1-14 Doctrine janvier 2005 27/01/05 16:08 Page 7 DOCTRI NE Les droits sociaux : un enjeu de la condition humaine (1) par Yves SAINT-JOURS, Professeur émérite de l’Université de Perpignan L PLAN I. - L'avènement historique des es droits sociaux ne sont pas tombés du ciel. Ils sont apparus, en ce pays, dans le sillage de l'abandon des privilèges et des droits droits sociaux seigneuriaux (4 août 1789) et de la déclaration des droits de l'Homme et du A. La transgression originelle des citoyen (26 août 1789) sous le double effet de la révolution industrielle et droits de l'Homme envers les gens de travail des révoltes ouvrières contre une exploitation effroyable de la force de travail humaine. Ces révoltes souvent noyées dans le sang des prolétaires B. Le combat de la classe ouvrière pour la justice sociale C. La reconnaissance universelle des droits sociaux ont émaillé une bonne partie du XIXe siècle, avant d'être relayées jusqu'à nos jours par les luttes syndicales et politiques des diverses couches de la population salariée, pour l'avènement de la justice sociale (I). II. - La problématique actuelle des droits sociaux Cette filiation historique des droits sociaux leur a conféré dès l'origine A. La remise en cause des droits une essence révolutionnaire qui les rend incompatibles avec le contexte d'un sociaux à l'échelle mondiale redéploiement hégémonique du capitalisme à l'échelle mondiale. D'où leur B. Le combat pour la restructuration sociale de la remise en cause, d'une ampleur encore jamais égalée en temps de paix, qui condition humaine implique une riposte coordonnée de toutes les forces syndicales et politiques qui se reconnaissent fondamentalement dans le combat pour la sauvegarde et l'extension des droits sociaux, en vue d'une restructuration sociale de la condition humaine (II). I. L’avènement historique des droits sociaux ■ Les droits sociaux ont émergé dans la mouvance de la IIIe République au confluent de la contradiction fondamentale entre la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen en 1789, et l'exclusion de la citoyenneté dont ont été longtemps victimes, tant les prolétaires des villes et des campagnes que les peuples colonisés maintenus en esclavage, et voués respectivement à l'exploitation capitaliste et coloniale ayant accompagnée la révolution industrielle. Le refus par les uns et les autres de conditions miséreuses d'existence qui leur ont été imposées, a focalisé leurs revendications collectives sur les droits sociaux, en ce qui concerne la classe ouvrière et sur l'indépendance nationale concernant les peuples colonisés. La légitimation de ces revendications n'est intervenue qu'au cours du XXe siècle, comme la (1) Cette chronique est issue de l'intervention faite en ouverture du premier forum social des Pyrénées-Orientales initié par la FSU conséquence de deux guerres mondiales ayant ébranlé une première fois la domination capitaliste mais sans réussir à la vaincre. A. La transgression originelle des droits de l'Homme envers les gens de travail Nonobstant la déclaration des droits de l'Homme proclamant que tous les citoyens ont le droit de concourir à l'élaboration de la loi, le droit de vote ne fut accordé, dans son pays d'origine, qu'à une minorité de possédants (loi du 22 décembre 1789), excluant implicitement les femmes qui ne l'obtiendront qu'en 1944, et explicitement les gens de travail ne disposant pas de revenus suffisants. Il s'ensuivit rapidement l'inéligibilité « de tout homme aux gages et ordres habituels d'un notamment avec le concours de l'union départementale CGT (ELNE 9 octobre 2004). Le Droit Ouvrier • JANVIER 2005 ■ 7 1-14 Doctrine janvier 2005 27/01/05 16:08 Page 8 autre » (loi du 9 juin 1791). Les restrictions visant les gens de travail se sont prolongées jusqu'à la Révolution de 1848. La féodalité défaite, la bourgeoisie triomphante ne tardera point à interdire les corporations au nom de la liberté du travail (loi d'Allarde des 2 et 17 mars 1791) en la réduisant à la liberté d'entreprendre « il sera libre à toute personne... d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon ». La liberté pour les gens de travail de s'engager, les place directement, dans ce