Prise de position de Caritas_Novembre 2013
La pauvreté entrave
l’adaptation au
changement climatique
Position de Caritas sur la manre de faire face aux
conséquences du changement climatique dans le Sahel
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Changement climatique au Sahel
En bref :
en automne 2013 le cinquième rapport
d’évaluation du Groupement intergouvernemental
d’experts sur les évolutions du climat (GIEC) est
paru. Il confirme les connaissances précédentes
sur le changement climatique, mais met en évi-
dence que ses effets se feront sentir plus rapide-
ment que prévu. Les populations des régions parti-
culièrement sensibles, par exemple le Sahel, vont
être soumises de façon plus marquée encore aux
événements climatiques extrêmes. Or, les pays du
Sahel font partie des pays les plus pauvres et les
moins développés de la planète. Cette pauvreté
est un sérieux obstacle aux stratégies d’adapta-
tion nécessaires pour faire face à ces inévitables
changements. Les personnes en extrême pauvreté
ne sont pas en mesure d’augmenter durablement
leur résilience, d’adopter le comportement adé-
quat vis-à-vis des changements climatiques, de
réduire les effets des catastrophes et de maîtriser
seules les situations de crise.
La maîtrise de la pauvreté est donc le premier
pas à faire pour faire face efficacement aux
conséquences du changement climatique. Plu-
sieurs pays de la région du Sahel disposent de
ressources considérables, mais leurs terres fer-
tiles sont cédées aux investisseurs internationaux
pour l’agro-industrie d’exportation et leurs reve-
nus provenant de l’exploitation des matières pre-
mières (par exemple le pétrole) ne profitent qu’à
quelques rares privilégiés. Les conflits politiques
empêchent les populations civiles d’améliorer
leurs conditions de vie.
Néanmoins, on observe sur place quelques initia-
tives prometteuses qui visent à assurer la sécu-
rité alimentaire et à réduire la pauvreté tout en
s’adaptant aux changements climatiques. Dans
cette prise de position, Caritas Suisse montre les
activités qu’elle met en place avec la population
locale affectée. Caritas désigne également les
champs d’action dont les acteurs étatiques et la
société civile devraient se saisir en priorité pour
remédier aux causes structurelles des crises hu-
manitaires dues aux famines et aux inondations.
En automne 2013 est paru le cinquième rapport d’évalua-
tion du GIEC, le Groupement intergouvernemental d’ex-
perts sur les évolutions du climat (en anglais : Intergovern-
mental Panel on Climate Change, IPCC). Ce rapport
confirme les conclusions du rapport précédent, datant de
2007, selon lequel le réchauffement climatique progresse
irrémédiablement. De nombreux systèmes naturels sont
touchés par des changements climatiques régionaux, no-
tamment des hausses de température. Le nouveau rap-
port du GIEC met aussi en évidence le fait que les effets
du changement climatique se font sentir plus rapidement
que prévu lors de précédentes évaluations. On estimait
jusqu’ici que la température moyenne mondiale allait aug-
menter de 2 degrés Celsius au maximum par rapport au
niveau qui prévalait au début de l’ère industrielle : cette
estimation semble désormais remise en question. Pour
cela, il aurait fallu que le cumul des différentes sources de
production de CO
2
(charbon, pétrole, gaz et bois) plafonne
à 1000 milliards de tonnes au maximum. La moitié de ce
« budget » a déjà été utilisé. En outre, selon les pronostics
du GIEC, le niveau des océans monte plus rapidement que
prévu : on parle désormais d’une augmentation de 26 à 81
centimètres jusqu’à la fin de ce siècle.
Il est difficile de prévoir avec exactitude quelles seront les
conséquences, pour l’économie et les populations, des
changements climatiques, des saisons et des ressources
en eau. Mais plus personne ne conteste que le change-
ment climatique représente l’un des défis majeurs de notre
époque, car il a un impact sur l’existence, le bien-être et le
développement de toutes les sociétés. Les modèles cou-
rants de la sécurité sociale et économique sont remis en
question. Les pays en voie de développement sont par-
ticulièrement touchés par les conséquences du change-
ment climatique puisque sécheresses, inondations et cy-
clones se multiplient, et qu’une augmentation du niveau
des océans se confirme. Cela entraîne toute une série de
conséquences liminaires moins visibles : conflits autour
des ressources en eau qui se raréfient, pertes des bases
traditionnelles de l’existence, accroissement des mouve-
ments migratoires.
4
La zone du Sahel, cette zone de transition semi-aride, si-
tuée entre les zones désertiques du Sahara et les savanes
sèches ou humides plus au sud, est l’une des régions
particulièrement touchées par les effets du réchauffement
climatique. Le Sahel possède une végétation clairsemée
essentiellement de savanes épineuses. Les États qui se
partagent partiellement le Sahel, Sénégal, Maurétanie,
Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger, Soudan, Éthiopie et Éry-
thrée, font partie des pays les plus pauvres du monde. Le
Sahel s’étire de l’Atlantique jusqu’à la mer Rouge. Mais
quand on parle du Sahel, on fait souvent référence à sa
partie occidentale, et l’on met
de côté le Soudan, l’Éthiopie et
l’Érythrée.
