine au monastère de Cîteaux, strict dans sa foi et futur saint, Bernard est surtout préoccupé par
la situation de l’Église en France. Il dénonce ses dérives et son luxe, et s’inquiète de l’hérésie cathare,
forme de manichéisme venu de l’Europe orientale, qui se développe en Provence et Languedoc, dès le
milieu du XIIe siècle. Cette réaction contre la corruption du clergé menace l’Église en tant qu’institution.
182. « Comment peut-on nettoyer les ordures,
si on a soi-même les mains sales. »
Adage des Parfaits
Histoire de l’Inquisition au Moyen âge : origines de l’Inquisition dans le midi de la France, Cathares et Vaudois (1935),
Jean Guiraud
Les « prêtres » cathares dénoncent ainsi « l’indignité » des prêtres catholiques.
L’Église va devoir combattre l’hérésie la plus grave de son histoire, en commençant par la prédication :
« La pitié prime la loi. » Le moine Bernard de Clairvaux prêche avec passion, comme d’autres religieux,
mais sans succès. La répression suivra : la terrible croisade contre les Albigeois, à partir de 1208.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
183. « Nous, en France, nous n’avons rien
sinon le pain, le vin et la gaieté. »
LOUIS VII le Jeune
LOUIS VII le Jeune (vers 1120-1180), à l’ambassadeur du roi d’Angleterre, vers 1150
Histoire de la chrétienté d’Orient et d’Occident (1995), Jacques Brosse
Ainsi le roi vante-t-il les vraies richesses des Français à l’archidiacre d’Oxford, Gautier Map, qui
l’entretenait de la richesse du royaume d’Angleterre. Louis VII oppose fièrement son pays aux autres
royaumes : « Le roi des Indes a des pierres précieuses, des lions, des léopards, des éléphants ; l’empereur
de Byzance se glorifie de son or et de ses tissus de soie ; le Germanique a des hommes qui savent faire
la guerre, et des chevaux de combat. Ton maître le roi d’Angleterre a hommes, chevaux, or, pierres
précieuses, fruits. »
Les relations vont se tendre quand Henri Plantagenêt, devenu Henri II roi d’Angleterre en 1154, se
retrouve à la tête du tiers de la France, avec l’Aquitaine de sa femme Aliénor (ex-épouse de Louis VII).
Même si ce domaine lui échoit par le jeu normal des règles féodales, c’est une menace évidente pour
la dynastie française.
Dans le conflit chronique opposant les deux rois, chacun essaiera de débaucher les vassaux de l’autre,
sans en venir pourtant à l’affrontement généralisé, ni à la guerre ouverte.
184. « Toujours draps de soie tisserons :
Jamais n’en serons mieux vêtues.
Toujours serons pauvres et nues
Et toujours faim et soif aurons. »
CHRÉTIEN de Troyes
CHRÉTIEN de Troyes (vers 1135-vers 1183), La Complainte des tisseuses de soie (vers 1170)
Histoire de la littérature française (1920), Gustave Lanson
Le grand poète champenois, protégé par Marie, fille du roi de France Louis VII et comtesse de Champagne,
décrit la détresse des ouvriers (et surtout des ouvrières) du drap et de la toile au XIIe siècle.
Le règne de Louis VII voit pourtant les progrès de l’économie et du commerce, avec la création des
grandes foires de Champagne (Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube), rendez-vous des marchands
français, flamands, anglais, allemands et italiens.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
185. « Au moment où l’ennemi de votre empire et le perturbateur de
votre royaume, Richard, roi d’Angleterre, traversait la mer pour
retourner dans ses domaines, il advint que les vents l’amenèrent, son
navire ayant fait naufrage, dans la région d’Istrie [. . .] Notre cher et
bien-aimé cousin Léopold, duc d’Autriche,
s’est emparé de la personne dudit roi. »
HENRI VI
HENRI VI (1165-1197), Lettre à Philippe II Auguste, 28 décembre 1192
Aliénor d’Aquitaine (1966), Régine Pernoud
L’empereur d’Allemagne annonce la bonne nouvelle au roi de France : capture inespérée de son plus
grand ennemi, Richard Ier Cœur de Lion, roi d’Angleterre.
Les deux rois jadis alliés pour battre Henri II, père de Richard, sont partis ensemble à la troisième
croisade et ont reconquis Saint-Jean-d’Acre. Puis ils se sont brouillés. Philippe Auguste, malade, a
regagné seul la France (1191) et intrigué avec Jean sans Terre (frère de Richard). Revenant de croisade,
Richard est donc capturé à l’occasion d’un naufrage.
Malgré l’opposition de Philippe Auguste, le royal captif est libéré un an plus tard, contre forte rançon
(35 000 kg d’argent). Et la guerre reprend entre Philippe Auguste et Richard, puis son frère et successeur
Jean sans Terre et ses alliés.
186. « La dignité royale ne peut être au-dessus des devoirs d’un chrétien. »
INNOCENT III
INNOCENT III (1160-1216)
Innocent III (1908), Achille Luchaire
Le pape charge son légat, Pierre de Capoue, de jeter l’interdit sur le royaume de France et de prononcer
l’excommunication personnelle de Philippe II Auguste, en raison de son troisième mariage avec Agnès
de Méran. L’interdit, jeté sur le royaume de France le 13 janvier 1200, sera levé en septembre, le roi
acceptant d’éloigner Agnès et de reprendre sa deuxième femme.
Les papes du Moyen Âge interfèrent beaucoup dans la vie privée des rois de France, et cela ne va pas
sans conséquences politiques.
187. « Nous aimons mieux mettre tout notre avoir
et aller pauvres en l’armée que de la voir se séparer et faillir ;
car Dieu nous le rendra bien quand il lui plaira. »
Barons croisés aux Vénitiens
Histoire de la conquête de Constantinople (1870), Geoffroi de Villehardouin, Natalis de Wailly
Les Vénitiens demandent aux barons le paiement de leur passage par mer vers la Palestine. D’où cette
réponse. Mais tout leur avoir ne suffit pas : ils doivent se résoudre à combattre pour les Vénitiens, afin
de payer leur passage. Ainsi prennent-ils Constantinople et partagent-ils avec les Vénitiens l’Empire
latin de Constantinople, constitué sur les ruines de l’Empire byzantin.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
188. « Seigneurs, je vous défends de par le pape de Rome
que vous n’attaquiez cette cité ; car elle est cité de chrétiens,
et vous êtes pèlerins. »
Abbé de VAUX
Abbé de VAUX (fin XIIe-début XIIIe s.) aux croisés, 1204
Histoire de la conquête de Constantinople (1870), Geoffroi de Villehardouin, Natalis de Wailly
Ce cistercien veut empêcher les croisés d’enlever la ville de Jadres, pour le compte des Vénitiens. En
vain, et la ville est prise, en 1204.
La quatrième croisade (1202-1204) se termine avec la prise de Constantinople par les croisés, sous la
conduite de Boniface de Montferrat, Baudoin de Flandre et Geoffroi de Villehardouin.
189. « Vous n’avez pas réussi comme vous vouliez,
mais ce n’est pas le succès que Dieu récompense, c’est le travail [. . .]
Insistez, argumentez, implorez, et à force de patience et d’éloquence,
ramenez les dévoyés. »
INNOCENT III
INNOCENT III (1160-1216), à son légat Pierre de Castelnau, 1204
Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, Jean Guiraud (Bibliothèque historique du Languedoc)
Le pape a envoyé ce moine cistercien en Languedoc, pour ramener les cathares dans la foi catholique.
Il a échoué dans sa mission et, découragé, prie le pape de le renvoyer à son monastère, d’où la réponse
d’Innocent III, assurant par ailleurs que « l’action vaut mieux que la contemplation ».
190. « De même que la loi civile punit de mort et de spoliation
les criminels coupables de lèse-majesté [. . .] de même l’Église
retranche du Christ et dépouille ceux qui,
errant dans la foi, attaquent Dieu ou son Fils
au détriment plus grave de la majesté divine. »
INNOCENT III
INNOCENT III (1160-1216), 1209
Annales du Midi, volume LXXIX (1967), Antoine Thomas, Alfred Jeanroy, Université de Toulouse, Paul Dognon
Le pape justifie ainsi les mesures prises contre les hérétiques cathares.
Il n’est plus temps de combattre l’hérésie par la prédication et les voies ecclésiastiques normales ni
d’affirmer que « la pitié prime la loi ». D’autant que Pierre de Castelnau, légat du pape, a été assassiné
en janvier 1208.
La répression commence : Innocent III appelle à la croisade contre les Albigeois (cathares). Le roi
Philippe Auguste, réticent devant cette « croisade de l’intérieur », se contente d’autoriser ses vassaux
à y participer.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
191. « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! »
Arnaud AMAURY
Arnaud AMAURY (1135-1225), avant le sac de Béziers, 22 juillet 1209
Dialogi miraculorum (posthume), Césaire d’Heisterbach, savant et religieux allemand du XIIIe siècle
Digne des plus sanglantes guerres de Religion, l’ordre est attribué à Amaury (ou Amalric), abbé de
Cîteaux et légat du pape, chargé de ramener les dévoyés à la foi catholique. C’est sans doute une
invention de Césaire d’Heisterbach, moine qui conta la prise miraculeuse de Béziers par les croisés de
Simon de Montfort, dans ses Dialogi miraculorum.
Chef spirituel de la croisade contre les Albigeois, et même s’il n’a pas donné l’ordre, Amaury écrit dans
une lettre à Innocent III : « Sans égard pour le sexe et pour l’âge, vingt mille de ces gens furent passés
au fil de l’épée. » Catholiques et cathares confondus, et Dieu reconnaîtra les siens. . .
192. « Nous ne sommes plus que quelques-uns dans ce château
et de ce combat dépend toute l’affaire du Christ [. . .]
Je veux vaincre avec les miens ou succomber avec eux.
En avant, nous aussi, et, s’il le faut, mourons avec eux. »
Simon de MONTFORT
Simon de MONTFORT (vers 1150-1218), à ses chevaliers, septembre 1211
Histoire albigeoise : l’Église et l’État au Moyen Âge (posthume), Pierre des Vaux-de-Cernay, moine et historien contemporain
Le chef des croisés est assiégé dans Castelnaudary par le comte de Toulouse, Raymond VI, épisodiquement
tolérant sinon favorable aux cathares. N’ayant avec lui qu’une poignée de combattants et réduit à la
dernière extrémité, Simon de Montfort ne laisse que cinq chevaliers et un peu de « piétaille » pour
garder la place, puis charge avec ses hommes, et triomphe de ses adversaires.
193. « Je me suis déjà rendu au Christ.
À Dieu ne plaise que je [me] rende maintenant à ses ennemis. »
Un chevalier croisé, vers 1212
Histoire albigeoise : l’Église et l’État au Moyen Âge (posthume), Pierre des Vaux-de-Cernay, moine et historien contemporain
Surpris par les hommes du comte de Foix (définitivement acquis aux cathares) et assailli de toute part,
le chevalier répond par ces mots et meurt, percé de coups.
La croisade contre les Albigeois continue, menée par Simon de Montfort, guerrier hors pair. Venu
comme la plupart du nord de la France (famille de barons de Montfort-l’Amaury), il s’est engagé autant
par conviction religieuse que par esprit de conquête, un fief étant toujours bon à prendre.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
194. « De deux maux, on doit toujours choisir le moindre. »
GUILLAUME de Tudèle
GUILLAUME de Tudèle (fin XIIe-début XIIIe siècle), Chanson de la croisade albigeoise
La Chanson de la croisade contre les Albigeois (posthume, 1879), commencée par Guillaume de Tudèle
et continuée par un poète anonyme
Le goût du combat et du martyre n’est pas donné à tous. Ainsi, les gens de Castelsarrasin se rendirent
aux croisés venus les assiéger (août 1212), empruntant aux bourgeois d’Agen ce précepte devenu
proverbe : « Dels dos mals, le mens mal deu om tots temps trier. »
De nombreux seigneurs locaux, privés de leurs biens, font mine de se soumettre. On les appelle « faydits »
– fuyards ou dépossédés, en langue d’oc. D’autres se joignent aux hérétiques, et c’est aussi une manière
de se rebeller contre Philippe Auguste, ce roi capétien dont l’autorité n’est pas encore reconnue.
La politique se mêle plus que jamais à la religion, la confusion est immense, la situation s’aggrave.
Les bûchers succèdent aux massacres, pour le plus grand malheur du Midi de la France, qui en garde
aujourd’hui encore la mémoire.
195. « Par égard pour vous, pendant ces huit jours, je cesserai,
non pas de faire du mal, mais de faire du bien,
car j’estime qu’en combattant les ennemis du Christ,
je fais du bien plutôt que du mal. »
Simon de MONTFORT
Simon de MONTFORT (vers 1150-1218), au roi d’Aragon, janvier 1213
Histoire albigeoise (1951), Petrus Sarnensis, Pascal Guébin, Henri Maisonneuve
Pierre II d’Aragon soutient Raymond VI, comte de Toulouse, excommunié pour s’être à nouveau rallié
aux cathares. Philippe Auguste propose un concile à Lavaur, entre les évêques du Midi et les seigneurs
dépossédés par la croisade. D’où cette trêve de huit jours, respectée à regret par Simon de Montfort.
En septembre 1213, il va tuer le roi d’Aragon qui attaque la ville de Muret tenue par les croisés, puis
vaincre Raymond VI qui s’enfuit, et prendre Toulouse (1215). Le roi lui donne en fief la ville, mais Toulouse
se révolte contre cet homme venu du Nord et qui se conduit ici en pays conquis. Simon de Montfort
refait le siège de Toulouse et meurt d’un jet de pierre tiré par une femme (1217). Étrange destinée.
La croisade contre les Albigeois sera relancée par la « croisade royale », qui trouve ainsi le moyen de
mettre au pas le Midi rebelle, et l’Inquisition créée par le pape, fondée sur la délation systématique,
pour en finir avec les cathares. Jusqu’au dernier îlot de résistance, Montségur, son château et son
bûcher de sinistre mémoire (1244).
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
196. « Il s’agissait moins de piller, moins encore de vaincre,
que de détruire ; il s’agissait de renvoyer à la pauvreté, à la barbarie
et à la servitude ces bourgeois insolents
qui osaient se croire hommes à côté des nobles. »
Simonde de SISMONDI
Simonde de SISMONDI (1773-1842), Histoire des Français (1821-1844)
L’historien voit dans la dévastation de la Flandre en 1213 une tentative désespérée, menée de concert par
la féodalité, l’Église et la royauté française, pour étouffer dans l’œuf l’esprit de liberté et les promesses
de bouleversement révolutionnaire – ce que représentaient à leurs yeux les prospères et turbulentes
villes flamandes. On trouve la même opinion chez Michelet, dans son Histoire de France.
Cette dévastation est à l’origine de la coalition que Philippe Auguste va trouver contre lui à Bouvines.
197. « Une nation est née. La bataille de Bouvines
est le premier événement national de notre histoire. »
Achille LUCHAIRE
Achille LUCHAIRE (1846-1908), Philippe Auguste et son temps (réédité en 1980)
Philippe Auguste s’est aliéné Jean sans Terre, nouveau roi d’Angleterre, en lui confisquant ses fiefs sur
le continent. En 1214, Jean sans Terre et Othon de Brunswick, empereur d’Allemagne, forment contre le
roi de France une coalition qui réunit nombre de grands féodaux, tels Renaud, comte de Boulogne et
Ferrand de Portugal, comte de Flandre. Philippe, appuyé sur les milices communales, va remporter à
Bouvines une victoire considérée par les historiens comme « la défaite majeure de la haute féodalité ».
198. « Ma couronne au plus brave ! »
PHILIPPE II Auguste
PHILIPPE II Auguste (1165-1223), à ses troupes, avant la bataille de Bouvines, 27 juillet 1214
Chroniques du ménestrel de Reims (contemporain anonyme et souvent cité, éditions posthumes à partir du XIXe siècle)
Le roi remporta la victoire et conserva la couronne. Il fait mieux encore. À partir de cette date, la
royauté française va développer sa suzeraineté sur les féodaux encore si puissants. Et la dynastie
capétienne s’en trouve légitimée. C’est de cette date que Philippe II, Roi Très Chrétien, prend aussi le
titre d’Auguste.
La victoire met en verve les vainqueurs.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
199. « Nous ne verrons plus sa face aujourd’hui ! »
PHILIPPE II Auguste
PHILIPPE II Auguste (1165-1223), Bouvines, 27 juillet 1214.
Cité par Guillaume le Breton, chroniqueur et témoin de la bataille de Bouvines
Le roi se moque de son ennemi, Othon de Brunswick, empereur d’Allemagne : désarçonné, il s’enfuit
sur un autre cheval que le sien en abandonnant l’aigle impérial. Philippe Auguste enverra cet aigle à
Frédéric de Hohenstaufen, son candidat à la couronne impériale. Et Frédéric profitera de la défaite de
son adversaire pour se faire reconnaître empereur d’Allemagne.
200. « Ferrand, te voilà ferré ! »
Cri des soldats français à la vue de Ferrand de Portugal, après la bataille de Bouvines
La Bataille de Bouvines (1888), Ernest Lavisse
Ferrand, blessé, est couché sur une civière traînée par deux chevaux. Il restera treize ans dans un
cachot de la tour du Louvre.
Le retour des vainqueurs à Paris est triomphal : six jours de festivités. Philippe (devenu) Auguste écrit
à l’Université de Paris : « Louez Dieu ! Nous venons d’échapper au plus grave danger qui nous ait pu
menacer. » Et les pertes françaises sont minimes. Tout s’est joué en trois heures, et dans les rangs des
chevaliers français, seuls dix sont morts.
Selon l’historien médiéviste Jean Favier, Bouvines est « l’une des batailles décisives et symboliques de
l’histoire de France » (Dictionnaire de la France médiévale).
201. « Jamais depuis ne fut personne qui osa faire la guerre
au roi Philippe, mais il vécut depuis en grande paix
et toute la terre fut en grande paix un grand moment. »
Un chroniqueur anonyme
Le Dimanche de Bouvines, 27 juillet 1214 (1973), Georges Duby
Philippe Auguste reste dans l’histoire comme un « grand rassembleur de terres » : sous son règne de
quarante-trois ans et celui, éphémère, de son fils Louis, ont été opérées des réunions durables et
importantes au Domaine royal, soit par mariage et héritage (Amiénois, Vermandois, Artois, Boulenois),
soit par conquête (Normandie, Maine, Anjou, Poitou – l’essentiel des fiefs anglais en France).
La paix revenue avec les étrangers, la guerre civile continue : croisade contre les Albigeois presque
ininterrompue de 1209 à 1244.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
202. « J’ai de beaux enfants, par la Sainte Mère de Dieu !
Je les mettrai en gage, car je trouverai bien quelqu’un
qui me prêtera dessus. »
BLANCHE DE CASTILLE
BLANCHE DE CASTILLE (1188-1252), au roi Philippe II Auguste, janvier 1217
Chroniques du ménestrel de Reims (contemporain anonyme et souvent cité, éditions posthumes à partir du XIXe siècle)
Blanche, femme du Dauphin (futur Louis VIII) et belle-fille du roi, s’irrite de ce qu’il lui refuse argent ou
hommes pour aider le prince Louis à prendre la couronne d’Angleterre. Louis peut y prétendre (par sa
femme, petite-fille d’Henri II Plantagenêt), et les grands barons anglais la lui offrent, révoltés contre
Jean sans Terre, roi déplorable et malade caractériel.
La situation se complique, après la mort de ce roi et le changement d’attitude de la nation. Louis,
héritier du trône de France, risque même de périr en terre étrangère, dans cette aventure mal engagée.
Il est battu le 20 mai 1217 devant le château de Lincoln par les troupes royales, commandées par le
régent d’Angleterre Guillaume le Maréchal (70 ans), réputé « le meilleur chevalier du monde ».
Le roi de France craint des complications diplomatiques avec l’Angleterre, s’il intervient ! Mais le
chantage aux héritiers du trône va porter ses fruits.
203. « Gardez vos enfants et puisez à votre gré dans mon trésor. »
PHILIPPE II Auguste
PHILIPPE II Auguste (1165-1223), cédant à sa belle-fille, Blanche de Castille
Chroniques du ménestrel de Reims (contemporain anonyme et souvent cité, éditions posthumes à partir du XIXe siècle)
Heureux et pacifique épilogue. Par le traité de Kingston, 1er septembre 1217, Louis (futur Louis VIII),
dauphin de France, renonce au trône d’Angleterre et se retire du piège anglais, contre une forte
indemnité – 10 000 marcs. La couronne anglaise est aussitôt reprise par Henri III.
Blanche de Castille s’affirme déjà en femme de caractère, mais son attachement au futur Saint Louis
passera les bornes de l’amour maternel.
204. « Après qu’il fut quelque peu affaibli et chu en vieillesse,
[Philippe Auguste] n’épargna pas son fils,
il l’envoya par deux fois en Albigeois à grand ost
pour détruire la bougrerie de la gent du pays. »
Grandes Chroniques de France
La croisade contre les Albigeois est l’un des épisodes sanglants de l’histoire de France. Le Dauphin est
allé mettre en vain le siège devant Toulouse, en 1219. Mais il prend Marmande, la même année.
Devenu roi, Louis VIII le Lion ne règne que trois ans (1223-1226). Il poursuit cette croisade intérieure, et
remporte par ailleurs des succès contre les Anglais d’Henri III.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
205. « Noël ! Noël ! Que Notre Seigneur donne bonne et longue vie à
Notre Sire ! Qu’Il le défende contre ses ennemis ! Noël ! Noël ! »
Cri du peuple après l’échec du complot, novembre 1227
Saint Louis (1957), Jacques Levron
De Montlhéry à Paris, gens en armes et gens sans arme expriment leur joie.
Les grands vassaux (le duc de Bretagne et le comte de Boulogne), soutenus par Henri III d’Angleterre,
ont conçu le projet d’enlever le roi Louis IX âgé de 13 ans et de le soustraire à la tutelle de sa mère, la
régente Blanche de Castille, veuve de Louis VIII.
Mais le complot est éventé, grâce aux milices parisiennes. Le jeune roi et la régente, réfugiés à Montlhéry,
sont ramenés en triomphe à Paris.
206. « Roi ne suis, ni prince, ni duc, ni comte aussi,
Je suis le sire de Coucy. »
Devise des COUCY, noble famille de Picardie
Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig
Enguerrand III de Coucy, dit le Grand, ou le Bâtisseur, qui combattit à Bouvines auprès de Philippe
Auguste, participe aux révoltes féodales, durant la minorité de Louis IX, entre 1226 et 1234.
Après sa mort accidentelle en 1243, et celle de son fils Raoul II au cours de la septième croisade (à la
Mansourah), Enguerrand IV recueillera l’héritage familial.
Cette devise familiale résonne comme celle des princes de Rohan (maison de Bretagne aux multiples
branches) : « Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis. »
207. « On voit bien que c’est le Diable qui a fait le monde,
puisque rien ne nous arrive à souhait. »
RAYMOND VI
RAYMOND VI (1156-1222), comte de Toulouse
Histoire albigeoise (1951), Petrus Sarnensis, Pascal Guébin, Henri Maisonneuve
Cette expression est coutumière au comte, gagné en partie aux thèses cathares selon lesquelles le
monde est créé par Satan et mauvais, lorsqu’il attend en vain ceux avec qui il a rendez-vous.
Son attitude à l’égard de l’hérésie varie beaucoup, de la tolérance à la répression, selon les circonstances
militaires ou religieuses. Le traité de Meaux-Paris, signé entre Louis IX (Blanche de Castille régente) et
Raymond VII (succédant à Raymond VI) met fin au conflit politique né de l’hérésie, le 12 avril 1229, et
accroît encore le Domaine royal.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
208. « Pour l’honneur de Dieu qui nous a donné
le plus haut honneur sur terre, nous ferons que l’Église de Dieu,
longtemps troublée, soit honorée et conduite à la foi [. . .] que les
excommuniés soient réconciliés conformément au droit canon,
et que s’ils se montrent rétifs, ils soient au bout d’un an
ramenés de force dans l’unité de l’Église. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270), Ordonnance promulguée par le diocèse de Nîmes, vers 1230
Le Moyen Âge : de Hugues Capet à Jeanne d’Arc, 987-1460 (1998), Georges Duby
Cependant, il faudra attendre 1244 et la chute de Montségur, citadelle où se sont réfugiés les Albigeois
(cathares), pour en finir avec la résistance religieuse. Les 205 derniers résistants y seront brûlés.
209. « Bien est France abâtardie !
Quand femme l’a en baillie. »
Hugues de LA FERTÉ
Hugues de LA FERTÉ (première moitié du XIIIe siècle), pamphlet
Étude sur la vie et le règne de Louis VIII (1894), Charles Petit-Dutaillis
« . . . Rois, ne vous confiez mie / À la gent de femmenie / Mais faites plutôt appeler / Ceux qui savent
armes porter. »
Hugues de la Ferté et Hugues de Lusignan sont auteurs de couplets cinglants contre Blanche de
Castille, régente à la mort de Louis VIII (1226), détestée des grands vassaux et assez forte pour les
mater. Pressentant leur fronde, elle a fait sacrer à Reims son fils Louis (11 ans), sans attendre que tous
les grands barons soient réunis.
En 1234, les deux Hugues, soutenus par le roi d’Angleterre, participent avec Raymond VII de Toulouse
à une révolte féodale. L’aventure se terminera par la soumission des vassaux, et la trêve signée avec le
roi d’Angleterre.
