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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
A la recherche des bosons de Higgs
27/01/10
Selon le Modèle standard de la physique des particules , le champ de Higgs est ce qui confère leur masse aux
particules. Il est indétectable sauf si l'on repère certaines perturbations qui le parcourent: les bosons. C'est un
des grands enjeux des expériences menées au LHC du CERN.
« Pourquoi beaucoup de personnes aiment-elles lire les romans policiers ou jouer à des jeux online dont
elles sont les héroïnes ?, s'interroge Igor Ivanov, chargé de recherches FNRS au Groupe des Interactions
fondamentales en physique et en astrophysique de l'ULg. Parce qu'il y a un problème à résoudre et que
cela fait partie de la nature de l'homme de chercher à comprendre et à trouver des solutions aux énigmes
qui se posent à lui. De même, la physique théorique, bien au-delà de ses applications possibles, s'attache à
révéler une dimension fondamentale de la matière puisqu'elle tente avant tout de résoudre les problèmes de
la nature... et ils sont beaucoup plus compliqués et intéressants que ceux que d'autres ont imaginé pour nous
en écrivant un roman policier ou en programmant un jeu vidéo. Trouver des solutions à ces problèmes qui
touchent à la structure fondamentale du monde est un plaisir plus qu'un défi. »
La physique des particules aspire à décrire le comportement des particules élémentaires à l'échelle la plus
petite possible afin de comprendre l'origine de leurs propriétés. Mais les particules évoluent dans le monde
quantique dans lequel elles se comportent comme des ondes et comme des particules. C'est pourquoi la
physique théorique associe à chaque particule un champ dont l'énergie la plus basse représente l'état du vide,
alors que la particule associée résulte d'une excitation de ce champ. Le Modèle dit standard de la physique
des particules permet de décrire avec une précision remarquable les particules et leurs interactions telles
qu'elles sont observées dans les grands accélérateurs. Ce modèle se fonde sur la symétrie de l'interaction
électrofaible qui existait dans l'univers primordial très dense et très chaud, et qui s'est brisée lorsque la
température de celui-ci n'a plus été suffisante. Ainsi, le modèle standard a besoin d'être accompagné d'un
mécanisme de brisure spontanée de la symétrie électrofaible.
Des dizaines de mécanismes ont été construits. Le mécanisme de Higgs « minimal » est un modèle
mathématiquement très simple qui prédit l'existence d'une particule nouvelle, appelée le boson de Higgs.
D'autres mécanismes sont conceptuellement semblables à celui-là, mais introduisent plusieurs bosons de
Higgs. D'autres encore sont basés sur de nouveaux concepts qui peuvent provenir de théories physiques
plus fondamentales. On le voit, les mécanismes sont nombreux... et les prédictions physiques sont différentes
suivant celui qui est adopté. Le travail d'Igor Ivanov trouve sa source dans un mécanisme de brisure spontanée
de symétrie issu de la supersymétrie et connu sous le nom de modèle à deux doublets de Higgs.
© Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 24 May 2017
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Si tous ces mécanismes de brisure spontanée de symétrie électrofaible peuvent induire des conséquences
physiques différentes, ils partagent une prédiction commune : la brisure de symétrie s'accompagne toujours
de l'apparition d'un champ de Higgs (1) qui remplit tout l'espace, un peu comme l'air. À nouveau, les propriétés
de ce champ dépendent du mécanisme de brisure de symétrie sélectionné.
Ce champ de Higgs n'a encore jamais été détecté. Il est pourtant un élément indispensable à la théorie. C'est
pourquoi les physiciens tentent de le débusquer depuis des dizaines d'années. « Le champ de Higgs diffère
notablement des autres champs, explique Igor Ivanov. Son état de plus basse énergie ne correspond pas à
une absence de champ, mais bien à un champ spatialement homogène, à l'origine d'une sorte de force de
Higgs qui agit de manière identique en tout point de l'espace. Ainsi, si d'autres particules circulent dans ce
champ, elles se couplent à lui. C'est par cette interaction que ces particules reçoivent leur masse : sans ce
champ, les particules auraient une masse nulle. »
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Pour comprendre ce phénomène par lequel les particules acquièrent leur masse, une analogie vaut mieux qu'un
grand discours. Soient des billes de frigolite, telles que celles utilisées pour caler un objet dans une caisse lors de son
transport. Si elles sont simplement posées sur une table et qu'on souffle dessus, elles vont s'éparpiller rapidement car
elles sont ultralégères. Par contre, si elles sont posées sur un plan d'eau, il sera plus difficile de les disperser car l'eau
leur aura donné une certaine inertie, comme une masse supplémentaire. La surface d'eau est ici une analogie au champ
de Higgs et les billes de frigolite posées sur l'eau représentent les particules qui interagissent avec ce champ.
