LA GESTION DE LA RÉSERVE BIOLOGIQUE DOMANIALE DES FALAISES D’ORIVAL DANS LA FORÊT DE LA LONDE-ROUVRAY (SEINE-MARITIME) T. DUTOIT - Dominique BONNETAUD Au sein d’espaces bénéficiant du régime forestier, les réserves biologiques domaniales forestières ont pour vocation de protéger les habitats naturels et les espèces les plus remarquables de la diversité biologique régionale et nationale (ONF, 1995). Ces réserves sont dites dirigées lorsque toutes les interventions sont orientées vers des objectifs de conservation bien déterminés. Actuellement, un réseau national de 118 réserves biologiques dirigées existe et couvre une surface de 19 089 ha (Dubourdieu et al., 1995). Ce réseau complète un ensemble de mesures en matière de gestion édictées par l’Office national des Forêts pour une meilleure prise en compte de la biodiversité dans l’exploitation des forêts domaniales (Dubourdieu, 1991 ; Rameau et Olivier, 1991 ; ONF, 1993a et b ; Roland, 1995). Contrairement aux réserves intégrales dont l’objectif principal est de laisser se dérouler les processus d’évolution naturelle (Ballu, 1983 ; Hubert, 1991), les réserves biologiques dirigées comprennent des espaces naturels dont la richesse biologique peut être menacée par un boisement spontané (prairies humides, pelouses calcaires, etc.). Le maintien d’espaces ouverts en forêts est à relier avec l’absence sur le territoire national de grandes surfaces de forêts anciennes climaciques (Falinski, 1991 ; Walter, 1991). Dans ces écosystèmes, la fermeture des espaces ouverts (mares, clairières, landes, etc.) est en effet compensée par la création d’autres trouées dans la strate forestière (chablis, feux courants, pâturage des grands herbivores, dépérissement naturel, inondations, etc.). Ce n’est pas le cas des forêts françaises où les différentes exploitations humaines présentes et passées ont considérablement transformé et fragmenté les massifs forestiers. Si quelquefois ces actions ont été bénéfiques, certaines perturbations ne peuvent cependant plus s’y exprimer librement et des interventions de gestion conservatoire sont nécessaires pour restaurer ou maintenir leur biodiversité. Le mot biodiversité exprime la diversité du vivant à trois niveaux d’organisation tant biologiques (espèces, variétés génétiques) qu’écologiques (écosystèmes). La discipline scientifique qui a pour objectif la préservation de cette diversité est appelée biologie de la conservation (Blondel, 1996). 204 Biologie et forêt Les systèmes de gestion conservatoire des espaces naturels sont issus de ces recherches (Dutoit, 1996a). Cependant, l’ingénierie écologique en matière de restauration d’habitat est encore en devenir et le gestionnaire forestier manque souvent d’éléments pour intervenir dans des milieux naturels dont le fonctionnement est très éloigné des écosystèmes de forêt (Bouvarel, 1993, 1994). Il s’avère utile, et cela est imposé par les instructions de l’Office national des Forêts, de constituer une commission consultative régionale des réserves biologiques réunissant scientifiques, naturalistes, propriétaires, etc. Ce comité donne son avis sur la création d’une réserve biologique domaniale et sur la cohérence du réseau. Quand la réserve est créée, c’est le comité scientifique consultatif qui joue un rôle de conseil et d’appui technique auprès de l’Office national des Forêts. Dans cet article, nous traiterons de l’exemple de la réserve biologique domaniale des Falaises d’Orival (Seine-Maritime). L’objectif de la gestion conservatoire est de maintenir la diversité biologique des formations herbacées présentes : les pelouses calcaires. Après avoir présenté les caractéristiques et les enjeux de protection de ces écosystèmes, le site de la réserve et la gestion conservatoire seront esquissés. Les conséquences des interventions pour la richesse biologique globale de la forêt domaniale de La Londe-Rouvray sont ensuite discutées. L’exemple de cette réserve est particulièrement intéressant pour la gestion de milieux identiques dans la vallée de