La pauvreté entrave l`adaptation au changement climatique

publicité
La pauvreté entrave
l’adaptation au
changement climatique
Position de Caritas sur la manière de faire face aux
conséquences du changement climatique dans le Sahel
Prise de position de Caritas_Novembre 2013
Changement climatique au Sahel
En bref : en automne 2013 le cinquième rapport
En automne 2013 est paru le cinquième rapport d’évalua­
d’évaluation du Groupement intergouvernemental
tion du GIEC, le Groupement intergouvernemental d’ex­
d’experts sur les évolutions du climat (GIEC) est
perts sur les évolutions du climat (en anglais : Intergovern­
paru. Il confirme les connaissances précédentes
mental Panel on Climate Change, IPCC). Ce rapport
sur le changement climatique, mais met en évi-
confirme les conclusions du rapport précédent, datant de
dence que ses effets se feront sentir plus rapide-
2007, selon lequel le réchauffement climatique progresse
ment que prévu. Les populations des régions parti-
irrémédiablement. De nombreux systèmes naturels sont
culièrement sensibles, par exemple le Sahel, vont
touchés par des changements climatiques régionaux, no­
être soumises de façon plus marquée encore aux
tamment des hausses de température. Le nouveau rap­
événements climatiques extrêmes. Or, les pays du
port du GIEC met aussi en évidence le fait que les effets
Sahel font partie des pays les plus pauvres et les
du changement climatique se font sentir plus rapidement
moins développés de la planète. Cette pauvreté
que prévu lors de précédentes évaluations. On estimait
est un sérieux obstacle aux stratégies d’adapta-
jusqu’ici que la température moyenne mondiale allait aug­
tion nécessaires pour faire face à ces inévitables
menter de 2 degrés Celsius au maximum par rapport au
changements. Les personnes en extrême pauvreté
niveau qui prévalait au début de l’ère industrielle : cette
ne sont pas en mesure d’augmenter durablement
estimation semble désormais remise en question. Pour
leur résilience, d’adopter le comportement adé-
cela, il aurait fallu que le cumul des différentes sources de
quat vis-à-vis des changements climatiques, de
production de CO2 (charbon, pétrole, gaz et bois) plafonne
réduire les effets des catastrophes et de maîtriser
à 1000 milliards de tonnes au maximum. La moitié de ce
seules les situations de crise.
« budget » a déjà été utilisé. En outre, selon les pronostics
La maîtrise de la pauvreté est donc le premier
du GIEC, le niveau des océans monte plus rapidement que
pas à faire pour faire face efficacement aux
prévu : on parle désormais d’une augmentation de 26 à 81
conséquences du changement climatique. Plu-
centimètres jusqu’à la fin de ce siècle.
sieurs pays de la région du Sahel disposent de
ressources considérables, mais leurs terres fer-
Il est difficile de prévoir avec exactitude quelles seront les
tiles sont cédées aux investisseurs internationaux
conséquences, pour l’économie et les populations, des
pour l’agro-industrie d’exportation et leurs reve-
changements climatiques, des saisons et des ressources
nus provenant de l’exploitation des matières pre-
en eau. Mais plus personne ne conteste que le change­
mières (par exemple le pétrole) ne profitent qu’à
ment climatique représente l’un des défis majeurs de notre
quelques rares privilégiés. Les conflits politiques
époque, car il a un impact sur l’existence, le bien-être et le
empêchent les populations civiles d’améliorer
développement de toutes les sociétés. Les modèles cou­
leurs conditions de vie.
rants de la sécurité sociale et économique sont remis en
Néanmoins, on observe sur place quelques initia-
question. Les pays en voie de développement sont par­
tives prometteuses qui visent à assurer la sécu-
ticulièrement touchés par les conséquences du change­
rité alimentaire et à réduire la pauvreté tout en
ment climatique puisque sécheresses, inondations et cy­
s’adaptant aux changements climatiques. Dans
clones se multiplient, et qu’une augmentation du niveau
cette prise de position, Caritas Suisse montre les
des océans se confirme. Cela entraîne toute une série de
activités qu’elle met en place avec la population
conséquences liminaires moins visibles : conflits autour
locale affectée. Caritas désigne également les
des ressources en eau qui se raréfient, pertes des bases
champs d’action dont les acteurs étatiques et la
traditionnelles de l’existence, accroissement des mouve­
société civile devraient se saisir en priorité pour
ments migratoires.
remédier aux causes structurelles des crises humanitaires dues aux famines et aux inondations.