La France sort plus grande et renforcée, après les dix ans de régence de cette femme qui a toutes les
qualités (et les défauts) des grands hommes politiques.
210. « Elle ne pouvait souffrir que son fils fût en la compagnie
de sa femme, sinon le soir quand il allait coucher avec elle. »
Sire de JOINVILLE
Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis
Précieux et fidèle chroniqueur du règne de Louis IX, il donne maints exemples de cette fameuse jalousie
d’une mère par ailleurs admirable. Blanche de Castille supporte mal Marguerite de Provence, cette
épouse qu’elle a pourtant choisie pour son fils adoré : le mariage apporta la Provence à la France,
en 1234.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
211. « Hélas !
Vous ne me laisserez donc voir mon seigneur ni morte ni vive ! »
MARGUERITE DE PROVENCE
MARGUERITE DE PROVENCE (1221-1295), à Blanche de Castille, 1240
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Cri du cœur de la reine, quand sa belle-mère veut arracher Louis de son chevet. Elle venait d’accoucher
et « était en grand péril de mort ». La reine donnera douze enfants au roi, dont sept vivront.
La régence de Blanche de Castille s’est achevée à la majorité du jeune roi, qui la laisse gouverner encore
pendant huit ans. Elle sera de nouveau régente, quand son fil part à la croisade, en 1248. Marguerite
accompagnera son seigneur, sûre de pouvoir ainsi le voir et l’avoir bien à elle – une raison avancée par
certains historiens.
212. « Seigneurs, sachez : qui or ne s’en ira
En cette terre où Dieu fut mort et vif,
Et qui la croix d’outre-mer ne prendra
Grand-peine aura à gagner paradis. »
THIBAUD IV
THIBAUD IV (1201-1253), comte de Champagne, chant de croisade
Troubadours et trouvères (1960), France Igly
Guerrier aux côtés de Louis VIII le Lion contre les Anglais et en croisade contre les Albigeois, Thibaud
prit la tête de la première révolte des barons voulant empêcher Blanche de Castille de faire sacrer un
peu trop vite son fils (1226). Mais il s’est bientôt soumis au jeune roi, et rallié à la régente. Il en est même
passionnément épris, et compose des poèmes d’amour courtois qu’il expose, sur les murs de ses palais.
Trouvère le plus réputé de son temps, surnommé Thibaud le Chansonnier et salué par Dante dans sa
Divine Comédie, il compose cette chanson pour la septième croisade, menée par le très pieux Louis IX.
Très pieux lui-même, il participa auparavant à une nouvelle croisade des barons (1239), qui récupéra
une partie du royaume de Jérusalem au cours de la sixième croisade.
213. « Beau sire Dieu, gardez-moi mes gens ! »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270), 1249
L’Épopée des croisades (1936), René Grousset
Prière à Dieu, alors que les Sarrasins lancent des feux grégeois contre son armée.
La septième croisade a conduit le roi en Égypte, maîtresse des Lieux saints. Il part ensuite en Palestine.
Joinville, qui accompagne son roi, admire le guerrier et témoigne : « Jamais ne vis si beau chevalier sous
les armes, car il dominait toute sa suite des épaules, son heaume doré sur le chef, son épée en la main. »
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
214. « Sénéchal, laissons huer cette canaille ;
car par la coiffe Dieu ! nous en parlerons encore, vous et moi,
de cette journée dans les chambres des dames. »
Comte de SOISSONS
Comte de SOISSONS (première moitié du XIIIe siècle) à Joinville (sénéchal de Champagne), pont de Mansourah, février 1250
Histoire de Saint-Louis, texte original de Joinville (publié en 1888)
Alors qu’ils défendent le pont, assaillis par une multitude de mamelouks.
Louis IX est fait prisonnier avec une partie de son armée, après la défaite de Mansourah. Libéré contre
la cession de la ville de Damiette (conquise en juin 1249), il rachète la libération de ses troupes, puis va
passer quatre années en Terre sainte, pour organiser la défense des croisés en Palestine.
La femme du roi, Marguerite, amoureuse et courageuse, toujours à ses côtés, accouchera de trois
enfants. Les pérégrines furent des milliers à se joindre aux hommes partant pour les croisades. Jeanne
Bourin a consacré un livre à ces « aventurières de Dieu » : Les Pérégrines (1992).
215. « La femme que vous haïssiez le plus est morte
et vous en menez un tel deuil !
— Ce n’est pas sur elle que je pleure, sénéchal, mais sur le roi,
mon époux, pour le chagrin que lui cause la mort de sa mère. »
MARGUERITE DE PROVENCE et Sire de JOINVILLE
MARGUERITE DE PROVENCE (1221-1295), répondant à JOINVILLE (vers 1224-1317), sénéchal de Champagne
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Blanche de Castille est morte le 27 novembre 1252, à 64 ans. La reine est donc délivrée de la monstrueuse
jalousie de sa belle-mère, mais Louis IX fut très profondément bouleversé, quand il apprit la nouvelle
en Terre sainte, et sa femme en est témoin.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
216. « Mon cher fils, je te prie de te faire aimer du peuple de ton
royaume ; car en vérité je préférerais qu’un Écossais vînt d’Écosse et
gouvernât le peuple du royaume bien et loyalement,
plutôt qu’on le vît mal gouverné par toi. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270), à son fils aîné Philippe, Fontainebleau, 1254
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Gravement malade et croyant venue l’heure de sa mort, le roi parle au fils qui doit lui succéder (futur
Philippe II le Hardi). Il rentre de croisade après six ans d’absence.
Entre ce retour et son second départ (1270), Louis IX va s’occuper activement du royaume : enquêtes sur
l’administration des baillis et sénéchaux, institution d’une Cour (préfigurant le Parlement) composée
de légistes chargés de rendre la justice, interdiction des guerres privées, tournois et duels judiciaires,
cours de la monnaie royale étendu dans tout le pays, confirmation de la fondation de la Sorbonne,
construction de la Sainte-Chapelle, création de l’hospice des Quinze-Vingts.
Dans ce long Moyen Âge de mille ans, réputé parfois bien sombre, la France de Louis IX connaît un
véritable rayonnement intellectuel et artistique.
217. « S’il advient que les baillis fassent quelque chose de répréhensible
et qu’ils en soient convaincus,
ils seront punis en leurs biens et en leurs personnes. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270), Ordonnance (vers 1255)
Historia, numéros 278 à 283 (1970)
Le roi met l’accent sur la responsabilité des agents de l’État.
Ce même souci de la qualité chez les serviteurs de l’État apparaît dans les enseignements de Louis IX
à son fils aîné Philippe : « Sois diligent d’avoir de bons prévôts, de bons baillis et enquiers-toi souvent
d’eux et de ceux de ton hôtel, comment ils se conduisent et s’il y a en eux aucun vice de trop grande
convoitise, ou de fausseté ou de tromperie » (Testament de Saint Louis).
218. « À justice tenir et à droit rendre, sois loyal et raide [droit]
à tes sujets [. . .] et soutiens la querelle du pauvre
jusqu’à ce que la querelle soit éclaircie. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270), à son fils aîné Philippe, vers 1255
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Le roi est particulièrement soucieux d’une justice équitable, comme en témoigne, par exemple cette
ordonnance stipulant : « Défense aux baillis et aux prévôts de contraindre par menace, peur ou chicane,
nos sujets à payer amende en cachette. »
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
219. « Sire, il nous semble que vous perdez la terre
que vous donnez au roi d’Angleterre, car il n’y a pas droit :
son père la perdit par jugement.
— Nos femmes sont sœurs et nos enfants sont cousins germains ;
c’est pourquoi il convient tout à fait que la paix soit entre nous.
D’ailleurs, il y a grand honneur pour moi dans la paix que je fais
avec le roi d’Angleterre, car il est désormais mon homme lige. »
LOUIS IX et Sire de JOINVILLE
LOUIS IX (1214-1270), répondant à Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), en 1259
Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume), Jean de Joinville
Ce dialogue illustre parfaitement la politique extérieure pacifique du roi – une exception pour l’époque.
Louis IX a signé en 1259 le traité de Paris avec Henri III d’Angleterre : la France rend Limousin, Périgord,
Agenois, Quercy et une part de la Saintonge ; l’Angleterre renonce à Normandie, Touraine, Anjou, Maine,
Poitou et son roi se reconnaît vassal de Louis IX pour la Guyenne (Aquitaine).
L’année précédente, Louis IX a signé le traité de Corbeil avec Jacques Ier d’Aragon : la France renonçait
à Roussillon et Catalogne, l’Aragon à Languedoc (sauf Montpellier) et Provence. Le roi soulignait par
ailleurs que la puissance d’un souverain se mesure autant au nombre et au rang de ses vassaux qu’à
l’étendue de ses domaines.
Ce règlement pacifique des grands conflits territoriaux confère au roi de France un immense prestige
en Europe.
220. « C’est une bonne chose que la paix ; car en terre de paix
ceux qui vont à quatre pieds mangent l’herbe paisiblement ;
et ceux qui vont à deux, labourent la terre
[dont les biens viennent] paisiblement. »
KUBILAI KHAN
KUBILAI KHAN (1215-1294), roi des Tartares (le Grand Khan des Mongols), Lettre à Louis IX (vers 1260)
Œuvre de Jean, sire de Joinville (1867), Natalis de Wailly
Les deux rois s’entendent pour manifester le même amour de la paix. Et c’est chose rare, à l’époque.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
221. « À cause des grandes injures et grandes rapines
qui étaient faites en la prévôté de Paris,
le menu peuple n’osait plus demeurer en la terre du roi,
mais allait demeurer en autres prévôtés et seigneuries. »
Sire de JOINVILLE
Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume)
Tableau de Paris avant que Louis IX ne remédie à telle anarchie, en réorganisant l’administration de la
ville : « Ainsi fut nommé Étienne Boileau, lequel maintint et garda la prévôté tellement que nul larron ni
malfaiteur n’osa demeurer à Paris, car sitôt était-il pendu ou détruit [. . .] Ni parenté, ni lignage, ni or, ni
argent ne le pouvait garantir. Et la terre du roi commença à s’amender et le peuple y vint pour le bon
droit qu’on y faisait. » Étienne Boileau exerça son ministère de 1261 à 1270.
222. « Fluctuat nec mergitur. »
« Il est battu par les flots mais ne sombre pas. »
Devise des marchands d’eau (1268)
Encyclopédie Larousse, article « Devise »
Un siècle plus tard, cette devise deviendra celle de Paris.
223. « Grand péché firent ceux qui lui [à Louis IX]
conseillèrent la croisade, vu la grande faiblesse de son corps. »
Sire de JOINVILLE
Jean de JOINVILLE (vers 1224-1317), Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre saint roi Louis (posthume)
Joinville n’est pas de cette dernière aventure, ayant tenté de dissuader le roi de partir avec ses trois fils,
persuadé qu’il est plus utile en France, à ses sujets.
Le roi n’écoute pas son ami et conseiller, il s’embarque le 1er juillet 1270 pour la huitième (et dernière)
croisade, dans l’espoir de convertir le sultan de Tunisie.
224. « Jérusalem. »
LOUIS IX
LOUIS IX (1214-1270), mot de la fin, le 25 août 1270, devant Tunis
Le futur Saint Louis meurt à 56 ans.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
225. « À qui se pourront désormais
Les pauvres gens clamer
Quand le bon roi est mort
Qui tant sut les aimer. »
Complainte sur la mort de Louis IX (1270)
Histoire générale du IVe siècle à nos jours (1901), Ernest Lavisse, Alfred Rambaud
Les vertus unanimement reconnues de ce roi conduiront à sa rapide canonisation par le pape Boniface VIII.
Il faut des rois de transition, entre les grands rois. Et le règne du successeur commence mal.
226. « Le fils de Saint Louis, Philippe le Hardi,
revenant de cette triste croisade de Tunis, déposa cinq cercueils
au caveau de Saint-Denis. Faible et mourant lui-même,
il se trouvait héritier de presque toute sa famille. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Outre son père Louis IX, le nouveau roi a perdu sa femme, un enfant mort-né, son beau-frère et ami le
roi de Navarre (Thibaud de Champagne), et la femme de ce dernier.
Ce règne si mal commencé ne continue pas mieux : échec de la candidature de Philippe II le Hardi à
l’empire (1273), massacres des Français en Sicile (1282), défaite de la France contre l’Aragon (1285).
227. « La Sicile n’avait pas de pitié à attendre de Charles d’Anjou
[. . .] S’il n’y eût encore que l’antipathie nationale
et l’insolence de la conquête, le mal eût pu diminuer.
Mais ce qui menaçait d’augmenter, de peser chaque jour davantage,
c’était un premier, un inhabile essai d’administration,
l’invasion de la fiscalité, l’apparition de la finance
dans le monde de l’Odyssée et de l’Énéide. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Charles d’Anjou est l’oncle de Philippe III et, selon l’historien, le véritable chef de la maison de France
pendant ce règne.
Le royaume de Naples-Sicile lui a été attribué par le pape Urbain IV en 1266. Un incident mineur – la
main portée par un Français sur une fille de la noblesse sicilienne – déclenche le massacre des Français,
le lundi de Pâques (30 mars 1282) : les Vêpres siciliennes. Après Palerme, Messine se soulève le 28 avril.
Les Français sont expulsés de Sicile, mais gardent Naples.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
228. « Je deviens votre homme, des terres que je tiens de vous,
deçà la mer, selon la forme de la paix qui fut faite entre nos ancêtres. »
ÉDOUARD Ier
ÉDOUARD Ier (1239-1307), venu rendre hommage à Philippe IV le Bel, 5 juin 1286
Histoire de la France depuis la fondation de la monarchie, tome II (1840), Édouard Mennechet
Le roi d’Angleterre fait allégeance, pour ses possessions aquitaines, au nouveau roi de France (petit-fils
de Louis IX) âgé de 18 ans, en lui rappelant l’accord passé entre Louis IX et Henri III.
229. « Nous qui voulons toujours raison garder. »
PHILIPPE IV le Bel
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Lettre au roi d’Angleterre Édouard Ier, 1er septembre 1286
Histoire de la France (1947), André Maurois
Il écrit ces mots à 18 ans, son destinataire en a 47. L’un des premiers actes du jeune roi est de rendre
à son « cousin » une partie des terres lui revenant (entre Quercy, Limousin et Saintonge), au terme
d’un précédent traité non appliqué. Le roi d’Angleterre, par ailleurs duc de Guyenne, est vassal du roi
de France pour toutes ses possessions dans le pays, d’où des relations complexes – il faut ménager la
susceptibilité de l’un ou l’autre souverain !
Cette lettre fait suite à la visite d’Édouard Ier venu à Paris rendre hommage à son suzerain, et à divers
remous diplomatiques.
Le même précepte est repris par Philippe le Bel dans ses Enseignements aux dauphins. Et Richelieu dira
plus tard : « La raison doit être la règle et conduite d’un État. »
Le proverbe reste, débarrassé du « nous » royal, mais gardant l’inversion quelque peu vieille France : « Il
faut toujours raison garder. »
230. « Ce n’est ni un homme ni une bête, c’est une statue. »
Bernard SAISSET
Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), parlant de Philippe le Bel
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
L’évêque de Pamiers est ami du pape Boniface VIII, qui a créé cet évêché pour lui. Le portrait qu’il fait
du roi, ennemi déclaré du pape, est fatalement partial.
Mais les adversaires de Philippe le Bel l’appelleront souvent « roi de fer » ou « roi de marbre », il doit
donc y avoir une part de vérité dans ce portrait.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
231. « Fervent dans la foi, religieux dans sa vie,
bâtissant des basiliques, pratiquant les œuvres de piété,
beau de visage et charmant d’aspect, agréable à tous,
même à ses ennemis quand ils sont en sa présence,
Dieu fait aux malades des miracles évidents par ses mains. »
Guillaume de NOGARET
Guillaume de NOGARET (vers 1260-1313), à propos de Philippe IV le Bel
Mémoire à propos de l’affaire du pape Boniface, archives de Guillaume de Nogaret
Chancelier de 1302 à 1313, Nogaret trace ce portrait (flatteur) de son maître. Le personnage demeurera
une énigme, pour les historiens. Disons qu’il sait bien cacher son jeu.
En fait, ce roi législateur, s’inspirant des « bons usages du temps de Saint Louis », a des principes qui ne
résistent pas devant les réalités. C’est le lot de la plupart des hommes d’État, surtout quand ils restent
longtemps au pouvoir – trente ans, pour Philippe le Bel.
L’histoire retiendra à son passif trois grandes affaires de nature différente : les manipulations monétaires,
son conflit aigu avec la papauté, enfin le procès fait aux Templiers.
232. « [Interdiction] à quiconque [. . .] d’oser faire sortir
par terre ou par mer, personnellement ou par député,
hors du royaume, l’or et l’argent sous quelque forme que ce soit,
les armes, les chevaux ou toutes choses servant à la guerre. »
PHILIPPE IV le Bel
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Ordonnance, 17 août 1296
Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Ce texte est l’ancêtre de tous les décrets sur le commerce extérieur et le contrôle des changes. La mesure
prise répond à une nécessité impérieuse : le roi a grand besoin d’argent. Il fait la guerre à l’Angleterre,
à la suite d’une querelle sur les zones de pêche, et à la Flandre son alliée. Or la guerre coûte cher.
233. « Malheureux ! n’oublie pas que, sans l’appui de l’Église,
tu ne pourrais résister [aux rois ennemis]. Que t’arriverait-il si,
ayant gravement offensé le Saint-Siège,
tu en faisais l’allié de tes ennemis et ton principal adversaire ? »
BONIFACE VIII
BONIFACE VIII (vers 1235-1303), Bulle Ineffabilis amor, 20 septembre 1296
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Le pape s’est cru directement visé par l’ordonnance du 17 août dernier, les ressources venues de France
étant nécessaires aux finances pontificales. Il interpelle directement le roi, qui sera à son tour furieux.
Épisode d’un long duel qui embarrasse le clergé de France.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
234. « Nous vous prions de nous accorder d’urgence la permission
de fournir au roi la subvention qu’il demande,
car nous avons lieu de craindre que la détresse du royaume
et chez quelques-uns la mauvaise intention
ne poussent les laïcs à piller les biens des églises,
si nous ne concourons pas avec eux à la défense commune. »
Assemblée du clergé, Lettre à Boniface VIII, 1er février 1297
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Prélats et clercs doivent obéissance au pape, mais, pour mériter la protection du roi, ils doivent verser
des décimes aux coffres de l’État. Le pape s’incline. C’est le début d’une courte trêve avec le roi de
France, au cours de laquelle Louis IX va devenir Saint Louis pour l’histoire.
235. « Je croyais qu’il n’y avait qu’une reine en France,
et j’en vois six cents ! »
JEANNE Iere DE NAVARRE
JEANNE Iere DE NAVARRE (1273-1304), janvier 1300
Histoire de France (1868), Victor Duruy
La reine Jeanne, femme de Philippe le Bel, visite le riche comté de Flandre qui vient d’être annexé par
la France, en représailles du non-respect d’un traité de fidélité. La reine est jalouse de voir les dames
de Bruges (ville réputée pour ses drapiers) vêtues de si somptueux atours : elle parle même de six
cents rivales.
Les Flamands, privés de l’appui du roi d’Angleterre avec lequel ils complotaient jadis, ont dû se
soumettre au roi de France qui poursuit la politique des Capétiens, pour agrandir son royaume. Tous
les moyens sont bons : il a attiré le comte de Flandre par la ruse à Paris, et l’a fait emprisonner. Pour
avoir la Navarre, il en a simplement épousé la reine.
236. « Le roi est un faux-monnayeur
et ne pense qu’à accroître son royaume sans se soucier comment. »
Bernard SAISSET
Bernard SAISSET (vers 1232-vers 1311), 12 juillet 1301
Philippe le Bel et le Saint-Siège de 1285 à 1304 (1936), Georges Alfred Laurent Digard
Philippe le Bel a gardé cette réputation de faux-monnayeur, et ce n’est ni médisance ni légende. Le
faux-monnayage royal consiste, lors de la refonte de pièces de monnaie, à diminuer leur poids en
métal précieux, tout en conservant leur valeur légale. Certaines années, entre 1295 et 1306, la moitié
des recettes royales vient de ce bénéfice sur le monnayage. Bien plus tard, on recourra à la planche à
billets. Ces mesures sont toujours impopulaires, et Philippe le Bel n’est pas un roi aimé du peuple. Mais
avec l’argent ainsi acquis, le roi peut financer des guerres lui permettant d’agrandir son royaume.
Cela dit, les relations vont se tendre entre le roi et le pape. Saisset, évêque de Pamiers et ami de
Boniface VIII, est emprisonné, accusé de complot et propos injurieux contre le roi. Et le pape, homme
de caractère, va réagir l’année suivante, par la bulle Ausculta fili carissime (Écoute, mon très cher fils. . .).
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
237. « Écoute, mon très cher fils. . . »
BONIFACE VIII
BONIFACE VIII (vers 1235-1303), Bulle Ausculta fili carissime, 11 février 1302
Histoire de France depuis l’établissement des Francs dans la Gaule, volume II (1838), Mathieu-Richard-Auguste Henrion
Le pape proclame la souveraineté du Saint-Siège sur les rois, thèse soutenue par son ami l’évêque
de Pamiers, dont il exige la libération. La bulle est lue par l’ambassadeur pontifical, le 11 février 1302,
devant le roi et son Conseil.
Soucieux de se concilier l’opinion publique, Philippe le Bel convoque le 10 avril les prélats, les barons
et les députés du royaume – donc les trois ordres. Le chancelier Flotte fait un résumé tendancieux de
la bulle, à l’instigation du roi qui obtient des États du royaume leur approbation dans sa lutte contre
le pape.
238. « La puissance de mon maître est réelle ; la vôtre est un mot. »
Pierre FLOTTE
Pierre FLOTTE (??-vers 1302), à Boniface VIII
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Chancelier de Philippe le Bel à partir de 1295 et premier laïc à ce poste, traité par le pape de « petit
avocat borgne », puis de « suppôt de Satan », ce grand légiste semble oublier la puissance spirituelle de
la papauté, et l’excommunication toujours possible.
Au-delà du conflit religieux et de la manipulation royale, cette première convocation des États du
royaume (préfiguration des États généraux) marque une étape dans l’entrée de la bourgeoisie en
politique : « Le temps de Philippe le Bel fut une grande époque en France, par l’admission du tiers état
aux assemblées de la nation » (Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations).
239. « Vive la Commune ! Mort aux Français ! »
Cris du peuple de Bruges, 18 mai 1302
Histoire des Français, volume XIX, nos 1711 à 1742 (1836), Simonde de Sismondi
Massacre des Français : ce sont les Mâtines de Bruges, rappelant les Vêpres siciliennes de 1282. Les
« métiers » de Bruges et la plupart des villes flamandes se soulèveront contre le roi de France, en juin.
240. « Connétable, est-ce que vous avez peur de ces lapins,
ou bien avez-vous peur de leur poil ? »
Robert d’ARTOIS
Robert d’ARTOIS (1250-1302), à Raoul de Nesle, Courtrai, 11 juillet 1302
Histoire des Français (1821-1844), Simonde de Sismondi
Robert d’Artois, cousin du roi, juge inutile la stratégie prudente du connétable Raoul de Nesle, chef de
l’armée française, face aux milices communales des Flamands, apparemment en fuite après leur révolte
contre l’occupant. Piqué au vif, le connétable décide de charger. Mais cette fuite n’était qu’un piège, et
les chevaux des cavaliers français vont s’embourber et chuter.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
241. « Là, on put voir toute la noblesse de France
gésir en de profonds fossés, la gueule bée et les grands destriers,
les pieds amont et les chevaliers dessous. »
Frantz FUNCK-BRENTANO
Frantz FUNCK-BRENTANO (1862-1947), Chronique artésienne, 1295-1304
Dans ce désastre de Courtrai périront Robert d’Artois, Raoul de Nesle et Pierre Flotte (le chancelier),
avec 6 000 hommes de pied et chevaliers. La noblesse française est décimée.
Cette « bataille des Éperons d’or » marque un tournant dans l’histoire militaire : pour la première fois,
des fantassins (dits piétons) l’emportent sur les cavaliers. Les précieux éperons sont récupérés par les
Flamands pour orner l’église Notre-Dame de Courtrai. Beaucoup de Belges verront dans cette victoire
l’acte de naissance de leur nation.
242. « Voilà ma tête, voilà mon cou ! Au moins, je mourrai pape. »
BONIFACE VIII
BONIFACE VIII (vers 1235-1303), Palais du pape, Anagni, 7 septembre 1303
Mémoire à propos de l’affaire du pape Boniface, archives de Guillaume de Nogaret
Le roi, excommunié, a chargé Nogaret, nouveau chancelier, d’enlever le pape, pour le faire comparaître
devant un concile qui le déposerait : c’est la malheureuse expédition d’Anagni.
Les envoyés de Philippe le Bel forcent le palais. Le pape, s’attendant à être mis à mort, a revêtu sa
chape la plus précieuse, coiffé sa tiare d’or et de pierreries. Il fait front aux agresseurs, et traite Nogaret
de « fils de cathare ». Nogaret le gifle en le traitant de « patarin » (cathare), et ajoute : « Je veux vous
conserver la vie. Et vous serez jugé, bon gré mal gré. À ces fins, je vous arrête en vertu des règles du
droit public. »
243. « Vive le pape ! Mort aux étrangers ! »
Cris du peuple d’Anagni, 7 septembre 1303
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1912), Paul Vidal de la Blache, Alexandre Saint-Léger,
Alfred Rébelliau
Nogaret ne peut pas arrêter le pape. Le peuple de la ville, les paysans alertés, toute une foule cerne le
palais en poussant ces cris de menace contre Nogaret, Colonna et leurs hommes. Les Français prennent
la fuite, et laissent le pape.
