116 — Critique internationale no 51 - avril-juin 2011
à l’échelle mondiale, elle est présente aujourd’hui dans près de 120 pays et
contrôle environ 50 lieux de culte, dont de très grandes mosquées. Dans
chaque pays européen est installé un bureau de l’Organisation de la Ligue isla-
mique mondiale, le BOLIM. La Ligue possède d’ailleurs un certain nombre de
mosquées en Europe (Mantes-la-Jolie, Madrid, Grenade, Kensington,
Copenhague, Bruxelles, Genève, Zurich, Rome, Sarajevo…). De fait, le Vieux
Continent est l’un de ses principaux pôles de rayonnement.
L’une des raisons fréquemment avancées par les médias pour expliquer cette
influence est que la politique de la Ligue répond à une volonté des autorités
saoudiennes de contrôler « l’espace de sens » 11 islamique européen. Ainsi les
responsables de la Ligue seraient-ils porteurs d’un projet d’hégémonie
politique et religieuse en vue d’imposer en Europe une version de l’islam
politiquement révolutionnaire et socialement ultra-conservatrice. Que les
responsables de la Ligue défendent un islam prosélyte et missionnaire, cela
ne fait aucun doute, puisqu’ils se considèrent comme les dépositaires ultimes
d’une religion salvatrice. La plupart des « études » consacrées à cette organi-
sation la présentent comme le bras religieux du wahhabisme en Europe 12. La
fidélité de ses cadres à l’orthodoxie salafiste s’y manifeste prioritairement par
le respect de la non-mixité et des règles vestimentaires 13 : longue barbe et
qamîs (longue tunique) pour les hommes, jilbâb (voile recouvrant le corps et la
tête) ou niqâb (voile intégral couvrant le corps et le visage) pour les femmes 14.
Pourtant, au-delà de ces vœux pieux et de ces manifestations extérieures
d’engagement, les objectifs de la Ligue sont plus complexes qu’il n’y paraît.
Certes, il existe bien chez ses cadres une volonté d’influence doctrinale, sinon
de conquête religieuse, mais leur projet est avant tout soumis à des logiques
relevant d’intérêts stratégiques d’ordre national. Si la Ligue est bien l’instru-
ment de diffusion de l’islam saoudien en Europe, les responsables politiques
du royaume cherchent avant tout, via l’organisation, à mettre en place des
relais de leurs intérêts politiques et stratégiques. Pour eux, l’exportation du
salafisme en tant que tel n’est pas une priorité.
11. L’expression est de Gilles Kepel. Voir Gilles Kepel, « Genèse et structure de l’espace de sens islamique
contemporain », dans Zaki Laïdi, Géopolitique du sens, Paris, Descléee de Brouwer, 1998, p. 201-226.
12. Voir Antoine Sfeir, Les réseaux d’Allah. Les filières islamistes en France et en Europe, Paris, Plon, 2001. Alexandre del
Valle, Le totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Paris, Les Syrtes, 2002.
13. Voir Samir Amghar, « Le salafisme en Europe : la mouvance polymorphe d’une radicalisation », Politique étran-
gère, 1, printemps 2006, p. 67-78, et « Le salafisme en France : de la révolution islamique à la révolution
conservatrice », Critique internationale, 40, juillet-septembre 2008, p. 95-113 ; Bernard Godard, Sylvie Taussig, Les
musulmans en France. Courants, institutions, communautés : un état des lieux, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 68-67 ;
Mohamed-Ali Adraoui, « Le salafisme en France », mémoire de master de recherche en science politique, IEP de
Paris, 2004, et Olivier Roy, L’islam mondialisé, Paris, Le Seuil, 2004, p. 145-178.
14. Sur le port du niqâb en France, voir Maryam Borghée, « Voile intégral en France. Sociologie d’une figure
trouble », mémoire de master de recherche en sociologie, EHESS, Paris, 2010.
CritiqueN51.book Page 116 Mardi, 5. avril 2011 5:24 17
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