3
La zone du Sahel, cette zone de transition semi-aride, si­
Depuis un certain temps, les événements climatiques ex­
tuée entre les zones désertiques du Sahara et les savanes
trêmes prennent nettement de l’ampleur. Sécheresses
sèches ou humides plus au sud, est l’une des régions
et inondations se produisent selon une fréquence et une
particulièrement touchées par les effets du réchauffement
ampleur très différente selon les lieux et les régions. Les
climatique. Le Sahel possède une végétation clairsemée
chutes de pluie ruissellent sans pénétrer les sols secs et
essentiellement de savanes épineuses. Les États qui se
desséchés. Les régions érodées par des inondations sont
partagent partiellement le Sahel, Sénégal, Maurétanie,
plus vulnérables en période de sécheresse. Périodique­
Mali, Burkina Faso, Tchad, Niger, Soudan, Éthiopie et Éry­
ment, on déplore de mauvaises récoltes ou même une
thrée, font partie des pays les plus pauvres du monde. Le
absence de récolte engendrant une catastrophe pour les
Sahel s’étire de l’Atlantique jusqu’à la mer Rouge. Mais
populations : en été 2006 au Niger, la sécheresse et une
quand on parle du Sahel, on fait souvent référence à sa
invasion de criquets pèlerins ont anéanti plus de la moi­
partie occidentale, et l’on met
tié des récoltes. En septembre
de côté le Soudan, l’Éthiopie et
Plus de dix millions de
personnes du Sahel occidental
victimes de la famine en 2012.
l’Érythrée.
Au nord du Sahel, le climat est
chaud et sec ; au sud, chaud
2009, la Corne de l’Afrique a
souffert d’une sécheresse qui
a rendu des millions de per­
sonnes entièrement dépen­
dantes de l’aide alimentaire
pour survivre. En même temps,
et humide. La pluviosité corres­
pond à ces variations : au nord du Sahel, elle s’élève en
dans le Sahel occidental, 600 000 personnes étaient vic­
moyenne à 20 mm par an, c’est-à-dire presque aucune
times de violentes inondations. En 2012, plus de dix mil­
pluviosité ; dans la région médiane du Sahel, une région de
lions de personnes du Sahel occidental étaient victimes
savane épineuse, la pluviosité atteint en moyenne 100 mm
de la famine.
par an ; et dans la région de savane du sud du Sahel, on a
une mousson de deux à quatre mois, entre fin juin et sep­
En juin 2013, l’Union européenne (UE) prévoyait une sé­
tembre, et la pluviosité atteint 500 mm en moyenne par an.
vère crise alimentaire dans toute la zone du Sahel et esti­
La quantité de pluie dépend essentiellement de l’écart de
mait que plus de 4 millions d’enfants étaient menacés par
température entre le continent et l’océan. Si cet écart est
une grave sous-alimentation. Si des mesures d’adaptation
peu important, la pression atmosphérique est peu contras­
ne sont pas prises rapidement, le désert va gagner du ter­
tée et la mousson reste faible. Un écart plus important
rain et l’existence sociale va fondamentalement changer
pousse plus loin à l’intérieur des terres la mousson gorgée
dans de grandes zones du Sahel.
de vapeur d’eau, apportant de plus grandes quantités de
pluie dans le sud de la zone du Sahel.
Zone du Sahel :
Italie
Espagne
la ceinture aride
de l’Afrique
Tunisie
Maroc
Algérie
Mauritanie
Libye
Mali
Niger
Tchad
Égypte
Soudan
ZONE DU SAHEL
Sénégal
Burkina
Faso
Nigeria
Liberia
4
Ghana
Cameroun
République
centrafricaine
Soudan
du Sud
La « sécheresse du Sahel » : depuis les années 60, on
qui avait ravagé l’Amérique centrale – se montrait si ca­
constate une réelle tendance au réchauffement de
pricieuse avec ses courants qu’elle empêchait les mous­
l’Afrique. Dans les années 70 et 80, le Sahel a traversé une
sons d’automne d’atteindre l’Afrique de l’Est alors que
période de sécheresse prolongée, accompagnée d’une
l’Australie était victime d’inondations dévastatrices. Ce
désertification sans précédent au 20e siècle. Cette sé­
phénomène provoqué par la Niña est connu. Mais le ré­
cheresse est directement due à une très importante dimi­
chauffement climatique contribue à accentuer les longues
nution des précipitations : entre 1970 et 1990 en effet, la
périodes de sécheresse, ce qui pousse les populations à
moyenne des précipitations dans cette région a diminué
quitter leurs maisons pour aller chercher hébergement et
de plus de 50 % par rapport à
denrées alimentaires dans des
la période 1931 à 1960. Depuis
camps de réfugiés en l’absence
les années 90, les précipitations
sont à nouveau au-dessus de
la moyenne certaines années,
mais sans que l’on puisse en
Depuis les années 60, on
constate une réelle tendance
au réchauffement de l’Afrique.
tirer une tendance et sans que
de mesures de protection et
d’adaptation.