Seine, qu’ils appartiennent aux collectivités territoriales ou qu’ils soient privés. Nous espérons que cette contribution incitera les gestionnaires de réserves biologiques domaniales à faire de même pour réaliser dans ces colonnes une large diffusion des résultats acquis. PRÉSENTATION DES ÉCOSYSTÈMES DE PELOUSE CALCAIRE Les pelouses calcaires sont des formations végétales semi-naturelles à dominante herbacée. Elles sont présentes dans le nord-ouest de l’Europe sur des coteaux calcaires et jurassiques bien exposés (Wolkinger et Plank, 1981). Au niveau stationnel, elles occupent des sites offrant un certain déficit hydrique. Leur végétation comprend des espèces d’origine continentale et méridionale. Leur richesse en espèces végétales herbacées est très importante et beaucoup de plantes y sont légalement protégées (Cistacées, Orchidées, Liliacées, etc.). Au niveau de la faune, ce sont surtout les insectes qui présentent la plus grande richesse avec, comme pour la flore, la présence d’espèces plutôt méridionales (Cicadetta montana, Mantis religiosa, etc.). Certains reptiles (Anguis fragilis, Lacerta viridis, Vipera berus) ou certains oiseaux (Lullula arborea, Burhinus oedicnemus) y sont également signalés lorsque les surfaces de pelouse sont suffisamment importantes. Les formations de pelouses ne sont pas strictement naturelles. Les plus anciennes ont été directement utilisées pour l’élevage pendant des siècles tandis que d’autres se sont installées sur d’anciennes parcelles cultivées, pour être ensuite pâturées (Duvigneaud et al., 1982 ; Dutoit et Alard, 1995). Aujourd’hui, en l’absence d’exploitation traditionnelle, les pelouses se boisent spontanément avec des espèces arbustives très communes (Églantier, Prunellier, Aubépine, Cornouiller, etc.). À terme, les fourrés menacent par leur ombrage les espèces de milieux ensoleillés caractéristiques des pelouses calcaires (Smith, 1980). En conséquence, des opérations de débroussaillement, de fauchage ou de pâturage doivent être entreprises pour assurer la pérennité des pelouses calcaires (Alard et Dutoit, 1995). 205 Rev. For. Fr. XLIX - 3-1997 T. DUTOIT - Dominique BONNETAUD Pour plus d’informations sur les pelouses calcaires et leur gestion, le laboratoire d’écologie de l’université de Rouen a réalisé une bibliographie informatisée regroupant plus de 500 références nationales et internationales (Dutoit et Alard, 1996a). LA RÉSERVE BIOLOGIQUE DOMANIALE DES FALAISES D’ORIVAL La réserve biologique des Falaises d’Orival se situe sur les coteaux crayeux de la vallée de Seine en amont de la ville de Rouen (figure 1, ci-dessous). Créée par un arrêté du ministère de l’Agriculture et de la Forêt le 12 juillet 1988, elle est comprise dans la forêt domaniale de La Londe-Rouvray (5 053 ha). Au niveau sylvicole, ce massif est en conversion vers la futaie régulière de Chêne sessile (45 %) exploité à 0,80 m de diamètre, de Hêtre (28 %) exploité à 0,60 m, de feuillus divers (11 %), de Pin sylvestre (11 %) exploité à 0,50-0,60 m de diamètre et de résineux divers (5 %). Le Tréport Dieppe Pays de Bray Fécamp Yvetot LE HAVRE ROUEN Gournay-en-Bray LES ROCHES D’ORIVAL Les Andelys Louviers Brionne La Se in e Bernay Vernon Évreux 10 km Figure 1 SITUATION DES ROCHES D’ORIVAL PARMI LES DIFFÉRENTS SITES DE PELOUSES CALCAIRES EN HAUTE-NORMANDIE Carte D. ALARD 206 Biologie et forêt L’objectif est de revenir à une dominance du Chêne sessile (espèce climacique en Haute-Normandie) mélangé avec le Hêtre, tout en tenant compte de la vocation particulière de certaines stations (sols hydromorphes, coteaux crayeux, etc.). La réserve occupe une surface de 9,34 ha entre 20 et 120 m d’altitude dans un ensemble de falaises et de pelouses se succédant sur plus de 7 km le long de la rive sud de la Seine (photo 1, p. 210). Tout cet ensemble est répertorié en site inscrit (18 novembre 1931) et une partie (Hameau des Roches) en site classé (16 avril 1924). La forêt domaniale et la réserve sont incluses dans le périmètre de la forêt de protection (Boullard, 1971). 