Boniface VIII, 68 ans, épuisé par sa lutte contre le roi de France et bouleversé par les événements
d’Anagni, meurt un mois plus tard. Son successeur Benoît XI apaise le conflit. Clément V (archevêque
de Bordeaux, donc pape français) annule l’excommunication, et décide d’installer la papauté à Avignon
– sa « croix » à lui, ce sera l’affaire des Templiers.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
244. « Cette victoire ne saurait être attribuée à aucun homme.
Elle est l’œuvre de Dieu. »
PHILIPPE IV le Bel
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Mons-en-Pevèle, 10 août 1304
La Revue de France, volume XVI (1936), Marcel Prévost, Raymond Recouly
Le roi, à la tête de son armée, a triomphé de l’armée flamande, composée de 80 000 hommes
commandés par Guillaume de Juliers et Jean de Namur. 6 000 Flamands restent sur le champ de
bataille et Guillaume de Juliers est décapité, sa tête promenée devant la tente de Philippe : deux ans
après, c’est la revanche sur le désastre de Courtrai.
245. « N’aurons-nous donc jamais fait [fini] ?
Je crois qu’il pleut des Flamands ! »
PHILIPPE IV le Bel
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Lille, automne 1304
L’Art de vérifier les dates des faits historiques (1818), David Bailie Warden
Le roi de France, toujours menant ses troupes, renversé avec son cheval, a pu se dégager à coups
de hache. Il met ensuite le siège devant Lille, et pousse cette exclamation, apprenant l’arrivée d’une
nouvelle armée de 60 000 Flamands.
Plutôt que la poursuite de la guerre, il va choisir la diplomatie. Ce sera le traité d’Athis-sur-Orge (23 juin
1305) : les Flamands devront payer une lourde indemnité et démolir toutes leurs fortifications. En gage
d’exécution de ces clauses, Philippe occupe Lille, Douai et Béthune. En 1312, les clauses du traité ne sont
toujours pas exécutées : le roi annexe les trois villes à titre définitif, en vertu du traité de Pontoise, dit
Transport de Flandre. Ainsi, le royaume s’agrandit.
246. « Memento finis. »
« Songe à ta fin. »
Devise des Templiers
Règle et statuts secrets des Templiers (1840), Charles Hippolyte Maillard de Chambure
On peut aussi la traduire par « Pense à ton but ».
Après sa lutte finalement victorieuse contre le Saint-Siège, puis sur les Flamands, la suppression de
l’ordre des Chevaliers de la milice du Temple sera l’un des grands desseins du règne de Philippe le Bel.
Et pourtant, tout commençait bien. . .
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
247. « Les œuvres de piété et de miséricorde, la libéralité magnifique
qu’exerce dans le monde entier et en tout temps le saint ordre du
Temple, divinement institué depuis de longues années, son courage
[. . .] nous déterminent justement [. . .]
à donner des marques d’une faveur spéciale à l’ordre et aux
chevaliers pour lesquels nous avons une sincère prédilection. »
PHILIPPE IV le Bel
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), Lettre datée de 1304
Histoire des sociétés secrètes, politiques et religieuses (1847), Pierre Zaccone
Les Templiers, premier ordre militaire d’Occident, créé en 1119 pour la défense des pèlerins, reviennent
de Terre sainte d’où les derniers descendants des croisés ont été chassés. Ils se replient sur leurs
possessions européennes, disposant par ailleurs d’une force armée considérable pour l’époque
(15 000 lances). Le roi leur octroie de nouveaux privilèges et songe même à entrer dans l’ordre, mais
sa candidature est refusée – selon d’autres sources, le refus concerne le fils du roi.
248. « Chacun de vous fait profession de ne rien posséder
en particulier, mais en commun vous voulez tout avoir. »
Cardinal de VITRI
Cardinal Jacques de VITRI (vers 1170-1240), aux chevaliers du Temple
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Historien et prélat, contemporain de la quatrième croisade (1202-1204), Jacques de Vitri (ou Vitry)
résume fort bien le paradoxe de l’ordre.
Devenus les banquiers des pèlerins et des marchands, puis des rois et des papes, souvent usuriers,
les Templiers ont amassé des richesses immenses. Ainsi, un tiers de Paris – tout le quartier du Temple,
qui a gardé ce nom – vit sous leur protection. Leur fortune et leur puissance font bien des jaloux, leur
arrogance est une injure aux pauvres, et leur sens du secret permet de tout imaginer.
249. « Boire comme un Templier. »
« Jurer comme un Templier. »
Expressions populaires, au début du XIVe siècle
Le Livre des proverbes français, tome I (1842), Antoine-Jean-Victor Le Roux de Lincy
Dictons toujours en cours, même si on en oublie l’origine. Ils donnent une faible idée des vices, crimes
et péchés que la rumeur publique prêtait aux chevaliers. « Le Temple avait pour les imaginations un
attrait de mystère et de vague terreur. Les réceptions avaient lieu, dans les églises de l’ordre, la nuit et
portes fermées. On disait que si le roi de France lui-même y eût pénétré, il n’en serait pas sorti » (Jules
Michelet, Histoire de France).
La rumeur est entretenue par le chancelier Nogaret. Le roi a décidé d’éliminer cet « État dans l’État »,
car les Templiers ne dépendent que de l’autorité du pape. Il veut aussi récupérer une part de leur
fortune – le fameux « trésor ». L’opération secrète sera vite et bien menée.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
250. « L’an 1307 le 22 septembre, le roi étant au monastère de
Maubuisson, les sceaux furent confiés au seigneur Guillaume de
Nogaret ; on traita ce jour-là de l’arrestation des Templiers. »
Registre du Trésor des Chartres
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
La répression est décidée : des plis scellés sont envoyés à l’adresse des baillis et sénéchaux des provinces.
Chaque pli en contient un second également scellé, qui ne doit être ouvert que le 12 octobre. Ainsi le
secret de l’opération contre les Templiers sera-t-il fort bien gardé, durant trois semaines.
Le 13 octobre 1307, les Templiers sont arrêtés dans l’enceinte du Temple à Paris, et pareillement saisis
dans leurs châteaux en province. Ils n’opposent aucune résistance : l’effet de surprise est total, et la
Règle des moines soldats leur interdit de lever l’épée contre un chrétien. Une douzaine a pu fuir ; les
autres, environ 2 000, seront livrés à l’Inquisition.
251. « Cette engeance [. . .] comparable aux bêtes privées de raison,
que dis-je ? dépassant la brutalité des bêtes elles-mêmes [. . .]
commet les crimes les plus abominables [. . .]
Elle a abandonné son Créateur [. . .] sacrifié aux démons. »
PHILIPPE IV le Bel
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314), parlant des Templiers
Les Templiers (1963), Georges Bordonove
On voit jusqu’où peut aller la duplicité de Philippe le Bel pour justifier une action injustifiable sur le plan
de la pure équité. L’affaire des Templiers va durer sept ans.
252. « Comment les Frères ont-ils été reçus au Temple ? [. . .]
— Les a-t-on, après la cérémonie, emmenés derrière l’autel
ou ailleurs, contraints de renier le Christ par trois fois
et de cracher sur la Croix ? [. . .]
— Les a-t-on ensuite dévêtus et baisés en bout de l’échine,
sous la ceinture, sur le nombril et en la bouche,
puis invités à pratiquer la sodomie ? »
Questions posées aux Templiers, Tribunal de l’Inquisition, 19 octobre-24 novembre 1307
Les Templiers (1963), Georges Bordonove
Sur demande du chancelier Nogaret, l’Inquisition mène les interrogatoires. Cette juridiction ecclésiastique
d’exception est compétente pour la répression des crimes d’hérésie et d’apostasie, les faits de sorcellerie
et de magie.
138 Templiers comparaissent, sous l’accusation de mœurs obscènes, sodomie, hérésie, idolâtrie, pratique
de messes noires.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
253. « On n’entendait que cris, que gémissements de ceux
qu’on travaillait, qu’on brisait, qu’on démembrait dans la torture. »
Abbé de VERTOT
Abbé René Aubert de VERTOT (1655-1735), Histoire des Chevaliers hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (posthume, 1742)
Cet abbé fut le témoin des pratiques de l’Inquisition. Élongation, dislocation, brûlures, brodequins,
chevalet, tels sont les moyens utilisés contre les accusés, en octobre et novembre 1307. L’inquisiteur de
France, Guillaume de Paris, confesseur du roi, veille aux interrogatoires. Trente-six Templiers meurent
sous la torture.
Face aux bourreaux, les Templiers avouent en masse, tout ce qu’on veut. Même le grand maître Jacques
de Molay, vraisemblablement pas torturé. Ce qui donnera naissance au « mystère des Templiers » :
étaient-ils si innocents ?
254. « Que le pape prenne garde [. . .] On pourrait croire
que c’est à prix d’or qu’il protège les Templiers, coupables et confès,
contre le zèle catholique du roi de France. »
Pierre DUBOIS
Pierre DUBOIS (vers 1250-vers 1320), Pamphlet, 1308
La Magie et la sorcellerie en France (1974), Thomas de Cauzons
Avocat à Coutances, il écrit ces mots dans le dessein d’effrayer Clément V. Il conclut en clouant au pilori
« les indécis [qui] sont les nerfs des testicules du Léviathan » ! Une image propre à faire trembler un
pape hésitant par nature, bien embarrassé par l’affaire, et par ailleurs malade.
Le pape s’était mollement et tardivement ému du destin des Templiers, leur redonnant quelque espoir
en février 1308 : il suspend l’action des inquisiteurs et annule les procédures engagées par Philippe le
Bel. Fureur du roi ! Et riposte. Pierre Dubois, avocat du roi, écrit donc à sa demande, et le chancelier
Nogaret manœuvre en coulisses.
Clément V, Français d’origine, se soumet bientôt à la volonté royale, et abandonne les Templiers à leur
sort, demandant seulement qu’on y mette les formes, d’un point de vue juridique. Il y aura donc un
nouveau procès, et quelques bulles.
255. « Jamais je n’ai avoué les erreurs imputées à l’ordre,
ni ne les avouerai. Tout cela est faux. »
Frère BERTRAND de SAINT-PAUL
Frère BERTRAND de SAINT-PAUL (fin XIIIe-début XIVe siècle), 7 février 1310
Histoire vivante de Paris (1969), Louis Saurel
Avec lui, 32 Templiers veulent à présent défendre l’ordre, au second procès. Leur attitude a changé du
tout au tout.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
256. « J’avouerais que j’ai tué Dieu, si on me le demandait ! »
Frère AYMERI de VILLIERS-LE-DUC
Frère AYMERI de VILLIERS-LE-DUC (fin XIIIe-début XIVe siècle), 13 mai 1310
Histoire vivante de Paris (1969), Louis Saurel
Les Templiers qui ont avoué en 1307 vont se rétracter, au risque du bûcher. « J’ai reconnu quelquesunes de ces erreurs, je l’avoue, mais c’était sous l’effet des tourments. J’ai trop peur de la mort »,
ajoute Aymeri.
257. « Vox clamantis. »
« La voix qui crie. »
CLÉMENT V
CLÉMENT V (vers 1264-1314), Bulle pontificale qui dissout l’ordre des Templiers, 3 avril 1312
Les Templiers (1963), Georges Bordonove
Acte juridique lu à l’ouverture de la deuxième session, au concile de Vienne : l’ordre a fini d’exister.
Notons que l’expression « Vox clamantis (in deserto) » – soit « La voix qui crie (dans le désert) » – est
la réponse de Jean-Baptiste aux envoyés des Juifs venus lui demander « Qui es-tu ? » (Bible, Nouveau
Testament, Évangile de Jean, 1, 23).
Et par la bulle Ad providam du 2 mai, les biens des Templiers sont transmis aux Hospitaliers. Le
roi, sous prétexte de dettes, en a déjà prélevé la plus forte part possible, mais le fameux « trésor »
demeure introuvable.
258. « Les corps sont au roi de France, mais les âmes sont à Dieu ! »
Cris des Templiers brûlés vifs dans l’îlot aux Juifs, 19 mars 1314
Les Templiers (2004), Stéphane Ingrand
Cet îlot, à la pointe de l’île de la Cité, doit son nom aux nombreux juifs qui ont subi le supplice du
bûcher. Le peuple est friand de ce genre de spectacle, et les Templiers attirent la foule des grands jours.
Cette citation entre dans une catégorie peu fournie : « mot de la fin collectif ».
Ils sont une trentaine de Templiers à rejoindre dans le supplice les deux principaux dignitaires, Jacques
de Molay, le grand maître de l’Ordre, et Geoffroy de Charnay, le précepteur : après quatre ans de prison
et de silence, ils ont proclamé leur innocence et dénoncé la calomnie, à la lecture publique de l’ultime
sentence du 19 mars, sur le parvis de Notre-Dame, face à la foule amassée. C’est comme si le courage
leur revenait soudain. Après sept ans d’« affaire des Templiers », le roi qui veut en finir a ordonné
l’exécution groupée des plus « suspects », le soir même.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
259. « Clément, juge inique et cruel bourreau,
je t’ajourne à comparaître dans quarante jours
devant le tribunal du souverain juge. »
Jacques de MOLAY
Jacques de MOLAY (vers 1244-1314), sur le bûcher dans l’îlot aux Juifs, île de la Cité à Paris, 19 mars 1314
Histoire de l’Église de France : composée sur les documents originaux et authentiques, tome VI (1856), abbé Guettée
Dernières paroles attribuées au grand maître des Templiers. Ce « mot de la fin » est l’un des plus célèbres
de l’histoire, pour diverses raisons.
Quarante jours plus tard, le 20 avril, Clément V meurt d’étouffement, seul dans sa chambre à Avignon,
comme aucun pape avant lui, ni après.
Autre version de la malédiction, tirée de la saga des Rois maudits de Maurice Druon, et du feuilleton
de télévision de Claude Barma, qui popularisa l’affaire des Templiers au XXe siècle : « Pape Clément !
Chevalier Guillaume ! Roi Philippe ! Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y
recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos
races ! »
Nogaret est déjà mort, il y a un an, et il peut s’agir d’un autre Guillaume. Mais le pape va mourir dans
le délai imparti, comme Philippe le Bel, suite à une chute de cheval à la chasse (blessure infectée, ou
accident cérébral).
Plus troublant, le nombre de drames qui frapperont la descendance royale en quinze ans, au point
d’ébranler la dynastie capétienne : assassinats, scandales, procès, morts subites, désastres militaires.
Quant à la treizième génération. . . cela tombe sur Louis XVI, le roi de France guillotiné sous la Révolution.
260. « Pesez, Louis, pesez ce que c’est que d’être roi de France. »
PHILIPPE IV le Bel
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314) à son fils aîné Louis, le jour de sa mort, 29 novembre 1314
La Nouvelle Revue des deux mondes (1973)
C’est le « mot de la fin » politique du dernier grand Capétien.
Certes impopulaire de son vivant et mal aimé de certains historiens, il a fait faire des progrès décisifs
à la royauté : diversification des organes de gouvernement (Parlement, Chambre des comptes, etc.),
grandes ordonnances de « réformation » du royaume, raffermissement de l’État contre la féodalité,
lutte contre la justice ecclésiastique et indispensable centralisation. La France est à présent le pays le
plus riche et le plus peuplé d’Europe.
Son fils va devenir Louis X le Hutin, dit aussi « le Querelleur ». Suivant l’exemple de rapacité de son père,
il dépouille les juifs et les banquiers lombards, et vend des chartes d’affranchissement aux serfs.
Moyen Âge • Capétiens directs • Chronique
261. « La nature humaine est ainsi faite qu’elle ne peut dépasser
le terme qui lui est fixé ; aussi sans plus de phrases avons-nous
décidé de sécher nos larmes, de prier avec vous le Christ pour l’âme
du défunt roi mon frère, et de nous montrer empressé
au gouvernement des royaumes de France et de Navarre. »
PHILIPPE V le Long
PHILIPPE V le Long (1294-1322), accédant à la régence le 5 juin 1316
Histoire de Philippe le Long, roi de France, 1316-1322 (1975), Paul Lehugeur
Louis X le Hutin a régné moins de deux ans. Il meurt le 5 juin – ayant bu de l’eau glacée, étant en sueur
après une partie de jeu de paume. Son frère Philippe devient régent. L’épouse du défunt roi accouche
d’un héritier mâle, Jean Ier Posthume. Il ne vit que cinq jours. Une crise dynastique va s’ouvrir, faute
d’héritier mâle en ligne directe.
262. « Le royaume de France est si noble qu’il ne peut aller à femelle. »
États du royaume, 2 février 1317
Histoire de France (1863), Auguste Trognon
Suite à la mort de Jean Ier, fils posthume de Louis X le Hutin, le deuxième fils de Phlippe IV le Bel se fait
couronner roi sous le nom de Philippe V le Long, le 9 janvier 1317.
Il s’impose avec l’appui des états généraux, au détriment de la fille de Louis X le Hutin, Jeanne de
Navarre. Les représentants de l’État vont plus loin et excluent les femmes de la succession au trône :
résurgence de la loi salique, qui remonte à Clovis et n’était appliquée que localement.
Philippe V meurt en 1322, ne laissant que des filles. Son frère Charles IV, troisième et dernier fils de
Phulippe IV le Bel, accède au trône, et meurt à son tour sans descendance mâle, le 1er février 1328. C’est
la fin des Capétiens directs.
Moyen Âge • Premiers Valois
Premiers Valois
2 février 1328 : Régence de Philippe de Valois
30 août 1483 : Mort de Louis XI
Le royaume se trouve en grand péril. Édouard III d’Angleterre revendique le titre de roi
de France (1337) et commence contre Philippe VI de Valois une guerre si longue que les
historiens lui donneront plus tard le nom de guerre de Cent ans.
Le roi d’Angleterre et son fils, le Prince Noir, battent d’abord les Français à Crécy (1346)
et à Poitiers (1956) : fantassins et archers l’emportent contre les cavaliers français trop
pesamment cuirassés. La guerre de Succession de Bretagne, les menées du roi de Navarre,
Charles le Mauvais, et la Grande Peste apparue à Marseille (1348) ajoutent aux malheurs
de la France.
Les impôts s’alourdissent (gabelle, taille) pour financer non seulement la guerre, mais
aussi la lourde rançon du roi Jean II, prisonnier des Anglais. Les paysans, les Jacques, se
révoltent. Et Paris se soulève contre le pouvoir royal, avec à sa tête le prévôt des marchands,
Étienne Marcel (1358).
Charles V le Sage (1364-1380) rétablit l’autorité royale et confie le commandement des
armées à du Guesclin : le capitaine breton prend la tête des Grandes Compagnies qui
dévastaient le pays et les mène en Espagne combattre les Maures. Fait Connétable de
France, il chasse l’ennemi anglais de presque tout le territoire.
L’espoir revenu est de courte durée. Le nouveau roi, Charles VI, est un enfant et va bientôt
devenir fou. Louis d’Orléans, son frère, et le duc de Bourgogne Jean sans Peur, son cousin,
veulent gouverner. Jean sans Peur fait assassiner son rival (1407) et déclenche une guerre
civile, Armagnacs contre Bourguignons, avant d’être à son tour assassiné (1419). Les
Bourguignons s’allient alors aux Anglais qui ont écrasé les Français à Azincourt (1415). La
reine Isabeau de Bavière donne par traité le royaume de France au fils du roi d’Angleterre,
déshéritant son propre fils, le dauphin Charles.
Jeanne d’Arc arrive quand tout semblait perdu. Pour redonner confiance au dérisoire « roi
de Bourges », la Pucelle délivre Orléans des Anglais, conduit Charles à Reims où il est sacré
(1429). Elle veut libérer Paris aux mains des Bourguignons et des Anglais, mais échoue
devant Compiègne, est emprisonnée à Rouen, jugée, condamnée, brûlée vive (1431).
Charles VII a repris courage : en vingt ans, il « boute » les Anglais hors de France. Il ne leur
reste que Calais. C’est la fin de la guerre de Cent Ans.
Le redressement du pays est spectaculaire, sous le règne de Louis XI (1461-1483) : les
campagnes se repeuplent, les foires se multiplient, les plantations de mûriers et les
manufactures de soieries prospèrent, cependant que l’imprimerie se répand. Le nouvel
ennemi du roi de France, Charles le Téméraire, grand duc de Bourgogne, s’allie au roi
d’Angleterre et se joint aux coalitions de féodaux, mais il meurt sous les murailles de
Nancy (1477). Louis XI est enfin libre d’agrandir le royaume, et de renforcer son autorité
en même temps que l’unité nationale. Dernier grand roi du Moyen Âge, réaliste, rusé, sans
scrupule, il préféra se faire craindre plutôt qu’aimer.
Moyen Âge • Premiers Valois • Prologue
Prologue
Quelques repères
263. « Le roi doit seigneurier au commun profit du peuple. »
CHARLES V le Sage
CHARLES V le Sage (1338-1380)
Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby
Le règne de ce roi a marqué un temps de répit relatif pour la France.
Entouré d’excellents conseillers, souverain plus intellectuel que guerrier, il exprime l’un des aspects
fondamentaux de la fonction royale : l’exercice de l’autorité est subordonné à l’intérêt de la communauté
publique. Il ajoute : « Le respect de cette maxime et l’attention aux sages conseils caractérisent la bonne
policie [politique]. » Cette règle va demeurer une des limites au pouvoir réputé absolu du roi, jusque
sous le règne de Louis XIV.
264. « Temps de douleur et de tentation.
Âge de pleur, d’envie et de tourment.
Temps de langueur et de damnation.
Âge mineur, près du définement. »
Eustache DESCHAMPS
Eustache DESCHAMPS (vers 1346-vers 1406)
Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1987), Georges Duby, Jacqueline Beaujeu-Garnier
Écuyer, magistrat, diplomate et poète prolixe (quelque 80 000 vers à son actif), inventeur de la ballade
– ou du moins l’un des meilleurs précurseurs du genre –, il évoque ici en quatre vers les horreurs de
cette « guerre de Cent Ans », qui va ravager la France, à partir de 1337 et pendant plus d’un siècle. C’est
l’une des périodes les plus sombres de l’histoire.
Et la guerre n’est pas seule en cause. Au début du XIVe siècle réapparaissent des problèmes qu’on
croyait réglés : épidémies mortelles (diphtérie, oreillons, scarlatine), disettes ou famines. À la veille de
la peste noire (1348), les historiens parlent d’un monde plein, suite à plusieurs siècles de croissance
démographique, comme si l’Europe arrivait à une certaine saturation. On revient alors au niveau
démographique de l’an 1000.
Moyen Âge • Premiers Valois • Prologue
265. « Les villes et les châteaux étaient entrelacés les uns dans les
autres, les uns aux Anglais, les autres aux Français, qui couraient,
rançonnaient, et pillaient sans relâche. Le fort y foulait le faible. »
Jean FROISSART
Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques
En dehors d’innombrables anecdotes, ce contemporain fait œuvre d’historien. Ses enquêtes en
Angleterre et en Écosse, en Aquitaine et en Italie, fournissent la matière de quatre livres, la meilleure
source dont on dispose sur la seconde moitié du XIVe siècle et la renaissance chevaleresque en Europe.
La guerre de Cent Ans oppose d’abord les Français aux Anglais, notamment dans ce qu’on appellera
la France anglaise (Aquitaine et Normandie). Mais tout le pays se retrouve déchiré, quand les bandes
mercenaires, entre deux combats, pillent et rançonnent les populations. C’est une pratique courante,
à l’époque.
266. « Paix est trésor qu’on ne peut trop louer.
Je hais guerre, point ne doit la priser. »
Charles d’ORLÉANS
Charles d’ORLÉANS (1391-1465), Ballade, vers 1430
Histoire de la langue française jusqu’à la fin du XVIe siècle (1881), Arthur Loiseau
Ce prince, petit-fils de Charles V et père du futur Louis XII, prisonnier à Azincourt en 1415, demeura
vingt-cinq ans captif en Angleterre, faute de pouvoir payer sa rançon ! « Les chansons les plus françaises
que nous ayons furent écrites par Charles d’Orléans. Notre Béranger du XVe siècle, tenu si longtemps
en cage, n’en chanta que mieux » (Jules Michelet, Histoire de France).
Ces vers disent un désir de paix qui se retrouve dans les deux camps et dans toutes les classes de la
population. Après la reconquête d’une partie de la France anglaise (Nord et Centre), Charles VII et le duc
de Bourgogne, réconciliés, signent la paix d’Arras (1435). Ce renversement des alliances ramène l’espoir
dans le pays. Paris est repris en avril 1436, et le roi y fait une « joyeuse entrée », le 12 novembre 1437.
Mais la paix d’Arras laisse « sans emploi » les bandes de mercenaires bourguignons. Voici revenu le
temps des Grandes Compagnies, des routiers, et des écorcheurs qui sèment le désordre et la terreur.
Une épidémie de peste décime la population, puis c’est la famine. Et la guerre de Cent Ans avec les
Anglais n’est pas finie.