Cependant, les modélisations à
long terme concernant le chan­
ces précipitations mettent un terme à la sécheresse en­
gement climatique au Sahel ne sont pas univoques. Selon
démique. Les connaissances actuelles permettent d’af­
les connaissances actuelles, les continents se réchauffent
firmer que cette grande sécheresse du Sahel est princi­
plus rapidement que les océans, ce qui accentue les diffé­
palement due aux changements climatiques. Alors que la
rences de température entre les terres et les mers et ren­
surexploitation des pâturages et du bois n’a pas joué un
force à long terme les moussons. Selon ces modélisations,
rôle de cause à effet.
cette évolution pourrait engendrer une augmentation des
moussons de 25 à 50 % dans le Sahel d’ici 2080. En pré­
Le Sahel de l’Est est victime depuis des années de grandes
voyant des mesures adéquates pour gérer ces grandes
sécheresses. Celle de 2012 avait été annoncée une année
quantités de précipitations, le sud du Sahel pourrait se
à l’avance par le Programme Alimentaire Mondial des Na­
voir gratifié ces prochaines années de la création de zones
tions Unies (PAM). Les experts prévoyaient que les pré­
de végétation. De plus, les images satellites montrent que
cipitations de la mousson n’atteindraient pas la S
­ omalie
de larges étendues de la région du Sahel sont à nouveau
et l’Éthiopie. La Niña – la petite sœur du célèbre El Niño
plus verdoyantes.
Pluviosité dans le Sahel : observations (noir)
Précipitations dans le Sahel
et pronostics selon différents scénarios
de 1950 à 2010 : écarts de la moyenne
du Groupement intergouvernemental d’experts
en millimètres par mois
mm par mois
Indices de précipitation
sur les évolutions du climat en 2007
Année
Source : bildungsserver.hamburg.de
Année
Source : Joint Institute for the Study of the Atmosphere and Ocean (JISAO)
5
Pauvreté dans le Sahel
La population du Sahel est régulièrement touchée par des
Les causes de cette pauvreté sont multiples. Au sein de
crises humanitaires. Cependant, il serait réducteur de ne
chacun de ces pays, le revenu et la propriété sont très
les expliquer que par l’augmentation des sécheresses et
mal répartis. Au Sénégal, par exemple, la moitié de la po­
des inondations dues au changement climatique. Ce der­
pulation se trouve dans une extrême pauvreté, bien que
nier en effet engendre des situations humainement difficiles
le revenu moyen soit de 1650 dollars américains. Cet état
lorsque ses événements ex­
trêmes frappent une ­population
déjà fragilisée par une pauvreté
extrême et qui n’est pas en me­
sure de s’adapter aux chan­
gements. Les populations du
Sahel ne peuvent pas faire face
aux conséquences du change­
de fait est dû, entre autres, à
L’extrême pauvreté ne
permet pas aux populations
du Sahel de faire face aux
conséquences du changement
climatique.
la dépendance presque ex­
clusive de certaines matières
premières, à la spoliation des
terres fertiles (land grabbing) ou
encore à la spéculation sur les
denrées alimentaires. Dans une
région donnée, les récoltes sont
anéanties par la sécheresse, et
ment climatique parce qu’elles
ne peuvent pas faire face à leur pauvreté. La pauvreté ne
dans une autre où les cultures seraient suffisantes pour
permet pas de faire acte de prévoyance : les réserves et
nourrir la population, le prix des denrées alimentaires est
la gestion agricole font défaut, et les emplois et l’argent
trop élevé pour que la population pauvre puisse se les
manquent pour acheter des vivres en temps de crise.
procurer.
