L?anthropologie des addictions pour sa part s?inclut dans le champ épistémologique plus
vaste de l?anthropologie de la santé qui se penche sur la question de la maladie, de la
guérison et du rapport au corps. Ce classement en dit long sur le regard général porté par le
monde académique à la thématique des addictions. En effet, le toxicomane, après avoir été
perçu comme un déviant, est devenu essentiellement un malade qu?il s?agit de guérir. Les
apports de l?anthropologie à un domaine abordé en général sous l?angle médical sont
nombreux. La « pathologisation » du champ des addictions a eu pour conséquence une lecture
parfois trop réductrice des dynamiques sociales collectives et individuelles. En décalant le
regard, cela permet d?intégrer la dimension symbolique et culturelle et de replacer des
pratiques étiquetées comme déviantes dans une problématique plus large du rapport de
l?individu aux autres, au groupe et à la société en général.
L?acteur social comme point de départ
L?anthropologie des addictions s?appuie sur les principes chers à l?ethnométhodologie ou
encore à l?interactionnisme symbolique qui consiste à analyser un univers de sens du point
de vue de l?acteur social sans jugement moral préalabale. Comme le relevait Howard Becker
(Les ficelles du métier, pp 62):
En termes d?analyse, cela signifie que chaque fois que nous découvrons quelque chose qui
nous semble si étrange et si incompréhensible que la seule explication que nous puissions en
donner est une version quelconque de « Ils doivent être fous », nous devrions
systématiquement suspecter que nous manquons grandement de connaissances sur le
comportement que nous étudions. Il vaut mieux supposer que tout cela a un sens et en
rechercher la signification.
L?individu est considéré comme détenteur d?un savoir propre à ses pratiques culturelles et
donc spécialiste du sujet. En privilégiant une approche du terrain basée sur une enquête
approfondie dont l?observation participante est l?un des éléments-clés, l?anthropologue, à
travers une relation de confiance et de respect avec les acteurs sociaux, peut acquérir une
connaissance fine des codes en vigueur parmi une population toxicomane ou alcoolique. Une
enquête ethnographique intensive basée autant sur des entretiens que sur une présence
physique régulière lui permet d?analyser aussi bien des discours que des pratiques sociales,
tout en identifiant les différents protagonistes (consommateurs, dealers, forces de l?ordre,
intervenants sociaux, etc.) en interaction sur le terrain. L?acquisition d?un capital culturel
spécifique au milieu donne accès à une meilleure compréhension des enjeux sociaux et
humains qui s?y déroulent. L?exemple de ce type d?immersion dans l?univers de la
toxicodépendance est celui de Philippe Bourgois (2001 1995), anthropologue américain qui a
fait du terrain dans les années 80 dans le spanish Harlem au moment de l?émergence et
explosion du marché du crack à New York. Sa monographie « En quête de respect. Le crack à
New York » témoigne de sa longue immersion dans le milieu du commerce de drogue. Il
démontre comment le commerce de la drogue, outre son aspect financier, permet à des
personnes stigmatisées par leur origine socio-économique (pour la plupart des émigrés
portoricains de seconde génération) d?accéder à une reconnaissance sociale au niveau du
Barrio et de contourner une économie officielle qui ne leur laisse aucune possibilité
d?ascension sociale. L?acteur social y est abordé dans toute sa complexité qui permet de
dépasser un discours soit normatif ou encore victimisant. En effet, la pratique addictive sert
aussi de référent identitaire fort pour certaines personnes en rupture sociale. Cet aspect micro
qui fait de l?individu, sa pratique et les sociabilités engendrées par cette dernière le point de
départ d?une réflexion sur l?addiction doit aussi tenir compte d?aspect plus structurels et