Projet de création d`une Fondation pour la démocratie économique

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Question de
Question de
Août 2009
Philippe Grosfils et Jean-Michel Charlier
Quelques lignes d'intro
L’art est une façon d’exister. Le théâtre est un art, avec cette particularité, ce « plus »,
qu’il est généralement pratiqué avec d’autres. Pour ceux qui ont été touchés par le virus,
faire partie d’une troupe offre à ses membres – malgré les petites embûches inhérentes à
toute expérience humaine – des moments de pur bonheur. Dans ce Question de point de
vue, nous nous intéressons au théâtre « d’amateurs », c’est-à-dire celui des passionnés
qui n’en font pas une profession pour autant. Et nous ferons un détour par un secteur
bien spécifique et particulièrement foisonnant : le théâtre pratiqué en langue wallonne.
Pour nous conduire dans les coulisses, bien sûr, nous avons laissé la parole
aux…amateurs !
Les auteurs
 Philippe Grosfils est président du Groupe Théâtral du Voisin et
impliqué dans le théâtre amateur depuis plus de 40 ans. Il a participé
à de nombreux stages. Il est à l’initiative de deux troupes de théâtre à
Sambreville et a collaboré avec d’autres dans la Basse-Sambre, que ce
soit en tant qu’acteur et/ou metteur en scène
 Jean-Michel Charlier est secrétaire général des Equipes Populaires,
comédien et metteur en scène amateur.
Edité par les Equipes Populaires
Rue de Gembloux, 48 à 5002 St Servais
081/73.40.86 -- [email protected]
Texte disponible sur le site www.e-p.be
La signification
première du mot
amateur, dit Littré, c‟est
“celui qui a un goût vif
pour une chose”.
C‟est ensuite “celui qui
cultive les beaux-arts
sans en faire sa
profession”…
A vrai dire, si je dois
bien reconnaître la
pertinence de la
seconde définition, je
préfère de loin la
première. Il faut en
effet avoir un goût vif
pour le théâtre,
lorsqu‟on accepte de
travailler sur une pièce
deux, trois, ou quatre (hé oui !) soirées par semaine hors de chez soi, parfois pendant des
mois, mais presque toujours en hiver – à part en Avignon, le théâtre hiberne … pendant l‟été
! Et il faut être solidement “accro” pour le faire depuis plus de quarante ans.
Comment peut-on en arriver là ? Dans mon cas (c‟est celui que je connais le mieux !) il y a une
bonne part d‟hérédité : ma fille, qui est également comédienne amateur, représente la
cinquième génération. Et pourtant, sans un certain aumônier de Patro qui décida un jour de
remplacer par une pièce la traditionnelle “Fête”, dont il estimait qu‟elle ne correspondait pas
aux objectifs du mouvement et mobilisait trop d‟énergie, jamais je n‟aurais pensé suivre
l‟exemple de mon arrière-grand-père. Mais comme je le dis à tous mes interlocuteurs lorsqu‟ils
s‟exclament “oh moi, pour rien au monde je ne pourrais monter sur scène”, je leur dis : il faut
commencer par essayer ! Et quand on a attrapé le virus, il est quasi impossible de s‟en
débarrasser.
L‟Etat des Lieux du Théâtre d‟Amateur en Province de Namur réalisé en 2008 recense 128
troupes actives, dont 35 ont participé cette saison au premier Tournoi de la Province. Cette
étude démontre à suffisance que le théâtre d‟amateurs est une activité florissante et qui a
encore de beaux jours devant elle. Sur les 128 compagnies interrogées, 116 ont renvoyé le
questionnaire élaboré par le Service Provincial de la Culture, ce qui prouve le niveau
d‟implication de leurs responsables.
Gérer les relations humaines
Et pourtant, animer une troupe, ce n‟est pas une sinécure ! Pour s‟exposer sur une scène,
pour oser prendre le risque d‟un trou de mémoire, ou tout simplement d‟être ridicule au lieu
de comique, grotesque au lieu d‟émouvant, il faut évidemment être affligé d‟un ego
démesuré. Avec la conséquence que les gens de théâtre, professionnels ou amateurs, ne
sont pas toujours faciles à “gérer”. Et c‟est parfois un miracle que d‟arriver à harmoniser tant
de personnalités, et si différentes, pour en faire un spectacle cohérent. La seule recette, c‟est
un judicieux mélange d‟enthousiasme et de compétence. Ce n‟est pas un hasard si les
compagnies qui obtiennent les résultats les plus convaincants sont celles qui n‟hésitent pas
à faire appel au savoir-faire du théâtre professionnel. Mais cette décision n‟est pas toujours
facile à prendre, tant les positions à cet égard peuvent s‟opposer au sein d‟une troupe.