Les pays du Sahel font partie des pays plus pauvres de la
planète. Un tiers de la population du Niger et du Tchad sont
sont classés par l’ONU dans la catégorie des 49 pays les
La crise de l’année 2012 dans
le Sahel occidental
moins développés et les plus pauvres du monde, avec les
La crise qui a frappé le Sahel occidental en 2012 est un
infrastructures les plus faibles et les déficits les plus impor­
bon exemple d’un enchaînement complexe de causes fi­
tants en matière d’éducation et de santé. Selon le Rapport
nissant par engendrer une crise humanitaire : en 2012, il
sur le développement humain 2013 (RDH) du Programme
n’a pratiquement pas plu dans plusieurs régions du Sahel,
des Nations Unies pour le développement (PNUD), la plu­
et beaucoup de fleuves se sont taris. Après une mousson
part des pays du Sahel occupent les dernières places de
2011 déjà particulièrement faible, cette absence de pluie
la liste de 186 pays. Dans ces pays, de 40 à 80 % de la
achève d’affecter les récoltes dans ces régions. La pénurie
population survivent dans une extrême pauvreté.
locale de denrées alimentaires engendre une hausse des
chroniquement sous-alimentés. Tous les États du Sahel
Indice de développement humain (IDH) dans les pays du Sahel
Pays
IDH
2013
Population
globale
en millions
Taux de population en extrême
pauvreté
Revenu moyen
par personne/
année en dollars
Espérance
de vie à la
naissance
Mortalité infantile pour 1000
naissances
Taux de scolarisation niveau
secondaire
Niger
186
16.3
82 % (2006)
701
55.1
125
13 %
Tchad
184
11.0
Pas de données
1258
49.9
169
26 %
Burkina Faso
183
17.3
66 % (2010)
1202
55.9
146
23 %
Mali
182
15.5
68 % (2006)
 853
51.9
176
39 %
Érythrée
181
 6.1
Pas de données
 531
62.0
 68
32 %
Éthiopie
173
91.2
71 % (2011)
1017
59.7
 77
36 %
Soudan
171
34.2
Pas de données
1848
61.8
 86
39 %
Mauritanie
155
 3.4
41 % (2007)
2174
58.9
112
24 %
Sénégal
154
13.0
53 % (2011)
1653
59.6
 65
37 %
Source : Rapport sur le développement humain 2013 du PNUD
6
prix. Cette évolution négative est encore accentuée par
l’Ouest. Ces terres servent en premier lieu à cultiver des
l’augmentation des prix de plusieurs denrées alimentaires
agrocombustibles et à assurer la sécurité alimentaire de
sur les marchés mondiaux. La famine et la crise poussent
pays investisseurs comme la Libye et l’Arabie Saoudite. La
les gens à quitter leurs villages, leurs terres, leurs trou­
vente des terres se fait lors de négociations secrètes, les
peaux, engendrant des mouvements migratoires dus à la
prix de fermage et de vente sont ridiculement bas, le gou­
crise et la famine. Les bêtes, incapables de trouver leur
vernement offre des remises fiscales durant des années et
nourriture, meurent en masse. Leur vente ne rapporte plus
propose des taxes sur l’eau trop basses pour couvrir les
rien, leur prix s’effondre. Or, tout cela aurait pu être évité,
frais, tout ceci sans consulter les populations locales ni
comme on le voit en observant de plus près deux pays
s’inquiéter de la faisabilité du point de vue environnemental
prioritaires de Caritas, le Mali et le Tchad :
et social. Dans les régions concernées, les populations de
villages entiers sont expulsées, et le passage aux éleveurs
Mali : dans ce pays, seulement quatre pour cent des terres
nomades est interdit ; ces pratiques détruisent les struc­
sont cultivables, alors que près de 80 pour cent de la po­
tures locales de subsistance, ce qui aggrave l’insécurité
pulation travaille dans l’agriculture. Cet état de fait explique
alimentaire, et force les gens à migrer.
les risques existant en cas de mauvaise récolte due à la sé­
cheresse ou aux inondations. Dans le sud du pays, et dans
De plus, l’exploitation agricole industrielle engendre
les régions situées le long du fleuve Niger ou du fleuve Sé­
d’énormes dommages écologiques, une perte de la bio­
négal, là où les cultures sont possibles parce qu’il y a de
diversité et un abaissement du niveau du fleuve et de la
l’eau, le rendement des récoltes peut être très important.
nappe phréatique (« water grabbing »). Si tous les plans
Mais dans ces régions, on cultive essentiellement des ara­
d’investissements sont mis en œuvre, la quantité d’eau né­
cessaire à l’irrigation des terres
chides, du maïs, du sorgho, du
coton et d’autres denrées des­
tinées à l’exportation. Dans les
régions du nord en revanche,
où les précipitations sont beau­
coup plus rares, les paysans
dépendent de la mousson. Et
en période de mousson, il pleut
L’exploitation agricole indus­
trielle engendre d’énormes
dommages écologiques tels
qu’un abaissement du niveau
de la nappe phréatique.
de moins en moins, parfois seu­
serait doublée par r­apport à la
quantité nécessaire jusqu’ici.
