Le Droit Ouvrier JANVIER 2005
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(1) Cette chronique est issue de l'intervention faite en ouverture du
premier forum social des Pyrénées-Orientales initié par la FSU
notamment avec le concours de l'union départementale CGT
(ELNE 9 octobre 2004).
Les droits sociaux :
un enjeu de la condition humaine (1)
par Yves SAINT-JOURS, Professeur émérite de l’Université de Perpignan
es droits sociaux ne sont pas tombés du ciel. Ils sont apparus,
en ce pays, dans le sillage de l'abandon des privilèges et des droits
seigneuriaux (4 août 1789) et de la déclaration des droits de l'Homme et du
citoyen (26 août 1789) sous le double effet de la révolution industrielle et
des révoltes ouvrières contre une exploitation effroyable de la force de
travail humaine. Ces révoltes souvent noyées dans le sang des prolétaires
ont émaillé une bonne partie du XIXesiècle, avant d'être relayées jusqu'à nos
jours par les luttes syndicales et politiques des diverses couches de la
population salariée, pour l'avènement de la justice sociale (I).
Cette filiation historique des droits sociaux leur a conféré dès l'origine
une essence révolutionnaire qui les rend incompatibles avec le contexte d'un
redéploiement hégémonique du capitalisme à l'échelle mondiale. D'où leur
remise en cause, d'une ampleur encore jamais égalée en temps de paix, qui
implique une riposte coordonnée de toutes les forces syndicales et
politiques qui se reconnaissent fondamentalement dans le combat pour la
sauvegarde et l'extension des droits sociaux, en vue d'une restructuration
sociale de la condition humaine (II).
L
I. - L'avènement historique des
droits sociaux
A. La transgression originelle des
droits de l'Homme envers les
gens de travail
B. Le combat de la classe
ouvrière pour la justice sociale
C. La reconnaissance universelle
des droits sociaux
II. - La problématique actuelle
des droits sociaux
A. La remise en cause des droits
sociaux à l'échelle mondiale
B. Le combat pour la
restructuration sociale de la
condition humaine
PLAN
DOCTRINEDOCTRINE
I. L’avènement historique des droits sociaux
Les droits sociaux ont émergé dans la mouvance de la
IIIeRépublique au confluent de la contradiction
fondamentale entre la déclaration des droits de l'Homme
et du citoyen en 1789, et l'exclusion de la citoyenneté
dont ont été longtemps victimes, tant les prolétaires des
villes et des campagnes que les peuples colonisés
maintenus en esclavage, et voués respectivement à
l'exploitation capitaliste et coloniale ayant accompagnée la
révolution industrielle. Le refus par les uns et les autres de
conditions miséreuses d'existence qui leur ont été
imposées, a focalisé leurs revendications collectives sur
les droits sociaux, en ce qui concerne la classe ouvrière et
sur l'indépendance nationale concernant les peuples
colonisés. La légitimation de ces revendications n'est
intervenue qu'au cours du XXesiècle, comme la
conséquence de deux guerres mondiales ayant ébranlé
une première fois la domination capitaliste mais sans
réussir à la vaincre.
A. La transgression originelle des droits
de l'Homme envers les gens de travail
Nonobstant la déclaration des droits de l'Homme
proclamant que tous les citoyens ont le droit de concourir
à l'élaboration de la loi, le droit de vote ne fut accordé,
dans son pays d'origine, qu'à une minorité de possédants
(loi du 22 décembre 1789), excluant implicitement les
femmes qui ne l'obtiendront qu'en 1944, et
explicitement les gens de travail ne disposant pas de
revenus suffisants. Il s'ensuivit rapidement l'inéligibilité
« de tout homme aux gages et ordres habituels d'un
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autre » (loi du 9 juin 1791). Les restrictions visant les gens
de travail se sont prolongées jusqu'à la Révolution de
1848.
La féodalité défaite, la bourgeoisie triomphante ne
tardera point à interdire les corporations au nom de la
liberté du travail (loi d'Allarde des 2 et 17 mars 1791) en
la réduisant à la liberté d'entreprendre « il sera libre à
toute personne... d'exercer telle profession, art ou métier
qu'elle trouvera bon ». La liberté pour les gens de travail
de s'engager, les place directement, dans ce nouveau
contexte, sous la subordination économique et juridique
des entrepreneurs, amasseurs de capitaux, en brisant
toute velléité, de leur part, d'une gestion associative ou
coopérative du travail.