Chaque membre a sa conception du théâtre, chacun lui trouve une finalité différente : goûter
le pur plaisir du théâtre, oublier ses soucis en se glissant dans la peau d‟un personnage,
s‟amuser tout simplement entre copains, faire passer un message politique ou
philosophique, remettre au goût du jour le parler wallon… Les options prises par la majorité
peuvent parfois amener au départ de certains, qui s‟empresseront sans doute de créer “leur”
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troupe, où ils pourront se donner les moyens d‟arriver au but qu‟ils recherchent. Jusqu‟au
jour parfois où d‟autres à leur tour remettront en cause les choix effectués…
La gestion des relations humaines au sein du groupe n‟est que l‟une des nombreuses
difficultés que rencontre le théâtre d‟amateurs, mais ce n‟est pas la principale. Celle qui est
le plus souvent évoquée dans l‟étude du TAP‟s, c‟est le manque de moyens, et
particulièrement le manque d‟infrastructures. Par expérience, je puis confirmer que rares
sont les compagnies qui peuvent louer une salle bien équipée (Centre Culturel, Maison de la
Culture…) – et parfois, elles se heurtent à la concurrence d‟autres utilisateurs, et sont
réduites à la portion congrue. Quelques privilégiés disposent d‟un local de répétition qui leur
permet de s‟adapter facilement lorsqu‟ils passent sur le plateau ; le fait de travailler depuis
longtemps et en toute confiance avec l‟équipe technique du lieu qui les accueille, peut
également les aider à gérer cette étape délicate. Il faut aussi trouver un endroit où
entreposer le matériel : éclairages, décors, costumes, sonorisation… Et ce n‟est pas le
moindre des problèmes.
Du Classique et du Boulevard
Si chaque troupe, sinon chaque amateur, poursuit son propre but en pratiquant ce loisir si
enrichissant, il en découle forcément une autre difficulté : celle de choisir le répertoire !
Pendant longtemps, les Amateurs ont eu la réputation de ne jouer au mieux que du
boulevard, au pire des pièces “de patronage”. Un coup d‟oeil sur la liste des derniers lauréats
du Trophée Royal (concours organisé par la Fédération Nationale des Compagnies
Dramatiques) permet de contrer cette assertion : cela va de Maupassant à Shakespeare, en
passant par Eric-Emmanuel Schmitt et Jean-Michel Ribes. Il y a donc un véritable souci de
présenter au public des textes de qualité. Et malgré la croissance exponentielle des droits
d‟auteur réclamés par la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), ce ne
sont pas nécessairement des écrivains “tombés” dans le domaine public qui sont privilégiés.
Les compagnies montent aussi des textes contemporains. Certaines d‟ailleurs n‟hésitent pas
à commander à un auteur un texte sur mesure, et à lui proposer d‟en faire la mise en scène.
Il y a alors une véritable relation
privilégiée entre l‟auteur et ses
Les trois “grandes” fédérations en
interprètes.
Communauté Française :
D‟autres troupes par contre
préfèrent tabler sur des succès
confirmés : boulevard, vaudeville…
• F. N. C. D. (Fédération Nationale des
En France, l‟auteur le plus joué par
Compagnies Dramatiques) :
Maison du Spectacle La Bellone, rue de Flandre 46
les amateurs est Georges Feydeau,
- 1000 Bruxelles
suivi de près par Molière. Mais ces
02/502 81 83 - www.fncd-theatre.be
grands classiques sont talonnés par
Ribes, Alègre, Obaldia,
• FeCoTa (Fédération des Compagnies de
Grumberg… Encore une fois, ces
Théâtre Amateur) :
Rue du Centre 1 - 5060 Auvelais
choix dépendent de la “philosophie”
071/48 84 39 - www.fecota.eu
générale de la troupe. Mais tous
sont évidemment honorables, et il
• L’UCW (Union Culturelle Wallonne) :
n‟est pas question de sous-estimer
Rue Général de Gaulle 71 - 4020 Bressoux
04/342 69 97 - [email protected]
un genre. Encore faut-il obtenir
l‟autorisation de jouer l‟oeuvre
• Et aussi : Le TAP’S (Théâtre Amateur de la
sélectionnée : il n‟est pas rare, les
Province de Namur) :
répétitions déjà commencées, de
Av. Reine Astrid 22 A - 5000 Namur
se voir opposer un refus de la
081/77 68 09 - [email protected]
SACD, la pièce faisant l‟objet d‟une
Tous ces organismes vous aiguilleront volontiers
exclusivité de la part d‟un théâtre
vers la troupe la plus proche, ou celle qui
professionnel, à Paris ou à
correspond le mieux à vos attentes.