nouveau contexte, sous la subordination économique et juridique des entrepreneurs, amasseurs de capitaux, en brisant toute velléité, de leur part, d'une gestion associative ou coopérative du travail. La loi Allarde devait ainsi heurter de front les ouvriers de métier issus du compagnonnage et entraîner, au printemps 1791, une série de grèves dans les ateliers parisiens et susciter, en réaction immédiate, la loi Le Chapelier des 14 et 17 juin 1791. Une loi terrible, selon l'expression de Jean Jaurès, interdisant toute coalition ouvrière : associations et grèves notamment en vue d'obtenir des « règlements sur leurs prétendus intérêts communs ». Les codes Napoléon devaient confirmer la subordination juridique des gens de travail dans le contrat de louage de service, futur contrat de travail. L'article 1781 du Code civil de 1804 disposait qu'en matière de litige portant sur les gages, le maître devait être cru sur parole. Il ne sera aboli qu'en 1868. L'article 291 du Code pénal interdisait corrélativement, toute association de plus de vingt personnes, non autorisée officiellement, et les articles 414 à 416 réprimaient les coalitions ouvrières d'un à trois mois d'emprisonnement, portés de deux à cinq ans pour les meneurs. Le délit de coalition a été transformé, en 1864, en délit d'entrave à la liberté du travail, lequel figure toujours aux articles 431-1 et 431-2 du Code pénal en vigueur. Le Droit Ouvrier • JANVIER 2005 La loi du 22 germinal an XI avait créé un livret ouvrier, définitivement disparu en 1890, permettant un double contrôle patronal et policier de la main d'œuvre. L'ouvrier qui n'en possédait pas était considéré comme vagabond, c'est-à-dire à l'époque, comme un délinquant. 8 L'esclavage qui avait été institutionnalisé par Louis XIV, en 1685, comme le fondement de la traite par le Code noir, ne sera définitivement aboli dans les colonies françaises que lors de la Révolution de 1848 (décrets des 4 mars et 27 avril 1848), la traite s'étant prolongée aux Antilles et à la Réunion jusqu'à l'année 1861. En réaction contre les conditions d'existence qui leur ont été imposées, au mépris des droits de l'Homme, la classe ouvrière et les peuples colonisés n'ont eu d'autre issue que de s'engager dans le combat pour la justice sociale pour les uns, et l'indépendance pour les autres. B - Le combat de la classe ouvrière pour la justice sociale Au cours du XIXe siècle, des conditions de vie effroyables ont acculé la classe ouvrière à de multiples révoltes depuis celles des canuts lyonnais de 1831 et 1834, à la Commune de Paris de 1871, en passant par la Révolution de 1848, pour l'obtention de droits spécifiques à leur condition sociale et plus particulièrement le droit d'association, la protection sociale et la réglementation des relations de travail. Le droit d'association fut banni par la loi Le Chapelier de 1791 précitée, afin d'entraver toute forme d'organisation sociale et revendicative de la classe ouvrière. Certes, des associations ouvrières ont été plus ou moins tolérées dès lors qu'il s'agissait de sociétés de secours mutuels, mais sévèrement réprimées lorsqu'elles s'aventuraient sur le terrain revendicatif et l'organisation des grèves et parfois des révoltes. Face à la montée en puissance de la classe ouvrière, le droit d'association n'a pas pu être éternellement interdit. Reconnu de manière éphémère lors de la Révolution de 1848, il ne le sera, juridiquement, qu'en 1884 sous la forme de syndicats professionnels ; et d'une manière générale en 1901, afin de permettre la création d'associations cultuelles destinées à faciliter la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Depuis 1971, la liberté d'association est reconnue par le Conseil constitutionnel comme l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (DC 16 juillet 1971 n° 44. Rec. 29). La protection sociale très peu développée, était généralement facultative et de nature privée. Elle ne concernait guère que des soins de santé au titre de la mutualité, l'assistance médicale gratuite, la réparation des accidents du travail devenue en 1898, obligatoire à la charge des employeurs, et les retraites instituées à l'initiative d' entreprises pour fidéliser