9,32 ha protégés au titre du POS (Plan d’Occupation des Sols) de la commune d’Orival sont concernés par le PER (Plan d’Exposition aux Risques). Il en résulte, au niveau de l’exploitation forestière, une interdiction de coupe dans la frange boisée près des fronts de taille. Outre sa richesse biologique, la réserve contient les ruines du château fort de la Roche Fouet (édifié en 1195 par Richard-Cœur-de-Lion et détruit par Jean-sans-Terre en 1204), des ruines d’un fanum gallo-romain et des restes de fours à briques utilisés durant le XIXe siècle. Elle est entrecoupée par des “roules” qui étaient des sortes de ravines servant à la descente des matériaux vers la vallée. Les pelouses calcaires ont été pâturées depuis le Néolithique mais elles sont aujourd’hui toutes abandonnées consécutivement aux changements apparus dans les systèmes d’exploitation agricole (intensification) au début des années 1960. Actuellement, il ne reste sur la réserve qu’un hectare de pelouse (photos 2 et 3, p. 210). Cette petite surface de pelouse et ses marges forestières possèdent une richesse botanique exceptionnelle pour la Haute-Normandie. Dans cet article, nous nous intéresserons particulièrement aux orchidées car elles sont étudiées sur ce site depuis 1986 par un membre de la Société française d’Orchidophilie (Monsieur Stéphane Chodan). On y dénombre pas moins de 30 espèces, soit plus des trois-quarts des espèces présentes dans la région (Démares, 1996 ; Jacquet, 1995) : Orchidées exceptionnelles pour la région Ophrys incubacea Ophrys splendida Orchidées protégées au niveau régional Aceras anthropophorum Cephalanthera rubra Coeloglossum viride Epipactis atrorubens Gymnadenia odoratissima Herminium monorchis Orchis simia Ophrys araneola Ophrys fuciflora 207 Rev. For. Fr. XLIX - 3-1997 Autres orchidées Anacamptis pyramidalis Cephalanthera damasonium Cephalanthera longifolia Dactylorhiza fuchsii Dactylorhiza maculata Epipactis helleborine Gymnadenia conopsea Himantoglossum hircinum Listera ovata Neottia nidus-avis Orchis mascula Orchis militaris Orchis morio Orchis purpurea Orchis ustulata Ophrys apifera Ophrys insectifera Ophrys sphegodes Platanthera chlorantha T. DUTOIT - Dominique BONNETAUD Outre les orchidées, la végétation des pelouses est composée d’espèces xériques et thermophiles dont certaines sont en limite nord de leur aire de répartition (Liger, 1952 ; de Foucault et Frileux, 1988). L’entomofaune associée est également très diversifiée avec la présence d’orthoptères comme l’Ephippigère (Ephippiger ephippiger) ou le Grillon d’Italie (Oecanthus pellucens), espèces relativement rares en Haute-Normandie (Bouillie, 1989). La réserve est traversée par un sentier de grande randonnée (GR 2) et elle est très fréquentée par le public (promeneurs, VTT). Il n’est pas prévu d’installer des panneaux éducatifs en l’absence de mesures spéciales de surveillance (garderie “renforcée”). Ces panneaux pourraient en effet attirer l’attention des promeneurs sur des espèces à protéger et la discrétion a été jugée préférable. Par rapport à la photographie aérienne de 1947, où toute la surface est en pelouse, la réserve est composée aujourd’hui d’un tiers de pelouse calcicole, un tiers de fourrés thermophiles à Amélanchier et Chêne pubescent et un tiers de taillis-sous-futaie à Hêtre et à Tilleul. Cette évolution justifie des interventions pour maintenir et agrandir la surface occupée par les pelouses calcaires. LA GESTION DE LA RÉSERVE DE 1988 À 1995 La gestion de la réserve a été mise en place en 1988, par Monsieur Pascal Rimasson, chef du groupe technique de Rouvray actuellement relayé par Mademoiselle Isabelle Porquet, ingénieur des Travaux forestiers à la Division de Rouen. Cependant, depuis 1986, Monsieur Stéphane Chodan et les membres de la Société d’Études des Sciences naturelles d’Elbeuf avaient déjà effectué quelques opérations de fauchage et de débroussaillement. Depuis 1988, la réserve a été divisée en deux parties : la pelouse de la Vénerie (0,2 ha) et la pelouse de la Roche Fouet (0,8 