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L'homogénéité du champ de Higgs le rend inobservable directement. Par contre, s'il vient à être excité, des
perturbations localisées apparaissent, rendant sa détection possible indirectement. Ces excitations peuvent être vues
comme une nouvelle particule, appelée le boson de Higgs. Si l'on reprend l'analogie de la surface d'eau, le boson de
Higgs correspond aux vagues qui se forment à la surface de l'eau lorsqu'on souffle dessus. Certains mécanismes plus
complexes de brisure de symétrie, comme le modèle à deux doublets de Higgs, prédisent même l'existence de plusieurs
bosons de Higgs.
La découverte du ou des boson(s) de Higgs est la seule manière de détecter le champ du même nom. Si
depuis de nombreuses années, les physiciens tentent de mettre en évidence cette particule dans tous les
accélérateurs de particules du monde, elle demeure jusqu'à présent introuvable... Mais la difficulté est de
taille : tous les modèles prédisent son existence, mais pratiquement aucun ne peut donner sa masse qui
reste un paramètre libre du modèle théorique. Bref, on ne sait pas dans quelle gamme d'énergie la chercher.
Les tentatives infructueuses avec les accélérateurs de particules actuels fournissent cependant une limite
expérimentale inférieure à cette masse : elle doit être supérieure à 114 GeV/c² (Giga électrons-volts c'està-dire milliards d'électrons-volts). Des considérations théoriques permettent également de fixer une borne
supérieure à approximativement 1 TeV/c² (Téra électrons-volts) : au-delà de cette limite, le modèle standard
ne fonctionne plus et doit se transformer. Dans la course au(x) boson(s) de Higgs, l'accélérateur de particules
américain Tevatron, « concurrent » du LHC reste en liste puisqu'il commence déjà à exclure de petites régions
de cet intervalle d'énergie.
Traquer le boson de Higgs
Le grand collisionneur de hadrons (LHC) au CERN
a été mis en fonctionnement le 10 septembre 2008. Il est le plus puissant accélérateur de particules au monde
construit à ce jour. Il a produit sa première collision protons-protons le 23 novembre 2009 et les premiers
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résultats physiques sont attendus pour la fin de l'année 2010. Construit dans le tunnel de 27 kilomètres de
diamètre de son prédécesseur, le LEP (large electron-positron), il couvre une gamme d'énergies tellement
large que les physiciens sont désormais assurés de détecter le ou les boson(s) de Higgs. « Suivant l'énergie
à laquelle nous le(s) trouverons, les mécanismes de brisure de la symétrie électrofaible les plus en vogues
seront ou pas confirmés, précise Igor Ivanov. Mais dans tous les cas, nous détecterons quelque chose entre
114 GeV et 1 TeV, que ce soit une nouvelle particule ou le comportement anormal de particules connues qui
pourraient aussi jouer un rôle dans la brisure de la symétrie électrofaible. »
En vue d'interpréter correctement les données du LHC, les physiciens se doivent de dresser une liste complète
de tout ce que chaque modèle permet ou interdit. C'est pourquoi il importe d'étudier chaque modèle de la
manière la plus générale possible. Dans la pratique, c'est une tache assez ardue car les modèles présentent de
nombreux paramètres libres,comme l'explique Igor Ivanov :« J'étudie le mécanisme à deux doublets de Higgs,
issu de la théorie de la supersymétrie. Ce modèle prédit l'existence non pas d'un seul mais bien cinq bosons
de Higgs : trois électriquement neutres et deux chargés. Mais nous ne connaissons aucune des masses car il
y a beaucoup de paramètres. Nous ne prédisons que la structure du modèle, pas les détails. Ce mécanisme
ouvre la possibilité d'envisager la brisure de la symétrie électrofaible en plusieurs phases thermodynamiques,
qui pourraient avoir d'intéressantes conséquences cosmologiques dans l'univers primordial. Ce modèle peut
se décliner selon une dizaine de variantes. Depuis une trentaine d'années, les chercheurs l'étudient, mais
les équations mathématiques qui le décrivent sont d'une complexité telle qu'ils ne sont encore parvenus à
considérer que des cas particuliers ou des approximations. Le modèle le plus général restait réfractaire à
tout traitement : les éventuelles propriétés communes à tous ces cas particuliers demeuraient inaccessibles.
