Communiquer, 2015(13), 107-122
110 | Y. Winkin et E. Lallement
systèmes de parenté et des règles d’interdiction et de prescription qui les structurent, il
établit en effet que l’échange est la condition première de toute société. En inversant la
proposition selon laquelle c’est en raison de l’interdit de l’inceste que les sociétés échangent
des femmes avec l’extérieur et en établissant alors que c’est au contraire parce qu’il y a
nécessité de l’échange qu’il y a interdit de l’inceste, Lévi-Strauss met l’échange au cœur de sa
théorie. La mise au jour et l’analyse des règles de parenté sont alors, pour lui, comparables
à la mise au jour d’une grammaire, d’un langage, bref d’un système communicationnel. En
ce sens, l’anthropologie étudie en tant que telle la communication.
Or y a-t-il une anthropologie de la communication comme il y a une anthropologie des
systèmes de parenté ? S’agit-il d’un ensemble de lois dites « universelles » qui s’appliquent
à la communication comme il y aurait des lois dites « universelles » et « inconscientes »
censées régir les relations d’alliance entre les hommes et les femmes ? Lévi-Strauss parle de
« science de la communication » dans son Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss (Lévi-
Strauss, 1950) pour dire que toute culture est une modalité particulière de la communication
des femmes, des mots, des biens, régie par des lois inconscientes d’inclusion et d’exclusion.
Une vision de la communication encore très calquée sur le langage et la linguistique, et qui
peut être dénie comme « télégraphique ». Elle renvoie à l’idée de message qu’on trouve
dans les théories de la communication, et plus particulièrement dans les sciences de la
communication des années 1950 aux États-Unis, au modèle de Shannon et Weaver que
Lévi-Strauss cite d’ailleurs en note de bas de page. Il précise à ce propos :
En s’associant de plus en plus étroitement à la linguistique pour constituer un jour avec elle
une vaste science de la communication, l’anthropologie sociale peut espérer bénécier des
immenses perspectives ouvertes à la linguistique elle-même, par l’application du raisonnement
mathématique à l’étude des phénomènes de communication (Lévi-Strauss, 1950, p. 36-37).
C’est un schéma de communication simple, celui de la transmission d’un message
de A vers un sujet B, se confondant ainsi avec une théorie de l’information. Le modèle
s’apparente à une technique opératoire, claire et efcace. Communication et information
vont devenir quasi interchangeables, ou plutôt vont devenir les membres de l’ensemble
« communication de l’information » (Winkin, 2001a, p. 17). Chez Lévi-Strauss donc, cette
anthropologie comme anthropologie de la communication est celle de l’échange, qui est pris
d’un point de vue logique et structural : l’échange comme « commun dénominateur d’un
grand nombre d’activités sociales en apparence hétérogènes entre elles » (Lévi-Strauss,
1950, p. 37-38) ne se donne pas à voir empiriquement, mais se révèle selon les fameuses
trois obligations « donner, recevoir, rendre ». On a donc affaire à une mécanique bien huilée
de la réciprocité, qui assure la reproduction du modèle A-B-A.
Remontons quelque peu en arrière, Gregory Bateson, anthropologue et biologiste,
publie en 1936 La Cérémonie du naven, une vaste étude de type structural consacrée aux
Iatmul de Nouvelle-Guinée et, notamment, à leur système de parenté. Il élargit la question
de la communication en l’envisageant de manière circulaire et en introduisant l’idée de
rétroaction (feedback) du récepteur sur l’émetteur. Il ajoute que l’observateur occupe une
fonction dans la communication, faisant de cette étude un exercice réexif sur les conditions
et le sens du travail ethnologique. Enn, tout comportement est, selon lui, communication.
Ainsi, sa théorie générale de la communication est celle des interactions. François
Laplantine, dans son Anthropologie (1987), en établissant le lien entre anthropologie
structurale et anthropologie systémique, fait un parallèle entre Lévi-Strauss et Gregory
Bateson : « Il existe bien entendu des différences de taille entre le structuralisme européen
et l’interactionnisme américain. Mais ils visent ensemble à construire [...] une science de
la communication » (Laplantine, 1987, p. 125-130). Même si ce parallèle peut être discuté
(Olivesi, 1997), il constitue une orientation d’anthropologie de la communication, initiée
par Gregory Bateson puis par l’École de Palo Alto, examinant « les différentes modalités de