ha). Ces deux pelouses ont subi des traitements différents à cause de la pente. Des interventions sur les parties boisées ont également eu lieu. La pelouse de la Vénerie, relativement plate, a été régulièrement fauchée depuis 1988. Le fauchage est réalisé deux fois par an en juin et septembre grâce à des débroussailleuses à fil de nylon (photo 4, p. 211). Avant d’être exportés, les produits de la coupe sont entassés pendant une semaine afin de permettre la fuite des insectes. Sur cette pelouse, seules ont été suivies les populations d’orchidées (Chodan, données inédites). Sur toute la surface des deux pelouses et de leurs lisières, les pieds d’orchidées sont comptés chaque année qu’ils soient fleuris ou non. Globalement le fauchage à la débroussailleuse semble favorable au maintien et à l’extension des populations d’orchidées. En 10 ans d’observation, le nombre moyen d’espèces a plus que doublé passant de 14 à 30 ainsi que le nombre moyen d’individus par espèce. Les résultats du fauchage 14 Nombre de pieds 12 Orchis mascula 10 8 Figure 2 ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PIEDS D’ORCHIS MASCULA ET OPHRYS INSECTIFERA ENTRE 1986 ET 1995 DANS LA PELOUSE DE LA VÉNERIE 6 Ophrys insectifera 4 2 0 1986 1988 1990 1992 1994 208 (Chodan, données inédites) Biologie et forêt se traduisent par l’apparition ou la réapparition d’espèces (Orchis simia en 1988, Coeloglossum viride en 1987, Orchis morio et Herminium monorchis en 1991, etc.) ou l’augmentation du nombre de pieds pour d’autres espèces comme Orchis mascula et Ophrys insectifera (figure 2, p. 208). Le fauchage automnal peut cependant être néfaste à certaines espèces comme l’Himantoglossum hircinum qui a disparu en 1993 et n’est pas réapparu depuis. Un rotofauchage pratiqué en 1993 a entraîné la disparition momentanée de certaines espèces comme Ophrys fuciflora, Ophrys apifera et Herminium monorchis. Aucune donnée chiffrée n’est disponible pour les autres espèces végétales et les insectes. Il faut cependant signaler que l’exceptionnelle richesse en orchidées de cette petite parcelle de pelouse doit orienter la gestion vers la conservation de ces espèces. Il est sûr que ce type d’objectif ne favorisera pas certaines espèces végétales et certaines populations d’insectes (Dutoit et Alard, 1996b ; Maubert et Dutoit, 1995) mais l’ensemble du cortège floristique et les insectes sont pris en considération sur d’autres parcelles des Roches d’Orival et dans d’autres sites localisés à proximité (Dutoit, 1996b). La pelouse de la Roche Fouet est sur une pente beaucoup plus abrupte et seules des opérations de débroussaillement des lisières ont été effectuées entre 1988 et 1996 (photo 5, p. 211). Ces interventions ont entraîné une réapparition de nombreuses espèces d’orchidées : Orchis ustulata en 1986, Ophrys fuciflora en 1987, Aceras anthropophorum en 1988, etc. Cependant certaines espèces plus inféodées aux lisières et fourrés ont tendance à régresser (Orchis militaris et Platanthera chlorantha). Ainsi, ce type de gestion est surtout favorable aux espèces d’orchidées inféodées aux pelouses. Pour les espèces de lisière, un autre type de gestion devra donc être mis en place. Les parties boisées (4 ha) sont traitées en futaie irrégulière, en favorisant la diversité des essences forestières : Érable plane et Érable sycomore, Tilleul à petites feuilles, If, Merisier, Alisier torminal, Orme des montagnes. Une coupe à dominance sanitaire a été réalisée en 1996 pour éclaircir les peuplements jouxtant la réserve. Dans l’avenir, les arbres situés à proximité des lisières seront enlevés pour faire reculer les ourlets forestiers et agrandir la surface de pelouse. Ces ourlets ne seront pas systématiquement détruits car ils abritent également des espèces rares et représentent un type d’habitat considéré d’intérêt communautaire. NOUVELLE ORIENTATION EN 1995 À l’initiative du laboratoire d’écologie de l’université de Rouen et du conservatoire des sites naturels de Haute-Normandie, un système de pâturage de parcours a été