Au nord du Sahel, le climat est
chaud et sec ; au sud, chaud
et humide. La pluviosité corres-
pond à ces variations : au nord du Sahel, elle s’élève en
moyenne à 20 mm par an, c’est-à-dire presque aucune
pluviosité ; dans la région médiane du Sahel, une région de
savane épineuse, la pluviosité atteint en moyenne 100 mm
par an ; et dans la région de savane du sud du Sahel, on a
une mousson de deux à quatre mois, entre fin juin et sep-
tembre, et la pluviosité atteint 500 mm en moyenne par an.
La quantité de pluie dépend essentiellement de l’écart de
température entre le continent et l’océan. Si cet écart est
peu important, la pression atmosphérique est peu contras-
tée et la mousson reste faible. Un écart plus important
pousse plus loin à l’intérieur des terres la mousson gorgée
de vapeur d’eau, apportant de plus grandes quantités de
pluie dans le sud de la zone du Sahel.
Zone du Sahel :
la ceinture aride
de l’Afrique
Plus de dix millions de
personnes du Sahel occidental
victimes de la famine en 2012.
Depuis un certain temps, les événements climatiques ex-
trêmes prennent nettement de l’ampleur. Sécheresses
et inondations se produisent selon une fréquence et une
ampleur très différente selon les lieux et les régions. Les
chutes de pluie ruissellent sans pénétrer les sols secs et
desséchés. Les régions érodées par des inondations sont
plus vulnérables en période de sécheresse. Périodique-
ment, on déplore de mauvaises récoltes ou même une
absence de récolte engendrant une catastrophe pour les
populations : en été 2006 au Niger, la sécheresse et une
invasion de criquets pèlerins ont anéanti plus de la moi-
tié des récoltes. En septembre
2009, la Corne de l’Afrique a
souffert d’une sécheresse qui
a rendu des millions de per-
sonnes entièrement dépen-
dantes de l’aide alimentaire
pour survivre. En même temps,
dans le Sahel occidental, 600 000 personnes étaient vic-
times de violentes inondations. En 2012, plus de dix mil-
lions de personnes du Sahel occidental étaient victimes
de la famine.
En juin 2013, l’Union européenne (UE) prévoyait une sé-
vère crise alimentaire dans toute la zone du Sahel et esti-
mait que plus de 4 millions d’enfants étaient menacés par
une grave sous-alimentation. Si des mesures d’adaptation
ne sont pas prises rapidement, le désert va gagner du ter-
rain et l’existence sociale va fondamentalement changer
dans de grandes zones du Sahel.
ZONE DU SAHEL
Italie
Espagne
Maroc
Algérie
Tunisie
Libye
Cameroun
Soudan
du Sud
République
centrafricaine
Soudan
Mali
Égypte
Niger
Nigeria
Liberia Ghana
Tchad
Mauritanie
Sénégal
Burkina
Faso
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La « sécheresse du Sahel » : depuis les années 60, on
constate une réelle tendance au réchauffement de
l’Afrique. Dans les années 70 et 80, le Sahel a traversé une
période de sécheresse prolongée, accompagnée d’une
désertification sans précédent au 20e siècle. Cette sé-
cheresse est directement due à une très importante dimi-
nution des précipitations : entre 1970 et 1990 en effet, la
moyenne des précipitations dans cette région a diminué
de plus de 50 % par rapport à
la période 1931 à 1960. Depuis
les années 90, les précipitations
sont à nouveau au-dessus de
la moyenne certaines années,
mais sans que l’on puisse en
tirer une tendance et sans que
ces précipitations mettent un terme à la sécheresse en-
démique. Les connaissances actuelles permettent d’af-
firmer que cette grande sécheresse du Sahel est princi-
palement due aux changements climatiques. Alors que la
surexploitation des pâturages et du bois n’a pas joué un
rôle de cause à effet.
Le Sahel de l’Est est victime depuis des années de grandes
sécheresses. Celle de 2012 avait été annoncée une année
à l’avance par le Programme Alimentaire Mondial des Na-
tions Unies (PAM). Les experts prévoyaient que les pré-
cipitations de la mousson n’atteindraient pas la Somalie
et l’Éthiopie. La Niña – la petite sœur du célèbre El Niño
qui avait ravagé l’Amérique centrale – se montrait si ca-
pricieuse avec ses courants qu’elle empêchait les mous-
sons d’automne d’atteindre l’Afrique de l’Est alors que
l’Australie était victime d’inondations dévastatrices. Ce
phénomène provoqué par la Niña est connu. Mais le ré-
chauffement climatique contribue à accentuer les longues
périodes de sécheresse, ce qui pousse les populations à
quitter leurs maisons pour aller chercher hébergement et
denrées alimentaires dans des
camps de réfugiés en l’absence
de mesures de protection et
d’adaptation.