leurs ouvriers (dites retraites maisons), rendues légalement obligatoires pour quelques professions assumant un rôle stratégique dans le développement économique du pays : marins, mineurs, cheminots, et généralisées en 1910, avec la loi sur les retraites ouvrières et paysannes. En 1890, sous l'influence de la jurisprudence, l'article 1780 du Code civil devait être modifié pour sanctionner un abus de droit dans tout licenciement ayant pour objet de priver un salarié du droit à une retraite maison lui ayant été promise, parfois même en contrepartie de cotisations retenues à cet effet. La réglementation des relations de travail est intervenue à l'origine, pour éviter une usure prématurée de la main d'oeuvre néfaste pour le développement de l'industrie. La première loi en ce sens, datée du 22 mars 1841, visait à interdire le travail des enfants de moins de huit ans dans les fabriques. Elle faisait suite au rapport de la commission présidée par le docteur Villermé, ayant 1-14 Doctrine janvier 2005 27/01/05 16:08 Page 9 enquêté sur les causes de rachitisme dont étaient atteints les jeunes gens issus de la classe ouvrière, ce qui les rendaient inaptes au service militaire. Elle ne fut pratiquement pas appliquée, ce qui justifia, à propos du travail des enfants et des femmes, une nouvelle loi qui institua en 1874, l'inspection du travail pour contrôler l'application des premières lois sociales. Le Code civil qui ne consacrait que deux articles (1780 et 1781 précités) au louage des domestiques et ouvriers fut ébranlé par la révolution industrielle qui ouvrit la voie à l'élaboration du Code du travail adopté en 1910 et, plus tard, à la reconnaissance universelle des droits sociaux. C. La reconnaissance universelle des droits sociaux Le XXe siècle aura été profondément marqué par les conséquences sociales des deux guerres mondiales qui ont affaibli les principales puissances capitalistes, contraintes de faire des concessions à la classe ouvrière, aux classes moyennes appauvries par les bouleversements économiques inhérents aux conflits armés. La Révolution russe d'octobre 1917, étant intervenue au cours de la première guerre mondiale, avait fait naître un immense espoir de paix et d'éradication de la misère affectant les populations opprimées du monde entier. En riposte, le Traité de Versailles de 1919 ayant mis fin aux hostilités guerrières, dut prendre en considération les aspirations du monde du travail à la paix universelle (création de la Société des Nations) et à la justice sociale (création de l'Organisation internationale du travail). Au cours de la seconde guerre mondiale, la Charte de l'Atlantique du 14 août 1941 signée par Roosevelt et Churchill en vue de mobiliser psychologiquement les populations dans l’effort de guerre contre le fascisme, a mis l'accent sur la nécessité de garantir l'amélioration de la condition ouvrière, le progrès économique et la sécurité sociale. La Déclaration de Philadelphie du 10 mai 1944 faisait à l'OIT obligation de seconder les différentes nations, pour la mise en oeuvre des droits sociaux. Le 10 décembre 1948, l'ONU adoptait la déclaration universelle des droits de l’Homme qui consacrait l'universalité des droits sociaux expressément visés : - le droit au travail et à l'indemnisation du chômage, - le droit d'association, y compris le droit syndical, - le droit à la Sécurité sociale et à la santé, - le droit à une activité culturelle et aux loisirs, - le droit au repos par une limitation raisonnable de la durée du travail. Ces principes universels ont conforté notamment dans notre pays, les droits sociaux visés par la Constitution de 1946, comme étant particulièrement nécessaires à notre temps. Ils ont été repris dans la Constitution de 1958, avant d'accuser de graves reculs dans un contexte de guerre économique qui agite le monde contemporain. II. La problématique actuelle des droits sociaux ■ Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, en 1989, on assiste, en effet, à une remise en cause brutale des droits sociaux dans la quasi-totalité des pays qui en sont dotés, sous l'égide des principaux pays capitalistes, réunis dans le G.8, en un directoire mondial autoproclamé, afin