restauré sur les pelouses calcaires. Ce type d’intervention fait appel à des moutons de race rustique (les mergellands) qui circulent en troupe dirigée par un berger et des chiens (Dutoit et Alard, 1996c). La gestion conservatoire consiste ici à imiter l’exploitation traditionnelle tout en assurant des liens entre les différentes pelouses grâce à la transhumance des moutons d’un site à l’autre (transport de graines et de pupes dans la laine des animaux, complémentarité alimentaire entre les différentes pelouses). L’impact du pâturage sur la richesse et la diversité de la végétation et de certaines populations d’insectes (Lépidoptères, Orthoptères) fera l’objet d’un suivi dont les méthodes ont déjà été exposées dans un précédent article (Richard et Dutoit, 1995). Le troupeau du conservatoire des sites (90 moutons) a été présent sur la pelouse de la Roche Fouet en octobre 1995 et septembre 1996 avant l’apparition des premières rosettes d’orchidées. Il n’y a pas pour l’instant de résultats quantitatifs des impacts du pâturage sur les populations végétales ou les insectes. Au niveau physionomie, on peut juste constater une ouverture plus grande des pelouses aux endroits où celles-ci étaient très denses. 209 Rev. For. Fr. XLIX - 3-1997 1 2 210 3 Biologie et forêt 4 Photo 1 Vue aérienne des falaises d’Orival dans la basse vallée de Seine Photo D. ALARD Photos 2 et 3 Évolution de la colonisation ligneuse spontanée des pelouses des Roches d’Orival entre 1906 et 1996 Collection et photo T. DUTOIT Photo 4 La pelouse de la Vénerie Photo T. DUTOIT Photo 5 La pelouse de la Roche Fouet Photo T. DUTOIT 5 211 Rev. For. Fr. XLIX - 3-1997 T. DUTOIT - Dominique BONNETAUD BILAN ET PERSPECTIVES Le choix du pâturage par rapport au fauchage s’explique par les contraintes techniques de la pelouse de la Roche Fouet dont la pente ne permet pas un débroussaillement mécanique. Le pâturage n’est donc pas à opposer au fauchage qui a donné d’excellents résultats par rapport aux populations d’orchidées. Lorsque le boisement est trop dense, des opérations “lourdes” de débroussaillement devront cependant être réalisées. Concernant la physionomie du site et la restauration d’un équilibre dynamique entre les différentes formations végétales de la réserve (pelouse, fourrés, bois), le pâturage de parcours apparaît comme un outil beaucoup plus souple d’utilisation par rapport au fauchage ou au pâturage en enclos. Il ne nécessite pas l’installation de clôtures car les animaux peuvent être regroupés dans des parcs mobiles (filets électriques) ou fixes sur des pelouses sans intérêts écologiques particuliers. En fonction des résultats sur la faune et la flore, la pression et l’époque de pâturage peuvent être modulées très facilement. À l’échelle de la forêt domaniale de La Londe-Rouvray, la réserve constitue une clairière entraînant une augmentation de la diversité biologique globale du massif notamment en espèces herbacées calcicoles et thermophiles. Le maintien de cette clairière au stade herbacé empêchera toutefois sa régénération forestière et l’augmentation consécutive du nombre d’espèces arborées pionnières intéressantes vis-à-vis de leur rareté en Haute-Normandie (Amelanchier ovalis, Quercus pubescens, Sorbus torminalis). C’est pourquoi, en l’absence de possibilité de créer d’autres clairières de ce type sur les falaises calcaires qui bordent le massif (propriétés privées), il faut laisser s’exprimer pour partie les lisières forestières de la réserve pour ne pas figer les différentes formations végétales. Le renouvellement des lisières, fourrés et pré-bois pourra facilement être obtenu grâce à des périodes d’abandon du pâturage et des débroussaillements différentiels sur certaines lisières. Au-delà d’un zonage spatial des objectifs et interventions, le plan de gestion devra proposer un zonage temporel permettant un équilibre évolutif entre les différentes formations. Il est important de varier les types d’intervention pour éviter la disparition de certaines espèces dont la biologie n’est pas