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INSPECTION GENERALE DE L'EDUCATION NATIONALE
Groupe Histoire Géographie
SERVICE DE COOPERATION ET D’ACTION CULTURELLE
Service de l’Enseignement Français
Annexe 1 :
Religion, Etat et société dans l’Empire ottoman et la Turquie de la fin du XIXème siècle à nos
jours
Dans un premier temps, il s’agit présenter les grandes caractéristiques de l’histoire de l’Empire
ottoman et de la Turquie indispensables pour comprendre le XXe siècle.
A la fin du XIXe siècle, l’Empire ottoman est un état centralisé, son souverain, le sultan nomme le
gouvernement appelé la Porte. Le contrôle des territoires se fait par les vilayet (préfectures gérées
par un gouverneur) et à plus grande échelle par les sandjak. Il faut surtout rappeler que si l’empire
est musulman de droit hanéfite, il doit faire coexister les lois islamiques (seriat) et la législation
impériale (kanûn). Dans ce cadre, l’empire compte de nombreuses minorités (Chrétiens, Juifs,
Arméniens, Kurdes) et de ce fait, il est nécessaire de faire cohabiter des groupes, des langues, et des
droits différents (le statut de « protégés » ou dhimmis et le système des millets qui donne aux
communautés une autonomie dans le cadre impérial).
Dans cette première partie, on peut aussi montrer que dès le XIXe siècle, l’empire connaît l’esprit
des Lumières et les idées de la Révolution française. Les élites ottomanes cherchent à comprendre le
déclin impérial et la suprématie occidentale. Portées par le politique (sultan et vizirs), les réformes
sont menées à partir de 1839 sous le nom de Tanzimat (« nouvel ordre »), celles-ci s’appliquent à
l’ensemble des sujets de l’Empire et proclame l’inviolabilité de la vie et de la propriété.
En 1876, le sultan Abdul Hamid II promulgue une Constitution qui s’inspire du modèle européen
tout en s’inscrivant dans la tradition islamique. Ce principe de mesveret tend à montrer que pour
faire accepter des institutions modernes, il convient d’abord de les légitimer par l’islam (Namik
Kemal théoricien du mouvement « Jeunes-Turcs » en est l’un des rédacteurs). Le régime se dote
d’un parlement mais le souverain reste tout-puissant. Deux ans plus tard la Constitution est
suspendue et l’Assemblée dissoute. Ce nouveau régime, absolutiste, prônant le panislamisme est,
pour trois décennies le dernier sursaut de l’Empire face à la pression des grandes puissances et à la
perte des territoires balkaniques (Congrès de Berlin 1885).
Dès 1889, le mouvement Jeunes Turcs trouve un soutien auprès de jeunes élèves officiers et même
des oulémas éclairés. Les aspirations trouvent leurs fondements dans une vision laïque de l’histoire
et un éloignement de la religion (deux tendances s’opposent entre l’Entente libérale qui prône une
monarchie constitutionnelle fédérale et décentralisée et le Comité Union et Progrès qui lui préfère
une monarchie nationaliste centralisée). En juillet 1908, l’armée ottomane se soulève et demande le
rétablissement de la Constitution. En 1909, le sultan Abdul-Hamid II est déposé au profit de
Mehmed V sans influence. La laïcisation de l’Etat et de la société est en marche.
A ce stade la présentation de quelques exemples significatifs est impérative : limitation de l’aire
d’intervention des tribunaux religieux en 1913 pour aboutir en 1915 à un attachement de l’ensemble
des tribunaux au ministère de la Justice ; contrôle des fondations pieuses (Vâkïf) par le ministère des
Finances, l’enseignement religieux passe sous tutelle du ministère de l’Education et échappe ainsi
au Ministre des cultes (sheyhülislam). Il ne s’agit pas de faire disparaître l’islam mais davantage de
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placer les institutions religieuses sous contrôle de l’Etat pour permettre une modernisation et une
occidentalisation de la société.
L’émancipation des femmes passe par la scolarisation et des campagnes contre le voile et la
claustration. De nombreux cercles de pensée associent la philosophie européenne, l’islam et le
soufisme. On ne parle par encore de laïcité mais de lâdini qui peut se traduire par « irreligieux ».
Le terme de laïcité est créé en turc moderne à partir du français : « lâiklik », La république fonde dès
1923, l’institutionnalisation de la laïcité en Turquie. Le kémalisme de Mustafa Kemal s’installe.
Pour autant, la première partie de la question précédemment développée montre qu’il n’y a pas de
rupture brutale, le sultan-calife n’étant ni l’incarnation de la toute puissance de l’Etat, ni de la
communauté musulmane. Dans ce second aspect de la question, il est impératif de mettre en avant
trois préalables.
D’une part, si la France comme la Turquie ont inscrit la laïcité dans leurs textes fondamentaux,
celle-ci n’est pas conçue dans les mêmes termes, d’abord parce qu’elle touche à des domaines plus
vastes (social, juridique, politique, culturel), ensuite car il ne s’agit pas comme en France, d’imposer
une séparation du temporel et du spirituel mais davantage d’imposer un contrôle de l’Etat (via le
ministère des Affaires religieuses) sur un islam national.
D’autre part, il est nécessaire de montrer qu’entre 1924 et 1935, les réformes ont été radicales,
brutales et marquées du sceau de l’autoritarisme. Des chercheurs tels que Jean-Paul Burdy ou Jean
Marcou n’hésitent pas à considérer que « dans une large mesure l’islam turc (…) a été
instrumentalisé au profit du projet kémaliste de création de l’Etat-nation territorialisé et unifié, au
même titre que l’histoire ou la langue. L’islam est devenu un « appareil idéologique d’Etat » ». Bien
sûr les photos, les statues du Ghazi (le « Victorieux », titre accordé aux plus courageux combattants
de l’islam) sont à utiliser en classe car le personnage se veut l’incarnation de la laïcité turque.