d'acquérir, sous le couvert d'une concurrence tous azimuts, la maîtrise des marchés mondiaux, sans renoncer pour autant à leurs pratiques néocoloniales à l'égard des pays émergents. Cette situation qui porte en elle, les caractéristiques d'une crise sociale en puissance, n'est pas sans rencontrer des résistances, ni sans susciter des aspirations convergentes pour l'avènement d'une restructuration sociale de la condition humaine. A. La remise en cause des droits sociaux à l'échelle mondiale Ces droits sociaux, tels qu'ils ont été inscrits à l'issue de la seconde guerre mondiale, notamment dans les constitutions des pays victimes du fascisme, ainsi que dans la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, sont remis sévèrement en cause, à l'échelle mondiale. Notre pays, pas plus que l'Union européenne, entité géopolitique à laquelle il appartient, n'y échappe. Les fondements des droits sociaux y sont ébranlés, qu'il s'agisse du droit du travail, de la Sécurité sociale et des services publics. Le droit du travail en ce qu'il constitue un corps de règles régissant les conditions du travail salarié, subit sous le vocable de sa déréglementation, les assauts répétés d'un patronat conforté par les thèses du néolibéralisme qui inondent les rapports sociaux et ce avec la complicité, pleine et entière, du pouvoir politique. On connaît les conséquences qui découlent d'une telle détermination : bas salaires, contrats de travail précaires, emplois déclassés, croissance des accidents du travail en volume et en gravité, spectre du chômage... Les conventions collectives dans le secteur privé et les statuts Le Droit Ouvrier • JANVIER 2005 ■ Il s'en est suivi, dans notre pays, non sans luttes sociales et politiques, la reconnaissance des premiers droits sociaux avec notamment la mise en place des assurances sociales en 1930 et la législation sociale du Front populaire en 1936. 9 1-14 Doctrine janvier 2005 27/01/05 16:08 Page 10 professionnels dans le secteur public sont également dans cette ligne de mire. Le feu vert est donné au patronat pour exploiter au maximum possible la force de travail salariée, tant par le jeu de la mise en concurrence de la main d'oeuvre que par l'effet dévastateur de la délocalisation des emplois. La Sécurité sociale nonobstant son rôle de régulateur social, n'échappe pas à sa mise en cause. Dès lors que des risques sociaux gérés par la sécurité sociale, sont susceptibles de se prêter à une spéculation financière, ils s'exposent à être détachés du service public en vue d'une privatisation partielle ou totale. Ce processus a été enclenché malgré de fortes résistances, par la récente réforme des systèmes de retraites obligatoires, qui sous couvert de leur adaptation à la longévité humaine, a surtout pour objet de prolonger, par palliers successifs jusqu'à quarante-deux ans en 2020, la période d'activité requise pour obtenir une pension à taux plein, de réduire à terme le montant des pensions versées par la Sécurité sociale, et de créer des fonds de pension dits à la française. Ceux-ci, sous couvert d'instituer des pensions de retraite supplémentaire à titre facultatif ou conventionnel, sont principalement destinés à utiliser la manne financière, produite par la capitalisation des cotisations, pour financer la stratégie des entreprises : fusions, OPA, délocalisations, et à spéculer, le cas échéant, en Bourse. Le même scénario se reproduit en matière d'assurance maladie. Sous prétexte que les dépenses de santé croissent plus vite que le PIB, la réforme vise surtout à réduire les charges sociales des entreprises, à augmenter la participation financière des ménages, soit directement, soit par l'intermédiaire d'une protection sociale complémentaire privée, ce qui élargit d'autant le marché de la santé aux assureurs privés. Le Droit Ouvrier • JANVIER 2005 La réforme de l'assurance chômage s'est inscrite dans le même scénario d'un recul de la protection sociale au profit de la libre entreprise fondée essentiellement, sinon exclusivement, sur la recherche du profit. 