compatible avec la répétition régulière de la même technique de gestion. Dans les pelouses calcaires des environs de Rouen, le cas de l’Alisier de Fontainebleau (Sorbus latifolia) est particulièrement éloquent. Cette espèce est protégée au niveau national et colonise les pelouses calcaires abandonnées. La restauration d’un système de pâturage ne peut permettre le maintien de cet arbre car ses feuilles et son écorce sont consommées par les ovins rustiques. Il est donc nécessaire dans certaines parcelles de donner libre cours à la colonisation arbustive spontanée afin de permettre sa régénération (Drapier, 1991 ; Carbiener, 1995). Les perspectives futures de gestion consistent surtout au maintien des pelouses grâce à l’élimination des arbres et arbustes pionniers (Bouleau, Noisetier, Pin sylvestre, etc.). Le fauchage se poursuivra sur la pelouse de la Vénerie tandis que le pâturage continuera à être expérimenté sur la pelouse de la Roche Fouet. Des arbustes seront maintenus (Amélanchier, Cerisier de Sainte-Lucie). Pour garder certaines formations arbustives, la forêt sera gérée en futaie claire irrégulière. Quelques arbres morts seront conservés dans la forêt pour permettre le développement d’espèces lignicoles et xylophages (champignons, carabes et avifaune associée). CONCLUSIONS La gestion de la réserve biologique domaniale dirigée des Falaises d’Orival illustre bien la problématique générale de maintien de la biodiversité dans des réserves où les écosystèmes à conserver ne sont pas forestiers. Dans l’impossibilité de proposer un modèle global de gestion, le gestionnaire 212 Biologie et forêt doit s’entourer des avis d’un comité scientifique le plus ouvert possible car, pour l’instant, les interventions de gestion sont dans cette réserve fortement dépendantes des résultats obtenus pour un groupe d’espèces (les orchidées). Dans un proche avenir, le comité scientifique devra donc définir plus précisément les objectifs de conservation, les hiérarchiser, réaliser un plan de gestion et le suivi scientifique des différentes interventions. T. DUTOIT Dominique BONNETAUD Maître de Conférences Ingénieur du Génie rural, des Eaux et des Forêts UNIVERSITÉ DE PROVENCE Adjoint au Directeur régional Laboratoire de Biosystématique OFFICE NATIONAL DES FORÊTS et Écologie méditerranéenne Direction régionale Haute et Basse-Normandie URA 1152, FST Saint-Jérôme, case 421 bis, 53 bis, rue Maladrerie F-13397 MARSEILLE CEDEX 20 F-76042 ROUEN CEDEX Remerciements Les auteurs tiennent à remercier le personnel de l’Office national des Forêts, le bureau d’études de la direction régionale de Haute- et Basse-Normandie, la Division ONF de Rouen et le personnel de terrain. Nos remerciements vont également à Monsieur Stéphane Chodan et aux membres de la Société d’Études des Sciences naturelles d’Elbeuf pour la communication de données inédites sur les orchidées et les travaux de débroussaillement effectués sur la réserve. Que Messieurs J. Pardé, J. Trouvilliez, M. Jacamon et J.-C. Rameau soient remerciés pour leurs commentaires et avis apportés à une première version du texte. BIBLIOGRAPHIE ALARD (D.), DUTOIT (T.). — Conservation des pelouses sèches du nord-ouest de l’Europe : vers des modèles de gestion où l’homme a sa place. — Le Courrier de la Nature, vol. 152, juillet-août 1995, pp. 16-22. BALLU (J.-M.). — Protection de la nature et réserves biologiques domaniales. — Bulletin d’information de l’Office national des Forêts, vol. 68, octobre 1983, pp. 3-16. BLONDEL (J.). — Biogéographie : approche écologique et évolutive. — Paris : Masson, 1995. — 297 p. BOUILLIE (P.). — Contribution à l’étude de l’orthoptèrofaune normande : ensifères observés sur le site des “Roches d’Orival”. — Actes du Muséum de Rouen, n° 1, 1989, pp. 1-12. BOULLARD (B.). — Informations scientifiques relatives aux Roches d’Orival. — Rouen : Laboratoire d’Écologie, 1971. — 28 p. BOUVAREL (P.). — La Diversité biologique : notion ambiguë. — Revue forestière française, vol. 