Les profondeurs historiques traitées par les généticiens et les archéologues sont trop grandes
pour que l’anthropologie puisse convenablement s’en emparer. Pourtant, le projet proposé ici
vise à dépasser cette limite et à construire une ébauche comparative de la famille Pama-
Nyungan1 australienne non pas avec le sud de la Nouvelle-Guinée, comme il en est parfois le
cas avec peu de résultats, mais avec le centre et surtout le nord, et en particulier la région du
Sepik (et à termes d’autres régions fluviales). L’hypothèse, entièrement novatrice, semble
confirmée par l’écologie comportementale (O’Connel & Allen 2012) et se fonde sur un
certain nombre d’éléments que l’approche anthropologique peut envisager de dégager.
Indépendamment d’une origine historique ou générique commune, la comparaison des
sociétés du Sépik et celles de Pama-Nyungan en Australie mérite toute notre attention car
certains éléments socioculturels y sont d’une surprenante similitude malgré des contextes et
des modes de subsistance distincts.
Les journées d’étude proposées n’envisagent pas de répondre à la question de l’origine
commune, qui ne peut être une interrogation à proprement parler anthropologique, mais visent
à réunir des spécialistes de ces deux aires géographiques afin de fonder un espace novateur de
dialogue et d’échange. L’hypothèse générale qui sera explorée est la suivante : les rapports
entre individus et le collectif semblent particuliers dans le Sepik comme dans les groupes
Pama-Nyungan et se différencient considérablement de ceux observés dans les Hautes-Terres
de la Nouvelle-Guinée ou des groupes non-Pama-Nyungan en Australie. Un accent particulier
y semble en effet être placé sur la construction de la personne particularisée à partir
d’éléments indexés sur l’environnement. À la référence collective (idéologies d’appartenance,
système de parenté, organisation sociale, système d’échange, etc.), qui ailleurs privilégie la
personne distribuée (Gell 1998), dividuelle et détachable (cf. Strathern 1988, Mosko 2010,
par exemple), ces régions semblent opposer l’individualité construite en « personne » par
l’accumulation de référentiels extérieurs et non humains. Sans vouloir ici intégrer la notion de
perspectivisme, qui nous semble difficilement applicable en Océanie, l’ethnographie de ces
régions témoigne toutefois d’une conception du rapport individu-collectif qui se construit par
des mécanismes de mise en situation individuelle plus que par la transmission-reproduction
des manières de faire, de penser et de construire les savoirs. Les interrogations particulières
explorées lors de ces journées d’étude concerneront ainsi et en particulier deux postulats
comparatifs :
- La reproduction des parties corporelles des figures mythiques-ancestrales
individualisées dans les espèces naturelles, les lieux et les particularités
géographiques, les ancêtres, etc. constituent les indexes de références des individus
humains ;
- La contextualisation des aspects normatifs (adaptabilité de la parenté, fluidité des
droits et obligations fonciers et rituels, dynamique de l’autorité) est le principe
fondamental permettant l’intégration des index dans les processus de construction des
personnes.
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1 La famille linguistique Pama-Nyungan, l’une des 27 familles linguistiques en Australie, est la plus représentée
et probablement issue d’une migration précoce.