267. « À nul n’appartient d’empêcher les droits du roi. »
François HALLE
François HALLE (seconde moitié du XVe siècle), précepte daté de 1480
Raison d’État, raison de Dieu : politique et mystique chez Jeanne de France (1991), Jean-François Drèze
Avocat général au Parlement, président de l’Échiquier de Normandie, archevêque de Narbonne, il
proclame les droits du roi auquel il doit beaucoup (Louis XI) face aux Grands jadis rebelles. Alors qu’en
1465, le grand féodal Dunois, en révolte avec d’autres princes, osait encore déclarer se soucier de
Louis XI comme d’un « étron de chien » (une crotte de chien).
Moyen Âge • Premiers Valois • Prologue
268. « À déshonneur meurt à bon droit qui n’aime livre. »
Proverbe du Moyen Âge, tiré du Roman de Renart
C’est dire la place primordiale réservée au savoir. Paris s’enorgueillit du fait que les étudiants forment la
moitié de la population, à l’époque des règnes de Jean II le Bon et Charles V le Sage (entre 1350 et 1380).
269. « L’existence de la plupart des femmes
est plus dure que celles d’esclaves entre les Sarrasins. »
Christine de PISAN
Christine de PISAN (vers 1364-vers 1430)
Souvent reproduite, jamais « sourcée », traduction libre du texte original : « Elles usent leur lasse vie ou
lien de mariage par dureté de leurs maris, en plus grande pénitence que si elles fussent esclaves entre
les sarrasins. » Cité dans Les Idées féministes de Christine de Pisan (1973), Rose Rigaud, thèse soutenue
à Genève ; repris dans Visages de la littérature féminine (1987), Évelyne Wilwerth.
Christine de Pisan, l’une des premières femmes de lettres françaises (née en Italie), et est l’une de nos
premières féministes. En cette sombre période du Moyen Âge, le culte de l’amour courtois est en déclin,
alors qu’il a permis aux femmes de la noblesse de s’élever au-dessus de la condition que leur faisait la
loi, durant les deux siècles précédents. La condition des femmes du peuple s’aggrave encore.
270. « Aventurer ses armes,
c’est mettre en aventure la parure de ses enfants et de son lignage. »
Olivier de LA MARCHE
Olivier de LA MARCHE (1426-1502), Mémoires
Chroniqueur et poète du temps, il se plaît à rapporter les exploits des chevaliers dans les joutes et
tournois. La coutume veut que le tournoyeur ne porte pas sur lui les armes de sa famille, mais des
armes de fantaisie, pour ne pas compromettre l’honneur des siens en cas de défaite.
Denis de Rougemont voit dans le tournoi « la synthèse à peu près parfaite des instincts érotiques et
guerriers et de la règle courtoise idéale » (La Tentation de l’Occident). Ce jeu, à la fois spectacle et sport,
culmine au XVe siècle, quand la chevalerie cesse d’être un ordre militaire, après les terribles défaites de
Crécy, Poitiers et Azincourt, face à la piétaille des archers anglais.
271. « La féodalité, ce vieux tyran caduc,
gagna fort à mourir de la main d’un tyran. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, Le Moyen Âge, tome VI
Le tyran est Louis XI. L’historien n’aime guère ce grand roi plein de petitesses. La féodalité est également
attaquée par le peuple. Froissart, cite ce cri lancé lors de la Jacquerie de 1358, par les paysans accablés
de redevances seigneuriales : « Tous les nobles du royaume, chevaliers et écuyers, honnissaient et
trahissaient le royaume, et ce serait grand bien qui tous les détruirait. »
Moyen Âge • Premiers Valois • Prologue
Personnage de Louis XI
272. « Il fut contraint de plaire à ceux dont il avait besoin :
voilà ce que lui apprit l’adversité, et ce n’est pas mince avantage. »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Diplomate de carrière pendant quarante ans et auprès de trois rois successifs, Commynes est aussi un
véritable historien qui sert toujours de référence, auteur de huit livres de Mémoires, sur les règnes de
Louis XI et de Charles VIII. Il parle ici du futur Louis XI, encore dauphin et impatient de régner.
Ayant conspiré contre son père Charles VII, il se réfugie auprès de Philippe de Bourgogne, le plus grand
féodal et, comme tel, l’ennemi en puissance de son père. Devenu roi, Louis XI garde la même attitude,
toujours selon ce chroniqueur fin psychologue : « Entre tous ceux que j’aie jamais connus, le plus avisé
pour se tirer d’un mauvais pas en temps d’adversité, c’était le roi Louis XI, notre maître [. . .] et l’être qui
se donnait le plus de peine pour gagner un homme qui le pouvait servir ou qui lui pouvait nuire. »
273. « Notre roi s’habillait fort court et si mal que pis ne pouvait,
et assez mauvais drap portait toujours, et un mauvais chapeau,
différent des autres, et une image de plomb dessus. »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Tel est le roi âgé de 38 ans, à son avènement en 1461. Historien du XIXe siècle, Michelet lui rendra justice
à ce propos : « Avec la faible ressource d’un roi du Moyen Âge, il avait déjà les mille embarras d’un
gouvernement moderne : mille dépenses publiques, cachées, glorieuses, honteuses. Peu de dépenses
personnelles ; il n’avait pas les moyens de s’acheter un chapeau, et il trouva de l’argent pour acquérir le
Roussillon et racheter la Somme. »
Mais le peuple de Paris s’étonne de l’allure si peu royale de son roi, comme le rapporte le chroniqueur
flamand Georges Chastellain : « Notre roi qui ne se vêt que d’une pauvre robe grise avec un méchant
chapelet, et ne hait rien que joie. »
Moyen Âge • Premiers Valois • Prologue
274. « Est-il possible [. . .] de tenir un roi en plus étroite prison
qu’il ne se tenait lui-même ? [. . .] Ce roi qui s’enfermait
et se faisait garder de la sorte, qui craignait ses enfants
et tous ses proches parents, qui changeait et remplaçait chaque jour
ses serviteurs et commensaux, lesquels ne tenaient biens
et honneurs que de lui, qui n’osait se fier à aucun d’eux
et s’enchaînait lui-même en des chaînes et clôtures extraordinaires ? »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Peur de la mort, duplicité allant jusqu’à la perfidie, art pour nouer des intrigues ou dénouer des situations
parfois compromises par sa propre rouerie, cruauté allant jusqu’à la névrose, tels sont quelques traits
du sombre caractère prêté au roi.
275. « Divide ut regnes. »
« Divise afin de régner. » « Diviser pour régner. »
LOUIS XI
Maxime de LOUIS XI (1423-1483)
Fleurs latines des dames et des gens du monde ou clef des citations latines (1850), Pierre Larousse
Cette maxime politique, énoncée à la Renaissance par Machiavel, fut déjà celle du Sénat romain, et sera
reprise par Catherine de Médicis.
Avec cette autre maxime : « Qui nescit dissimulare, nescit regnare » (« Celui qui ne sait pas dissimuler,
ne sait pas régner »), on a la clé de toute la politique du personnage réaliste et rusé, à la diplomatie
retorse, aux manœuvres sans scrupules, et qui va briser le pouvoir des grands seigneurs féodaux, pour
ouvrir les portes de l’ère moderne.
276. « Louis XI, gagne-petit, je t’aime, curieux homme.
Cher marchand de marrons, que tu sus bien tirer les marrons
de Bourgogne. »
Paul FORT
Paul FORT (1872-1960), Ballades françaises (1898)
Le « prince des poètes » donne ce raccourci des relations entre Louis XI et son cousin le duc de
Bourgogne, Charles le Téméraire : à sa mort, il rattachera son duché à la couronne de France. Le duc
qui détestait ce roi le surnomma (vers 1470) l’« universelle aragne » (araignée).
Moyen Âge • Premiers Valois • Prologue
277. « Qui s’y frotte, s’y pique. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483), devise
Citations historiques expliquées : des origines à nos jours (2011), Jean-Paul Roig
Louis XII prendra la même devise, mais associée au porc-épic. De sorte qu’il y a parfois confusion, dans
certaines sources, entre les deux symboles et les deux rois.
Louis XI se fait craindre et se soucie peu de se faire aimer, à l’image du chardon – ou du fagot d’épines.
Il passe pour égoïste et parcimonieux, voire avare, indifférent à ses deux femmes, Marguerite d’Écosse,
qui se ronge de chagrin et Charlotte de Savoie qui ne fut guère plus heureuse.
Il est détesté des grands féodaux, avec qui il a d’ailleurs comploté contre son père, du temps où il
était dauphin et si impatient de régner. Ils ne cessèrent de comploter contre lui et il les combattit sans
relâche pour le bien de la Couronne. Accomplissant ainsi son devoir de prince, et quels que soient les
moyens utilisés, Louis XI est en cela un grand roi pour la France.
278. « Il était par nature ami des gens de condition moyenne
et ennemi de tous les Grands qui pouvaient se passer de lui.
Personne ne prêta jamais autant l’oreille aux gens, ne s’informa
d’autant de choses que lui, et ne désira connaître autant de gens. »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Bien que peu aimé et peu aimable, Louis XI est plutôt populaire auprès des petites gens, comme
plus tard Henri IV. Écartant du pouvoir tous les Grands, il s’entoure de conseillers de basse extraction,
compères dont il s’entiche, souvent médiocres, sinon suspects – Tristan L’Hermite à l’âme de policier,
Olivier le Dain, dit « Olivier le Mauvais », tantôt barbier, tantôt bourreau, l’arriviste Balue. Tel fut ce
dernier et grand roi du Moyen Âge, si singulier dans l’histoire de la dynastie d’Hugues Capet.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
Chronique (1328-1483)
279. « Qui m’aime me suive ! »
PHILIPPE VI DE VALOIS
PHILIPPE VI DE VALOIS (1294-1350), avant la bataille du mont Cassel, 23 août 1328
Les Proverbes : histoire anecdotique et morale des proverbes et dictons français (1860), Joséphine Amory de Langerack
Première source de cette expression fameuse : les Grandes Chroniques de France de l’abbaye de SaintDenis. C’est le « roman des roys », entrepris à la demande de Louis IX, précieux manuscrit enrichi
d’enluminures, compilation de documents, qui nous conte l’histoire de la monarchie, des origines
jusqu’à la fin du XVe siècle.
Devenu régent à la mort de Charles IV, Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel, s’est fait couronner
roi le 29 mai 1328, la veuve de Charles IV ayant mis au monde une fille posthume, écartée du trône par
la loi salique.
Le roi veut aider Louis Ier de Nevers, comte de Flandre, qui fait appel à lui pour mater la révolte des
Flamands sur ses terres. Il prend conseil auprès des barons qui l’ont élu le 29 mai dernier, mais qui
protestent, trouvant la saison trop avancée dans l’été pour partir en campagne. Mieux vaut attendre. Le
connétable de France, Gautier de Châtillon, n’est pas de cet avis et le dit bien haut : « Qui a bon cœur
trouve toujours bon temps pour la bataille. »
À ces mots, le roi embrasse son connétable (chef des armées) et lance cet appel : « Qui m’aime me suive ! »
Et tous les barons le suivent. L’autorité de ce premier Valois encore contesté s’en trouve renforcée.
280. « Le roi d’Angleterre n’a nul droit de contester mon héritage.
J’en suis en possession et défendrai mon droit
de tout mon pouvoir contre tout homme. »
PHILIPPE VI DE VALOIS
PHILIPPE VI DE VALOIS (1294-1350), 24 mai 1337
Histoire de France racontée par les contemporains (1880), Achille Luchaire et Berthold Zeller
Le roi d’Angleterre Édouard III peut juridiquement prétendre à la succession (comme petit-fils de
Philippe le Bel par sa mère Isabelle de France), mais le sentiment national l’a emporté, et l’assemblée
des barons avait choisi le Français, Philippe. Les relations se tendent à nouveau entre les deux pays.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
281. « Nous conquerrons par notre puissance notre héritage de France,
et, de ce jour, nous vous défions et vous tenons
pour ennemi et adversaire. »
ÉDOUARD III d’Angleterre
ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377), Lettre à Philippe VI de Valois, 19 octobre 1337
Archers et arbalétriers au temps de la guerre de Cent Ans (2006), Joël Meyniel
Cette « lettre de défi » vaut déclaration de guerre. Le roi d’Angleterre, petit-fils de Philippe le Bel par sa
mère, Isabelle de France, revendique son héritage. Philippe de Valois, certes élu par les barons français,
est malgré tout le premier roi à n’être pas fils de roi, mais seulement neveu du dernier Capétien,
dédaigneusement appelé « le roi trouvé », par les Flamands révoltés. Entre la France et l’Angleterre,
c’est la « guerre larvée », avant la guerre ouverte : une guerre dynastique de cent ans !
Fin 1337, premières escarmouches navales et terrestres. Les Anglais veulent s’assurer des alliés sur le
continent : les Flamands, avec qui ils signent un traité de commerce favorable à ces négociants toujours
en quête de débouchés pour leurs draps et leurs laines.
En 1340, Édouard III se proclame « roi de France et d’Angleterre » et sa flotte bat la flotte française à
l’Écluse. Après deux trêves sans lendemain, les Anglais débarquent dans le Cotentin. Multipliant les
raids victorieux, ils remontent la Somme, et arrivent presque aux portes de Paris, à Crécy.
282. « Si lui mua le sang, car trop les haïssait. »
Jean FROISSART
Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), parlant du roi de France face aux Anglais, bataille de Crécy, 26 août 1346
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Le chroniqueur compte par le menu les hauts faits de la chevalerie. Cette fois, le désastre va être complet,
pour les Français. À la vue des Anglais, Philippe VI perd son sang-froid et charge imprudemment. C’est
le premier choc frontal de la guerre de Cent Ans.
Et pour la première fois, l’artillerie apparaît sur un champ de bataille.
283. « Ces bombardes menaient si grand bruit
qu’il semblait que Dieu tonnât, avec grand massacre de gens
et renversement de chevaux. »
Jean FROISSART
Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques, bataille de Crécy, 26 août 1346
Les canons anglais, même rudimentaires et tirant au jugé, impressionnent les troupes françaises, avec
leurs boulets de pierre. L’artillerie anglaise, jointe à la piétaille des archers gallois, décime la cavalerie
française réputée la meilleure du monde, mais trop pesamment cuirassée pour lutter contre ces armes
nouvelles. À cela s’ajoutent un manque d’organisation total, l’incohérence dans le commandement, la
panique dans les rangs.
C’est la fin de la chevalerie en tant qu’ordre militaire. C’est aussi une révolution dans l’art de combattre.
Malheureusement, les Français n’ont pas compris la leçon, à cette première défaite.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
284. « Ouvrez, c’est l’infortuné roi de France. »
PHILIPPE VI DE VALOIS
PHILIPPE VI DE VALOIS (1294-1350), aux gardes du château de la Broye, le soir de la défaite de Crécy, 26 août 1346
Chroniques, Jean Froissart
Le roi demande asile. Après cette bataille mal préparée, mal conduite, mal terminée, il a dû fuir. Tous les
chevaliers qui lui étaient restés fidèles sont morts ou en déroute. Il se repose au château jusqu’à minuit,
avant de repartir pour Amiens. Quand il apprend l’étendue du désastre, il se retire à l’abbaye de Moncel,
pour y méditer plusieurs jours.
Le bilan de Crécy est difficile à faire, les chiffres variant de 1 à 10 selon les sources ! Et Froissart exagère
toujours. Il y a vraisemblablement quelque 1 500 chevaliers français tués, dont 11 de haute noblesse.
Parmi eux, Louis Ier, comte de Nevers et de Flandre, prend le nom posthume de Louis de Crécy.
« Infortuné », cela signifie abandonné par la fortune, par la chance. La légende des Rois maudits s’applique
bien aux Valois, pendant la guerre de Cent Ans, à commencer par Philippe VI. Mais la malédiction
s’étend aussi à la France. C’en est fini du « beau Moyen Âge ». L’expression nous vient du XIXe siècle,
passionnément médiéviste.
285. « Et je me remettrai volontiers, vêtu seulement de ma chemise,
nu-tête, nu-pieds et la corde au cou,
à la merci du noble roi d’Angleterre. »
EUSTACHE de SAINT-PIERRE
EUSTACHE de SAINT-PIERRE (vers 1287-1371), 3 août 1347
Chroniques, Jean Froissart
Froissart conte l’épisode des six bourgeois de Calais avec maints détails, d’autant plus volontiers qu’il
deviendra historien officiel à la cour de Philippine (ou Philippa) de Hainaut, reine d’Angleterre, à qui l’on
doit le happy end de l’histoire.
Les Anglais ont mis le siège devant Calais et, onze mois après, la ville est réduite aux abois. Eustache
de Saint-Pierre, le plus riche bourgeois, vient implorer le roi d’Angleterre pour obtenir le salut de sa ville
en échange de sa vie. Et avec lui, cinq autres se déclarent prêts au sacrifice.
286. « Six des bourgeois les plus notables, nu-pieds et nu-chef,
en chemise et la hart [corde] au col, apporteront les clefs
de la ville et châteaux et de ceux-ci je ferai ma volonté. »
ÉDOUARD III d’Angleterre
ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377), 3 août 1347
Chroniques, Jean Froissart
Le roi, qui a promis la mort à tous les habitants de la ville forcée de se rendre, se ravise et accepte le
sacrifice des six bourgeois, qui se présenteront le lendemain.
Plusieurs hauts personnages de son entourage intercèdent en leur faveur, mais en vain : « Ceux de
Calais ont fait périr tant de mes hommes qu’il convient que ceux-ci meurent aussi. » Quand la reine
d’Angleterre, Philippine de Hainaut, intervient à son tour.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
287. « Ah ! noble sire, depuis que j’ai fait la traversée, en grand péril,
vous le savez, je ne vous ai adressé aucune prière, ni demandé
aucune faveur. Mais à présent je vous prie humblement
et vous demande comme une faveur personnelle,
pour l’amour du fils de sainte Marie et pour l’amour de moi,
de bien vouloir prendre ces six hommes en pitié. »
PHILIPPINE de Hainaut
PHILIPPINE de Hainaut (vers 1310-1369), reine d’Angleterre 4 août 1347
Chroniques, Jean Froissart
La reine, « durement enceinte », s’est jetée aux genoux de son royal époux. Et elle fait preuve de toute
sa vertu chrétienne pour sauver les malheureux.
288. « Ah ! Madame, j’eusse mieux aimé que vous fussiez
ailleurs qu’ici. Vous me priez si instamment que je n’ose
vous opposer un refus, et quoique cela me soit très dur, tenez,
je vous les donne : faites-en ce qu’il vous plaira. »
ÉDOUARD III d’Angleterre
ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377), 4 août 1347
Chroniques, Jean Froissart
Le roi se laisse finalement fléchir par sa femme. « Alors la reine se leva, fit lever les six bourgeois, leur
fit ôter la corde du cou et les emmena avec elle dans sa chambre ; elle leur fit donner des vêtements
et servir à dîner, bien à leur aise ; ensuite elle donna six nobles [monnaie anglaise] à chacun et les fit
reconduire hors du camp sains et saufs. » Propos toujours rapportés par Froissart.
Calais devient anglaise le 3 août 1347, et jusqu’au 6 janvier 1558, lorsque Henri II de France reprendra
la ville à Marie Tudor.
Quant à l’épisode des « bourgeois de Calais », il sera immortalisé dans le bronze par le sculpteur Auguste
Rodin, très inspiré par le récit de Froissart et l’héroïsme des six hommes : monument inauguré à Calais,
en 1895. Œuvre reproduite en 12 exemplaires originaux (selon la législation), dispersés partout dans le
monde. C’est l’un des chefs-d’œuvre du maître Rodin (auquel participa Camille Claudel).
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
289. « Le vulgaire, foule très pauvre, meurt d’une mort bien reçue,
car pour lui vivre, c’est mourir. »
SIMON de Couvin
SIMON de Couvin (??-1367)
Étude historique sur les épidémies de peste en Haute-Auvergne, XIVe-XVIIIe siècles (1902), Marcellin Boudet, Roger Grand
Aux malheurs de la guerre s’ajoute une calamité plus terrible encore. Des vaisseaux génois venus de
Crimée apportent la Grande Peste. Marseille est la première ville touchée en France. En 1348, cette peste
noire fait des ravages en Europe. Selon le chroniqueur belge, « le nombre des personnes ensevelies est
plus grand même que le nombre des vivants ; les villes sont dépeuplées, mille maisons sont fermées à
clé, mille ont leurs portes ouvertes et sont vides d’habitants et remplies de pourriture. »
Selon Froissart, qui cette fois n’exagère pas, un homme sur trois mourut. Dans certaines régions de France,
deux sur trois. Pour l’ensemble de l’Europe, les pertes atteignent entre le quart et la moitié de la population.
290. « Les hommes et les femmes qui restaient se marièrent à l’envi. »
Jean de VENETTE
Jean de VENETTE (vers 1307-vers 1370), La Peste de 1348, chronique
Grand chroniqueur français du XIVe siècle, et supérieur de l’ordre du Carmel à Paris, ses Chroniques
latines couvrent les années 1340 à 1368. Témoin important de la peste de 1348 en France, il décrit de
manière précise les aspects de la maladie, dont on ignore les causes – on incrimine les juifs, les sorcières,
les chats noirs. . . D’où des massacres en série. Quant aux remèdes de la médecine, ils font plus de
mal que de bien, en affaiblissant les corps (saignées, laxatifs). Mais l’épidémie, devenue pandémie, se
termine en quelques mois.
La vie reprend ses droits, avec une vigueur nouvelle. Avant la peste, le curé de Givry (en Bourgogne)
célébrait une quinzaine de mariages par an. En 1349, il en bénit 86, alors que la peste a tué la moitié
de ses ouailles.
291. « On vit des pères tuer leurs enfants, des enfants tuer leur père ;
on vit des malheureux détacher les corps suspendus aux gibets,
pour se procurer une exécrable nourriture.
Des hameaux disparurent jusqu’au dernier homme. »
Chronique du temps
Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Après la peste de 1348, voici la famine de 1349. Par suite de l’épidémie, dans la plupart des provinces,
il n’y a eu ni moissons, ni labours, ni semailles. Le peuple, déjà appauvri, meurt littéralement de faim.
La mort est à ce point présente que les églises s’ornent de danses macabres. La Mort symbolique (squelette
armé d’une faux) entraîne tous les hommes, riches ou pauvres, jeunes ou vieux, innocents ou coupables.
Au total, la guerre de Cent Ans fera beaucoup moins de victimes que ces deux années terribles !
Peste noire et famine ont vidé le Trésor public. Les impôts ne rentrent plus : situation financière si grave
que le roi doit abaisser la teneur en métal précieux des monnaies qu’il fait frapper. On va recourir au
faux-monnayage à grande échelle, comme sous Philippe le Bel.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
292. « Le roi Jean était souvent hâtieux, dans sa haine. »
Jean FROISSART
Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques
Philippe VI meurt le 22 août 1350, après avoir acheté le comté de Montpellier et rattaché le Dauphiné
à la couronne, laissant pourtant le royaume dans un triste état.
Son fils, Jean II, dit le Bon (le brave, l’intrépide) est couronné le 26 septembre 1350 à Reims. Son règne
s’ouvre sur un drame, qui illustre le trait de caractère dénoncé par le chroniqueur.
Raoul de Brienne, « un des plus glorieux chevaliers du royaume », connétable de France, prisonnier au
siège de Cane en 1346, est relâché par les Anglais sans demande de rançon. De là à le croire traître. . .
Le nouveau roi est trop heureux d’écouter ces ragots, d’autant qu’il le soupçonne d’avoir été jadis
amant de sa première épouse. Et quand le connétable se présente devant toute la cour pour rendre
hommage au nouveau roi, il le fait saisir par ses sergents, jeter dans les cachots du Louvre, pour l’en
extraire deux jours plus tard et « sans loi et sans jugement » le faire décapiter le 18 novembre 1350.
293. « Bois ton sang, Beaumanoir, la soif te passera. »
Chevalier de BOVES
Chevalier Geoffroy de BOVES, ou du BOIS (XIVe siècle), à Jean de Beaumanoir, blessé au combat, mars 1351
Ballade de la bataille des Trente, chanson de geste, anonyme, Histoire de la littérature française (1905), Émile Faguet
C’est un épisode de la guerre de Succession de Bretagne, qui relance les hostilités franco-anglaises.
Depuis la mort de Jean III de Bretagne, deux princes se disputent le duché : Jean de Montfort (son
demi-frère) soutenu par le roi d’Angleterre et Charles de Blois (marié à sa nièce), propre neveu du roi
de France et naturellement soutenu par lui.
Le combat des Trente oppose trente Français, commandés par le baron de Beaumanoir, et une troupe
composée de trente Anglais, Allemands et Bretons, commandée par Bemborough, capitaine anglais.
Froissart relate ce fait d’armes « moult merveilleux », c’est surtout un carnage qui va durer tout un jour.
Quand Beaumanoir, suant sang et eau, s’arrête pour demander à boire, l’adversaire lui fait cette réponse
cinglante, et telle est sa colère que la soif lui passe et la force lui revient.
La victoire reste aux Français (six morts, contre neuf Anglais) et la Bretagne à la France. Après la prise
de Calais et le désastre de Crécy, c’est une revanche sur l’ennemi.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
294. « Et pour ce qu’il avait entendu, que les sujets du royaume
se tenaient fortement aggravés de la mutation des monnaies,
[Jean II le Bon] offrit à faire bonne monnaie et durable,
mais que l’on fît autre aide qui fût suffisante pour faire la guerre. »
Grandes Chroniques de France
Le père de Jean II le Bon, Philippe VI, instaura en 1341 ce qui allait devenir la plus grosse ressource du
fisc royal : la gabelle, impôt sur le sel. Cependant, les guerres ont englouti tout l’argent dont le roi Jean
peut disposer. Il convoque alors à Paris les États généraux de langue d’oïl, le 2 décembre 1355.