Cependant, les modélisations à
long terme concernant le chan-
gement climatique au Sahel ne sont pas univoques. Selon
les connaissances actuelles, les continents se réchauffent
plus rapidement que les océans, ce qui accentue les diffé-
rences de température entre les terres et les mers et ren-
force à long terme les moussons. Selon ces modélisations,
cette évolution pourrait engendrer une augmentation des
moussons de 25 à 50 % dans le Sahel d’ici 2080. En pré-
voyant des mesures adéquates pour gérer ces grandes
quantités de précipitations, le sud du Sahel pourrait se
voir gratifié ces prochaines années de la création de zones
de végétation. De plus, les images satellites montrent que
de larges étendues de la région du Sahel sont à nouveau
plus verdoyantes.
Source : bildungsserver.hamburg.de
Indices de précipitation
Année
mm par mois
Année
Pluviosité dans le Sahel : observations (noir)
et pronostics selon différents scénarios
du Groupement intergouvernemental d’experts
sur les évolutions du climat en 2007
Source : Joint Institute for the Study of the Atmosphere and Ocean (JISAO)
Précipitations dans le Sahel
de 1950 à 2010 : écarts de la moyenne
en millimètres par mois
Depuis les années 60, on
constate une réelle tendance
au réchauffement de l’Afrique.
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L’extrême pauvreté ne
permet pas aux populations
du Sahel de faire face aux
conséquences du changement
climatique.
La population du Sahel est régulièrement touchée par des
crises humanitaires. Cependant, il serait réducteur de ne
les expliquer que par l’augmentation des sécheresses et
des inondations dues au changement climatique. Ce der-
nier en effet engendre des situations humainement difficiles
lorsque ses événements ex-
trêmes frappent une population
déjà fragilisée par une pauvreté
extrême et qui n’est pas en me-
sure de s’adapter aux chan-
gements. Les populations du
Sahel ne peuvent pas faire face
aux conséquences du change-
ment climatique parce qu’elles
ne peuvent pas faire face à leur pauvreté. La pauvreté ne
permet pas de faire acte de prévoyance : les réserves et
la gestion agricole font défaut, et les emplois et l’argent
manquent pour acheter des vivres en temps de crise.
Les pays du Sahel font partie des pays plus pauvres de la
planète. Un tiers de la population du Niger et du Tchad sont
chroniquement sous-alimentés. Tous les États du Sahel
sont classés par l’ONU dans la catégorie des 49 pays les
moins développés et les plus pauvres du monde, avec les
infrastructures les plus faibles et les déficits les plus impor-
tants en matière d’éducation et de santé. Selon le Rapport
sur le développement humain 2013 (RDH) du Programme
des Nations Unies pour le développement (PNUD), la plu-
part des pays du Sahel occupent les dernières places de
la liste de 186 pays. Dans ces pays, de 40 à 80 % de la
population survivent dans une extrême pauvreté.
Les causes de cette pauvreté sont multiples. Au sein de
chacun de ces pays, le revenu et la propriété sont très
mal répartis. Au Sénégal, par exemple, la moitié de la po-
pulation se trouve dans une extrême pauvreté, bien que
le revenu moyen soit de 1650 dollars américains. Cet état
de fait est dû, entre autres, à
la dépendance presque ex-
clusive de certaines matières
premières, à la spoliation des
terres fertiles (land grabbing) ou
encore à la spéculation sur les
denrées alimentaires. Dans une
région donnée, les récoltes sont
anéanties par la sécheresse, et
dans une autre où les cultures seraient suffisantes pour
nourrir la population, le prix des denrées alimentaires est
trop élevé pour que la population pauvre puisse se les
procurer.
La crise de l’année 2012 dans
le Sahel occidental
La crise qui a frappé le Sahel occidental en 2012 est un
bon exemple d’un enchaînement complexe de causes fi-
nissant par engendrer une crise humanitaire : en 2012, il
n’a pratiquement pas plu dans plusieurs régions du Sahel,
et beaucoup de fleuves se sont taris. Après une mousson
2011 déjà particulièrement faible, cette absence de pluie
achève d’affecter les récoltes dans ces régions. La pénurie
locale de denrées alimentaires engendre une hausse des
Pauvreté dans le Sahel
Pays IDH
2013
Population
globale
en millions
Taux de popu-
lation en extrême
pauvreté
Revenu moyen
par personne/
année en dollars
Espérance
de vie à la
naissance
Mortalité infan-
tile pour 1000
naissances
Taux de scolari-
sation niveau
secondaire
Niger 186 16.3 82 % (2006) 701 55.1 125 13 %
Tchad 184 11.0 Pas de données 1258 49.9 169 26 %
Burkina Faso 183 17.3 66 % (2010) 1202 55.9 146 23 %
Mali 182 15.5 68 % (2006) 853 51.9 176 39 %
Érythrée 181 6.1 Pas de données 531 62.0 68 32 %
Éthiopie 173 91.2 71 % (2011) 1017 59.7 77 36 %
Soudan 171 34.2 Pas de données 1848 61.8 86 39 %
Mauritanie 155 3.4 41 % (2007) 2174 58.9 112 24 %
Sénégal 154 13.0 53 % (2011) 1653 59.6 65 37 %
Indice de développement humain (IDH) dans les pays du Sahel
Source : Rapport sur le développement humain 2013 du PNUD
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