Pour plus de 100 millions de
personnes au Niger, au Bénin et
au Nigéria, paysans et pécheurs
dépendant des eaux du fleuve
en aval, cela aurait des consé­
quences c
­ atastrophiques. Ac­
lement une heure ou deux par jour. Et s’il arrive qu’il pleuve
tuellement, dans l’Office du Niger, près de 100 000 hec­
plus, ce n’est pas une pluie régulière, mais des trombes
tares de terres sont irrigués. L’administration régionale
d’eau qui s’abattent sur les sols desséchés, provoquant
prévoit d’irriguer un à deux millions d’hectares.
inondations et ruissellements et détruisant les récoltes.
Tchad : 80 pour cent de la population du Tchad – et même
Alors que dans le nord, les petits paysans travaillent des
90 pour cent dans les régions rurales – vivent dans une
terres peu productives et voient leur existence menacée
absolue pauvreté. Comme les gens vivent presque unique­
à la moindre variation de mousson, les terres fertiles du
ment de l’économie de subsistance, ils sont extrêmement
sud du pays sont vendues par le gouvernement à des en­
vulnérables en cas de mauvaise récolte due à une séche­
treprises étrangères, sous prétexte que cela contribue au
resse ou des inondations. En 2012, la sécheresse a réduit
développement du pays. Selon le célèbre Oakland-Insti­
le rendement des récoltes de près de moitié par rapport
tute, le land grabbing est pratiqué à grande échelle au Mali,
à la moyenne des cinq dernières années. Normalement,
tout comme dans la plupart des pays du Sahel : à ce jour,
la mousson apporte environ 300 millilitres de pluie dans
près de 550 000 hectares (certains paysans parlent même
la zone du Tchad située dans le Sahel, mais en 2011 la
de 800 000 hectares) de fertiles terres agricoles de la zone
mousson n’a tout simplement pas eu lieu. En avril 2012,
semi-autonome de l’Office du Niger, cette zone de cultures
une personne sur sept était sévèrement sous-alimentée.
du sud-ouest du pays irriguée par le delta intérieur du
Dans de nombreux lieux, les hommes avaient quitté leur
fleuve Niger, ont été vendus à des entreprises françaises,
village pour chercher du travail comme journaliers dans la
anglaises, d’Arabie Saoudite, de Libye, de Chine et des
capitale et envoyer un peu d’argent à leurs familles – sans
États-Unis, ainsi qu’à différentes entreprises d’Afrique de
grand espoir de succès. En moins d’un an, le prix des
7
denrées de base que sont le maïs ou le sorgho avait dou­
Crises alimentaires en Éthiopie
blé. Les gens mouraient de faim à côté de stocks pleins
Ces trente dernières années, on estime que plus de deux
de denrées alimentaires qu’ils ne pouvaient simplement
millions de personnes sont mortes de faim en Éthiopie.
pas se payer.
Cette tragédie n’est pas due seulement aux régions arides
et pauvres en précipitations. En effet, en plus des séche­
Et pourtant, le Tchad pourrait avoir des revenus suffisants
resses, l’érosion d’une part et une politique inappropriée
pour investir dans un développement durable tenant
d’autre part, ont engendré de mauvaises récoltes, des
compte des conséquences du réchauffement climatique :
destructions du cheptel et des famines à répétition. Même
en effet, depuis 2003, le Tchad exploite et exporte du pé­
lorsque la sécheresse ne sévit pas, un enfant sur trois
trole. Au début, le gouvernement a accepté les conditions
meurt de sous-alimentation avant d’avoir atteint cinq ans.
de la banque mondiale qui demandait que la priorité soit
Dans les régions isolées, il n’y a tout simplement aucune
donnée à des investissements dans la sécurité sociale
assistance médicale. Quelque 80 pour cent des gens
et les infrastructures et que dix pour cent des revenus
travaillent dans l’agriculture, la plupart en économie de
du pétrole soient versés dans un fonds pour les généra­
subsistance et les précipitations sont les seules sources
tions futures. Selon certaines estimations, ce fonds se se­
d’irri­gation. Sa production ne suffisant pas, l’Éthiopie doit
rait élevé à plus de 1,2 milliard d’euros en 2023. Mais fin
importer d’énormes quantités de céréales. Cela a été le
2005, le gouvernement a dénoncé l’accord avec la banque
cas en 2011, lorsque la sécheresse qui a frappé toute la
mondiale ; il souhaitait renforcer l’appareil des agents de
Corne de l’Afrique a menacé directement près de cinq mil­
l’État et acheter des armes. L’abandon de la banque mon­
lions de personnes en Éthiopie seulement.