La loi Allarde devait ainsi heurter de front les ouvriers
de métier issus du compagnonnage et entraîner, au
printemps 1791, une série de grèves dans les ateliers
parisiens et susciter, en réaction immédiate, la loi Le
Chapelier des 14 et 17 juin 1791. Une loi terrible, selon
l'expression de Jean Jaurès, interdisant toute coalition
ouvrière : associations et grèves notamment en vue
d'obtenir des « règlements sur leurs prétendus intérêts
communs ».
Les codes Napoléon devaient confirmer la
subordination juridique des gens de travail dans le contrat
de louage de service, futur contrat de travail. L'article 1781
du Code civil de 1804 disposait qu'en matière de litige
portant sur les gages, le maître devait être cru sur parole.
Il ne sera aboli qu'en 1868. L'article 291 du Code pénal
interdisait corrélativement, toute association de plus de
vingt personnes, non autorisée officiellement, et les
articles 414 à 416 réprimaient les coalitions ouvrières
d'un à trois mois d'emprisonnement, portés de deux à
cinq ans pour les meneurs. Le délit de coalition a été
transformé, en 1864, en délit d'entrave à la liberté du
travail, lequel figure toujours aux articles 431-1 et 431-2
du Code pénal en vigueur.
La loi du 22 germinal an XI avait créé un livret ouvrier,
définitivement disparu en 1890, permettant un double
contrôle patronal et policier de la main d'œuvre. L'ouvrier
qui n'en possédait pas était considéré comme vagabond,
c'est-à-dire à l'époque, comme un délinquant.
L'esclavage qui avait été institutionnalisé par Louis XIV,
en 1685, comme le fondement de la traite par le Code
noir, ne sera définitivement aboli dans les colonies
françaises que lors de la Révolution de 1848 (décrets des
4 mars et 27 avril 1848), la traite s'étant prolongée aux
Antilles et à la Réunion jusqu'à l'année 1861.
En réaction contre les conditions d'existence qui leur
ont été imposées, au mépris des droits de l'Homme, la
classe ouvrière et les peuples colonisés n'ont eu d'autre
issue que de s'engager dans le combat pour la justice
sociale pour les uns, et l'indépendance pour les autres.
B - Le combat de la classe ouvrière
pour la justice sociale
Au cours du XIXesiècle, des conditions de vie
effroyables ont acculé la classe ouvrière à de multiples
révoltes depuis celles des canuts lyonnais de 1831 et
1834, à la Commune de Paris de 1871, en passant par la
Révolution de 1848, pour l'obtention de droits
spécifiques à leur condition sociale et plus
particulièrement le droit d'association, la protection
sociale et la réglementation des relations de travail.
Le droit d'association fut banni par la loi Le Chapelier
de 1791 précitée, afin d'entraver toute forme
d'organisation sociale et revendicative de la classe
ouvrière. Certes, des associations ouvrières ont été plus
ou moins tolérées dès lors qu'il s'agissait de sociétés de
secours mutuels, mais sévèrement réprimées lorsqu'elles
s'aventuraient sur le terrain revendicatif et l'organisation
des grèves et parfois des révoltes.
Face à la montée en puissance de la classe ouvrière, le
droit d'association n'a pas pu être éternellement interdit.
Reconnu de manière éphémère lors de la Révolution de
1848, il ne le sera, juridiquement, qu'en 1884 sous la
forme de syndicats professionnels ; et d'une manière
générale en 1901, afin de permettre la création
d'associations cultuelles destinées à faciliter la séparation
de l'Eglise et de l'Etat. Depuis 1971, la liber
d'association est reconnue par le Conseil constitutionnel
comme l'un des principes fondamentaux reconnus par
les lois de la République (DC 16 juillet 1971 n° 44.
Rec. 29).