10 Les services publics au nombre desquels figure la Sécurité sociale, sont voués au même sort qu'elle. Si leur exploitation est financièrement rentable, ils doivent être rendus à l'initiative privée. Au contraire, s'ils sont déficitaires par nature ou s'ils participent notamment de l'appareil répressif du pouvoir, ils doivent être laissés à la charge des budgets de l'Etat et des collectivités territoriales, c'est-à-dire des contribuables. Les néolibéraux, qui dirigent le MEDEF et détiennent le pouvoir d'Etat, reprennent à leur compte le vieux slogan selon lequel « les capitalistes servent le mieux l'intérêt général en réalisant des profits », et ils accusent, pour se justifier, les droits sociaux, de constituer une entrave au développement de l'économie et d'encourager la paresse et la fainéantise, voire la violence et la délinquance. Mais la réalité quotidiennement vécue est tout autre que celle qui consiste à vouloir faire prendre les effets pour les causes. Dès lors que la richesse s'accumule à un pôle de la société, la pauvreté prolifère à l'autre pôle. On dénombre statistiquement plus de quatre millions de personnes vivant dans notre pays au-dessous du seuil de pauvreté. Au fur et à mesure du laminage des droits sociaux, de nouvelles couches de la population sombrent dans la disette, sinon la misère, et d'autres pourtant mieux loties voient tous les espoirs d'une ascension sociale s'effondrer à jamais. Mais par un effet dialectique, se créent des bases potentielles d'une résistance combative à la remise en cause des droits sociaux. B. Le combat pour la restructuration sociale de la condition humaine Le combat pour la restructuration sociale d'une condition humaine qui se dégrade sous les coups de boutoir d'une déferlante mondiale de l'économie capitaliste relève, plus particulièrement de l'action syndicale et politique, même s'il s'inscrit sur une toile de fond indissociable de la lutte pour la paix ; la guerre étant, par ses effets destructeurs, la principale ennemie des droits sociaux. L'action syndicale certes, mais surtout unitaire est, l'histoire le prouve, la condition indispensable pour la défense des revendications professionnelles et surtout l'acquisition et la sauvegarde des droits sociaux. Les principales conquêtes sociales ont été, dans notre pays, à chaque fois le résultat d'actions syndicales unifiées et convergentes. 1936 : la réunification de la CGT et de la CGTU a été le préalable syndical à la victoire du Front populaire et à la signature des accords Matignon, ayant institué une première vague de droits sociaux : congés payés, semaine de 40 heures, extension des conventions collectives, apparition des délégués du personnel, mise en oeuvre d'une procédure de conciliation et d'arbitrage pour régler les conflits collectifs, les premières nationalisations... 1945-46 : la réunification de la CGT en 1943 (accords du Perreux) préalable à la seconde vague des droits sociaux : création des comités d'entreprise, de la Sécurité sociale, l'extension des nationalisations, la reconnaissance des droits sociaux par le préambule de la Constitution de 1946... 1968 : les actions convergentes notamment de la CGT et de la CFDT, préalable à la troisième vague des droits sociaux (accords de Grenelle) majoration de 10 % minima des traitements et salaires, majoration du SMIG devenu SMIC, paiement spécifique des journées d'arrêt de travail, reconnaissance de la section syndicale d'entreprise... Ainsi, il se dégage une constante : l'action syndicale unitaire ou convergente, présage de la conquête de nouveaux droits sociaux. Par contre un front syndical désuni, comme en témoigne notamment le rôle néfaste 27/01/05 16:08 Page 11 joué par la CFDT lors de la réforme des retraites en 2003, crée un terrain propice au reflux des droits sociaux. Néanmoins l'action syndicale ne suffit pas à tout. Elle doit nécessairement être relayée par l'action politique. L'action politique est en effet, déterminante, dans une démocratie, pour la légitimation des droits sociaux qu'ils soient constitutionnels, législatifs, réglementaires ou conventionnels. Cette légitimation est le plus généralement l'oeuvre des partis politiques de gauche (Front populaire), de la volonté nationale de mobiliser la classe ouvrière dans la reconstruction du pays dévasté par la guerre (Libération), ou de