Le roi promet de ne plus toucher à la valeur de la monnaie : de 1350 à 1355, rien moins que 85 ordonnances
de dévaluation ont ôté à la monnaie royale près des trois quarts de sa valeur en métal précieux.
En échange de cette promesse, les députés, avec à leur tête le prévôt des marchands de Paris, Étienne
Marcel, acceptent de généraliser l’application de la gabelle, et de créer une taxe sur les marchandises
(remplacée l’année suivante par la capitation, impôt par tête plus facile à percevoir). Par ailleurs, ils exigent
d’importantes réformes judiciaires et des garanties sur le droit des personnes : la Grande Ordonnance
du 28 décembre 1355, limitant les pouvoirs du roi, est à comparer à la Grande Charte anglaise.
295. « Le roi [Jean II le Bon] savait que la victoire était déjà
aux mains de ses ennemis. Il ne voulut pas, par une vile fuite,
avilir la couronne et finalement poursuivit le combat. »
Matteo VILLANI
Matteo VILLANI (vers 1295-1363), Chronique
(Trois Villani, nés à Florence, vont se relayer pour une interminable et fameuse « Nuova Cronica »
(« Nouvelle chronique »). Le père, Giovanni, écrit 12 livres, suivi par son frère, Matteo, auquel succédera
son fils, Filippo).
Le Prince Noir est le surnom d’Édouard, prince de Galles, fils aîné du roi d’Angleterre Édouard III.
C’est l’un des meilleurs généraux de la guerre de Cent Ans, toujours revêtu d’une sombre armure –
ses ennemis invoquent plutôt la noirceur de son âme. Il débarque à Bordeaux en septembre 1355,
ravage le sud-ouest et le centre de la France. Le roi de France, Jean II le Bon, décide d’arrêter cette
chevauchée meurtrière.
Fort attaché à l’esprit de chevalerie, le roi a créé en 1352 l’ordre de l’Étoile, dont les chevaliers membres
s’engagent à « ne jamais reculer sur le champ de bataille de plus de quatre arpents ». Ce serment va
avoir de dramatiques conséquences, à la bataille de Poitiers.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
296. « Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche. »
PHILIPPE II de Bourgogne
PHILIPPE II de Bourgogne, dit le Hardi (1342-1404), à Jean II le Bon, bataille de Poitiers, 19 septembre 1356
Histoire de France (1868), Victor Duruy
Le dernier fils du roi, à peine âgé de 14 ans, tente de détourner les coups pour sauver son père. Le
jeune prince ne régnera pas, mais recevra pour son courage la Bourgogne en apanage, et le surnom de
Philippe le Hardi.
Jean le Bon (ou le Brave) aligne 15 000 hommes. Face à lui, 7 000 Anglais et à leur tête, le Prince
Noir – prince de Galles, redoutable chef de guerre. Les archers anglais, bien placés, criblent de flèches
par le côté nos chevaliers français qui ne sont armés et protégés que de face. La défaite de Crécy, dix
ans plus tôt, n’a pas servi de leçon, et les Anglais renouvellent leur tactique gagnante, archers anglais
contre chevaliers français.
297. « Là périt toute la fleur de la chevalerie de France :
et le noble royaume de France s’en trouva cruellement affaibli,
et tomba en grande misère et tribulation. »
Jean FROISSART
Jean FROISSART (vers 1337-vers 1400), Chroniques
Le chroniqueur dresse le bilan de la bataille de Poitiers : « Avec le roi et son jeune fils Monseigneur
Philippe, furent pris dix-sept contes, outre les barons, chevaliers et écuyers et six mille hommes de tous
rangs. » Chiffres considérables pour l’époque et « fortuneuse bataille » pour les Anglais : leur Prince Noir
a capturé le roi de France ! Il a aussi ordonné le massacre des soldats français blessés qui ne pouvaient
payer rançon, chose contraire à toutes les règles de la chevalerie – une légende veut qu’il en ait eu
grande honte devant son père, le roi d’Angleterre, et qu’il ait alors mis son armure à la couleur du deuil.
Jean II le Bon a préféré se rendre plutôt que fuir, pensant que son sacrifice allait sauver l’honneur perdu
de l’armée.
En fait, la France va le payer très cher. Outre la guerre à financer, il faut verser la rançon du roi prisonnier
en Angleterre : 4 millions d’écus d’or, somme proportionnelle à son prestige. Les impôts s’alourdissent
(gabelle et taille). Les paysans pauvres, les Jacques, vont se révolter (d’où le mot de « jacquerie »),
tandis que les Grandes Compagnies (bandes de mercenaires bien organisées) pillent et rançonnent les
plus riches provinces.
Et pour comble, Paris va se soulever contre le pouvoir royal représenté par le dauphin Charles, la guerre
civile s’ajoutant alors à la guerre étrangère.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
298. « Le royaume a été mal gouverné.
Beaucoup de malheurs en ont résulté pour ses habitants,
tant en la mutation des monnaies qu’en réquisitions.
Les deniers que le roi a tirés du peuple ont été mal administrés
et ont été donnés à plusieurs qui ont mal servi. »
Préambule de la Grande Ordonnance du 3 mars 1357, rendue au nom des gens d’Église et des gens des bonnes villes,
sur le rapport de Jean le Coq
Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Texte de 61 articles pour une réforme administrative, imposée par les députés des États généraux
de nouveau réunis, avec le plus véhément d’entre eux, Étienne Marcel. La Grande Ordonnance est
présentée au dauphin Charles, futur Charles V, « lieutenant du roi » en l’absence de son père Jean II,
prisonnier en Angleterre, après la défaite à Poitiers (1356).
L’ordonnance sera abrogée en mai 1359, mais elle marque cependant l’histoire.
299. « Étienne Marcel [est] le premier bourgeois de Paris
qui ait osé proclamer le principe de la souveraineté du peuple
au milieu du XVIe siècle [. . .] Aussi les Parisiens font-ils remonter
jusqu’à lui la longue histoire de leurs révolutions. »
Francis LACOMBE
Francis LACOMBE (1817-1867), Histoire de la bourgeoisie de Paris depuis son origine jusqu’à nos jours (1851)
Étienne Marcel est à l’origine de la première « Charte » arrachée par la bourgeoisie à l’arbitraire
monarchique, sous forme de Grande Ordonnance limitant le pouvoir royal.
Prévôt des marchands de Paris (magistrat équivalent du maire), il joue un rôle considérable aux États
généraux de 1355 et 1357, manifestant une vive opposition au roi Jean II le Bon, puis au dauphin Charles.
Mais cette « révolution légale » échoue. Étienne Marcel va tenter une révolution urbaine.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
300. « Ceux que nous avons tués étaient faux, mauvais et traîtres. »
Étienne MARCEL
Étienne MARCEL (vers 1316-1358), 22 février 1358
Histoire de la bourgeoisie de Paris depuis son origine jusqu’à nos jours (1851), Francis Lacombe
Il vient de faire assassiner devant le dauphin ses deux conseillers, les maréchaux de Champagne et de
Normandie. Paris acclame son prévôt : c’est la première journée révolutionnaire parisienne de l’histoire.
Maître de Paris, Étienne Marcel se rêve peut-être roi de France. Il veut gagner la province à sa cause,
avec la complicité de Charles de Navarre, dit Charles le Mauvais. Petit-fils de Louis X, prétendant le
plus direct à la couronne par les femmes, très frustré de ne pouvoir faire valoir ses droits, ce prince ne
cessera de comploter et de trahir.
Le dauphin, pour affermir son autorité alors que son père est toujours prisonnier des Anglais, a pris le
titre de régent du royaume. Il fuit la capitale, réunit une armée, bloque Paris. Étienne Marcel s’apprête
à livrer la ville aux troupes de Charles le Mauvais, qui a fait alliance avec les Anglais, quand il meurt,
assassiné par Jean Maillard, partisan du dauphin, le 31 juillet 1358. Dès le lendemain, le dauphin rentre
à Paris où ont été massacrés tous les partisans du prévôt.
Étienne Marcel est l’exemple type d’un personnage historique dont l’action et la personne sont jugées
de façons totalement opposées : la gauche encensera cet ancêtre des révolutionnaires « plein de
patriotisme », si dévoué pour son pays, jusqu’à lui faire sacrifice de « sa fortune et de sa vie », alors que
la droite en fait « un émeutier, un assassin et un traître ».
301. « À ceux qui travaillaient la terre,
La terre doit appartenir,
Récompense à la vie austère
D’un illustre peuple martyr :
Et de baraques en baraques
Se levèrent les paysans,
Les va-nu-pieds, les artisans,
Les rudes gars qu’on nommait Jacques. »
Jacques VACHER
Jacques VACHER (1842-1897), chanson évoquant la Jacquerie de 1358
Voix d’en bas : la poésie ouvrière du XIXe siècle (1979), Edmond Thomas
Ardent républicain sous le Second Empire, il créera le premier Caveau stéphanois en 1869, lieu de
poésie, de chansons et d’expression libre, avant de s’enrôler, en 1870, comme franc-tireur républicain.
Une rue de Saint-Étienne porte son nom.
Fils de paysan et lui-même artisan menuisier, il évoque le mécontentement du « petit peuple » dans les
campagnes au Moyen Âge.
Les paysans ont déjà dû payer l’équipement de leurs seigneurs qui se firent battre à Crécy, puis à
Poitiers. Il faut à présent donner pour leur rançon. Décimés il y a dix ans par la peste noire et la famine,
les voilà maintenant pillés par les bandes anglo-navarraises, comme par les soldats du dauphin Charles.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
302. « Plusieurs menues gens de Beauvaisis [. . .]
s’assemblèrent par mouvements mauvais [. . .] et chaque jour
croissaient en nombre et tuaient tous gentilshommes
et gentilles femmes qu’ils trouvaient et plusieurs enfants.
Et abattaient ou ardaient toutes maisons de gentilshommes
qu’ils trouvaient, tant forteresses qu’autres maisons. »
Grandes Chroniques de France
La Grande Jacquerie éclate le 28 mai 1358 à Saint-Leu d’Esserent (actuel département de l’Oise).
Révolte spontanée : c’est la colère du petit peuple (paysans, artisans, bas clergé) qui supporte presque
tout le poids des misères de la guerre. Soutenue au début par Étienne Marcel, elle sera écrasée par une
armée de Charles le Mauvais (roi de Navarre).
303. « [Ils] pillent, ardent, rançonnent, destruent tout le pays,
mettent à mort et tiennent prisonniers tous les hommes
et ravissent et déshonorent toutes les femmes
qu’ils peuvent trouver. »
Chroniques du Laonnois
Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Mêmes événements et témoignages comparables, en Normandie, Bourgogne, Languedoc et un
peu partout en France. Les mercenaires recrutés par les divers belligérants constituent des bandes
solidement armées, qui refusent de se dissoudre en cas de trêve ou de paix et forment les Grandes
Compagnies. La plupart sont retranchées dans des forteresses qu’elles ont conquises et d’où elles
s’élancent pour piller et rançonner alentour. Ce brigandage d’une cruauté et d’une rapacité sans bornes
devient l’un des pires fléaux du Moyen Âge.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
304. « Chose lamentable et vraiment honteuse ! Le roi lui-même,
au retour de sa captivité, a trouvé des empêchements pour rentrer
dans sa capitale ainsi que son fils ; il a été forcé de traiter avec ces
brigands pour voyager plus sûrement à travers ses possessions. »
PÉTRARQUE
PÉTRARQUE (1304-1374)
Histoire de Bertrand Du Guesclin et de son époque (1882), Simon Luce
Le grand poète florentin s’indigne, dans une lettre parlant du roi Jean II le Bon.
En vertu du traité de Brétigny (8 mai 1360) signé entre les rois de France et d’Angleterre, Édouard III
renonce à ses visées sur la Couronne, mais conserve une grande partie de ses conquêtes en France :
Guyenne, Gascogne, Poitou, Aunis, Limousin, Agenais, Rouergue. Jean le Bon est libéré contre une
rançon de trois millions d’écus. Et pour arriver jusqu’à la capitale, le roi lui-même doit traiter avec les
bandits des Grandes Compagnies !
Le dauphin Charles, devenu roi en 1364, enverra contre elles son meilleur chef de guerre, Du Guesclin.
Ce grand capitaine ne peut être partout où elles sévissent. Alors, très habilement, il les rassemble et
prend leur tête en 1365, pour les conduire en Espagne sous prétexte de combattre les Maures. Quand
elles en reviennent pour ravager à nouveau la France, villes et bourgades se sont fortifiées et peuvent
enfin leur résister.
305. « Nous avouerons les Anglais des lèvres,
mais le cœur ne s’en mouvra jamais. »
Les Échevins de La Rochelle, juillet 1360
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Apprenant les clauses du traité de Brétigny qui abandonne au roi d’Angleterre – entre autres terres
– l’Aunis et sa capitale La Rochelle. Ratifié en octobre 1360 à Calais, le traité met fin à la première
« manche » de la guerre de Cent Ans. Les commissaires anglais chargés de prendre possession des
territoires français cédés par le traité arrivent en juillet 1361. La cession ne se fait pas sans mal et sans
pleurs des habitants, comme à Cahors. Des cités telles que Poitiers veulent conserver leurs franchises
et libertés. Quant à l’Aquitaine (Guyenne), elle devient principauté du Prince Noir, le 19 juillet 1362.
306. « Le jeune roi était né vieux. Il avait de bonne heure beaucoup
vu, beaucoup souffert. De sa personne, il était faible et malade.
Tel royaume, tel roi. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1837)
Jean II le Bon meurt le 8 avril 1364 à Londres où il s’est rendu en décembre 1363, pour prendre la place
de son fils Louis d’Anjou – otage des Anglais au terme du traité de paix de Brétigny, il s’était enfui,
violant son serment.
Malgré sa constitution fragile, le futur Charles V a fait preuve lors de sa régence d’un grand sens
politique, face à Étienne Marcel, à Charles le Mauvais roi de Navarre, et aux Anglais.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
307. « Les clercs qui ont sagesse, on ne peut trop honorer,
et tant que sagesse sera honorée en ce royaume, il continuera
à prospérité, mais quand déboutée y sera, il décherra. »
CHARLES V le Sage
CHARLES V le Sage (1338-1380)
Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles le Quint, Christine de Pisan
Le nouveau roi est porté sur les choses de l’esprit, différent en cela de son père Jean II le Bon et de
la plupart des chevaliers de l’époque. Passionné de philosophie et de science, d’astrologie, médecine
et mathématique, il protège l’Université de Paris et crée une grande « librairie », ancêtre de notre
Bibliothèque Nationale, d’où son surnom de Sage (qui signifie savant).
308. « La journée est nôtre, mes amis ! »
DU GUESCLIN
Bertrand DU GUESCLIN (1320-1380), Cocherel, 16 mai 1364
Chronique de Charles le Mauvais (1963), François Piétri
La guerre a repris, après quatre ans de trêve, à la suite du traité de Brétigny (1360) qui a libéré le roi
Jean II le Bon, mais laissé aux Anglais Calais, le Poitou et le Sud-Ouest – soit un tiers de la France.
Les Français ont désormais dans leur rang un vaillant capitaine : Du Guesclin, 45 ans, l’aîné de dix
enfants d’une famille bretonne.
Pour fêter l’avènement du nouveau roi, il affronte près d’Évreux les Anglo-Navarrais, commandés par
Charles le Mauvais. Prenant leçon des erreurs commises à Crécy et Poitiers, Du Guesclin adopte une
nouvelle tactique de harcèlement, contraignant l’ennemi à un corps à corps où les archers anglais
deviennent inutiles.
309. « Le roi leva les mains au ciel et rendit grâce à Dieu
de la bonne victoire qu’Il lui avait donnée. À Reims,
où on craignait une défaite, ce fut un indescriptible enthousiasme
quand un héraut annonça la nouvelle. »
Christine de PISAN
Christine de PISAN (vers 1364-vers 1430), Livre des faits et bonnes mœurs du sage roi Charles le Quint
Charles V est à Reims pour son sacre, le 19 mai 1364, quand il apprend la victoire remportée sur
les Anglais par son capitaine Du Guesclin. Charles le Mauvais signe le traité de Vernon (mai 1365)
et désormais, il ne s’occupera plus que de son royaume de Navarre. Mais la guerre continue avec
les Anglais.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
310. « Il n’y a fileuse en France qui sache fil filer,
qui ne gagna ainsi ma finance à filer. »
DU GUESCLIN
Bertrand DU GUESCLIN (1320-1380), au prince de Galles qui l’a fait prisonnier à Nájera, le 3 avril 1367
Histoire de France, tome III (1837), Jules Michelet
À la demande du roi, Du Guesclin est en Espagne, pays déchiré par la guerre civile : il a emmené
quelques Grandes Compagnies qui ravageaient la France et les a mises au service du nouveau roi de
Castille. Mais son rival, Pierre le Cruel, soutenu par les Anglais, reprend le combat.
Défait dans cette bataille livrée contre son avis, captif avec ses lieutenants, Du Guesclin a fixé lui-même
sa rançon à 100 000 florins. Voyant la stupeur du Prince Noir devant l’énormité de la somme, il l’abaisse
à 60 000. L’ennemi doutant encore d’être payé, Du Guesclin répond fièrement : « Monseigneur, le roi de
Castille en payera moitié, et le roi de France le reste, et si ce n’était pas assez, il n’y a fileuse. . . »
Charles V tient à récupérer son précieux capitaine, libéré après règlement d’une partie de la somme
– les rançons étant alors rarement payées dans leur totalité. Il le fera connétable de France (chef des
armées), en 1370.
311. « Cher sire et noble roi [. . .] je suis un pauvre homme
de modeste origine, et l’office de connétable est si haut et si noble
qu’il faut, si l’on veut bien s’en acquitter, exercer et établir
son autorité très avant, et plutôt sur les grands que sur les petits.
Et voici mes seigneurs vos frères, vos neveux et vos cousins [. . .]
Comment oserai-je étendre sur eux mon commandement ? »
DU GUESCLIN
Bertrand DU GUESCLIN (1320-1380), au roi Charles V, 2 octobre 1370
Chroniques, Jean Froissart
Simple gentilhomme, élevé par le roi à la fonction de chambellan, il craint de ne pouvoir se faire obéir
des hauts barons du royaume, à quoi le roi répond : « Messire Bertrand, ne vous récusez point de la
sorte, car je n’ai ni frère, ni neveu, comme ni baron qui ne vous obéisse ; et si quelqu’un était dans des
dispositions contraires, il me courroucerait tellement qu’il s’en repentirait. Acceptez donc l’offre de bon
gré, je vous en prie. »
Pendant dix ans, presque sans trêve, Du Guesclin va justifier la confiance du roi, reconquérant
méthodiquement sur les Anglais et leurs alliés la majeure partie du pays : Poitou, Maine et Anjou, le
bocage normand, une partie de la Bretagne, presque toute la Normandie. Il refusera seulement, à la fin,
de porter à nouveau la guerre en Bretagne, sa province natale. Ses hommes désertent, lui-même est
soupçonné à tort de trahison et rend son épée de connétable au roi. Charles V reconnaît son erreur et
retrouve son très cher connétable.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
312. « Qui les aurait ouverts, ainsi qu’un porc lardé,
On aurait en leur cœur la fleur de lys trouvé. »
Jean CUVELIER
Jean CUVELIER (XIVe siècle), Chronique de Bertrand Du Guesclin
Le ménestrel de Charles V parle ici des habitants de Poitiers, lors de l’entrée triomphale du connétable
de France, dans cette cité reconquise sur les Anglais, le 7 août 1372.
Le sentiment national s’exprime de plus en plus souvent, dans notre pays en guerre et surtout occupé,
mais peu à peu libéré.
313. « Mieux vaut pays pillé que terre perdue. »
DU GUESCLIN
Bertrand DU GUESCLIN (1320-1380), à Charles V le Sage
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Le roi écoute les conseils de son connétable, à tel point que ce précepte lui est parfois attribué. Ayant
peu de goût pour les armes, contrairement à son père et aux chevaliers du temps, il a d’autant plus
besoin d’un guerrier de valeur à ses côtés.
Du Guesclin sait que les Anglais sont supérieurs en nombre et il évite les grandes batailles toujours
coûteuses en hommes. Il préfère harceler l’ennemi. Et il laissera plusieurs fois les Anglais incendier
récoltes et villages, pour tenir simplement villes et châteaux en Normandie, Bretagne et Poitou.
L’ennemi, dans une marche épuisante et vaine, peut perdre en quelques mois près de la moitié de ses
hommes et de ses chevaux.
314. « Je ne regrette en mourant que de n’avoir pas chassé tout à fait
les Anglais du royaume comme je l’avais espéré ; Dieu en a réservé
la gloire à quelque autre qui en sera plus digne que moi. »
DU GUESCLIN
Bertrand DU GUESCLIN (1320-1380), son mot de la fin, le 13 juillet 1380
Histoire de Bertrand du Guesclin (1787), Guyard de Berville
Le connétable assiége la place forte de Châteauneuf-de-Randon (Lozère). Victime d’une congestion
brutale, il remet son épée au maréchal de Sancerre, pour qu’il la rende au roi dont il demeure « serviteur
et le plus humble de tous ». Restent aux Anglais la Guyenne (Aquitaine), Brest, Cherbourg, Calais.
Le gouverneur anglais de la ville avait dit qu’il ne se rendrait qu’à lui : il déposera les clefs de la cité, sur
son cercueil.
Du Guesclin voulait être enterré en Bretagne, mais Charles V ordonne que sa dépouille rejoigne celle
des rois de France, en la basilique de Saint-Denis. Insigne et ultime honneur.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
315. « Vainqueur de gens et conquéreur de terre,
le plus vaillant qui onques fut en vie,
Chacun pour vous doit noir vêtir et querre [chercher].
Pleurez, pleurez, fleur de la chevalerie. »
Eustache DESCHAMPS
Eustache DESCHAMPS (vers 1346-vers 1406), Ballade sur le trépas de Bertrand Du Guesclin
Capitaine puis connétable, ce guerrier incarna le sentiment patriotique naissant. D’une laideur
remarquable, et d’une brutalité qui fit la honte de sa famille, il gagna le respect de la noblesse, par son
courage, sa force et sa ruse, pour devenir le type du parfait chevalier, héros populaire dont poèmes et
chansons célèbrent les hauts faits. Cette ballade est l’œuvre la plus connue d’Eustache Deschamps.
316. « Au temps du trépassement du feu roi Charles V, l’an 1380,
les choses en ce royaume étaient en bonne disposition [. . .]
Paix et justice régnaient. N’y avait fait obstacle
sinon l’ancienne haine des Anglais [. . .] comme enragés des pertes
qu’ils avaient faites, qui leur semblaient irrécupérables. »
JUVÉNAL DES URSINS
Jean JUVÉNAL (ou JOUVENEL) DES URSINS (1350-1431), Chronique de Charles VI
Le roi suit de près son connétable dans la tombe : il meurt le 16 septembre 1380.
Sous son règne, la France malade des guerres civiles et étrangères, des épidémies et des famines, s’est
enfin relevée. On doit au roi une réorganisation de l’armée dont les soldes sont payées régulièrement,
grâce à des impôts devenus permanents (fouages, aides, gabelles), mais dont le poids suscite de
graves insurrections urbaines. Le roi, sur son lit de mort, avoue : « Ce sont des choses, qui m’accablent
et me pèsent au cœur. » Pour soulager sa conscience, il abolit les fouages (impôt perçu par foyer). Ce
qui va causer bien des soucis à son successeur.
317. « Vive le roi de France ! Montjoie Saint-Denis ! »
Cris de joie du peuple, 14 novembre 1380
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Le nouveau roi, Charles VI, a été sacré à Reims le 4 novembre. Il n’a que 12 ans et la régence est assurée
par ses quatre oncles. Le peuple a appris la suppression des fouages par le feu roi et l’un des oncles
surenchérit en promettant la suppression des aides. Quand une assemblée comparable à des États
généraux décide d’abolir tous les impôts, c’est l’explosion de joie du peuple.
Mais la guerre continue et il faut payer les soldes des soldats. Le début du règne, compromis par la
rivalité des quatre oncles – duc d’Anjou, de Bourgogne, de Berry et de Bourbon – va être marqué par
de graves troubles intérieurs, souvent d’origine fiscale, suivis de dures répressions. Ainsi à Paris, toutes
les franchises (privilèges limitant l’autorité du roi) sont abolies et la prévôté des marchands (juridiction
de police municipale) supprimée. À la Toussaint 1388, le roi qui a 20 ans entreprend de gouverner en
personne, avec les « Marmousets », anciens ministres de son père : c’est l’espoir d’un retour à la « bonne
police ». Mais l’espoir ne va pas durer.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
318. « Roi, ne chevauche plus avant, mais retourne, car tu es trahi. »
Homme apostrophant le roi, 4 août 1392
Chroniques, Jean Froissart
Charles VI, privé de grand chef militaire, mène une guerre quelque peu vaine et anarchique contre
les Anglais. Tout juste remis d’une fièvre typhoïde, il prend la route de la Bretagne avec son armée.