Bruxelles. Pour l‟avoir vécu deux
fois au cours des deux dernières
Bienvenue dans le monde envoûtant du théâtre !
saisons, je puis vous assurer que la
frustration est alors à son comble !
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Un bonheur partagé
Mais je ne voudrais pas terminer ce tour d‟horizon sans parler des côtés positifs du théâtre
amateur. Ses nombreux pratiquants vous énuméreront volontiers tous les bénéfices qu‟ils en
retirent. Et là encore, chacun selon le but qu‟il poursuit au départ.
Il y a le plaisir de faire partie d‟un groupe, de nouer des amitiés souvent durables, de
collaborer à la création d‟une œuvre d‟art (mais si ! pas de fausse modestie !) ; d‟apprendre
à maîtriser, sous la houlette de professionnels ou d‟amateurs chevronnés qui ont pris la
peine de se former (voir le nombre de stages organisés chaque année par l‟I.T.A. –
Interfédérale du Théâtre Amateur, regroupant les trois principales fédérations), les
différentes techniques théâtrales : corps, parole, mais aussi mise en scène, régie de plateau,
maquillage, décors, costumes, éclairages, sonorisation… ; de se déplacer en groupe pour
aller applaudir (ou pas) des spectacles professionnels – ah, les discussions acharnées
autour d‟un verre, après certains spectacles inhabituels ou engagés ; de se retrouver pour de
fraternelles agapes autour d‟un barbecue ; de rencontrer d‟autres troupes à l‟occasion de
stages, ou de festivals, et d „échanger nos expériences… Autre avantage : il y a place pour
tout le monde dans les troupes non professionnelles, et pas seulement pour des comédiens
ou des metteurs en scène : l‟énumération ci-dessus vous l‟aura prouvé, toutes les
techniques sont représentées.
Mais aussi toutes les origines et tous les âges, car la préparation d‟un spectacle réalise un
brassage social qui n‟a rien à envier à feu ( !) le service militaire : même si les troupes
comptent une majorité d‟enseignants, cela va de l‟adolescent au retraité, et du maçon au
prof d‟université en passant par l‟employé de banque. Tout ce petit monde travaille de
concert pendant des semaines, pour présenter un spectacle qui fasse honneur à la
compagnie et plaisir au public. Et même si c‟est valorisant à titre individuel pour un comédien
de sentir qu‟il “tient” les spectateurs, qu‟il peut en modulant son jeu les faire se tordre de rire
ou verser une larme, le plus grand bonheur est collectif : les saluts en fin de spectacle, main
dans la main, sont un remerciement adressé à l‟assistance par les comédiens, mais aussi
par ceux qui sont dans la lumière à ceux qui restent dans l‟ombre et sans qui la pièce
n‟aurait pu se jouer.
Malgré le trac, les doutes, les rivalités,
et autres petites mesquineries
inhérentes à la nature humaine, ces
moments-là justifient amplement notre
engagement, et, n‟ayons pas peur des
mots, font partie des plus belles joies
de notre vie.
Théâtre wallon : “On z-a
bouhî les treûs côps !” (1)
Le théâtre est universel. Il est pratiqué
dans toutes les langues. Pas de raison,
donc, que le Wallon n‟ait pas
développé ses propres pratiques
théâtrales. Et le secteur est
particulièrement foisonnant !
Des “Rôbaleûs di Slins” aux “Badjawes
di Fooz”, en passant par “Li Scanfår”
ou “Les Clapteûs d’Bergilers”, les
troupes de théâtre amateur wallon, aux
noms plus savoureux les uns que les
autres, sont légion en province de
Liège. Et cette réalité n‟est pas propre
à la principauté ; on la retrouve tout
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aussi vivante en Hainaut, dans le Namurois ou les autres contrées de Wallonie.
Dans nos villages, dans nos quartiers, le théâtre dialectal continue non seulement de semer la
joie, mais aussi (et sans doute surtout !) de faire perdurer une identité profonde. Le théâtre
wallon a posé ses pieds dans deux domaines distincts mais qui se rejoignent : la création
artistique, d‟abord ; et la défense de la langue wallonne, ensuite.
Vraiment populaire
La création artistique ne fait aucun doute. Et, loin des hauteurs élitistes de cette culture que
l‟on regarde (sans trop oser la toucher !), on peut sans conteste affirmer que le théâtre
wallon nous emmène au contraire en pleine culture populaire. Avec lui, grâce à lui, on baigne
à coup sûr dans des pratiques, certes d‟amateurs pour l‟essentiel, mais porteuses d‟au
moins trois qualités fondamentales.
Qualité première : il est accessible au plus grand nombre. Il est proche des gens, les
rencontre chez eux dans leur localité. Et les tarifs pratiqués sont dans, la très grande
majorité, tout à fait démocratiques.