La protection sociale très peu développée, était
généralement facultative et de nature privée. Elle ne
concernait guère que des soins de santé au titre de la
mutualité, l'assistance médicale gratuite, la réparation des
accidents du travail devenue en 1898, obligatoire à la
charge des employeurs, et les retraites instituées à
l'initiative d' entreprises pour fidéliser leurs ouvriers (dites
retraites maisons), rendues légalement obligatoires pour
quelques professions assumant un rôle stratégique dans
le développement économique du pays : marins,
mineurs, cheminots, et généralisées en 1910, avec la loi
sur les retraites ouvrières et paysannes.
En 1890, sous l'influence de la jurisprudence, l'article
1780 du Code civil devait être modifié pour sanctionner
un abus de droit dans tout licenciement ayant pour objet
de priver un salarié du droit à une retraite maison lui ayant
été promise, parfois même en contrepartie de cotisations
retenues à cet effet.
La réglementation des relations de travail est
intervenue à l'origine, pour éviter une usure prématurée
de la main d'oeuvre néfaste pour le développement de
l'industrie. La première loi en ce sens, datée du 22 mars
1841, visait à interdire le travail des enfants de moins de
huit ans dans les fabriques. Elle faisait suite au rapport de
la commission présidée par le docteur Villermé, ayant
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enquêté sur les causes de rachitisme dont étaient atteints
les jeunes gens issus de la classe ouvrière, ce qui les
rendaient inaptes au service militaire. Elle ne fut
pratiquement pas appliquée, ce qui justifia, à propos du
travail des enfants et des femmes, une nouvelle loi qui
institua en 1874, l'inspection du travail pour contrôler
l'application des premières lois sociales.
Le Code civil qui ne consacrait que deux articles (1780
et 1781 précités) au louage des domestiques et ouvriers
fut ébranlé par la révolution industrielle qui ouvrit la voie
à l'élaboration du Code du travail adopté en 1910 et, plus
tard, à la reconnaissance universelle des droits sociaux.
C. La reconnaissance universelle
des droits sociaux
Le XXesiècle aura été profondément marqué par les
conséquences sociales des deux guerres mondiales qui
ont affaibli les principales puissances capitalistes,
contraintes de faire des concessions à la classe ouvrière,
aux classes moyennes appauvries par les
bouleversements économiques inhérents aux conflits
armés.
La Révolution russe d'octobre 1917, étant intervenue
au cours de la première guerre mondiale, avait fait naître
un immense espoir de paix et d'éradication de la misère
affectant les populations opprimées du monde entier. En
riposte, le Traité de Versailles de 1919 ayant mis fin aux
hostilités guerrières, dut prendre en considération les
aspirations du monde du travail à la paix universelle
(création de la Société des Nations) et à la justice sociale
(création de l'Organisation internationale du travail).
Il s'en est suivi, dans notre pays, non sans luttes sociales
et politiques, la reconnaissance des premiers droits
sociaux avec notamment la mise en place des assurances
sociales en 1930 et la législation sociale du Front
populaire en 1936.
Au cours de la seconde guerre mondiale, la Charte de
l'Atlantique du 14 août 1941 signée par Roosevelt et
Churchill en vue de mobiliser psychologiquement les
populations dans l’effort de guerre contre le fascisme, a
mis l'accent sur la nécessité de garantir l'amélioration de
la condition ouvrière, le progrès économique et la sécurité
sociale. La Déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944
faisait à l'OIT obligation de seconder les différentes
nations, pour la mise en oeuvre des droits sociaux.
Le 10 décembre 1948, l'ONU adoptait la déclaration
universelle des droits de l’Homme qui consacrait
l'universalité des droits sociaux expressément visés :
- le droit au travail et à l'indemnisation du chômage,
- le droit d'association, y compris le droit syndical,
- le droit à la Sécurité sociale et à la santé,
- le droit à une activité culturelle et aux loisirs,
- le droit au repos par une limitation raisonnable de la
durée du travail.
Ces principes universels ont conforté notamment dans
notre pays, les droits sociaux visés par la Constitution de
1946, comme étant particulièrement nécessaires à notre
temps. Ils ont été repris dans la Constitution de 1958,
avant d'accuser de graves reculs dans un contexte de
guerre économique qui agite le monde contemporain.