diale a été possible grâce au soutien de la Chine qui a de
gros besoins en pétrole. En 2007, la China National Pe­
Malgré la présence de fleuves et de lacs, l’Éthiopie consi­
troleum Corporation (CNPC) signe avec le gouvernement
dérée comme le château d’eau d’Afrique, l’irrigation est
du Tchad un accord pour une société de raffinerie de pé­
très faible, par manque de systèmes d’irrigation. La réforme
trole en participation. L’arrangement est tout à l’intérêt du
agraire qui serait nécessaire n’est pas entreprise ; ces deux
président Déby : comme la CNPC ne s’embarrasse au­
éléments empêchent le pays d’assurer structurellement
cunement de transparence, ce
dernier peut utiliser les milliards
du pétrole selon son bon plaisir.
Depuis lors, l’entreprise suisse
de matières premières Glencore
participe également à l’exploi­
tation des champs de pétrole.
Pour exploiter ce pétrole, il a
sa production agricole. Dans
En Éthiopie, l’érosion ainsi
qu’une politique inappropriée
ont engendré de mauvaises
récoltes et des famines à
répétition.
fallu dès le début exproprier et
cette situation, les sécheresses
de plus en plus fréquentes ont
des conséquences humaines
dramatiques. Les crises qui en
résultent sont encore aggra­
vées par des conflits internes
entre différents groupes de po­
pulation. Les paysans séden­
déplacer des paysans qui vivaient dans les régions des
taires et les éleveurs nomades se disputent l’eau et les
champs de pétrole. En fait, ce n’est pas le Tchad qui est
pâtures, ceci alors même que l’Éthiopie possède suffi­
pauvre, ce sont ses habitants. Il aurait été possible de
samment d’eau. Le développement économique du pays
mettre sur pied des mesures d’adaptation au changement
est sans cesse retardé par ce genre de conflits, par de
climatique, et de les financer, mais le gouvernement a eu
mauvaises décisions politiques et une gestion lacunaire.
d’autres priorités. En 2012, sous la pression internationale,
À cela s’ajoute, comme dans d’autres pays, une stratégie
l’État du Tchad s’est dit prêt à consacrer quelque deux mil­
agressive de land grabbing de la part du gouvernement :
lions de francs provenant des bénéfices du pétrole dans
d’immenses surfaces de terres arables sont vendues à des
le développement des régions à pétrole en construisant
investisseurs internationaux, étatiques ou privés. Les pay­
des puits et en investissant dans une infrastructure pour
sans dépouillés de leur lopin de terre doivent ensuite louer
la formation et la santé.
leurs bras pour des salaires dérisoires à des exploitations
agricoles internationales. Les salaires qu’ils touchent ne
suffisent pas à nourrir leurs familles : la spirale de la pau­
vreté se poursuit, et avec elle l’augmentation de la vulné­
rabilité lorsque la sécheresse arrive.
8
Gérer le changement climatique
Les sécheresses et les inondations provoquent des crises
la gestion des gouvernements au plan régional, national et
humanitaires. Pour y faire face, il faut en tout premier lieu
local ; l’élaboration de mécanismes de sécurité permettant
augmenter la « résilience » des populations locales, c’est-
de faire face aux menaces par-delà les frontières ; la lutte
à-dire qu’il faut que ces dernières soient à même de mieux
contre la pauvreté et le renforcement de la résilience à tous
gérer les changements climatiques, d’amoindrir les effets
les niveaux. Cela inclut des adaptations nécessaires au
des catastrophes et de maîtriser les situations de crise.
changement climatique, le renforcement de conditions de
Il faut donc des investissements directs, des services de
vie durables et la mise sur pied de prestations et services
conseils, et surtout, il faut opé­
rer des changements dans les
conditions-cadres politiques et
économiques. Tant que les gou­
vernements ne sont pas prêts à
s’engager pour un développe­
ment rural durable et qu’ils
continuent à permettre que les
sociaux effectifs. Une attention
On peut remplir des citernes
d’eau durant les périodes
des pluies, ce qui évite de vider
la nappe phréatique par des
forages inutiles.
particulière doit être donnée à
la gestion des ressources natu­
relles, notamment de l’eau.
