Maladies émergentes et réémergentes chez l’homme
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En Europe, les vétérinaires Bernard Toma et Etienne Thiry émettent des critiques judicieuses sur ce
vaste concept, critiques qu’on peut résumer et commenter de la façon suivante.
9
« Ne pas se limiter aux maladies transmissibles, ni infectieuses » (les scientifiques ne sont
pas unanimes sur ce point
16
) ;
9
« ne pas donner le qualificatif d’émergent à une maladie “nouvelle” dont l’incidence
n’augmenterait pas de façon significative »
17
(un pays évolué sur le plan sanitaire peut déceler une
nouvelle maladie, et le faire savoir) ;
9
« ne pas se limiter à l’homme » (d’autant qu’il existe des réservoirs animaux
18
de maladies
humaines, et que cette notion est issue de la médecine vétérinaire et de la phytopathologie
19
; par
exemple, les maladies dites « émergentes » sont surveillées au niveau européen et mondial en
aquaculture ou en élevage[14;153]) ;
9
« ne pas considérer le “risque émergentiel” comme une maladie ». Sur ce risque de
potentielle émergence, le bémol peut être apporté par les organismes de santé publique qui
souhaitent prévenir les maladies, et qui développent des outils de prédiction ; la surveillance de la
grippe aviaire chez l’homme entre dans ce cadre[227]. En Australie, on cite les virus Murray Valley
(Flavivirus), identifié en 1951, causant des épidémies depuis 1917, et le très proche virus Kunjin
(Flavivirus), identifié en 1960 ; ces virus sont très surveillés (moustiques vecteurs, poulets
réservoirs) car ils sont réellement agents d’épidémies potentielles (1974 fut une année où tous les
états d’Australie furent touchés).
Les recommandations de Toma et Thiry quant à l’emploi du terme sont les suivantes.
1. « Avant d’utiliser l’expression “maladie émergente”, toujours essayer de vérifier si
l’augmentation apparente de l’incidence de cette maladie n’est pas simplement due :
9
à l’amélioration des outils de diagnostic et de dépistage de cette maladie au cours des
dernières années ;
9
ou/et à l’amélioration des modalités de son épidémio-surveillance (par exemple, création d’un
réseau dédié à une maladie particulière ;
9
ou/et au développement de sa médiatisation.
2. Dans la mesure du possible, réserver l’usage de l’expression “maladie émergente“ à
des maladies pour lesquelles l’augmentation réelle de l’incidence s’est faite de manière
inhabituelle20.
3. Ne jamais utiliser l’expression “maladie émergente” (ou maladie réémergente) sans
préciser les caractéristiques de temps et d’espace correspondantes. »
Une classification possible des situations d’émergence ou de réémergence est envisageable.
Stephen S. Morse donne des pistes pour l’emploi de ce concept[151]. On trouvera, parmi les
maladies émergentes, réémergentes ou résurgentes, de nombreuses maladies infectieuses. Elles
figurent parmi les premières causes de décès sur la planète, selon les dernières estimations
publiées par l’OMS[32;81 ;173;197]21.
16 Selon Mohamed M. Fassi-Fehri, vétérinaire, expert à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) : « Il convient de souligner
que les maladies d’origine toxique, nutritionnelle, métabolique ou immunologique ne font pas partie des maladies émergentes au sens
strict du terme ».
17 Qualificatif rétrospectif où l’évolution au cours du temps est constatée.
18 Un réservoir est un animal ou un homme, hôte intermédiaire ou définitif, porteur de l’agent pathogène, malade ou non. L’absence de
signes évolutifs désigne l’animal comme réservoir potentiel. Par exemple, la variabilité génétique des souches de coronavirus
retrouvées chez les chiroptères sont donc étudiées pour comprendre la raison du franchissement de la barrière d’espèce. La civette fut
considérée comme réservoir du SRAS, avant que l’on s’intéresse aux chauves-souris (la variabilité génétique des souches de
coronavirus retrouvées chez les chiroptères est étudiée pour comprendre la raison du franchissement de la barrière d’espèce).
19 Etude des pathologies des végétaux.
20 Ce n’est pas le cas par exemple de la grippe saisonnière : l’augmentation réelle de l’incidence se fait de manière habituelle.
21 Il est très difficile de connaître les causes de décès dans le monde (systèmes administratifs étatiques variables). L’OMS dégage des
catégories. Plus ces catégories de causes de décès sont larges, plus il est probable qu'elles figurent parmi les toutes premières causes
de décès. Les causes de décès principales en 2004 ont été les maladies cardiaques et cérébrales vasculaires, les maladies
pulmonaires chroniques et infections pulmonaires, puis les cancers. En France, le nombre de décès par cancers se situe juste derrière
les maladies cardiovasculaires en 2007.