II. La problématique actuelle des droits sociaux
Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, en 1989,
on assiste, en effet, à une remise en cause brutale des
droits sociaux dans la quasi-totalité des pays qui en sont
dotés, sous l'égide des principaux pays capitalistes, réunis
dans le G.8, en un directoire mondial autoproclamé, afin
d'acquérir, sous le couvert d'une concurrence tous
azimuts, la maîtrise des marchés mondiaux, sans
renoncer pour autant à leurs pratiques néocoloniales à
l'égard des pays émergents. Cette situation qui porte en
elle, les caractéristiques d'une crise sociale en puissance,
n'est pas sans rencontrer des résistances, ni sans susciter
des aspirations convergentes pour l'avènement d'une
restructuration sociale de la condition humaine.
A. La remise en cause des droits sociaux
à l'échelle mondiale
Ces droits sociaux, tels qu'ils ont été inscrits à l'issue de
la seconde guerre mondiale, notamment dans les
constitutions des pays victimes du fascisme, ainsi que
dans la déclaration universelle des droits de l’Homme de
1948, sont remis sévèrement en cause, à l'échelle
mondiale. Notre pays, pas plus que l'Union européenne,
entité géopolitique à laquelle il appartient, n'y échappe.
Les fondements des droits sociaux y sont ébranlés, qu'il
s'agisse du droit du travail, de la Sécurité sociale et des
services publics.
Le droit du travail en ce qu'il constitue un corps de
règles régissant les conditions du travail salarié, subit sous
le vocable de sa déréglementation, les assauts répétés
d'un patronat conforté par les thèses du néolibéralisme
qui inondent les rapports sociaux et ce avec la complicité,
pleine et entière, du pouvoir politique.
On connaît les conséquences qui découlent d'une telle
détermination : bas salaires, contrats de travail précaires,
emplois déclassés, croissance des accidents du travail en
volume et en gravité, spectre du chômage... Les
conventions collectives dans le secteur privé et les statuts
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professionnels dans le secteur public sont également
dans cette ligne de mire.
Le feu vert est donné au patronat pour exploiter au
maximum possible la force de travail salariée, tant par le
jeu de la mise en concurrence de la main d'oeuvre que
par l'effet dévastateur de la délocalisation des emplois.
La Sécurité sociale nonobstant son rôle de régulateur
social, n'échappe pas à sa mise en cause. Dès lors que
des risques sociaux gérés par la sécurité sociale, sont
susceptibles de se prêter à une spéculation financière, ils
s'exposent à être détachés du service public en vue d'une
privatisation partielle ou totale. Ce processus a été
enclenché malgré de fortes résistances, par la récente
réforme des systèmes de retraites obligatoires, qui sous
couvert de leur adaptation à la longévité humaine, a
surtout pour objet de prolonger, par palliers successifs
jusqu'à quarante-deux ans en 2020, la période d'activité
requise pour obtenir une pension à taux plein, de réduire
à terme le montant des pensions versées par la Sécurité
sociale, et de créer des fonds de pension dits à la
française. Ceux-ci, sous couvert d'instituer des pensions
de retraite supplémentaire à titre facultatif ou
conventionnel, sont principalement destinés à utiliser la
manne financière, produite par la capitalisation des
cotisations, pour financer la stratégie des entreprises :
fusions, OPA, délocalisations, et à spéculer, le cas échéant,
en Bourse.
Le même scénario se reproduit en matière d'assurance
maladie. Sous prétexte que les dépenses de santé
croissent plus vite que le PIB, la réforme vise surtout à
réduire les charges sociales des entreprises, à augmenter
la participation financière des ménages, soit directement,
soit par l'intermédiaire d'une protection sociale
complémentaire privée, ce qui élargit d'autant le marché
de la santé aux assureurs privés.
La réforme de l'assurance chômage s'est inscrite dans
le même scénario d'un recul de la protection sociale au
profit de la libre entreprise fondée essentiellement, sinon
exclusivement, sur la recherche du profit.
Les services publics au nombre desquels figure la
Sécurité sociale, sont voués au même sort qu'elle. Si leur
exploitation est financièrement rentable, ils doivent être
rendus à l'initiative privée. Au contraire, s'ils sont
déficitaires par nature ou s'ils participent notamment de
l'appareil répressif du pouvoir, ils doivent être laissés à la
charge des budgets de l'Etat et des collectivités
territoriales, c'est-à-dire des contribuables.