Au vu de l’augmentation des
phénomènes météorologiques,
une prévention des catas­
trophes au plan local est abso­
petits paysans soient expulsés,
dépossédés de leurs lopins de terre et de toutes les bases
lument nécessaire. Elle est porteuse de succès, comme
de leur existence, la population locale ne peut pas investir
le montrent de nombreux projets de développement : on
dans l’amélioration de sa situation.
peut remplir des citernes et d’autres installations de re­
tenue d’eau durant les périodes des pluies, ce qui évite
Un rapport du Secrétaire général de l’ONU datant de juin
de mettre en danger la nappe phréatique par des forages
2013 et présentant la situation dans le Sahel à l’attention
inutiles. Les barrages et les bassins de retenue peuvent
du Conseil de sécurité met cet état de fait en évidence.
servir aussi bien de protection contre les inondations que
Les efforts politiques isolés ne peuvent pas être durable­
de réservoirs lors des périodes de sécheresse. De plus,
ment couronnés de succès, et c’est aussi valable pour
la construction d’entrepôts communaux de stockage des
les mesures d’adaptation aux changements climatiques.
céréales, la protection contre l’érosion, les aménagements
Souvent, les gouvernements concernés ne sont pas prêts
du lit des rivières, les efforts de reboisement, l’emploi de
à donner la priorité à la sécurité alimentaire, l’emploi et la
semences résistantes à la sécheresse, les systèmes de
sécurité sociale des populations pauvres. Le rapport de
prévention précoce ou l’élaboration de jardins potagers
l’ONU propose une stratégie régionale intégrale qui ne
sont autant d’éléments qui servent à la prévention des
s’arrête pas aux frontières et agit à différents niveaux :
catastrophes.
parmi les objectifs principaux, on trouve l’amélioration de
9
L’engagement de Caritas dans le Sahel
Caritas Suisse gère depuis longtemps des projets dédiés
Prévention
à ces priorités dans les pays du Sahel, au Mali, au Tchad
Caritas Suisse soutient les efforts de la population en ce
et en Éthiopie. Outre l’aide humanitaire nécessaire, elle
qui concerne la prévention de catastrophes à venir, par
prend des initiatives d’adaptation aux conséquences du
exemple par le biais d’entrepôts de stockage de céréales,
réchauffement climatique. Ces mesures font partie de l’ob­
de prévention contre les invasions de criquets et de sys­
jectif premier qui consiste à améliorer la sécurité alimen­
tèmes de prévention précoces.
taire des populations pauvres et à encourager le revenu.
Les points suivants sont prioritaires :
Aide humanitaire
Gestion des ressources naturelles
Caritas Suisse soutient, si besoin, des groupes de popula­
tion particulièrement vulnérables, par exemple les femmes,
Caritas Suisse aide les paysans et les éleveurs à exploiter
les enfants, les personnes âgées ou les personnes ex­
durablement les ressources à disposition (terre, eau, forêt)
pulsées et assure aux familles de paysans une réhabilita­
et prend des mesures leur permettant d’augmenter leur ré­
tion dans l’agriculture. On empêche ainsi une aggravation
silience (protection contre l’érosion, amélioration des tech­
des insuffisances d’approvisionnement et l’émergence de
niques de culture, conventions d’exploitation, droit du sol).
fausses dépendances. En cas de crise humanitaire impor­
tante, elle fournit également une aide alimentaire.
Sécurité alimentaire et encourage­
ment du revenu
Exemples : dans la région éthiopienne du Tigray, la
Caritas Suisse contribue de différentes manières à l’amé­
construction de puits et de citernes ainsi que d’une digue
lioration de la situation alimentaire et des revenus des
pour capter les eaux du fleuve permet d’irriguer des jardins
groupes de producteurs : accès à l’eau, diversification de
maraîchers. Au Mali, la construction de digues de retenue
la production, jardins potagers irrigués, construction de
permet de cultiver et de commercialiser en partie diffé­
chaînes de valeur ajoutée pour le marché local et régio­
rentes variétés de légumes. Toujours au Mali, grâce à de
nal (p. ex. arachides, sésame, oignons, petit bétail, miel),
nouvelles techniques de cultures, les paysans s’adaptent
mise sur pied de petites entreprises juridiquement recon­
aux changements climatiques et augmentent leur produc­
nues et professionnalisation de systèmes de microcrédits
tion pour la commercialisation, par exemple la production
et de caisses d’épargne.
de miel. Parallèlement, ils assurent leur sécurité alimen­
taire. Au Tchad, les paysans sont soutenus pour amélio­
rer leur production tenant compte des changements cli­
matiques.