Il traverse la forêt du Mans, quand un homme lui apparaît, lépreux en haillons, hurlant cette terrible
mise en garde au roi. Il est fasciné par le misérable, lorsque le bruit d’une lance heurtant un casque
déclenche en lui un terrible réflexe : se croyant trahi dans sa tête déjà malade, il se rue sur son escorte
qui fuit, tue néanmoins quatre hommes.
Quand l’épée du roi se brise enfin sur une armure, ses compagnons le maîtrisent à grand-peine et
l’attachent à un chariot. L’escorte reprend le chemin du Mans. On crut qu’il allait mourir, il revient à la
vie. Mais son désespoir fut si grand des « crimes » commis par lui durant cette scène, qu’il ne s’en remit
jamais tout à fait. Le drame du bal des Ardents où il faillit mourir brûlé vif et où il vit « arder » quatre
invités de la noce provoqua une grave rechute dans la folie de Charles VI surnommé le Fou ou le Fol,
mais aussi le Bien-Aimé, par son peuple qui l’eut toujours en pitié.
319. « Je suis le duc d’Orléans. »
Et aucuns d’iceux en frappant sur lui, répondirent :
« C’est ce que nous demandons. »
Dialogue entre le duc Louis d’ORLÉANS (1372-1407) et ses assassins, le 23 novembre 1407
Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet
À partir de 1400, Charles VI n’a plus que de rares éclairs de conscience. Les sages Marmousets étant
renvoyés depuis longtemps, le frère du roi, Louis d’Orléans, soutenu par la reine Isabeau de Bavière,
dispute la domination du royaume à son oncle, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et après 1404, au
fils de Philippe, Jean sans Peur – qui sait se rendre populaire auprès de l’Université, des marchands et
du petit peuple de Paris, en demandant la « réformation de l’État ».
Le 23 novembre 1407, dix-huit hommes au service de Jean sans Peur se jettent sur le duc d’Orléans,
alors qu’il sort de l’hôtel Barbette, rue Vieille du Temple à Paris, où réside sa maîtresse, la reine Isabeau.
Ils le tuent sauvagement : tyrannicide salutaire contre celui qui exerçait « seigneurie à son propre et
singulier profit », plaide Jehan Petit, docteur en théologie faisant l’apologie publique de ce meurtre.
320. « Rien ne m’est plus, plus ne m’est rien. »
Valentine VISCONTI
Valentine VISCONTI (1368-1408), duchesse d’Orléans, janvier 1408. Sa devise
Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet
Elle a vainement demandé justice auprès du roi, suite à l’assassinat de son mari. Elle prend cette triste
devise inscrite sur la dalle mortuaire, et va sans fin se recueillir devant le gisant du duc. Elle mourra
l’année suivante.
Mais auparavant, la veuve et son fils Charles (futur Charles VII) veulent venger cette mort. Charles a
épousé la fille du comte d’Armagnac et ils vont pouvoir compter sur les routiers gascons, mercenaires
du comte. Ainsi commence la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, qui va ensanglanter
durablement la France.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
321. « À coup sûr, on n’avait pas plus de pitié à tuer ces gens-là
que des chiens. On disait : c’est un Armagnac ! »
Journal d’un bourgeois de Paris (chronique anonyme des années 1405 à 1449)
Année 1410. Dans Paris, les Bourguignons ont le pouvoir et Jean sans Peur tient le roi, inspire ses
décisions et peuple le Conseil de ses créatures – depuis 1407 et jusqu’en 1413. Cependant que le jeune
duc, Charles d’Orléans, rallie à sa cause les ducs de Berry, Bourbon, Bretagne, contre Jean sans Peur :
ainsi grandit le parti des Armagnacs. Et chaque parti se prétend au service du roi et du bien public.
322. « La misérable face du royaume
a perdu son honneur et sa majesté. »
Jean de COURTECUISSE
Jean de COURTECUISSE (1350-1422), s’adressant au roi dans son sermon sur la Nativité, 23 mai 1413
Histoire du Moyen Âge (1937), Joseph Calmette, Eugène Déprez
Le chancelier de l’Université de Paris, surnommé Docteur Sublime pour son art oratoire, dit la grande
misère du royaume de France, plus que jamais divisé entre Armagnacs et Bourguignons : « Voyez le plat
pays, il est pillé et rongé par les gens d’armes qui ont charge de le défendre et par les gens de justice.
Et comment vos finances sont-elles gérées ? C’est à qui a pu en piller le plus. De tant d’impôts, de tant
d’emprunts, tailles, aides, dixièmes, que vous est-il demeuré ? Rien. »
En avril-mai 1413, des émeutes conduites par Jean Caboche, boucher à Paris, et favorisées par Jean
sans Peur pour mieux éliminer les Armagnacs, excèdent à tel point la population qu’elle accueille avec
joie les nouveaux maîtres, le 1er septembre. Aux Armagnacs de gouverner jusqu’au 28 mai 1418, jour
où les Bourguignons reprennent le pouvoir. La situation devient d’autant plus grave que chaque clan
appelle tour à tour au secours l’ennemi anglais, trop heureux de se mêler des affaires de la France !
323. « Les archers d’Angleterre, légèrement armés, frappaient
et abattaient les Français à tas, et semblaient que ce fussent
enclumes sur quoi ils frappassent [. . .]
et churent les nobles français les uns sur les autres,
plusieurs y furent étouffés et les autres morts ou pris. »
JUVÉNAL DES URSINS
Jean JUVÉNAL (ou JOUVENEL) DES URSINS (1350-1431), Chronique de Charles VI
Le roi d’Angleterre Henri V débarque près de l’embouchure de la Seine, en août 1415. Le 25 octobre,
Anglais et Français s’affrontent à Azincourt.
Les chevaliers français, empêtrés dans des armures pesant plus de 20 kg, sont une fois encore décimés
par les archers anglais. Comme le déclare l’un des témoins oculaires de la bataille, Lefebvre de SaintRémy : « C’était pitoyable chose à voir, la grande noblesse qui là avait été occise, lesquels étaient déjà
tout nus comme ceux qui naissent de rien. »
La seconde période de la guerre de Cent Ans débute bien mal : 7 000 Français tués, pour la plupart
chevaliers, 1 500 prisonniers, dont le duc Charles d’Orléans qui passera vingt-cinq années de captivité
à écrire des poèmes.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
324. « Le royaume de France est une nef qui menace de sombrer. »
Jean de COURTECUISSE
Jean de COURTECUISSE (1350-1422), prêche à Notre-Dame, 22 janvier 1416
Le Redressement de la France au XVe siècle (1941), René Bouvier
Évêque de Paris, il résume le drame du pays. La guerre de Cent Ans ayant repris, la chevalerie française
est à nouveau défaite, suite à la bataille d’Azincourt (1415). Le royaume est frappé « au chef », ayant à
sa tête Charles VI le Fou – dit aussi le Bien-Aimé, le peuple ayant pitié de lui – et une reine détestée,
ambitieuse et débauchée, Isabeau de Bavière. Le roi d’Angleterre, qui vise toujours la couronne de
France, occupe un quart du territoire et anglicise des villes conquises – habitants tués ou expulsés,
remplacés par des Anglais, premier exemple de transfert de population.
Et la guerre civile continue de plus belle. Le 29 mai 1418, les Bourguignons reprennent Paris : massacre
de 522 Armagnacs, dans la nuit. Fuyant la ville jonchée de cadavres « en tas comme porcs au milieu de la
boue », le prévôt des marchands Tanguy du Châtel (chef des Armagnacs) emporte le dauphin endormi
dans ses bras – il n’y reviendra, roi, que vint ans après. Le 12 juin, le connétable Bernard d’Armagnac,
vrai maître du gouvernement, est massacré. Le dauphin Charles devient chef des Armagnacs et se
proclame régent, résidant le plus souvent à Bourges où il a établi sa Chambre des comptes, tandis que
son Parlement et sa Cour des aides siègent à Poitiers. Plusieurs régions se rallient à lui. Cependant que
les Bourguignons tiennent toujours Paris (80 000 morts de juin à septembre, une épidémie de choléra
s’en mêlant) et gardent prisonnier le roi Charles VI le Fou. Il y a deux gouvernements en France.
325. « Quelque guerre qu’il y eût, tempêtes et tribulations,
les dames et demoiselles menaient grands et excessifs ébats. »
JUVÉNAL DES URSINS
Jean JUVÉNAL (ou JOUVENEL) DES URSINS (1350-1431), Chronique de Charles VI
La cour est un lieu de scandale, et Isabeau de Bavière (passée dans le camp des Bourguignons) se
comporte moins en reine de France qu’en courtisane grecque ou en impératrice romaine. Pour ses
débauches, le peuple la surnomme « la grande gaupe », toute la tendresse allant à la maîtresse du roi
fou, Odinette de Champdivers, toujours appelée « la petite reine ».
326. « Mettez-vous la main à votre épée
en la présence de Monseigneur le dauphin ! »
ROBERT de Loire
Messire ROBERT de Loire (première moitié du XVe siècle), au duc de Bourgogne, 10 septembre 1419
Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet
Le dauphin Charles âgé de 16 ans (futur Charles VII) et le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, ont décidé
de se rencontrer à Montereau sur le pont de l’Yonne pour tenter une conciliation, chacun entouré de
dix chevaliers. Le dialogue s’envenime. Charles accuse le duc de manquer à ses engagements et de
chercher à nouveau un rapprochement avec l’Angleterre.
Le duc porte la main à son épée, et Messire Robert de Loire l’apostrophe – on ne doit pas tirer l’épée
devant le roi, non plus que devant le dauphin qui le représente. Sous ce prétexte, Tanguy Du Châtel
(Armagnac) frappe le duc de Bourgogne avec une petite hache. Et les partisans du dauphin l’achèvent.
Le duc d’Orléans assassiné douze ans plus tôt est vengé, mais cela va coûter cher à la France.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
327. « Sire, voici le trou par où les Anglais passèrent en France. »
Paroles d’un moine de Dijon à François Ier
Histoire de la France (1947), André Maurois
Le moine chartreux lui montre (un siècle plus tard) le crâne troué de Jean sans Peur, duc de Bourgogne.
C’est peut-être une légende, mais elle dit vrai : ce meurtre a définitivement jeté les Bourguignons dans
le camp des Anglais.
328. « Dès le temps où notre fils sera venu à la couronne de France,
les deux couronnes de France et d’Angleterre demeurent
à toujours ensemble et réunies sur la même personne [. . .]
qui sera roi et seigneur souverain de l’un et de l’autre royaume ;
mais gardant toutes les lois de chacun, et ne soumettant
en aucune manière un des royaumes à l’autre,
ni aux lois, droits, coutumes et usages de l’autre. »
Traité de Troyes entre la France et l’Angleterre, 21 mai 1420
Histoire des Ducs de Bourgogne, de la Maison Valois 1364-1477 (1837), M. de Barante
Philippe le Bon, duc de Bourgogne (successeur de Jean sans Peur) et Isabeau de Bavière, reine de
France, ont fait signer cet ahurissant traité au pauvre roi fou, Charles VI. Et les États vont ratifier.
Le fils en question est Henri V, roi d’Angleterre, et non pas le dauphin Charles qualifié par ses propres
parents de « soi-disant dauphin ». Henri V de Lancastre consent à laisser la couronne de France à
Charles VI, mais en attendant de lui succéder, il a « la faculté et exercice de gouverner et ordonner la
chose publique ».
En fait, ce traité livre la France aux Anglais. Henri V d’Angleterre conforte encore son héritage le 2 juin,
en épousant la fille de Charles VI, Catherine de France.
329. « Les Français qui se trouvaient sous la domination anglaise
s’étaient, en effet, formé cette opinion des Anglais [. . .]
qu’ils ne recherchaient guère le profit du pays et la tranquillité
de leurs sujets [. . .] Mais que plutôt par cette haine invétérée
et pour ainsi dire innée qu’ils avaient des Français,
ils voulaient les accabler et les faire périr sous le poids des misères. »
Thomas BASIN
Thomas BASIN (1412-1491), Histoire de Charles VI et de Louis XI
Voilà pourquoi les Français n’ont cessé de combattre les Anglais sous le dauphin Charles, malgré ce qu’il
en coûte à la France, et malgré l’état désespéré du parti du dauphin. Mais à côté de ces « résistants », il
y a aussi des « collaborateurs » cherchant avant tout à sauver leurs biens.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
330. « En ces temps, étaient les loups si affamés
qu’ils entraient de nuit dans les bonnes villes et passaient souvent
la rivière de Seine et aux cimetières qui étaient aux champs,
aussitôt qu’on avait enterré les corps, ils venaient la nuit
et les déterraient et mangeaient. »
Journal d’un bourgeois de Paris (chronique anonyme des années 1405 à 1449)
Hiver 1421-1422. La misère n’est pas égale dans tout le royaume. C’est la « France anglaise » qui demeure
la plus pauvre, avec la Normandie occupée par les garnisons, écrasée par les impôts, et les campagnes
bordelaises qui se remettent lentement des récentes dévastations.
331. « Paris, siège ancien de la royale majesté française,
est devenu un nouveau Londres. »
Georges CHASTELLAIN
Georges CHASTELLAIN (vers 1405-1475), Chronique des ducs de Bourgogne (posthume, 1827)
Écuyer flamand au service du duc de Bourgogne, il rappelle qu’en vertu du traité de Troyes (1420),
Henri V de Lancastre s’était installé au Louvre, et Charles VI à l’hôtel Saint-Paul, mais qu’à sa mort, le
roi d’Angleterre deviendrait roi de France : ce 21 octobre 1422, Charles VI vient de mourir. Paris reste
aux Anglais et le parti anglais manifeste sa joie, comme si c’était Noël.
Le royaume se trouve ainsi partagé en trois. La France anglaise est la plus pauvre, surtout la Normandie,
écrasée d’impôts pour maintenir les garnisons et entretenir la cour du régent, le duc de Bedford (Henri V
est mort et Henri VI à peine né). L’État bourguignon, tenu à l’écart des guerres et brigandages, fort bien
géré, est prospère. Le « royaume de Bourges », la France du dauphin Charles, vit au gré d’une politique
fluctuante, entre les rentrées fiscales intermittentes et les intrigues de cour incessantes.
332. « Les François-Anglois commencèrent à crier :
Vive le roi Henri de France et d’Angleterre,
et criaient Noël comme si Dieu fût descendu du ciel. »
JUVÉNAL DES URSINS
Jean JUVÉNAL (ou JOUVENEL) DES URSINS (1350-1431), Chronique de Charles VI
Le parti anglais manifeste ainsi sa joie à la mort de Charles VI, le 21 octobre 1422.
Henri V d’Angleterre étant mort deux mois plus tôt, le roi Henri qu’on acclame est son fils âgé de
10 mois, héritier légitime du royaume de France, en vertu du traité de Troyes (1420). Jean de Lancastre,
duc de Bedford, devient alors régent du royaume de France.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
333. « Labeur a perdu son espérance. Marchandise ne trouve plus
chemin qui la puisse mener, saine et sauve, à son adresse.
Tout est proie ce que le glaive ou l’épée ne défend. »
Alain CHARTIER
Alain CHARTIER (1385-1433), Quadrilogue invectif (1422)
Secrétaire de Charles VI, puis de Charles VII, cet écrivain très renommé en son temps fait dialoguer
quatre personnages allégoriques : la France adjure ses enfants – le Chevalier, le Peuple et le Clergé – de
s’unir pour la sauver.
La cause du dauphin, dérisoire « roi de Bourges » et fragile incarnation de la légitimité nationale, semble
perdue. Les Anglais écrasent à nouveau la cavalerie et l’infanterie françaises, sous les murs de Verneuil
(17 août 1424). La guerre entre les deux royaumes de France et d’Angleterre n’est qu’une suite de
combats douteux et de trêves sans lendemain. Jusqu’à l’arrivée du personnage providentiel.
334. « Une enfant de douze ans, une toute jeune fille, confondant
la voix du cœur et la voix du ciel, conçoit l’idée étrange, improbable,
absurde si l’on veut, d’exécuter la chose
que les hommes ne peuvent plus faire, de sauver son pays. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)
Le personnage inspire sans doute ses plus belles pages à l’historien du XIXe siècle : « Née sous les murs
mêmes de l’église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même,
rapide et pure, de la naissance à la mort. »
D’autres historiens font de Jeanne une bâtarde de sang royal, peut-être la fille d’Isabeau de Bavière et
de son beau-frère Louis d’Orléans, ce qui ferait d’elle la demi-sœur de Charles VII.
Mais princesse ou bergère, c’est bien un personnage providentiel qui va galvaniser les énergies et
rendre l’espoir à tout un peuple – et d’abord à son roi.
335. « En nom Dieu, je ne crains pas les gens d’armes, car ma voie
est ouverte ! Et s’il y en a sur ma route, Dieu Messire me fraiera
la voie jusqu’au gentil Dauphin. Car c’est pour cela que je suis née. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), quittant Vaucouleurs, fin février 1429
Études religieuses, historiques et littéraires (1866), Par des Pères de la Compagnie de Jésus
Elle répond à ceux qui s’effraient en pensant qu’elle va devoir traverser la France infestée d’Anglais et
de Bourguignons. À peine âgée de 17 ans, elle parvient à persuader le sire de Baudricourt, capitaine
royal de Vaucouleurs, de lui donner une escorte. Et elle se met en route pour Chinon où se trouve
le dauphin. Charles VII, bien que son père fût mort il y a sept ans, n’a pas encore été sacré roi comme
le veut la coutume et garde donc le titre de dauphin. Ce qui n’empêchera pas Jeanne de faire alterner
les deux titres, roi et dauphin.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
336. « Je viens de la part du roi des Cieux
pour faire lever le siège d’Orléans et pour conduire le roi à Reims
pour son couronnement et son sacre. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Château de Chinon, 7 mars 1429
Jeanne d’Arc (1860), Henri Wallon
Réponse aux conseillers de Charles VII qui lui demandent pourquoi elle est venue. Curieusement, sa
réponse ne semble pas surprendre les conseillers. Le lendemain, elle est conduite dans la salle du trône,
au château de Chinon.
337. « Gentil Dauphin, j’ai nom Jeanne la Pucelle [. . .] Mettez-moi
en besogne et le pays sera bientôt soulagé. Vous recouvrerez
votre royaume avec l’aide de Dieu et par mon labeur. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), château de Chinon, 8 mars 1429
Jeanne d’Arc, la Pucelle (1988), marquis de la Franquerie
Le dauphin, qui croit d’abord à une farce, est caché parmi ses partisans, et le comte de Clermont placé
près du trône. Au lieu de se diriger vers le comte, Jeanne va directement vers Charles et lui parle ainsi,
à la stupeur des témoins. Leur entretien dure une heure, et restera secret, hormis la dernière phrase.
338. « Je vous dis, de la part de Messire,
que vous êtes vrai héritier de France et fils du roi. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), 8 mars 1429
Jeanne d’Arc (1870), Frédéric Lock
Tels sont les derniers mots qu’elle prononce lors de l’entretien avec le dauphin, et dont elle fera état
plus tard à son confesseur. Jeanne a rendu doublement confiance à Charles : il est bien le roi légitime
de France et le fils également légitime de son père, lui qu’on traite toujours de bâtard.
339. « Dieu premier servi. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), devise
Jeanne d’Arc : le pouvoir et l’innocence (1988), Pierre Moinot
Ni l’Église, ni le roi, ni la France, ni rien ni personne d’autre ne passe avant Lui, « Messire Dieu », le « roi
du Ciel », le « roi des Cieux », obsessionnellement invoqué ou évoqué par Jeanne, aux moments les plus
glorieux ou les plus sombres de sa vie. C’est la raison même de sa passion, cette foi forte et fragile, à
l’image du personnage.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
340. « Roi d’Angleterre et vous, duc de Bedford, rendez à la Pucelle
qui est ici envoyée par le roi du Ciel, les clefs de toutes les bonnes
villes que vous avez prises et violées en France. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Lettre au roi d’Angleterre et au duc de Bedford, 22 mars 1429
Histoire des ducs de Bourgogne et de la maison de Valois (1835), baron Frédéric Auguste Ferdinand Thomas de Reiffenberg
Rappelons que le duc de Bedford est régent, le roi d’Angleterre n’ayant que 8 ans. Par le traité de
Troyes, le roi cumule les deux couronnes, de France et d’Angleterre.
La chevauchée fantastique de Jeanne et de ses compagnons remonte la Loire pour entrer par le fleuve
dans Orléans assiégée par l’ennemi, le 29 avril.
341. « Vous, hommes d’Angleterre, qui n’avez aucun droit
en ce royaume, le roi des Cieux vous mande et ordonne par moi,
Jehanne la Pucelle, que vous quittiez vos bastilles et
retourniez en votre pays, ou sinon, je ferai de vous un tel hahu
[dommage] qu’il y en aura éternelle mémoire. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Lettre du 5 mai 1429
Présence de Jeanne d’Arc (1956), Renée Grisell
Le 4 mai, à la tête de l’armée de secours envoyée par le roi et commandée par le Bâtard d’Orléans
(jeune capitaine séduit par sa vaillance, et fils naturel de Louis d’Orléans, assassiné), Jeanne attaque
la bastille Saint-Loup, et l’emporte. Le 5 mai, fête de l’Ascension, on ne se bat pas, mais elle envoie par
flèche cette nouvelle lettre.
Le 7 mai, elle attaque la bastille des Tournelles. Après une rude journée de combat, Orléans est libérée.
Le lendemain, les Anglais lèvent le siège. Et toute l’armée française, à genoux, assiste à une messe
d’action de grâce.
342. « Entrez hardiment parmi les Anglais !
Les Anglais ne se défendront pas et seront vaincus
et il faudra avoir de bons éperons pour leur courir après ! »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Harangue aux capitaines, Patay, 18 juin 1429
500 citations de culture générale (2005), Gilbert Guislain, Pascal Le Pautremat, Jean-Marie Le Tallec
Nouvelle victoire, à Patay : défaite des fameux archers anglais, et revanche de la cavalerie française.
Ensuite, Auxerre, Troyes, Chalons ouvrent la route de Reims aux Français qui ont repris confiance en
leurs armes et se réapproprient leur terre de France.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
343. « Gentil roi, or est exécuté le plaisir de Dieu
qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre saint sacre,
en montrant que vous êtes vrai roi
et celui auquel le royaume de France doit appartenir. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431)
Jeanne d’Arc (1860), Henri Wallon
Jeanne a tenu parole, Charles est sacré à Reims le 17 juillet 1429 par l’évêque Regnault de Chartres.
Alors seulement, Charles VII peut porter son titre de roi.
Plusieurs villes font allégeance : c’est « la moisson du sacre ». En riposte, le duc de Bedford fait couronner
à Paris Henri VI de Lancastre « roi de France ».
Les victoires ont permis de reconquérir une part de la « France anglaise », mais Jeanne, blessée,
échoue devant Paris en septembre. Après la trêve hivernale (de rigueur à l’époque), elle décide de
« bouter définitivement les Anglais hors de France », contre l’avis du roi qui a signé une trêve avec
les Bourguignons.
Le 23 mai 1430, capturée devant Compiègne, elle est vendue aux Anglais pour 10 000 livres, et
emprisonnée à Rouen le 14 décembre. Les Anglais veulent sa mort. Les juges français veulent y mettre
les formes.
344. « Jeanne, croyez-vous être en état de grâce ?
— Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; si j’y suis,
Dieu veuille m’y tenir. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Rouen, procès de Jeanne d’Arc, 24 février 1431
Jeanne d’Arc (1888), Jules Michelet, Émile Bourgeois
Jeanne va subir une suite d’interrogatoires minutieux et répétitifs, en deux procès. Les minutes sont les
sources originales et précieuses, mais la traduction du vieux français est plus ou moins fidèle et claire.
D’où le recours à diverses sources, pour plus de clarté.
Son premier procès d’« inquisition en matière de foi » commence le 9 janvier 1431, sous la présidence de
Pierre Cauchon, évêque de Beauvais (diocèse où elle a été faite prisonnière). Ce n’est pas sa personne
que l’Église veut détruire, c’est le symbole, déjà très populaire.
Qu’est-ce que l’Église lui reproche ? Le port de vêtements d’homme, sacrilège à l’époque, une tentative
de suicide dans sa prison, et ses visions considérées comme une imposture ou un signe de sorcellerie.
Jeanne est seule, face à ses juges. Charles VII, qui lui doit tant, et d’abord son sacre, l’a abandonnée. Il
ne lui reste plus que sa foi, son Dieu. Elle va résister, jusqu’au 24 mai.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
345. [Question à l’accusée] « Dieu hait-il les Anglais ?
— De l’amour ou de la haine que Dieu a pour les Anglais,
je n’en sais rien ; mais je sais bien qu’ils seront tous boutés
hors de France, excepté ceux qui y périront. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Rouen, procès de Jeanne d’Arc, interrogatoire du 17 mars 1431
Dictionnaire de français Larousse, au mot « bouter »
Pour Pierre Cauchon, rallié à la couronne d’Angleterre comme un tiers de la France à cette époque,
Jeanne est rebelle au pouvoir légitime, au terme du traité signé et ratifié par les deux pays en 1420.
Le procès se déroule selon les règles – de peur d’une annulation ultérieure. Mais la partialité est évidente
dans la conduite des interrogatoires et dans la manière dont on abuse de l’ignorance de Jeanne, qui n’a
pas 20 ans. Et la simplicité de ses réponses est admirable.
346. « Me racontait l’ange, la pitié qui était au royaume de France. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Rouen, procès de Jeanne d’Arc, 9e interrogatoire du 15 mars 1431
Dictionnaire de français Larousse, au mot « pitié »
Elle évoque longuement et à plusieurs reprises ses voix, et rapporte ce que lui disait saint Michel.