Les néolibéraux, qui dirigent le MEDEF et détiennent le
pouvoir d'Etat, reprennent à leur compte le vieux slogan
selon lequel « les capitalistes servent le mieux l'intérêt
général en réalisant des profits », et ils accusent, pour se
justifier, les droits sociaux, de constituer une entrave au
développement de l'économie et d'encourager la paresse
et la fainéantise, voire la violence et la délinquance. Mais
la réalité quotidiennement vécue est tout autre que celle
qui consiste à vouloir faire prendre les effets pour les
causes. Dès lors que la richesse s'accumule à un pôle de
la société, la pauvreté prolifère à l'autre pôle. On
dénombre statistiquement plus de quatre millions de
personnes vivant dans notre pays au-dessous du seuil de
pauvreté. Au fur et à mesure du laminage des droits
sociaux, de nouvelles couches de la population sombrent
dans la disette, sinon la misère, et d'autres pourtant
mieux loties voient tous les espoirs d'une ascension
sociale s'effondrer à jamais.
Mais par un effet dialectique, se créent des bases
potentielles d'une résistance combative à la remise en
cause des droits sociaux.
B. Le combat pour la restructuration sociale
de la condition humaine
Le combat pour la restructuration sociale d'une
condition humaine qui se dégrade sous les coups de
boutoir d'une déferlante mondiale de l'économie
capitaliste relève, plus particulièrement de l'action
syndicale et politique, même s'il s'inscrit sur une toile de
fond indissociable de la lutte pour la paix ; la guerre étant,
par ses effets destructeurs, la principale ennemie des
droits sociaux.
L'action syndicale certes, mais surtout unitaire est,
l'histoire le prouve, la condition indispensable pour la
défense des revendications professionnelles et surtout
l'acquisition et la sauvegarde des droits sociaux. Les
principales conquêtes sociales ont été, dans notre pays, à
chaque fois le résultat d'actions syndicales unifiées et
convergentes.
1936: la réunification de la CGT et de la CGTU a été le
préalable syndical à la victoire du Front populaire et à la
signature des accords Matignon, ayant institué une
première vague de droits sociaux : congés payés, semaine
de 40 heures, extension des conventions collectives,
apparition des délégués du personnel, mise en oeuvre
d'une procédure de conciliation et d'arbitrage pour régler
les conflits collectifs, les premières nationalisations...
1945-46 : la réunification de la CGT en 1943 (accords
du Perreux) préalable à la seconde vague des droits
sociaux : création des comités d'entreprise, de la Sécurité
sociale, l'extension des nationalisations, la reconnaissance
des droits sociaux par le préambule de la Constitution de
1946...
1968 : les actions convergentes notamment de la CGT
et de la CFDT, préalable à la troisième vague des droits
sociaux (accords de Grenelle) majoration de 10 %
minima des traitements et salaires, majoration du SMIG
devenu SMIC, paiement spécifique des journées d'arrêt
de travail, reconnaissance de la section syndicale
d'entreprise...
Ainsi, il se dégage une constante : l'action syndicale
unitaire ou convergente, présage de la conquête de
nouveaux droits sociaux. Par contre un front syndical
désuni, comme en témoigne notamment le rôle néfaste
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(2) Charte reproduite au Droit Ouvrier 2001 p. 105.
joué par la CFDT lors de la réforme des retraites en 2003,
crée un terrain propice au reflux des droits sociaux.
Néanmoins l'action syndicale ne suffit pas à tout. Elle doit
nécessairement être relayée par l'action politique.
L'action politique est en effet, déterminante, dans une
démocratie, pour la légitimation des droits sociaux qu'ils
soient constitutionnels, législatifs, réglementaires ou
conventionnels. Cette légitimation est le plus
généralement l'oeuvre des partis politiques de gauche
(Front populaire), de la volonté nationale de mobiliser la
classe ouvrière dans la reconstruction du pays dévasté par
la guerre (Libération), ou de la pression de puissants
mouvements populaires (Mai 1968).
