Le musée se distancie de ses mécènes

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RELIGIONS
SAMEDI 18 JUIN 2016
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Le Musée des civilisations de l’islam vient d’ouvrir ses portes sur un fond de polémique. Visite guidée
K CHRISTINE WUILLEMIN
nites, les chiites et les kharidjistes»,
expose Mallory Schneuwly Purdie.
La Chaux-de-Fonds L «Nous avons
Quand l’islam rayonnait
un public de tous âges et de tous
horizons. Les gens nous posent des
questions et nous laissent de nombreux messages d’encouragement
dans notre livre d’or. Je suis ravie que
ce projet devienne un espace générateur de dialogue», s’enthousiasme
Nadia Karmous, directrice du Musée
des civilisations de l’islam (MUCIVI)
qui a ouvert ses portes le 27 mai à La
Chaux-de-Fonds. Une quiétude qui
ferait presque oublier la polémique
autour du financement de ce projet
à 3 millions qui a pu voir le jour grâce
à des donateurs étrangers dont la
plupart sont des femmes des pays du
Golfe. Un manque de transparence,
dans un premier temps, sur la provenance de ces fonds avait suscité des
interrogations quant à l’influence de
ces Etats sur le contenu du musée.
Certains craignaient en effet une
approche fondamentaliste de l’islam.
Qu’en est-il en réalité? Décryptage
avec une spécialiste de la question,
la sociologue Mallory Schneuwly
Purdie, chargée de projet au Centre
suisse islam et société à Fribourg.
Le musée s’attache à présenter l’islam dans sa pluralité, mais le sunnisme y est davantage mis en avant. Photos Keystone
«Le musée se distancie
de ses mécènes»
Que savons-nous?
Le musée propose un voyage à travers
15 siècles de culture islamique. La
découverte commence par une immersion dans l’obscurité. Une inscription lumineuse nous interroge: «Que
sais-je?». «Cela symbolise la jâhilîya,
la période préislamique qui désigne
l’ignorance. Avant la révélation coranique, il y avait les ténèbres», éclaire
Mallory Schneuwly Purdie. «Je
trouve intéressant que l’exposition
débute ainsi. D’une part, parce qu’on
ne peut pas comprendre l’islam sans
connaître le contexte qui l’a vu naître
(l’Arabie païenne du VIIe siècle) et
d’autre part, parce que le message
contredit le discours des propagandistes de l’Etat islamique qui prétendent que l’Occident est dans la
jâhilîya, alors qu’eux détiendraient
la connaissance de façon innée,
puisqu’ils sont musulmans. Le message ici est, au contraire, un appel à
dépasser notre propre ignorance, que
l’on soit musulman ou non. Mais cela
vaut surtout pour les musulmans qui
ne peuvent pas se contenter de l’être.
Ils doivent s’enquérir du savoir.»
Révélation
La seconde porte renferme une
sombre forêt de cordes suspendues
dans laquelle le visiteur doit s’enfoncer jusqu’à trouver un puits de lumière venant d’en haut. C’est le début
de la révélation divine faite à Mohammed par l’intermédiaire de l’ange
Gabriel. Mais l’islam n’est pas tombé
du ciel, il s’est construit. «Au départ,
Mohammed a cru qu’il devenait fou.
Il a dû réfléchir à ce qui lui arrivait
et en discuter avec sa première épouse
Khadija pour savoir ce qu’il devait
faire», explique la sociologue.
Après la mort du prophète, les musulmans se mettent à interpréter les
textes du Coran. «Et qui dit interprétation, dit divergences», nous glisset-on à l’oreille au moment de pénétrer
dans ce troisième espace à l’éclairage
doux. Une frise présente les différentes manières qu’ont les musulmans de se vêtir, de se couper la barbe
ou de prier à travers le monde. Sur les
murs, des symboles que le néophyte
peine à comprendre. «Cette salle est
complexe. Son contenu est majoritairement religieux, tandis que les
autres portent davantage sur le civilisationnel. Elle traite de la pluralité
de l’islam qui débute avec le grand
schisme, la séparation entre les sun-
Une grande fierté se dégage de la pièce présentant les révolutions scientifiques réalisées à l’âge d’or de l’islam.
Dans une grande pièce baignée de
lumière, les écrits d’Aristote et
d’Hypocrate côtoient le Coran. Les
musulmans s’inspirent des Grecs pour
révolutionner la médecine, les mathématiques et les autres sciences. A
l’époque, leur territoire s’étend de l’Asie
Mineure à la péninsule Ibérique. Des
scientifiques, apparaissant grandeur
nature sur des écrans, apportent un
éclairage actuel sur les découvertes
d’hier. «L’intention ici est de poser un
langage académique sur le religieux
pour montrer que l’islam et le Coran
sont ouverts à l’étude, qu’ils ne sont pas
intouchables», interprète la sociologue.
Agonie d’une civilisation
Musique agressive, lasers rouges morcelant un immense miroir: on ne
s’éternise pas dans ce lieu qui évoque
le déclin des civilisations islamiques.
«Cette période correspond à l’envolée
de la civilisation chrétienne», décrit la
chercheuse. L’invention de l’imprimerie, longtemps rejetée par certains
musulmans qui considèrent la copie
mécanique du Coran comme un blasphème, facilite la diffusion des idées
occidentales. La découverte d’une
nouvelle route vers l’Inde évitant la
péninsule Arabique prive ses habitants d’échanges stimulants intellectuellement. Les luttes de pouvoir internes liées à la succession des califats
sclérosent la société. «On se renferme
et on se fie à nouveau aux stricts textes
religieux, sans effort d’interprétation
personnelle pour sortir de l’ignorance.
Il s’agit-là d’une autocritique.»
Pour Mallory Schneuwly Purdie, il
est intéressant et nécessaire que les
musulmans – et dans ce cas des
femmes – deviennent acteurs de leur
image car, «jusque-là, ils subissent
plutôt celle qui est véhiculée par
l’actualité internationale». Concernant le contenu du musée, la sociologue n’a pas relevé de contenu politique, idéologique ou portant la
marque d’une quelconque école juridique. L’exposition ne fait pas non
plus mention des troubles actuels liés
à l’État islamique. «C’est une introduction assez rapide à la pluralité de
l’islam. Il accorde cependant une
place prépondérante au sunnisme.
Le chiisme et les autres branches ne
sont que mentionnés. En même
temps, 85% des musulmans sont sunnites...» Selon la chercheuse, le MUCIVI conserve clairement son indépendance par rapport à ses mécènes
des pays du Golfe, pour l’instant.
L’enjeu résidera plutôt dans le choix
des expositions temporaires. Resteront-elles informatives ou serontelles militantes? L
UN PARCOURS
INITIATIQUE
Le musée qui s’adresse à tout le
monde est une sorte de parcours
initiatique articulé en six chapitres et autant de salles. Les explications sont fournies par un
audioguide (français, anglais, allemand et arabe). Le visiteur
n’est pas passif pour autant,
puisqu’il doit chercher des capteurs cachés dans les salles qu’il
doit pointer avec son appareil
pour obtenir plus d’informations.
Le temps de visite peut ainsi aller
de vingt minutes à une heure et
demie. La matière est complexe
pour les jeunes et des enfants. CW
F www.mucivi.ch
La dernière étape permet de se plonger dans les yeux d’hologrammes, des étrangers dont on ne sait rien mais qui nous ressemblent.
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