L’extrême piété est ce qui frappe le plus, dans les témoignages relatifs aux premières années de Jeanne.
347. [Question à l’accusée]
« Pourquoi votre étendard fut-il porté en l’église de Reims au sacre,
plutôt que ceux des autres capitaines ?
— Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur. »
JEANNE d’ARC
JEANNE d’ARC (1412-1431), Procès, 9e interrogatoire du 15 mars 1431
Dictionnaire de français Larousse, au mot « peine »
Le calme bon sens de la jeune fille l’emporte sur tous les pièges du frère. Le théâtre et le cinéma ont
repris, presque au mot à mot, ce dialogue.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
348. « Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte. »
Secrétaire du roi d’Angleterre, après l’exécution de Jeanne, Rouen, 30 mai 1431
Histoire de France, tome V (1841), Jules Michelet
Le mot est aussi attribué à l’évêque de Beauvais, Pierre Cauchon.
En fin de procès, le 24 mai, dans un moment de faiblesse, Jeanne abjure publiquement ses erreurs et
accepte de faire pénitence : elle est condamnée au cachot. Mais elle se ressaisit et, en signe de fidélité
envers ses voix et son Dieu, reprend ses habits d’homme, le 27 mai. D’où le second procès, vite expédié :
condamnée au bûcher comme hérétique et relapse (retombée dans l’hérésie), brûlée vive sur la place
du Vieux-Marché à Rouen, ses cendres sont jetées dans la Seine. Il fallait éviter tout culte posthume de
la Pucelle, autour des reliques.
Jeanne ne sera béatifiée qu’en 1909, et canonisée en 1920. Mais Charles VII ayant repris Rouen ordonnera
le procès du procès, qui casse en 1456 le premier jugement, et réhabilite la mémoire de Jeanne.
349. « Souvenons-nous toujours, Français, que la patrie, chez nous,
est née du cœur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes,
du sang qu’elle a donné pour nous. »
Jules MICHELET
Jules MICHELET (1798-1874), Jeanne d’Arc (1853)
Charles VII qui n’a rien tenté pour sauver Jeanne, fit procéder à une enquête quand il reconquit Rouen
sur les Anglais. Le 7 juillet 1456, on fit le procès du procès, d’où annulation, réhabilitation.
Princesse (bâtarde de sang royal) ou simple bergère de Domrémy, petit village de la Lorraine, le mystère
nourrit la légende, et la fulgurance de cette épopée rend le sujet toujours fascinant, six siècles plus tard.
La récupération politique est une forme d’exploitation du personnage, plus ou moins fidèle au modèle.
L’histoire de Jeanne inspirera aussi d’innombrables œuvres littéraires, cinématographiques et artistiques,
signées : Bernard Shaw, Anatole France, Charles Péguy, Méliès, Karl Dreyer, Otto Preminger, Roberto
Rossellini, Robert Bresson, Luc Besson, Jacques Rivette, Jacques Audiberti, Arthur Honegger, etc. Et
L’Alouette de Jean Anouilh : « Quand une fille dit deux mots de bon sens et qu’on l’écoute, c’est que
Dieu est là [. . .] Dieu ne demande rien d’extraordinaire aux hommes. Seulement d’avoir confiance en
cette petite part d’eux-mêmes qui est Lui. Seulement de prendre un peu de hauteur. Après Il se charge
du reste. »
350. « Mais où sont les neiges d’antan ? [. . .]
Et Jeanne la bonne Lorraine
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen ? »
François VILLON
François VILLON (vers 1431-1463), Le Grand Testament, Ballade des dames du temps jadis (1462)
Un des premiers poètes à lui rendre hommage est Villon, né (vraisemblablement) l’année de la mort
de Jeanne.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
351. « Je promets à Dieu que cette [paix]
sera entretenue de ma partie et que jamais ne l’enfreindrai. »
Hugues de LAUNOY
Hugues de LAUNOY (première moitié du XVe siècle), au nom du duc de Bourgogne
Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet
Après la reconquête d’une partie de la « France anglaise » (Nord et Centre), le roi de France Charles VII
et le duc de Bourgogne, enfin réconciliés, signent la paix d’Arras, le 21 septembre 1435.
Ce renversement des alliances, même au prix d’importantes concessions territoriales de Charles VII,
ramène l’espoir. Paris est repris en avril 1436, et le roi de France y fait une « joyeuse entrée » le 12 novembre
1437 – vingt ans après sa fuite. Et le caractère du roi en est changé : il reprend confiance en son destin,
le Dauphin timide et indolent devient un roi capable de courage militaire, toujours aussi influençable
d’ailleurs, mais écoutant d’autres conseillers qui vont valoir à Charles VII le surnom de Bien Servi.
352. « À toute personne qu’ils [les écorcheurs] rencontraient,
ils demandaient : Qui vive ? Si on était de leur parti,
on était simplement dépouillé de tout ;
si on était du parti adverse, on était volé et tué. »
Journal d’un bourgeois de Paris (chronique anonyme des années 1405 à 1449)
Année 1440. La paix d’Arras laisse « sans emploi » les bandes de mercenaires bourguignons.
Voici revenu le temps des Grandes Compagnies et des routiers. Olivier de La Marche confirme : « Tout
le royaume de France était plein de places et de forteresses dont les gardes vivaient de rapines et de
proie, et par le milieu du royaume s’assemblèrent toutes manières de gens des compagnies que l’on
nommait écorcheurs, qui chevauchaient et allaient de pays en pays, quérant victuailles et aventures
pour vivre. » Et voilà que la peste est de retour et décime la population. Et voilà la famine.
Cependant que la guerre de Cent Ans avec les Anglais continue.
353. « Pendant plus de dix ans, tous les champs
se couvrirent de saules et autres arbres, d’épines, de buissons
et furent transformés en forêts impénétrables. »
Thomas BASIN
Thomas BASIN (1412-1491), Histoire de Charles VI et de Louis XI
Prélat et chroniqueur, évêque de Lisieux et membre du conseil privé de Charles VII, il décrit le pays de
Caux en Normandie, vers 1440.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
354. « Par ma foi, beau-frère et beau-cousin,
je vous dois aimer par-dessus tous mes autres princes de ce royaume,
et ma belle cousine, votre femme ; car si vous et elle ne fussiez,
je fusse demeuré toujours au danger de mes adversaires,
et n’ai trouvé meilleur ami que vous. »
Charles d’ORLÉANS
Charles d’ORLÉANS (1391-1465), au duc Philippe de Bourgogne, 1440
Chroniques (posthume, 1826), Enguerrand de Monstrelet
Le prince poète (frère de Charles VI) lui doit d’être libre, après vingt-cinq ans de captivité en Angleterre !
Son « beau-frère et beau-cousin », Philippe III de Bourgogne, dit Philippe le Bon, sera bientôt le prince
le plus puissant de toute la chrétienté, à la tête de « l’État bourguignon » qui regroupe beaucoup
d’autres terres.
Charles peut enfin payer sa rançon de 220 000 écus – en partie grâce à la dot de sa troisième femme.
Veuf deux fois, il épouse à 46 ans la nièce du duc de Bourgogne, Marie de Clèves, 14 ans.
355. « C’est mon seigneur, il a tout pouvoir sur mes actions,
et moi, aucun sur les siennes. »
MARIE D’ANJOU
MARIE D’ANJOU (1404-1463), reine de France
Histoire de France depuis les Gaulois jusqu’à la mort de Louis XVI (1822), Louis-Pierre Anquetil
La reine, qui donna 13 enfants en vingt-trois ans à Charles VII, lui pardonne en ces termes sa liaison
commencée vers 1444 avec Agnès Sorel, première d’une très longue liste de favorites officielles des
rois de France. D’autres reines de France exprimeront cette même résignation.
Marie préfère cette « rivale soucieuse du bien de l’État à une femme ambitieuse qui aurait dilapidé les
biens du royaume », et les historiens reconnaîtront la bonne influence de la « Dame de Beauté ».
Son surnom sied à la beauté d’Agnès Sorel, saluée par tous les contemporains et immortalisée par le
tableau de la Vierge à l’Enfant de Jean Fouquet, mais vient surtout du château de Beauté-sur-Marne
dont le roi lui fit don. Très patriote, elle influence heureusement la politique du roi.
Elle redonne aussi confiance à l’homme. Charles VII n’a pas eu de chance avec ses parents, sa mère
Isabeau de Bavière l’a déshérité comme dauphin et traité en bâtard, et son père Charles VI est le roi
fou. Quant à son premier fils, le futur Louis XI, il ne cessera de comploter contre lui.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
356. « La manière et ordre de vivre des gens d’armes
afin de faire cesser la pillerie qui longuement a eu cours au royaume. »
Préambule de la Grande Ordonnance, publiée le 26 mai 1445
Jean de Bueil : comte de Sancerre, amiral de France (1994), Jacques Faugeras
La permanence de l’impôt (consentie à Charles VII par les États généraux réunis en 1435, 1436 et 1439)
rend possible la permanence de l’armée. Elle est instaurée par la Grande Ordonnance qui permet en
outre de récupérer et de payer les mercenaires laissés sans emploi par la trêve de Tours (1444) et
d’éviter qu’ils ne redeviennent bandits de grands chemins ou routiers.
Charles VII, bien conseillé par son connétable Richemont, crée les « compagnies d’ordonnance du
roi » (cavalerie), puis une milice de « francs archers » (infanterie), soit un homme par 50 feux (foyers),
roturiers dispensés de la taille. La réorganisation des effectifs s’accompagne d’une nouvelle utilisation
de l’artillerie : jadis réservée à l’attaque et la défense des places fortes, elle va désormais servir sur les
champs de bataille. La trêve de Tours, qui va durer quatre ans, est encore mise à profit pour réorganiser
le royaume, rétablir une monnaie saine, perfectionner la fiscalité directe et indirecte.
357. « Réjouis-toi, franc royaume de France.
À présent, Dieu pour toi combat ! »
Charles d’ORLÉANS
Charles d’ORLÉANS (1391-1465), bataille de Formigny, 18 avril 1450
Histoire des Français (1972), Pierre Gaxotte
Les Anglais ont rompu la trêve de Tours, ayant pris Fougères, et n’ont pas tenu leur parole d’évacuer
Le Mans. Le Conseil royal autorise la guerre à outrance. C’est la reconquête de la Normandie. La victoire
de la nouvelle armée française à Formigny a un immense retentissement dans le pays : 4 000 tués ou
blessés, 1 200 prisonniers anglais, et seulement 12 morts français.
C’est le « début de la fin » de la guerre de Cent Ans, et la chevauchée du roi à la reconquête de son
royaume, avec son connétable Richemont et Dunois, le Bâtard d’Orléans, déjà présent lors de l’épopée
de Jeanne d’Arc.
358. « Gloire et paix à toi, roi Charles, et louanges perpétuelles.
La rage des ennemis a été vaincue et ton énergie,
grâce au conseil du Christ et au secours de la loi,
refait le pays qu’une crise si grave avait ébranlé. »
Inscription de la médaille commémorative de la Libération de la Normandie en 1450
Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby
La campagne de Normandie permet de reconquérir une à une les grandes villes : Avranches, Caen,
Rouen – qui accueille le roi avec des transports bouleversants –, Honfleur, Cherbourg. En octobre 1450,
il n’y a plus d’Anglais en Normandie.
La reconquête de la Guyenne (Aquitaine) sera plus difficile en raison de la versatilité des Bordelais,
attachés à l’Angleterre par des liens séculaires et commerciaux. Après la victoire de Castillon, 17 juillet
1453, véritable revanche de la défaite d’Azincourt, Bordeaux capitule enfin le 19 octobre 1453. C’est la
fin de la « guerre de Cent Ans » – ce nom lui sera donné par les historiens du XIXe siècle.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
359. « Et quand Anglais furent dehors
Chacun se mit en ses efforts
De bâtir et de marchander
Et en biens superabonder. »
Guillaume LEDOYEN
Guillaume LEDOYEN (vers 1460-vers 1540), Chronique rimée de Guillaume Ledoyen, notaire à Laval au XVe siècle
Le Sentiment national dans la guerre de Cent Ans (1928), Georges Grosjean
1553. Les Anglais ont abandonné toutes leurs possessions sur le continent (Calais excepté). La France
respire, la confiance revient, et l’ardeur au travail. Les impôts permanents et l’armée permanente, à
la fois symboles et moyens d’un État reconstitué, vont permettre de rétablir l’ordre dans les villes et
les campagnes. Malgré cela, la dépression économique commune à tout l’Occident freine la reprise
économique pendant plus d’un quart de siècle.
La liquidation de la guerre de Cent Ans et le relèvement de la France vont occuper trois générations.
360. « À cœur vaillant, rien d’impossible. »
Jacques CŒUR
Jacques CŒUR (vers 1395-1456), devise
Le Grand Cœur (2012), Jean-Christophe Rufin
Elle illustre à merveille l’esprit d’entreprise sans limite de cet homme d’affaires aux multiples activités
(banque, change, mines, métaux précieux, épices, sel, blé, draps, laine, pelleterie, orfèvrerie), banquier
de Charles VII et qui finança comme tel la reconquête de la Normandie en 1449.
Maître des monnaies en 1436, argentier du roi en 1440, puis conseiller en 1442, chargé de missions
diplomatiques à Rome, Gênes, il aide aussi le roi à rétablir une monnaie saine et à redonner vie au
commerce français.
Soupçonné de malversations et crimes vrais ou supposés (et même d’avoir empoisonné Agnès Sorel,
maîtresse du roi, morte le 9 février 1450), il est arrêté en 1451 et condamné par une commission
extraordinaire le 29 mai 1453 : confiscation de ses biens et amende de 400 000 écus. En 1454, il s’évade
de prison, se fait innocenter par le Pape Calixte III, qui lui confie le commandement d’une flotte pour
guerroyer contre les Turcs. Il meurt en croisade à Chio, en 1456.
Son éphémère fortune symbolise la génération des nouveaux riches, issue de la guerre de Cent Ans.
Mais cette vie en forme de roman d’aventures, qui a frappé ses contemporains, fait de lui un personnage
de la proche Renaissance.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
361. « Mon très redouté seigneur, je me recommande
à votre bonne grâce tant et si très humblement que je puis [. . .]
vous suppliant de m’avoir et tenir toujours en votre bonne grâce
en me commandant vos bons plaisirs
pour les accomplir en mon bon pouvoir. »
Dauphin LOUIS
Dauphin LOUIS, futur LOUIS XI (1423-1483), Lettre à son père le roi Charles VII, octobre 1452
Œuvres complètes de Duclos, IIe partie, Recueil de pièces pour servir à l’histoire de Louis XI
On ne saurait être plus hypocrite dans ses propos !
Depuis 1447 et jusqu’à la mort de Charles VII en 1461, père et fils furent fâchés au point de ne plus se
voir. Louis, très jaloux de son père, d’Agnès Sorel, du favori de Brézé, par ailleurs impatient de régner,
n’a cessé de comploter pour prendre sa place. Le cas est assez rare dans l’histoire de nos rois de France,
ce mauvais rôle étant plus souvent tenu par « Monsieur », frère du roi, que par le Dauphin son fils.
Le dauphin Louis, âgé de 17 ans, avait participé à la révolte féodale de la Praguerie (1440). Cette coalition
de grands féodaux, furieux de la réorganisation de l’armée qui donne au roi seul le droit de lever des
troupes, menaça gravement la monarchie encore mal assurée. Les rebelles furent maîtrisés, le dauphin
pardonné. Pour l’occuper et l’exiler, le roi l’envoie gouverner le Dauphiné. Ce qui ne l’empêchera pas de
continuer les intrigues contre son royal père.
362. « Ce Dauphin en son Dauphiné, c’est déjà le roi Louis. »
Pierre CHAMPION
Pierre CHAMPION (1880-1942), Louis XI (1927)
Né à Bourges en 1423, « petite fleur malingre au jardin de France », le futur Louis XI, pendant dix ans,
administre soigneusement le Dauphiné : il y fait son apprentissage de roi, révélant déjà toutes les
qualités de l’un des plus grands souverains notre histoire.
363. « Il a reçu chez lui un renard qui mangera ses poules. »
CHARLES VII
CHARLES VII (1403-1461), apprenant que son fils s’est réfugié chez le duc de Bourgogne, fin août 1456
Histoire de France (1833-1841), tome V (1841), Jules Michelet
Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, s’est réconcilié avec Charles VII en signant la paix d’Arras (1435).
Maître de la Bourgogne, la Franche-Comté, la Flandre, l’Artois, et les provinces belges, ce grand féodal
est le plus puissant souverain d’Europe. Il est trop heureux d’accueillir somptueusement chez lui, à
Louvain, puis à Bruxelles, le futur roi de France venu conspirer contre son père, et lui fait une pension
annuelle de 36 000 livres.
Charles VII connaît bien la perfidie de son fils. Et le fils de Philippe, Charles le Téméraire, l’apprendra
bientôt à ses dépens.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
364. « Je loue mon Dieu et le remercie de ce qu’il lui plaît
que le plus grand pécheur du monde meure
le jour de la fête de la pécheresse. »
CHARLES VII
CHARLES VII (1403-1461), mot de la fin, doublement chrétien, du roi mourant le jour de la sainte Madeleine, 22 juillet 1461
Louis XI : homme d’État, homme privé (1995), Emmanuel Bourassin
Pécheur, certes : après la mort d’Agnès Sorel, le roi, bien que de complexion maladive, vivait entouré
d’un essaim de femmes faciles. Mais beaucoup de rois auront bien davantage de maîtresses, et Charles
avait été si mal aimé de sa mère, si malheureux, si méprisé au début de sa vie !
Ce dauphin médiocre se révéla à mi-règne un bon roi : libération du territoire et reconquête d’une
partie de la France sur les Anglais, réorganisation du royaume, création d’une armée permanente,
rétablissement des finances et de la monnaie avec levée d’impôts réguliers. Il restera à Louis XI à
continuer l’extension de la maison France et d’abaisser les grands féodaux.
365. « Je suis France. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483)
L’Âme de la France : une histoire de la nation, des origines à nos jours (2007), Max Gallo
À 38 ans, Louis XI est enfin roi. Et la France existe bel et bien, après la guerre de Cent Ans.
Le roi la représente et l’incarne, contre les grands féodaux. Le général de Gaulle fera quasiment la
même déclaration, pour exprimer qu’il défend l’intérêt général et n’est d’aucun clan, ni parti.
Étrange retour des choses, Louis XI qui a tant comploté contre son père en s’alliant à ses ennemis
féodaux et même anglais, verra se dresser contre lui, entre 1465 et 1472, trois coalitions de grands
vassaux, en réaction contre l’affermissement du pouvoir royal.
366. « Il me semble que je n’ai pas perdu mon écot. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483)
Louis XI : un roi entre deux mondes (1976), Pierre Roger Gaussin
En avril 1462, Jean II d’Aragon et Louis XI concluent un accord d’assistance réciproque, mais celui qui
obtiendra de l’autre des troupes en paiera la solde.
En mai, Jean II, pour soumettre les Catalans, demande infanterie, artillerie, machines de guerre et
300 000 écus d’or. Pour garantir le paiement de cette dette, Louis XI prend en gage, le 9 mai 1462, les
forteresses de Perpignan et de Collioure et stipule qu’après la prise de Barcelone par Jean II, il annexera
tout le Roussillon jusqu’au remboursement de la dette. Louis XI est sûr que cette dette ne sera jamais
remboursée et que le Roussillon lui restera. En fait, il lui faudra quand même faire conquérir cette
province et sa capitale Perpignan, par ses alliés Gaston de Foix et Jacques d’Armagnac.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
367. « Calais, après trois cent quarante jours de siège,
Fut sur Valois vaincu conquis par les Anglais ;
Quand le plomb flottera sur l’eau comme le liège
Les Valois reprendront sur les Anglais Calais. »
Inscription placée par les Anglais sur la citadelle de Calais, 23 juin 1462
L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, nos 475 à 485 (1991)
Calais est le seul point du territoire resté aux Anglais, à la fin de la guerre de Cent Ans. La reine
d’Angleterre, Marguerite d’Anjou, femme d’Henri VI devenu fou, se réfugie en France et Louis XI obtient
d’elle que soit désigné comme gouverneur de Calais un homme à sa dévotion.
Mais les Anglais, qui ont mis près d’un an à conquérir Calais, n’entendent pas la céder si facilement. Ils
garderont cette ville jusqu’en 1558.
368. « Est-ce là un roi de France, le plus grand roi du monde !
Ce semble mieux être un valet qu’un chevalier.
Tout ne vaut pas vingt francs, cheval et habillement de son corps. »
Habitants d’Abbeville voyant entrer le roi Louis XI qui chevauche à côté de Philippe le Bon, 1463
Le Moyen Âge (1961), Michel Mollat, René van Stanbergen
Le duc de Bourgogne est aussi fastueusement vêtu que Louis XI l’est modestement. Le contraste
est frappant même avec les autres rois de France, qui firent souvent assaut d’élégance, comme en
témoigne toute la galerie des portraits royaux.
369. « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre,
ni de réussir pour persévérer. »
CHARLES le Téméraire
CHARLES le Téméraire (1433-1477)
L’Histoire du monde, volume III (1963), Jean Duché
Cet aphorisme convient bien au personnage, et à son parcours guerrier. Fils de Philippe III de Bourgogne
(et membre de la dynastie des Valois), il va lui succéder à la tête de l’État bourguignon à sa mort (1467),
mais il a déjà la réalité du pouvoir en 1465, quand il s’engage dans la première grande coalition contre
Louis XI, la Ligue du Bien public.
Le nouveau duc de Bourgogne n’a qu’un but : unir ses différents territoires en un seul royaume, des
Pays-Bas à la vallée de la Saône, et du Rhin à la mer du Nord. Il va fatalement s’opposer à Louis XI,
qui ne peut accepter un si grand État voisin de la France. Il se heurtera aussi aux princes allemands,
et à l’empereur, qui s’allie avec Louis XI pour contrecarrer les ambitions démesurées du bien nommé
« Téméraire ». Son échec final, et sa mort au combat devant Nancy (1477) aboutiront au démembrement
de ses États. Louis XI y gagnera le duché de Bourgogne, la Picardie et Boulogne.
Mais auparavant, les deux hommes se seront affrontés de toutes les manières, politiques, diplomatiques
et guerrières.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
370. « C’était là le moins de la question,
car le bien public était converti en bien particulier. »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Le « Bien public » n’est qu’un prétexte, dans cette première vaste coalition des princes contre Louis XI,
en 1465. On peut même dire que les grands féodaux ne pensent qu’à leur bien particulier, comme le
dit Commynes. Louis XI cherche à les dépouiller de leurs fiefs, réduire leurs pensions, augmenter leurs
impôts, les marier à son avantage et gouverner avec des « gens de peu », autrement dit des bourgeois.
Dans leur manifeste, ils prétendent donc remédier au « désordonné et piteulx gouvernement ». Et ils
trouvent des alliés, parmi les plus grands seigneurs du royaume. Le frère du roi, l’inconsistant « Monsieur
Charles », prend la tête du mouvement, et se voit déjà régent ! Plus redoutables, les ducs d’Alençon, de
Bourbon et de Bretagne, et surtout les ducs de Bourgogne et de Lorraine, suivis par d’autres féodaux
qui tiennent à leurs prérogatives. Le roi d’Angleterre, en revanche, refuse de s’engager.
Louis XI affronte une vraie guerre civile, marquée par la bataille indécise de Montlhéry (16 juillet 1465),
où chacun se proclame vainqueur. Il profite de la confusion pour s’esquiver. Les Parisiens, en refusant
d’ouvrir leurs portes aux coalisés, et les Normands, en ravitaillant l’armée royale, le sauvent (août).
Aux traités de Conflans et de Saint-Maur (octobre), le roi fera d’importantes concessions territoriales :
il restitue les villes de la Somme à Charles le Téméraire et cède la Normandie à Monsieur Charles, en
échange du Berry. Mais en 1466, il réoccupe la Normandie – au prétexte d’aider son frère à s’en faire obéir
– et la fait déclarer inaliénable par les États généraux : ainsi forme-t-il peu à peu la France d’aujourd’hui.
371. « Il faut faire suer les écus. »
Maxime sous Louis XI
Citations, proverbes et dictons de chez nous (2004), Julie Bardin
Les marchands français ont soif de profit et les hommes du XVe siècle sont surtout sensibles à l’aspect
monétaire de l’économie. Pour eux, le vrai signe de la richesse est la possession du numéraire.
Pendant le règne de Louis XI, la relance de l’économie continue, sur sa lancée amorcée par Charles VII.
Les grandes foires se multiplient. Des industries se créent ou se développent. Jean Gobelin laissera
son nom à l’art de la tapisserie. L’imprimerie est introduite à Lyon et à Paris, où la Sorbonne en sera la
première dotée (1470). Le roi nomme un « visiteur général des mines » et on prospecte en Roussillon.
L’industrie de la soie est créée à Lyon, puis à Gours, ce qui permet d’économiser 500 000 écus d’or
d’importation. Louis XI fera publier près de 70 règlements de métiers : le système corporatif est pour
lui un moyen de domination et de contrôle par l’État.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
372. « Le royaume est paisible et tranquille
au point que les marchandises peuvent librement circuler [. . .]
Les impôts sont lourds ? Je ne les emploie que pour le bien et
honneur du royaume et les diminuerai dès que je le pourrai.
