CONGRÈS RÉUNION Premier forum du club Alter Ago : échanges d’expériences cliniques franco-italiennes I. de Gaudemar* L e club Alter Ago (www.clubalterago.com), “agir avec l’autre” en traduction littérale, est une association dont le but est de promouvoir : – le dialogue en France et à l’étranger entre les différents acteurs de l’oto-rhino-laryngologie, de l’audiologie et de l’orthophonie ; – la recherche scientifique ; – des missions humanitaires. La première rencontre franco-italienne à Rome le 13 juin 2009 a donné lieu à de nombreux échanges d’expériences cliniques autour de trois tables rondes. Première table ronde : laryngologie Cancer de la corde vocale : place du traitement au laser (d’après la communication du Pr D. Marcotullio, Rome) L’association européenne de laryngologie a proposé en 2000 une classification des exérèses endoscopiques des carcinomes de la corde vocale, fondée sur l’extension en profondeur de l’atteinte et sur sa localisation (figure 1) [1]. La localisation au niveau de la commissure antérieure, à proximité du cartilage, présente toujours un risque de récidive et doit faire l’objet d’une évaluation préopératoire la plus précise possible. L’alternative thérapeutique est la radiothérapie, qui permet un bon contrôle local et une bonne qualité vocale (2). Ses inconvénients sont une durée de traitement de 5 à 6 semaines, un coût supérieur et la possibilité de complications comme une xérostomie ou une chondronécrose. tase et dont le pronostic est bon. À l’histologie, les nombreuses particules de HPV16 retrouvées témoignent d’une probable étiologie virale. Ce carcinome répond mal à la radiothérapie et son exérèse au laser doit être discutée en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Chirurgie reconstructive du larynx (d’après la communication du Pr M. de Vincentiis, Rome) Les laryngectomies partielles conservant l’unité crico-aryténoïdienne permettent la préservation des fonctions vocale et de déglutition. Ses contre-indications sont l’envahissement de la loge hyothyroépiglottique, et de l’espace sous-glottique ainsi qu’un âge avancé. Les tableaux I et II récapitulent les différents traitements à proposer selon la localisation et le stade de la lésion (3). Dans une série de 290 patients atteints de tumeurs glottiques (83,4 %) et supraglottiques (16 %) opérés * Service d’ORL, hôpital Saint-Vincentde-Paul, Paris. • Type I : cordectomie subépithéliale • Type II : cordectomie subligamentaire • Type III : cordectomie transmusculaire • Type IV : cordectomie totale • Type V : cordectomies élargies (A : à la corde controlatérale ; B : à l’aryténoïde ; C : à la bande ventriculaire ; D : à la sous-glotte) Carcinome verruqueux (d’après la communication du Dr P. Baril, Saint-Denis) Le carcinome verruqueux est une entité particulière à malignité atténuée qui ne donne pas de métas- Figure 1. Classification des exérèses endoscopiques des carcinomes de la corde vocale. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 319 -octobre-novembre-décembre 2009 | 7 CONGRÈS RÉUNION Tableau I. Traitement des cancers laryngés (3). Laser CO2 Chirurgie conservatrice RT RT + CT T1a* x T1b x x T2 x x x x T3 aryténoïde mobile x x x x LT x T3 aryténoïde fixé x T4a (sans envahissement cartilagineux) x T4a (avec envahissement cartilagineux) x x x x x x x x * T : stade tumoral dans la classification TNM. Tableau II. Traitement des cancers laryngés sus-glottiques (3). T1 Laser CO2 Chirurgie conservatrice RT x x x RT + CT LT T2 x x x T3 aryténoïde mobile x x x x T3 aryténoïde fixé x x x x T4a (sans envahissement cartilagineux) x x x x x x x T4a (avec envahissement cartilagineux) d’une laryngectomie partielle, le taux de survie à 5 ans était de 79,11 %. L’étude de la durée de la déglutition, 12 mois après la chirurgie, ne montrait pas de différence significative, quels que que soient le type de chirurgie et l’âge du patient (4). Paralysie récurrentielle bilatérale après thyroïdectomie totale (d’après la communication du Dr P. Baril, Saint-Denis) Complication exceptionnelle mais potentiellement grave, entraînant des troubles respiratoires et de la déglutition, la paralysie récurrentielle bilatérale a fait l’objet de 8 déclarations auprès des CRCI (Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales). Il s’agissait de 8 femmes (âge moyen : 51 ans) ; 6 d’entre elles présentaient un goitre multinodulaire et 2, une maladie de Basedow. L’électromyogramme (EMG) permet de prédire la récupération ou non de la mobilité de la corde vocale et de choisir ainsi le traitement le mieux adapté entre le laser et l’injection de toxine botulique. L’obésité est une comorbidité fréquente associée à noter. Rééducation de la déglutition et de la phonation après laryngectomie partielle (d’après la communication des Drs G. Chevaillier et C. Lobryeau) Figures 2 et 3. Aspect du larynx après laryngectomie partielle. 