Dans le contexte de l'Union européenne, les partis
politiques de gauche ne sont pas toujours, tant s'en faut,
fidèles à leurs promesses électorales lorsqu'ils arrivent au
pouvoir. Cela fait problème pour le mouvement syndical
qui se doit de trouver, en son sein, la force et les moyens
de faire respecter, par les partis au pouvoir, leurs
engagements électoraux notamment en matière sociale,
ce qui invite peut-être aussi les syndiqués à devoir
s'impliquer davantage, à cet effet, dans l'action politique
afin de ne pas s'exclure eux-mêmes des instances actives
de décisions aux divers niveaux de la vie publique.
La ratification, dans notre pays, par référendum de la
Constitution de l'Union européenne, ne va pas manquer
de faire rebondir, comme une pomme de discorde
syndicale et politique, la problématique des droits sociaux.
Bien que ne représentant pas toutes les sensibilités des
syndicats adhérents, le bureau de la Confédération
européenne des syndicats a adopté le 13 juillet 2004,
une motion ressentie dans l'opinion publique comme un
soutien au projet de Constitution européenne, lequel
fondé sur l'économie de marché, constitue le fer de lance
de l'hégémonie capitaliste. Ce projet incorpore dans sa
deuxième partie, la Charte des droits civiques, politiques,
économiques et sociaux, adoptée à Nice le 7 décembre
2000 (2), ce qui lui confère une valeur constitutionnelle.
Cette charte, tant par ses dits que ses non-dits,
émascule nombre de droits sociaux visés dans les
préambules des Constitutions françaises de 1946 et
1958, et fait l'impasse sur la déclaration universelle des
droits de l’Homme adoptée et proclamée par les Nations
Unies le 10 décembre 1948. Elle gomme le droit au
travail qui constitue le coeur même des droits sociaux,
tout comme l'avait déjà fait la Charte communautaire des
droits sociaux fondamentaux des travailleurs du
9 décembre 1989 à laquelle elle se réfère expressément,
pour le remplacer à l'échelle européenne par la liberté de
rechercher un emploi, tout en réitérant la liberté
d'entreprendre, ce dont la signification est grosse de
conséquences et d'amères désillusions.
En effet, si le droit au travail implique que l'impossibilité
de trouver un emploi doit donner lieu à indemnisation au
titre de l'assurance chômage ou de l'aide sociale, la liberté
de rechercher un emploi n'ouvre aucun droit à
compensation à ce titre. Si la recherche demeure vaine,
elle n'a pour effet que de culpabiliser le chômeur. C'est ce
scénario qui a déjà commencé à se mettre en place à
l'égard de tous ceux qui recherchent un emploi, en
Allemagne, en Angleterre, chez nous et ailleurs, sous
l'égide de la Charte communautaire des droits sociaux
fondamentaux des travailleurs laquelle s'en tient au droit
à la liberté du choix et de l'exercice d'une profession
(art. 4).
Cette même Charte communautaire, prévoit depuis
1989, au terme de son ultime considérant « que la
proclamation solennelle des droits sociaux au niveau de
la Communauté européenne ne peut justifier, lors de sa
mise en oeuvre, de régression par rapport à la situation
actuellement existante dans chaque Etat membre ».
Et qu'en est-il résulté pour le commun des salariés
européens, durant ces quinze dernières années ? Dans
tous les pays de l'Union européenne, les droits sociaux
ont été, et sont remis en cause, dans une profondeur
rarement égalée, sauf en temps de guerre : précarité
aggravée des contrats de travail, minoration des salaires et
des pensions de retraite, amputation des prestations
sociales (Sécurité sociale, allocations de chômage, etc.).
Au point que l'on peut résumer cette régression sociale,
dont les salariés ne sont pas les seules victimes : travailler
davantage et plus longtemps, gagner moins et vivre de
mal en pis.
Les travailleurs et retraités que nous sommes ont du
souci à se faire pour plusieurs décennies, si nous
n'arrivons pas à obtenir une renégociation du projet de la
Constitution européenne qui nous est proposé et dans
lequel l'Europe sociale demeure encore et toujours
l'Arlésienne de service.
Yves Saint-Jours
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