Nous ne parvenions pas à savoir s'il y avait une caractéristique commune qui serait, de surcroît, testable
expérimentalement. »
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Associer des figures géométriques
Igor Ivanov a imaginé une approche qui permet de traiter
ce modèle, dans son cas le plus général, sans avoir besoin de résoudre les équations très compliquées
qui le décrivent. L'idée est d'associer à ces équations des figures géométriques qui permettent une certaine
visualisation du modèle.
Tout mécanisme de Higgs prédit des propriétés particulières du vide de Higgs qui permettent ensuite d'étudier
la manière avec laquelle la présence de ce dernier influence les autres particules. Ce vide correspond au
minimum d'énergie du champ de Higgs. Le calculer est particulièrement difficile dans le modèle général à
deux doublets de Higgs, à cause de la complexité des équations qui le décrivent. Par contre, le regarder à
travers le prisme des symétries révèle que beaucoup de détails compliqués inclus dans le modèle n'ont en
réalité qu'un rôle négligeable sur les propriétés du vide de Higgs : ils ne sont pas tellement liés aux propriétés
physiques du système, mais plutôt à la manière avec laquelle ce dernier est observé. De même, d'autres
dispositifs importants peuvent être représentés par des figures géométriques quadridimensionnelles abstraites
qui offrent une vision plus claire d'un problème mathématique en apparence très complexe. Par exemple,
dans cet espace abstrait, le vide de Higgs peut être trouvé comme solution de l'intersection d'un cône et d'un
hyperboloïde.
Si la correspondance entre des équations théoriques et des objets géométriques est encourageante, des
recherches restent nécessaires pour en tirer toutes les conséquences et étudier effectivement le modèle
général à deux doublets de Higgs au moyen de cet outil géométrique qui va en faciliter grandement la tâche.
La méthode élaborée par Igor Ivanov est générale : elle peut être appliquée à d'autres mécanismes de
Higgs mais aussi à d'autres problématiques que celles traitées par la physique des particules. Par exemple,
la description des supraconducteurs à deux bandes peut également se faire à partir de mathématiques
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semblables. Rien de surprenant puisque de nombreuses branches de la physique sont reliées entre elles.
Ainsi, l'étude des mécanismes de Higgs pourraient ouvrir de nouvelles perspectives dans la compréhension
d'une large gamme de systèmes physiques.
Igor Ivanov est le quatrième récipiendaire du prix international Bogoliubov pour jeunes chercheurs. Ce
prix récompense tous les trois ans un jeune scientifique qui travaille sur l'application de mathématiques
élaborées à la résolution de problèmes concrets de la physique théorique. Ouvert à toutes les nationalités,
le prix Bogoliubov pour jeunes chercheurs a été créé il y a dix ans par le JINR (Joint Institute for Nuclear
Research), organisation internationale intergouvernementale située en Russie, en l'honneur du physicien et
mathématicien russe Nikolaï Bogoliubov.
(1) - Bien que le boson et le champ portent le nom de Peter Higgs, ils ont été découverts en 1964 par trois
groupes indépendants: Robert Brout et François Englert à l'ULB, Peter Higgs à Edimbourg, Gerald Guralnik,
C. R. Hagen et Tom Kibble à l'Imperial College de Londres.
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