N’y ai-je pas le plus grand intérêt,
puisque je suis le chef et le père de la chose publique ! »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483), 10 mars 1465
Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Heureux effet de la paix et contraste saisissant avec la France de la première moitié du siècle.
Quant aux impôts que Charles VII contribua à fixer, ils sont certes utilisés dans le cadre d’une bonne
gestion, mais ils ne seront jamais diminués. À mesure que la monarchie s’affirme et se centralise,
elle assume des tâches de police, justice, intervention économique (routes, ports, canaux, marine
marchande, manufactures, bâtiments) nécessitant des rentrées publiques toujours plus importantes.
À quoi s’ajouteront les guerres sans cesse recommencées et de plus en plus lourdes en hommes
et matériel.
373. « Il n’est venu là que pour me trahir. »
CHARLES le Téméraire
CHARLES le Téméraire (1433-1477), soupçonnant Louis XI à Péronne, octobre 1468
Mémoires (1524), Philippe de Commynes
L’ambitieux et fastueux duc de Bourgogne succède à son père, Philippe III le Bon, en 1467. Il prend
aussitôt la tête de la deuxième grande coalition féodale contre Louis XI, avec l’inévitable Monsieur
Charles (frère du roi), François II duc de Bretagne et Jean d’Alençon.
Louis XI propose au Téméraire de discuter les termes de la paix, à Péronne. L’entrevue commence le
9 octobre 1468. Le Téméraire se méfie du roi qu’il va qualifier d’« universelle aragne ». Non sans motif !
374. « Profitez des circonstances pour tirer du roi ce qu’il vous plaira. »
Avis des conseillers donné à Charles le Téméraire, Péronne, 11 octobre 1468
Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
C’est ce que va faire le Téméraire, furieux de découvrir que Louis XI, qui discute avec lui, encourage en
même temps les Liégeois à se révolter contre lui !
Il ordonne qu’on ferme les portes de la ville, il rompt les négociations. Et Louis XI se retrouve piégé,
à la merci de son plus grand ennemi, prisonnier, humilié, obligé de céder à toutes les conditions du
bouillant Charles, et même contraint d’assister à la répression des Liégeois.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
375. « Pour en dire donc mon avis, je crois être certain
que ces deux princes y allaient tous deux en intention de tromper
chacun son compagnon, et que leurs fins étaient assez semblables
comme vous verrez. »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Le chroniqueur renvoie dos à dos Louis XI et Charles le Téméraire, que l’histoire mit face à face, lors de
l’entrevue de Péronne.
Originaire des Flandres, ce précieux chroniqueur sert d’abord le Téméraire, et s’entremet à Péronne
(dont on lui doit le vivant récit) en faveur de Louis XI qui l’a acheté à cette fin. . . Quatre années plus
tard, Commynes abandonne la maison de Bourgogne pour s’attacher au roi de France, dont il devient
le conseiller intime, largement dédommagé de la confiscation de ses biens par le Téméraire.
376. « Le renard crotté a échappé au repaire du loup. »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Louis XI le rusé est à peine de retour à Paris, début novembre 1468, qu’il s’empresse de renier tous
les engagements pris à Péronne : plus question de rendre les villes de la Somme au Téméraire, ni de
donner en apanage à Monsieur Charles la Champagne et la Brie. Il fait condamner le Téméraire pour
félonie en décembre 1470.
Mieux encore, il va aider à rétablir sur le trône Henri VI roi d’Angleterre en 1470, pensant ainsi priver son
ennemi de l’alliance anglaise : « J’ai espérance que ce sera la fin des Bourguignons. » Encore quelques
années de ruse, de lutte et de patience. Divide ut regnes (Divise afin de régner) est la maxime de
Louis XI, dit le Prudent.
377. « Par saint Georges ! enfants, vous avez fait une belle boucherie. »
CHARLES le Téméraire
CHARLES le Téméraire (1433-1477), à ses officiers, bataille de Nesle, 10 juin 1472
Histoire de France (1868), Victor Duruy
Troisième et dernière coalition contre Louis XI. Elle rassemble Charles le Téméraire duc de Bourgogne,
Édouard IV d’Angleterre, Jean d’Armagnac, Jean d’Aragon, Jean d’Alençon, François de Bretagne, et
inévitablement Monsieur Charles. La mort de ce frère (le 24 mai) déclenche une explosion de joie chez
Louis XI qui fera scandale – comme à la mort de son père.
Le Téméraire, qui attaque en Picardie, se réjouit après le massacre des habitants et défenseurs de la
ville de Nesle, en juin.
Mais il va échouer devant Beauvais, défendue par tous ses habitants, femmes comprises. L’une des plus
ardentes à repousser à la hache les assaillants est fille du peuple : Jeanne Laîné, restée dans l’histoire
sous le nom de Jeanne Hachette. Le Téméraire doit lever le siège au bout d’un mois, le 22 juillet.
Apprenant l’exploit des assiégés, Louis XI exemptera à vie Jeanne et son nouveau mari de tous impôts
et redevances.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
378. « Car tel est notre plaisir. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483), édit du 31 octobre 1472, forme des placets royaux
Histoire des institutions politiques et administratives de la France (1966), Paul Viollet
Vers 1470, le pouvoir royal ne cesse de s’affermir et pèse de plus en plus lourd sur le clergé, l’Université,
l’économie, la justice. Comme l’écrit Georges Duby dans son Histoire de la France : « Tout dépendait du
Conseil du roi : diverse, tempérée par ses propres agents, la monarchie tendait vers la centralisation ;
elle devint autoritaire sous Louis XI, absolue sous ses successeurs. »
Charles VIII, François Ier, Louis XIV reprendront la formule. Dans les dernières années du règne de
Louis XVI, l’expression deviendra « Car tel est notre bon plaisir », adoptée par Napoléon et maintenue
jusqu’à la Restauration comprise.
Le mot « plaisir » a souvent été mal compris. Il ne renvoie pas à une forme d’arbitraire royal, ni de
caprice du souverain. Il exprime la volonté, la détermination d’un homme d’État.
379. « Faites le gast [dégât] en manière qu’il n’y demeure
un seul arbre portant fruit sur bout, ni vigne qui ne soit coupée. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483), Lettre à Ymbert de Batarnay, 10 mars 1475
Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1911), Ernest Lavisse, Paul Vidal de La Blache
Le roi charge son grand chambellan et très fidèle conseiller de reprendre le Roussillon. Province la plupart
du temps sous domination française de 1462 à 1492, ses villes connurent un bel essor économique,
surtout Perpignan. Jean d’Aragon, comte de Barcelone, l’a laissée en gage à Louis XI et le Roussillon a
été uni au Domaine, le 16 juin 1463, mais il se révolte durant l’été 1472, et Jean d’Aragon en profite pour
y rétablir son autorité.
Perpignan vit un terrible siège de huit mois, d’où son titre de Fidelissima vila (Fidèle Ville) donné
par Jean d’Aragon. Une partie de la population émigra ensuite vers Barcelone, pour échapper à la
répression. La reconquête est si dure que la province est nommée « le cimetière aux Français ».
Louis XI se fait craindre et se soucie peu de se faire aimer. Sa devise reflète ce trait de caractère : « Qui
s’y frotte, s’y pique. » Mais l’emblème est le chardon, non pas le hérisson.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
380. « Monseigneur mon cousin, soyez le très bien venu.
Il n’est homme au monde que j’eusse désiré voir autant que vous.
Et loué soit Dieu de ce que nous sommes ici assemblés
à cette bonne intention. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483), à Édouard IV d’Angleterre, Picquigny, 29 août 1475
Mémoires (1524), Philippe de Commynes
Ainsi parle un roi décidé à faire la paix avec l’ennemi de cent ans !
Les rapports franco-anglais restent tendus, malgré la fin des hostilités. Les populations côtières sont
sans cesse sur le qui-vive, les corsaires des deux pays se rendant coup pour coup. Louis XI a soutenu
Henri VI de Lancastre contre Édouard IV, dans la guerre des Deux-Roses. Et Édouard IV veut refaire le
coup d’Édouard III qui déclencha la guerre de Cent Ans, en revendiquant la couronne de France !
L’Anglais débarque à Calais (seule ville restée anglaise) le 6 juillet 1475, mais son entreprise tourne
court, faute d’alliés sur le continent : Charles le Téméraire (son beau-frère) a bien d’autres soucis, face
à tous ses voisins coalisés contre ses ambitions territoriales.
La trêve entre Louis XI et Édouard IV est enfin signée à Picquigny (département actuel de la Somme).
La France achète à prix d’or le retrait anglais. C’est le dernier acte officiel de la guerre de Cent Ans – le
traité de paix ne sera jamais signé.
381. « J’ai vu le roi d’Angleterre
Amener son grand ost [armée]
Pour la française terre
Conquérir bref et tost [vite].
Le roi, voyant l’affaire,
Si bon vin leur donna
Que l’autre, sans rien faire,
Content, s’en retourna. »
Chanson qui met en scène Édouard IV et Louis XI, été 1475
Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby
La joie des Français éclate. Et la chanson dit vrai : Louis XI régala « son cousin » Édouard IV de bonne
chère à Picquigny, après avoir saoulé de bonnes barriques et gavé de bonnes viandes qui donnent
envie de boire l’armée anglaise, en attente de ravitaillement. Cela fait aussi partie de la diplomatie.
Il n’en fallait pas plus, et pas moins, pour sceller la nouvelle entente des deux rois, des deux pays.
Édouard IV, qui a renoncé à son alliance avec le Téméraire, rembarque avec son armée. Et l’Angleterre
est rendue à sa vocation insulaire – elle garde seulement Calais, et défendra cette citadelle anglaise
jusqu’en 1558.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
382. « Car il faut tenir pour sûr que la grande prospérité des princes
ou leur grande adversité procède de sa divine ordonnance. »
Philippe de COMMYNES
Philippe de COMMYNES (1447-1511), Mémoires (1524)
Commynes médite sur deux épilogues dramatiques.
D’abord, la chute de la maison de Lancastre, après l’assassinat d’Henri VI d’Angleterre, roi dément
(comme son grand-père, le roi de France Charles VI le Fou), mis à mort dans le secret de la Tour de
Londres en 1471, sans doute sur ordre de son rival Édouard IV, premier roi anglais issu de la maison d’York.
Ensuite, la fin de l’État bourguignon avec la défaite de Charles le Téméraire, perdu par ses ambitions
territoriales. Tous ses voisins, Suisses, Alsaciens, Lorrains, se sont coalisés contre lui et après quelques
revers, il trouve la mort au siège de Nancy, le 5 janvier 1477, peut-être tué par l’un de ses soldats, d’un
coup de hallebarde et par erreur. Le dernier duc de Valois-Bourgogne laisse pour seule héritière de son
duché sa fille Marie.
La maison France profite de ces derniers événements, la Bourgogne étant récupérée par l’habile
Louis XI.
383. « Chers et bien-aimés,
Je vous ai écrit par deux fois d’élire maître Auger de Brie,
mon conseiller. Vous n’en avez rien fait. Aussitôt ces lettres lues,
élisez-le, car pour rien je ne souffrirais qu’un autre eût l’évêché
que notre dit conseiller. Si l’un de vous s’y oppose,
je lui ferai vider le royaume. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483), aux chanoines d’Angers, 13 mai 1479
Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux
Bel exemple de pression du roi sur son clergé. Sous Charles VII, la Pragmatique Sanction de Bourges
(1438) permit au roi d’intervenir pour recommandation dans l’élection des abbés et des évêques. En
fait, le roi contrôle l’Église de France, et le pape lutte contre ce gallicanisme qui porte ombrage à
son autorité.
Louis XI, qui n’a pas appliqué la Pragmatique dans son Dauphiné l’abroge à son avènement. Notre roi
est assez retors pour vouloir à la fois se mettre en bons termes avec le pape Sixte IV et réduire son
clergé à l’obéissance.
Moyen Âge • Premiers Valois • Chronique
384. « Nous n’avons rien perdu de la couronne,
mais au contraire avons icelle augmentée et accrue. »
LOUIS XI
LOUIS XI (1423-1483), à ses conseillers, 21 septembre 1482
Mémoires (1524), Philippe de Commynes
Luttant contre les féodaux, écartant du pouvoir tous les Grands susceptibles de le trahir, s’entourant de
conseillers et compères plutôt médiocres et parfois douteux, usant de moyens que souvent la fin seule
justifiait, Louis XI a quand même un bilan très positif.
Il a tant et si bien agrandi le Domaine royal qu’après vingt-deux ans de règne, sa France est devenue
à peu près la nôtre. Par héritage Louis XI acquiert l’Anjou, le Maine et la Provence (1480-1482). Par
le traité d’Arras (1482) qui consacre le démembrement de l’État bourguignon à la mort de Charles le
Téméraire, la France garde le duché de Bourgogne et les villes de la Somme (Picardie). Restent les fiefs
des vassaux qui, telle la Bretagne, seront rattachés au Domaine par ses successeurs.
Dernier grand roi du Moyen Âge, il a également renforcé l’autorité royale contre les féodaux, et l’unité
nationale. Il a créé le premier État-nation moderne, ayant pour mission d’éduquer la population et
d’élever son niveau de vie, au nom d’un « bien commun » à tous, sur lequel le monarque doit veiller :
conception révolutionnaire, qui rompt avec la tripartition traditionnelle, le chevalier, le clerc et le paysan,
dans laquelle chaque ordre avait un « bien propre » soumis au monarque.
385. « Sire, c’en est fait de vous. »
Jacques COITIER
Jacques COITIER (vers 1430-1506), à Louis XI, verdict de son médecin, 25 août 1483
Mémoires (1524), Philippe de Commynes
Sentant sa fin proche, le roi s’est retiré au château de Plessis-lès-Tours. Louis XI fut un malade perpétuel
et la liste de ses maux nous est contée par des observateurs trop heureux, parfois, d’énumérer ses
faiblesses et ses souffrances : crises de foie et brûlures d’estomac, eczéma purulent, goutte et congestion
hémorroïdaire qui l’empêchent de marcher. On ne meurt pas de ces maladies-là et, bien que malingre
et de faible constitution, Louis XI va vivre, régner et travailler jusqu’à 60 ans.
Mais il souffre aussi et depuis longtemps d’hydropisie, il a déjà eu deux attaques de paralysie. La
piété et la superstition bien connues du roi se changent en une dévotion maladive. Et contrairement à
d’autres médecins royaux, Coitier ne dissimule pas la vérité.
Commynes, témoin de la scène, ajoute : « Quel coup ce fut pour lui d’entendre cette nouvelle et cet
arrêt ! Car jamais homme ne craignit autant la mort et ne prit autant de peine dans le vain espoir de
s’en garantir. »
Louis XI meurt cinq jours plus tard.
Index par noms
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
A
B
Évêque ADALBÉRON de Reims (v. 925-988) 52 153 154
Comte ADALBERT de Périgord (968-995) 156
Légat du pape ADHÉMAR de MONTEIL (??-1098) 177
Moine anglais ALCUIN (v. 735-804) 66 90
Arnaud AMAURY (1135-1225) 191
Chef gaulois AMBIORIX (Ier s. av. J.C.) 21
AMMIEN MARCELLIN (v. 330-v. 400) 42
ANGILBERT (v. 740-814) 70
Foulques II, comte d’ANJOU (910-958) 118
Louis-Pierre ANQUETIL (1723-1806) 43
Saint ANSELME (1033-1109) 52
Robert II d’ARTOIS (1250-1302) 240
Empereur romain AUGUSTE (63 av. J.C.-14) 26
Saint AVIT (v. 450-v. 518) 75 78
Empereur romain AVITUS (Ve s.) 45
Frère AYMERI de VILLIERS-LE-DUC (fin XIIIe-début XIVe s.) 256
Jacques BAINVILLE (1879-1936) 8 107
Thomas BASIN (1412-1491) 329 353
Comte BAUDOIN (1058-1118) 174
Saint BERNARD de Clairvaux (1090-1153) 180 181
Frère BERTRAND de SAINT-PAUL (fin XIIIe-début XIVe s.) 255
BLANCHE DE CASTILLE (1188-1252) 202
Sainte BLANDINE (??-177) 32
Léon BLOY (1846-1917) 170
Prince BOHÉMOND Ier (1057-1111) 171 172 175 176
Pape BONIFACE VIII (v. 1235-1303) 233 237 242
Jacques Bénigne BOSSUET (1627-1704) 50 57 134
Chevalier Geoffroy de BOVES (ou du BOIS) (XIVe s.) 293
Chef gaulois BRENNUS (IVe s. av. J.C.) 15
C
D
Sénateur romain CATON l’Ancien (234-149 av. J.C.) 5
Pierre de (la) CELLE (1115-1183) 137
Petilius CEREALIS (Ier s.) 7 19 28
Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.) 4 9 10 20 25
Pierre CHAMPION (1880-1942) 362
CHARLEMAGNE (742-814) 67 69 96 97 99 103
CHARLES le Téméraire (1433-1477) 369 373 377
CHARLES II le Chauve (823-877) 109
CHARLES V le Sage (1338-1380) 263 307
CHARLES VII (1403-1461) 363 364
Alain CHARTIER (1385-1433) 333
Georges CHASTELLAIN (v. 1405-1475) 331
François René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) 35 155
CHRÉTIEN de Troyes (v. 1135-v. 1183) 184
Marcus Tullius Cicero CICÉRON (106-43 av. J.C.) 18
CLAUDE Ier (10 av. J.C.-54) 27
Pape CLÉMENT V (v. 1264-1314) 257
CLOVIS Ier (v. 465-511) 72 73 74
Jacques CŒUR (v. 1395-1456) 360
Jacques COITIER (v. 1430-1506) 385
Philippe de COMMYNES (1447-1511) 272 273 274 278 370 375 376 382
CONSTANTIN Ier le Grand (272-337) 36
Jean de COURTECUISSE (1350-1422) 322 324
Jean CUVELIER (XIVe s.) 312
Eustache DESCHAMPS (v. 1346-v. 1406) 264 315
Pierre DUBOIS (v. 1250-v. 1320) 254
Bertrand DU GUESCLIN (1320-1380) 308 310 311 313 314
E
ÉDOUARD Ier d’Angleterre (1239-1307) 228
ÉDOUARD III d’Angleterre (1327-1377) 281 286 288
ÉGINHARD (v. 770-840) 63 64 65 84 91 94
ESCHYLE (525-456 av. J.C.) 14
Évêque EUSÈBE de CÉSARÉE (v. 265-340) 30 31
EUSTACHE de SAINT-PIERRE (v. 1287-1371) 285
F
G
H
FLORUS de Lyon (??-v. 860) 108
Pierre FLOTTE (??-v. 1302) 238
Paul FORT (1872-1960) 276
Archevêque de Rouen FRANCON (seconde moitié IXe s.) 114
Jean FROISSART (v. 1337-v. 1400) 265 282 283 292 297
Frantz FUNCK-BRENTANO (1862-1947) 241
Numa Denis FUSTEL de COULANGES (1830-1889) 55
Charles de GAULLE (1890-1970) 126
Saint GERMAIN (v. 496-v. 576) 111
GILLES de Paris (1162-1220) 139 146
Chevalier franc GODEFROY de BOUILLON (1061-1100) 177
GOLÈS (XIe s.) 159
Reine franque GONDIOQUE (VIe s.) 79
Roi des Francs GONTRAN (525-593) 81
Mathieu Maxime GORCE (1898-1979) 62
Pape et saint GRÉGOIRE Ier le Grand (v. 540-604) 83
Pape GRÉGOIRE V (973-999) 157
Pape et saint GRÉGOIRE VII (v. 1020-1085) 133
Saint GRÉGOIRE de TOURS (538-594) 56 60 80
Guillaume de Normandie,
dit GUILLAUME le Conquérant (v. 1027-1087) 161 162 164
GUILLAUME le Breton (v. 1165-1226) 144
GUILLAUME de Poitiers (v. 1020-1090) 165
GUILLAUME de Tudèle (fin XIIe-début XIIIe s.) 194
François HALLE (seconde moitié XVe s.) 267
HAROLD II d’Angleterre (v. 1022-1066) 163
HENRI VI d’Allemagne (1165-1197) 185
Comte de Paris HUGUES le Grand (v. 898-956) 116 117
Hugues Capet, devenu HUGUES Ier (v. 941-996) 156
I
Antipape INNOCENT III (1160-1216) 186 189 190
J
Sainte JEANNE d’ARC (1412-1431) 335 336 337 338 339 340 341 342 343 344
345 346 347
JEANNE Iere DE NAVARRE (1273-1304) 235
Saint JÉRÔME (v. 347-420) 40
JÉSUS (v. 4 av. J.C.-v. 28) 169
Sire de JOINVILLE (v. 1224-1317) 150 151 210 215 219 221 223
JORDANÈS (VIe s.) 44
Flavius JOSÈPHE (37-100) 1
JULIEN l’Apostat (331-363) 37
Camille JULLIAN (1859-1933) 2 24
Jean JUVÉNAL DES URSINS (1350-1431) 316 323 325 332
K
Roi des Tartares KUBILAI KHAN (1215-1294) 220
L
Francis LACOMBE (1817-1867) 299
LACTANCE (v. 260-v. 325) 34
Hugues de LA FERTÉ (première moitié XIIIe s.) 209
Olivier de LA MARCHE (1426-1502) 270
Hugues de LAUNOY (XVe s.) 351
Guillaume LEDOYEN (v. 1460-v. 1540) 359
LIBANIOS (314-390) 38
LOUIS II le Germanique (v. 804-876) 106
LOUIS VII le Jeune (v. 1120-1180) 183
LOUIS IX ou SAINT LOUIS (1214-1270) 147 148 149 152 208 213 216 217 218 219 224
LOUIS XI (1423-1483) 275 277 361 365 366 372 378 379 380 383 384
Antoine LOYSEL (1536-1617) 120
Achille LUCHAIRE (1846-1908) 197
M
André MALRAUX (1901-1976) 11
Étienne MARCEL (v. 1316-1358) 300
MARGUERITE DE PROVENCE (1221-1295) 211 215
MARIE D’ANJOU (1404-1463) 355
Jean de MEUNG (v. 1240-v. 1305) 132
Jules MICHELET (1798-1874) 6 29 61 68 85 87 140 166 178 226 227 271
306 334 349
Jacques de MOLAY (v. 1244-1314) 259
Baron de la Brède et de MONTESQUIEU (1689-1755) 58
Simon IV, comte de MONTFORT (v. 1150-1218) 192 195
N
NITHARD (v. 800-v. 845) 105
Guillaume de NOGARET (v. 1260-1313) 231
Moine NOTKER de Saint-Gall (v. 840-912) 98
O
Charles d’ORLÉANS (1391-1465) 266 354 357
Duc OTKZE (VIIIe s.) 92
P
PÉPIN le Bref (v. 715-768) 88 89
Louis PETIT de JULLEVILLE (1841-1900) 95
PÉTRARQUE (1304-1374) 304
PHILIPPE II Auguste (1165-1223) 198 199 203
PHILIPPE II de Bourgogne (1342-1404) 296
dit Philippe le Hardi
PHILIPPE IV le Bel (1268-1314) 229 232 244 245 247 251 260
PHILIPPE V le Long (1294-1322) 261
PHILIPPE VI DE VALOIS (1294-1350) 279 280 284
PHILIPPINE de Hainaut (v. 1310-1369) 287
Christine de PISAN (v. 1364-v. 1430) 269 309
POLYBE (v. 202-v. 120 av. J.C.) 17
R
S
Moine RAOÛL le Glabre (985-avant 1050) 141
Comte de Toulouse, Raymond IV,
dit RAYMOND de SAINT-GILLES (1042-1105) 177
Comte de Toulouse RAYMOND VI (1156-1222) 207
Saint RÉMI (v. 437-v. 533) 77
ROBERT II le Pieux (v. 970-1031) 158
Messire ROBERT de Loire (première moitié XVe s.) 326
Pierre de RONSARD (1524-1585) 86
Claudius RUTILIUS NAMATIANUS (Ve s.) 33
Bernard SAISSET (v. 1232-v. 1311) 230 236
Saint SIDOINE APOLLINAIRE (430-487) 13 41 47 48 49
Chef des Normands SIEGFRIED (seconde moitié IXe s.) 113
Chanoine SIMON de Couvin (??-1367) 289
Jean Simonde de SISMONDI (1773-1842) 142 196
Comte de SOISSONS (XIIIe s.) 214
Abbé SUGER (v. 1081-1151) 119
T
Comte de Champagne THIBAUD IV (1201-1253) 212
U
Pape URBAIN II (v. 1042-1099) 167
V
W
Jacques VACHER (1842-1897) 301
Abbé de VAUX (fin XIIe-début XIIIe s.) 188
Jean de VENETTE (v. 1307-v. 1370) 290
VERCINGÉTORIX (v. 72-46 av. J.C.) 22 23
Abbé de VERTOT (1655-1735) 253
Matteo VILLANI (v. 1295-1363) 295
François VILLON (v. 1431-1463) 350
Duchesse d’Orléans, Valentine VISCONTI (1368-1408) 320
Cardinal de VITRI (ou VITRY) (v. 1170-1240) 248
VOLTAIRE (1694-1778) 51
Robert WACE (1110-v. 1180) 115
Y
YVES de Chartres (1040-1116) 179
Illustrations de couverture :
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© 2014 Herodote.net – ISBN X-XXXXXXX-X-X – Graphisme : gemp.com
Date de publication : octobre 2014 – version 0.1i
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