10
Réponses de Caritas
des sécheresses et des inondations et multiplie ainsi les
4. Contribuer à réduire les effets
du changement climatique.
crises humanitaires. Mais comme on l’a vu plus haut, les
Il est indispensable d’entreprendre au plan local et régional
causes structurelles de ces crises dépassent largement
de gros efforts (qui favoriseront aussi la sécurité alimen­
Le réchauffement climatique entraîne une augmentation
ce seul problème. Pour faire face à ces causes, il faut in­
taire) pour réduire les émissions de CO2. Par exemple, il
tervenir sur plusieurs plans. On peut nommer sept de ces
faut favoriser les projets de reboisement ainsi que l’intro­
champs d’action pour lesquels les organisations étatiques
duction et l’emploi de technologies innovantes, comme les
tout comme celles de la société civile doivent s’engager :
chauffages économiques et les pompes à eau et l’éner­
gie solaire.
1.Apporter une aide humanitaire.
En cas de catastrophe, inondations, sécheresses ou tem­
5. Créer des possibilités d’emplois.
pêtes et lors des mouvements migratoires et des famines
Dans les régions rurales, les entreprises devraient investir
qui en résultent, il faut mettre en place une aide humani­
dans des exploitations adaptées aux changements des
taire : en plus de l’aide d’urgence, il s’agit d’élaborer un
conditions-cadres. Pour une efficacité optimale, il faut tenir
travail de reconstruction graduel.
compte du fait que la création d’emplois doit fournir des
possibilités de travail aux hommes et aux femmes et qu’il
s’agit d’investir en premier lieu dans des branches avec
2.Minimiser les risques et
augmenter la capacité de
réaction face aux crises.
de grands besoins de main-d’œuvre peu qualifiée plutôt
que dans des industries d’exportation à forte intensité de
capital.
Il faut exiger de tous les acteurs qu’ils augmentent leur apti­
tude à prévoir les risques liés au changement climatique et à
s’y préparer. Il s’agit de procéder à des analyses de risques,
6. Construire une sécurité sociale.
de mettre au point des systèmes de détection et de préven­
Le caractère imprévisible des changements climatiques
tion, d’investir dans la logistique et de mettre sur pied des
appelle de nouvelles formes de sécurité sociale qui ne sont
structures organisationnelles participatives et responsables.
plus basées sur les représentations traditionnelles de la sé­
Par exemple, il faut construire des entrepôts de stockage
curité. Il s’agit de mettre sur pied des systèmes de sécu­
des céréales et des banques de semences assurant la sé­
rité sociale autonomes et adaptés aux exigences locales.
curité alimentaire durant les périodes de sécheresse.
3.S’adapter aux changements.
7. Renforcer les structures
de la société civile.
Pour améliorer la sécurité alimentaire des populations, il
Enfin, pour installer une politique durable bénéficiant à
faut mieux protéger les bases d’existence des personnes
l’ensemble de la population, il s’agit de favoriser la créa­
vulnérables. Ces personnes doivent pouvoir se prémunir
tion d’une société civile forte, capable de faire face aux
contre les conséquences du changement climatique et
acteurs étatiques. Cette dernière doit observer et le cas
s’assurer un revenu. Pour ce faire, il faut instituer un droit
échéant réclamer le respect des principes favorisant une
du sol et un droit de l’eau allant dans l’intérêt des popu­
bonne gestion gouvernementale.
lations locales. Il faut freiner le land grabbing, la vente de
terres fertiles à des entreprises internationales au détri­
ment des populations locales. Parallèlement, il faut mettre
sur pied des instruments promouvant la valeur ajoutée au
sein des pays du Sahel et organiser la commercialisation
locale et nationale des produits agricoles et artisanaux
selon des principes de commerce équitable.
Auteur : Geert van Dok, service de politique du développement,
[email protected], 041 419 23 95.
Cette prise de position peut être téléchargée sur le site
www.caritas.ch/prisesdeposition
11
Nous sommes solidaires
Löwenstrasse 3
Case postale
CH-6002 Lucerne
Téléphone :+41 41 419 22 22
Téléfax :
+41 41 419 24 24
E-mail :
[email protected]
Internet : www.caritas.ch
Compte postal : 60-7000-4
IBAN : CH69 0900 0000 6000 7000 4
Système de gestion de la qualité
ISO 9001, no. de client 14075
NPO-Label, no. de client 22116
Téléchargement