Enfin, depuis 1924, la société a changé. Par le traité de Lausanne, les populations non musulmanes
quittent le territoire (900 000 Grecs d’Anatolie émigrent. La Turquie devient musulmane à 99 %).
Il serait impensable de présenter l’ensemble des réformes qui modifient les liens entre religion, Etat
et société en Turquie. Quelques faits significatifs peuvent montrer d’une part le rejet de la religion
de la sphère du politique, d’autre part les mesures ayant des implications immédiates sur la société
et enfin les faiblesses du système augurant d’une des contestations à venir.
Alors que l’institution avait survécu à la proclamation de la République (29 octobre 1923), c’est
certainement l’abolition du sultanat le 3 mars 1924 qui aura le plus grand retentissement dans le
monde musulman. On pourra faire remarquer que dans l’article 2 de la Constitution (avril 1924) « la
religion de l’Etat turc est l’islam », cet article sera supprimé en avril 1928 laissant à chacun la
liberté de croyance et de culte. Il est recommandé de présenter les champs d’action des Directions
des Affaires religieuses et Direction générale des Fondations pieuses (vâkïfs) : contrôle des
mosquées, des couvents et des mausolées ; nomination des imams et des muezzins ; surveillance de
la Faculté de théologie d’Istanbul et des écoles de prédicateurs. Aucune mosquée importante n’a été
construite dans les grandes villes, la basilique-mosquée de Sainte-Sophie devenant un musée.
La société turque n’est pas antireligieuse mais les pratiques sont orientées par une série de mesures
qui vise la population : les écoles religieuses sont intégrées au système scolaire public, l’appel à la
prière est en turc et non en arabe, le dimanche devient jour de repos hebdomadaire, le calendrier
chrétien est adopté, un nouvel alphabet est introduit, les noms de famille doivent être de type
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européen (le titre honorifique d’Atatürk « père des Turcs » devient le nom de famille de Mustafa
Kemal).
Incontestablement, Atatürk a permis la transformation de la Turquie en une nation moderne de type
européen. A ce jour, la Turquie est le seul Etat laïque du monde musulman. Pour autant, deux points
seraient à évoquer ; si la politique d’Atatürk s’est fortement implantée dans les villes auprès des
fonctionnaires, des militaires, il n’en est pas de même dans l’ouest du pays en particulier en
Anatolie. De plus, les structures religieuses n’ont pu intervenir dans le processus. En conséquence,
certaines confréries religieuses (tarîkat comme les derviches tourneurs) ou des minorités mystiques
(par exemple les alevî) ou des groupes (Kurdes) s’inscriront dans une contestation.
Le décès d’Atatürk et surtout la Seconde Guerre mondiale engagent un changement du système
kémaliste. A partir de 1945, la Turquie devient une démocratie parlementaire pluraliste dans
laquelle l’armée se pose en gardienne vigilante et active de l’héritage kémaliste. La modernité et la
laïcité imposées ont manqué de bases sociales, des mesures sont prises qui réintègrent la religion
dans la sphère publique : la tolérance pour les vêtements traditionnels et le port du voile (türban), le
retour à l’éducation religieuse dans les écoles primaires puis secondaires (en 1956), le
rétablissement de l’enseignement coranique et de l’appel à la prière en arabe, la commémoration de
la conquête de Constantinople. La laïcité semble plus ouverte mais les atteintes à la démocratie
faites par le Parti républicain engagent le pays vers la dictature de la majorité (persécution de la
gauche et tractations avec les islamistes).
En mai 1960 les blindés se déploient dans les villes, l’armée renverse le gouvernement, la loi
martiale est proclamée. La Constitution de 1961 met en place un régime plus démocratique et libéral
qui n’empêche pas l’instabilité politique et l’armée intervient en 1971 et 1980 comme rempart de la
laïcité face à l’influence grandissante des partis qui se réclament de l’islam.
Dans les décennies 1970 et 1980, la Turquie semble ingouvernable, sur fond de crise internationale,
aucun parti n’obtient de majorité et les coalitions (ultranationalistes d’Alparskan Türkesh et ses
milices les loups gris, les islamistes de Necmettim Erbakan) mènent à la plus grande violence. Entre
1983 et 1993, le Premier ministre, Turgut Özal (ANAP) marque le pays du sceau d’une politique
plus libérale, la référence n’est plus seulement l’Europe, mais aussi les Etats-Unis, la place accordée
à l’islam est grandissante (banques islamiques, légitimité des organisations religieuses).
La Turquie aujourd’hui est prise dans quatre champs de force : le premier est représenté par les
partis de gauche et l’armée qui défendent la laïcité kémaliste, le second est composé des partis
conservateurs de centre droit et de droite qui préservent les principes de laïcité tout en s’appuyant
sur un électorat religieux, le troisième est celui des fondamentalistes qui ne parviennent pas à
s’imposer et le dernier, longtemps contenu mais en croissance, émane du mouvement islamiste
politique (parti de la Prospérité). Depuis mars 2003, Recep Tayyip Erdogan (AKP) gouverne une
Turquie ou la pratique religieuse dans l’espace public est plus visible.
Entre République laïque et société musulmane, la Turquie est sans cesse en recomposition. Face à la
crise internationale, à la poussée de l’islamisme, elle doit redéfinir encore les liens entre religion,
Etat et société.
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