la pression de puissants mouvements populaires (Mai 1968). Dans le contexte de l'Union européenne, les partis politiques de gauche ne sont pas toujours, tant s'en faut, fidèles à leurs promesses électorales lorsqu'ils arrivent au pouvoir. Cela fait problème pour le mouvement syndical qui se doit de trouver, en son sein, la force et les moyens de faire respecter, par les partis au pouvoir, leurs engagements électoraux notamment en matière sociale, ce qui invite peut-être aussi les syndiqués à devoir s'impliquer davantage, à cet effet, dans l'action politique afin de ne pas s'exclure eux-mêmes des instances actives de décisions aux divers niveaux de la vie publique. La ratification, dans notre pays, par référendum de la Constitution de l'Union européenne, ne va pas manquer de faire rebondir, comme une pomme de discorde syndicale et politique, la problématique des droits sociaux. Bien que ne représentant pas toutes les sensibilités des syndicats adhérents, le bureau de la Confédération européenne des syndicats a adopté le 13 juillet 2004, une motion ressentie dans l'opinion publique comme un soutien au projet de Constitution européenne, lequel fondé sur l'économie de marché, constitue le fer de lance de l'hégémonie capitaliste. Ce projet incorpore dans sa deuxième partie, la Charte des droits civiques, politiques, économiques et sociaux, adoptée à Nice le 7 décembre 2000 (2), ce qui lui confère une valeur constitutionnelle. Cette charte, tant par ses dits que ses non-dits, émascule nombre de droits sociaux visés dans les préambules des Constitutions françaises de 1946 et 1958, et fait l'impasse sur la déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée et proclamée par les Nations Unies le 10 décembre 1948. Elle gomme le droit au travail qui constitue le coeur même des droits sociaux, (2) Charte reproduite au Droit Ouvrier 2001 p. 105. tout comme l'avait déjà fait la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs du 9 décembre 1989 à laquelle elle se réfère expressément, pour le remplacer à l'échelle européenne par la liberté de rechercher un emploi, tout en réitérant la liberté d'entreprendre, ce dont la signification est grosse de conséquences et d'amères désillusions. En effet, si le droit au travail implique que l'impossibilité de trouver un emploi doit donner lieu à indemnisation au titre de l'assurance chômage ou de l'aide sociale, la liberté de rechercher un emploi n'ouvre aucun droit à compensation à ce titre. Si la recherche demeure vaine, elle n'a pour effet que de culpabiliser le chômeur. C'est ce scénario qui a déjà commencé à se mettre en place à l'égard de tous ceux qui recherchent un emploi, en Allemagne, en Angleterre, chez nous et ailleurs, sous l'égide de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs laquelle s'en tient au droit à la liberté du choix et de l'exercice d'une profession (art. 4). Cette même Charte communautaire, prévoit depuis 1989, au terme de son ultime considérant « que la proclamation solennelle des droits sociaux au niveau de la Communauté européenne ne peut justifier, lors de sa mise en oeuvre, de régression par rapport à la situation actuellement existante dans chaque Etat membre ». Et qu'en est-il résulté pour le commun des salariés européens, durant ces quinze dernières années ? Dans tous les pays de l'Union européenne, les droits sociaux ont été, et sont remis en cause, dans une profondeur rarement égalée, sauf en temps de guerre : précarité aggravée des contrats de travail, minoration des salaires et des pensions de retraite, amputation des prestations sociales (Sécurité sociale, allocations de chômage, etc.). Au point que l'on peut résumer cette régression sociale, dont les salariés ne sont pas les seules victimes : travailler davantage et plus longtemps, gagner moins et vivre de mal en pis. Les travailleurs et retraités que nous sommes ont du souci à se faire pour plusieurs décennies, si nous n'arrivons pas à obtenir une renégociation du projet de la Constitution européenne qui nous est proposé et dans lequel l'Europe sociale demeure encore et toujours l'Arlésienne de service. Yves Saint-Jours Le Droit Ouvrier • JANVIER 2005 1-14 Doctrine janvier 2005 11