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OFFICE NATIONAL DES FORÊTS. — Instructions sur les réserves biologiques dirigées et les séries d’intérêt écologique particulier dans les forêts relevant du régime forestier, n° 95 T 32. — 1995. — 20 p. RAMEAU (J.-C.), OLIVIER (L.). — La Biodiversité forestière et sa préservation. Intérêt patrimonial de la flore, de la végétation et des paysages forestiers. — Revue forestière française, vol. XLIII, n° spécial “Patrimoines naturels forestiers”, 1991, pp. 19-27. RICHARD (P.), DUTOIT (T.). — Pelouses sèches du Nord et de l’Est de la France : un programme inter-régional. In : Actes du Forum des Gestionnaires “La Gestion des Milieux herbacés”. — Paris : Ministère de l’Environnement, 1995. — pp. 81-89. ROLAND (J.). — La Forêt française et les nouveaux enjeux de la biodiversité. — La lettre des réserves naturelles, n° 39, 1996, pp. 11-25. SMITH (C.J.). — Ecology of the English Chalk. — London : Academic Press, 1980. — 573 p. WALTER (J.M.N.). — Bref aperçu de la dynamique des forêts anciennes naturelles et semi-naturelles d’Europe. — Revue forestière française, vol. XLIII, n° spécial “Patrimoines naturels forestiers”, 1991, pp. 173-184. WOLKINGER (F.), PLANK (S.). — Les Pelouses sèches en Europe. — Strasbourg : Conseil de l’Europe, 1981. — 57 p. LA GESTION DE LA RÉSERVE BIOLOGIQUE DOMANIALE DES FALAISES D’ORIVAL DANS LA FORÊT DE LA LONDE-ROUVRAY (SEINE-MARITIME) (Résumé) Créée en 1988 sur des falaises calcaires de la vallée de Seine, la réserve biologique dirigée des Roches d’Orival de la forêt domaniale de La Londe-Rouvray, forêt proche des agglomérations rouennaise et elbeuvienne (département de la Seine-Maritime) est constituée d’une dizaine d’hectares de pelouses sèches et de pré-bois. Pour cet espace naturel, l’arrêté de mise en réserve a été pris pour maintenir et restaurer la diversité biologique des pelouses calcaires et de leurs lisières forestières. Depuis l’abandon des pratiques pastorales traditionnelles, ces formations végétales sont en effet menacées de disparition par une colonisation ligneuse spontanée. Après avis favorable du comité scientifique consultatif, l’Office national des Forêts a donc mis en place un système de gestion par fauchage. Les premiers résultats montrent que ce système est favorable à la richesse spécifique des pelouses notamment en orchidées. Toutefois, la présence de pentes abruptes et la nécessité de prendre en compte la protection d’autres espèces ont aujourd’hui orienté la gestion vers le retour au pâturage extensif ovin guidé par un berger. Ce type de gestion pourrait s’avérer plus souple pour la conservation d’un équilibre dynamique entre les différentes communautés végétales. MANAGING THE BIOLOGICAL RESERVATION IN THE STATE FOREST OF LA LONDE-ROUVRAY (SEINE-MARITIME) ON THE ORIVAL CLIFFS (Abstract) The managed biological reservation of Roches d’Orival was established over some ten hectares of dry grassland and wooded pastures in the state forest of La Londe-Rouvray in 1988 located on the calcareous cliffs of the Seine valley located close to the cities of Rouen and Elbeuf (Seine-Maritime). The purpose of creating this natural reserve was to preserve and restore the biological diversity of the calcareous grasslands and the surrounding forest vegetation which was threatened with extinction due to spontaneous woody colonization as a result of the decline of traditional grazing practices. Having obtained a favorable opinion from the scientific advisory committee, the National Forestry Board (ONF) began by implementing a management scheme based on cutting the grass. Initial results show that this system did encourage the specific diversity of the grassland, particularly as regards orchids. However, because of steep slopes and the need to protect other species, management practices are now turning back to traditional extensive sheep grazing under the supervision of a shepherd. This type of management may turn out to be more flexible for the purpose of maintaining a dynamic equilibrium between the various plant communities. 214