8 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 319 -octobre-novembre-décembre 2009 Le phoniatre, véritable relais entre le patient, le chirurgien et l’équipe paramédicale, organise la prise en charge et le suivi fonctionnel du patient. En préopératoire, il “reformule” l’intervention au patient afin de le rendre acteur de sa rééducation. En postopératoire, la rééducation précoce vocale et la rééducation de la déglutition permettent le développement d’un néovibrateur avec “sphinctérisation” laryngée, grâce à la préservation de l’unité crico-aryténoïdienne fonctionnelle (figures 2 et 3) [crico-hyoïdopexie]. Les résultats vocaux des cordectomies endoscopiques sont globalement bons pour les types I et II, mais beaucoup moins bons pour les types III et IV, car il y a un risque de synéchie commissurale antérieure. La supériorité de la radiothérapie semble difficile à établir, surtout à long terme, à cause de la fibrose et de l’assèchement des muqueuses. Les résultats vocaux sont moins bons pour les techniques reconstructives, puisque c’est l’unité crico-aryténoïdienne qui “remplace” le vibrateur. Néanmoins, ces CONGRÈS RÉUNION voix “supraglottiques” sont bien acceptées par les patients et s’améliorent avec le temps. Le travail de la posture améliore les résultats. Deuxième table ronde : acouphènes et vertiges Prise en charge multidisciplinaire du patient acouphénique (d’après la communication du Dr A. Londero, Paris) Les acouphènes affectent 10 % de la population et correspondent à la perception d’un son interne pouvant altérer intensément la qualité de vie. La physiopathologie des acouphènes subjectifs est complexe et montre des analogies avec celle des syndromes douloureux post-amputation. Après lésions périphériques de l’oreille moyenne ou interne, la désafférentation auditive induirait une hyperactivité et/ou une réorganisation fonctionnelle des structures centrales auditives et extraauditives. Aucune thérapeutique étiologique n’étant actuellement disponible, la prise en charge des acouphènes subjectifs invalidants vise uniquement à favoriser les processus de tolérance ou des thérapies cognitives et comportementales. Cependant, une meilleure compréhension des mécanismes physiopathologiques de l’acouphène pourrait entraîner l’émergence de nouvelles prises en charge ayant pour but d’agir par neuromodulation, comme la stimulation magnétique transcrânienne répétée ou la stimulation électrique épidurale. Prise en charge instrumentale du patient acouphénique (d’après la communication du Dr C. Coudert, Paris) Après un bilan complet des plaintes du patient et des caractéristiques de l’acouphène, deux cas de figure se présentent : – l’audition est anormale : la réhabilitation auditive doit être initialement réalisée, avant la prise en charge de l’acouphène ; – l’audition est normale : l’audioprothésiste propose un générateur de bruit qui est une stimulation auditive et non pas un masquage. Cette stimulation doit être bilatérale, avec un niveau auditif toujours inférieur à l’intensité subjective de l’acouphène. Les résultats doivent être évalués sur le long terme, avec diminution progressive de la perception de l’acouphène. Programme Zen (d’après la communication de B. Lucarelli, Rome) B. Lucarelli a développé une alternative à la prise en charge de l’acouphène : le programme Zen. Il a été démontré dans la littérature que la musique a un effet émotionnel positif, surtout en période de stress. L’exposition à une musique douce provoque, au niveau de l’hypothalamus, une variation de la concentration des neurotransmetteurs impliqués dans la réduction de la réponse au stress. Les sons musicaux produits par la prothèse auditive sont fondés sur un algorithme fractal, c’est-à-dire qui se répète dans sa structure sur des échelles différentes. Ils rompent le cercle vicieux de l’acouphène responsable d’un stress, lequel stress majore à son tour l’acouphène. Ils réduisent la perception de l’acouphène et facilitent la concentration, sans distraire, car ils ne sont pas répétitifs, et, enfin, ils n’interfèrent pas avec la perception du mot et des sons ambiants. Indication et impact clinique du potentiel vestibulaire myogénique (d’après la communication du Dr M. Gagliardi, Rome) Les tests vestibulaires traditionnels rotatoires et caloriques évaluent seulement la fonctionnalité des récepteurs ampullaires canalaires et du nerf vestibulaire supérieur. Les stimulations acoustiques de basse fréquence et de haute intensité sont aptes à activer les récepteurs maculaires du saccule et de l’utricule. Les potentiels évoqués vestibulaires myogéniques, par l’étude du réflexe vestibulo-collique, analysent la fonctionnalité des récepteurs maculaires, du nerf vestibulaire inférieur, des noyaux vestibulaires et des voies vestibulaires centrales. Par l’analyse de l’intensité et de la latence des pics enregistrés, ils permettent d’étudier chaque étape du réflexe. Troisième table ronde : otologie Poches de rétraction tympaniques : conduite à tenir (d’après la communication du Pr A. Chays, Reims) La physiopathologie des poches de rétraction