On y trouve ensuite l‟expression du quotidien local et régional. C‟est notre vie à nous qui s‟y
voit mise en scène. On y perçoit souvent les mêmes senteurs que celles des pages locales
des journaux de proximité. “Ça sent bon le chez soi”, comme dirait l‟autre.
On y retrouve enfin des dynamiques de participation locale. Les comédiens sont
généralement des gens du terroir. Les spectateurs les connaissent. La relation entre la salle
et la scène n‟en est que plus originale et ardente. Et si la qualité du spectacle est de la
partie, la situation n‟en est que plus implicante pour tous. On est bien loin d‟une culture qu‟on
ne peut que regarder. On s‟y implique !
Reste cependant à ne pas relayer béatement une satisfaction naïve. Elle esquiverait toute
approche critique. Car le théâtre wallon est aussi porteur d‟énormément de conservatisme. Il
repose en de nombreux endroits sur la tradition locale ou régionale. A ce titre, il est souvent
guetté par l‟immobilisme. Nombreux sont ceux qui, dans les milieux théâtraux, interrogent
son ouverture d‟esprit, sa capacité de remise en cause, sa perméabilité aux nouvelles
formes de création… Le défi est grand. C‟est d‟ailleurs une des préoccupations de la
Province de Liège. Son action en faveur du théâtre dialectal tente d‟impulser des politiques
de soutien aux troupes amateurs allant dans le sens du renouvellement des pratiques : octroi
de conseillers techniques qui, pour la plupart, aident les metteurs en scène locaux ;
organisation des “Rencontres d‟Art théâtral wallon” où les troupes participantes reçoivent un
soutien financier et un “retour critique” sur leur création ; mise sur pied de formations pour
metteurs en scène, par exemple.
Un dialecte à transmettre
Le second pied du théâtre wallon est posé dans la défense du parler wallon. Tordons
d‟abord le cou aux vilains canards ignares ! Le wallon n‟est pas un patois, dont on considère
en règle générale qu‟il s‟agit d‟un parler local, pouvant varier assez sensiblement d‟un village
à l‟autre. C‟est un dialecte, c‟est-à-dire une variété régionale d‟une langue. Le wallon est en
réalité une langue d’oïl (branche des langues gallo-romaines qui se sont développées dans
le Nord de la Gaule). Il n‟est donc pas “dérivé” de notre français d‟aujourd‟hui comme
d‟aucuns ont tendance à le croire.
Cette petite mise au point linguistique n‟en appelle évidemment qu‟à plus de respect pour la
langue wallonne.
Une langue dont il n‟est nul besoin de rappeler les menaces qui pèsent sur son existence.
Précisément, c‟est dans ce combat très culturel, tant il touche à notre identité collective, que
le théâtre wallon trouve son second intérêt. Car de nos jours, qui et où parle-t-on encore
correctement wallon ? Quels sont ses modes de transmission aux jeunes générations ? Le
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bilan des réponses à ces questions est faible, très faible. Un des seuls vecteurs qu‟il nous
reste est le théâtre wallon : il permet de préserver un contact, au moins relatif, entre le plus
grand nombre et le parler wallon.
Il permet à de jeunes comédiens de s‟initier au wallon. Et ce n‟est pas toujours facile car
rares sont les endroits où l‟on parle encore wallon à la maison, même s‟il en reste des
vestiges (pas toujours les plus nobles d‟ailleurs) dans nos expressions quotidiennes. Quoi
qu‟il en soit, dans presque toutes les compagnies, des jeunes s‟y mettent et c‟est un résultat
à souligner ! Les troupes de théâtre deviennent ainsi très souvent des lieux d‟apprentissage
du wallon !
Et puis le public - bien qu‟il vieillisse ou que les plus jeunes n‟y comprennent que
partiellement les réparties - entend la langue et ce dont elle témoigne. Car le wallon est le
véritable témoin d‟un mode de vie. Ses expressions témoignent d‟une mentalité, d‟une façon
d‟être et de faire, d‟une approche de la vie. C‟est une langue pragmatique, concrète et
imagée, peu intellectualisante. Ses métaphores omniprésentes font sourire et son autodérision fait franchement rire !
Que d‟indices précieux sur notre culture, qui de Liégeois, qui de Carolo, qui de Namurois, qui
de Wallon tout court !
Levons donc le voile ! Le théâtre wallon, au fond, c‟est quelque chose de très sérieux ! Il
nous amuse, il nous distrait, il nous détend. Mais il nous apprend aussi qui nous sommes et
qui nous étions !
Merci à Maggy Pirotte, attachée au service Théâtre
dialectal (Direction de la Culture) de la Province de
Liège, pour ses précieux renseignements.
-----------------------------------------------------------------------------(1) En wallon liégeois : “On a frappé les trois coups !
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