reste encore inconnue. Leur prise en charge repose sur l’analyse de trois critères : – critère 1 : destruction partielle ou totale du squelette collagénique de la membrane fibreuse tympanique ; La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 319 -octobre-novembre-décembre 2009 | 9 CONGRÈS RÉUNION Tableau III. Prise en charge de poches de rétraction tympaniques selon 3 critères. Critères 1 1+2 1+3 1+2+3 Analyse Otite chronique État précholestéatomateux Surdité transmission État précholestéatomateux Prise en charge Surveillance Chirurgie Chirurgie Chirurgie – critère 2 : réaction épidermique associée ; – critère 3 : état de la longue apophyse de l’enclume. Le tableau III résume la prise en charge selon la présence de ces critères. toire, sans geste traumatique associé, notamment sans aspiration ni irrigation permanente de la labyrinthectomie, n’entraînent pas plus de risques sur l’audition que de laisser en place le cholestéatome. Poches de rétraction tympaniques : prises en charge thérapeutiques (d’après la Particularités pédiatriques du cholestéatome de l’enfant (d’après la communication du Dr D. Malinvaud, Paris) communication du Dr E. Genty, Paris) La panoplie des traitements est large. La rééducation tubaire par les orthophonistes est contraignante et demande de la motivation. Les aérosols manosoniques permettent le dépôt et la pénétration des produits directement dans l’oreille moyenne avec des résultats significatifs. Le Kinetube génère des surpressions calibrées au niveau du cavum pendant la phase réflexe de déglutition. La crénothérapie a une action sur l’ensemble des voies respiratoires. L’aérateur transtympanique est indiqué en présence d’une otite séreuse surajoutée et en l’absence d’adhérence tympanique aux structures osseuses de l’oreille moyenne. La chirurgie de renforcement tympanique est indiquée dans les poches potentiellement évolutives avec surdité importante, après traitement préalable de l’otite séreuse. Le cholestéatome de l’enfant est plus agressif, plus extensif et croît plus rapidement que celui de l’adulte. Son point de départ est le plus souvent sous-ligamentaire postérieur (80 %), avec présence d’une lyse ossiculaire (61 %). L’incidence des cholestéatomes résiduels ou des récidives est plus élevée. Les éléments pronostiques sont l’extension au mésotympanum postérieur et les conditions anatomiques et physiologiques associées (dysfonction tubaire, infections, etc.). Le taux de prolifération de kératinocytes ou de facteurs de croissance tissulaire serait-il plus élevé chez l’enfant ? Prise en charge des fistules labyrinthiques secondaires à un cholestéatome (d’après la communication du Pr G. Magliulo, Rome) Faut-il, en présence d’une déhiscence osseuse avec fistule au niveau des canaux semi-circulaires secondaire à un cholestéatome, retirer la matrice cholestéatomateuse dans le premier temps opératoire ou lors du deuxième look ? Au cours d’une étude réalisée sur 534 patients, les résultats auditifs des 2 stratégies ont été comparés (5). L’ablation de la matrice cholestéatomateuse et le comblement de la fistule par de la cire osseuse, une greffe osseuse et de l’aponévrose temporale lors du premier temps opéra- Quatre ans de missions humanitaires au Cambodge (d’après la communication des Drs B. Gardini, Toulouse et A. Corré, Paris) La surdité est un des problèmes majeurs au Cambodge, comme dans tous les pays où la pauvreté règne. Les troubles auditifs sont une cause d’exclusion sociale et de déscolarisation en raison de l’impossibilité de communiquer. Les origines de ces surdités sont multiples, mais à chacune d’elle, une réponse thérapeutique peut être apportée. Depuis 4 ans, l’association Entendre le monde organise 2 missions de 10 jours par an. Le bilan est impressionnant : 984 patients, 85 % d’indications chirurgicales, 98 temps opératoires dont 60 pour des cholestéatomes et, bien sûr, la formation de chirurgiens locaux. L’association a besoin de dons : www.entendrelemonde.fr. ■ Références bibliographiques 1. Remacle M, Eckel HE, Antonelli A et al. Endoscopic multivariate analyses in a group of consecutive, unselected cordectomy. A proposal for a classification by the working patients. Cancer 2003;15:765-72. committee, European Laryngological Society. Eur Arch 3. De Vincentiis M et al. Linee Guida sul cancro della laringe. Otorhinolaryngol 2000;257:227-31. Argomenti di Acta Otorhinolaryngol Ital 2008; 28:292-7. 2. Franchin G, Minatel E, Gobitti C et al. Radiotherapy for 4. •Den° 319 Vincentiis M, Minni A, Gallo A, Di Nardo A et al. Supra | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale -octobre-novembre-décembre 2009 patients with early-stage glottic carcinoma: univariate and 10 cricoid partial laryngectomies: oncologic and functional results. Head Neck 1998;20:504-9. 5. Magliulo G, Celebrini A, Cuiuli G, Parrotto D, Balsamo G, Giuzio L. Partial labyrinthectomy in the treatment of labyrinthine fistula: how we do it. Clin Otolaryngol 2008;33: 607-10.